tag:theconversation.com,2011:/us/topics/sciences-humaines-32245/articlessciences humaines – The Conversation2024-03-13T15:56:44Ztag:theconversation.com,2011:article/2172292024-03-13T15:56:44Z2024-03-13T15:56:44ZSignes religieux à l’école : 20 ans de recherches sur la loi du 15 mars 2004<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977">loi du 15 mars 2004</a> encadrant le port de signes religieux dans les établissements scolaires a suscité de <a href="https://www.amazon.fr/Lettre-ouverte-linstrumentalisation-politique-la%C3%AFcit%C3%A9/dp/2815921278">nombreux débats</a> aussi bien dans les champs des médias, de la politique que de l’éducation. Cependant, la manière dont les sciences humaines et sociales (SHS) l’ont appréhendée est plus mal connue.</p>
<p>L’étude de ces disciplines est pourtant un enjeu crucial, à l’intersection entre aspects académiques et <a href="https://www.puf.com/histoire-intellectuelle-de-la-laicite">interactions avec les controverses sociales</a>. En effet, l’augmentation du nombre de travaux et d’universitaires travaillant sur le sujet est fortement corrélée à la couverture médiatique et politique croissante de celui-ci depuis 1989.</p>
<p>Les chercheuses et chercheurs ne se privent d’ailleurs pas d’intervenir directement dans l’arène publique. En témoigne la participation de plusieurs spécialistes académiques de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a>, dont <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_laicite_falsifiee-9782707182173">Jean Baubérot</a>, <a href="https://ecoleetsociete.se-unsa.org/Laicite-interview-de-Jacqueline-Costa-Lascoux">Jacqueline Costa-Lascoux</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=R2cWsyyDS2U">Patrick Weil</a> à la commission dirigée par Bernard Stasi en 2003 – celle-là même qui conduit à la loi du 15 mars 2004.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religieux à l’école : une longue histoire déjà</a>
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<p>Cet article s’appuie sur une analyse de la bibliographie existante en français sur le sujet, construite à partir de l’analyse des bases documentaires existantes (<a href="https://www.jstor.org/">Jstor</a>, <a href="https://hal.science/">HAL</a>, <a href="https://www.erudit.org/fr/">Erudit</a>, <a href="https://www.cairn.info/">Cairn</a>, <a href="https://www.persee.fr/">Persee</a>, <a href="https://journals.openedition.org/">Openedition journals</a>, <a href="https://books.openedition.org/">Openedition books</a>), à partir d’une requête « loi du 15 mars 2004 ». Un total de 156 travaux a été recensé sur la période allant de 2004 à 2024. Ce total se décompose en 116 articles, 25 chapitres d’ouvrages, 12 ouvrages et 2 travaux de nature autre.</p>
<p>Tout en prenant en compte les limites inhérentes à la modalité de revue de littérature scientifique, voilà qui permet de faire une analyse de la production de SHS relative à celle-ci, en trois temps complémentaires. Comment et pourquoi évolue-t-elle ? Quelles en sont les principales caractéristiques ? Quelle cartographie peut-on en tirer ?</p>
<h2>Des travaux de recherche marqués par la loi de 2004 et les attentats de 2015</h2>
<p>L’évolution dans le temps montre deux phases relativement distinctes. Les années 2004-2014 sont marquées par un pic initial, lié à l’apparition d’une production dans les mois suivant la promulgation de la loi et son application. Cette première période connaît ensuite un déclin relativement régulier jusqu’au début des années 2010 – à l’exception d’une relance en 2010, liée aux débats sur l’interdiction des tenues entièrement couvrantes.</p>
<p>Les travaux de cette première vague s’intéressent à deux enjeux principaux – qui n’en excluent bien entendu pas d’autres. Le premier est la genèse de la loi du 15 mars 2004, avec les conditions qui en favorisent à la fois l’émergence dans l’agenda public et l’insertion dans les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3ub7ISuRFK0">débats de plus en plus passionnés que suscite l’islam de France</a>.</p>
<p>En effet, dans un contexte où l’application de la loi suscite en fin de compte peu de contentieux locaux, comme le rappelle le <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2005_num_1258_1_4391">rapport de l’inspectrice générale Hanifa Chérifi</a> sur celle-ci dès 2005, la production de SHS tend à réintégrer ce nouveau cadre législatif dans des enjeux plus globaux. De ce fait, les enjeux plus strictement scolaires ne sont pas forcément les plus visibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chronologie des travaux de SHS incluant les mots « loi du 15 mars 2004 », sur la période 2004-2024 (n=156).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Ismaïl Ferhat et Béatrice-Mabilon Bonfils</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une seconde vague apparaît à partir de 2014, avec deux pics très nets en 2015 et 2020. Celle-ci est de moins en centrée sur la loi en tant que telle, mais tend plutôt à relier celle-ci à un contexte de choc d’une société et d’une <a href="https://passes-composes.com/book/337">« école sous le feu » du terrorisme islamiste</a>. Les annonces ministérielles de « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » du 22 janvier 2015 tendent à confier à l’institution scolaire la mission de répondre aux problèmes et tensions révélés par les attentats qui viennent d’avoir lieu.</p>
<p>La laïcité devient dès lors un outil incontournable de cette gestion des crispations post-janvier dans la société française. Après les attentats de novembre 2015, cette saisine croissante de l’école se confirme, sous une <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2017-4-page-439.htm">forme plus sécuritaire</a>.</p>
<p>De ce fait, la loi du 15 mars 2004 est réinsérée dans un continuum de frictions répétées entre institution scolaire et manifestations du fait religieux – en particulier musulman – depuis l’affaire des foulards de 1989. Loin d’être déconnectée des enjeux immédiats, la production des SHS relative à cette loi se révèle en réalité très sensible à ceux-ci.</p>
<h2>Un investissement croissant par la science politique des questions scolaires</h2>
<p>Si la chronologie confirme la forte intrication entre travaux de SHS, analyse de la loi du 15 mars 2004 et contexte, qu’en est-il des caractéristiques propres à cette production ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/genre-22050">Le genre</a> en est l’un des enjeux centraux. En effet, sur un sujet croisant les questions de la laïcité, du droit des femmes et du traitement du fait religieux depuis 1989, ce point est important. 46 % des travaux sont réalisés uniquement par des hommes, 32 % par des femmes, et le reste est mixte. Cette partition genrée est renforcée par la faible présence de travaux collectifs dans le corpus (plus de ¾ des travaux recensés sont individuels).</p>
<p>La présence relativement forte des femmes, par rapport à d’autres thèmes touchant à la laïcité et aux phénomènes religieux, interroge. Au terme d’une analyse plus qualitative, elle semble liée à la manière dont la loi du 15 mars 2004 articule l’intersection entre femmes, laïcité scolaire et islam. La production d’autrices est en effet plus attentive aux effets de cette législation sur les élèves et femmes musulmanes. Cependant, les travaux repérés ne recourent pas à une approche d’évaluation standardisée, comme l’a proposé la <a href="https://econpapers.repec.org/article/cupapsrev/v_3a114_3ay_3a2020_3ai_3a3_3ap_3a707-723_5f10.htm">récente étude d’Aala Abdelgadir et Vassiliki Fouka</a>, ou l’analyse d’Eric Maurin quant à la circulaire Bayrou de 1994.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenseignement-du-fait-religieux-dans-lecole-la-que-quel-bilan-194411">L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : quel bilan ?</a>
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<p>Le deuxième enjeu est celui des champs disciplinaires. La sociologie (40 travaux) et la science politique (idem) se taillent la part du lion. Une telle prééminence peut s’expliquer par l’importance de l’analyse des politiques publiques et de l’émergence des problèmes publics que ces deux disciplines portent. S’y ajoute, depuis les années 2000, <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2012-2-page-7.htm">l’investissement croissant par la science politique des questions et controverses scolaires</a>- notons que les deux auteurs du présent article sont eux-mêmes originellement issus de cette discipline.</p>
<p>Le droit suit de près (35 travaux). Cette place peut s’expliquer par l’importance traditionnelle de la production des juristes sur la laïcité, notamment dans le système éducatif public. Elle tient aussi au rôle des contentieux et de la jurisprudence administrative, notamment suite à la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/documents-laicite/document-3.pdf">circulaire dite Bayrou de 1994</a>, dans la résolution des conflits religieux, en particulier de nature vestimentaire, à l’école.</p>
<p>Les sciences de l’éducation et de la formation suivent, de manière relativement distante (11 travaux). Ceci peut paraître constituer un paradoxe, tant les conflits laïques sont historiquement centrés sur l’institution scolaire. Les autres disciplines de SHS (notamment l’histoire, la philosophie ou la psychologie) représentent une faible quantité de travaux dans le corpus, de même que les approches interdisciplinaires.</p>
<h2>Des rapports de force entre les disciplines</h2>
