tag:theconversation.com,2011:/us/topics/sans-papiers-20482/articlessans-papiers – The Conversation2022-09-08T19:20:30Ztag:theconversation.com,2011:article/1900022022-09-08T19:20:30Z2022-09-08T19:20:30ZÀ Mayotte, la lutte contre l’immigration affecte l’accès aux soins des femmes sans papiers<p>En août 2022, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/08/22/a-mayotte-gerald-darmanin-poursuit-son-offensive-sur-l-immigration_6138636_823448.html">Gérard Darmanin annonce que le droit de la nationalité sera à nouveau modifié à Mayotte</a>, après une première réforme historique en 2018 qui est venue <a href="https://theconversation.com/mayotte-comment-la-france-a-fragmente-le-droit-de-la-nationalite-139373">fragmenter le droit de la nationalité française</a> en introduisant, à Mayotte uniquement, une condition de séjour légal d’au moins un des deux parents au moment de la naissance pour l’accès futur de l’enfant à la nationalité française. La nouvelle proposition du gouvernement entend allonger la durée minimale de ce séjour légal de trois mois à un an.</p>
<p>Ce projet de loi peut être lu à la lumière du progressif renforcement de la rhétorique anti-immigration à Mayotte, dont témoignent les scores du Front national aux élections présidentielles de 2017 – <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/006/006.html">avec 42,89 % au second tour</a> contre <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/FE.html">33,9 %au niveau national</a> – et ceux du Rassemblement national aux élections de 2022, avec <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2022/(path)/presidentielle-2022/006/976/index.html">59,1 % au second tour</a> contre <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2022/(path)/presidentielle-2022/FE.html">41,45 % au niveau national</a>.</p>
<p>À partir d’une enquête de terrain menée en 2017 à Mayotte dans le cadre du <a href="https://eubordercare.eu/">projet européen EU Border Care</a>, il est possible d’entrevoir les effets délétères de la rhétorique anti-immigration sur l’accès aux services de santé pour les femmes enceintes et leurs nouveau-nés.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/graphiquement-votre-a-mayotte-la-population-a-quintuple-en-moins-de-40-ans-142788">Graphiquement vôtre : À Mayotte, la population a quintuplé en moins de 40 ans</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La figure de la femme enceinte comme risque migratoire</h2>
<p>La figure de la femme enceinte sans papiers est centrale dans les débats sur l’immigration à Mayotte. Sa construction comme « menace migratoire » sous-tend le raisonnement qui conduit à la fragmentation du droit français de la nationalité. La couverture médiatique des questions migratoires dans la région contribue depuis plusieurs années à reproduire <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2238123-20180315-mayotte-mamoudzou-plus-grande-maternite-europe-sous-pression">l’idée que les femmes comoriennes viennent à Mayotte dans l’espoir que leurs enfants soient français</a>, une lecture souvent <a href="https://www.leparisien.fr/politique/mayotte-faut-il-changer-le-statut-de-la-maternite-14-03-2018-7607070.php">présentée comme une évidence</a>, sans référence à des études de terrain.</p>
<p>Les recherches menées à Mayotte dans le cadre du projet <a href="https://eubordercare.eu/">EU Border Care</a> montrent pourquoi nombre de représentations stéréotypées – par exemple que les femmes sans papiers « viennent d’arriver » pour accoucher à Mayotte – reposent sur des hypothèses simplistes que des entretiens qualitatifs avec les femmes concernées <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-4-page-29.html">ne confirment pas</a>. L’analyse des expériences de vie de ces femmes donne à voir des parcours de vie ancrés de longue date à Mayotte et des grossesses qui s’inscrivent dans des logiques familiales et culturelles.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Réduire les mobilités dans la région à une question de législation quant à un potentiel accès à la nationalité française des enfants à venir ne permet pas de saisir des considérations socio-économiques plus générales et surtout cela nie les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-2-page-5.htm">liens historiques et culturels entre les îles</a>, pourtant déterminants.</p>
<p>Au regard des analyses qualitatives de cette recherche, il semble peu probable qu’une réforme additionnelle du droit de la nationalité réduise significativement les mobilités entre les Comores et Mayotte. La recherche menée révèle non seulement une causalité multiple du côté des motivations individuelles mais également une <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-1-page-39.htm">production continue de l’illégalité</a> du coté des institutions à travers de <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-4-page-29.html">nombreuses barrières à la régularisation</a>. Rarement mentionnées, ces <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2018-1-page-35.htm?ref=doi">politiques d’« irrégularisation »</a> participent de l’augmentation continue du nombre de personnes sans papiers sur l’île. Ainsi, à l’inverse des effets annoncés, la réforme proposée par le gouvernement risque de compliquer l’accès aux droits des personnes nées à Mayotte et donc de maintenir une partie de ces personnes et de leurs proches dans une précarité administrative de longue durée. Or ces exclusions produisent une marginalisation socio-économique qui perpétue les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622454">conditions de vie à la source de tensions sociales</a>.</p>
<p>La dégradation des conditions de soins pour les femmes souhaitant accéder aux services publics constitue une conséquence tangible de ce contexte politique hostile.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-faire-reculer-les-deserts-medicaux-103460">Comment faire reculer les déserts médicaux</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La politisation des soins de périnatalité au détriment des patientes</h2>
<p>À Mayotte, <a href="https://www.reseaux-sante-mayotte.fr/repema/page/le-conseil-departemental">21 centres de protection maternelle et infantile (PMI)</a> ainsi qu’une maternité (avec 4 annexes à travers les deux îles) assurent l’accès aux de soins de périnatalité et de maternité. Depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/03/30/mayotte-devient-le-101e-departement-de-france_1500539_823448.html">départementalisation de 2011</a>, la gestion des PMI est du ressort du Conseil Départemental de Mayotte (et non plus de l’État). Dans ce contexte, ces services de santé sont devenus l’objet d’une politisation car ils s’adressent aux femmes enceintes et sont accessibles aux femmes sans papiers. La stigmatisation des PMI a ainsi conduit à un sous-financement récurrent.</p>
<p>Au moment de l’enquête de terrain, les difficultés sont particulièrement aiguës avec un blocage des recrutements malgré le fait que près de la moitié des postes sont alors vacants. Une sage-femme faisait part de son inquiétude au printemps 2017 :</p>
<blockquote>
<p>« S’ils ne recrutent pas en juillet-août, on sera peut-être que 4 ou 5 sur 20 postes. Donc ça veut dire qu’on ne sera plus en mesure de consulter. La presse a été avertie, le ministère de la Santé a été averti, l’Agence régionale de santé a été avertie, il n’y a rien qui bouge, rien. Donc, c’est un blocage complet. »</p>
</blockquote>
<p>Les besoins concernent également les équipements et le matériel nécessaires aux soins quotidiens. En 2017, l’hygiène était impossible à maintenir, comme le souligne une autre sage-femme :</p>
<blockquote>
<p>« C’est complètement aberrant. On n’a rien pour se laver les mains. Moi j’ai acheté mon savon, j’ai gardé mon petit truc rouge là-bas, j’ai acheté mon savon liquide et voilà […] Mais au bout d’un moment, on ne peut pas non plus gérer cet effort là. Parce qu’on a beau se mettre en droit de retrait, personne ne fait rien. »</p>
</blockquote>
<p>Les conditions sont telles que les professionnels de santé décident au début de l’été 2017 d’appeler à une <a href="https://lejournaldemayotte.yt/2017/06/27/crise-dans-les-pmi-le-personnel-demande-une-mise-sous-tutelle/">mise sous tutelle de l’État des PMI</a> pour assurer la continuité des soins. Depuis, la situation des PMI reste difficile et les professionnels de santé sont contraints d’exercer leur <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1136">droit de retrait</a> régulièrement, cela a été le cas par exemple à la PMI de Passamainty en mai 2022.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ky7ibN6f1Z0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Grèce à la PMI de Passamainty.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Corps des femmes, nation et citoyenneté</h2>
<p>Les recherches féministes ont mis en exergue comment les corps des femmes sont l’objet des politiques de reproduction de la Nation, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0277539595000755">comme analysé</a> par la sociologue britannique <a href="https://www.uel.ac.uk/about-uel/staff/nira-yuval-davis">Nira Yuval-Davis</a>.</p>
<p>Au croisement de politiques migratoires restrictives et d’un gouvernement patriarcal des corps des femmes, la stigmatisation des femmes enceintes sans papiers à Mayotte, considérées comme une menace pour la Nation, engendre un sous-financement continu des services de santé périnatale, maternelle et pédiatrique.</p>
<p>Or la dégradation de l’accès aux soins vient à son tour alimenter, dans un cercle vicieux, l’image d’une île en proie à une immigration incontrôlée. Alors que Gérard Darmanin justifie la nouvelle proposition de réforme du droit de la nationalité à Mayotte par la nécessité d’une lutte <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/immigration-gerald-darmanin-relance-le-debat-sur-le-droit-du-sol-a-mayotte-1783121">« contre l’attractivité sociale et administrative du territoire »</a>, il est important de souligner qu’outre l’efficacité douteuse de ce type de mesure, cette lutte génère des politiques d’exclusion qui piétinent les droits des femmes à la santé sexuelle et reproductive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été financée par le Conseil Européen de la Recherche dans le cadre du projet EU Border Care.</span></em></p>La rhétorique anti-migration ainsi que la réforme proposée par le gouvernement complique l’accès aux droits de personnes nées à Mayotte et risque d’entraver l’accès aux soins des femmes enceintes.Nina Sahraoui, Post-doctorante en sociologie, CRESPPA, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1379262020-05-12T19:18:42Z2020-05-12T19:18:42ZPeur et résilience : paroles d’immigrés confinés en situation de précarité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334381/original/file-20200512-82357-1y3nn72.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C49%2C2029%2C1483&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/9465788112/">Jeanne Menjoulet/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les mesures de confinement imposées en France depuis le 17 mars pour limiter la propagation du SARS-CoV-2, rendent particulièrement manifestes les inégalités sociales et de santé et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/coronavirus-le-confinement-a-considerablement-aggrave-la-situation-dans-les-quartiers-defavorises_6037000_3232.html">contribuent à les creuser</a>. Certains <a href="https://theconversation.com/confinement-quel-impact-dans-les-etablissements-pour-personnes-agees-et-handicapees-134561">groupes de population</a> les subissent de façon brutale. Les immigrés en situation de précarité sont particulièrement concernés : le <a href="http://icmigrations.fr/2020/04/07/defacto-018-03/">« confinement ajoute de la précarité à la précarité »</a>. Quelle expérience les personnes concernées en font-elles et qu’en disent-elles ?</p>
