tag:theconversation.com,2011:/us/topics/rumeur-24111/articlesrumeur – The Conversation2020-06-28T16:07:29Ztag:theconversation.com,2011:article/1411822020-06-28T16:07:29Z2020-06-28T16:07:29ZLa désinformation russe sur les réseaux sociaux au temps du Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343509/original/file-20200623-188882-4nm95l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C237%2C3370%2C2009&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/finger-press-button-russian-flag-on-1082389487">BigNazik/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La désinformation consiste à profiter de la liberté d’expression pour propager de fausses informations, et cela selon certains principes précis, définis ainsi par les chercheurs de la RAND Corporation Christopher Paul et Miriam Matthews : la rapidité, la continuité, la <a href="https://www.rand.org/pubs/perspectives/PE198.html">fluidité</a>. Une manière efficace de propager l’information souhaitée est de contrôler, manuellement ou par ordinateur, de nombreux comptes sur divers médias sociaux. Les comptes de ce type, appelés <a href="https://briannorlander.com/img/Reddit_Bot_Classifier.pdf"><em>bots</em></a>, se trouvent par millions sur nos réseaux sociaux et sont les principaux véhicules de la désinformation à grande échelle.</p>
<p>Pour être percutante, la fausse information doit se propager rapidement, avant la mise en ligne d’informations véridiques et vérifiables. La vérité n’est pas un facteur déterminant, même si la majorité des nouvelles de propagande contiennent une <em>part</em> de vérité. La sociologue diplômée de Harvard Kathleen M. Carley soutient qu’une <a href="https://www.pbs.org/newshour/health/why-uncertainty-about-coronavirus-breeds-opportunity-for-misinformation">fausse nouvelle voyage six fois plus rapidement sur les médias sociaux qu’une vraie</a>. Parallèlement, Christopher Paul et Miriam Matthews démontrent que les sources multiples sont plus convaincantes qu’une source unique, et que la fréquence à laquelle on reçoit cette information est primordiale.</p>
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<p>Par conséquent, le nombre importe. Sur les réseaux sociaux, les <a href="https://www.politico.com/story/2019/06/05/study-russia-cybersecurity-twitter-1353543">comptes gérés par la Russie</a> doivent être proactifs, c’est-à-dire qu’ils doivent publier abondamment, partager, commenter et relayer des informations similaires en les accompagnant de vidéos YouTube et d’images présentées comme autant de preuves. Si une publication est partagée, retweetée, aimée ou commentée par un nombre conséquent d’autres comptes, elle semble plus fiable et plus véridique qu’une publication ayant donné lieu à peu d’interactions. Il devient donc primordial pour tous les faux comptes d’être liés entre eux et de supporter chacune des publications des autres. Les bots permettent d’effectuer ce transfert et ce partage d’informations plus rapidement et plus efficacement que si le travail était accompli manuellement. Les faux comptes créent l’illusion que l’information est soutenue par plusieurs milliers voire millions de personnes, la rendant plus « fiable ».</p>
<p>À cet effet, la désinformation ne s’engage pas à défendre un seul récit. En pratique, plusieurs fausses informations sont partagées en même temps par plusieurs comptes différents. Si les individus n’adhèrent pas à une fausse nouvelle, celle-ci est <em>discartée</em>, les bots cessent de la faire circuler. Si en revanche les individus adhèrent fortement à une fausse nouvelle, les bots s’assureront de la relayer le plus souvent possible dans un court laps de temps pour multiplier sa portée.</p>
<h2>Désinformation et Covid-19</h2>
<p>À l’heure actuelle, en pleine pandémie, la sociologue Kathleen Mellon souligne que <a href="https://www.cmu.edu/ideas-social-cybersecurity/research/coronavirus.html">l’activité des bots est deux fois plus importante</a> que ce que prévoyaient les études basées sur le niveau d’activité pendant les précédentes crises.</p>
<p><a href="https://globalnews.ca/news/6793733/coronavirus-conspiracy-theories-russia-china/">Selon Stephanie Carvin</a>, professeur à l’Université de Carleton et ancienne analyste en sécurité nationale pour le Service canadien du renseignement de sécurité, les bots russes font actuellement la promotion de deux théories particulièrement dangereuses : </p>
<ul>
<li><p>le virus a été créé en laboratoire en tant qu’arme biologique ; </p></li>
<li><p>la pandémie sert à couvrir les effets néfastes des nouvelles tours 5G (ou bien, variante, que les tours propagent elles-mêmes le virus).</p></li>
</ul>
<p>Les premières théories poussées par les bots russes apparaissent dès les premiers jours de janvier, alors que ce n’est qu’à la mi-mars que les <a href="http://datametrex.com/assets/pdf/report/Nexalogy-Covid19_China-Disinformation-Report_March_2020.pdf">bots chinois et iraniens s’y joignent</a>. Depuis, les publications des bots ont largement surpassé celles des humains. Selon Kathleen Carley, les bots sont actuellement responsables d’environ 70 % de l’activité liée au Covid-19 sur Twitter, et 45 % des comptes relayant des informations sur le virus sont des <a href="https://www.cmu.edu/ideas-social-cybersecurity/research/coronavirus.html">bots</a>. Les audiences les plus réceptives à ces théories sont actuellement les <a href="https://omny.fm/shows/wait-theres-more/bill-gates-5g-and-the-wuhan-lab-coronavirus-conspi"><em>anti-vax</em>, les adeptes des théories du complot et les technophobes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242142219030736907"}"></div></p>
<p>Selon la première théorie, le Covid-19 a été créé dans un laboratoire avant d’être lâché dans la nature à titre d’arme biochimique. Selon les audiences, on retrace le même récit, mais le pays d’origine change. Certaines théories prétendent que le virus a été développé dans un laboratoire chinois à Wuhan, d’autres qu’il a été élaboré dans un laboratoire militaire aux États-Unis avant d’être transporté et relâché dans la ville de Wuhan. La réalité demeure que peu importe le récit, cette théorie est dangereuse, puisqu’elle lie directement la pandémie à des agissements criminels des élites politiques. Or le fait que la société remette en question l’intégrité de ses élites, qu’elles soient politiques ou scientifiques, peut avoir un <a href="https://globalnews.ca/news/6793733/coronavirus-conspiracy-theories-russia-china/">impact considérable</a> sur la propagation de la maladie.</p>
<p>À titre d’exemple, un récent <a href="https://newsroom.carleton.ca/2020/new-carleton-study-finds-covid-19-conspiracies-and-misinformation-spreading-online/">sondage</a> de la professeure Sarah Evert conduit à Ottawa révèle que cette théorie serait soutenue par environ 26 % des Canadiens. À l’aide de l’outil Datametrex, les chercheurs de l’Université de Carleton ont pu étudier plus de cinq millions de publications sur les réseaux sociaux, des publications ensuite reliées à des bots russes ou chinois.</p>
<p>Les théories du complot associées au Covid-19 sont particulièrement foisonnantes puisque les connaissances de la communauté scientifique sur le virus demeurent limitées. Ces théories peuvent donc créer l’illusion de combler le vide laissé par la science, d’expliquer ce que les scientifiques ne peuvent pas. Kathleen Carley souligne également que ces théories sont particulièrement difficiles à discréditer puisqu’elles sont partagées par un grand nombre de personnes, y compris des politiciens et des célébrités qui ont une audience beaucoup plus large que les scientifiques.</p>
<p>En ce qui a trait à la théorie de la 5G, le sondage de l’Université de Carleton révèle que c’est environ 11 % des Canadiens qui croient que la Covid-19 n’est pas un virus réel ou sérieux, mais que la pandémie sert à couvrir les effets nocifs des tours 5G sur l’homme. Les théories du complot associent l’éclosion du virus en Chine et sa propagation au développement du 5G où la Chine agit comme pionnière de la technologie. À la suite de la propagation de cette théorie, plusieurs actes de vandalisme ont eu lieu contre des installations de télécommunications – 5G ou non – partout en Europe. On recense maintenant plus de 60 incidents sur le continent européen et au moins 4 au Québec.</p>
<p>Toujours selon le sondage de Sarah Evert de l’Université de Carleton, les jeunes de 18 à 29 ans sont plus partisans des théories du complot. Les plus grands adeptes ont également une activité beaucoup plus importante sur les médias sociaux que les individus n’adhérant pas à ce genre de théories. Ces individus partagent et commentent beaucoup plus d’informations concernant des complots que la majorité des usagers normaux et sont également beaucoup plus enclins à discréditer les avancées scientifiques ou les informations véridiques – en commentant abondamment <em>fake news</em> par exemple – que les usagers n’adhérant pas à ces théories. Quarante-neuf pour cent des Canadiens croyant que la Covid-19 a été créée en laboratoire et 58 % des Canadiens croyant à la théorie concernant la 5G ont dit pouvoir aisément distinguer les fausses informations et les théories du complot des <em>vraies</em> informations.</p>
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<p>La sociologue Kathleen Carley propose des pistes de solutions afin de débusquer les fausses informations. D’abord, ce n’est pas parce que l’information est relayée par plusieurs milliers de personnes ou parce qu’elle provient de plusieurs sources qu’elle est forcément vraie. Comme plus de 80 % de la désinformation provient des individus et non pas des médias traditionnels, les canaux habituels sont généralement gagés de fiabilité. Par ailleurs, si une solution – un remède dans le cas du Covid-19 – parait trop belle pour être vraie, c’est que c’est probablement faux. Dans le cas du Covid-19, les sources les plus fiables demeurent les scientifiques, l’OMS ou les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) par exemple. Avant de partager une publication, il vaut mieux s’assurer que l’information est vérifiable et si l’information est fausse, la bonne pratique est de signaler l’utilisateur comme un faux compte. En outre, les médias sociaux sont infestés par la désinformation, largement propagée à l’aide d’images ou de vidéos YouTube par des bots et des faux comptes.</p>
<h2>La désinformation, pour quoi faire ?</h2>
<p>Pourquoi la désinformation existe et pourquoi les Russes l’utilisent-elle à profusion ? La réponse réside avant tout dans le simple fait que la politique étrangère russe est axée <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/bobo_lo_poutine_politique_etrangere_russe_2018.pdf">sur ses propres intérêts</a>, et uniquement sur ses propres intérêts. Le recours à la désinformation a donc pour objectif de servir ces intérêts.</p>
<p>Si la Russie pousse des théories contre la 5G, c’est peut-être pour en ralentir le déploiement et nuire au développement économique de certains pays. Dans ses relations internationales, la Russie « n’a pas d’amis », mais elle a des alliés, et ces alliés demeureront des alliés <a href="http://horizonsstrategiques.com/intensification-relations-entre-iran-russie/">tant que l’alliance servira les intérêts de Moscou</a>. La désinformation – qui vise à la fois à déstabiliser les ennemis jugés hostiles à la Russie et à ses alliés, et à préserver les sentiments pro-russes chez ces mêmes alliés – a donc encore probablement de beaux jours devant elle…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141182/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Marineau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’épidémie de Covid-19 a donné lieu à une avalanche d’infox répandues notamment par des comptes gérés depuis la Russie. Comment cette désinformation fonctionne-t-elle, et quels sont ses buts ?Sophie Marineau, Doctorante en histoire des relations internationales / phD candidate History, International relations, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1356542020-04-20T17:27:09Z2020-04-20T17:27:09ZComment améliorer la communication sociale sur le Covid-19 au Sénégal ?<p>Depuis que les premiers cas de Covid-19 ont été détectés au Sénégal, c’est à travers le <a href="http://www.sante.gouv.sn/">ministère de la Santé et de l’action sociale</a>, le <a href="http://www.sante.gouv.sn/les-services-rattaches/le-service-national-de-l%E2%80%99education-et-de-l%E2%80%99information-pour-la-sant%C3%A9-sneips">Service national de l’Éducation et de l’Information pour la Santé</a> et le <a href="http://www.sante.gouv.sn/les-services-rattaches/le-centre-des-op%C3%A9rations-durgence-sanitaire-cous">Centre des Opérations d’Urgence</a> que s’est organisée la stratégie de communication institutionnelle dans le pays.</p>
<p>Ces institutions ont fait passer leurs messages à la population à travers des <a href="http://www.sante.gouv.sn/Pr%C3%A9sentation/coronavirus-informations-officielles-et-quotidiennes-du-msas">communiqués</a> et <a href="http://www.sante.gouv.sn/mediatheque/videotheques/coronavirus-point-de-situation-du-lundi-06-avril-2020-avec-monsieur">points de presse quotidiens</a>. Naturellement, les médias classiques (télé, radio, presse écrite) ont également fait de cette maladie leur sujet de prédilection.</p>
<p>Dans le même temps, les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/03/06/covid-19-medias-et-reseaux-sociaux-africains-mettent-en-cause-un-virus-venu-d-ailleurs_6032116_3212.html">réseaux sociaux</a>, les sites d’information en ligne et les lieux publics sont devenus des relais de ce qu’il est d’usage d’appeler des rumeurs et des « fake news », ou encore de l’« infodémie ».</p>
<h2>Comment appréhender les rumeurs ?</h2>
<p>Ces rumeurs traduisent le déni ou la peur de l’inconnu, pas nécessairement une volonté de désinformer. Des attitudes similaires ont été notées <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1979_num_34_6_294120_t1_1262_0000_002">du temps de l’épidémie de peste en Europe</a> où les réactions de peur ont retardé son acceptation par les populations.</p>
<p>La propagation de ces « infox » reflète aussi les interrogations de la population face à une nouvelle pathologie sur laquelle elle a été initialement peu ou mal informée. Une certaine presse a également fait la part belle aux théories accusant les <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/vu-dafrique-le-covid-19-une-maladie-de-blancs">Blancs</a> et stigmatisant les <a href="https://www.pressafrik.com/Senegal-le-statut-des-modou-modou-a-ete-sali-par-le-coronavirus_a213668.html">émigrés</a> en les accusant d’avoir introduit le virus au Sénégal.</p>
<p>Certaines des rumeurs se sont également développées sur fond d’interprétations religieuses. La vitalité de ce type de discours peut être comprise comme une manière ordinaire, pour les Sénégalais, de décoder, rationaliser et rendre intelligible la maladie.</p>
<p>L’idée que la force de la foi protégera le croyant du virus s’est largement répandue parmi les Sénégalais et s’est retrouvée, à bien des égards, dans les attitudes adoptées par l’État. Le ministre de l’Intérieur <a href="https://fr.allafrica.com/stories/202003060475.html">s’est ainsi rendu au Magal Porokhane</a> (un rassemblement religieux annuel). Le président de la République a envoyé un ancien premier ministre assister à la prière du vendredi à Touba pour solliciter les prières des autorités religieuses.</p>
<p>La question s’impose : quelle attitude les autorités publiques doivent-elles adopter face au dynamisme de ces diverses réactions à la pandémie ?</p>
<h2>Une communication de crise focalisée sur la peur n’est pas efficace</h2>
<p>En dehors des recommandations biomédicales (gestes barrières), les messages véhiculés par les autorités sanitaires et relayés par la presse ont contribué à entretenir la peur et la stigmatisation : « Le COVID tue ! », « La pente dangereuse », « Menace de flambée », « Restez chez vous ».</p>
<p>De tels modes de traitement de l’information sont anxiogènes et suscitent des comportements jugés irrationnels (comme l’a montré le <a href="https://senego.com/coronavirus-le-modou-modou-echappe-de-la-caserne-s-d-diallo-contamine-sa-femme_1066521.html">cas du patient fugitif de la Caserne Samba Diéry Diallo qui a contaminé sa femme</a>). C’est une chose d’appeler des populations entières à rester chez elles ; c’en est une autre de les amener à comprendre pourquoi ces mesures extrêmes sont essentielles et s’assurer ainsi qu’elles seront bien respectées.</p>
<p>Par ailleurs, si le ministère de la Santé a voulu donner des gages de transparence à travers ses communiqués de presse, le format employé a également renforcé l’angoisse : le fait de relater quotidiennement le nombre de cas a conduit la population à s’attendre tous les soirs à l’hécatombe, conformément à la chronique d’une catastrophe annoncée sans cesse relayée par la presse et les réseaux sociaux.</p>
<p>Mieux, la « communication unilatérale » caractérisant cet exercice a aussi contribué à développer ces rumeurs, en ne donnant pas aux médias la possibilité à poser des questions. Comme le <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/fred-eboko-l-afrique-a-garde-la-memoire-d-ebola-23-03-2020-2368320_3826.php">souligne</a> Fred Eboko, directeur de recherche à l’<a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010066502">Institut de recherche pour le développement (IRD)</a> et spécialiste des politiques publiques de santé en Afrique, il est nécessaire d’<a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2010-2-page-249.htm">éviter de faire peur</a> si l’on veut que le message soit bien assimilé par les populations.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rien-ne-prouve-que-le-coronavirus-a-ete-cree-en-laboratoire-les-dessous-de-linfodemie-sur-le-covid-19-135326">Rien ne prouve que le coronavirus a été créé en laboratoire : les dessous de l’infodémie sur le Covid-19</a>
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<p>De plus, les nombreux débats télévisés contradictoires brouillent le message. Une <a href="https://www.x-mol.com/paper/1233137706829107200">publication récente de <em>The Lancet</em></a> a montré qu’un trop-plein d’informations, en particulier discordantes, représentait une source de stress en période d’épidémie.</p>
<p>Pour éviter une telle situation, il convient de renforcer l’harmonisation de la communication avec tous les partenaires de la lutte – les acteurs publics, la plate-forme des ONG, les différents groupes de presse… – et, aussi, d’élaborer des supports utilisables par tous. Au Sénégal, il faut <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2017-4-page-487.htm">s’inspirer des leçons apprises d’Ebola</a> et, surtout, mieux préparer les communautés par une communication utilisant des référentiels de base sur le terrain avec des messages contextualisés, harmonisés et spécifiés, évitant les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s13149-016-0524-z">errances communicationnelles</a>.</p>
<p>Il convient également de procéder à une évaluation continue des effets des messages diffusés et de prendre des mesures permettant de les améliorer. Enfin, la focalisation sur les gestes barrières, aux risques liés à la propagation du virus et au respect du confinement ne doit pas faire oublier que le retour des personnes guéries dans leurs communautés doit être accompagné par une communication proactive pour prévenir leur <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/tmi.13226">stigmatisation et les conséquences psychosociales</a> qui s’ensuivent.</p>
<h2>La communication par le bas, adaptée et contextualisée, est essentielle</h2>
<p>Au niveau des districts sanitaires, les acteurs communautaires mènent une <a href="http://www.sante.gouv.sn/mediatheque/phototheques/campagne-de-sensibilisation-sur-le-covid-19-%C3%A0-la-gare-routi%C3%A8re-des-baux">campagne nationale de sensibilisation</a> et de communication. Au-delà de ces activités de masse, la communication a surtout été menée par le biais des visites à domicile.</p>
<p>Comme le montre <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/181347/2303665">notre étude</a>, le travail avec les communautés, dans les espaces publics, est celui qui <a href="https://journals.openedition.org/anthropologiesante/1796">donne le plus de résultats en matière de communication</a>.</p>
<p>Si Touba, zone ayant fait l’objet de demandes pressantes d’isolement de la part de Sénégalais inquiets et angoissés, est restée pendant plus <a href="https://www.pressafrik.com/coronavirus-Senegal-Apres-Touba-Dakar-donne-le-tournis-aux-autorites_a214059.html">d’une semaine sans nouveau cas</a>, c’est le fruit d’un travail collaboratif et d’une approche de proximité. Les acteurs sanitaires de la ville, appuyés par diverses organisations communautaires et les guides religieux, ont encouragé l’adoption des bonnes pratiques d’hygiène, la limitation des déplacements et le respect du couvre-feu. Les plaidoyers en direction des religieux, les visites à domicile, les appuis apportés aux maisons mises en quarantaine pour améliorer leur résilience ont favorisé l’engagement des communautés et l’adoption des comportements souhaités. Cette même approche doit permettre de gérer la résurgence de l’épidémie, avec les nouveaux cas notés récemment.</p>
<h2>Quelle communication sur les risques ?</h2>
<p>Les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02303330/document">leçons apprises des épidémies précédentes</a> montrent qu’il est nécessaire de communiquer de façon à amener les populations à identifier les risques, à évaluer et comprendre leurs vulnérabilités. C’est ce qui peut les inciter à adopter les bons comportements et à s’approprier les mesures de lutte.</p>
<p>Aussi, les pouvoirs publics ne peuvent pas espérer que les Sénégalais s’engageraient pleinement dans la lutte et changeront significativement de comportements s’ils ne sont pas en mesure de répondre à leurs besoins et de garantir l’accès aux services sociaux de base. Si le taux d’accès global à l’eau est <a href="https://www.onas.sn/actualites/actualites-onas/acces-a-leau-potable-et-a-lassainissement-le-senegal-se-maintient-sur-la">98,8 % avec 90,3 % de branchements domiciliaires</a>, cela ne doit pas cacher l’irrégularité du service et les pénuries fréquentes à Dakar par exemple.</p>
<p>Dans ces conditions, comment demander à une femme de Yeumbeul (banlieue dakaroise) de rester chez elle après 20 h alors que le robinet ne l’alimente en eau qu’à partir de 23 h ? En plus des informations biomédicales sur le Covid-19, il faut sans doute aussi rassurer la population sur ces problèmes qui la préoccupent au premier chef pour favoriser l’appropriation des <a href="https://www.who.int/risk-communication/guidance/download/fr/">messages de lutte en période de confinement</a>.</p>