<p>Peut-on cartographier la production recensée ? Nous avons retenu un codage de variables qualitatives (période de parution, nombre d’auteur·e·s, discipline, type de publications) afin de repérer d’éventuels sous-groupes. Une analyse multifactorielle (Analyse en composantes multiples ou ACM) est proposée ici.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Analyse en correspondances multiples, production en SHS sur la loi du 15 mars 2004 (n= 156).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Codage et traitement Ismaïl Ferhat et Béatrice Mabilon-Bonfils</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Plusieurs lignes de force apparaissent. La représentation graphique de l’ACM souligne le caractère relativement excentré des disciplines à dimension cognitive (psychologie et psychiatrie) ainsi que des travaux collectifs à 3 auteurs et plus. Ceci rejoint et confirme d’ailleurs leur marginalité quantitative dans le corpus. Les femmes sont nettement plus proches de certaines disciplines, ainsi la sociologie, là où les hommes sont nettement plus présents en sciences de l’éducation, droit et science politique. De même, les hommes semblent nettement surreprésentés dans la production d’articles (la plus grande partie du corpus constitué) ainsi que la production individuelle.</p>
<p>Le basculement chronologique entre la période 2004-2013 et celle de 2014-2024 paraît ici avoir un éclairage nouveau. En effet, avant la relance des travaux en 2014, la loi du 15 mars 2004 fait l’objet d’un traitement disciplinaire relativement pluriel et faisant une place plus importante aux femmes. La période 2014-2024 voit la mise en place d’une production centrée sur l’action publique (science politique, droit) et l’école (sciences de l’éducation et de la formation). Or, cette production favorise une plus grande place des hommes ainsi que des travaux mixtes.</p>
<p>Le basculement de l’approche de l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école publique par les SHS, sous le feu des événements en 2015, paraît de ce fait net. Dans le champ académique aussi, le choc des attentats a modifié les rapports de force disciplinaires et genrés sur le sujet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires a suscité de nombreux débats dans les médias et l’opinion. Mais comment la recherche l’a-t-elle abordée ?Ismail Ferhat, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresBeatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049782023-06-06T21:41:36Z2023-06-06T21:41:36ZÉducation : voici pourquoi les données probantes ne disent pas tout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530293/original/file-20230606-19-p7vgd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1997%2C1191&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En se fiant uniquement sur des données probantes, on se prive d'expériences pertinentes provenant du milieu de l'éducation, comme ici dans une recherche réalisée en 2019 par des chercheuses de l’UQO. Sur la photo, des élèves d’une école de Gatineau découvrent leur environnement à l’aide d’appareils photo.</span> <span class="attribution"><span class="source">(courtoisie du projet Hors les murs »)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En éducation, le débat sur l’importance à accorder aux données probantes refait surface à intervalles réguliers depuis une vingtaine d’années. </p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">Avec la récente réforme annoncée par le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville</a>, une certaine confusion règne quant au sens à donner à ce concept.</p>
<p>Il peut être difficile de comprendre les enjeux du <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/791837/idees-l-inee-un-institut-de-la-naivete-par-excellence-en-education">débat qui s’est transporté sur la place publique</a> quant à l’utilisation des données probantes ou à la création d’un <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/organismes-relevant-du-ministre/rapport-du-groupe-de-travail-sur-la-creation-dun-institut-national-dexcellence-en-education/">Institut national d’excellence en éducation</a> (INEÉ). En effet, comment ne pas se réjouir d’un gouvernement qui affirme vouloir éclairer ses décisions par des données scientifiques indiscutables ? Qu’est-ce qui peut expliquer que certains intervenants semblent s’inquiéter de l’excellence en recherche ? </p>
<p>En tant que chercheur en fondements de l’éducation, je m’intéresse à la fois à la philosophie de la connaissance, donc aux critères qu’on utilise pour déterminer ce qui peut être jugé comme étant vrai, et à la fonction de l’éducation et de l’école. J’estime que pour bien saisir les enjeux liés à l’utilisation des données probantes en éducation, il convient d’expliquer ce qu’elles sont et le contexte dans lequel elles ont été déployées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">La réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs</a>
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<h2>Faire le pari du positivisme en recherche</h2>
<p>D’abord, il importe de noter que les partisans de la supériorité de ces données s’inscrivent dans une conception bien précise de ce qu’est la vérité, de ce qu’elle exige et de la forme qu’elle peut et devrait prendre.</p>
<p><a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807351370-les-donnees-probantes-et-l-education">Le concept des données probantes porte en effet toutes les caractéristiques du positivisme</a>, ce courant philosophique né au XIX<sup>e</sup> siècle qui soutient qu’il existerait des vérités, voire des lois qui expliqueraient la totalité de l’expérience humaine. Pour identifier ces lois, il suffirait d’exploiter des outils ou des instruments de mesure suffisamment précis.</p>
<p>En philosophie de la connaissance, une telle posture n’est pas tout à fait nouvelle. Elle est cependant loin de faire consensus dans le domaine scientifique et plus encore, dans celui des sciences humaines et sociales. Plusieurs chercheurs et philosophes sont en fait très critiques de la capacité du positivisme d’expliquer les choses humaines. Ils soulignent notamment que, pour assurer la validité de leurs modèles, les approches découlant du positivisme doivent <a href="https://www.cairn.info/le-metier-de-chercheur--9782738009739.htm">réduire de façon artificielle le nombre de variables en présence</a> dans une situation. </p>
<p>Sans vouloir caricaturer, en éducation, on pourrait ainsi vouloir réduire l’engagement des élèves à leur présence ou non en classe ou l’apprentissage, aux résultats que ces mêmes élèves auront obtenus à une évaluation. Il serait inutile, ou tout simplement non pertinent, par exemple, de chercher à comprendre comment les élèves définissent leur engagement ou leur réussite à l’école.</p>
<h2>Diversifier les méthodes</h2>
<p>Cette sur-simplification peut difficilement offrir une compréhension de la complexité des phénomènes humains, comme l’éducation ou l’apprentissage. Même en médecine, d’où est issu le concept de données probantes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/070674370104600502">plusieurs chercheurs</a> montrent que les devis permettant de produire de telles données <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098214007313742">présentent des faiblesses</a> que seule la <a href="https://www.cairn.info/de-la-defense-des-savoirs-critiques--9782348073069.htm">diversité des approches méthodologiques</a> et le jugement clinique d’un professionnel permettraient de corriger.</p>
<p>En éducation, ce qui inquiète n’est donc pas qu’on exploite la richesse évidente des données probantes, mais l’impasse qui semble être faite à toutes les autres recherches qui permettent un éclairage plus nuancé des différentes facettes de l’expérience scolaire des élèves, des personnes enseignantes, des directions, des parents et du sens qu’ils lui donnent.</p>
<p>Le discours sur les données probantes est souvent très exclusif. <a href="https://books.google.ca/books/about/Nursing_Research.html?id=HyNGxQEACAAJ&redir_esc=y">Certains auteurs</a> proposent même une hiérarchie formelle des approches méthodologiques et de la robustesse des « preuves » en recherche. C’est aussi ce qui transparait dans le discours du ministre québécois de l’Éducation lorsqu’il aborde le sujet des données probantes.</p>
<p>On peut ainsi légitimement s’inquiéter de la volonté de miser sur les seules données probantes pour comprendre des phénomènes complexes et prendre des décisions.</p>
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<img alt="Production d’élève dans le cadre du projet « hors les murs »" src="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La pluralité des approches méthodologiques permet de corriger les angles morts des données probantes et de mieux comprendre comment les élèves donnent un sens à leur expérience. C’est le cas avec ce travail réalisé par les chercheuses Geneviève Lessard, Catherine Nadon, Stéphanie Demers, Marysa Nadeau, Marie-Thérèse Kamal, Ornella Kendjo où les élèves étaient invités à prendre en photo ce qui était important pour eux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Projet Hors les murs)</span></span>
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<h2>Au service d’une gestion publique efficace</h2>
<p>Plusieurs des critiques de l’utilisation des données probantes sont aussi préoccupés par l’utilisation qui en sera faite par les décideurs politiques.</p>
<p>L’émergence des données probantes en éducation est en effet intimement liée à l’adoption des préceptes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-2-page-177.htm">nouvelle gestion publique (NGP)</a> et de la gestion axée sur les résultats (GAR). </p>
<p>Avec la NGP, il s’agit de calquer la gestion des services publics sur celle des entreprises privées, exclusivement centrée sur l’atteinte de résultats quantifiables. La GAR, quant à elle, est l’incarnation de la NGP en éducation, avec le double pari que la mission de l’école se résume à la réussite scolaire, et qu’il est possible d’évaluer cette réussite par les seuls résultats scolaires.</p>
<p>Or, pour plusieurs intervenants des milieux scolaires, la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1f2s28r">« réussite est considérée comme un phénomène complexe et ses déterminants, multifactoriels, ne sont pas seulement scolaires »</a>. Elle ne peut se résumer qu’aux résultats. Ainsi, ne suivre que des indicateurs quantifiables ne permettrait pas de témoigner de l’ampleur et de la diversité du travail accompli par les personnes enseignantes, par exemple. Les pratiques valorisées seront celles qui se mesurent aisément, et dont il est possible de quantifier les effets. Tout le reste de ce qui occupe les enseignants relève dès lors de l’angle mort.</p>