<p>Le <a href="https://www.projet-makasi.fr/">projet de recherche Makasi</a> consiste à organiser et évaluer une intervention innovante pour faciliter l’accès aux droits et à la santé d’immigrés Afro-Caribéens en Ile-de-France. Les liens et la relation de confiance instaurée avant l’épidémie avec certains participants à ce projet ont permis de suivre leur situation, via des échanges téléphoniques durant la quatrième et la cinquième semaine de confinement. Leurs récits font état à la fois d’une peur diffuse, exacerbée par les contrôles policiers, de situations de dénuement et de formes de résilience.</p>
<h2>« On est là, entassé, chacun a peur mais on n’a pas le choix »</h2>
<p>Originaires d’Afrique Sub-Saharienne francophone, les personnes sollicitées sont arrivées en France entre 2015 et 2019. Elles sont sans titre de séjour, sans travail ni hébergement stables. Pendant le confinement, elles sont hébergées chez un parent ou une connaissance, dans des logements individuels. Certains partagent une chambre avec quatre autres adultes, ou avec un couple et leurs deux enfants, d’autres bénéficient d’un matelas de fortune dans la pièce principale d’un petit appartement ou, plus rarement, d’une chambre individuelle.</p>
<p>La promiscuité contrainte de la plupart de ces lieux constitue d’emblée une entrave à l’isolement requis en cas de contamination d’un des cohabitants. Or, ces personnes s’avèrent aux interstices des dispositifs d’isolement récemment mis en place. Par exemple, les centres d’hébergement spécialisés pour les malades non graves du Covid-19, centres dits de <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/covid-19-letat-sorganise-avec-les-associations-pour-que-la-solidarite-continue-pour-les-plus">« desserrement »</a>, ciblent prioritairement des personnes sans domicile ou vivant dans des structures d’hébergement collectif. Ainsi, celles dont nous relatons ici les expériences constituent sans doute une nouvelle catégorie d’« <a href="http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie-sans-abri-sans-papiers-et-confines/">oubliés du confinement</a>.</p>
<h2>« On avait déjà des problèmes avant, c’est venu augmenter notre problème »</h2>
<p>D’ordinaire travailleurs dépendants de rémunération au jour le jour dans le commerce informel ou sur des chantiers, les personnes sollicitées n’ont désormais plus de revenu. Les réseaux d’entraide informels permettant d’emprunter de l’argent de la main à la main à des proches sont inaccessibles et se raréfient. Les agences de transferts d’argent sont pour la plupart fermées.</p>
<p>Les personnes rencontrées s’inquiètent de cet affaiblissement des ressources. Les hébergés sont de plus en plus dépendants de leur hébergeur… Une perte d’autonomie préoccupante économiquement et qui, en plus, pour certains hommes, défie les valeurs socioculturelles associées à la masculinité, contribuant ainsi à une perte de l’estime de soi :</p>
<blockquote>
<p>« Tu es un homme. Normalement, c’est ta responsabilité. Chez nous en Afrique, c’est l’homme qui est le maître de la maison […]. C’est un peu comme une déception vis-à-vis de moi-même. » (Moussa, camerounais, 32 ans)</p>
</blockquote>
<p>Enfin, certains, faute de moyens, ne peuvent plus appeler leurs proches dans leur pays d’origine :</p>
<blockquote>
<p>« On pense à manger d’abord, pas à appeler. » (Aboubacar, ivoirien, 24 ans)</p>
</blockquote>
<p>L’isolement social gagne ainsi du terrain.</p>
<p>La mise en suspens des démarches entreprises par ces personnes pour sortir de la précarité (travail, constitution de réseaux de sociabilités professionnelles, démarches administratives…) creuse leur déficit initial de <a href="https://academic.oup.com/jrs/article/21/2/166/1621262">« passerelles sociales »</a> et économiques. Elles se voient de plus en plus reléguées aux marges de la société et enfermées dans la précarité. Leurs capacités d’agir s’amenuisent et les liens sociaux se délitent.</p>
<h2>L’observance aux mesures de confinement</h2>
<p>Les personnes sollicitées sont en bonne santé. Elles attestent d’une bonne compréhension de la situation sanitaire, des mesures de limitation de la propagation du virus et des enjeux du confinement.</p>
<p>Certaines se prémunissent des risques de tomber malade en appliquant les gestes barrières et en prenant soin de boire quotidiennement des remèdes traditionnels à base de citron et gingembre. Elles éprouvent quotidiennement le confinement et suivent rigoureusement la mesure de santé publique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est compliqué, on ne sort pas. On n’a pas le choix mais il faut aussi ça pour vraiment éviter de tomber malade, de contaminer. » (Sandra, ivoirienne,27 ans)</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=605&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334379/original/file-20200512-82383-bvax3o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=760&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« On fait avec ». Illustration, Paris 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/66944824@N05/30689022071/">Ithmus/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La majorité des personnes sollicitées ne sort pas, pas même pour faire des courses, laissées à la charge de leurs cohabitants. Les autres sortent avec une attestation. Leurs récits montrent qu’aucune ne déroge à la règle. Ces attitudes mettent à mal la figure médiatisée de l’habitant des quartiers populaires qui ne respecterait pas bien les consignes et confortent <a href="https://www.liberation.fr/amphtml/france/2020/04/21/ces-territoires-jouent-le-role-de-boucs-emissaires_1785978?__twitter_impression=true">« le rôle de boucs émissaires »</a> qui revient aux classes populaires en temps d’épidémie.</p>
<h2>La peur d’être expulsé</h2>
<p>Le dehors est décrit par mes interlocuteurs comme « risqué », « dangereux », tel un terrain miné. Au risque d’être contaminé par « quelque chose qu’on ne voit pas mais qui fait des ravages », s’ajoute celui d’être contrôlé et de recevoir une amende :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a trop de risques. Tu ne peux pas sortir. Il y a amende. L’amende, ça fait 135 euros. » (Fadhila, ivoirien, 32 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le contrôle des attestations est systématiquement associé au contrôle d’une pièce d’identité. Or, les personnes concernées n’en détiennent pas toujours. De plus, pour ces personnes en situation irrégulière, ces contrôles sont perçus comme un risque de vérification des titres de séjour, cristallisant ainsi la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/crs/1900-v1-n1-crs1516985/1002206ar/abstract/">menace d’expulsion</a>. Dès lors, la « peur d’affronter le dehors » dicte les conduites.</p>
<p>La constante surveillance incarnée par la présence policière « en bas des fenêtres », l’instauration d’un contrôle actif des populations et la pression de la sanction, façonnent ainsi le rapport des individus à l’espace public.</p>
<p>Être en situation irrégulière est perçu par les personnes concernées comme un statut rédhibitoire condamnant à rester chez soi. L’inexistence sociale à laquelle ces individus sont assignés d’emblée en tant qu’immigrés sans papiers, est ainsi portée à son paroxysme par le désinvestissement contraint de l’espace public… Désinvestissement directement issu de cette gestion disciplinaire des mesures de limitation de la Covid.</p>
<h2>Des formes de résilience</h2>
<p>Face à une telle adversité, les personnes sollicitées répondent par la résignation, exprimée tantôt par la récurrence des expressions telles qu’« on n’a pas le choix », « il faut faire avec », tantôt en s’en remettant « entre les mains de Dieu ». Ces attitudes semblent aider les personnes à faire face à l’onde de choc.</p>
<p>Les récits des personnes concernées montrent également des capacités à aménager des formes viables d’existence dans des espaces et un contexte hostiles. « Prendre sur soi » quotidiennement, ou rendre tacites des tensions d’ordinaire omniprésentes et préoccupantes permet par exemple d’apaiser les relations et la cohabitation.</p>
<p>De plus, la solidarité intrarésidentielle se renforce. Cette solidarité se manifeste à la fois par un soutien matériel (des personnes vivant d’ordinaire en squat sont accueillies chez des compatriotes pendant le confinement), un soutien économique (les dépenses alimentaires sont prises en charge par ceux qui le peuvent, sans contrepartie), ou encore un soutien moral (« il faut qu’on s’encourage ») qui semble s’ériger en impératif de survie. Cette solidarité apparaît d’autant plus vitale dans ce contexte de surprécarisation… mais peu pérenne.</p>
<h2>Enfermé dans la précarité</h2>
<p>Le confinement incarne de manière paroxystique la perte d’autonomie, l’exclusion et l’inexistence sociale, ce que le sociologue Robert Castel nomme la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/crs/1900-v1-n1-crs1516985/1002206ar/abstract/">« désaffiliation sociale »</a>. On assiste ainsi à la production d’un <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-09/010029533.pdf">contexte de dénuement</a> dont on peut redouter les effets dévastateurs tant sur les conditions de vie et la santé que sur les identités largement éprouvées des individus.</p>
<p>Les expériences relatées illustrent l’agressivité structurelle d’une réponse répressive à l’épidémie et qui ne prend pas en compte les inégalités. Ce constat rend les <a href="https://theconversation.com/le-secteur-associatif-doit-tenir-bon-135062">mobilisations associatives</a> et initiatives citoyennes émergentes d’autant plus indispensables. Mais le système de survie en place sera mis à l’épreuve du temps. Ceci rappelle, s’il en est besoin, l’impérieuse nécessité d’élaborer des mesures prenant en compte les besoins sociaux et économiques mais aussi les besoins de reconnaissance sociale des individus pour un déconfinement sécurisé… En s’appuyant sur le point de vue et l’expérience des personnes concernées et non seulement sur celui des lointains experts et politiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137926/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Séverine Carillon a reçu des financements de l'Agence Nationale de Recherches sur le Sida et les hépatites virales</span></em></p>Les récits de personnes immigrées en situation de précarité font état à la fois d’une peur diffuse, exacerbée par les contrôles policiers, de situations de dénuement et de formes de résilience.Séverine Carillon, Anthropologue, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1285962019-12-16T17:48:19Z2019-12-16T17:48:19ZFact check : « Les réfugiés sont-ils mieux accompagnés que les SDF » ?<p>Un « migrant fraîchement débarqué » a-t-il le droit à des soins « totalement gratuits lorsque nos compatriotes dans la difficulté sont sans emploi, sans toit, ou renoncent à des soins par manque de moyens ? » Cette citation est <a href="https://twitter.com/mlp_officiel/status/1099691633258446849?lang=fr">extraite</a> d’un discours de Marine Le Pen, lors d’un déplacement à Caudry dans le nord de la France le 24 février 2019. De nombreux journaux ont dénoncé la <a href="https://factuel.afp.com/un-migrant-fraichement-arrive-peut-il-toucher-davantage-quun-retraite">désinformation véhiculée par la présidente du Rassemblement national</a>.</p>
<p>Néanmoins, en septembre, les premières réponses du gouvernement dans le débat sur l’immigration ont porté sur la lutte contre le « tourisme médical » en pointant des dysfonctionnements dans le dispositif de <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/ame-fantasme-tourisme-medical/00091208">l’Aide médicale d’état</a> (AME) et sur la régulation de l’immigration professionnelle.</p>