<p>La communication doit également insister sur des valeurs (contrat social, altruisme) permettant de renforcer des réseaux de solidarité. <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-016-3799-x">Les liens qui unissent les individus</a> sont des éléments nécessaires pour gérer la peur et le stress. C’est en se pliant à ces impératifs que la communication sur la pandémie remplira son objectif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135654/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Landry Birane Faye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 donne lieu à de nombreuses rumeurs et les mesures recommandées par les autorités ne sont pas toujours respectées, du fait d’une communication perfectible.Sylvain Landry Birane Faye, Professeur en Sociologie et Anthropologie de la Santé, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1332562020-03-09T18:16:55Z2020-03-09T18:16:55ZBienvenue à Coronaland ! Vers une zombification de l’humain ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319295/original/file-20200309-118960-hnj6rp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1196%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans 'Bienvenue à Zombieland' (2009), les protagonistes doivent affronter les zombies et apprendre à s'entendre, et si on remplaçait zombie par coronavirus?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=138837.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>À force de travailler l’<a href="https://www.20minutes.fr/montpellier/2482763-20190327-video-zombies-ca-existe-pose-question-scientifique">imaginaire des masses</a>, le thème de l’apocalypse zombie a opéré une sensibilisation. Les incessants stimuli produits par les scénarios de contamination et les images de morts-vivants déclenchent des peurs qui, plus que le coronavirus lui-même, se propagent comme une traînée de poudre sur toute la planète.</p>
<p>Pour ne rien céder au virus, y compris et surtout dans notre propre humanité, pourquoi ne pas écouter ce que les zombies ont à nous dire de nous-mêmes ?</p>
<h2>Des images de films apocalyptiques</h2>
<p>Loin de la phraséologie officielle sur les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/03/05/coronavirus-a-quoi-correspondent-les-trois-stades-du-plan-d-action-contre-l-epidemie_6031948_4355770.html">stades de l’épidémie</a> (1, 2 et bientôt 3), l’angoisse est palpable et des tensions éclatent çà et là.</p>
<p>Les émissions spéciales se succèdent, les chaînes d’informations délivrent leurs statistiques en temps réel (nombre de contaminés, de morts, de guérisons). Des images d’<a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/coronavirus-le-trafic-aerien-chinois-plus-petit-que-celui-du-portugal-1173408">aéroports déserts</a> et de villes en <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/04/coronavirus-journal-intime-d-une-famille-confinee-en-italie_6031855_3244.html">quarantaine</a>, avec leurs enterrés vifs, semblent tout droit sorties des studios, rappelant <em>World War Z</em> (Marc Forster), <em>L’Armée des morts</em> (George Romero) et autres <em>28 Days later</em> (Danny Boyle).</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer du film World War Z (2013).</span></figcaption>
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<p>La lutte contre le Covid-19 a déjà son martyr : <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/07/coronavirus-un-martyr-qui-ebranle-le-systeme-chinois_6028779_3232.html">Li Wenliang</a>, médecin devenu héros pour avoir alerté le premier sur les dangers du virus, avant d’en mourir.</p>
<p>Les masques chirurgicaux et les gels désinfectants sont <a href="https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/inquiets-les-orleanais-entrainent-une-penurie-de-masques-de-protection-et-de-gels-hydroalcooliques-dans-les-pharmacies_13755562/">pris d’assaut</a> dans les pharmacies, tandis que les produits de première nécessité disparaissent des <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/coronavirus-faut-il-craindre-une-penurie-dans-les-supermarches-1181532">supermarchés</a>. Partout des évènements sont <a href="https://www.ladepeche.fr/2020/03/03/coronavirus-trois-questions-sur-lannulation-des-evenements,8771523.php">annulés</a>, des écoles sont <a href="https://www.lepoint.fr/sante/coronavirus-nouveau-foyer-identifie-dans-le-val-d-oise-06-03-2020-2366022_40.php">fermées</a>. Les marchés financiers <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/28/coronavirus-la-planete-finance-gagnee-par-la-panique_6031174_3234.html">dévissent</a>.</p>
<p>Avec l’éruption du coronavirus, le monde semble s’être mué en scène de tournage grandeur nature pour un nouveau film de zombies : bienvenue à Coronaland (inspiré du <em>Bienvenue à Zombieland</em> de Ruben Fleischer).</p>
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<figcaption><span class="caption">L’armée des morts (Dawn of the Dead, 1978) film culte de George Romero.</span></figcaption>
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<h2>La menace virale brise les liens sociaux</h2>
<p>Avec les menaces virales et les zombies, à la fois les habitudes et les espaces de vie s’ancrent dans des réalités conflictuelles. Si le coronavirus, comme la meute de zombies, se présente sous les traits d’une menace homogène, cette dernière se fait toujours révélatrice d’hétérogénéité et de clivage parmi les humains. C’est que le virus, comme le zombie, peut infecter tout un chacun, proches, voisins, collègues, faisant d’autrui un danger en puissance.</p>
<p>Même le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/non-le-pape-francois-n-est-pas-atteint-par-le-coronavirus_2119961.html">Pape François</a> a été sommé de montrer patte blanche, le Vatican n’étant <a href="https://www.lepoint.fr/monde/coronavirus-un-premier-cas-a-l-interieur-du-micro-etat-du-vatican-06-03-2020-2366072_24.php">pas épargné</a>. La menace n’est plus seulement le virus lui-même, invisible, mais aussi le malade, bien visible et avec qui toute cohabitation devient problématique.</p>
<p>Les liens sociaux se délitent dans un mouvement centripète allant du virus au clan. Le virus, barbare venu des <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences/Infravies-vivant-sans-frontieres-2019-05-22-1201023645">infravies</a> – le monde des êtres interlopes qui ne répondent pas pleinement ou en permanence aux critères du vivant –, exacerbe la paranoïa, le rejet de l’étranger. On a ainsi rappelé les faits récents de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/en-france-une-jeune-femme-au-combat-contre-le-virus-du-racisme-anti-chinois-11-02-2020-2362093_23.php">racisme anti-chinois</a> et même l’agression de touristes européens en <a href="https://www.lavoixdunord.fr/718368/article/2020-03-01/coronavirus-manifestation-en-martinique-contre-l-arrivee-de-touristes-italiens">Martinique</a>. La panique conduit aussi à stigmatiser les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Migrants-coronavirus-nouvel-amalgame-nationalistes-europeens-2020-03-04-1201082092">migrants</a>.</p>
<p>De nouvelles consignes prophylactiques sont mises en place pour régir le vivre ensemble comme la prohibition du contact physique (« saluer sans se serrer la main, éviter les embrassades » peut-on lire sur le <a href="https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus">site</a> du gouvernement) qui de fait, préconise le vivre séparément.</p>
<p>Comme en cas de <em>Zombie Apocalypse</em>, des dynamiques de disjonction se mettent à primer : épargnés vs contaminés, malades prioritaires vs autres malades, sédentaires vs migrants, contrôleurs vs contrôlés, blouses blanches vs citoyens lambda…</p>
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<figcaption><span class="caption">Zombie Apocalypse, 2011.</span></figcaption>
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<h2>L’avènement du biopolitique</h2>
<p>Comme l’illustrent bien le film <em>Land of the Dead</em> (2005) ou la série télévisée <em>The Walking Dead</em>, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01233108">l’espace zombifié</a> suppose des territoires urbains surpeuplés et des lieux d’enfermement. On retrouve ainsi la présence de refuges bunkérisés, où se retranche un petit groupe d’humains sains, pris dans des logiques survivalistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le pouvoir du « plus fort » est au cœur du discours de Negan, l’anti-héros de la série de Walking Dead (saison 6).</span></figcaption>
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<p>L’écrivain Max Brooks a d’ailleurs compilé ces lieux et ces pratiques sur un mode ludique dans son <a href="https://calmann-levy.fr/livre/guide-de-survie-en-territoire-zombie-9782702139721"><em>Guide de survie en territoire zombie</em></a>. Cette logique d’enfermement n’est pas nouvelle : elle réitère les menaces politiques de la guerre froide et l’imminence de la bombe (on se souviendra de <em>Time Machine</em> de George Pal ou de <em>Vivre dans la peur</em> de Kurosawa).</p>
<p>On retrouve ensuite la mise en place de sites de quarantaine qui permettent le contrôle des populations au travers de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/masque-thermometre-suivi-high-tech-le-quotidien-chamboule-en-chine-04-03-2020-2365704_24.php">dispositifs médico-disciplinaires</a> : prise de la température, analyse des déplacements. Des libertés peuvent être suspendues au nom de la raison d’État, devenu garant de la santé publique.</p>
<p>C’est l’ère biopolitique : ce qui prime, c’est la mise en place d’une double logique disciplinaire, selon le mot de <a href="https://journals.openedition.org/conflits/17959">Michel Foucault</a>, à savoir, arrêter le mal et améliorer l’exercice du pouvoir. La <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/stock-type-de-produit-distribution-trois-questions-sur-la-requisition-de-masques_2120051.html">réquisition</a> des stocks de masques en est un symbole.</p>
<h2>Processus cellulaires et gestion de crise</h2>
<p>Ces réactions se situent à mi-chemin entre l’<a href="https://www.utt-montpellier.fr/web/file/documents/73_Texte_La-mort-alien_A_Aouacheria.pdf">apoptose</a> collective – lorsque la cellule s’isole et s’autodétruit de façon contrôlée et méthodique par l’entremise d’un programme génétique – et la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1567724919302922">réponse cellulaire de danger</a>.</p>
<p>Le but de ce dernier processus, introduit par le pathologiste américain Robert K. Naviaux, est d’aider à protéger la cellule à se protéger d’un stress ou d’un danger et d’amorcer le processus de guérison. Lorsque ce processus se retrouve bloqué, les cellules se comportent comme si la menace était toujours présente, avec pour effet d’empêcher l’achèvement du cycle de guérison.</p>
<p>Or, les réponses aux crises posent la question du retour à la normale, c’est-à-dire de la résilience. Nos sociétés peuvent-elles vraiment guérir de ces situations, perçues comme exceptionnelles et transitoires ? On notera que le <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2010-v23-n1-fr1663667/1003583ar/">néo-zombie</a> (putréfié, cannibale, catatonique etc.) a vu le jour et s’est imposé dans l’après-11 septembre, dont nous ne sommes toujours pas sortis.</p>
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<figcaption><span class="caption">V-Wars, série sur Netflix, illustre bien l’avènement du néo-zombie (un peu vampire dans ce cas) en vogue depuis 2001.</span></figcaption>
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<p>On peut donc craindre que l’épisode en cours, succédant à celui du SRAS et de la grippe aviaire, continue de faire baisser le seuil de tolérance collective aux logiques sécuritaires et ségrégatives.</p>
<h2>Le reflet de nos angoisses</h2>
<p>Les zombies sont le <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/2127">reflet de nos angoisses</a> notamment face à la mort, en même temps qu’une image possible de notre propre fin.</p>
<p>Le coronavirus, à l’image de la menace zombie, alimente les <a href="https://presse.inserm.fr/fake-news-et-desinformation-autour-du-coronavirus-sars-cov2/38324/">théories du complot et les rumeurs</a>, que l’<a href="https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for-public/myth-busters">Organisation mondiale de la santé (OMS)</a> a décidé de combattre.</p>
<p>Les premières mettent généralement en scène des expériences qui ont mal tourné (comme dans la franchise <em>Resident Evil</em>) ou servant des intérêts cachés (jusqu’à l’accusation d’un passage en force du <a href="https://www.lavoixdunord.fr/718020/article/2020-02-29/coronavirus-recours-au-49-3-ce-qu-dit-edouard-philippe-sur-tf1">49-3</a>). Des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=eC4FQRHFOVo">explications mystiques</a> sont avancées, l’infection étant assimilée à un châtiment expiatoire ou une <a href="https://theweek.com/articles/899439/coronavirus-environmental-wakeup-call">« réaction de Gaïa »</a> pour limiter la masse des humains.</p>
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<figcaption><span class="caption">Resident Evil Ø, jeu sorti le 7 mars 2003.</span></figcaption>
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<p>Les secondes fabriquent des traitements miracles : la <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-chloroquine-est-elle-un-bon-traitement-contre-le-coronavirus_141893">chloroquine</a>, l’<a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/coronavirus-covid-19-les-faux-remedes-et-les-pires-idees-farfelues_142025">urine des enfants</a>, la cocaïne et l’ail, (déjà en vogue contre les vampires). Les intox blâment aussi les boucs émissaires comme le pangolin ou la sempiternelle <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-coronavirus-mystere-origines-animales-epaissit-79290/">chauve-souris</a>, qui peut faire l’objet de <a href="https://www.merlintuttle.org/2020/01/30/wuhan-coronavirus-leads-to-more-premature-scapegoating-of-bats/">représailles</a>.</p>
<h2>La viralité au cœur de « Coronaland »</h2>
<p>Les offres commerciales des marchands de l’hôpital se répandent aussi à la vitesse de la lumière, avec la vente de masques en kit. Cette viralité, c’est ce qui fait Coronaland. Tout et n’importe quoi peut s’y diffuser vite et de façon imprévisible.</p>
<p>Du principe de précaution aux intox, tout est bon pour pallier l’insupportable incertitude. La quête du patient zéro, décrite dans le film <em>Contagion</em> (les zombies en moins) s’inscrit également dans cette démarche, au point d’inquiéter le <a href="https://www.weforum.org/agenda/2020/03/coronavirus-covid-19-patient-zero/">forum de Davos</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le film <em>Contagion</em>, sorti en 2011 et réalisé par Steven Soderbergh connaît un regain d’enthousiasme depuis la crise de coronavirus.</span></figcaption>
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<p>Bien que les autorités redoublent d’efforts dans leur <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/coronavirus-ce-que-l-on-sait-sur-la-traque-du-patient-zero-dans-l-oise_2119784.html">traque</a>, cette dernière ne peut qu’accoucher d’une souris, surtout qu’il existe des porteurs <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2001468">asymptomatiques</a> du coronavirus.</p>
<p>En outre, à quoi bon vouloir circonscrire le périmètre initial de la contamination à l’heure des écosystèmes globalisés ? On peut lire là une volonté de maîtrise face à une menace virale perçue comme irrationnelle, dépourvue de conscience, mouvante et <a href="https://www.lepoint.fr/monde/une-mutation-aurait-rendu-le-coronavirus-sars-cov-2-plus-mortel-06-03-2020-2366024_24.php">mutante</a>. C’est d’ailleurs ce qui avait amené Le Pentagone à publier un scénario à dérouler en cas d’invasion zombie (le <a href="http://i2.cdn.turner.com/cnn/2014/images/05/16/dod.zombie.apocalypse.plan.pdf">CONPLAN 8888-11</a>), sorte d’hyperbole de la pandémie virale.</p>
<h2>Le zombie incarne le changement</h2>
<p>Si l’infection a pu activer aussi rapidement l’imaginaire zombie, c’est peut-être parce que ce dernier vit aujourd’hui réellement, en nous.</p>
<p>Et si, avec la crise actuelle, la menace n’était pas surtout celle d’une zombification, d’une dé-civilisation de l’être humain ? « Le zombie incarne le changement », déclarait le réalisateur George Romero en <a href="https://calindex.eu/listetitres.php ?op=nt&nt=45814">2008</a> à la revue <em>Positif</em>.</p>
<p>Pour le père des zombies modernes, ce qui est important c’est la manière dont les gens réagissent à la catastrophe, et non la menace elle-même.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=497&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319344/original/file-20200309-58017-1c7nzjh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Zombie Walk à Cannes, 2013. Les zombies consistent en des objets « complexes »..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Zombie_Walk_Cannes_2013.JPG">Olivier06400/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce que la métaphore zombie a à nous dire, c’est qu’il nous incombe de mitiger le joug de nos peurs primitives, de nous placer hors des diktats de l’instinct de survie, des fantasmes primaires et du consumérisme dont nous sommes la proie (autant que des virus).</p>
<p>Finalement, les objets « complexes » que sont les zombies nous placent <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2008-4-page-115.htm">entre les mains l’Évangile de la perdition</a> cher à Edgar Morin. Objets complexes car les zombies comportent des déclinaisons non seulement en tant que phénomène de société (avec notamment la mode récente des « zombie walks »), de produits trans-médiatiques (cinéma, littérature, BD, jeux vidéo et musique) mais aussi en médecine, avec des pathologies dont les symptômes évoquent la putréfaction des zombies (comme <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/buruli-ulcer-(mycobacterium-ulcerans-infection)">l’ulcère de Buruli</a>), en sciences naturelles (avec la manipulation de leurs hôtes par certains parasites) et en philosophie (avec le concept de zombie philosophique).</p>
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<figcaption><span class="caption">« Thriller » de Michael Jackson est sorti le 2 décembre 1983, marquant à jamais l’histoire des clips musicaux.</span></figcaption>
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<p>Partager la Terre avec une infinité de microbes a toujours été le lot de l’humanité, et pour longtemps encore. Le monde vivant cultive en outre une indifférence aveugle à l’égard du devenir de ses composants. Si l’humanité venait à disparaître (ou tout du moins à modifier ses comportements), le reste de la biosphère ne s’en porterait vraisemblablement que mieux, comme le suggère la baisse spectaculaire des niveaux de <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/breves/pollution-chute-spectaculaire-pollution-chine-vue-espace-1995/">pollution</a> en Chine.</p>
<p>Face aux maladies infectieuses qui nous ramènent à notre animalité, il nous faut répondre non seulement par plus de mesures d’hygiène, plus de recherche, mais aussi par plus d’humanité, c’est-à-dire de fraternité, de solidarité, de créativité et d’intelligence collective.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit Joachim Daniel Dupuis, docteur en philosophie, enseignant en cinéma, auteur du livre « Romero et les zombies, autopsie d’un mort-vivant » (L’Harmattan, 2014).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133256/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dr. Abdel Aouacheria est membre de Reliance en complexité (<a href="http://www.reliance-en-complexite.org">www.reliance-en-complexite.org</a>).</span></em></p>Les peurs, plus que le coronavirus lui-même, se propagent, stimulées par notre consommation de films où règnent les zombies. Pourquoi ne pas écouter ce qu’ils ont à nous dire sur notre propre humanité ?Abdel Aouacheria, Biologiste, chargé de recherches au CNRS, spécialiste de la vie et de la mort des cellules., Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323392020-02-27T19:43:22Z2020-02-27T19:43:22ZLe secret autour des armes biologiques, amplificateur de tous les fantasmes<p>Selon une <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2020/jan/26/coronavirus-link-china-biowarfare-program-possible/">rumeur qui circule sur Internet</a>, le coronavirus <a href="http://www.inrs.fr/actualites/epidemie-pneumonies-coronavirus.html">SARS-CoV-2</a>, à l’origine de l’épidémie de COVID-19, aurait une origine humaine. Il résulterait d’expérimentations sur des germes ou de <a href="https://www.factcheck.org/2020/02/baseless-conspiracy-theories-claim-new-coronavirus-was-bioengineered/">manipulations génétiques</a> ayant abouti à un <a href="https://www.zerohedge.com/geopolitical/coronavirus-contains-hiv-insertions-stoking-fears-over-artificially-created-bioweapon">virus « chimère »</a>. Ces thèses conspirationnistes s’appuient sur le fait que l’unique laboratoire de recherche biologique classé P4 en Asie est situé à Wuhan et qu’il bénéficie d’un niveau de sécurité maximale.</p>
<p>D’autres rumeurs répandent l’idée que le germe aurait été transmis accidentellement par un chercheur contaminé ou <a href="https://twitter.com/ezracheungtoto/status/1228637753941753857">par des animaux</a> ayant servi à des expériences <a href="http://archive.ph/JrGmY">qui se seraient échappés</a>. S’il semble évident que l’institut de virologie de Wuhan n’a pas de vocation militaire et que le SARS-CoV-2 <a href="https://foreignpolicy.com/2020/01/29/coronavirus-china-lab-mortality-virology-wuhan-virus-not-bioweapon/">n’est pas une arme biologique</a> ayant « fuité », la frontière entre recherche biologique à usage civil ou militaire n’est pas aussi claire et définitive qu’il y paraît. Des indicateurs fiables permettent de déterminer si un pays s’est lancé ou non dans un programme de production d’armement biologique ; or, jusqu’à présent, la <a href="https://bookstore.gpo.gov/products/china-military-power">Chine ne semble pas concernée</a>.</p>
<h2>Le crime peut parfois être récompensé</h2>
<p>Bien plus que les programmes nucléaires, les programmes d’armements biologiques sont marqués par le plus grand secret depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premiers sont expérimentés et mis au point par les <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-guerre-bacteriologique-9782226041197">Japonais de l’unité 731</a>. Dès 1937, les équipes du colonel Ishii, surnommé <a href="https://mondesasiatiques.wordpress.com/2018/10/10/9-octobre-1959-deces-de-ishii-shiro-le-mengele-japonais/">« le Mengele japonais »</a>, utilisent <a href="https://tinyurl.com/sq7l7wl">des prisonniers de guerre comme cobayes</a>. Ils leur infligent de grandes souffrances qui débouchent presque toujours sur la mort.</p>