<p>On sait aussi que la NGP appliquée au système d’éducation s’accompagne de pratiques exigeantes de <a href="https://doi.org/10.1177/0741713606289025">reddition de compte et d’imputabilité</a>. Ainsi, si les résultats jugés importants par le ministre ne sont pas au rendez-vous, les écoles et les personnes enseignantes se trouvent directement mises en cause, peu importe les conditions dans lesquelles ils œuvrent. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le débat lié à l’importance à donner aux données probantes en éducation.</p>
<h2>Ce qui est en jeu</h2>
<p>Ce qui semble donc être en jeu dans ce débat n’est donc pas simplement de savoir s’il convient de s’appuyer sur des résultats de recherche pour prendre des décisions à l’échelle du système d’éducation. Il s’agit plutôt d’un débat sur la nature de la connaissance scientifique d’abord, et ensuite sur les outils qui seront mis en place pour témoigner la réussite ou non de notre système éducatif.</p>
<p>Comprendre les différentes facettes de l’éducation exige de profiter de la diversité des regards scientifiques et de la pluralité des approches méthodologiques. Mettre un accent exagéré sur les seules données dites probantes et, plus encore, n’autoriser que la formation enseignante s’appuyant sur ces données risque de limiter le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11217-010-9191-x">pouvoir d’intervention des personnes enseignantes</a> et d’engendrer des <a href="http://link.springer.com/10.1007/s10833-016-9294-4">effets secondaires imprévisibles</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204978/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles-Antoine Bachand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet de loi 23 remet à l’ordre du jour le débat sur l’importance à accorder aux données probantes en éducation. Mais est-ce la meilleure méthode pour avoir un portrait juste d’une situation ?Charles-Antoine Bachand, Professeur, Université du Québec en Outaouais (UQO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757712022-02-03T17:44:52Z2022-02-03T17:44:52ZDébat : Comment l’évaluation ouverte renouvelle-t-elle la conversation scientifique ?<p>La crise du Covid et plus spécifiquement les progrès dans la connaissance de la maladie et des moyens d’y faire face ont mis dans la lumière des projecteurs médiatiques les <a href="https://www.liberation.fr/sciences/2020/05/29/avec-le-covid-19-la-folie-des-prepublications-scientifiques_1789429/"><em>preprints</em></a>, ces publications scientifiques mises en ligne avant d’avoir été officiellement évaluées et acceptées par une revue scientifique.</p>
<p>La polarisation des discussions mais aussi l’ampleur des enjeux de santé publique dans le débat sur la fiabilité scientifique des <em>preprints</em> n’ont pas toujours permis au grand public de saisir l’importance du processus de relecture par les pairs – aussi appelé « évaluation » – pour le fonctionnement de la communauté scientifique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/science-ouverte-et-covid-19-une-opportunite-pour-democratiser-le-savoir-164134">Science ouverte et Covid-19 : Une opportunité pour démocratiser le savoir ?</a>
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<p>Le modèle de publication dans le monde académique actuel est de plus en plus fermement encadré, et ce dans la plupart des disciplines. Les règles dont il fait l’objet ont pour but de favoriser la transparence des publications en les soumettant à un circuit éditorial complexe qui fait intervenir différentes personnes plus ou moins autonomes les unes par rapport aux autres.</p>
<h2>L’évaluation classique</h2>
<p>Les auteurs et les autrices soumettent leurs projets d’articles à des entités appelées <a href="https://doi.org/10.4000/traces.8833">« revues »</a> ; à l’origine de celles-ci se trouvent aussi bien des sociétés savantes constituées en associations, des équipes de recherche, des presses universitaires ou encore des éditeurs commerciaux indépendants (<em>publishers</em>) plus ou moins généralistes et plus ou moins puissants.</p>
<p>Véritables entités collectives, les <a href="https://theconversation.com/sciences-humaines-et-sociales-revues-en-greve-qui-sont-elles-131439">revues</a> sont organisées en pôles de responsabilité, ou comités, et prennent en charge deux étapes indispensables pour transformer un texte en article scientifique publié : l’étape de l’évaluation (<em>reviewing</em>) et l’étape de préparation éditoriale (corrections orthotypographiques, mise aux normes, mise en page, etc.).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/explainer-what-is-peer-review-27797">L’étape de l’évaluation</a>, qui conditionne l’acceptation ou le rejet de l’article, est fondamentale. Les revues ont la responsabilité de mettre en place des conditions pour que cette évaluation garantisse un traitement « objectif » des textes qui leur sont soumis, en évitant les conflits d’intérêts et les règlements de compte personnels.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230253354791600128"}"></div></p>
<p>Cette évaluation doit aussi offrir aux auteurs et aux autrices l’occasion d’améliorer significativement leurs textes, non seulement pour les rendre publiables, mais aussi, par leur biais, pour faire progresser l’ensemble des connaissances scientifiques sur un objet donné.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, dans un contexte académique général hautement concurrentiel, et parfois franchement toxique, le cadre privilégié pour l’expertise est l’évaluation par les pairs en double-aveugle (<em>double blind peer review</em>) : l’auteur ou l’autrice ne connaît pas les noms des personnes évaluant son texte et vice versa. Quant à l’expert ou l’experte, il ou elle est choisie au sein du monde académique au vu de ses propres travaux et de son expérience sur les sujets traités dans l’article.</p>
<p>Cet anonymat général, associé à la confidentialité du contenu de l’évaluation (les rapports d’expertise sont directement communiqués à l’auteur ou à l’autrice mais ne sont pas rendus publics), est considéré par une partie majoritaire du monde académique comme la meilleure garantie d’une évaluation saine et efficace. C’est aussi celle qui est au cœur de l’« économie du prestige » propre aux publications scientifiques et dont des études récentes ont montré qu’elle permettait aux maisons d’édition d’exercer une <a href="https://doi.org/10.5281/zenodo.5017704">emprise importante sur la recherche scientifique</a>.</p>
<h2>De nouveaux formats</h2>
<p>L’évaluation en double aveugle n’est pas dénuée de travers. Elle ne s’est imposée dans la communauté scientifique que tardivement, dans les années 1970. Il n’est pas rare qu’elle débouche sur des critiques lapidaires, voire franchement violentes – un travers facilité par la dimension anonyme des échanges dans lesquelles elle s’inscrit. Les auteurs et les autrices, les évaluateurs et les évaluatrices peuvent ressentir de la frustration de ne pas pouvoir échanger « entre adultes responsables ».</p>
<p>D’autres formes de relecture par les pairs commencent à gagner en importance dans la communauté scientifique, selon deux principes : d’une part, celui de la transparence, d’autre part, celui de la distribution. La transparence consiste en ce qu’auteur ou autrice et évaluateur ou évaluatrice connaissent réciproquement leurs noms et puissent dialoguer. La distribution permet d’ouvrir la relecture non pas à un cercle restreint d’experts et d’expertes nommément commanditées par une revue, mais à toute personne souhaitant se plonger dans l’article pour le relire et le commenter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1075764409639698432"}"></div></p>
<p>Toutes ces nouvelles formes d’évaluation correspondent à ce qu’on appelle l’<em>open peer review</em>, l’évaluation par les pairs ouverte, qui s’est dotée de plates-formes comme <a href="https://web.hypothes.is/">hypothes.is</a> permettant de mettre en œuvre ces principes. La plate-forme européenne de e-learning FOSTER propose d’ailleurs un cours en ligne complet pour se former à l’évaluation ouverte, signe de la montée en puissance de l’intérêt pour <a href="https://www.fosteropenscience.eu/learning/open-peer-review/#/id/5a17e150c2af651d1e3b1bce">cette nouvelle façon d’évaluer</a>.</p>
<p>Les formats ouverts de relecture par les pairs présentent plusieurs avantages :</p>
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<li><p>les versions des articles soumis aux revues sont de meilleure qualité au départ (du fait que la version est publicisée, les auteurs et les autrices prennent généralement plus de soin quant au fond et à la forme de leur texte) ;</p></li>
<li><p>les évaluations ont tendance à être davantage bienveillantes ;</p></li>
<li><p>les arguments et les contre-arguments peuvent être publiés et contribuer ainsi au débat scientifique public.</p></li>
</ul>
<p>Mais la conversation scientifique idéale qui semble se dessiner ici ne peut se réaliser sans dommages. Par exemple, les jeunes chercheurs et chercheuses ou celles et ceux sans statut permanent peuvent se sentir mieux protégés par l’anonymat de l’évaluation en double aveugle que par l’exposition que représente la divulgation de leur nom, voire la mise en ligne publique de leurs évaluations.</p>
<p>Même l’évaluation ouverte requiert des garde-fous pour permettre à la communauté scientifique de dialoguer et de faire communauté, sans risques pour les plus vulnérables.</p>
<h2>Ouverture et bienveillance</h2>
<p>D’autres alternatives, dans le cadre plus traditionnel du <em>peer review</em>, sont également mises en place : par exemple, ne pas transmettre les rapports d’évaluation tels quels, mais les synthétiser, expurger les formes les plus violentes mais aussi les plus discutables en reformulant les formules inutilement blessantes.</p>