<p>Les partisans d’une restriction de l’immigration dénoncent l’AME comme un détournement de la générosité française par des migrants venus en France essentiellement dans le but de profiter de la protection sociale.</p>
<p>Or, plusieurs <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3196.asp">rapports</a>, dont celui tout <a href="http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/AME.pdf">récent</a> rendu en octobre 2019 par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS-IGF), nuancent ces propos.</p>
<p>Reprenons point par point les questions litigieuses.</p>
<h2>L’AME n’est attribuée que pour les personnes en situation irrégulière</h2>
<p>L’AME n’est attribuée que pour les personnes en situation irrégulière, qui résident depuis au moins trois mois sur le territoire français et pouvant prouver un faible niveau de ressources.</p>
<p>Elle se justifie tant pour des raisons humanitaires que d’ordre public (contenir la propagation de pathologies). Elle a bénéficié à 318 000 personnes, ce qui nous donne incidemment un ordre de grandeur de la population sans-papiers migrants en France. Cette aide a coûté à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/aide-medicale-d-etat-qui-en-beneficie-quels-soins-sont-pris-en-charge-combien-ca-coute-20190923">l’état 908 millions d’euros</a> en 2018 (0,6 % des dépenses de santé).</p>
<p>Certes, d’après le rapport de l’IGAS, les différences de dépenses de soins par rapport à celles des autres assurés – accouchements, insuffisances rénales chroniques, les cancers et les maladies du sang – « renforcent, de façon convaincante l’hypothèse d’une migration pour soins, qui n’est clairement pas un phénomène marginal », puisque plus d’un quart des étrangers en situation irrégulière citeraient les soins parmi les raisons de leur migration.</p>
<p>Pour autant, beaucoup de bénéficiaires potentiels n’y recourent pas.</p>
<p>Les demandeurs d’asile, <a href="https://www.france-terre-asile.org/demandeurs-d-asile-col-280/infos-migrants/demandeurs-d-asile#Q1">donc en situation régulière</a>, relèvent pour leur part de la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34308">Protection universelle maladie</a> (PUMa) qui s’applique aussi bien aux étrangers qu’à toute personne majeure sans activité professionnelle, « dès lors qu’elle réside en France de manière stable et régulière ». Le coût annuel de cette aide pour les demandeurs d’asile revient à environ 200 millions d’euros.</p>
<h2>Les cotisations sociales des immigrés sont bienvenues</h2>
<p>Sur le plan de l’emploi, <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/le-recrutement-des-travailleurs-immigres-france-2017_9789264276741-fr#page1">l’OCDE pointe les dysfonctionnements du mécanisme d’autorisation de travail</a> et les pertes de gains dues à absence de politique d’accueil proactive.</p>
<p>Face au déséquilibre du régime des retraites et au vieillissement de la population, les <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-et-retraites-la-petite-musique-de-delevoye-20191129">cotisations sociales des travailleurs immigrés</a> sont les bienvenues.</p>
<p>Le dispositif de dérogation à la règle de l’autorisation par l’administration, sur la base d’une liste de métiers en tension sur le plan local (mis en œuvre en 2008), est <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/le-recrutement-des-travailleurs-immigres-france-2017_9789264276741-fr">notoirement inefficace</a> : « seuls 15 % des métiers inscrits sur la liste seraient encore en tension sur l’ensemble du territoire en 2015 ».</p>
<p>Mais l’État français persiste, et propose une version adaptée du dispositif, nonobstant une concertation préalable avec les partenaires sociaux. 33 000 titres de séjour ont été accordés pour motif de travail en 2018, dont 8 000 régularisations de sans-papiers.</p>
<p>Une politique cohérente visant à attirer des profils qualifiés en France <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-09/20190916-rapport-mobilite-internationale-etudiants_0.pdf">devrait se traduire par une politique ciblant les meilleurs étudiants</a> de master ou de doctorat, ce que la France sait fort mal faire – et les <a href="https://theconversation.com/hausse-des-frais-dinscription-en-fac-une-tendance-contre-productive-111545">hausses récentes des droits d’inscription</a> décidée à leur encontre ne va pas dans le bon sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Prost est Secrétaire général de l’Association Services Publics.</span></em></p>Les migrants sont-ils venus en France dans le but de profiter de la protection sociale ?Yannick Prost, enseignant en relations internationales (Sciences Po) - responsable de l'unité d'enseignement "aire juridique et administrative'" (Master Lisi, UFR EILA, Université Paris VII Denis DIderot), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245252019-11-11T20:34:07Z2019-11-11T20:34:07ZComment fabrique-t-on l’immigration irrégulière en France ?<p>La plupart des mesures qu’Édouard Philippe a annoncées <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/11/dossier_de_presse_-_comite_interministeriel_sur_limmigration_et_lintegration_-_06.11.2019.pdf">« pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration en France »</a> relèvent en réalité de la lutte contre l’immigration irrégulière.</p>
<p>Elles reflètent aussi l’ambition d’Emmanuel Macron de peser sur la politique européenne de l’asile. Pour convaincre ses partenaires européens d’« accueillir mieux », il considère qu’il faut être <a href="https://www.lepoint.fr/politique/immigration-pour-macron-la-france-ne-peut-pas-accueillir-tout-le-monde-25-09-2019-2337543_20.php">« plus efficace pour reconduire ceux qui n’ont pas vocation à rester en Europe »</a>.</p>
<p>Mais que faut-il exporter du modèle français en Europe ? Sa complexité, qui en fait le premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe ? Ou bien sa fermeture à l’immigration économique ?</p>
<h2>La France, championne des obligations à quitter le territoire</h2>
<p>On pense souvent que l’immigration irrégulière désigne simplement les étrangers arrivés sans autorisation sur le territoire. Dans les médias et les lieux de pouvoir, on s’étonne alors que le <a href="https://www.la-croix.com/France/Exclusion/expulsions-migrants-legere-hausse-2019-05-10-1201020898">taux d’expulsion ne soit pas plus élevé</a>. En réalité, les étrangers qui vivent régulièrement en France pendant des années peuvent devenir des sans-papiers.</p>
<p>Pour le comprendre, prenons l’exemple récemment médiatisé de Geneviève, cette <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190928.OBS19073/genevieve-a-failli-etre-expulsee-de-france-car-elle-travaillait-trop.html">doctorante en situation régulière qui a failli être expulsée pour avoir trop travaillé</a>.</p>
<p>Après un Master de droit en France, Geneviève travaille pour financer son diplôme de doctorat (BAC+8). Mais les étudiants, s’ils sont étrangers, n’ont pas le droit de travailler plus de 60 % de la durée légale de travail. S’ils dépassent ce seuil, ils risquent le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=84402E4517F7D79D8F54B969B55CBF49.tplgfr38s_2?cidTexte=LEGITEXT000006070158&idArticle=LEGIARTI000006335062&dateTexte=20190929&categorieLien=id#LEGIARTI000006335062">non-renouvellement, voire le retrait, de leur carte de séjour</a> et deviennent des sans-papiers.</p>
<p>Geneviève a travaillé quelques heures de plus (65 %) et la préfecture lui a adressé une obligation de quitter le territoire (OQTF) et même une interdiction de revenir en France (IRTF). La préfecture a ainsi grossi les rangs de l’immigration irrégulière dont on déplore le taux d’expulsion trop bas.</p>
<p>Ce cas n’est pas isolé. La France n’est pas seulement la championne européenne des obligations à quitter le territoire. La productivité de son administration est, elle aussi, impressionnante : une OQTF sur cinq (22 %) délivrées dans toute l’Union européenne est le fruit du travail d’un fonctionnaire français.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295505/original/file-20191003-52857-17abxmh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Obligations quitter le territoire (Eurostat, 2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eurostat</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En matière d’immigration irrégulière, il est difficile de savoir combien de personnes sont devenues, comme Geneviève, des sans-papiers et combien sont arrivées en France sans-papiers.</p>
<p>Mais une enquête du Ministère de l’Intérieur a permis d’estimer que les personnes <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Themes/Enquete-ELIPA/Enquete-ELIPA-Les-nouveaux-migrants-en-2009">arrivées légalement et devenues sans-papiers étaient bien plus nombreuses (63 %)</a> que celles arrivées sans-papiers (37 %). Leur durée de présence en France avant la réadmission au séjour était aussi plus longue que celle des personnes arrivées sans-papiers. Les hommes sont en France depuis 8 ans en moyenne, contre 6 ans pour les femmes, avant d’obtenir à nouveau des papiers.</p>
<h2>L’immigration irrégulière : la fabriquer pour la combattre</h2>
<p>La lutte contre l’immigration irrégulière gagnerait en efficacité si on cherchait à comprendre comment la France est devenue premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe.</p>
<p>Le premier facteur est la complexité de la loi. L’opinion publique, même éduquée, ne la comprend plus. Mais c’est au nom de l’opinion publique que les politiques changent la loi, tous les deux ans en moyenne, en la rendant toujours plus complexe. L’effet est presque mécanique : chaque nouveau critère transforme des étrangers présents de façon tout à fait régulière, en sans-papiers.</p>
<p>Un second facteur est le niveau de risque associé au simple renouvellement du titre de séjour. Aucune erreur n’est permise car la loi prévoit qu’un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=F9AA78522C4FB9CB2ABA7C517D61B385.tplgfr28s_2?idArticle=LEGIARTI000037400993&cidTexte=LEGITEXT000006070158&categorieLien=id&dateTexte=">refus de renouveler un permis de séjour soit accompagné d’une obligation à quitter le territoire</a>. Comme si cela ne suffisait pas, depuis 2016, les OQTF sont assorties, dans de nombreux des cas, d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idArticle=LEGIARTI000032171754&idSectionTA=LEGISCTA000032171793&cidTexte=LEGITEXT000006070158&dateTexte=20170901">interdiction de retour en France</a>.</p>
<p>Sans comprendre que la création de l’immigration irrégulière est largement endogène, l’actuel gouvernement érige cette lutte en politique internationale. Il propose même de détourner une partie de l’aide au développement au profit de la France.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300698/original/file-20191107-10919-ss6smp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vingt mesures pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration en France (6 novembre 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Comité interministériel immigration</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Travailler, un risque de devenir sans-papiers</h2>
<p>L’une des mesures annoncées par le gouvernement est l’ouverture (au débat) de l’immigration de travail. Il s’agirait de mettre à jour la liste des métiers sous tension.</p>
<p>Pour comprendre la timidité de cette mesure, il faut savoir que la carte de séjour « salarié » est la plus difficile à obtenir en France. L’employeur qui déciderait de recruter un étranger doit d’abord déposer une demande d’autorisation de travail.</p>