<p>Ces pratiques, qui impliquaient bien entendu le secret absolu, établirent les bases technologiques de tous les programmes d’armement biologique actuels. Lors de leurs expérimentations, les Japonais s’aperçurent que les germes sont difficiles à utiliser : ils sont à la fois fragiles et incontrôlables. Leurs divers essais, que ce soit par des avions épandeurs, des bombardements aériens avec des puces infestées ou des bombes chargées de bacilles se révélèrent d’abord décevants. Par la suite, ils furent en mesure d’affiner leurs techniques et d’obtenir des résultats. Plutôt que de faire subir aux Japonais les foudres de la justice pour leurs crimes de guerre, les <a href="https://apjjf.org/-Christopher-Reed/2177/article.pdf">Américains</a> et les <a href="https://books.google.fr/books?id=4ydd-hC1GlQC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">Soviétiques</a> préférèrent réutiliser leurs compétences, dans le secret le plus absolu, afin de faire passer leurs propres programmes biologiques au stade industriel.</p>
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<h2>Le secret, toujours le secret</h2>
<p>Ce secret est une constante de la guerre biologique. Ainsi en 1942, une épidémie de tularémie, une maladie incapacitante, éclate d’abord dans les rangs de l’armée allemande, puis dans toute la région du Caucase. Pour <a href="https://www.senscritique.com/livre/La_guerre_des_germes/483900">Kanatjan Alibekov</a> – également connu sous le nom de Ken Alibek, qui fut dans les années 1980 le directeur adjoint de Biopreparat (le principal organisme soviétique de production d’armes biologiques) –, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un épisode de guerre biologique qui a mal tourné. Malheureusement, aucun document ne peut en attester.</p>
<p>Dès 1946, les autorités américaines <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">s’essaient à un effort de transparence</a>. Pour cela, elles décident de lever le voile sur leurs recherches effectuées pendant la guerre. Le moment paraît favorable : chercher des moyens peu conventionnels pour vaincre des ennemis immoraux comme les nazis et les Japonais semble alors justifiable. Mais la réaction de l’opinion publique fut hostile, la peur immémoriale des grandes épidémies refaisant immédiatement surface.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Affiche de propagande chinoise de l’époque de la guerre de Corée : « Vaccinez tout le monde pour écraser la guerre bactériologique menée par l’impérialisme américain ! »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Allegations_of_biological_warfare_in_the_Korean_War#/media/File:1950s_Chinese_propaganda_poster_against_American_biowarfare.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>Dès 1950 et suite à la publication du <a href="https://books.google.fr/books?id=MQMGhInCvlgC&pg=PA24&lpg=PA24&dq=committee+on+chemical+biological+warfare+stevenson&source=bl&ots=bGuEAzJHnb&sig=ACfU3U0HlHN7fyx-65wrpax4b_KOhqhtGg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiIl6GdrurnAhUR1RoKHZ5zCvkQ6AEwAnoECAYQAQ#v=onepage&q=committee%20on%20chemical%20biological%20warfare%20stevenson&f=false">rapport Stevenson</a>, les recherches reprennent dans le plus grand secret. En 1952, lors de la guerre de Corée, <a href="https://www.yorku.ca/sendicot/ReplytoColCrane.htm">des épisodes infectieux suspects</a> surviennent parmi les Nord-Coréens. Une commission d’enquête internationale du Conseil exécutif du Conseil mondial de la Paix, organisation indépendante soutenue par les Soviétiques, relève <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/ENDICOTT/3116">des indices</a> laissant imaginer de possibles expérimentations de guerre biologique menées par l’armée américaine. À ce jour, aucun document n’a permis de prouver <a href="https://www.livrenpoche.com/l-arme-biologique-microbes-virus-et-terrorisme-e647380.html">cette supposée implication</a>.</p>
<p>Ce secret s’est confirmé lors des recherches menées par les Américains dans les années 1960 où ceux-ci disséminèrent dans plusieurs villes des États-Unis des germes dits inoffensifs. Ces expérimentations provoquèrent néanmoins un certain nombre d’hospitalisations pas toujours bénignes. Ces faits ne furent dévoilés que bien plus tard, ce qui n’est pas sans lien avec l’explosion de thèses complotistes dans ce domaine.</p>
<h2>Comment les États-Unis renoncèrent à la guerre biologique</h2>
<p>Les années 1960 sont une période particulière pour les États-Unis. Les multiples révélations liées à la guerre du Vietnam et aux différents programmes militaires ébranlent la confiance de l’opinion publique. La découverte de <a href="https://www.nytimes.com/1975/09/20/archives/army-discloses-3-new-coverups-concealed-cause-of-deaths-from-rare.html">plusieurs accidents survenus dans les laboratoires militaires de Fort Detrick</a>, le principal centre de production de germes militarisés, lève un voile sur le programme de guerre biologique. Parallèlement, le grand public apprend que des tests d’épandage de germes ont eu lieu dans le Pacifique. <a href="https://2001-2009.state.gov/r/pa/ho/frus/nixon/e2/83597.htm">Le 25 novembre 1969, Richard Nixon</a> décide qu’à l’âge de la dissuasion nucléaire, il est temps de renoncer officiellement à concevoir et à produire des armes biologiques offensives.</p>
<p>En 1972, plus d’une centaine de pays, dont les grandes puissances, <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/INTRO/450">signent une convention</a> sur l’<a href="https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armes-biologiques/">interdiction de développement, de production et de stockage des armes biologiques et toxines et de leur destruction</a>. Mais ce traité comporte <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/57jnpa.htm">deux failles essentielles</a>. Tout d’abord, il ne prévoit pas de mécanisme de vérification. D’autre part, il n’établit pas de différence nette entre les recherches dites offensives et défensives. En d’autres termes, une nation peut continuer à faire des recherches sur des virus ou des bactéries qui pourraient éventuellement être utilisés comme des armes de guerre si elle est en mesure de justifier qu’elle cherche à se prémunir d’une attaque biologique ennemie ou de l’apparition d’une épidémie naturelle. En revanche, ce traité proscrit de manière claire la production massive de germes à usage militaire. Aujourd’hui, la Russie, les États-Unis et la Chine, entre autres, s’appuient sur cette zone grise afin de mener des recherches militaires très discrètes sur les germes.</p>
<h2>Le vaste programme soviétique d’armes bactériologiques</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de la traduction française (2001) du livre de Ken Alibek par en 1999 chez Random House aux États-Unis sous le titre « Biohazard ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Presses de la Cité</span></span>
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<p>À partir de la fin des années 1970 et jusqu’en 1991, l’URSS va développer les armements biologiques à un niveau jamais atteint auparavant. Sous l’égide de la 15<sup>e</sup> direction militaire et de Biopreparat, un organisme prétendument dédié à la production de vaccins et médicaments, entre 30 et 60 000 personnes développent et produisent d’importantes quantités d’agents infectieux. Pour Ken Alibek (l’ancien directeur adjoint de BioPreparat, déjà cité), les Soviétiques sont alors en mesure de <a href="https://www.nonproliferation.org/wp-content/uploads/npr/alibek63.pdf">produire suffisamment de germes</a> pour éradiquer l’espèce humaine. L’URSS étant en infraction avec la convention de 1972 sur les armes biologiques, ce programme est totalement secret. De par son étendue, il permet de situer une frontière nette entre des nations effectuant des recherches pas toujours irréprochables et des pays produisant de manière massive des agents infectieux. Le secret sur ce programme est tel qu’en 1979, lorsque survient un <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520229174/anthrax">accident</a> qui provoque la mort d’une centaine de personnes, les autorités soviétiques réussissent à faire croire à l’opinion qu’il s’agit d’une épidémie naturelle liée à la consommation de viande avariée. La vérité ne sera <a href="https://www.researchgate.net/publication/15224942_The_Sverdlovsk_anthrax_outbreak_of_1979">connue qu’en 1992</a> grâce à la chute de l’URSS. De toute évidence, un programme d’une telle ampleur ne pouvait se dérouler sans quelques accidents qui virent plusieurs cas de contamination accidentelle ainsi que des fuites d’animaux utilisés pour les expérimentations.</p>
<p>Les chercheurs soviétiques ont également été les premiers à créer des <a href="https://www.aphis.usda.gov/animal_health/vet_biologics/publications/notice_05_23.pdf">virus chimères</a> par manipulation génétique. Ils réussirent ainsi à créer un virus apte à déclencher une maladie auto-immune dévastatrice dans laquelle le système immunitaire de l’organisme infecté détruit ses propres organes. Si Ken Alibek fit défection en 1992, ses révélations sur l’ampleur du programme soviétique <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1999_num_64_2_4864_t1_0404_0000_1">ne furent dévoilées au grand public qu’en 1998</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NBBIfGaml0c?wmode=transparent&start=57" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">De nouvelles armes biologiques : les virus issus de manipulations génétiques.</span></figcaption>
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<h2>Une menace plus subtile qu’il n’y paraît</h2>
<p>Aujourd’hui, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2005-1-page-137.htm">manipulations génétiques sur les germes</a> sont très accessibles, surtout grâce aux <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">techniques de fabrication in vitro</a> permettant la synthèse de longs fragments d’ADN à partir de données informatiques.</p>
<p>Différencier les recherches civiles des recherches militaires est relativement difficile. Les manipulations génétiques sur les virus ou les bactéries permettent de mieux comprendre leur fonctionnement. L’administration Bush Junior a ainsi défendu la <a href="https://www.newscientist.com/article/dn4318-us-develops-lethal-new-viruses/">conception de nouveaux virus offensifs</a> afin de permettre la conception de mesures défensives efficaces. En ce qui concerne la Chine, on sait qu’elle a eu dans les années 1980 une importante activité de production de germes militarisés qu’elle a par la suite abandonnée, d’autant plus qu’elle a signé en 1984 la convention sur les armes biologiques. Il est cependant fort probable que, comme les États-Unis et la Russie, la Chine effectue des recherches sur des germes à vocation militaire dans la plus grande discrétion, une constante dans ce domaine.</p>
<h2>Le complotisme a de beaux jours devant lui</h2>
<p>Comme le montre l’histoire des armements biologiques, les accidents peuvent survenir à tout moment, les germes étant invisibles. Ainsi Ken Alibek <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-guerre-des-germes-9782258053458.html">cite sa propre expérience</a> où, jeune directeur de laboratoire, il s’infecta. Ayant marché accidentellement sur un bouillon de culture, il passa par un sas de décontamination ; cela ne fut pas suffisant. Contaminé à la tularémie, le médecin qu’il était sut immédiatement reconnaître le mal qui l’affectait et se traiter avant que la maladie ne fasse des ravages. De la même façon, les témoignages révélant la fuite d’animaux contaminés après des expériences sont nombreux. Évidemment, les niveaux de sécurité actuels sont bien plus élevés, mais les germes ont une capacité surprenante à se répandre. Les thèses conspirationnistes ne sont pas près de s’évanouir dans un domaine où règne l’opacité la plus absolue. Néanmoins, l’inquiétude du grand public à l’égard de ces recherches, qu’elle s’exprime de manière rationnelle ou non, ne peut qu’inciter les chercheurs à renforcer des mesures de sécurité plus que nécessaires dans un domaine hautement sensible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les thèses conspirationnistes affirmant que le coronavirus serait d’origine militaire naissent du secret absolu qui entoure les programmes d’armes biologiques conduits par divers États dans le monde.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1261192019-11-05T17:05:48Z2019-11-05T17:05:48ZComment les théories du complot modifient la réalité : l’exemple de la Guinée<p>En Guinée, la population <a href="https://www.france24.com/en/20191024-tens-of-thousands-join-new-guinea-protests">manifeste</a> dans les rues contre la tentative présumée du président Alpha Condé d’orchestrer une révision de la constitution qui l’autoriserait à rester au pouvoir au-delà du terme de son second mandat, l’an prochain.</p>
<p>Face aux manifestants, la police a <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/10/rally-guinea-capital-conde-3rd-term-bid-191024180335500.html">riposté par la violence</a>. Au moins huit personnes ont été tuées et beaucoup d’autres blessées. Des chefs de file du mouvement contestataire ont aussi été <a href="https://af.reuters.com/article/topNews/idAFKBN1X20S0-OZATP">incarcérés</a>.</p>
<p>À ce stade, les choses semblent claires : la population civile s’unit pour lutter contre la menace d’un gouvernement autoritaire. Mais à mesure que la situation évolue, le discours et les actes politiques des Guinéens risquent de ne plus être aussi limpides. La question de savoir qui détient le pouvoir – et qui devrait le détenir à l’avenir – pourrait faire l’objet de théories, d’interprétations et de suspicions contradictoires, comme ce fut le cas par le passé.</p>
<p>Il y a neuf ans, lorsque le M. Condé a été élu pour la première fois, des théories du complot ont circulé à travers le pays. De nombreux Guinéens étaient persuadés que des personnages haut placés complotaient pour truquer les élections. J’étais sur place à l’époque, pour étudier les mouvements migratoires, la politique et l’islam.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/conspiracy-theorizing-as-political-practice-in-guinea/00A4FE35D392E05A14F2BD32F93021A6">article récemment publié</a>, j’analyse la manière dont ces théories du complot autour de certains politiciens ou événements politiques ont pris une place centrale lors des élections de 2010. Je démontre que les théories populaires sur l’existence d’une conspiration électorale dans les plus hautes sphères de l’État ont fait émerger de nouvelles orientations politiques. Elles ont influencé des actions individuelles et, parfois, conduit à la violence, laquelle a, à son tour, renforcé les soupçons de conspiration.</p>
<p>Les théories du complot sont souvent vues comme de simples manifestations irrationnelles de paranoïa, bien qu’elles soient fréquemment révélatrices de vérités plus générales. C’est notamment le cas lorsqu’elles se répandent au sein de populations vulnérables dans des contextes d’insécurité. Or les Guinéens, qui ont fait aussi bien l’expérience de l’exploitation coloniale que celle de la répression conduite par un État socialiste, ont de bonnes raisons d’être méfiants.</p>
<p>Loin d’être la manifestation d’un discours politique ignare ou irrationnel, la théorie du complot donne aux gens le sentiment que ce qui leur arrive a un sens. Et ce sens est au cœur des actions qu’ils entreprennent et des événements auxquels ils participent.</p>
<p>La plupart des principaux acteurs de l’élection de 2010 sont toujours engagés en politique aujourd’hui. Leur présence risque d’alimenter de nouveaux soupçons à l’approche du scrutin de 2020, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences.</p>
<h2>Le contexte des élections de 2010</h2>
<p>Les présidentielles guinéennes de 2010 sont la conséquence de deux années tumultueuses. En décembre 2008, le <a href="https://www.theguardian.com/world/2008/dec/23/lansana-conte-profile">président qui avait dirigé le pays pendant de longues années</a> est décédé, et une junte de sous-officiers s’est emparée du pouvoir lors d’un <a href="https://allafrica.com/stories/200812230246.html">coup d’État</a>. Quelques mois plus tard, le 28 septembre, les militaires ont <a href="https://www.hrw.org/report/2009/12/17/bloody-monday/september-28-massacre-and-rapes-security-forces-guinea">massacré des manifestants</a>. Enfin, en décembre 2009, une tentative d’assassinat contre le chef de la junte <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/dec/16/guinea-aide-shoot-camara">a contraint ce dernier à quitter ses fonctions</a>.</p>
<p>Après ces événements dramatiques, des élections ont finalement été organisées, dans une atmosphère tendue, avec un premier tour en juin et un <a href="https://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/guinea-2010-FinalReport.pdf">second en novembre</a>. Ce scrutin a <a href="https://www.nytimes.com/2010/11/08/world/africa/08guinea.html">été largement perçu</a> comme la première élection présidentielle démocratique qu’ait connue le pays depuis son indépendance en 1958.</p>
<p>Durant ces mois d’incertitude, les nouvelles concernant le déroulement du scrutin furent souvent difficiles à obtenir. Malgré tout, les Guinéens ont pu récolter et échanger des informations issues de sources multiples : une chaîne de télévision contrôlée par le gouvernement, des émissions de radio internationales, des appels téléphoniques à des amis vivant dans la capitale, des conversations dans des cafés… Sans aucun moyen de distinguer clairement les faits des rumeurs sans fondement, les gens se sont mis à spéculer sur la signification de certains événements et ont activement cherché à découvrir ce que leurs dirigeants cherchaient peut-être à leur cacher.</p>
<p>Face aux accusations de fraude, aux fréquents reports de diverses échéances et autres retards, l’existence d’un complot visant à falsifier les résultats de l’élection semblait être, aux yeux de beaucoup, l’explication la plus plausible.</p>
<p>Habitant moi-même dans le massif montagneux de Fouta Djalon à l’époque où ces complots supposés sont devenus des sujets de conversation de plus en plus populaires, j’ai été témoin de la façon dont le discours des gens évoluait. Les identités ethniques prenaient de l’importance et devenaient plus rigides. Un politicien dont on se méfiait autrefois était soudain présenté comme un sauveur. Certains se sont mis à justifier le recours à la violence, qu’ils considéraient comme une option regrettable mais nécessaire face aux menaces.</p>
<h2>Une réalité altérée</h2>
<p>Dans <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/conspiracy-theorizing-as-political-practice-in-guinea/00A4FE35D392E05A14F2BD32F93021A6">mon article</a>, j’étudie en particulier deux théories du complot qui ont circulé lors de ces élections.</p>
<p>La première concerne le terrible drame survenu le 28 septembre 2009. Ce jour-là, les représentants de plusieurs partis politiques avaient organisé une manifestation au stade de Conakry pour protester contre le maintien au pouvoir de la junte militaire et réclamer des élections démocratiques.</p>
<p>Les soldats ont réagi en <a href="https://www.hrw.org/news/2009/10/27/guinea-september-28-massacre-was-premeditated">bloquant les issues du stade</a> et en tirant sur la foule. Plus de 156 personnes ont été tuées et au moins 109 femmes et jeunes filles ont été violées. La plupart des Guinéens que je connaissais ont accusé Moussa Dadis Camara, le chef de la junte et président autoproclamé du pays, d’être le responsable de ces exactions. Une <a href="https://www.un.org/ruleoflaw/blog/document/report-of-the-international-commission-of-inquiry-mandated-to-establish-the-facts-and-circumstances-of-the-events-of-28-september-2009-in-guinea/">enquête</a> des Nations unies a établi sa culpabilité et celles d’autres membres de la junte, confirmant les soupçons de la population.</p>
<p>Un an plus tard, le premier tour des élections a désigné les deux candidats qui allaient s’affronter : Alpha Condé, de l’ethnie Maninka, et Cellou Dalein Diallo, de l’ethnie Fulɓe. À ce moment-là, la façon dont les habitants de la région du Fouta Djalon parlaient du massacre du stade a commencé à évoluer. Au lieu de voir le bain de sang comme un crime perpétré par les militaires à l’encontre de civils sans défense, de nombreux locaux, majoritairement Fulɓe, ont fait courir le bruit qu’Alpha Condé et d’autres figures influentes issues de l’ethnie Maninka avaient orchestré le massacre afin d’éliminer Cellou Dalein Diallo et, par extension, tous les Fulɓe.</p>
<p>Une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wfUcY1eAmDQ">vidéo</a> de Moussa Dadis Camara accusant Alpha Condé d’avoir organisé la tuerie pour se débarrasser de ses rivaux politiques a été massivement partagée. Des gens qui avaient auparavant vilipendé le chef de la junte pour avoir perpétré le massacre ont commencé à le considérer comme la victime d’un complot dont le cerveau n’était autre que le candidat à la présidentielle. Beaucoup d’habitants du massif de Fouta Djalon ont manifesté une angoisse croissante à l’idée que le futur président Condé les persécute.</p>
<p>Des personnes qui avaient précédemment déploré la prise de pouvoir de la junte militaire ont déclaré préférer le maintien des militaires à la perspective d’une présidence Condé. D’autres, qui avaient critiqué Cellou Dalein Diallo pour son implication dans les affaires de corruption qui gangrénaient le gouvernement, l’ont soudain encensé comme un héros dont la présidence marquerait le début d’une nouvelle ère de grandeur pour le pays.</p>
<p>Le second exemple de théorie du complot implique des allégations d’empoisonnement. Des personnes qui assistaient à un rassemblement organisé par le parti d’Alpha Condé sont tombées malades et ont accusé les partisans de son rival, Cellou Dalein Diallo, de les avoir empoisonnées. Une série de violentes attaques contre des maisons et des commerces appartenant à des Fulɓe s’est ensuivie.</p>
<p>Dans la région du Fouta Djalon, les locaux ont émis l’hypothèse que les représentants du parti de Condé avaient empoisonné leurs propres partisans pour inciter à la violence contre les Fulɓe. En développant ces théories de complot et de contre-complot autour de l’empoisonnement présumé, ils se sont convaincus qu’un grave danger les menaçait en tant qu’ethnie. S’unir pour soutenir Cellou Dalein Diallo était à leurs yeux leur seule chance de survie.</p>
<p>Enfin, quand leur candidat a perdu aux élections, beaucoup de ces personnes ont interprété sa défaite comme la conséquence d’un vaste complot visant à empêcher les Fulɓe d’accéder au pouvoir. Cette conviction en a poussé certaines à perpétrer de violentes attaques contre les propriétés de leurs voisins Maninka.</p>
<p>D’autres en ont fait un prétexte pour légitimer cette violence, y voyant une forme de justice. Les gens parlaient et agissaient d’une façon qui aurait été jugée inacceptable peu de temps auparavant. La réalité avait changé.</p>
<h2>De nouvelles réalités sociales et politiques</h2>
<p>Les théories du complot semblent souvent paranoïaques et irrationnelles, mais elles révèlent parfois des vérités plus générales.</p>
<p>Dix ans plus tard, plusieurs individus ont été accusés d’avoir perpétré le massacre du 28 septembre 2009, mais aucun n’a encore été jugé.