<p>Cela permet également d’éviter les injonctions paradoxales : « comment faire quand la première évaluation me dit de ne surtout pas faire ce que la seconde me demande de développer ? ». Cela enlève du poids des épaules des évaluateurs et des évaluatrices à qui il n’est plus demandé un avis « en vue d’une publication » (ou non), mais simplement un avis sur le texte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280504763910631431"}"></div></p>
<p>Une évaluation conçue, et annoncée dès le départ, comme étant ouverte permet un meilleur travail collectif. Chacun et chacune peut ainsi valoriser son apport à la recherche scientifique – la publication annuelle ou au fil de l’eau des noms des personnes ayant contribué aux évaluations dans les revues permet une reconnaissance de cette étape nécessaire mais invisible. Et le travail des professionnels et professionnelles de l’édition, chargés notamment de la préparation de copie – ou version à publier –, s’en trouve également facilité.</p>
<p>Des textes validés qui ont été bien travaillés en amont, relus par plusieurs paires d’yeux et repris à la suite d’échanges constructifs entre les pairs sont nettement meilleurs tant sur le fond que sur la forme, un soin particulier ayant généralement été apporté à la forme du texte étant donné qu’il a déjà circulé en amont de sa publication. Ces différents éléments qualitatifs en faveur de l’<em>open peer review</em> ont été documentés dans plusieurs publications qui proposent des analyses chiffrées de l’impact positif ou négatif des différents modèles, <a href="https://f1000research.com/articles/6-588/v2">blind ou open peer review</a>.</p>
<p>Ces questions ne se posent pas seulement pour la publication d’articles scientifiques. La relecture et l’évaluation rythment désormais au quotidien l’activité de recherche. Outre les articles dans les revues, peuvent également être soumises à évaluation la publication de chapitres dans des ouvrages ou d’ouvrages complets, les candidatures pour des postes permanents, l’obtention de prix, médailles et autres distinctions, la participation à des conférences et congrès et l’attribution de financements pour voyager ou pour réaliser des projets de recherche.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460253091509452811"}"></div></p>
<p>Tour à tour, évaluateurs ou évaluatrices et personnes évaluées sont prises dans un système de récompenses qui leur échappe : les chercheurs et les chercheuses auraient sans doute besoin que soient repensées les qualités de dialogue, d’ouverture et de bienveillance qui peuvent permettre à la communauté scientifique de fonctionner de manière plus sereine.</p>
<p>Utiliser ces termes ne revient pas à faire de la pratique scientifique une affaire de « bons sentiments », mais à repenser l’enchevêtrement de relations qui la rendent possible ; ces relations, regardées en face plutôt qu’escamotées sous le tapis, font voir les interdépendances entre les différents acteurs et actrices qui font les pratiques scientifiques, en lieu et place des formes d’individualisation, de « starification » et de hiérarchisation. Les revues sont ainsi un bon lieu où expérimenter des formes de transparence et de pluralisation.</p>
<p>Pour conclure, précisons que les éléments exposés ici visent à provoquer un débat large. Ils se basent sur notre expérience en tant que partie prenante, à un moment ou à un autre, de l’étape d’évaluation. Quelques expériences pionnières (comme <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01283582">l’expérience de la revue <em>Vertigo</em></a>) offrent déjà matière à réflexion. Souhaitons que la communauté scientifique dans son entier s’en empare et poursuive le débat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Barthonnat est membre de Médici, réseau des professionnel·les de l’édition scientifique publique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Baillot, Anthony Pecqueux, Cédric Poivret et Julie Giovacchini ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Comment fonctionne en général la soumission d’un article à une revue de recherche ? Pourquoi les modes d’évaluation évoluent-ils ? Quelques repères sur l’« open peer review ».Anne Baillot, Professeure des Universités en Etudes Germaniques et en Humanités Numériques, en délégation CNRS au laboratoire ICAR (CNRS UMR 5191), Le Mans UniversitéAnthony Pecqueux, Sociologue au CNRS, Centre Max Weber, Université Lumière Lyon 2 Cédric Poivret, PRAG/Docteur en sciences de gestion, Spécialiste d'Histoire de la Pensée Managériale, Université Gustave EiffelCéline Barthonnat, Éditrice, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Julie Giovacchini, Ingénieure de recherche en humanités numériques et sciences de l'Antiquité, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1555402021-04-12T20:34:00Z2021-04-12T20:34:00ZLost in translation ? Les sciences humaines et sociales dans les formations d’ingénieurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393998/original/file-20210408-17-1jr6hkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C1917%2C1261&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans un univers incertain, les capacités d'innovation sont cruciales et les sciences humaines aident les jeunes ingénieurs à les acquérir.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo de ThisIsEngineering provenant de Pexels</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’innovation représente aujourd’hui une « valeur incontestée » et son insertion dans la formation est devenue une préoccupation majeure des écoles d’ingénieurs, sous la dénomination courante de « compétences non techniques ».</p>
<p>Procurant ce type de compétences, les Sciences humaines et sociales (SHS) permettraient « aux élèves de développer leurs capacités d’intuition, de dialogue et d’innovation », <a href="https://www.polytechnique.edu/fr/departement-humanites-et-sciences-sociales">selon l’École Polytechnique</a>. En amalgamant réussite économique, bosse du commerce et ouverture sur la société, les institutions concernées reprennent cette préoccupation.</p>
<p>L’intégration des SHS aux formations progresse-t-elle à cette occasion ? On pourrait le penser, dans la mesure où le discours liant innovation et SHS a une portée internationale. Pour le savoir, nous allons comparer les programmes en vigueur dans une dizaine d’écoles d’ingénieurs en France, Corée du Sud, en Suisse et aux États-Unis.</p>
<h2>La logique entrepreneuriale aux États-Unis</h2>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, l’ingénieur est considéré aux États-Unis comme l’un des protagonistes de l’évolution technologique et économique. Identifiés au bien-être national, les ingénieurs se sont persuadés de la centralité du progrès technologique pour leur contribution à la société, ce qui a occasionné une <a href="https://www.psc.isr.umich.edu/pubs/abs/10533">« dépolitisation »</a> des ingénieurs et de leur formation.</p>
<p>Société, marché et technologie sont en osmose. Comme le dit le MIT : « Grâce à la culture entrepreneuriale du MIT, l’écosystème d’innovation du Grand Boston est riche en entreprises issues du MIT ».</p>
<p>De ce fait, les associations fondées par les ingénieurs industriels telles que <a href="https://www.abet.org/">l’ABET</a> ont joué un rôle structurant dans la formation. Depuis 1932, l’Engineers’ Council for Professional Development (devenu Accreditation Board for Engineering and Technology – ABET, en 1980) a créé un système d’accréditation devenu un modèle international dans la formation d’ingénieurs.</p>
<p>À partir de 1996, l’ABET a prescrit quatre « compétences professionnelles », comprenant les capacités de communiquer, de reconnaître les responsabilités éthiques et professionnelles, de créer un environnement de collaboration et d’inclusion, d’acquérir et d’appliquer de nouvelles connaissances.</p>
<p>L’ABET étant un modèle reconnu au niveau international, ces éléments sont devenus une référence pour les autres institutions. Pourtant, si cette évolution récente de l’ABET démontre l’intérêt croissant pour des compétences nontechniques des ingénieurs industriels, elle n’a pas apporté de changement réel dans la formation in situ, car ces éléments sont intégrés à la formation d’ingénieurs aux États-Unis depuis longtemps, sous le nom de General Education.</p>
<p>Estimant que cette inclusion était satisfaisante, l’ABET n’a pas imposé de changement. Cette éducation générale au choix ne risque pas de « politiser » les futurs ingénieurs, dans une atmosphère états-unienne où le progrès technologique en soi est plus que valorisé, avec l’essor de la High Tech et des GAFAM.</p>
<h2>La formation de techniciens qualifiés en Corée du Sud</h2>
<p>La culture coréenne étant fortement <a href="https://regards-interculturels.fr/2015/07/management-coreen/">imprégnée de confucianisme</a>, l’ingénierie a toujours été considérée comme moins prestigieuse que la fonction publique ou l’agriculture. L’éloge de ce métier sous la dictature dans les années 1960 a eu pour objectif de stimuler la croissance, mais sans amélioration du statut social des ingénieurs. Ainsi, alors que le nombre d’étudiants en génie industriel dépasse celui de la plupart des autres domaines des universités coréennes aujourd’hui, les ingénieurs coréens ont toujours le sentiment d’être dépréciés.</p>
<p>Dans ce pays centralisé, c’est en 1999 que le gouvernement a décidé d’introduire un système d’accréditation afin d’assurer la qualité de la formation d’ingénieurs. À l’instar de l’ABET, l’<a href="http://www.abeek.or.kr/?lang=en">ABEEK</a> a mis l’accent sur les compétences non techniques dites « d’éducation générale professionnelle » qui comprend des compétences telles que la communication, la gestion ou l’esprit d’équipe.</p>
<p>Ironie de l’histoire, la promotion de cet esprit professionnel a fait régresser la culture générale. Alors que les universités coréennes consacraient à cette dernière environ 40 % du curriculum, considérant l’éducation comme un « développement intégral de l’individu », l’ABEEK a fait régresser la place de l’éducation générale dans la formation d’ingénieurs au niveau de celle des États-Unis (30 % du curriculum).</p>