<p>Le code du travail <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019108569&cidTexte=LEGITEXT000006072050">prévoit</a> un dossier complexe :</p>
<ul>
<li><p>L’employeur doit prouver que l’emploi a été publiquement annoncé pendant plusieurs semaines et qu’il est resté vacant.</p></li>
<li><p>Il doit vérifier que l’emploi fait partie des métiers déclarés « sous tension ».</p></li>
<li><p>Il doit montrer l’adéquation entre l’emploi et les qualifications de l’étranger.</p></li>
<li><p>L’employeur doit montrer qu’il respecte la législation du travail et de la protection sociale. Par le passé, les ministres de l’Intérieur ont recommandé aux préfets de bien vérifier que l’entreprise respecte les obligations de formation professionnelle des salariés, de recours aux travailleurs handicapés, de l’instauration de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences…</p></li>
<li><p>Le recruté doit avoir respecté toutes les dispositions réglementaires (avoir travaillé, comme Geneviève, 65 % de la durée légale pendant ses études, est une raison de refus de l’autorisation de travail).</p></li>
<li><p>L’employeur doit montrer que la rémunération est de la même nature que celle offerte aux autres employés de l’entreprise.</p></li>
<li><p>Les parties doivent payer des taxes (55 % du salaire mensuel brut pour l’employeur et 250 euros pour le recruté).</p></li>
</ul>
<p>L’employeur n’a pas droit à l’erreur car le travailleur étranger court le risque de devenir sans-papiers. Si l’administration n’a pas répondu dans les deux mois, l’autorisation de travail est refusée. Dans ce cas, l’autorisation de séjour sera, elle aussi, refusée et le travailleur recevra une obligation à quitter le territoire.</p>
<p>Aujourd’hui, la proposition du gouvernement de revoir la liste des métiers sous tension pourrait modifier un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?numJO=0&dateJO=20080120&numTexte=9&pageDebut=01048&pageFin=01052">arrêté pris par Brice Hortefeux en 2008</a>. Cet arrêté dispense l’employeur souhaitant recruter un étranger de remplir les deux premières conditions susmentionnées, mais seulement pour un nombre très limité de métiers, défini par région. Pour la Bretagne, par exemple, seuls 27 métiers sont concernés, alors que la région connaît des <a href="https://www.ouestfrance-emploi.com/actualite-emploi/metiers-penuriques-bretagne">difficultés de recrutement</a> pour plus de 130 milles postes.</p>
<p>Si la proposition du gouvernement va dans le bon sens, elle ne dispensera ni les employeurs de la demande d’autorisation de travail, ni les candidats du risque de devenir des sans-papiers. Les entreprises qui auront trouvé un candidat devront attendre plusieurs mois l’accord de plusieurs administrations pour pouvoir l’embaucher. Si elles n’ont pas le choix, elles attendront et finiront par accroître l’immigration de travail au-delà de 10 % de l’immigration totale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=226&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295682/original/file-20191005-118200-10jgpz5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=283&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Admission par motif France 2007-2018 (12 juin 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">MI-DSED</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour un étranger qui souhaiterait travailler en France, il sera toujours mieux de passer par l’immigration familiale, dont les titres de séjour sont pour la plupart dispensés de la demande d’une autorisation de travail.</p>
<h2>Faut-il exporter le modèle français en Europe ?</h2>
<p>Si la France produit le plus grand nombre d’obligations à quitter le territoire, elle n’attire en revanche qu’environ 3 % de l’immigration économique en l’Europe.</p>
<p>En 2018, les titres de séjour pour motif économique délivrés en France ont été moins nombreux qu’en République tchèque, petit pays dont la population est six fois moins nombreuse et le PIB, 12 fois plus petit. Inutile de comparer la France à la Pologne, où l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-double-discours-de-la-pologne-sur-limmigration-143403">immigration économique est 10 fois plus grande</a>, ni à la Grande Bretagne (3 fois plus) ou l’Allemagne et l’Espagne (2 fois plus). La France est plutôt comparable à la Hongrie, dont le gouvernement est réputé xénophobe et le PIB, 18 fois plus petit.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300991/original/file-20191110-194665-10pbhot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Immigration économique en Europe en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eurostat</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les mesures du gouvernement ne rendront pas la France plus ouverte à l’immigration économique que les pays du Groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque), réputés hostiles à l’immigration.</p>
<p>Pour « regarder en face » la politique migratoire, ne faut-il pas déjà cesser de parler « d’accueil » ? Cette métaphore détonne dans un système qui cherche à expulser le plus grand nombre d’étrangers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Speranta Dumitru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France est la championne européenne des obligations à quitter le territoire et les vingt mesures annoncées par le gouvernement n’y feront rien.Speranta Dumitru, Maitre de Conférences, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/953892018-04-24T19:10:13Z2018-04-24T19:10:13ZRendre le recrutement responsable ou équitable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216196/original/file-20180424-57598-ape1ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C32%2C1200%2C763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2015, 400 travailleurs sans papiers des Yvelines, recrutés par des agences d'intérim, faisaient valoir leurs droits.</span> <span class="attribution"><span class="source">Miguel Médina/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le recrutement est un acte clef de la gestion des ressources humaines (GRH). Pour le mener au mieux, les responsables des ressources humaines font souvent appel à des consultants spécialisés : cabinets de recrutement ou chasseurs de tête lorsqu’il s’agit de trouver des compétences rares (quitte à débaucher chez un concurrent), agences de main d’œuvre ou services publics tels que Pôle emploi et, pour les cadres, APEC (Association pour l’emploi des cadres).</p>
<p>De nombreuses personnes interagissent au cours du processus de recrutement : candidats, responsables de l’entreprise demandeuse, éventuellement personnel du prestataire choisi pour le recrutement… Les relations entre tous ces intervenants peuvent être complexes, car les enjeux sont très différents pour chacun. Comment mieux protéger les droits et les intérêts des candidats ? La Fédération Syntec et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) proposent des pistes via, respectivement, la <a href="https://syntec-recrutement.org/charte-du-recrutement-responsable/">Charte du « recrutement responsable »</a> et l’initiative <a href="http://www.ilo.org/global/topics/fair-recruitment/lang--fr/index.htm">« recrutement équitable »</a>.</p>
<h2>Expliciter la déontologie liée au recrutement</h2>
<p>Rédigée fin 2017, la <a href="https://syntec-recrutement.org/charte-du-recrutement-responsable-et-cabinets-signataires/">charte de la Fédération Syntec</a> (organisation professionnelle constituée de 1 250 groupes et sociétés françaises spécialises dans les professions de l’ingénierie, des services informatiques, des études et du conseil, de la formation professionnelle) débute ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Le recrutement responsable instaure un partenariat confiant et durable, et une relation équilibrée entre les parties prenantes, candidats, entreprises et cabinets. Il s’inscrit dans un contexte d’ouverture, de transparence et de traçabilité, dans le respect des droits et obligations de chacune des parties. Son but avéré est de garantir aux candidats des pratiques responsables, respectueuses et inscrites dans la tolérance en parfaite cohérence avec les règles définies par le Défenseur des Droits. »</p>
</blockquote>
<p>Elle détaille ensuite vingt recommandations qui précisent les relations souhaitables entre les cabinets de recrutement, leurs clients (les entreprises) et les candidats. On trouve, par exemple, l’obligation de confidentialité, l’interdiction d’exploiter des informations d’ordre privé recueillies sur les réseaux sociaux ou sur le Web (rappel bien utile <a href="https://theconversation.com/il-est-impossible-de-proteger-les-utilisateurs-de-facebook-contre-lexploitation-de-leurs-donnees-93669">par les temps qui courent</a>…) ou encore le fait qu’à l’issue de sa mission, le cabinet de recrutement s’engage à fournir une réponse circonstanciée aux candidats reçus.</p>
<p>Cette charte, qui a déjà recueilli la signature de plus de cinquante cabinets de recrutement, est une combinaison d’obligations légales (par exemple l’interdiction de discrimination ou le fait de n’utiliser que des outils d’évaluation pertinents au regard de la mission poursuivie) et de bonnes pratiques. Elle est utile car elle explicite ce qui découle de la déontologie du recrutement, souvent mal connue des principaux intéressés, les candidats. Cependant, elle ne donne qu’une image partielle du recrutement.</p>
<p>Car celui-ci n’est malheureusement pas toujours éthique. Ainsi, certaines agences de main d’œuvre, que l’on pourrait qualifier d’officine, font venir illégalement des hommes (en majorité) et des femmes de pays à fort taux de chômage, ou de pays frontaliers moins riches que leur voisin. Les scandales liés à ces pratiques font de temps à autre l’objet des scandales, qui mettent sur la place publique l’action néfaste de ces <a href="https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/desautels-le-dimanche/segments/reportage/46538/travailleurs-invisibles-agence-de-placement-droit-du-travail-akli-ait-abdallah">« agences de placement »</a> œuvrant dans de nombreux pays, du <a href="http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/actualites-judiciaires/201710/18/01-5140434-une-agence-de-travailleurs-etrangers-fait-face-a-la-justice.php">Canada</a> à la <a href="https://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/en-malaisie-le-scandale-des-agences-de-placement-au-coeur-du-travail-force_1495454.html">Malaisie</a> en passant par l’<a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/07/06/travailleurs-detaches-un-vaste-systeme-de-fraude-mis-au-jour-dans-le-secteur-agricole_5156920_3244.html">Espagne</a>… Ou la France.</p>
<h2>Qu’en est-il dans l’Hexagone ?</h2>
<p>En France, pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger non européen résidant hors du pays, il existe une demande d’autorisation de travail dont le traitement par le ministère de l’Intérieur permet d’éviter certains abus. Depuis plus d’un an, dans le bâtiment, tout travailleur, qu’il soit détaché ou non, doit détenir une <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/carte-btp-les-entreprises-doivent-se-preparer-sous-peine-de-sanctions_1891543.html">carte BTP</a> qui vise à lutter contre la fraude au détachement de salariés d’entreprises établies hors de France.</p>
<p>Toutefois, malgré ces mesures, on trouve encore des pratiques illégales de recrutement dans le travail saisonnier, notamment agricole, ou dans le BTP et l’hôtellerie-restauration. Parfois, la société française qui embauche passe <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier-metropole/montpellier/2-entreprises-du-btp-sanctionnees-travail-illegal-chantiers-herault-1076691.html">par une agence d’intérim étrangère</a> pour effectuer le recrutement, ce qui complique le contrôle. Par ailleurs, nombre de grandes entreprises françaises sont établies via des filiales dans des pays moins regardants ou moins efficaces que la France en matière de lutte contre le trafic de main d’œuvre.</p>