Alpha Condé, réélu pour un second mandat présidentiel en 2015 (face, encore une fois, à Cellou Dalein Diallo), <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-09-05/guinea-s-president-starts-off-talks-on-constitutional-change">projetterait de modifier la Constitution guinéenne</a> pour s’arroger le droit de briguer un troisième mandat en 2020. Il <a href="https://www.reuters.com/article/us-guinea-russia-idUSKCN1P51SO">semble qu’il puisse compter sur le soutien de la Russie</a>.</p>
<p>Il y a là encore matière à échafauder des théories, qui pourraient à leur tour provoquer l’émergence de nouvelles réalités sociales et politiques.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Susanna Fioratta a reçu des fonds de Fulbright, de la National Science Foundation, de l'International Dissertation Research Fellowship, du Social Science Research Council et de la Wenner-Gren Foundation pour cette recherche.</span></em></p>Les théories populaires sur l’existence d’un complot électoral dans les plus hautes sphères de l’État ont provoqué l’émergence de nouvelles orientations politiques.Susanna Fioratta, Assistant Professor of Anthropology, Bryn Mawr CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234262019-09-23T18:25:22Z2019-09-23T18:25:22Z« Regarde, j’ai vu ça sur Facebook ! » : quand nos bavardages nourrissent les fake news<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293614/original/file-20190923-54813-14sleb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C24%2C3228%2C2129&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le partage d'informations entre amis peut parfois conduire à alimenter les échanges de 'fake news'.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/paul_cullen/463625416/">Paul Cullen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« T’as vu c’est dingue ! » ; « Regarde il paraît que… » ; « Mdr j’en crois pas mes yeux ! »</p>
</blockquote>
<p>Que ce soit sur Facebook ou dans un groupe WhatsApp, au téléphone ou au comptoir d’un café, les réactions des individus face aux informations qu’ils reçoivent peuvent être multiples et variées. Or, il est possible qu’au sein de ces niches conversationnelles, la circulation de certaines « fake news » soit favorisée par les bavardages désinhibés et familiers que chacun d’entre nous peut avoir, avec ses proches, dans sa vie quotidienne.</p>
<p>En effet, lors de ces contextes de communication informelle, nous pouvons nous permettre de discuter d’une façon plus relâchée. Il est ainsi probable que nous ne soyons pas forcément vigilants et tatillons sur la crédibilité d’un contenu informationnel car ce qui compte pour nous est d’un tout autre ordre : faire rire nos meilleurs amis ; provoquer notre belle-mère ; ou encore montrer à notre collègue – celui qui sait toujours tout sur tout – que cette fois-ci c’est nous qui avons raison.</p>
<h2>Les « fake news » sont massivement likées, commentées et partagées : et alors ?</h2>
<p>Lorsque l’on parle du phénomène de la désinformation, il est important de ne pas se focaliser uniquement sur les volumes de « fake news » partagées sur les réseaux sociaux, mais d’étudier également plus finement la manière dont elles sont reçues et interprétées par les individus dans différents contextes de la vie sociale. Et cela pour deux raisons majeures.</p>
<p>Tout d’abord, parce que pris à l’état brut, ces nombres absolus ne veulent pas dire grand-chose. Par exemple, il a été montré que les 20 « fake news » les plus partagées pendant la campagne électorale américaine de 2016 ont suscité 8,7 millions de likes, partages et commentaires <a href="http://www.buzzfeednews.com/article/craigsilverman/viral-fake-election-news-outperformed-real-news-on-facebook">sur Facebook</a>.</p>
<p>A priori vertigineux, ce chiffre, qui a soulevé beaucoup d’inquiétudes auprès du grand public en raison de son importante couverture médiatique, a bien moins fière allure si on le met perspective avec le nombre total des interactions des utilisateurs américains du réseau social sur la même période car <a href="https://www.cjr.org/analysis/fake-news-media-election-trump.php">il ne représente alors plus que 0,006 %</a> !</p>
<p>Ensuite parce que ces traces numériques sont bien laconiques par rapport aux commérages, parlementages ou ergotages que la réception de « fake news » est susceptible d’engendrer dans la vie réelle. Car après tout, est-ce parce qu’une « fake news » a été partagée par des milliers d’internautes que chacun d’entre eux y a cru ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293623/original/file-20190923-54793-xp9lym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Que ce soit sur Facebook ou dans un groupe WhatsApp, au téléphone ou au comptoir d’un café, les réactions des individus face aux informations qu’ils reçoivent peuvent être multiples et variées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/woolamaloo_gazette/7814508804/in/photolist-cUxpdq-8QnFYp-ULqgLe-i1GJJK-4bu3y9-29RVSQ-a5ZzHM-tBgQS-afPKGg-dy6A92-b9iTNP-dPmcqv-9gvKnP-fsb7Qn-expXrT-9S3Pqh-eYnh61-5S4dLJ-bqRT3U-aq3Nxo-bNVuzT-pRWfGn-9sK5Bi-d7JoNJ-a7ny8i-aVTmEK-9EJQ51-buBrP5-293xEPH-9n6TKF-dnDfpx-ebs8EE-dvxzXM-bioTXX-ca2RV7-axVcmL-bPGmHH-np5syi-d2A21w-p7S3gG-5ABxCh-cCXLzS-dXyCGy-npT4vJ-nr8GT4-aJDZuM-9p5JyE-9p2v98-93Zenk-dP25tK">byronv2/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ne se peut-il pas au contraire que certains l’aient diffusée pour signaler sa fausseté comme ce fut par exemple le cas pour l’<a href="http://www.tommasoventurini.it/wp/wp-content/uploads/2018/05/Venturini_FakeNews_PaperICA.pdf">infox ayant désigné Emmanuel Macron comme étant gay</a> ? Ou encore, pour la détourner et s’en moquer auprès de leurs amis ? Difficiles à appréhender, ces questions nécessitent d’aller à la recherche des significations cachées derrière certaines données numériques.</p>
<p>Voilà pourquoi, avant de partir du postulat d’un public naïf et passif, il devient crucial d’étudier davantage les circuits conversationnels de la réception d’informations pour lesquels il existe à ce jour un <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/media-polarization-la-francaise">manque drastique de connaissances</a>.</p>
<h2>Un jeu pour mieux comprendre les contextes de communication</h2>
<p>Pour explorer cette question, j’ai réalisé une enquête expérimentale dans le cadre d’un travail exploratoire auprès de 15 personnes, pour mon mémoire de fin d’études à Sciences Po, encadré par le sociologue <a href="https://medialab.sciencespo.fr/en/people/dominique-cardon">Dominique Cardon</a>. Ce questionnement est aujourd’hui approfondi dans mes <a href="https://medialab.sciencespo.fr/equipe/manon-berriche">recherches doctorales</a>.</p>
<p>J’ai construit un plateau de jeu comprenant six contextes de communication différents divisés entre :</p>
<ul>
<li><p>un espace privé, dans lequel chaque participant devait me désigner 4 personnes de son entourage à partir de différents critères (proximité affective et partage des mêmes idées politiques)</p></li>
<li><p>un espace public comprenant un contexte de débat public face à des experts et un forum de discussion permettant de partager des informations en tout anonymat avec d’autres quidams.</p></li>
<li><p>une poubelle pour laisser à mes participants la possibilité de ne pas transmettre certaines informations</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293052/original/file-20190918-187935-h1reh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plateau de jeu utilisé pendant l’expérience Manon Berriche.</span>
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</figure>
<p>Pour débuter l’expérience, je présentais à mes participants 24 informations réparties selon quatre catégories :</p>
<ul>
<li><p>Vraie d’intérêt public</p></li>
<li><p>Fausse d’intérêt public</p></li>
<li><p>Vraie sans intérêt public</p></li>
<li><p>Fausse sans intérêt public</p></li>
</ul>
<p>Ensuite, mes participants devaient choisir dans quels contextes de communication ils souhaitaient ou non transmettre ces différentes informations.</p>
<p>Résultats ? Il semblerait que l’on ne parle pas de la même chose dans tous les contextes, à tous les types de destinataires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293053/original/file-20190918-187935-jtralg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une transmission des informations différente selon les contextes.</span>
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<h2>Analyser les types de paroles</h2>
<p>En fait, les informations fausses et sans intérêt public ont surtout été transmises au sein d’espace de communication aux contraintes de prise de parole très relâchées, par exemple à un·e ami·e très proche qui a la même opinion que nous sur de nombreux sujets ou dans un groupe de conversation dans lequel notre identité peut rester masquée. Pourquoi ?</p>
<p>Probablement parce dans ces contextes, l’on ne risque pas grand-chose à diffuser quelque chose de faux. Et puis surtout parce que l’on ne se préoccupe pas vraiment de la valeur de vérité d’une information car nos conversations sont animées par d’autres motivations et s’apparentent alors davantage à des bavardages cacophoniques mobilisant des registres d’énonciation divers et variés oscillant par exemple de la plaisanterie à la provocation :</p>
<blockquote>
<p>« C’est très drôle. À mon avis c’est une fake news mais c’est drôle, ça me fait rire. Que ça soit vrai ou faux je m’en fous, j’en parle. » (Homme, 67 ans, retraité)</p>
<p>« C’est le genre de truc on va sur Fb, Insta, Twitter et compagnie et on se dit : “t’as vu !”. On va en parler 5mn mais sur un ton très léger. C’est pas un discours où on va se poser, où on va faire le pour, le contre. » (Femme, 26 ans, étudiante)</p>
<p>« Ça l’info elle n’est pas crédible non plus. Mais c’est l’espèce de lien que tu t’envoies parfois pour faire marrer. Elle serait réceptive à ce type d’humour. […]<br>
Mais en soit ça serait une espèce de fake news que mon père serait susceptible de lire et qui l’alerterait. Il réagirait au quart de tour, de manière impulsive. On est tellement bombardés de Unes. Je l’enverrai pour l’emmerder. Je lui dirai “regarde il y a encore plus de clandestins qui vont arriver”. Je vérifierai qu’il regarde bien ses sources. […]<br>
Parce que c’est du raz-les-paquerettes. Parce que c’est devenu tellement un “meme” ou un sujet de défouloir que tu te dis “allez, et une de plus” Et pourquoi anonyme ? Ben parce que tu pourrais être méchant. » (Homme, 29 ans, serveur)</p>
</blockquote>
<h2>La libération de la parole sur les réseaux sociaux</h2>
<p>Si le phénomène des « fake news » n’est pas si nouveau et ravive d’une certaine manière les ragots et commérages qui se transmettaient par bouche à oreille dans les coulisses d’un café, sa grande nouveauté aujourd’hui est qu’il peut projeter certains racontages douteux sur le devant de la scène, au sein d’espace à haute visibilité du web comme les groupes Facebook ou les fils de discussions Twitter.</p>
<p>En effet, comme l’explique le sociologue Dominique Cardon, l’<a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-democratie-Internet-dominique-cardon/9782021026917">essor des réseaux sociaux a libéré la prise de parole en public</a>.</p>
<p>Désormais, tout le monde peut parler de n’importe quoi à n’importe qui, et cela au sein même de l’espace public. De cette manière, les conversations ordinaires des internautes sont venues se greffer aux informations médiatiques diffusées sur le web – lesquelles sont alors devenues des objets de discussions à demi joueuses et moqueuses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293615/original/file-20190923-54763-v0bmgu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les conversations quittent les espaces privés et cercles d’amis, projetées dans l’espace public qu’offrent les réseaux sociaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prakharamba/32762483898/">Prakhar Amba/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Elles ne sont non plus murmurées, dans des espaces privés, au sein de contextes de communication interpersonnelle, mais désormais exhibées au sein d’espaces de visibilité en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_D%C3%A9mocratie_Internet._Promesses_et_Limites#Chapitre_3_:_le_web_en_clair-obscur">« clair-obscur »</a>. Dominique Cardon utilise cette expression pour souligner que, pour autant qu’ils soient visibles, ces bavardages sont remplis de sous-entendus et d’indices complices destinés à n’être compréhensibles que pour un cercle restreint : les proches du réseau relationnel des internautes.</p>
<p>Or cette nouvelle structure de la visibilité a ainsi favorisé l’apparition de nouveaux registres d’énonciation plus familiers et désinhibés.</p>
<h2>Des « fake news » qui surfent sur nos bavardages</h2>
<p>Seulement voilà, tout en démocratisant la prise de parole, ces circuits conversationnels de l’information peuvent être exploités par certains producteurs de fake news. Enrobées de blagues ou de commentaires affectifs, certaines informations graveleuses ou frauduleuses peuvent en effet s’immiscer, aussi insidieusement qu’un cheval de Troie, dans ces niches conversationnelles.</p>
<p>Le modèle économique des plates-formes joue précisément de cet enchevêtrement entre logiques algorithmiques et dynamiques de sociabilité. En favorisant les contenus qui suscitent le plus d’interactions, les algorithmes de classement de l’information structurent en effet le marché cognitif.</p>
<p>Sans doute est-ce ainsi pour cela que les « fake news » les plus diffusées sur Facebook en France et aux États-Unis ont été surtout des rumeurs grossières et stupéfiantes telles que : <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/12/19/facebook-voyage-au-c-ur-de-la-machine-a-fausses-informations_5231640_4355770.html">« Une femme augmente son quotient intellectuel en buvant du sperme tous les jours pendant un an »</a> ou encore : « Une <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/craigsilverman/these-are-50-of-the-biggest-fake-news-hits-on-facebook-in">babysitter a fini aux urgences après avoir inséré le bébé dans son vagin »</a>.</p>
<h2>Influencer les Unes des médias traditionnels</h2>
<p>Or ces bavardages numériques pourraient finir par imposer des thématiques au débat public en s’infiltrant jusque dans les rédactions, souvent en quête de clics pour monétiser leur audience.</p>
<p>Aux États-Unis, par exemple, une <a href="https://cyber.harvard.edu/publications/2017/08/mediacloud">étude de Harvard a montré</a> que certains grands médias traditionnels avaient plus facilement couverts des informations provenant de rumeurs ou de ragots anecdotiques que des faits établis. Cette tendance générale les aurait ainsi incités à se concentrer plus facilement sur les scandales qui ont égrené la campagne présidentielle qu’aux programmes des candidats.</p>
<p>Ainsi, en seulement six jours le New York Times a en effet mis autant de fois à la Une le scandale lié à la boîte e-mail d’Hillary Clinton que toutes les thématiques de son programme publiées au cours des soixante-neuf jours qui ont précédé les élections américaines.</p>
<p>Les contenus douteux glanés çà et là au fil des discussions profitent ainsi de l’autorité des médias traditionnels pour masquer certains enjeux politiques et imposer des sujets tapageurs à la place.</p>
<p>Cette importante restructuration de l’espace public à l’ère du numérique suggère un bouleversement des espaces médiatiques. Mais il ouvre aussi le champ à de nouvelles <a href="https://medialab.sciencespo.fr/activites/structure-de-lespace-public-numerique">recherches</a> cruciales pour mieux comprendre l’organisation de ces circuits de l’information.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon Berriche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En discutant avec nos proches, nous pensions ne pas prendre de risques en abordant des sujets divertissants et relevant de l’intox. Erreur.Manon Berriche, Doctorante, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145662019-03-31T14:41:26Z2019-03-31T14:41:26ZRumeur sur les Roms : quand la fragmentation sociale et culturelle produit du non-sens<p>L’archaïsme de la haine, de la violence et des rumeurs s’appuie sur l’hyper-modernité des réseaux sociaux et des téléphones mobiles pour faire des agressions <a href="https://theconversation.com/lynchages-de-roms-les-mecanismes-du-stereotype-114517">dont viennent d’être victimes des Roms</a> dans les banlieues du nord-est de Paris – un « fait social total », selon l’expression de l’anthropologue Marcel Mauss.</p>
<p>Ces évènements, en effet, nous invitent à conduire une réflexion à la croisée de multiples enjeux, parmi lesquels les « fake news », le racisme, les phénomènes migratoires, les problèmes dits de banlieue ou bien encore – ce qui exige plus de hauteur par rapport aux faits – la mutation sociale et culturelle dans laquelle notre pays est engagé et les fractures qui s’approfondissent au fil de cette transformation.</p>
<h2>Les rumeurs, et le passage à l’acte</h2>
<p>Les rumeurs, d’abord, et le passage à l’acte. Le 8 mars dernier, des plaignants déposent au Commissariat de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) des mains courantes à propos d’un véhicule, une camionnette blanche, dont les occupants, des Roms, chercheraient à enlever des enfants. Viennent ensuite diverses accusations de trafic d’organes, puis d’autres témoignages relatifs à des soi-disant tentatives de rapt d’enfants.</p>
<p>Tout ceci est totalement mensonger, démenti par les autorités locales, mais n’empêche pas la persistance de rumeurs que complète l’annonce d’expéditions punitives, le lundi 25 mars. Et effectivement, les agressions et exactions à l’encontre de Roms se multiplient alors, tandis que le mensonge fleurit sur les réseaux sociaux, et que les commentateurs en arrivent à parler de « petit pogrom ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110518853879193600"}"></div></p>
<p>Ces rumeurs et ces violences renouent avec des accusations et des pratiques anciennes qui visent traditionnellement les gens du voyage, les nomades, mais aussi les Juifs, accusés depuis l’essor du christianisme, de crimes rituels, et victimes fréquentes de persécutions.</p>
<p>À ces dimensions classiques s’en ajoute une qui les favorise dans l’imaginaire des porteurs de la haine : les Roms, en effet, sont à la fois l’objet de préjugés tenaces, enracinés, presque immémoriaux, et pour certains d’entre eux des migrants récents – et on sait à quel point l’opinion aujourd’hui est hostile aux migrants.</p>
<h2>La rumeur révèle le social et le culturel</h2>
<p>La sociologie a depuis longtemps identifié ces éléments, comme dans les travaux de Françoise Reumaux (voir notamment la réédition de son ouvrage de 1998, <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/2762-abc-de-la-rumeur"><em>ABC de la rumeur. Message et transmission</em></a>) ou dans la célèbre enquête d’Edgar Morin à Orléans, à la fin des années 60 (<a href="https://www.canal-u.tv/video/fmsh/la_rumeur_d_orleans_un_entretien_avec_edgar_morin.37745"><em>La rumeur d’Orléans</em></a>, Paris, Seuil, 1969).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jRCgoOg4LeA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La rumeur révèle le social et le culturel, nous dit quelque chose des peurs et des rêves de ceux qui y adhèrent et la font circuler. Elle propose à leurs yeux une explication, elle confère un sens à leur situation, et souvent met en branle des imaginaires centrés sur les femmes, les enfants et des trafics touchant à la vie et à la mort – ce qui renvoie à la reproduction et à l’identité profonde du groupe humain auquel appartiennent ceux qui en sont les vecteurs.</p>
<p>Ainsi, la rumeur qui visait les commerçants juifs du centre-ville d’Orléans après 1968 en les accusant de droguer leurs clientes pour les envoyer dans des réseaux de traite des blanches opérait-elle dans un contexte de crainte conservatrice, alors que l’époque était à l’émancipation des femmes.</p>
<h2>Un contexte de fragmentation sociale et culturelle</h2>
<p>Quel est, aujourd’hui, le contexte, qui autorise non seulement les rumeurs, mais aussi le passage à l’acte ? C’est celui, avant tout, d’une fragmentation sociale et culturelle de notre pays, comme de beaucoup d’autres, sur fond de crise du système politique et, plus largement, de la démocratie.</p>
<p>Dans une telle situation, certains ensembles humains aux contours plus ou moins flous fonctionnent en tendant à ne croire que ce qui provient de leurs propres membres, ou de leurs amis, qui sont désormais ceux à qui chacun est relié <a href="https://theconversation.com/lensauvagement-du-web-95190">via les réseaux sociaux</a>. Ces derniers fonctionnent sur le mode de la fermeture, ne réunissant que des personnes partageant les mêmes orientations. Et symétriquement, chaque ensemble se défie des idées ou des informations qui proviennent d’ailleurs, au point parfois que se déploie la paranoïa, qui est à la <a href="https://theconversation.com/fake-news-et-complotisme-pourquoi-une-telle-acceleration-91202">base du « complotisme »</a>.</p>