<p>Comme la formation universitaire « généraliste » faisait l’objet de critiques du patronat et des professeurs en ingénierie, ces derniers ont pu se réjouir du résultat de la restructuration du curriculum, plus proche de celui des « anciens techniciens qualifiés ».</p>
<h2>La formation managériale en France</h2>
<p>Par contraste avec les deux cas précédents, en France, l’ingénieur représentait un <a href="https://journals.openedition.org/sabix/691">groupe d’élite en tant que corps technique d’État</a>, depuis la fondation de corps militaires du génie et de l’artillerie à la fin du XVII<sup>e</sup> siècle ou depuis celle de corps civils d’ingénieurs, comme celui des Ponts et chaussées, au XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Au cours du XX<sup>e</sup> siècle, les ingénieurs publics contrôlent le développement de l’énergie atomique et des réseaux électrique et ferroviaire, tandis que le nombre d’ingénieurs encadrant le secteur privé augmente progressivement.</p>
<p>L’organisation de la formation distinguait aussi les ingénieurs entre eux, dont les écoles ne sont pas rattachées à l’université mais sont fortement hiérarchisées, avec au sommet l’École polytechnique. D’ailleurs, les critiques de l’élitisme des grandes écoles se sont heurtées à la solidité des réseaux de ces dernières tandis que, en interne, les humanités classiques enseignées s’opposaient aux sciences sociales universitaires, étant donné l’aspect critique de ces disciplines envers la morale religieuse et de l’ordre social établi.</p>
<p>En outre, la formation de cinq ans est de rigueur pour devenir « ingénieur diplômé », sous le contrôle de la Commission des titres d’ingénieurs, instituée en 1934. Contrôlant également l’accréditation des écoles, cette dernière n’a que peu suivi les recommandations de l’ABET, notamment celles pour renforcer à environ 20 % de l’enseignement total les « compétences non techniques ».</p>
<p>Le résultat ? Dans le cas de l’École polytechnique, sur treize cours non techniques, cinq concernent l’enseignement des langues vivantes et la pratique sportive, sept sont consacrés aux sciences économiques, contre un cours de sciences sociales et un cours de communication. À l’École des Mines, 23 ECTS sur 39 ECTS non techniques portent sur l’économie, la gestion et l’entrepreneuriat, le reste concernant des langues vivantes et le sport.</p>
<p>Sous des titres fleuris, les options traitent aussi de sciences économiques, telles que « l’économie industrielle » et « l’innovation et l’entrepreneuriat ». Les grandes écoles ne se sont donc toujours pas initiées à la dimension critique portée par les sciences sociales. L’université a eu par contraste une préoccupation généraliste dans ses formations d’ingénieurs, même si elle n’échappe pas à la présence renforcée des sciences économiques et de gestion.</p>
<p>Alors qu’un discours « disruptif » prône le recours aux SHS pour « mieux former » les étudiants à l’innovation, aucun progrès sensible n’a donc été constaté dans les trois cas de curriculum étudiés ici. De la comparaison des contextes nationaux de la formation voulue par la politique gouvernementale, il ressort que tous refusent la diffusion d’un esprit critique mais chacun à sa façon. Ainsi la structure stable de la formation aux États-Unis est conforme à l’image traditionnelle d’entrepreneurs mythiques et dépolitisés.</p>
<p>En Corée du Sud, un changement a eu lieu pour favoriser la formation de techniciens qualifiés, contrairement au cas français où les étudiants sont davantage censés devenir managers. Quid de l’innovation disruptive ? Lost in translation ? Il reste à savoir sur quel plan le développement productif et la société sont gagnants avec des ingénieurs dépolitisés, des techniciens qualifiés et des néo-managers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on peut constater une montée du discours valorisant les sciences humaines et sociales pour la formation d’ingénieurs innovants, la réalité du terrain est plus complexe.Jongheon Kim, Doctorant, Université de LilleIvan Sainsaulieu, Professeur des université - Sociologue, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507162021-01-25T14:38:43Z2021-01-25T14:38:43ZComment la Covid-19 transforme le travail des chercheurs en sciences religieuses<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376584/original/file-20201223-15-1fk8ra3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=153%2C36%2C4734%2C3217&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La conséquence la plus évidente de la pandémie concerne la méthodologie initialement projetée. Certaines activités, comme les entrevues, ont pu être « délocalisées » en ligne. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie mondiale de Covid-19 a entraîné sur le plan des relations sociales un profond travail de redéfinition des interactions. La distanciation sociale, qui est avant tout une distanciation physique, a transformé de nombreux secteurs professionnels, dont les activités de recherche.</p>
<p>Dans le domaine des sciences humaines et sociales, les méthodes dites qualitatives mises en œuvre reposent sur des interactions sociales (des entrevues, de l’observation lors d’activités de groupe ou encore des questionnaires en vis-à-vis).</p>
<p>Depuis le printemps, des chercheurs réfléchissent aux conséquences de la pandémie sur leurs travaux. Ces réflexions ne concernent pas seulement les bonnes façons de concilier le travail de terrain et les règles sanitaires, mais elles interrogent également leurs rapports avec leurs objets de recherche.</p>
<p>Par exemple, dans le champ des sciences religieuses, les responsables de la revue <a href="https://academic.oup.com/socrel">Sociology of Religion</a> ont publié dans leur édition de l’hiver 2020 un texte intitulé « Religion in the Age of Social Distancing : How Covid-19 presents New Directions for Research ». Ils s’interrogent sur l’adéquation des méthodes de recherche avec les transformations des pratiques religieuses induites par la pandémie.</p>
<h2>Quand tout ne se passe pas comme prévu</h2>
<p>Ayant entamé, avec une petite équipe de recherche, un terrain de recherche auprès d’Églises protestantes évangéliques à la fin de l’été, j’ai été amené à interroger les effets de la pandémie sur mon travail de collecte de données. De prime abord, elle est apparue comme un obstacle majeure : la plupart des activités de recherche projetées (comme les entrevues en face à face ou la participation à des activités collectives) étaient tout simplement irréalisables.</p>
<p>Rapidement, une question s’est imposée : comment inclure la pandémie dans le projet de recherche ? Cette question impliquait de ne pas simplement mettre le projet en suspens, mais d’inclure cette contrainte dans le projet, dans ses dimensions méthodologique et théorique. Quatre conséquences en ont découlé : les transformations des méthodes et des outils de recherche, les modifications dans le rapport à l’objet, la nécessité de reformuler les problématiques de recherche et enfin, les modifications de l’objet de recherche. Même si elles sont présentées séparément, ces conséquences sont étroitement liées les unes aux autres.</p>
<h2>La recherche terrain en « distanciel »</h2>
<p>La conséquence la plus évidente concerne la méthodologie initialement projetée. Certaines activités, comme les entrevues, ont pu être « délocalisées » en ligne. Cette option n’est cependant pas envisageable pour tous les terrains de recherche, car les participants ne disposent pas toujours d’un accès aux outils nécessaires.</p>
<p>Comme tant d’autres chercheurs, notre équipe a opté – dans la mesure du possible – pour des plates-formes de visioconférence, qui préservent la dimension visuelle de l’interaction entre l’enquêteur et l’enquêté. Ce contact visuel est essentiel, car, outre l’espace de convivialité qu’il crée, il permet au chercheur d’adapter le cours de l’entrevue en étant attentif au langage non verbal des personnes rencontrées. Et même si ces plates-formes ne peuvent pas donner accès à toute l’épaisseur phénoménologique de l’entrevue en présentiel, elles offrent aux participants la possibilité d’intervenir dans un cadre familier et sécuritaire, susceptible de faciliter l’entrevue.</p>
<p>Pour autant, l’entrevue en ligne n’est pas une simple transposition sur le mode virtuel de l’entrevue hors ligne. Elle n’est pas seulement une mise en contact avec une personne, elle permet également la découverte de son univers social. Les chercheurs qui, pour un même projet, ont conduit des entrevues téléphoniques et en face à face le savent bien : le cadre (un bureau, un salon, une cuisine…) dans lequel se déroule l’entrevue donne une lumière particulière aux propos recueillis.</p>
<h2>L’ethnographie numérique</h2>
<p>Dans un <a href="https://faithandleadership.com/erin-raffety-understanding-congregations-through-digital-ethnography">texte</a> paru sur le site <em>Faith and Leadership</em>, Erin Raffety, anthropologue et pasteure presbytérienne américaine, propose de pratiquer une « ethnographie digitale » des groupes religieux étudiés. En effet, la pandémie a conduit à faire migrer en ligne des activités qui donnaient jusqu’alors lieu à des rencontres collectives, par exemple les rites et les cérémonies religieuses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-eglises-technos-qui-sadaptent-en-temps-de-pandemie-137453">Des Églises « technos » qui s’adaptent en temps de pandémie</a>
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<p>Il faut ajouter à cela la création d’activités spécifiques au contexte actuel, comme des groupes de parole au cours desquels les participants ont l’occasion de partager leurs inquiétudes et leurs peurs face à la situation. L’ensemble de ces activités forment des espaces virtuels que le chercheur doit apprendre à observer et à décrypter.</p>
<p>Sur le plan pratique, l’immersion dans un terrain virtuel modifie la façon dont les chercheurs se présentent et négocient leur place dans le milieu étudié. Les séquences d’observation participante au cours desquelles le chercheur se trouve immergé dans un milieu sont traditionnellement des occasions privilégiées pour établir des contacts, présenter le projet de recherche de manière informelle ; autant de liens de confiance qui se tissent dans le temps et qui constituent des jalons pour des étapes ultérieures.</p>