<p>Pour faire face à cette situation, l’OIT a rédigé récemment ses <a href="http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---migrant/documents/publication/wcms_568730.pdf">« principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable »</a>. Ce texte concerne potentiellement tous les migrants internationaux, soit 244 millions de personnes <a href="https://news.un.org/fr/story/2016/01/327102-il-y-244-millions-de-migrants-internationaux-dans-le-monde-selon-lonu">selon les statistiques des Nations-Unies</a>. Il s’appuie sur plusieurs sources, la principale étant constituée par les normes internationales du travail et les instruments connexes de l’OIT.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/omPloHkybZA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guide du recrutement équitable des travailleurs migrants par l’OIT (en anglais).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Ne pas confondre responsable et équitable</h2>
<p>Si, dans d’autres domaines, les termes « responsable » et « équitable » ont tendance à se rejoindre, ce n’est pas le cas dans le recrutement. En effet, l’appellation « recrutement responsable » décrit surtout le recrutement national, tandis que les règles proposées par l’OIT pour le « recrutement équitable » concernent avant tout le recrutement, pour des pays riches, de personnes peu qualifiées en provenance de pays pauvres. Ce flux de travailleurs ne se fait pas uniquement selon un axe sud-nord : les pays pétroliers du Golfe sont parmi les plus concernés.</p>
<p>L’OIT place la condamnation du <a href="http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dumping/26973"><em>dumping</em> social</a> parmi les premiers de <a href="http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---migrant/documents/genericdocument/wcms_536264.pdf">ses principes généraux</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le recrutement devrait être utilisé pour répondre aux besoins avérés du marché du travail et non pour déplacer ou réduire les effectifs existants, tirer vers le bas les normes du travail, les salaires ou les conditions de travail. » (principe n°2)</p>
</blockquote>
<p>Si ce premier principe s’adresse essentiellement aux entreprises, les autres concernent les intermédiaires qui agissent souvent en dehors du cadre légal et réglementaire, prenant pour proie les travailleurs peu qualifiés. Parmi les abus recensés figurent la fraude quant à la nature et aux conditions de travail, la confiscation des passeports, les retenues illégales sur salaires ou encore la servitude pour dette liée au remboursement des frais de recrutement ainsi que les menaces associées à la crainte d’être expulsé du pays, si les travailleurs veulent quitter leur employeur.</p>
<p>La définition du recrutement équitable comporte également l’interdiction de facturer aux demandeurs d’emploi des frais liés au recrutement. Est également mentionnée l’obligation de rédiger le contrat « dans une langue que le travailleur comprend », et de le lui remettre suffisamment longtemps avant qu’il ne quitte son pays d’origine. De même « la liberté des travailleurs de se déplacer dans le pays ou de le quitter devrait être respectée » (principe n°11) et une procédure de réclamation devrait être mise en place (principe n°13).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8XOkOktImJ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’OIT milite pour rendre le recrutement équitable pour tous.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le recrutement équitable et la loi française, même combat ?</h2>
<p>Le « recrutement équitable » édicté par l’OIT est important pour les entreprises françaises qui sont soumises au très récent « devoir de vigilance » mis en place par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte">loi n° 2017-399 du 27 mars 2017</a>. Les préconisations de l’OIT concernent en effet plusieurs dispositifs imposés par le législateur.</p>
<p>Dans certains pays, le recours à des officines, formelles ou informelles, pour faire venir des travailleurs migrants dans les filiales ou chez les fournisseurs et sous-traitants est une pratique répandue. Celle-ci constitue un risque pour les entreprises françaises, au regard de ce « devoir de vigilance ». Elles doivent désormais faire preuve d’une diligence raisonnable pour évaluer ledit risque, et mettre en place des actions visant à prévenir les atteintes graves. Elles doivent également prévoir un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs aux éventuels cas de recrutement qui violeraient les droits des recrutés.</p>
<p>Dans ce contexte, le processus de recrutement est donc amené à faire l’objet de nouvelles investigations. Au-delà de la conformité à la loi, il faudra désormais être prévoir des audits réguliers, destinés à estimer sa conformité aux exigences du recrutement responsable et équitable. Ces nouveaux dispositifs devraient permettre de garantir enfin les droits des candidats et des nouveaux embauchés, quelles que soient leurs origines et quels que soient les postes auxquels ils aspirent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95389/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Igalens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment s’assurer du respect des droits et intérêts des candidats lors de leur recrutement ? Retour sur les pistes proposées par la Fédération Syntec et l’Organisation Internationale du Travail.Jacques Igalens, Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 CapitoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/876372017-11-30T21:08:56Z2017-11-30T21:08:56ZL’expulsion des étrangers, une procédure ajustable pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/196526/original/file-20171127-2066-xwajlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Carte postale ancienne : « Etablissements penitentiaires de Fresnes. Arrivée d'une voiture cellulaire. Une surveillante. »</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cpa-bastille91.com/carte-postale-ancienne-etablissement-penitentiaires-de-fresnes-en-1898/">cpa-bastille91.com</a></span></figcaption></figure><p>Le 15 octobre 2017, le président de la République française Emmanuel Macron affirmait en direct sur la chaîne de télévision TF1 : </p>
<blockquote>
<p>« Toutes celles et ceux qui, étant étrangers en situation irrégulière, commettent un acte délictueux quel qu’il soit, seront expulsés. » </p>
</blockquote>
<p>Le défaut de papiers justifiant d’un droit à séjourner en France constituant en soi un délit, le <a href="https://www.marianne.net/politique/non-emmanuel-macron-ne-propose-pas-la-double-peine-contre-les-delinquants-etrangers">propos d’Emmanuel Macron</a> revenait à dire que tout étranger en situation irrégulière devrait être expulsé du territoire français.</p>
<p>Ce dernier négligeait cependant de rappeler que, selon les textes en vigueur, l’expulsion peut également s’appliquer à un étranger muni d’un titre de séjour régulier, bien qu’il puisse bénéficier, dans certains cas, d’une « protection relative », pour reprendre le vocable officiel. L’administration se réserve donc le droit d’expulser les non-nationaux, qu’ils disposent ou non d’un titre de séjour.</p>
<p>Cela a-t-il toujours été le cas ? N’est-ce pas parce que les modalités d’application de la procédure d’expulsion demeurent floues qu’elle constitue, pour le pouvoir politique, un outil de gestion des flux migratoires facilement ajustable ?</p>
<h2>Droit de l’État</h2>
<p>L’expulsion est le droit souverain d’un État à conduire hors de ses frontières un individu pouvant constituer une menace pour la sécurité publique. Dans la majorité des cas, elle sanctionne, à l’issue de leur peine, les étrangers non-résidents condamnés pour un délit ou un crime commis lors de leur séjour. Cependant, en France, l’expulsion n’est pas une peine judiciaire décidée par un tribunal mais une mesure de haute police, une décision discrétionnaire à la charge de l’administration.</p>
<p>Ce droit de l’État a été fixé par l’article 7 de la loi du 28 vendémiaire an VI du calendrier républicain, soit le 17 octobre 1797. La loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France a réformé la procédure en introduisant, notamment, une peine d’emprisonnement d’un à six mois pour l’étranger en cas de non-respect de la décision d’expulsion. L’expulsion diffère de fait de l’extradition, régie par des conventions bilatérales, procédure qui résulte d’une demande formulée par un État étranger devant prouver que l’individu concerné a bien commis un crime grave de droit commun sur son territoire.</p>
<p><a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F11891">Les textes législatifs</a> n’ont guère changé, dans leurs grandes lignes, depuis le XIX<sup>e</sup> siècle. C’est surtout dans ses modalités d’application que la procédure d’expulsion a évolué. Un retour historique sur les pratiques d’expulsion au XIX<sup>e</sup> siècle permet d’y voir plus clair sur celle-ci. L’étude des procédures d’expulsion au XIX<sup>e</sup> siècle nous renseigne sur les usages ambigus de l’État et les pratiques tâtonnantes d’une administration lorsqu’elle détient un pouvoir qui peut être calibré selon le contexte politique et économique. L’absence d’un droit clairement établi pour les populations visées, ici les étrangers, est d’autant plus préjudiciable que la procédure concerne une population minoritaire et « fragile ». Au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, des centaines d’expulsés étaient chaque mois expulsés hors des frontières, et les chiffres ne firent qu’augmenter.</p>
<h2>Expulsés par milliers au XIX<sup>e</sup> siècle</h2>
<p>Les historiens peinent à quantifier le phénomène de l’expulsion. Avant 1849, le ministère de l’Intérieur devait valider les arrêtés d’expulsion, si bien que beaucoup de préfets prononçaient des mesures d’éloignement sans respecter la procédure, trop longue, trop complexe. Après 1849, les préfectures des départements frontaliers pouvaient prononcer directement les expulsions d’étrangers.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/196527/original/file-20171127-2089-19046u0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Arrêté d’expulsion pris contre Georges Fialo en 1806.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives départementales du Bas Rhin, 3M568</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur ne tenait pas une statistique régulière et relativement « transparente » des expulsions. Dès 1858, sous le Second Empire, le département de la Sûreté générale publia mensuellement les états signalétiques des étrangers expulsés. Bien qu’éditée sous forme de registre et transmise aux différents services de sûreté départementaux, la localisation de ces volumes reste difficile et les séries identifiées dans les centres d’archives sont incomplètes. En outre, lorsque l’on compare les chiffres globaux à ceux que l’on retrouve à l’échelle des départements, il y a des écarts considérables, les étrangers expulsés ne sont pas tous reportés sur les états signalétiques. Le flou, toujours le flou, autour de cette procédure.</p>