<p>La puissance des fake news et, parmi elles, des rumeurs, d’une part, et d’autre part celle des visions complotistes de la vie collective, tient à la dissociation qui s’opère entre le dedans de chaque groupe, et le dehors. Entre « eux » et « nous », entre les « amis » qui veulent du bien au groupe et le considèrent, et les « ennemis » supposés l’ignorer, le maltraiter ou le menacer. Tout ce qui provient des « amis » est acceptable et vrai par définition, y compris les mensonges les plus grossiers ; tout ce qui vient d’ailleurs est suspect, voire maléfique.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/fake-news-et-post-verite-20-textes-pour-comprendre-et-combattre-la-menace-97807">L’ère de la « post-vérité »</a>, où les opinions subjectives acquièrent sans la moindre démonstration valeur de vérité, cette ère qui est aussi celle du soupçon, de la dénonciation, de la délation, n’est pas seulement marquée par l’apport technologique d’Internet et des réseaux sociaux, qui certes lui facilitent l’existence. Elle est avant tout sociale et culturelle.</p>
<h2>Quand le sens s’abolit dans le non-sens</h2>
<p>Dans la phase historique actuelle, toute sorte de fractures séparent ainsi différents groupes sociaux ou culturels sans qu’existent les conditions du traitement politique ou négocié de ce qui les sépare, les oppose et qui divise la société. Et quand ces fractures constituent autant de plaies qu’exacerbent le sentiment d’être oubliés ou invisibles, et l’<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-contre-emmanuel-macron-aux-racines-de-lincommunication-108048">arrogance du pouvoir</a> – réelle ou perçue comme telle –, le sens se perd ou s’abolit dans le non-sens, puis dans la violence, la raison cédant alors la place à la rage ou à la haine.</p>
<p>L’information recueillie et mise en circulation par des professionnels sérieux et compétents recule au profit de la rumeur. Des boucs émissaires sont désignés, et compte tenu des préjugés accumulés au fil des siècles, les <a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-aujourdhui-111774">Juifs</a> et « les gens du voyage » sont, ici, en première ligne.</p>
<p>Cela concerne nombre de fragments de la société, <a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">éventuellement définis aussi en termes territoriaux</a>, et peut jaillir ici et là, un jour par exemple parmi les habitants d’une banlieue populaire, un autre parmi des « gilets jaunes », jusqu’ici fort éloignés les uns des autres. Ce qui ne disqualifie ni les uns ni les autres, dans leur ensemble, mais souligne bien les carences contemporaines de la démocratie, à la peine s’il s’agit de traiter les demandes sociales qui façonnent les peurs et la violence et de transformer la crise en débats, en conflits institutionnalisés et en négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie Corporation of New York en est le principal soutien. </span></em></p>Le contexte qui autorise les rumeurs et le passage à l’acte est celui, avant tout, d’une fragmentation sociale et culturelle de notre pays, sur fond de crise du système politique.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145172019-03-29T17:50:35Z2019-03-29T17:50:35ZLynchages de Roms : les mécanismes du stéréotype<p>Ving-huit attaques contre des populations roms <a href="https://www.bastamag.net/Attaques-anti-Rroms-Nous-appelons-a-un-sursaut-de-solidarite-antiraciste-sur-le">ont été comptabilisées fin mars par l’association La Voix des Rroms</a>. Ce collectif a d’ailleurs appelé à une manifestation en solidarité avec ces populations le vendredi 29 mars devant la Mairie de Saint-Denis (93), <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/aulnay-sous-bois-nouvelle-agression-contre-des-roms-en-seine-saint-denis-779731190">département</a> où se sont déroulées les agressions les plus récentes.</p>
<p>Ces dernières font suite à des messages circulant en France au sujet d’enlèvements présumés d’enfants par des Roms conduisant une camionnette blanche. Les motifs évoqués ? Viols d’enfants ou <a href="https://www.lci.fr/justice/enlevements-d-enfants-a-colombes-autopsie-d-une-rumeur-persistante-2115997.html">« trafics d’organes »</a>.</p>
<p>Or ces rumeurs, suivies d’actes extrêmement graves sont loin d’être récentes ou anodines en France : plusieurs agressions et attaques avaient déjà été commises en 2018, notamment dans l’Essonne (91). Désormais <a href="https://www.humanite.fr/de-la-rumeur-au-lynchage-anti-roms-670003">elles se sont intensifiées</a>.</p>
<p>Comment comprendre ces mécanismes psychologiques qui entretiennent et nourrissent la rumeur au point de déclencher de véritables assauts organisés à l’encontre d’une population ?</p>
<h2>Le Tzigane voleur d’enfant</h2>
<p>Bobigny, Clichy-sous-Bois, Montreuil, Bondy, Colombes, Montfermeil, St Ouen, Champs-sur-Marne, Aulnay et Sevran… <a href="http://www.romeurope.org/agressions-racistes-en-ile-de-france-recensement/">Les attaques antitsiganes</a> ont été provoquées par une rumeur raciste <a href="https://www.facebook.com/plugins/post.php?href=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2FCNDHRomeurope%2Fposts%2F2211649838858058&width=500">« relayée par 16 millions de contenus d’incitation à la haine et au meurtre sur les réseaux sociaux »</a>. Des jeunes en colère s’organisent et se rendent dans les squats et les bidonvilles habités par les Roms. Ils cherchent la fameuse « fourgonnette blanche qui circule entre les villes de Nanterre et Colombes pour enlever des enfants ».</p>
<p>Le prétendu enlèvement d’enfants par des « Tziganes » est un sujet bien présent dans l’imaginaire général : « soyez sage sinon vous serez enlevés par des Tziganes » est une expression souvent utilisée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0147176716302851">dans plusieurs pays européens pour gronder les enfants</a>. Déjà au début du XVII<sup>e</sup> siècle, Miguel Cervantes se plongeait à décrire une héroïne voleuse d’enfants dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Petite_Gitane"><em>La Petite Gitane</em></a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>La petite Gitane</em> (F. Coullaut-Valera, 1960). Détail du monument à Cervantes sur la Place d’Espagne de Madrid.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Petite_Gitane#/media/File:Monumento_a_Miguel_de_Cervantes_-_La_Gitanilla.jpg">Carlos Delgado/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>Comment ne pas rappeler non plus se rappeler des polémiques suscitées en 2013 par l’histoire de <a href="https://mobile.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/les-roms-voleurs-d-enfants-histoire-d-un-mythe_3230389.html?fbclid=IwAR3F3hWib_NP2ZTPq6Lamcb-QsZ1ePQupEHIUQl-p4gxBSRdo0QRI8rmC8w">« l’ange blond »</a>, au sujet d’une enfant soi-disant kidnappée et retrouvée dans un camp rom en Grèce (et qui s’avérait être une enfant rom d’origine bulgare) ?</p>
<h2>Les stéréotypes fluctuent avec le temps</h2>
<p>Si certains stéréotypes s’épuisent avec le temps, d’autres que l’on pensait inactifs <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/27/la-haine-anti-tziganes-revient-toujours-par-secousses-dans-l-histoire-de-l-europe_5442268_3224.html">ressurgissent</a> et se diffusent en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0147176716302851">fonction des contextes</a> et des <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/R/bo26260138.html">relations entre les Roms et la société majoritaire</a> où ils s’établissent.</p>
<p>Une fois mobilisés, ils ont une influence profonde sur les représentations et les imaginaires, et ce même si l’intensité des préjugés dépend du niveau d’éducation.</p>
<p>En France, le niveau général d’hostilité contre les Roms, les Manouches et plus généralement les « Tziganes » <a href="https://www.academia.edu/36227450/Le_lent_reflux_des_pr%C3%A9jug%C3%A9s_anti-Roms">a certes légèrement baissé au cours des cinq dernières années</a> mais plus de la moitié de la société française continue de penser que les Roms – et plus spécifiquement les Roms migrants – <a href="https://bit.ly/2WgCSPs">ne veulent pas s’intégrer en France</a>.</p>
<h2>Répondre aux rumeurs</h2>
<p><a href="http://www.romeurope.org/communique-de-presse-violences-anti-roms-indignation-et-appel-a-laction/?fbclid=IwAR0pDoSTSze9fXnbYJqqViMKUyQnNIDAOJxAFNXoiMiEfqnigSYIAnVkoO8">En Ile de France</a>, les Préfectures de police et les maires ont répondu adroitement aux stéréotypes et rumeurs en les réfutant avec des communiqués rappelant l’inexistence d’actes d’enlèvement d’enfants dans les territoires concernés :</p>
<blockquote>
<p>« Après vérification auprès des forces de l’ordre, aucun fait avéré ne correspond à ce qui se propage. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/rapt-d-enfants-par-des-roms-le-reveil-d-une-rumeur-qui-date-du-moyen-age_2069732.html">La presse n’a pas été en reste non plus</a>, démontant les clichés et les « faits », explicitant la genèse et l’historique de la rumeur, de « la bêtise » et de sa propagation via les réseaux sociaux.</p>
<p>Enfin l’intervention d’associations est également un moyen de lutter contre les stéréotypes tout comme la mobilisation des personnes concernées elles-mêmes. <a href="https://www.metropolitiques.eu/Les-politiques-locales-face-aux.html">Leur prise de parole devient alors un instrument puissant</a> qui permet de créer des liens avec l’ensemble de la population et démonte les fake news qui circulent dans les réseaux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes Romni se rencontrent pour organiser une initiative en faveur du projet Dream de lutte contre le sida en Afrique (S. Egidio).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stefano Pasta</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Le poids de la suspicion</h2>
<p>Malgré ces efforts et la <a href="http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/proces-a-bobigny-vous-croyez-encore-que-les-roms-volent-des-enfants-28-03-2019-8042064.php">reconnaissance de faits infondés</a>, la suspicion demeure.</p>
<p>En effet, les phénomènes de propagation de lynchages renforcent finalement encore plus les stéréotypes négatifs sur les Roms.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La mobilisation des associations comme la parole des personnes attaquées est essentielle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/243541745667724/photos/a.467597499928813/2529521987069677/?type=3">Facebook</a></span>
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</figure>
<p>Il y a quelques années, par exemple, l’anthropologue Sabrina Tosi Cambini a analysé 29 cas de tentative de vol de mineurs de la part de <a href="http://www.cisu.it/index.php?page=shop.product_details&flypage=flypage_images.tpl&product_id=55&category_id=10&option=com_virtuemart&Itemid=1&vmcchk=1&Itemid=1">femmes « tziganes » en Italie qui ont fait l’objet d’un processus pénal</a>.</p>
<p>Il s’agit toujours de cas présumés d’enlèvement d’enfant et de tentatives infructueuses. Vingt-trois témoins auraient vu les ravisseurs s’enfuir, sans certitude absolue qu’il s’agisse de « Gitans ».</p>
<p>Six affaires survenues entre 1985 et 2007 et analysées plus en détail par l’auteure, ont abouti à des arrestations et à l’ouverture de procédures et de poursuites. Mais aucune preuve n’a pu être établie et les personnes suspectées ont été relâchées. Comme le démontre la chercheuse, dans ces cas précis, les enfants auraient été enlevés par des individus en lien avec de grands réseaux pédocriminels, ou par des proches. Néanmoins, ce sont d’abord les Roms qui ont été pointés du doigt par l’opinion publique.</p>
<h2>Un phénomène de psychose ?</h2>
<p>Le stéréotype peut se cristalliser sur de multiples figures comme la femme voleuse d’enfant prise à partie. Dans cette configuration la mère, ou un proche parent de l’enfant, accuse une Romni d’avoir essayé de voler son enfant. Le lieu de la querelle a tendance à être public et bondé (marchés, rues commerçantes). Il n’y a cependant jamais de témoins pouvant attester des faits commis, en dehors des parents et d’autres personnes inconnues dans les environs qualifiées immédiatement de « groupe de Roms » complices, prêts à dissimuler l’enfant si besoin.</p>
<p>Il ne s’agit pourtant pas de « psychose », <a href="http://siba-ese.unisalento.it/index.php/palaver/article/view/20295">mais de simples processus de catégorisation qui activent un schéma stéréotypé</a>.</p>
<p>Un stéréotype n’agit pas seulement lorsque les sujets exercent des jugements attributifs et des attributions de culpabilité, mais imprègne l’ensemble du processus cognitif, tant dans les prémisses que dans les inférences, jusqu’à la manière dont l’information est extraite de la mémoire.</p>
<p>Le comportement est interprété du point de vue de l’enlèvement, à commencer par le fait que le récit du plaignant se veut intrinsèquement logique et cohérent, sans éléments contradictoires ; il n’est pas considéré comme faux parce que l’accusé est inconnu de l’accusateur. Dans la logique de ce dernier, il n’y a pas de raisons racistes qui lui fait soupçonner un Rom, ce dernier n’ayant a aucun avantage à accuser un Rom.</p>
<p>Une partie des explications aux lynchages en France aujourd’hui est justifiée par une interprétation raciste, d’extrême droite qui tend à dire qu’il ne s’agit que d’un règlement de comptes entre différents groupes d’immigrés, dont le contact et les frictions ne peuvent que conduire au désordre et à la violence.</p>
<p>Nous sommes loin de la réalité, et une explication plus complexe montre au moins quatre types de mécanismes différents qui alimentent les stéréotypes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tableau de Ceija Stojka, représentant les persécutions nazies contre les Roms.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tommaso Vitale</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>« Pas de feu sans fumée »</h2>
<p>Le premier mécanisme est ce que la sociologie appelle généralement la « tautologie », pour reprendre le mot de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Enigmes-et-complots">Luc Boltanski</a>. Le simple fait que quelqu’un consacre du temps et de l’énergie à lyncher un Rom apparaît en soi comme une confirmation que la victime a de toute façon dû faire quelque chose de grave sinon elle n’aurait pas provoqué une réaction aussi intense.</p>
<p>Des journalistes de LCI ont ainsi recueilli plusieurs témoignages à <a href="https://www.lci.fr/justice/enlevements-d-enfants-a-colombes-autopsie-d-une-rumeur-persistante-2115997.html">ce propos</a> : « Pourquoi voulez-vous que des jeunes s’en prennent gratuitement à des passants en voitures ? » sous entendant que, peut-être, il existe une justification.</p>
<p>La propagation dans l’espace d’actes de lynchage au lieu d’être interprétée par l’opinion publique comme une forme de <a href="https://www.jstor.org/stable/43287811">mimétisme d’un répertoire de violence raciste</a>, est au contraire interprétée comme la confirmation que les Roms ont partout réalisé des actes graves, et qu’ils doivent donc être reconnus comme responsables.</p>
<h2>Le blâme des victimes, la parole des plaignants</h2>
<p>Le deuxième mécanisme est ce que l’on pourrait appeler « blâmer les victimes ». Il s’agit d’un mécanisme qui fait penser que si les Roms ont une mauvaise image aux yeux de la population, <a href="https://www.lci.fr/social/rien-ne-justifie-de-tels-actes-les-roms-s-inquietent-face-a-la-violence-provoquee-par-une-rumeur-2116673.htm">ce serait en raison de leur comportement</a>.</p>
<p>Cette image ne serait ni une généralisation indue, ni une représentation culturelle qui circulerait en absence de preuves de la réalité. Au contraire, ce serait les Roms eux-mêmes qui susciteraient cette image de par leurs actes : menus larcins, mendicité.</p>
<p>Le troisième mécanisme pourrait être défini comme du « réalisme présumé ». Puisque les parents se soucient tellement de leurs enfants, de leur bien-être et de leur sécurité, ils ne peuvent se tromper ou commettre une faute ou un faux témoignage.</p>
<p>Donc s’ils disent qu’un Rom a essayé de voler leur enfant, il faut leur faire confiance. De par leur posture de parents, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1354571X.2011.622472">leur parole et observation seraient fiable, non biaisée et réaliste</a>.</p>
<p>Enfin, un dernier mécanisme est typique de la dynamique performative des rumeurs circulant dans les réseaux sociaux. Le fait qu’un message ne nous soit pas transmis une seule fois par un seul émetteur, mais qu’il continue à nous être envoyé plusieurs fois, « amplifié » par des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_d%27%8Echo_(m%8Edias)">« chambres d’écho »</a>, c’est-à-dire par un plus grand nombre de personnes que nous connaissons, apprécions et aimons, a un puissant effet de légitimation, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14616696.2018.1494295">comme bien étudié par la politiste Caterina Froio</a>.</p>
<p>C’est ce qu’on pourrait appeler un mécanisme de « renforcement social des convictions », typique du régime néo-médiatique dans lequel nous vivons, que les sociologues appellent généralement un « régime post-vérité ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De jeunes Roms participent à un loto dans une maison de retraite défiant les clichés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stefano Pasta</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Primauté des convictions personnelles et des émotions</h2>
<p>Nous sommes dans un tel <a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=complot">climat de méfiance propice au complotisme</a> qu’il est devenu compliqué d’établir la réalité puisque les autorités traditionnelles (médias, État) elles-mêmes sont questionnées. Cette crise de légitimité des sources a laissé place à une réalité fondée non pas sur des faits établis mais des convictions personnelles et des émotions.</p>
<p>Bien évidemment les individus sont prudents et réflexifs. Mais cela ne suffit pas notamment face à la puissance de la circulation de messages provenant de multiples contacts « amis », les nouvelles « sources » faisant autorité.</p>
<p>L’une des enquêtes les plus approfondies à ce sujet, <a href="http://www.cremit.it/razzismi-2-0-analisi-socio-educativa-dellodio-online-un-libro-di-stefano-pasta/">conduite par Stefano Pasta</a>, montre comment l’environnement numérique et les réseaux sociaux – marqués par l’augmentation de la rapidité de la pensée, par le rôle des images et des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%8Fme_Internet">mèmes</a>, par la banalisation des contenus et par de nouveaux canons de l’autorité (le nombre de <em>like</em> et de <em>share</em>) – favorisent une attitude « cyber-stupide », ou superficielle par rapport au résultat de nos actions en ligne.</p>
<h2>L’effet de marge</h2>
<p>Le producteur que chacun d’entre nous est devenu, smartphone à la main, joue un rôle très efficace dans le renforcement social des stéréotypes. Et chacun entre nous est particulièrement exposé <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0003122412465743">à ce que le sociologue Christopher Bail appelle « l’effet de marge »</a>.</p>
<p>Il montre que les informations, opinions les plus extrêmes et les plus radicales deviennent les plus visibles et créent une attraction <a href="https://press.princeton.edu/titles/10395.html">gravitationnelle qui restructure les contours du sujet en cause</a>, brouillant les mécanismes logiques.</p>
<p>Outre la pensée critique il nous faut donc aujourd’hui redonner la parole aux Roms concernés et faire l’effort de comprendre l’articulation entre l’<a href="https://theconversation.com/faire-connaitre-lhistoire-et-les-cultures-des-roms-pour-mieux-lutter-contre-les-prejuges-94532">autorité des institutions et la réalité de faits ancrés dans l’histoire</a>, ainsi que les responsabilités de chacun dans la production de l’information et de son interprétation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tommaso Vitale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre les mécanismes psychologiques qui entretiennent et nourrissent la rumeur anti-Roms au point de déclencher de véritables assauts organisés à leur encontre ?Tommaso Vitale, Associate professor, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1113622019-02-14T00:31:04Z2019-02-14T00:31:04ZComplotisme et « gilets jaunes » : « Il y a que les riches qui sont au courant… »<p>Un samedi soir de septembre 2016 dans un camping de la région Hauts-de-France. Malgré le froid, nous sommes encore sur la terrasse en bois accolée au mobile-home de Danny et Vanessa, lui en déplacement sur un chantier, elle venue l’accompagner avec leur petite fille. Christopher et Audrey, campeurs saisonniers, habitent près de là. Lui travaille comme agent de maintenance dans la région. Elle est sans profession depuis la naissance de leurs enfants. On boit quelques bières en attendant les saucisses qui grillent sur le barbecue. Christopher me charrie parce que je n’arrive pas à les décapsuler avec un briquet.</p>