<p>L’exemple de l’ethnographie numérique donne à voir comment plusieurs des conséquences distinguées précédemment se trouvent associées : les transformations de l’objet de recherche, la mobilisation de méthodes inédites, et enfin un travail de recadrage de la problématique initiale. Dans le cadre du projet de recherche mentionné, la problématique portait initialement sur la capacité de ces Églises à intégrer dans leur fonctionnement le contexte d’une société sécularisée et post-chrétienne. En temps de pandémie, un questionnement sur le maintien des liens sociaux au sein des Églises s’est imposé. Même s’il ne remplace pas la problématique de départ, il l’infléchit dans une direction nouvelle.</p>
<h2>La résilience institutionnelle</h2>
<p>Dans son livre <a href="https://editions-metailie.com/livre/la-religion-de-pres/"><em>La religion de près</em></a>, l’anthropologue Albert Piette montre comment les groupes religieux sont affectés de façon chronique par des perturbations (par exemple, le départ d’un responsable ou encore la scission du groupe) qui sont des occasions privilégiées de recherche puisqu’elles viennent rompre l’ordre quotidien et quasiment rendu invisible de la vie du groupe.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 est à coup sûr une perturbation majeure qui ouvre la « boîte noire » du fonctionnement des groupes religieux et révélera, à terme, leur <a href="https://www.mqup.ca/culture-of-faith--a-products-9780773545045.php">« résilience institutionnelle »</a>, terme emprunté aux auteurs de <em>A Culture of Faith. Evangelical Congregations in Canada</em> et expression par laquelle on désigne la capacité d’une communauté à absorber des perturbations externes et de les intégrer à leur propre mode de fonctionnement.</p>
<p>Cette expression suggère que les modifications qu’elles engendrent ne sont pas temporaires, mais ont la capacité de modifier durablement la nature de ces organisations religieuses. Quand la pandémie sera chose du passé, il est probable que l’articulation de la vie communautaire en ligne et hors ligne s’en trouvera renforcée. Aux chercheurs revient maintenant la responsabilité de prendre le pouls de ces tendances émergentes et d’adapter leurs méthodes pour en rendre compte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150716/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Dejean a reçu un financement du Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH).</span></em></p>La pandémie a des impacts sur la recherche, non seulement sur la façon de concilier le travail de terrain et les règles sanitaires, mais sur le rapport du chercheur avec l’objet étudié.Frédéric Dejean, Professeur en sciences des religions, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1532152021-01-17T17:37:08Z2021-01-17T17:37:08ZUniversités : vers un déclin de l’empire américain ?<p>Qualifiée tour à tour de tragédie, de contre-révolution, d’effondrement de la démocratie, la récente <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/09/emeutes-au-capitole-plusieurs-figures-des-violences-au-congres-arretees-et-inculpees_6065753_3210.html">occupation du Capitole</a> par les supporters de Donald Trump en réaction aux résultats des élections présidentielles a été vue comme le <a href="https://theconversation.com/lassaut-du-capitole-manifestation-frappante-de-la-fragilite-de-la-democratie-americaine-152826">révélateur</a> d’un malaise plus ancien et profond.</p>
<p>L’opinion publique mondiale semble découvrir la rupture définitive entre d’un côté des élites éclairées, cosmopolites et mondialisées, et de l’autre des classes moyennes et populaires réactionnaires : la face lumineuse et la face obscure de l’Amérique.</p>
<p>On en a tenu pour responsables tour à tour les populismes, les médias, l’économie capitaliste, le néolibéralisme. Et si les racines de la fracture étaient aussi à rechercher du côté du système éducatif ?</p>
<h2>L’ère des « rankings »</h2>
<p>Revenons un peu en arrière. Profitant de la mondialisation des moyens de communication et d’information, quelques universités américaines, plus particulièrement les huit prestigieux établissements de recherche privés du Nord-Est, connus sous l’appellation de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivy_League">Ivy League</a>, se sont progressivement imposées dans le pays et à l’international.</p>
<p>Aux États-Unis, elles ont distancié celles qui étaient autrefois les grandes universités publiques d’État (California-Berkeley ou Michigan) dans la capacité à attirer et recruter les meilleurs professeurs, atout fondamental pour assurer l’excellence de leur production scientifique et sa valorisation.</p>
<p>Internationalement, avec l’avènement en 2003 des « rankings », ces divers systèmes qui comparent et classent les universités d’un pays à l’autre, les États-Unis ont non seulement occupé invariablement les premières places mais ils ont été érigés en modèle pour toutes les autres.</p>
<p>De la Corée du Sud à la Chine, du Chili à la France, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse d’inciter leurs universités à suivre les standards définis par cette toute petite partie de l’enseignement supérieur américain : compétition, primauté de la recherche sur la formation, différenciation des frais de scolarité, part grandissante de la philanthropie dans le financement, indicateurs de performance, pour n’en citer que quelques-uns.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1294008399185752064"}"></div></p>
<p>Par-delà leur multiplicité et leur très grande diversité, les établissements américains ont réussi à attirer durablement une part conséquente de la mobilité étudiante mondiale. Dans un marché dominé par les pays anglophones, les États-Unis détiennent la <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/297cd4fa-fr.pdf">première place</a> quant au nombre d’étudiants internationaux accueillis, loin devant le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada, à savoir 18 % de l’effectif mondial, 22 % de la mobilité en provenance de la zone OCDE et, plus important encore, 26 % de l’effectif total de doctorants en mobilité internationale.</p>
<h2>Le tournant de la pandémie ?</h2>
<p>Certes, le pays a été, comme les autres, affecté par la crise liée à la pandémie de Covid-19. En 2020, le nombre total d’étudiants étrangers inscrits dans ses universités, y compris en ligne depuis chez eux, a diminué de 16 %. En un an, d’après l’agence IIE, les nouvelles inscriptions d’étudiants internationaux <a href="https://www.iie.org/Research-and-Insights/Open-Doors/Fall-International-Enrollments-Snapshot-Reports">ont baissé de 43 %</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-une-redistribution-des-cartes-dans-lenseignement-superieur-mondial-139898">Covid-19 : une redistribution des cartes dans l’enseignement supérieur mondial ?</a>
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<p><a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/universites-etats-unis-le-blues-des-etudiants-etrangers">La chute</a> conjoncturelle est spectaculaire, mais une tendance à la baisse de la mobilité internationale entrante avait déjà été constatée depuis 2017, bien avant le déclenchement de la crise sanitaire. Les données publiées dans le rapport annuel Open Doors montrent une <a href="https://www.insidehighered.com/news/2020/11/16/survey-new-international-enrollments-drop-43-percent-fall">diminution continue</a>, allant de 0,9 % à 6,6 % par an, selon le niveau et le type de mobilité (diplômante ou non).</p>
<p>La gestion de la pandémie a ajouté une difficulté supplémentaire à des candidats internationaux qui se heurtaient déjà pour beaucoup, depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence, à des interdictions de voyager, des décrets discriminatoires et une rhétorique officielle souvent xénophobe de la part de l’administration américaine.</p>
<p>Le déclin de la mobilité internationale est assurément une tendance de fond qui s’impose lentement mais sûrement dans le paysage de l’enseignement supérieur mondial. D’autres indicateurs nous alertent toutefois sur la situation des universités américaines.</p>
<p>Car les étudiants internationaux ne sont pas les seuls à montrer des signes de désaffection. En hausse ininterrompue depuis la fin de la seconde guerre mondiale avec la création des programmes d’aide du gouvernement fédéral, le taux d’accès à l’enseignement supérieur des jeunes Américains connaît depuis 2008 une baisse importante, <a href="https://educationdata.org/college-enrollment-statistics">avec un rythme annuel de -2,6 %</a>.</p>
<p>À l’automne 2020, l’enseignement supérieur américain a inscrit environ 400 000 étudiants de moins par rapport à l’année précédente. Parmi les causes souvent invoquées, la <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/05/19/la-dette-etudiante-boulet-d-une-economie-americaine-en-crise_6040144_4401467.html">dette</a> liée au système de prêts étudiants et à l’inflation des frais de scolarité semble être la plus probable.</p>
<p>La baisse est inégalement répartie. Elle frappe davantage les collèges communautaires, qui forment souvent la plus grande proportion d’étudiants traditionnellement sous-représentés : les minorités ethniques et les milieux à faible revenu.</p>
<h2>Inégalités sociales</h2>
<p>Ce sont donc les étudiants les plus vulnérables qui s’inscrivent de moins en moins à l’université. L’inscription aux établissements à but lucratif au contraire se porte bien, devenant, avec une augmentation de plus de 5 %, la seule composante de l’enseignement supérieur à bénéficier d’une croissance des inscriptions, tous cycles confondus.</p>
<p>La composition du corps étudiant américain avait évolué depuis les années 1970 vers une plus grande représentation des étudiants d’âge non traditionnel, des minorités ethniques, des anciens combattants et des femmes, notamment grâce à l’ouverture des institutions d’élite unisexes. Par ailleurs, le discours en faveur de campus plus inclusifs n’a <a href="https://search.proquest.com/openview/e9423f7f3f4d4e714d7ec109514be667/1?pq-origsite=gscholar&cbl=47536">jamais été aussi répandu et médiatisé</a>.</p>