<p>À défaut d’avoir une statistique fiable au niveau national, il est néanmoins possible de quantifier le phénomène à partir des dossiers individuels d’expulsions conservés par les fonds d’archives départementaux. La base de données <a href="https://asileurope.huma-num.fr/base-de-donnees-expulses-presentation">ExpulsionsXIX</a> mise en ligne par le programme de recherche AsileuropeXIX, constituée à partir de la consultation de plusieurs milliers de dossiers d’expulsion entre 1830 et 1870, révèle le rythme déjà soutenu des expulsions. Pour le seul département du Bas-Rhin, on peut évaluer à environ 2 000 le nombre d’étrangers expulsés entre 1840 et 1870. Derrière ce chiffre se cache une grande diversité de profils. Hommes et femmes de tous âges, souvent célibataires, ouvriers ou domestiques pour la plupart. Les expulsés n’étaient pas, loin s’en faut, des criminels. Ils étaient majoritairement condamnés à des peines courtes, parfois un mois, souvent quelques jours, pour des délits mineurs : vagabondage, vols domestiques, prostitution ou encore tapage nocturne.</p>
<h2>Avec ou sans papiers</h2>
<p>L’expulsion ne se limite et ne s’est jamais limitée aux étrangers démunis de titres de séjour. Au XIX<sup>e</sup> siècle, le vagabondage constituait un délit, passible de peine de prison et d’une surveillance de haute police pouvant aller jusqu’à cinq ans. Si les frontières étaient plus perméables et les outils de contrôle moins perfectionnés qu’aujourd’hui, les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire national étaient toutefois réglementées. Visas de travail tamponnés sur les livrets ouvriers, passeports remis par la légation à l’étranger du pays d’accueil, sauf-conduit remis par l’administration française pour traverser le pays, etc., toute une gamme de documents rendait légale la présence d’un étranger en France. Tout individu sans possession de ces « papiers réguliers » était susceptible d’être expulsé.</p>
<p>Mais l’expulsion concernait également une panoplie d’individus en situation régulière : admis à domicile, réfugiés politiques, ouvriers disposant de contrat de travail longue durée, etc.</p>
<p>Il n’existait pas à l’époque de centres de rétention destinés à accueillir temporairement les étrangers en situation irrégulière. Les étrangers « en transit », autrement dit expulsables, étaient détenus dans les maisons centrales, les prisons départementales et les dépôts de sûreté. Ils étaient ensuite remis aux brigades de police ou de gendarmerie pour être reconduits à la frontière, à pied, à cheval, ou encore dans les <a href="http://www.attelage-patrimoine.com/article-29296444.html">voitures cellulaires</a>, carrosses puis wagons aménagés pour le transport des prisonniers après l’apparition du chemin de fer. </p>
<p>Les forces de l’ordre suivaient des circuits précis pour rejoindre les points de passage frontaliers selon le pays vers lequel l’étranger était expulsé. Comme le montre l’historien Arnaud-Dominique Houte, les missions d’escorte des forces de l’ordre faisaient « figure de corvée » et « compliquaient l’organisation du travail » des fonctionnaires. Parce qu’elle mobilisait un nombre important de fonctionnaires, l’expulsion représentait un coût financier non négligeable pour le ministère de l’Intérieur qui insistait pour que les expulsables regagnent librement la frontière.</p>
<h2>Récidives</h2>
<p>Face à la dureté de la décision d’expulsion qui ne prenait pas plus en compte qu’aujourd’hui la diversité des parcours et des situations des migrants, le retour en France malgré l’interdiction de séjour était monnaie courante. Les étrangers expulsés qui reviennent en France sans autorisation représentent 10 % des expulsés par la préfecture du Bas-Rhin entre 1840 et 1870. Certains d’entre eux retraversaient la frontière pour des raisons professionnelles, mais aussi familiales. Le développement de l’industrie textile et de la sidérurgie nécessitait alors un besoin de main-d’œuvre croissant. Les passages transfrontaliers étaient fréquents pour des milliers d’ouvriers et d’ouvrières belges, allemands, espagnols ou encore italiens cherchant du travail en France. Lorsqu’ils étaient démunis de livrets ouvriers, ils étaient automatiquement considérés comme vagabonds et donc susceptibles d’être expulsés.</p>
<p>Pour rendre efficaces les décisions d’expulsion, l’administration s’employait à réprimer plus durement le retour des expulsés, multipliant les contrôles dans les zones frontières. Les « récidivistes » étaient condamnés pour « rupture de ban », puis incarcérés et reconduits à la frontière. Parmi ceux contre lesquels furent promulgués au moins deux arrêtés d’expulsion, on retrouve une proportion importante de femmes. <a href="https://asileurope.huma-num.fr/cartotheque/les-chemins-de-lexpulsion-au-xixe-siecle-departement-du-bas-rhin">Dans le département du Bas-Rhin</a>, ces dernières représentaient alors plus du quart des étrangers expulsés et plus du tiers des « récidivistes ». La population féminine était d’autant plus exposée à la surveillance policière qu’elle constituait un groupe fragilisé par sa position sociale et ses conditions de travail difficiles. Le cas de Marguerite Fild, native de Weinheim (Grand-Duché de Bade), est à ce titre exemplaire. Venue en France chaque année pour s’embaucher comme journalière agricole, elle fut expulsée à huit reprises entre 1860 et 1868, condamnée à chaque fois pour vagabondage et « infraction à un arrêté d’expulsion ».</p>
<p>Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, l’expulsion demeure la procédure la plus couramment utilisée par l’administration pour repousser hors des frontières <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00826717/document">des étrangers jugés « indésirables »</a>. C’est cette « catégorie d’action » que sont les « indésirables » qui a permis à l’État d’adapter sans cesse sa politique migratoire au contexte politique, économique, social. Elle fait de ce pouvoir discrétionnaire qu’est le droit d’expulser, une procédure ajustable dont les usages se trouvent être bien souvent en contradiction profonde avec les valeurs républicaines et humanistes défendues par notre pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Vermeren ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>N’est-ce pas parce que les modalités d’application de la procédure d’expulsion demeurent floues qu’elle constitue un outil de gestion des flux migratoires facilement ajustable ?Hugo Vermeren, Docteur en histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/799452017-06-27T18:13:48Z2017-06-27T18:13:48ZRéfugiés : en finir avec la marche forcée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/175816/original/file-20170627-24776-15ulshs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresque murale rue Ordener.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/34740169605/in/photolist-pkTpj2-UVSs6t-S8WKsG-9RnYbM-pwcira-9RqRzm-nKp8Hv-ndPs72-nx3A4B-nuYW7a-ndMjjq-ndMtkE-nvgCKX-nvgEwT-ndM56T-ndM8Dp-ndLVeM-gebisF-nvgZia-ndM1F6-9RqQLd">Jeanne Menjoulet / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Barrières Croix Saint André.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Vous ne pouvez pas rester là. » Parole de policier, carabine à la main. « Là », c’est une barrière type Croix-de-Saint-André, place de La Chapelle. On a condamné l’enlèvement abrupt de bancs publics dans ce quartier où se concentrent actuellement des gens pris dans les pièges de la migration contemporaine.</p>
<p>On ne savait pas encore qu’on allait très vite regretter les Saint-André, de <a href="http://bit.ly/2tRkQ93">moins en moins nombreux aussi</a> : car on peut s’asseoir dessus, périlleusement c’est vrai, mais mieux que sur les « potelets » à tête ronde dont on ne sait pas quoi faire, <a href="http://bit.ly/2tg92zx">sauf les maquiller de drôles de visages</a> pour qu’ils se fondent dans les mœurs d’une ville qui se veut hybride, smart, fluide… emblématique d’un XXI<sup>e</sup> siècle décomplexé.</p>
<h2>Une cour de prison à l’air libre ?</h2>
<p>Ils ne peuvent pas rester là. Donc ils circulent. Les rues du nord-est parisien, et plus particulièrement les quartiers limitrophes du centre dit « humanitaire » à Porte de La Chapelle, connaissent une nouvelle forme de marche, incessante, circulaire, un peu traînante. Pas si nouvelle, peut-être. On la pratique dans la cour de « promenade » des prisons, et dans les hôpitaux psychiatriques aussi. Insolite toutefois dans l’espace public des rues parisiennes. Autant dire qu’on fait actuellement de ce quartier une prison à l’air libre.</p>
<p>Cette situation correspond à ce que le philosophe Michel Foucault disait du système pénitencier, à savoir qu’il tire sa légitimité autant de son succès que de son échec à réduire la violence. On est face aujourd’hui à une même dynamique où le dysfonctionnement des structures d’accueil des demandeurs d’asile cautionne les pratiques unilatérales des pouvoirs publics.</p>
<p>Plus ça tourne mal, et plus une démarche autoritaire gagne en légitimité. Sauf à reconnaître cette distorsion pour ce qu’elle est, et, derrière elle, la désolante réalité que la posture d’un État protecteur, et d’une Ville refuge, fabrique l’illégalité qui voue certains à une ronde lassante et sans sortie, et d’autres à côtoyer les effets intolérables du mur de la citoyenneté européenne contre lequel tant de personnes se heurtent et se détruisent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Porte de la Chapelle, mai 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anna-Louise Milne</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une collection de systèmes d’exceptions</h2>
<p>La perspective d’un système plus directif, actuellement prôné, selon lequel on répartit les demandeurs d’asile en France, voire en Europe en fonction de quotas, peut sembler une manière de sortir de cet engrenage. Une solution de ce genre a fait couler beaucoup d’encre après 1933 et jusqu’en 1940, surtout à la Société des Nations où la notion de « burden sharing » (répartition du fardeau) a été longuement débattue.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2tghS0k">Mais rien de tel n’a été fait.</a> On n’a pas trouvé mieux que de glisser inexorablement vers des situations d’exception de plus en plus pénalisantes : perte de droit au travail, obligation de se faire enregistrer, camps…</p>
<p>Fera-t-on mieux aujourd’hui ? Deux tendances se dessinent, et on pourrait croire qu’il s’agit là d’une vraie alternative. Mais à l’heure où les déportations en direction d’Afghanistan, inconnues en France depuis 2009, recommencent, il s’agit de voir qu’entre l’<a href="http://lemde.fr/2ryoEKN">approche « humaine et digne »</a> que la Maire de Paris appelle de ses vœux et celle du ministre de l’Intérieur qui préconise « une <a href="http://lemde.fr/2tIES4N">meilleure utilisation des centres de rétention</a> », on a affaire à deux faces d’une même politique qui ne veut prendre la mesure ni des besoins ni des possibilités. Et dont les conséquences – voire les objectifs – sont de rendre aussi invisibles et précaires que possible des gens qui ne connaissent le monde, trop souvent, que sous un jour affreusement inhospitalier.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Porte de la Chapelle, mai 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anna-Louise Milne</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Efficacité » et fabrique de la clandestinité</h2>
<p>La recherche de l’efficacité n’est pas la même chose que de faire preuve d’hospitalité. Et quelle que soit sa forme – répartir le « problème », accélérer les processus, imposer des quotas – risque fort, comme le fiasco de « la bulle » à Porte de La Chapelle nous le montre, d’entraîner des modalités toujours plus restrictives pour demander l’asile. Ces restrictions auront pour effet de produire de plus en plus de clandestinité dans et aux marges de l’Europe. C’est-à-dire de plus en plus de personnes qui sont prisonnières de leur propre mobilité.</p>
<p>Une grande partie des jeunes qui passent la journée de perche en perche dans les quartiers où ils trouvent un minimum de soutien et d’amitié pour remplir les longues heures d’inactivité imposée, sont sur la voie d’une vie sans papiers, invisibles à l’égard de l’administration.</p>