<p>La conversation bat son plein. Gouailleur, Danny nous lance : « Sinon, une solution, c’est de m’élire président ? » « Et qu’est-ce que tu ferais ? », lui rétorque Christopher. Danny s’imagine réunir différents corps de métier pour leur demander ce dont ils auraient besoin.</p>
<blockquote>
<p>« Ou un truc tout bête. Demain, si je suis président, je dis : “Je supprime la CAF à tous les branle-que-dalle ”. Comme ça, il va y avoir une révolution. »</p>
</blockquote>
<p>Christopher, lui, parle de beaucoup d’amis proches « des Arabes, des blancs, des Chinois » qui n’attendent qu’une chose : « le déclic pour déjà bouger, manifester, faire le bordel. »</p>
<p>Je lui demande de préciser :</p>
<blockquote>
<p>« Peut-être plus de choses au niveau de l’État […] faire quelque chose pour les citoyens. »</p>
</blockquote>
<p>Il s’inquiète du déclenchement d’une guerre civile, peut-être même d’une guerre de religion en France. On parle aussi du carburant suite aux blocages des raffineries quelques mois auparavant. Un peu plus tard dans la soirée, Vanessa me parle du film apocalyptique <em>2012</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Qui te dit qu’ils sont pas en train de construire des trucs pour le jour où la terre sera bousillée pour aller dans l’espace ? Parce que dans <em>2012</em>, il y a que les riches qui sont au courant. Le petit peuple, il sait pas. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rvI66Xaj9-o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le film <em>2012</em> de Roland Emmerich est sorti en 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>Elle s’interroge. Peut-être que des attentats terroristes sont cachés au grand public en France depuis plus de dix ans ?</p>
<blockquote>
<p>« Si ça se trouve… mais on en parle pas ».</p>
</blockquote>
<p>Plus tard encore, Christopher me demande :</p>
<blockquote>
<p>« Tu penses qu’il va se passer quelque chose en France par rapport aux élections ? »</p>
</blockquote>
<p>Je réfléchis. Le ton de Christopher se fait grave :</p>
<blockquote>
<p>« Est-ce que tu penses qu’il va se passer quelque chose de très grave ? »</p>
</blockquote>
<p>Danny essaye de deviner : « Un attentat ? » Christopher le reprend.</p>
<blockquote>
<p>« Non, bien pire que ça. Il va se passer quelque chose. En Allemagne et aux États-Unis, les gouvernements ont demandé au peuple de faire des provisions. »</p>
</blockquote>
<p>Danny en a entendu parler et confirme. Christopher insiste auprès de moi.</p>
<blockquote>
<p>« Toi, vu que c’est un peu ton truc avec l’école, est-ce que tu peux me répondre ? C’est quand même bizarre… »</p>
</blockquote>
<h2>Donner du sens à un ordre social inquiétant</h2>
<p>Ces extraits de conversation sont issus de mon carnet de terrain rédigé lors d’une observation ethnographique, menée à l’été 2016, dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/s130175">ma thèse</a> sur les rapports au politique, dans un camping fréquenté par des milieux populaires.</p>
<p>Un petit nombre de ces campeurs ont pu discuter avec moi à l’époque de « théories du complot » et également afficher par la suite tant leur adhésion que leur participation active au mouvement des « gilets jaunes » sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Bien qu’antérieurs au mouvement des « gilets jaunes », ces propos font écho, à bien des égards, à ce qui s’y joue actuellement : inquiétude autour de l’essence, expression d’un « ras-le-bol » mais aussi plus largement remise en cause du fonctionnement de l’État, de la démocratie représentative ou encore des mécanismes de redistribution jugée injuste, ou insuffisante.</p>
<p>Ils font aussi également ponctuellement écho à des « théories du complot » dont certains campeurs ont pu parfois me faire part au cours de mon terrain de recherche à d’autres moments.</p>
<h2>Affinités supposées avec des théories complotistes</h2>
<p>Danger des vaccins cachés par le gouvernement, silence coupable de l’exécutif sur le réel déroulement des attentats terroristes, élections présidentielles truquées en France : ces théories complotistes aux explications totales et englobantes, loin d’être un marqueur politique univoque, sont souvent présentées par les <a href="https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2014-5-page-2.htm">travaux inspirés de la psychologie sociale</a> comme une manière symbolique et complexe de donner du sens à un ordre social inquiétant et que l’on cherche à comprendre.</p>
<p>Dès le début du mouvement et sans discontinuer depuis, certains <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/14/gilets-jaunes-et-attaque-de-strasbourg-le-poison-complotiste_5397433_3232.html">commentateurs médiatiques</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/12/gerald-bronner-certains-gilets-jaunes-croient-voir-la-main-du-gouvernement-derriere-l-attaque-de-strasbourg_5396544_3232.html">issus du monde universitaire</a> ont ainsi pu insister sur des affinités supposées entre ce mouvement et la propagation de théories du complot en mobilisant tout à la fois des propos tenus par certaines de ces figures médiatiques et des publications sur des groupes Facebook de « gilets jaunes ».</p>
<p>Un tout récent <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/enquete-complotisme-2019-focus-sur-le-mouvement-des-gilets-jaunes">sondage</a> commandé par la fondation Jean‑Jaurès et Conspiracy Watch – aux <a href="https://www.arretsurimages.net/articles/des-difficultes-a-mesurer-le-complotisme-des-gilets-jaunes">interprétations par ailleurs contestées</a> – soutient même que plus de 40 % des « gilets jaunes » seraient résolument complotistes.</p>
<p>Si certaines de ces publications <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gilets-jaunes-arretons-avec-la-theorie-du-complot-de-l-extreme-droite_1691002">contestent</a> ou <a href="https://www.letemps.ch/monde/gilets-jaunes-reponse-aux-theories-complot-parfois-inaudible">nuancent</a> l’association mécanique entre les « gilets jaunes » et la diffusion de théories du complot, d’autres – sous un jour <a href="https://bonpourlatete.com/actuel/pourquoi-le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-complotiste">misérabiliste</a> voire <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/19/les-gilets-jaunes-nouveau-terrain-de-jeu-de-la-nebuleuse-complotiste-et-antisemite-francaise_5411427_3224.html">dénonciateur</a> – s’inscrivent dans un usage « repoussoir » du complotisme.</p>
<h2>Discrédit des classes populaires</h2>
<p>Pour celles-ci, l’évocation du complot discréditerait ce mouvement en l’associant notamment à l’extrême droite et s’accompagne d’un procès en incompétence proche des suspicions routinières d’autoritarisme <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2-page-154.htm">prêtées aux classes populaires</a>.</p>
<p>Ainsi, une <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/en-immersion-numerique-avec-les-gilets-jaunes">publication de cette même Fondation Jean‑Jaurès</a> fustige « l’impressionnante absence de culture citoyenne et politique pour qui prétend représenter ‟ le peuple “ » d’Éric Drouet, une des figures de ce mouvement.</p>
<p>Cette même publication soutient, par ailleurs, que cette « perméabilité aux théories complotistes » aurait la conséquence suivante : « Si, individuellement, les [gilets jaunes] ne viennent pas tous de l’extrême droite, ils s’y dirigent collectivement. »</p>
<p>Pourtant, comme le rappelle <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/30/plongee-au-c-ur-du-facebook-des-gilets-jaunes_5416440_4355770.html"><em>Le Monde</em></a>, les thématiques portées par les partis d’extrême droite ne sont que peu ou pas abordées parmi les publications les plus partagées sur les groupes Facebook de « gilets jaunes ».</p>
<h2>Quelles données ?</h2>
<p>Ces discours présentant les mobilisations des « gilets jaunes » comme particulièrement sensibles aux théories du complot en tout genre s’accordent avant tout sur le terrain des méthodes.</p>
<p>Ceux-ci ne s’appuient, en grande partie, que sur des données empiriques tirées des réseaux sociaux et ne confrontent pas leurs analyses à d’autres formes d’observations <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/15/sur-les-ronds-points-les-gilets-jaunes-a-la-croisee-des-chemins_5397928_3224.html">menées sur des carrefours bloqués</a>, lors de manifestations, de réunions ou auprès de « gilets jaunes » hors des mobilisations.</p>
<p>Surtout, ces interprétations interrogent peu ou prou les formes d’adhésion aux théories du complot lorsqu’elles sont soulevées. Sans ignorer la diffusion de théories complotistes par et parmi certains « gilets jaunes » (tout comme par ailleurs au sein de la haute bourgeoisie ou <a href="https://agone.org/revueagone/agone47/">d’institutions étatiques</a>), la mobilisation des travaux sur la <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-rumeurs--9782130546917.htm">sociologie de la rumeur</a> ou sur l’<a href="https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2005-5-page-24.htm?contenu=resume">histoire des croyances</a> permet de jeter un autre regard sur la question des croyances au complot, notamment en milieu populaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257888/original/file-20190208-174851-14t6jmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La diffusion des théories complotistes existent aussi bien parmi les classes populaires que celles issues de la haute bourgeoisie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/66944824@N05/34414455932">Uhmus/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le complot comme une activité sociale</h2>
<p>Comprendre la diffusion de théories du complot nécessite de se départir d’une conception de la croyance (au complot) comme un stock de savoirs que l’on possède et auquel on adhère (et les signes disqualifiant d’une paranoïa ou d’une incompétence).</p>
<p>Ma propre observation de la diffusion de théories du complot au sein de certains milieux populaires, bien que diachronique par rapport au mouvement actuel des « gilets jaunes », souligne ainsi que l’évocation de complots se comprend d’autant mieux comme une activité sociale, ajustable selon les contextes d’énonciation et souvent bien éloignée de la question de leur véracité.</p>
<p>Pour reprendre la formule de l’historien de l’antiquité <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-grecs-ont-ils-cru-a-leurs-mythes-paul-veyne/9782757841143">Paul Veyne</a>,</p>
<blockquote>
<p>« Les gens croient et ne croient pas à leurs mythes : ils y croient, mais ils s’en servent et ils cessent d’y croire là où ils n’y ont plus d’intérêt. »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà d’une interprétation restrictive du complot comme un mode de compréhension du monde, porter l’attention sur les contextes sociaux de l’évocation de telles théories permet d’éclairer différemment cette pratique sociale.</p>
<h2>La rumeur comme mode d’énonciation</h2>
<p>Les quelques campeurs à m’avoir fait part de ces « théories du complot » l’ont fait, la plupart du temps, selon des règles d’énonciation propres à la rumeur. Comme le rappelle le professeur de science politique Philippe Aldrin, les récits de rumeurs se démarquent par une révélation scandaleuse mais présentent surtout <a href="https://journals.openedition.org/mots/19606">« une véracité encore incertaine ou douteuse »</a>. Ici, les nombreuses précautions énonciatives (« Si ça se trouve »), des formulations sur le mode interrogatif (« Est-ce que tu penses […] ? », « Qu’est-ce qui te dit que […] ? ») ou du sous-entendu (« quelque chose de très grave ») soulignent la prudence initiale réservée à ces échanges, loin des contextes d’énonciation sur les réseaux sociaux.</p>
<p>En effet, l’expression de tels discours n’est pas exempte de coûts symboliques et peut faire l’objet de conflits et d’oppositions parmi les enquêté·e·s que j’ai pu rencontrer, notamment quant à savoir si ces propos sont suffisamment respectables.</p>
<p>À l’image de Didier, un chef d’équipe tireur de câble qui, commentant en entretien les propos de sa compagne sur la possible existence de formes de vie extra-terrestres cachées par le gouvernement, me précise, entre la gêne et l’amusement :</p>
<blockquote>
<p>« Là, tu marques qu’on est bourrés. »</p>
</blockquote>
<p>À prendre au pied de la lettre l’évocation de théories complotistes comme un acte de foi, le risque est de projeter sur ces discours notre propre croyance légitime qu’ils y croient.</p>
<p>En fait, ces rumeurs colportées parmi les campeurs que j’ai rencontrés permettent également de mettre en lumière un même rapport défiant aux institutions politiques. Les théories du complot que j’ai pu recueillir ont en effet en commun une représentation d’une puissance étatique indéchiffrable, parfois inquiétante et marquée par le secret. D’abord prudente, l’évocation du complot peut se faire plus explicite une fois (r)assuré du fait que tous les participants partagent cette même critique d’un État, et de ses représentants, pour le moins cachottiers.</p>
<blockquote>
<p>« Les présidents, les machins, ils disent ce qu’ils veulent. Mais c’est jamais comme ça. »</p>
</blockquote>
<h2>« C’est comme Coluche »</h2>
<p>Ainsi, quelques semaines avant le repas relaté plus haut, au boulodrome du camping lors d’une partie de pétanque, Danny parle subrepticement de la mort de Coluche :</p>
<blockquote>
<p>« Bah, de toute façon, c’est comme Coluche. Il est mort fauché par un camion… »</p>
</blockquote>
<p>Christopher lui rétorque, avec un air entendu : « C’est clair… » La seule approbation de l’ironie implicite autour du décès de Coluche (et du sous-entendu qu’il aurait été secrètement assassiné) participe d’une parole plus libre par la suite sur des enjeux politiques davantage controversés ou pouvant être jugés incongrus.</p>
<p>La rumeur opère ici comme une pratique sociale cohésive permettant d’éprouver à peu de frais les sensibilités politiques des autres campeurs et ce qu’il est permis de partager par la suite ou non quant à son propre rapport défiant à l’État (« Le gouvernement, il nous cache des choses »).</p>
<h2>Justifier ses petits arrangements</h2>
<p>Comme étudié à propos des <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RFSP_554_0633">« croyances de l’action publique locale »</a>, la rumeur sert aussi bien davantage de mise en récit et de justifications de pratiques (comme de petits arrangements aux guichets de l’État social) que comme savoir mobilisable afin de se positionner sur la scène partisane.</p>
<p>Ainsi, les rumeurs selon laquelle l’État serait sur le point « d’imposer l’accueil de migrants aux célibataires » dont me fait part un campeur lors de notre entrevue ou encore celles voulant que « les femmes voilées soient reçues en priorité par Pôle emploi » s’accompagnent de l’aveu et de la justification d’un rapport parfois stratège à l’État social.</p>
<blockquote>
<p>« [À la CAF], faut être malin »</p>
<p>« La prochaine fois que je vais à Pôle emploi, je vais mythoner ».</p>
</blockquote>
<p>La croyance s’apparente ici surtout à une ressource pour justifier de ses pratiques en soulignant l’absurdité ou l’iniquité de règles à contourner pour mieux faire valoir ses droits.</p>
<h2>Ceux à qui « on ne la fait pas »</h2>
<p>Ce bref détour par le camping ambitionne d’interroger les statuts et les rôles des croyances dans la diffusion des thèses complotistes, notamment en milieu populaire. A interpréter l’évocation du complot comme la seule marque du discrédit et de l’incompétence politique, ne s’empêche-t-on pas d’entendre et de (se) confronter (à) des revendications parfois hétérogènes de ce mouvement, mais portées centralement par des exigences de démocratie et de justice sociale ?</p>
<p>Ne peut-on pas plutôt y lire aussi une forme <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1983_num_46_1_2179">« d’aristocratisme de paria »</a> de la politique.</p>
<p>Colporter une théorie du complot, certes incertaine, peut aussi se comprendre comme une présentation de soi parmi les rares « à qui on ne la fait pas » ; à la manière du personnage du film <em>2012</em> dont parle Vanessa :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le film, il y a qu’un illuminé que personne ne voulait croire ! Et les autres, ils ont fini crevés dans des trous. »</p>
</blockquote>
<p>Cette recherche de distinction « dominée » est ainsi vouée à tout le moins à « produire des effets paradoxaux ». Car la mise en scène de son incrédulité en matière politique peut avoir pour effet d’alimenter des discours publics discréditant des croyances coupables. À ne pas vouloir « se laisser endormir », on risque de se faire taire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111362/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Mazot-Oudin a reçu une bourse de recherche du Collectif de Recherche Interdisciplinaire sur la Contestation (CRIC). </span></em></p>Le mouvement des « gilets jaunes » est souvent pointé du doigt comme propice à la propagation de théories du complot : qu’en est-il réellement ?Antoine Mazot-Oudin, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1041532018-10-08T16:36:19Z2018-10-08T16:36:19ZVotre cerveau est-il grignoté par les neuromythes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238954/original/file-20181002-85623-1yeono4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Professeur Ciboulot vous invite à participer à un neurogame pour découvrir des neuromythes. </span> <span class="attribution"><span class="source">S. Mortaud, C.Dubourg, MY Ardourel, CNRS Orleans</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>C’est quoi un neuromythe ? C’est une fausse croyance concernant les capacités de notre cerveau. <a href="https://eduveille.hypotheses.org/5698">Le neuromythe</a> est souvent basé sur des résultats scientifiques mal interprétés ou trop vieux.</p>
<p>À l’occasion de la fête de la science, une équipe de chercheurs en Neurosciences du CNRS et de l’Université d’Orléans, propose d’invalider quelques neuromythes. Dans cette optique, nous organisons une animation sous forme d’un « escape game », concept de jeu très à la mode.</p>
<p><strong>Synopsis du jeu :</strong> panique au laboratoire de Neurosciences ! Le professeur Ciboulot a découvert que les neuromythes se répandent très rapidement dans la population et provoquent un dysfonctionnement du cerveau de toutes les personnes atteintes. Il faut agir vite avant que les neuromythes ne se propagent et que les dégâts soient irréversibles.</p>
<p>Le professeur Ciboulot a besoin de vous. Vous incarnerez un chercheur en Neurosciences et votre mission, si vous l’acceptez, sera d’aider le professeur à découvrir différents neuromythes et de les exterminer.</p>
<p>Vous devrez faire preuve de logique, d’observation et d’esprit critique pour découvrir la vérité sur les neuromythes.</p>
<h2>Mythe n°1 : le volume du cerveau influence-t-il l’intelligence ?</h2>
<blockquote>
<p>« Tu as un petit pois dans la tête ! Tu as une cervelle de moineau ! »</p>
</blockquote>
<p>Voilà des expressions que nous utilisons pour exprimer à une personne son étourderie, sa stupidité. L’origine de ces expressions remonte à une croyance ancestrale selon laquelle il existe une relation entre le volume du cerveau et l’intelligence.</p>
<p>Le cerveau des éléphants pèse 5 kilos et celui des cachalots 7 kilos, soit près de 5 fois plus que le poids de notre cerveau qui pèse en moyenne 1,3 kilos.</p>
<p>Et si nous reportions le poids du cerveau par rapport au poids du corps, nous sommes encore battus ! Cette fois-ci par les <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/photos/biologie-homme-vs-animal-plus-fort-703/cerveau-homme-meme-pas-cervelle-moineau-5034/">moineaux dont le cerveau représente 7 % du poids du corps</a> alors que pour l’homme, le cerveau ne représente que de 2,5 % du poids total.</p>
<p>Maintenant, comparons le poids du cerveau de l’homme moderne par rapport à ses ancêtres. En 7,5 millions d’années, la <a href="https://www.hominides.com/html/dossiers/cerveau.php">taille du cerveau</a> a été multipliée par trois. Mais chez notre espèce <em>Homo sapiens</em> son volume est en constante diminution. En effet, le cerveau de l’homme moderne est de 15 à 20 % plus petit que celui de Cro-Magnon.</p>