<p>Pourtant, les statistiques sur les inscriptions envoient des signaux inquiétants. Selon le <a href="https://www.americanprogress.org/issues/education-postsecondary/reports/2020/09/28/490838/time-worry-college-enrollment-declines-among-black-students/">think tank progressiste</a> Center for American Progress, la baisse des inscriptions au cours de la dernière décennie serait plus importante pour certains groupes, notamment les noirs et surtout, parmi les blancs, les étudiants d’origine rurale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329530494875299845"}"></div></p>
<p>De même, le décrochage au cours du premier cycle du supérieur ne cesse d’augmenter depuis 30 ans, lui aussi de façon inégale : en 2017, le <a href="https://scholar.harvard.edu/files/zmabel/files/leaving_late_aug_2017.pdf">taux d’abandon</a> était de plus de 60 % dans les collèges communautaires contre 40 % dans les universités.</p>
<p>Plus généralement, l’université américaine assure la formation d’un pourcentage d’une classe d’âge légèrement inférieure mais comparable à la moyenne des pays de la zone OCDE. D’après le National Center for Education Statistics (<a href="https://nces.ed.gov/programs/coe/indicator_cha.asp">NCES</a>), 25 % des jeunes de 20 à 29 ans étaient inscrits dans l’enseignement supérieur aux États-Unis contre 28 % de moyenne dans la zone OCDE et 40 % ou plus dans des pays tels que le Danemark, l’Australie ou la Finlande.</p>
<h2>Un système dysfonctionnel ?</h2>
<p>Les inégalités d’accès semblent en passe de s’accroître, notamment pour les étudiants américains, de plus en plus nombreux à ne pas s’inscrire dans le supérieur, à décrocher et ne pas poursuivre au-delà du premier cycle.</p>
<p>La notoriété internationale des universités de recherche cache en effet une autre réalité moins connue qui est la baisse du nombre de candidats américains dans les programmes doctoraux, aujourd’hui trustés par des étudiants chinois, indiens ou d’autres pays étrangers.</p>
<p>En 2015, environ 55 % des doctorants en mathématiques, en informatique et en sciences de l’ingénieur étaient étrangers. La part des doctorants non américains était de 16 % en sciences humaines, 18 % en gestion, mais de 64 % en sciences informatiques.</p>
<p>L’explication fréquemment donnée par les établissements est la forte employabilité des jeunes diplômés américains qui n’auraient pas besoin d’un master ni d’un doctorat. Pour certains étudiants, toutefois, le <a href="https://cgsnet.org/ckfinder/userfiles/files/CGS_GED16_Report_Final.pdf">prix de la poursuite des études</a> est tout simplement trop élevé alors qu’ils ont déjà accumulé une dette importante pour financer le premier cycle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1DQvfo1InhY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Aux États-Unis, le fardeau de la dette étudiante (France 24, juillet 2019).</span></figcaption>
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<p>Ainsi, lorsque le professeur de la Columbia University Andrew Delbanco <a href="https://www.insidehighered.com/news/2021/01/08/capitol-riots-failure-educate">rappelle que</a> « sur le long terme, la seule force qui peut sauver la démocratie est une citoyenneté instruite – les citoyens, qui en savent assez pour résister au genre de mensonges et d’incitations cachés par l’actuel président et ses supporters », il ne fait qu’alerter sur les limites actuelles de son système.</p>
<p>Son appel à une relance de l’étude des humanités – victimes de la crise économique et des coupes budgétaires induites dans de nombreuses universités – revient à se demander en effet si l’université américaine continue de remplir sa fonction originelle et essentielle qui est de préparer les jeunes à devenir des citoyens éclairés et à permettre ainsi l’exercice de la démocratie.</p>
<p>De nombreux politistes américains <a href="https://muse.jhu.edu/article/653374/summary">avaient déjà identifié</a> la corrélation entre <a href="https://theconversation.com/who-exactly-is-trumps-base-why-white-working-class-voters-could-be-key-to-the-us-election-147267">l’électorat « blanc » de Trump</a> et les diplômes obtenus, en expliquant que le faible niveau d’études pouvait correspondre à des situations économiques fragiles et précaires, à des revenus moindres et à un sentiment de déclassement social. Ces analyses semblent aujourd’hui plus convaincantes que jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153215/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a donné un coup de frein à la mobilité étudiante dans le monde. Les universités américaines en sont bien sûr affectées. Mais elles font face aussi à une baisse des inscriptions nationales.Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524602021-01-12T19:44:24Z2021-01-12T19:44:24ZCe que la Covid-19 a fait aux sciences sociales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377583/original/file-20210107-17-d8x8yo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C24%2C5447%2C3612&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Prise de parole des SHS lors de la première vague de la Covid-19 dans les médias français : les chercheurs ont appréhendé et offert des outils de réflexions et d'observation de la crise sanitaire et ses conséquences.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/actualites-information-informations-journal-6053/">Pexels/kaboompics.com</a></span></figcaption></figure><p>Il est aujourd’hui évident que l’on peut parler de premier et deuxième pic de contamination à la Covid-19, l’un au printemps et l’autre à l’automne 2020. Lors du premier, on a eu le sentiment que, dans les décisions politiques et le discours médiatique actuels, la <a href="https://www.reiso.org/actualites/fil-de-l-actu/6035-livre-collectif-covid-19-le-regard-des-sciences-sociales">parole</a> des médecins, des épidémiologues et autres virologues, prédominent.</p>
<p>Or, la Covid-19 et les mesures qui ont été mises et sont encore ou de nouveau en place pour contenir les infections ont des répercussions sociales, économiques, psychologiques dans la confiance en les institutions, en l’État, et même en les <a href="https://theconversation.com/covid-19-ce-que-revele-le-classement-des-experts-medicaux-les-plus-mediatises-149373">expert·e·s</a> amené·e·s à prendre la parole.</p>
<p>Les sciences humaines et sociales (SHS) ne sont pas en reste, et il est intéressant d’observer cette prise de parole face à la Covid-19.</p>
<p>Grâce à une <a href="http://msh-paris-saclay.fr/shs-face-au-covid-19/">analyse quantitative et qualitative</a> de la prise de parole des SHS lors de la première vague de la Covid-19 dans les médias français, nous proposons de faire un bilan sur la façon dont les chercheurs ont appréhendé et offert des outils de réflexions et d’observation de la crise sanitaire et ses conséquences.</p>
<h2>Cinq médias, plus de 1 100 articles analysés</h2>
<p>Les SHS sont prises ici par distinction avec les sciences dures et sciences de la vie. Elles interrogent la société, ses fondements et son organisation, ses représentations, ses modes de fonctionnements, et aussi les liens entre ses membres. On peut donc supposer que ce sont ces SHS qui, face à la crise sanitaire, proposent des outils théoriques pour réfléchir et appréhender la crise sanitaire.</p>
<p>Nous avons effectué une veille systématique sur cinq médias, trois journaux nationaux (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/le-professeur-raoult-les-maniaques-et-le-parachute_6036266_3232.html"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/"><em>Le Figaro</em></a> et <a href="https://www.liberation.fr/"><em>Libération</em></a> et deux médias en ligne dédiés à la recherche (<a href="https://aoc.media/"><em>AOC</em></a> et <a href="https://theconversation.com/fr">The Conversation</a>) et collecté <a href="http://msh-paris-saclay.fr/articles_covid/">plus de 1 100 articles</a> depuis mars 2020 que nous avons analysés quantitativement (environ 800) et qualitativement (près de 1100, les critères de sélection étant différents pour les deux méthodes d’analyse) pour évaluer la place et les thématiques abordées par les chercheur·e·s en SHS face à la Covid-19.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1344835453690773505"}"></div></p>
<p>La quantité d’articles écrits par des chercheur·e·s en SHS entre mars et juillet 2020 n’est pas négligeable : avec plus de 800 articles, soit 200 articles par mois, avec un pic de production en avril – comme les taux d’infection, les publications des chercheur·e·s semblent être en réaction surtout aux mesures de confinement et de distance sociale.</p>
<p>On constate des divergences d’un média à l’autre : ainsi <em>Le Monde</em> propose en tout 350 articles, alors que <em>Le Figaro</em> n’en offre que 50, ce qui fait une moyenne de 87,5 articles par mois en moyenne pour <em>Le Monde</em> contre 9 sur <em>Le Figaro</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1344218237551181824"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, on note que les chercheur·e·s en sociologie, économie, philosophie, histoire et sciences politiques sont ceux qui s’expriment le plus. Les problèmes abordés concernent sans grande surprise les questions de la gestion sanitaire de la crise. La place de la science et l’histoire des sciences et des épidémies sont abordées comme outil de compréhension de la crise ; une prise de parole pour éclairer et conceptualiser cette situation nouvelle de connaissances théoriques et empiriques semble être une des intentions premières.</p>
<h2>Qui est compétent pour parler de la pandémie ?</h2>
<p>Ce qui saute aux yeux, c’est le fait que les chercheur·e·s se penchent bien souvent hors de leurs fenêtres disciplinaires pour donner un avis certes éclairé mais non fondé en termes de champ de recherche.</p>