<p>S’ils ne sont pas encore déboutés de l’asile, ils sont sous la <a href="http://bit.ly/2ucVhP6">procédure de Dublin III</a>, suspendus à des décisions de reconduite dans un autre pays européen. Quitteront-ils pour autant la France ? Peut-être, pendant un temps, parfois dans certains cas à la fin d’un long et coûteux processus administratif et policier, avant d’être débarqué de l’avion à la dernière minute soutenu par des gens partant en vacances qui ignoraient peut-être tout des déportations jusque-là, comme c’est <a href="http://bit.ly/2rXsxZI">arrivé le 23 juin à Roissy-Charles de Gaulle</a>.</p>
<p>Mais sauf à nouer des rapports d’amitié, à tisser des liens d’être humain à être humain, on ne le saura jamais. Par définition. Dans sa réponse à un collectif de soutiens aux exilé(e)s, l’ancien ministère de l’Intérieur et l’ex-Maire du XVIII<sup>e</sup> arrondissement de Paris, Daniel Vaillant, le reconnaît implicitement : « les clandestins illégaux ou sans démarche n’ont pas à rester sur le territoire national ». C’est ce que les rhétoriciens appellent une litote.</p>
<h2>Les réfugiés et les « autres »…</h2>
<p>La fabrique de la clandestinité, face cachée de la politique de l’asile depuis longtemps, a deux conséquences majeures mais parfois sous-estimées. L’une est une confusion déconcertante dans les catégories telles qu’on les entend souvent et de manière très flagrante récemment dans la polémique sur le « trop-plein » d’hommes autour du carrefour La Chapelle : il y aurait, d’un côté, les demandeurs d’asile, et de l’autre, les petits trafiquants, ou vendeurs à la sauvette, selon le terme qu’on décide d’employer.</p>
<p>Le problème, <a href="http://www.lepoint.fr/societe/elisabeth-badinter-allez-mettre-une-jupe-dans-certains-quartiers-01-06-2017-2131907_23.php">ce sont les autres, pas les réfugiés</a>, dit Élisabeth Badinter dans son cri de cœur contre « l’impossibilité » de porter une jupe dans certains quartiers… Or quelle que soit sa condition d’« autre », et même en costume cravate, un homme ou une femme vivant dans l’illégalité est vulnérable. Et le discours humanitaire sur la situation des réfugiés, dont Emmanuel Macron et Anne Hidalgo se font les défenseurs, n’est qu’une face d’une politique qui génère de plus en plus d’exclusion.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Migrants – #BACKTOTHESTREET – Louis Blanc, Paris 10ᵉ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/32907736120/in/photolist-pkTpj2-UVSs6t-S8WKsG-9RnYbM-pwcira-9RqRzm-nKp8Hv-ndPs72-nx3A4B-nuYW7a-ndMjjq-ndMtkE-nvgCKX-nvgEwT-ndM56T-ndM8Dp-ndLVeM-gebisF-nvgZia-ndM1F6-9RqQLd">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Nouvelle solidarité citoyenne dans un monde mobile</h2>
<p>L’autre conséquence doit nous galvaniser là où la première peut-être nous désarçonne. Elle est, en tout cas, pleinement à l’œuvre dans les actions de solidarité et d’activisme au niveau des quartiers. Car cette solidarité dépasse de loin les distinctions qui font de certain(e)s des cas jugés légitimes et d’autres des personnes d’intention douteuse, voire nuisible.</p>
<p>L’action associative agit non pas en fonction d’un droit abstrait mais selon des expériences de partage de l’espace. La question posée et résolue tous les jours n’est pas celle de la légitimité mais celle de la possibilité, et c’est par ce biais-là que doit se bâtir une nouvelle conception de la citoyenneté.</p>
<p>On ne dira jamais assez sans doute l’étendue des possibilités trouvées et inventées pour pallier les carences de l’État. Mais l’enjeu demeure, pour tous ceux qui veulent vivre dans une société d’accueil et d’ouverture, de faire des échecs des pouvoirs publics, non pas des pompes d’extraction de l’énergie de la société civile, mais les nouveaux espaces où vont se définir les formes d’inclusion de l’avenir. Il s’agit de construire la citoyenneté au XXI<sup>e</sup> siècle à l’horizon d’un monde mobile et non pas dans <a href="http://bit.ly/2tS2lk4">« le cadre »</a>, pour employer le mot fétiche du nouveau Président, d’une Europe fermée sur elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/79945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna-Louise Milne receives funding from The British Academy and is a member of Quartiers Solidaires, a non-for-profit organisation based in the La Chapelle area of Paris.</span></em></p>Retour dans le quartier de La Chapelle à la lumière des projets évoqués par le ministre de l’Intérieur.Anna-Louise Milne, Director of Graduate Studies and Research, University of London Institute in ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/782342017-05-24T12:33:11Z2017-05-24T12:33:11ZQuartier La Chapelle–Pajol : quand un carrefour devient une impasse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/170640/original/file-20170523-5743-8cpcnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quartier La Chapelle / Pajol (vue satellite)</span> <span class="attribution"><span class="source">Google Maps/Google Earth </span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Quand un mur se dresse devant soi, on essaie de le contourner. Quand un homme impose sa loi et qu'on sait n'avoir rien à gagner à la confrontation, on essaie de l’éviter. Le sort des personnes vulnérables, femmes et hommes, dépend d’une capacité à passer par les interstices, à trouver de l’air, à frayer un autre chemin, encore libre, où on peut passer.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170641/original/file-20170523-5777-6s53ph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Chapelle métro ligne 2.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Passer, depuis des mois, au <a href="http://bit.ly/2rAmTwR">carrefour La Chapelle–Pajol</a>, est devenu un parcours de combattant et de combattante. Les obstacles – grilles, squares fermés, présence policière, étals de vêtements et de chaussures, regroupements de dealers et de jeunes revendeurs de cigarettes, déchets, beaucoup de déchets – se sont multipliés dans un périmètre très limité. Pas plus qu’un îlot, à vrai dire, ou un pâté de maisons, accroché à une station de métro dont l’état actuel laisse pantois dans tous les sens du terme. On avance une centaine de mètres plus loin, et on retrouve les espaces décontractés emblématiques de l’urbanité de ce début de siècle, où on crée, on consomme et on circule sans se soucier des distinctions.</p>
<h2>Un îlot, une porte étroite</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VZj0r7wimKU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage France Info (21/05/17, 7h32)</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais on aurait tort de minimiser les enjeux de cet îlot, de s’en détourner comme les pouvoirs publics l’ont trop longtemps fait en réduisant les espaces de vie publique qui n’a pour conséquence que d’intensifier les difficultés. Car cet îlot concentre les défis qui sont les nôtres, à nous tous, jeunes fuyant l’oppression et la misère, et moins jeunes décidés à ne rien lâcher sur nos luttes, que ce soit pour vivre à sa manière dans un quartier fait de toutes les cultures, pour élever ses enfants dans un monde qui bouge, pour travailler là où on trouve des opportunités.</p>
<p>Loin de déclarer ce quartier une « zone de non-droit » comme la Présidente du Conseil régional, Valérie Pécresse, l’a clamé haut et fort le <a href="http://bit.ly/2rN2mp5">temps d’une visite éclair</a> dans un hall d’un immeuble, il faut aborder cet îlot comme un laboratoire où il s’agit de trouver des solutions innovantes à la hauteur de tous.</p>
<p>Où il faut faire valoir les acquis engrangés depuis années, voire des décennies, dans ce nord et nord-est parisien, pour briser la ronde de débordement et de répression, d’impasse et d’enfermement, d’incompréhension et de surdité.</p>
<p>Tout le monde essaie de passer ici, chacun et chacune par sa porte étroite : qui en se risquant sur la chaussée derrière le kiosque à journaux pour éviter une rangée de jeunes mecs, qui en mettant sa vie entre les mains d’un passeur, qui en s’appuyant sur la souffrance sociale pour se donner un tremplin électoral. Pour changer de dynamique, il faut rattacher cette localité et sa misère actuelle à des processus nationaux et transnationaux. Si on ne voit les obstacles que par le petit bout de la lorgnette, chacun rivé à sa propre étroitesse quand le monde n’a jamais été aussi large, on fera basculer ce XXI<sup>e</sup> siècle dans les pires écueils de son prédécesseur.</p>
<h2>Des situations complexes</h2>
<p>Pour rattacher cette crise subie de manière si aiguë au carrefour de la Chapelle, à des moteurs de véritable changement, prenons alors la mesure de la complexité des situations. Il n’y a pas de grille de lecture simple pour un carrefour où se heurtent des trajectoires si variées, et des vitesses si contrastées.</p>
<p>L’enjeu est de construire des pratiques de partage de l’espace entre et avec tous ceux qui s’y trouvent, y compris ceux, souvent très jeunes, qui sont totalement désorientés et dépourvus d’informations, et ceux également très jeunes la plupart du temps, agissant selon des impératifs de trafiquants dont on mesure difficilement les retombées – et eux aussi, sans doute. Cela pose des questions de langue, de modes de contact, de types d’espaces et d’initiatives qu’on peut imaginer et mettre en œuvre.</p>
<p>Cela nécessite réciprocité et capacité à se décentrer, à envisager ce carrefour de tous les points de vue, en se plaçant autant que possible dans toutes les perspectives qui convergent dans ce point d’articulation de notre contemporanéité.</p>
<h2>Une absence chronique d’informations</h2>
<p>Le rapport publié par le <a href="http://bit.ly/2kyCUQl">Refugee Rights Data Project</a> sur la vie des personnes « en errance » depuis novembre dernier dans ce quartier fait état d’une « absence chronique » d’informations sur les procédures d’asile en France et de la confusion qui règne dans la rue. Cette absence se confirme tous les jours par la présence de personnes seules, parfois dans la rue à Paris depuis des mois et à l’affût de la moindre indication sur comment se débrouiller pour sortir de son piège.</p>
<p>Mais il va sans dire que d’autres informations sont bien à l’œuvre ici, celles qui font qu’acheteurs et demandeurs et vendeurs, venus de loin et de très près, savent qu’ils trouveront ici ce qu’ils cherchent : un deal, un frère, une information, un soutien.</p>
<p>Les expériences, les langues, les ressources qui s’accumulent de façon si dense dans ce petit périmètre sont multiples, parfois contradictoires. Et elles sont très souvent – en ce qui concerne les pouvoirs publics – occultées par un discours monolithique et relativement peu réactif, axé sur « la crise migratoire ». Cela conduit à tenter d’agir en imposant une seule version des faits et une seule réponse, celle qui passe par la politique des centres d’accueil. Or, ceux-ci sont aujourd’hui <a href="http://bit.ly/2qT3pE2">saturés et mal-adaptés</a> à beaucoup de situations, dont notamment celle des <a href="http://bit.ly/2rxbAbX">« Dubliné(e)s »</a> et de ceux qui sont en transit vers d’autres pays.</p>
<h2>S’efforcer de communiquer et de comprendre</h2>
<p>La nécessité de cette politique menée par l’actuelle Maire de Paris et son équipe, et les difficultés de sa mise en œuvre, ont été largement reconnues, et la crise à la Chapelle y est directement liée, bien évidemment. Il s’agit alors aujourd’hui, non pas de dénoncer ce qui est devenu un élément, majeur sans doute mais parmi tant d’autres, dans un fiasco social et politique, mais de trouver des leviers pour le dépasser.</p>