<p>Y’aurait-il des différences entre les hommes et les femmes ? Concernant la taille du cerveau, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0149763413003011">plusieurs études</a> montrent que le cerveau des hommes est, en moyenne, 13 % plus gros que celui des femmes.</p>
<p>Oui, mais il faut aussi savoir que le poids du cerveau du célèbre physicien <a href="https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/est-il-vrai-que-einstein-etait-un-cerveau-10359">Albert Einstein</a> était 10 % inférieur à la moyenne.</p>
<p>Alors d’après vous, votre intelligence dépend-elle de la taille de votre cerveau ?</p>
<h2>Mythe n°2 : Après 20 ans, c’est le déclin !</h2>
<p>Selon un dogme « 20 ans est l’âge qui correspond au début de la perte de neurones et par conséquent, le début du déclin de nos capacités intellectuelles. »</p>
<p>Penser cela, c’est oublier que nous avons déjà perdu une grande quantité de neurones bien avant, dès notre naissance. Comment cela se passe-t-il ? Au cours du développement embryonnaire, les neurones sont produits en surnombre. Ensuite une mort naturelle se produit conduisant à l’élimination de plus de 50 % de neurones. <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/perdons-nous-vraiment-des-neurones-des-la-fin-de-ladolescence_2096303.html">L’élimination des neurones</a> surnuméraires est en grande partie terminée à la naissance. Cette perte de neurones pendant le développement est une étape essentielle à la maturation du cerveau.</p>
<p>Des nouveaux neurones dans le cerveau adulte, est-ce possible ? Pendant des décennies, les neurobiologistes étaient persuadés que nous naissions avec un stock définitif de neurones et que toute perte était irrémédiable. En 1998, une découverte <a href="https://www.nature.com/articles/nm1198_1313">a révolutionné les neurosciences</a> : Le cerveau humain produit des neurones.</p>
<p>De nombreuses études ont montré que la production de neurones dans une région particulière de notre cerveau <a href="http://www.observatoireb2vdesmemoires.fr/sites/default/files/sites/default/files/imce/commun/fiche_pedagogique_neurogenese.pdf%20%20">ne s’arrête jamais</a>. Cette région, l’hippocampe, appelée ainsi pour sa ressemblance de forme avec l’animal marin, produirait environ 700 nouveaux neurones par jour chez l’adulte.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238917/original/file-20181002-85623-g3p3mu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Coupe de cerveau humain montrant l’hippocampe en vert. Il est le site de production de nouveaux neurones et aussi de nouveaux souvenirs.</span>
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<h2>Neurones sensibles à l’environnement</h2>
<p>La production de nouveaux neurones à partir de cellules souches, est appelée neurogenèse. Cette neurogenèse aux stades embryonnaire et adulte est très sensible à l’environnement notamment à l’exposition aux pesticides. L’équipe de <a href="https://www.univ-orleans.fr/es/inem/neurotoxicit%C3%A9-et-d%C3%A9veloppement">« Neurotoxicité et développement »</a>“ du laboratoire INEM étudie les effets d’une exposition à un pesticide sur le développement du cerveau et notamment sur la neurogenèse.</p>
<p>Elle a récemment montré qu’une exposition chronique à faible dose induisait <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4977287/">des perturbations</a> au niveau des régions cérébrales qui produisent de nouveaux neurones.</p>
<p>L’environnement peut aussi avoir des <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/comment-fabriquer-et-garder-de-nouveaux-neurones-les-reponses-du-professeur-pierre-marie-lledo_112667">effets positifs sur la neurogenèse</a>. L’activité intellectuelle et physique, ainsi que les relations sociales la favoriseraient. Apportons tout de même un petit bémol, le pouvoir de notre cerveau de créer de nouveaux neurones diminue vraisemblablement avec l’âge.</p>
<p>Cependant, l’important pour le cerveau, ce n’est pas le nombre de neurones mais le fait qu’ils soient bien connectés. La perte de neurones n’est pas si dramatique si les connexions entre les neurones « restants » demeurent efficaces.</p>
<h2>Apprendre, c’est créer des connexions plus rapides</h2>
<p>Mais de quoi dépend l’efficacité des connexions neuronales ? Les neurones sont connectés entre eux au niveau de synapse. Plus les messages passent souvent entre deux neurones, plus les synapses entre eux se renforcent. Apprendre, c’est créer des connexions plus rapides entre ces neurones. Les chemins « nerveux » fréquemment empruntés deviennent alors des voies rapides et ainsi facilitent la résolution de problèmes, l’exécution de mouvements et sont alors à l’origine de l’apprentissage et de la formation de nouveaux souvenirs. Ce processus correspond à la plasticité cérébrale. Il est clairement établi que cette plasticité cérébrale a lieu tout au long de notre vie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238918/original/file-20181002-85614-ysfd1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=634&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Neurones connectés entre eux au niveau des synapses.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S.Mortaud, CNRS Orleans</span></span>
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</figure>
<p>Quels sont les mécanismes qui régulent cette plasticité cérébrale ? Parmi les nombreux mécanismes, les neurotransmetteurs, petites molécules chimiques présentes dans le cerveau, jouent un rôle important. Ces neurotransmetteurs sont libérés au niveau de la synapse et permettent la communication entre deux neurones. Il existe de nombreux neurotransmetteurs comme le glutamate, la dopamine, l’acétylcholine et la sérotonine…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238921/original/file-20181002-85611-i8g0zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=673&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Libération de sérotonine au niveau d’une synapse.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut savoir que la sérotonine bien connue pour contrôler l’équilibre psycho-affectif est impliquée dans la régulation de l’humeur des personnes. D’ailleurs, certains antidépresseurs régulent la quantité de sérotonine dans le cerveau. La sérotonine intervient également dans les processus de mémorisation. En effet, la sérotonine agit sur des récepteurs présents à la surface des neurones pour contrôler leur forme, le nombre des synapses et par de là, la plasticité synaptique. Ainsi, les chercheurs du groupe <a href="http://cbm.cnrs-orleans.fr/spip.php?article7020">« Cibles pharmacologiques et biomarqueurs »</a> du CBM à Orléans s’intéressent plus particulièrement à ce neurotransmetteur et son action sur ses récepteurs. Ils ont en particulier montré qu’un <a href="https://www.cnrs.fr/inc/communication/direct_labos/morissey.htm">défaut au niveau de l’activité d’un de ces récepteurs</a> pourrait être impliqué dans l’apparition de troubles d’apprentissage dans une maladie génétique humaine.</p>
<p>Comme nous venons de le voir, la plasticité neuronale et la neurogenèse sont des mécanismes complexes. Ceux-ci perdurent tout au long de notre vie et sont à l’origine de notre adaptation et de notre apprentissage à chaque nouvelle situation de la vie quotidienne.</p>
<p>Le mythe selon lequel le cerveau commence son déclin à l’âge de 20 ans, vous y croyez encore ?</p>
<hr>
<p><em>L’escape-game « neuromythes » aura lieu le 13 et 14 octobre à l’Université d’Orléans, événement ouvert à tous.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Dubourg travaille à l'Université d'Orléans et au CNRS. Les projets sur lesquels elle travaille ont reçu le soutien de la Région Centre Val de Loire (projet EISPoR) et de l'Agence Nationale pour la Recherche (ANR) (projet Neuropest, 2010 et projet NeuroTEM, 2018).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maryvonne Ardourel est membre de l'association Action Science Jargeau qui a pour objectif de promouvoir les sciences auprès du grand public.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Séverine Morisset Lopez travaille au CNRS. Les projets sur lesquels elle travaille ont reçu le soutien de la Région Centre Val de Loire (projet PAIN) et de l'ANR (Sero6Cognet).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stéphane Mortaud travaille à l'Université d'Orléans et au CNRS. Les projets sur lesquels il travaille ont reçu le soutien de la Région Centre Val de Loire (projet EISPoR) et de l'Agence Nationale pour la Recherche (ANR) (projet Neuropest, 2010 et projet NeuroTEM, 2018).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Flora Reverchon-Assadi, Olivier Richard et Vanessa Larrigaldie ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Qu’est-ce qu’un neuromythe ? À l’occasion de la Fête de la science, profitez d’un jeu pour démonter clichés et rumeurs scientifiques.Céline Dubourg, enseignant chercheur en neurosciences, Université d’OrléansFlora Reverchon-Assadi, Neurobiologiste, CNRS, Université d’OrléansMaryvonne Ardourel, Enseignant-chercheur en biochimie-biologie moléculaire, Université d’OrléansOlivier Richard, Maître de conférences en physiologie animale et neurophysiologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Severine Morisset Lopez, Neurobiologiste, CNRS, Université d’OrléansStéphane Mortaud, Professeur neurosciences, CNRS, Université d’OrléansVanessa Larrigaldie, Neuroscientifique, CNRS, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/974262018-06-17T20:22:01Z2018-06-17T20:22:01ZLa rumeur, garante de nos libertés ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223019/original/file-20180613-32316-x2fvmi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C43%2C680%2C426&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une foule peinte par Jean-Pierre Stora.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lagoradesarts.fr/Rencontre-avec-Jean-Pierre-Stora.html">L'agora des arts</a></span></figcaption></figure><p>Le 20 avril 2018, le site de Tolbiac, occupé depuis plusieurs semaines par des étudiantes et étudiants en lutte contre la loi ORÉ, était évacué par les services de police. La confrontation entre bloqueurs et CRS donna naissance à ce qui a très rapidement été qualifié de « rumeur de Tolbiac » : un étudiant aurait à cette occasion été grièvement blessé, voire tué. L’information, fut abondamment relayée sur les réseaux sociaux (plus de 10 000 tweets, <a href="http://www.leparisien.fr/societe/blesse-grave-a-tolbiac-decryptage-d-une-rumeur-folle-25-04-2018-7683270.php">selon Visibrain pour <em>Le Parisien</em></a>), avant que, l’événement s’étant révélé contraire à la réalité, des journaux occupant des positions dominantes dans le champ médiatique (<a href="http://www.liberation.fr/france/2018/04/24/faux-blesse-a-tolbiac-mecaniques-d-une-rumeur_1645680">Libération</a> et <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2018/04/25/cinq-jours-apres-l-evacuation-de-tolbiac-la-verite-se-fait-jour_5290256_4401467.html"><em>Le Monde</em></a>) ne rétablissent les faits en s’attaquant à cette <em>fake news</em> et à ses instigateurs.</p>
<p>La distance dépassionnant les débats, cet épisode est l’occasion de revenir sur ce que sont les rumeurs et sur les discours auxquels elles sont en butte. « Le trésor pour l’éternité » que constitue l’histoire, selon l’expression célèbre de Thucydide, est susceptible de guider notre réflexion : car si les réseaux sociaux sont d’invention récente, les enjeux de contrôle de l’information qu’ils impliquent, eux, ne sont pas radicalement différents que dans l’Antiquité.</p>
<h2>Psychologie des foules</h2>
<p>L’étude des rumeurs comme fait social ne remonte qu’à la Seconde Guerre mondiale, lorsque des sociologues et psychologues américains cherchèrent à comprendre l’influence de ces phénomènes sur l’état d’esprit des populations civiles, dans le but avoué de contrôler les informations circulant hors des canaux de l’officialité. L’existence de <a href="https://www.atlasobscura.com/articles/wwii-rumor-clinics"><em>rumor clinics</em></a>, rubriques de journaux, au <em>Boston Herald</em> par exemple, destinées à répertorier et contrôler les rumeurs pendant la Seconde Guerre mondiale, est une bonne preuve de cette dynamique. Mais en réalité, l’orientation très psychologisante donnée par ces premières études, notamment par son principal représentant, Gordon Allport, remonte plus loin. Elle se nourrit de la psychologie des foules, très en vogue au XIX<sup>e</sup> siècle, à la fois dans les œuvres fictionnelles et dans le domaine scientifique : en 1895, Gustave Le Bon, un antirépublicain (<a href="https://www.cairn.info/revue-mil-neuf-cent-2010-1-page-101.htm">et un plagiaire</a>) convaincu, avait fait paraître <em>Psychologie des foules</em>, ouvrage qui tentait de faire gagner ses galons scientifiques la discipline du même nom. Si ce fut un échec, les études sur les rumeurs procèdent encore d’une approche psychologique, et souvent pathologique : elles sont alors vues comme l’expression d’un inconscient collectif, et implicitement – ou parfois explicitement – assimilées à des maladies quasi épidémiques du corps social.</p>
<p>La situation est à la fois différente et semblable pour les rumeurs antiques. Très différente, d’abord, car le concept recouvre pour cette période une réalité beaucoup plus large qu’aujourd’hui. Une rumeur, pour nous, c’est d’abord une information non vérifiée, non officielle, et souvent fausse (« ce n’est qu’une rumeur ») ; le terme s’emploie fréquemment pour des ragots sportifs ou mondains – une <a href="https://news.google.com/search?q=rumeur&hl=fr&gl=FR&ceid=FR%3Afr">rapide recherche</a> en fournit mille exemples.</p>
<p>Cette définition ne peut s’appliquer aux rumeurs antiques : certaines sont fausses, d’autres sont vraies, d’autres encore exagérées, mais pas fondamentalement erronées ; les unes contiennent de simples nouvelles, les autres se constituent comme de véritables jugements en prise avec la réalité et donnent à ressentir ce que nous nommerions « l’opinion publique » ; une bonne partie d’entre elles, enfin, sont des reprises pures et simples d’éléments communiqués par le pouvoir. Le fossé avec notre monde est ici perceptible. La rumeur dans l’Antiquité est d’abord un <em>média</em>, au sens propre du terme : un canal par lequel transite un message. Un média non technique, certes, car procédant par le seul langage, mais un média tout de même, donc situé dans un champ médiatique qui, à Rome et à Athènes, se manifeste tout à fait autrement qu’aujourd’hui, présentant une faible diversité de supports de l’information et dépourvu de toute forme de corps intermédiaire garant de la circulation autonome de l’information et de l’opinion, à l’instar de nos journaux. L’avènement de l’imprimerie nous a rendu totalement étranger le fonctionnement des sociétés antiques et médiévales sur ce point, elles où l’oralité occupait une place centrale pour la grande majorité des gens, l’écrit étant plutôt ressenti comme l’apanage des élites sociales et politiques.</p>
<h2>Rumeurs détestées</h2>
<p>Il y a pourtant une chose que nos rumeurs et celles des Grecs et des Romains ont en commun : les jugements hystériques qu’elles suscitent. La vaste majorité des auteurs grecs et latins, exclusivement des aristocrates défendant leur propre vision de classe, <em>tient en horreur</em> les rumeurs. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles sont incontrôlables, qu’elles se multiplient et qu’elles peuvent se révéler dangereuses. Essayez donc de stopper un bruit qui s’est répandu comme une traînée de poudre parmi le million d’habitants de la Rome impériale ; tâchez d’en remonter les multiples ramifications pour en éliminer la source : les plus habiles y ont échoué. Néron, très au fait des pratiques de la foule, l’avait d’ailleurs compris : plutôt que de chercher à réprimer directement les on-dit qui l’accusèrent d’avoir déclenché le grand incendie de Rome en juillet 64 apr. J.-C., il désigna des boucs émissaires en la personne des premiers chrétiens pour détourner sur eux le flux des rumeurs (manque de chance, alors même qu’ils jouissaient d’une réputation sulfureuse causée par la mécompréhension de leurs rites, la foule romaine les prit en pitié, et Néron continua d’être accablé par la plèbe).</p>
<p>Pour un aristocrate, la rumeur est d’abord un réseau qui échappe à son pouvoir, voire qui le conteste, et qui rivalise avec lui pour l’acquisition de l’information. Contrôler la course des nouvelles, c’est avant tout asseoir sa domination ; et la haine des rumeurs dans la littérature antique s’explique sans doute par la crainte de voir cette mainmise contestée par des canaux non officiels. Concrètement, ce sentiment se manifeste par des critiques répétées à l’envi et formulées à l’identique : les rumeurs sont toujours fausses ; elles sont produites par des agitateurs professionnels, par des oisifs et des turbulents ; elles ne s’intéressent qu’à la surface des choses et non aux véritables causes des événements, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223020/original/file-20180613-32307-1ox50oa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hubert Robert (1733-1808), L’incendie de Rome, vers 1771.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.muma-lehavre.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/15e-18e-siecles/robert-lincendie-de-rome">MuMa Le Havre/Florian Kleinefenn</a></span>
</figcaption>
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<h2>Naissance des rumeurs</h2>
<p>Si les rumeurs antiques n’ont ni la même définition ni la même place dans la société que ce que nous qualifions du même nom, il y a bien aujourd’hui des structures qui jouent le même rôle qu’elles, à savoir diffuser une information hors des circuits officiels, constituer un jugement collectif sur l’actualité ou sur telle ou telle personne, faire pression sur les instances politiques, etc. De fait, les rumeurs ne surgissaient pas de n’importe où : les études qui l’ont envisagée sans se contenter d’y trouver l’expression de fantasmes ou d’angoisses collectifs, mais en y voyant le produit d’interactions sociales bien déterminables, ont souligné qu’elle n’existait que grâce aux structures de sociabilité des classes subalternes qui lui servaient de vecteur.</p>
<p>À Athènes comme à Rome, les rumeurs se diffusent dans les échoppes de barbier, dans les tavernes, aux bains. Or, quels sont les lieux de sociabilité où nous échangeons des informations aujourd’hui ? Ils sont principalement virtuels. Twitter, par exemple, assume la plupart des fonctions listées ci-dessus. C’est le lieu où l’on diffuse les nouvelles : certaines sont proprement officielles, c’est-à-dire rattachables à une source qui fait autorité, étatique ou journalistique ; d’autres ne le sont pas, mais constituent un puissant moyen de se tenir informé d’un événement que les autorités de diverse nature n’ont pas encore relayé. Les réseaux sociaux bruissent de la <a href="https://www.sudouest.fr/2015/11/17/le-role-des-reseaux-sociaux-pendant-les-attentats-de-paris-2188640-5166.php">nouvelle d’un attentat</a> bien plus vite que les médias traditionnels, de la même façon que la nouvelle de la victoire des Romains à Pydna en Macédoine, il y a près de 2200 ans, circule dans les rangs des spectateurs du Cirque bien avant que les courriers officiels n’arrivent au Sénat.</p>
<h2>Rumeurs et dissidence</h2>
<p>Précisément parce qu’ils représentent des espaces échappant au contrôle de l’État et qu’ils concurrencent par leur efficacité les médias traditionnels, les réseaux sociaux sont en prise aux mêmes commentaires discréditants que le fut la rumeur tout au long de l’Antiquité. L’anonymat constitutif de ces plates-formes est lu comme la marque de la lâcheté des commentateurs. La moindre fausse nouvelle est stigmatisée et devient le symbole du <a href="https://www.nouvelobs.com/sciences/20180308.OBS3317/sur-twitter-les-fake-news-se-propagent-beaucoup-plus-vite-que-la-verite.html">manque prétendu de fiabilité de ces canaux</a> – témoin l’affaire de Tolbiac, précisément. En 168 av. J.-C., le général romain Paul-Émile (dit le Macédonien), partant mener la guerre contre Persée, adressait cette demande aux citoyens de Rome :</p>
<blockquote>
<p>« Vous autres, ne prêtez foi qu’à ce que je vous écrirai, à vous et au Sénat, et prenez garde des rumeurs qui se nourrissent de votre crédulité et qui n’ont pas de source ».</p>
</blockquote>