<p>Ceux-ci n’auront pas de prise sans la communication qu’il faut pour entendre et comprendre l’ensemble des expériences qui se croisent à ce carrefour. Faute de cet effort de communication et de compréhension, et des moyens qu’il faut pour l’instaurer, ces expériences resteront étanches, rivales, inquiétantes, et les personnes qui en sont les sujets seront réduites à des corps-obstacles qu’on aimerait balayer pour faciliter son passage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/78234/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna-Louise Milne est membre de Quartiers Solidaires, une association du quartier La Chapelle qui effectue des distributions de petits déjeuners quotidiennement dans la rue. </span></em></p>Réflexion sur les problèmes concentrés autour de l’îlot La Chapelle–Pajol dans le XVIIIᵉ arrondissement de Paris. Par une enseignante-chercheuse vivant dans ce quartier.Anna-Louise Milne, Director of Graduate Studies and Research, University of London Institute in ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/466332015-09-22T04:36:03Z2015-09-22T04:36:03ZÀ Calais, un fiasco très politique<p>Alors qu’une vague de solidarité avec les migrants, dénonçant les conséquences tragiques du renforcement des frontières de l’Union européenne, se fait entendre à travers l’Europe, les migrants de Calais s’organisent à nouveau. Au cours des deux premières semaines de septembre, au moins huit <a href="http://www.dailymotion.com/video/x35curg">manifestations</a> regroupant migrants et militants ont eu lieu sur place. Les manifestants réclament des conditions de vie décentes et la possibilité pour ceux qui le souhaitent de continuer leur voyage vers l’Angleterre.</p>
<p>Ces manifestations ont lieu à peine deux mois après que la situation à Calais a été de nouveau au centre de l’attention médiatique : <a href="http://www.francetvinfo.fr/france/nord-pas-de-calais/migrants-a-calais/calais-de-nombreux-migrants-tentent-de-passer-en-angleterre_978611.html">fin juillet 2015</a>, des milliers de migrants ont tenté de passer en Angleterre en empruntant l’Eurotunnel. Depuis juin dernier, plus d’une dizaine de personnes aurait trouvé la mort lors de ces tentatives.</p>
<p>Les efforts déployés par les migrants pour franchir les barrières de l’Eurotunnel ne résultent pas uniquement d’une hausse temporaire du nombre de réfugiés arrivant en Europe depuis les zones de guerre. Ils ont surtout été provoqués par une série de décisions politiques de la part des gouvernements français successifs (de gauche comme de droite), dont le but était de rendre les migrants de Calais et ses alentours de plus en plus vulnérables.</p>
<h2>Ni eau ni électricité</h2>
<p>En avril 2015, les autorités locales ont déplacé des milliers de sans-papiers qui vivaient dans différents squats de Calais vers un site unique appelé la <a href="http://www.lejdd.fr/Societe/Camp-de-migrants-une-new-jungle-s-installe-a-Calais-736422">« Nouvelle Jungle »</a>. Le site se situe à 7 kilomètres de la ville elle-même, sur une ancienne décharge. Les migrants n’y ont accès ni à l’eau ni à l’électricité.</p>
<p>Déplacer les migrants de Calais vers ce bidonville a été présenté comme une réponse de l’Etat français suite à plusieurs échauffourées entre groupes au cours des mois précédents. Avec environ 3000 personnes vivant dans des squats aux conditions insalubres, des tensions commençaient à se faire sentir.</p>
<p>Or, loin d’être une réponse ou une solution, la création du bidonville de la « Nouvelle Jungle » par les autorités françaises est un exemple supplémentaire de l’attitude purement réactive et répressive qui caractérise la gestion des immigrés à Calais depuis la fin des années 1990. Il s’agit là d’une stratégie dont les objectifs sont doubles : éloigner les migrants des rues de Calais et briser les efforts de solidarité dont font montre les citoyens.</p>
<h2>Des Kosovars aux Erythréens</h2>
<p>La présence de migrants sans-papiers attendant de pouvoir traverser la Manche est attestée à Calais depuis 1986. Leur nombre et leur origine ont évolué au gré de la situation géopolitique en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Les Kosovars du début des années quatre-vingt-dix ont été remplacés par des Somaliens, des Afghans, des Soudanais, des Iraniens, des Irakiens et des Erythréens.</p>
<p>Après une décennie de politique de laissez-faire, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Lionel Jospin, développe une stratégie de mise à l’écart et d’invisibilisation des migrants en ouvrant le <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article648">centre de rétention de Sangatte</a> en 1999. Situé à 9 km de Calais, il est installé dans un ancien entrepôt utilisé lors du creusement du tunnel sous la Manche.</p>
<p>Le nombre de personnes hébergées dans le centre fluctue entre 800 et 1400. Lorsque Sangatte est fermé en 2002 par le <a href="http://www.ina.fr/video/2105762001017">ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy</a>, les migrants sont dispersés dans toute la région. Des camps informels sont alors signalés près des routes menant aux zones portuaires de Calais, ainsi qu’à Cherbourg, Grande Synthe, Norrent Fontes, Angres et Steenvoorde. Alors que les conditions sanitaires des populations migrantes se détériorent, le harcèlement policier lui ne cesse de croître.</p>
<p>Les gouvernements successifs ne procèdent à aucune autre intervention jusqu’en 2009, lorsqu’Eric Besson, Ministre de l’immigration et de l’Identité nationale dans le gouvernement du Premier ministre François Fillon, et Nicolas Sarkozy, devenu Président, ordonne l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=85SZebBzKcM">évacuation</a> de ce que ce dernier désigne comme « jungle » – les camps éparpillés autour de Calais.</p>
<p>Cette opération réussit à démonter temporairement les réseaux associatifs et informels de soutien et les migrants se trouvent davantage éloignés de la ville. Un nouveau camp voit le jour à Calais, derrière une usine de la société chimique <a href="http://www.liberation.fr/societe/2015/04/02/a-calais-une-jungle-d-etat-pour-les-migrants_1234044">Tixoide</a>. Plusieurs centaines de personnes y sont hébergées. D’autres se forment sur la plage et dans des squats de Calais. Ce sont tous ces groupes qui ont été de nouveau évacués en avril, et déplacés vers la « Nouvelle Jungle ».</p>
<h2>Des réseaux de soutien pris pour cible</h2>
<p>Les politiques gouvernementales ne ciblent pas seulement les populations migrantes mais aussi leurs réseaux de solidarité. Depuis les années 1990, le nombre d’organisations et de personnes leur apportant de l’aide en distribuant de la nourriture et des produits de première nécessité, en proposant un logement ou bien, tout simplement, en permettant de passer un appel téléphonique, ne cesse de croître. L’<a href="http://www.laubergedesmigrants.fr/">Auberge des Migrants</a> a ainsi été créé en 2008 pour fournir des repas quotidiens et des vêtements aux migrants. Depuis 2009, le réseau No Border est présent à Calais et fait connaître les conditions de vie des migrants.</p>
<p>Suite à la médiatisation des tentatives de passage de l’Eurotunnel, cet été, de nouvelles organisations se sont investies à Calais. Il s’agit surtout de groupes militants locaux ou des pays proches – tels que l’Angleterre, l’Irlande et la Belgique – qui viennent répondre aux besoins quotidiens des migrants face à l’absence de réponse du gouvernement et de la plupart des organisations humanitaires les plus importantes.</p>
<p>En réaction à cette multiplication d’associations petites et grandes, le gouvernement tente de criminaliser les activités de soutien. Une <a href="http://www.gisti.org/IMG/pdf/memoire_09-2012_anita-bouix_.pdf">loi, conçue en 2004</a> et mise en œuvre de 2006 à 2012, stipule que toute personne aidant directement au séjour irrégulier d’un étranger ferait l’objet d’une amende allant jusqu’à 30 000 euros et d’une peine pouvant atteindre cinq ans de prison. Des militants des organisations de solidarité présentes à Calais, tels que les activistes du réseau No Border, ont également été victimes de violences policières.</p>
<p>Une série de procès a reçu une large couverture médiatique dans la presse française. Le <a href="http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/03/10/welcome-le-maitre-nageur-dans-le-grand-bain-des-migrants_1165999_3476.html">film <em>Welcome</em></a>, sorti en 2009, a contribué à la sensibilisation de la population au sujet de cette criminalisation.</p>
<h2>Produit du système européen</h2>
<p>Cette double stratégie du gouvernement – invisibilisation des migrants et délégitimisation des réseaux de solidarité – a permis la mise en place d’une politique d’expulsion de facto. Les immigrants sont présentés par les acteurs politiques et médiatiques comme étant en transit, ne souhaitant pas s’installer en France et n’ayant ainsi aucune volonté de s’intégrer à la société française.</p>
<p>En réalité, cette situation est en majeure partie la conséquence d’un accord européen appelé <a href="http://www.citizensinformation.ie/en/moving_country/asylum_seekers_and_refugees/the_asylum_process_in_ireland/dublin_convention.html">Dublin III</a>, qui oblige les demandeurs d’asile à ne solliciter le statut de réfugié que dans le premier pays par lequel ils arrivent. Beaucoup arrivent par l’Italie, Malte ou la Grèce – des pays où le processus de demande d’asile peut prendre très longtemps, où les taux d’acceptation sont bas et où les conditions de vie sont dures. Cela les incite à continuer leur chemin vers d’autres pays.</p>
<p>L’opacité qui entoure la procédure d’asile aggrave la situation à Calais et ailleurs. Il est probable que beaucoup de migrants ignorent, par exemple, que la France octroie le statut de réfugié à la quasi-totalité des Erythréens et des Syriens qui le demandent. Le taux d’acceptation des Syriens était de 96 % en <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/rapport_dactivite_2014.pdf">2014</a> et les demandes d’asile de la part des Erythréens sont traitées rapidement à Calais.</p>
<p>Lorsque les migrants sont correctement informés, beaucoup décident de rester en France. L’Office Français pour les Réfugiés et Apatrides (OFPRA) a ouvert un <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/societe/calais-120-migrants-obtiennent-l-asile-dans-une-operation-eclair_1681833.html">centre d’information à Calais en juin 2014</a>. Au cours de la seconde moitié de l’année 2014, 437 demandes d’asile, provenant en majorité de Soudanais et d’Erythréens, ont été déposées, avec un taux d’acceptation de 48 %.</p>
<p>Les immigrants ne désirent pas tous traverser la Manche par simple désir personnel d’aller au Royaume Uni. Ils essaient avant tout de se frayer un chemin dans le système d’asile de l’UE, qui les condamne à une vie clandestine, passée à éviter les expulsions.</p>
<p><em>Co-auteure de cet article, Céline Cantat, docteur de l’University of East London et de Migrinter (Université de Poitiers), travaille notamment sur les mouvements de soutien aux migrants.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/46633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Cantat à reçu des financements du septième programme-cadre de recherche et de développement de l'Union Européenne (contrat 316796).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Lacroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l'UE tente ce mercredi d'arrêter une position commune sur l'accueil des migrants, Calais reste pour eux synonyme d'impasse. Une situation qui perdure depuis près de 20 ans.Thomas Lacroix, Directeur adjoint de Migrinter, Université de PoitiersCéline Cantat, Docteure, spécialiste des migrations internationales , University of East LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.