<p>Plus de deux millénaires plus tard, les forces de police demandent solennellement, sur Twitter qui plus est (<a href="https://twitter.com/prefpolice/status/987387141985587201">aujourd’hui</a> comme <a href="https://twitter.com/prefpolice/status/665509012335652865">hier</a>), de faire la même chose (en France comme <a href="https://twitter.com/PolizeiBerlin_E/status/810956005215535105">ailleurs</a>), et prépare une loi sur les <em>fake news</em>, songeant à la possibilité d’ordonner la <a href="http://www.lepoint.fr/politique/ce-que-prevoit-l-etat-pour-lutter-contre-les-fake-news-07-03-2018-2200608_20.php">fermeture d’un compte</a> sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"987387141985587201"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui comme hier, détenir le monopole de l’information labélisée correcte est un <a href="https://blog.mondediplo.net/2018-01-08-Macron-decodeur-en-chef">enjeu politique</a>.</p>
<p>Pester contre la lâcheté prétendue de tel ou tel twitteur, dissimulé par l’anonymat de la plate-forme (comme nous l’avons tous fait), ce n’est rien d’autre, en somme, qu’actualiser des discours aristocratiques qui ont toujours accompagné l’accaparement, par les personnes exclues des positions dominantes, de la circulation des nouvelles et de leur commentaire. Dans l’Antiquité, la pauvreté – l’absence de <em>nom</em>, au sens social du terme – était vue comme une sécurité permettant aux classes subalternes toutes les insolences contre le pouvoir, notamment de le critiquer par des rumeurs. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier que l’anonymat ne permet pas, sur Twitter, tout type de harcèlements, plus condamnables les uns que les autres. Mais si le passé peut nous apprendre quelque chose, c’est bien la tendance des <a href="https://liberation.checknews.fr/question/64111/est-ce-vrai-quun-etudiant-est-dans-le-coma-a-tolbiac-apres-lintervention-policiere">commentateurs « autorisés »</a> à tirer de cas marginaux des critiques essentielles censées condamner à jamais les pratiques d’échange d’information situées hors de leurs domaine d’influence.</p>
<p>Nous l’avons vu avec l’affaire de Tolbiac : une fausse nouvelle est érigée comme l’illustration de la dangerosité des réseaux sociaux, sans que personne ne songe à souligner la véracité de la grande majorité de ce qui s’y déroule. Ne méprisons pas les rumeurs d’hier et aujourd’hui. Leur seule circulation est la garantie de notre résistance face aux institutions établies et aux visées de contrôle étatiques. Elle permet de nous constituer en tant que bloc, de prendre conscience de nos intérêts de groupe, de définir les normes auxquelles nous obéissons, d’organiser notre action ou nos réactions (je pense ici aux mécanismes des <em>hashtags</em>, entre autres). Hier comme aujourd’hui, par des rumeurs ou sur Twitter, (s’)informer, commenter, c’est aussi résister.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Autin Louis a reçu des financements du ministère de l'ESR. </span></em></p>Si les réseaux sociaux sont d’invention récente, les enjeux de contrôle de l’information qu’ils impliquent, eux, ne sont pas radicalement différents que dans l’Antiquité.Louis Autin, ATER de latin, doctorant en lettres classiques et histoire ancienne, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/629232016-07-25T20:28:00Z2016-07-25T20:28:00ZDébauche sexuelle à la française : les origines du mythe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/131746/original/image-20160725-31168-188e5yd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paris, capitale de l'amour aux yeux des touristes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/imagineitall/15538807762/ ">Eleazar/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Snog, pash, Zungenkuss</em>… Chaque langue a son mot pour désigner ce que les anglophones appellent « French kiss », ou baiser avec la langue. Mais pourquoi associe-t-on ce contact intime aux Français ? Et pourquoi leur confère-t-on la réputation – du moins dans les cultures anglo-saxonnes – d’être décomplexés et audacieux sur le plan sexuel ?</p>
<p>Quiconque a regardé <em>Versailles</em>, la série de la BBC2, aura appris que la fameuse cour du Roi Soleil était le théâtre quotidien de parties fines, de stratégies de séduction, de sexe… et d’encore <a href="https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2016/may/27/antonia-fraser-versailles-bbc-sex-scandal-true">plus de sexe</a>. Le succès à la cour française, semble-t-il, supposait d’avoir autant d’ambition que d’appétit pour les pratiques sexuelles scandaleuses – pour l’époque. Mais les courtisans français étaient-ils plus aventureux, sexuellement parlant, que n’importe qui ? Sinon, d’où vient ce stéréotype d’une cour française dépravée et dangereuse ?</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/148402418" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce de la saison 1 de « Versailles ».</span></figcaption>
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<p>La personnalité qui incarne le plus les déviances et sournoiseries de la cour est sans doute la – tristement célèbre – reine Marie-Antoinette. Connue pour sa déclaration présumée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Qu%27ils_mangent_de_la_brioche">« qu’ils mangent de la brioche »</a>, l’épouse de Louis XVI a été assassinée sans état d’âme par les révolutionnaires sanguinaires, qui l’accusaient dans d’innombrables écrits, gravures et chansons diffamatoires – en plus d’avoir trahi la France auprès de son ennemie l’Autriche, pays où elle est née – d’avoir organisé des orgies à Versailles, des rendez-vous lesbiens avec ses dames d’honneur, et même d’avoir commis l’inceste avec son propre fils.</p>
<p>Marie-Antoinette a subi tant d’accusations que l’Université de Stanford a consacré toute une section de ses <a href="http://frda.stanford.edu/en/catalog/pn211cs9735">Archives digitales de la Révolution française</a> aux atteintes à la vie privée de la reine. <a href="https://www.amazon.co.uk/Forbidden-Bestsellers-Pre-Revolutionary-France/dp/0002558351">Certains historiens</a> soutiennent que ces incriminations calomnieuses ont contribué à une « désacralisation pornographique de la monarchie », cause directe de l’exécution du couple royal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/131413/original/image-20160721-32639-o6nrym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Kirsten Dunst joue Marie-Antoinette dans le film éponyme de 2006.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/arsenic_and_old_lace/4787439000/">Mary Alice/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce genre d’insinuations sur les courtisanes françaises sont en fait apparues 200 ans plus tôt. Nous retrouvons les mêmes motifs de perversion sexuelle au XVI<sup>e</sup> siècle pour attaquer les dames de compagnie de la reine-mère Catherine de Médicis, régente de France pendant les guerres de religion. Alors que le royaume sombrait dans la guerre civile entre les catholiques et les huguenots, Catherine essaya de trouver un terrain d’entente. Mais ses efforts entraînèrent l’effet inverse : chaque tentative d’apaiser une partie du conflit provoquait l’autre, et les deux côtés dénoncèrent son incapacité à restaurer la paix. Elle fut dès lors <a href="https://archive.org/stream/discoursmerveill00esti#page/n1/mode/2up">dépeinte</a> comme une conspiratrice ambitieuse, indigne de confiance et machiavélique – par malheur pour elle en effet, Machiavel avait dédicacé son traité, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Prince"><em>Le Prince</em></a>, à son père Laurent II de Médicis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/131397/original/image-20160721-32619-1lwmr40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Catherine de Médicis : pas vraiment l’incarnation d’une cour française débridée.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La prochaine étape, logiquement, consistait à l’accuser de dépravation sexuelle. Mais depuis le décès prématuré de son mari – le roi Henri II, mort en 1559 –, Catherine portait toujours des vêtements de deuil noirs, pas vraiment de quoi renvoyer d’elle l’image d’une « veuve lascive ». Ses détracteurs ont donc visé ses servantes en accusant la régente de tenir un harem de belles jeunes femmes dont elle se servait pour séduire les gentilshommes influents. Ce mythe de <a href="https://www.routledge.com/Scandal-and-Reputation-at-the-Court-of-Catherine-de-Medici/McIlvenna/p/book/9781472428219">« l’escadron volant »</a> – l’équipe de choc des pions sexuels de la reine – n’est rien d’autre qu’un fantasme d’homme hétérosexuel, réduisant les négociations sans relâche de Catherine aux actes d’une femme puissante qui utilisait « le sexe comme une arme ».</p>
<p>Cette idée est aussi ancienne que la littérature elle-même : la Renaissance, qui connut le « renouveau » des idéaux et doctrines de l’Antiquité, raviva aussi les travaux misogynes d’écrivains comme Juvénal, dont la <a href="http://remacle.org/bloodwolf/satire/juvenal/satire6b.htm"><em>Satire VI</em></a> prétendait que les femmes étaient si folles de désir que tous les hommes mariés se faisaient inévitablement <a href="http://ebba.english.ucsb.edu/ballad/21787/image">cocufier</a>.</p>
<h2>Une importation de l’étranger ?</h2>
<p>L’ironie dans cette histoire, c’est que les Français du début de l’époque moderne ne se seraient jamais considérés eux-mêmes comme des assoiffés de sexe. Ils auraient plutôt désigné les Italiens, que l’on croyait être les importateurs – via la famille de Catherine de Médicis – de tous types de pratiques et d’appétit sexuels déviants.</p>
<p>Les Français étaient ainsi persuadés que la sodomie venait d’Italie, et alors que la <a href="https://www.theguardian.com/books/2013/may/17/syphilis-sex-fear-borgias">syphilis</a> était surnommée « French pox » dans beaucoup de pays, eux pensaient qu’elle avait été contractée par des soldats lors des guerres d’Italie. Ronsard, le plus célèbre poète français de la Renaissance, a écrit des <a href="https://blogs.mediapart.fr/victorayoli/blog/150613/ouiquinde-erotique-avec-cette-fine-lame-de-ronsard">poèmes obscènes</a> sur le fils de Catherine – le roi Henri III –, le décrivant comme un sodomite pédéraste qui entretenait des relations homosexuelles avec des garçons. L’artiste affirmait que ce penchant était dû aux origines florentines de sa mère. Donc, si Florence a été le berceau de la Renaissance, elle a aussi donné son nom au terme français désignant le baiser avec la langue, qu’évoquait Apollinaire en 1913 :</p>
<blockquote>
<p>Amour vos baisers florentins<br>
Avaient une saveur amère<br>
Qui a rebuté nos destins</p>
</blockquote>
<p>Si les Français pensaient que les Italiens étaient les vrais romantiques enflammés, que pouvons-nous déduire des récits comme ceux de Versailles ? La vérité, c’est qu’aucune nation ou culture ne peut prétendre à une plus grande tendance vers des pratiques sexuelles scandaleuses que toute autre culture – bien que les Français semblent avoir fait les frais de cette fausse idée reçue.</p>
<p>Chaque pays perpétue des mythes sur ses plus proches ennemis, des légendes qui n’ont souvent aucune base dans la réalité et qui proviennent d’ailleurs (je me rappelle avoir ri quand des amis anglais m’ont informé du « fait » que les Allemands avaient tendance à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LuIJqF8av6I">monopoliser les bains de soleil</a> en vacances en Méditerranée – aucune autre culture ne partage cette croyance, au passage). La façon dont nous menons notre vie sexuelle est un choix privé et individuel, et ni l’apparence, l’accent ou l’origine d’une personne ne saurait être un moyen fiable de savoir ce qu’elle se plaît à faire dans l’intimité.</p>
<p><em>Traduit de l’anglais par Diane Frances.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/62923/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Una McIlvenna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ni le « French kiss », ni la « French pox » ne sont originaires de France. Mais alors, d’où vient la réputation sulfureuse que l’on attribue aux Français un peu partout… ailleurs dans le monde ?Una McIlvenna, Lecturer in Early Modern Literature, University of KentLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/534052016-01-21T05:56:13Z2016-01-21T05:56:13ZHit the road (prise) Jack !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/108707/original/image-20160120-26089-12hx6nf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C444%2C3264%2C2003&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une prise traditionelle de 3.5mm.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/redhand/2223543889/in/photolist-h6Nr64-eczgcK-5MBjL1-8pzZ-8xioEn-4c7FH2-6dHa1c-4ouf8B-9nBvFq-8Reqx4-ava52C-av7odF-av7o8n-av7opz-dLxdFX-xjtq6-ecETX7-8PAnpT-rdTqmZ-qAqmVX-ruV4F9-rxcG68-rfKFSK-6GtRn-75Q5U6-6VxyEc-L4F9Q-5aAeM4-9L8KYc-8w6ofi-6tzknh-4FzGAq-6fRBoc-BU3ES-5aEvc7-bx5PJ-6dzTS-6CJcRw-4J8jWP-duNrh">Krzysztof Pędrys/Flick</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’atmosphère de bruit et de fureur autour du lancement de l’iPhone 7 semble indiquer qu’Apple a bel et bien repris à son compte la célèbre chanson écrite par Percy Mayfield <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0rEsVp5tiDQ">« Hit the Road Jack »</a> (littéralement : « Fiche le camp, Jack »). A écouter les rumeurs les plus folles, la décision aurait en effet été prise à Cupertino de <a href="http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/iphone-7-apple-concocterait-un-telephone-sans-prise-jack_1752449.html">supprimer le port Jack 3.5</a> utilisé depuis des dizaines d’années pour la connexion des écouteurs.</p>
<p>Les paroles de la chanson interprétée par Ray Charles semblent, au dire des consommateurs révoltés, pertinentes pour en donner la raison principale : « You ain’t got no money, you just ain’t no good » (« tu ne rapportes pas d’argent, tu n’es bon à rien »). En d’autres termes, <a href="http://www.01net.com/actualites/l-iphone-7-pourrait-perdre-sa-prise-jack-932765.html">il est temps d’innover</a> et de trouver par la même de nouvelles sources de revenus. Et le choix a été fait d’une innovation disruptive, c’est-à-dire qui va permettre de remplacer une technologie dominante.</p>
<h2>Protestation massive contre l’abandon du Jack 3.5</h2>
<p>La protestation monte progressivement et massivement autour d’un fait non encore officialisé à ce jour par le fabricant. Mais, entre les dizaines de milliers d’articles recensés sur les moteurs de recherche Internet, les <a href="http://www.begeek.fr/iphone-7-petition-contre-labandon-de-prise-jack-190642">pétitions qui se multiplient</a> contre l’abandon de Jack au profit d’une autre forme de connecteur (près de 250 000 signataires pour la plus importante) et les menaces de désertion des consommateurs, l’atmosphère a de quoi inquiéter.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/108708/original/image-20160120-26129-12kgdk9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Câbles audio.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mafergo/3593833078/in/photolist-h6Nr64-eczgcK-5MBjL1-8pzZ-8xioEn-4c7FH2-6dHa1c-4ouf8B-9nBvFq-8Reqx4-ava52C-av7odF-av7o8n-av7opz-dLxdFX-xjtq6-ecETX7-8PAnpT-rdTqmZ-qAqmVX-ruV4F9-rxcG68-rfKFSK-6GtRn-75Q5U6-6VxyEc-L4F9Q-5aAeM4-9L8KYc-8w6ofi-6tzknh-4FzGAq-6fRBoc-BU3ES-5aEvc7-bx5PJ-6dzTS-6CJcRw-4J8jWP-duNrh">Mario Fernández/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cet événement nous offre en parallèle un cas d’école très intéressant en termes de diffusion de l’innovation, de communication et d’analyse du comportement du consommateur. Décryptage.</p>
<h2>L’émergence et la propagation d’une rumeur</h2>
<p>Une <a href="http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Rumeur-243077.htm">rumeur</a> se définit comme une information incertaine qui se répand à grande vitesse au sein d’une communauté. Favorisées par le processus d’assimilation, les incertitudes tombent peu à peu et la rumeur devient alors un fait établi, largement partagé. Elle échappe alors souvent au contrôle de la personne ou de l’institution concernée par ce bruit et peut avoir des conséquences néfastes.</p>
<p>Les cas de rumeur sont nombreux dans le domaine de l’industrie, notamment pour dénigrer des marques : présence de vers de terre dans les viandes destinées aux hamburgers, décès de chefs d’entreprises, attaque contre la concurrence, etc. Généralement, les entreprises concernées par cette forme de désinformation mettent en place une stratégie de démenti pour lutter contre ces bruits non contrôlés.</p>
<p>Le cas « Jack » ne semble pas rentrer dans cette catégorie. Apple n’a infirmé ni confirmé cette information. Une interprétation est que la rumeur est <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2012/09/11/apple-iphone5-rumeur-ipad-mini-marketing_n_1874372.html">peut-être utile</a> ici pour « éduquer » le marché à cette nouveauté et faire tomber les résistances des utilisateurs longtemps avant la sortie du produit. En d’autres termes, ce bruit est nécessaire à l’adoption et à la diffusion des innovations.</p>
<h2>Résistance ou fidélité des consommateurs ?</h2>
<p>Face à des innovations qui bousculent fortement les habitudes de consommation, la <a href="http://www.dominiqueroux.fr/wp-content/uploads/2012/12/Roux_Resistance_2007_22_4.pdf">nature du risque</a> auquel s’expose la marque doit être posée. Dans le cas « Jack », l’intensité actuelle du débat est un marqueur intéressant de l’émergence d’une réaction de résistance des consommateurs. La littérature marketing nous indique que les conditions sont d’ailleurs réunies pour ce qui pourrait aboutir à un boycott. Les mécontents expriment des conditions de marché jugées non acceptables (gaspillage écologique par la mise au rebut de produits devenant non compatibles, etc.) et un produit qui ne répond plus à leur souhait d’utilisation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/108709/original/image-20160120-26113-gprrgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">À quoi relier les écouteurs ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jdhancock/3223785516/in/photolist-5USK7U-2tCQdS-9Rq7zn-gmVujo-9wzDjY-5QTkKy-pdWpJ3-9gxgfQ-9cFTPG-7vu4Uq-98TeeE-PFtcq-4Cf4Az-9RDmZc-pKkpeK-9cCLmt-785Af1-9cFQxE-9d7Hic-8ekHNY-9fK69A-9daPrW-myRkgv-7fDyu6-9yuX22-7RAPCK-9H923x-9dRLoM-69CcAs-3jTaEo-nEs3nh-22Lorf-6Ls2H6-9hv7F1-24DQi4-pCwisy-24JZVf-69EjJ4-h7yRBF-9cFVi9-5onEsg-4fpC6a-5RGa6Y-9QEdZW-81Ryga-9R4v42-cVXAxN-24JZWb-9hYhWK-8h1uyR">JD Hancock/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les protestations des habitués du jack sont donc entrées dans un état motivationnel de résistance, liées à la fois à une évaluation cognitive de la situation mais aussi du fait de réactions émotionnelles fortes. Pour autant, notre pressentiment est que cette motivation à résister ne se traduira pas par des actes. D’abord parce que l’image de la marque Apple/iPhone est forte, la propension à innover reconnue et la réputation en terme de design forte. Ensuite parce que la qualité de la démarche marketing de l’entreprise renforcera l’attachement à la marque et favorisera une fidélité des consommateurs.</p>
<h2>L’adoption d’innovations disruptives</h2>
<p>La question qui est implicitement posée est celle de la gestion de l’adoption de cette innovation disruptive dans les mois qui viennent. Conformément aux habitudes de la marque, les bénéfices de l’innovation vont être mis en avant, pour proposer un produit au design nouveau, (produit épuré, aminci, plus léger) et aux caractéristiques techniques améliorées (qualité sonore).</p>
<p>L’éducation progressive du marché, par l’utilisation <a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1446704-iphone-7-iphone-6c-les-rumeurs-incassable-pas-cher-en-2016-apple-va-frapper-fort.html">de blogueurs influents</a>, de journalistes et d’autres relais d’opinion va progressivement aider à retourner l’opinion dans un sens favorable. Ce travail n’est pas spécifique à la marque prise en exemple dans cet article. Nombreux sont en effet les cas, tant dans le domaine industriel (adoption de moules magnétiques par l’industrie de la plasturgie pour citer un exemple) que dans le domaine de la grande consommation. Et à chaque fois, l’enjeu est identique. Faire comprendre la valeur d’usage. Ce travail est facilité lorsqu’il est réalisé par une marque avec un contenu d’image très fort.</p>
<p>D’ailleurs, vous souvenez-vous qu’il y a quelques mois, la firme de Cupertino a enlevé la plupart des connecteurs de son dernier ordinateur pour le rendre plus léger ? C’est vrai, il y a eu du mécontentement au début, mais il s’est estompé depuis. Visiblement, on se prépare à revoir une seconde fois le même film.</p>
<p>Changeons de disque et préparons-nous à écouter <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4TYv2PhG89A">« Smooth Operator »</a> de Sade…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Aubert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon la rumeur, l’iPhone 7 n’aurait plus de prise jack pour écouteurs. Quelle innovation disruptive prépare donc Apple ? Et comment va-t-elle la présenter au marché ?Benoit Aubert, Directeur du développement, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.