<p>Par exemple, un juriste s’exprime sur <em>Le Figaro</em> pour parler d’éducation, un sociologue pour parler de psychologie ou des historien·ne·s pour parler de politique de gestion de crise sur <em>Le Monde</em>. La question de l’expertise mérite ainsi d’être soulevée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1342747730075144194"}"></div></p>
<p>Qui est compétent pour parler de la pandémie et de ses conséquences sociétales ? Quelles figures d’autorité s’expriment et à quel degré de confiance ont-elles droit ? Ceci peut-être mis en lien avec ce qu’Étienne Klein appelle <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/Le-gout-du-vrai">l’ipsédixitisme</a> : le fait d’accorder la vérité à telle personne de par son autorité acceptée de tou.te.s.</p>
<p>Or, face à un phénomène scientifique inédit telle que la Covid-19, les journalistes ne sont pas forcément équipé·e·s scientifiquement parlant pour <a href="https://www.icfj.org/news/global-survey-journalism-and-pandemic-now-available-four-languages">expliquer les phénomènes</a>, par ailleurs nouveaux donc peu connus des chercheur·e·s mêmes.</p>
<p>Or, comme le constatait la linguiste Sophie Moirand au sujet de l’affaire de la « Vache folle », il est facile de tomber dans l’émotion et la persuasion plutôt que <a href="http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/15040/HERMES_1997_21_33.pdf;sequence=1">l’argumentation scientifique</a>.</p>
<h2>Une parole militante</h2>
<p>La parole des SHS pendant la crise sanitaire est militante. Elle cherche à rendre visible ce qui était avant <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/le-professeur-raoult-les-maniaques-et-le-parachute_6036266_3232.html">invisible</a>. Notre étude révèle que les émotions employées par les chercheur·e·s en SHS sont le plus souvent une émotion neutre, comme le veut la tradition scientifique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1345073666908938241"}"></div></p>
<p>Toutefois, les articles publiés sur <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/covid-19-qui-osera-demander-des-comptes-au-regime-chinois-20200401"><em>Le Figaro</em></a> et <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/04/chronique-d-un-desastre-annonce-l-enfermement-criminel-des-refugies-en-grece_1783973"><em>Libération</em></a>, deux journaux très marqués politiquement, emploient par exemple l’indignation, couplée avec une intention de « dénoncer » telle ou telle situation.</p>
<p>La crise sanitaire questionne alors à la fois la médiation scientifique dans son ensemble et le positionnement des scientifiques en particulier. Comment allier la justesse de la science et l’urgence de faire entendre certains cris d’alerte ?</p>
<h2>Désigner la Covid-19, un défi</h2>
<p>Les difficultés interviennent jusque dans la dénomination de la Covid-19. Dans les titres des articles étudiés, « Covid-19 » voisine avec « coronavirus », voire avec « corona » ou SARS-CoV-2. Plus encore, <em>Le Monde</em> oscille dans la définition de la Covid-19 entre épidémie et pandémie.</p>
<p>Le terme d’épidémie est employé lorsque les articles se réfèrent au <a href="https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2020/04/03/coronavirus-a-paris-les-epidemies-ont-toujours-ete-utilisees-pour-stigmatiser-les-populations-modestes_6035494_4811534.html">contexte français</a>, alors que le terme de pandémie est utilisé lorsque <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/17/mireille-delmas-marty-profitons-de-la-pandemie-pour-faire-la-paix-avec-la-terre_6033344_3232.html">l’aspect international</a> du phénomène est souligné. En somme, désigner la Covid-19 est un défi.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1240275638243786752"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, les SHS évitent la référence biomédicale et focalisent leur regard sur les phénomènes sociaux, économiques, politiques, géographiques, psychologiques, éducatifs… que nous traversons.</p>
<p>Se faisant, les SHS interrogent le terme de « crise » même. Cette crise sanitaire était-elle imprévisible ?</p>
<p>La situation d’incertitude dans laquelle elle plonge la France par exemple, était-elle inévitable ? Le débat a ainsi fait rage entre les économistes quant à savoir si la Covid-19 est un <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/03/21/covid-19-le-cygne-noir-et-les-aveugles_1782601">cygne noir</a> ou un <a href="https://medium.com/incerto/corporate-socialism-the-government-is-bailing-out-investors-managers-not-you-3b31a67bff4a">cygne blanc</a>.</p>
<p>Le cygne noir se caractérise par trois choses : il n’a pas été anticipé, il a des conséquences majeures et rétrospectivement, on peut expliquer pourquoi il est apparu. Autrement dit, du point de vue des responsables politiques, la Covid-19 a bien été un cygne noir. Le cygne blanc est lui un événement qui n’aurait pas dû surprendre. Et c’est ainsi toute la dimension éthique qui s’ouvre au débat : est-il légitime que la pandémie soit un cygne noir pour les gouvernements ?</p>
<h2>Questionner les descriptions</h2>
<p>Les SHS questionnent également la description de la crise : si elle a des effets sur toutes les dimensions des sociétés humaines, et dans toutes ces dites sociétés, faut-il lui attribuer un nom nouveau ?</p>
<p>L’expression de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/20/philippe-descola-nous-sommes-devenus-des-virus-pour-la-planete_6040207_3232.html">« fait mondial total »</a> a été très présente dans les articles analysés. Elle a peu fait l’objet de questionnement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1263048295217336320"}"></div></p>
<p>Or, à présent que l’on dresse un bilan, peut-être faut-il s’interroger sur le monde dont nous parlons. Si la Covid-19 est un événement à l’échelle du monde, le monde est-il notre planète ? Est-ce l’ensemble des sociétés humaines ? Lorsque nous disons que tout est touché par la Covid-19, qu’est-ce que ce tout ? Peut-on encore penser la Covid-19 uniquement du point de vue des humains ? Et si la Covid-19 nous invite à <a href="https://www.terrestres.org/2020/04/30/guerre-et-paix-avec-le-coronavirus/">repenser les liens</a> entre humains et non humains, comment le faire ?</p>
<p>Lors d’un premier temps de la pandémie en France, les SHS ont cherché à éclairer la complexité des facettes de l’événement dans les médias. Les chercheur·e·s ont eu à cœur de décrire la diversité des effets et de leurs impacts sur les populations. Les articles ont également pris la mesure de l’ampleur sociétale et historique de la Covid-19. Se faisant, ils se sont confrontés à de multiples défis que les sciences (SHS, sciences dures et sciences de la vie) ont à charge d’explorer dans le temps et en ouvrant de nouveaux champs de recherche.</p>
<hr>
<p><em>Cet article fait suite à un colloque organisé par la MSH Saclay les 12 et 13 octobre 2020 auquel a pris part The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152460/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Bansard travaille pour la MSH Paris Saclay qui a organisé le colloque auquel il est fait référence dans le texte.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Coralie Bonnaire travaille pour la MSH Paris-Saclay qui a organisé le colloque auquel il est fait référence dans le texte.</span></em></p>Une analyse de la prise de parole des chercheur·e·s en sciences sociales dans les médias français permet de dresser un bilan sur l’apport de ces disciplines pour appréhender la crise sanitaire.Elsa Bansard, Docteure en philosophie, Ingénieure de recherche CNRS,, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayAnne-Coralie Bonnaire, Docteure en information et communication de l’Université de Leipzig, Ingénieure de recherche CNRS, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1478652020-10-11T16:44:03Z2020-10-11T16:44:03ZDébat : Le défi de « produire du politique » pour les sciences humaines et sociales au moment de la crise sanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362645/original/file-20201009-19-14yblpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Contrôles des mesures de sécurité à Paris. </span> <span class="attribution"><span class="source">Thomas Coex/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Une question hante la recherche en sciences humaines et sociales (SHS) ces derniers temps : à quoi servons-nous ? Elle vient notamment de donner lieu à un livre <a href="https://cigev.unige.ch/actu/covid-19-le-regard-des-sciences-sociales/">Covid-19, le regard des sciences sociales</a>. Ce livre développe la réponse suivante : les SHS « produisent de l’orientation ».</p>
<p>En ces temps de crise sanitaire, cette réponse mérite que l’on s’y attarde, y compris pour s’en distancier. Bien évidemment, il est important, d’abord, de resituer la pandémie et les réponses qui lui sont opposées dans leur contexte sociétal, de les mettre en rapport avec les inégalités sociales, avec les récentes transformations des États, ou encore avec les rapports de forces géopolitiques. Une vue d’ensemble sur la réalité sociale affectée par la pandémie ne saurait que bénéficier aux acteurs sociaux de tout ordre.</p>
<p>Ensuite, il importe de construire une notion claire de la place de l’activité scientifique dans ce contexte. Celle-ci, et plus particulièrement la science médicale, est un acteur clé dans le développement des réponses thérapeutiques. Cependant, elle agit en articulation avec des gouvernements, ou encore avec des acteurs économiques. Mieux comprendre dans quels jeux organisationnels l’activité scientifique s’inscrit ne saurait que bénéficier à la recherche, et ce, au-delà des SHS.</p>
<h2>« Produire du politique »</h2>
<p>Dans un cas comme dans l’autre cependant, si l’on a suivi les récents débats sur la science (penser notamment à ceux qu’avait déjà suscités la publication, sous la direction de Bernard Lahire, de <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-___quoi_sert_la_sociologie__-9782707144218.html">À quoi sert la sociologie ?</a>), on est forcé de ressentir un scrupule à l’idée de revendiquer un rôle d’orientation.</p>
<p>Ne serions-nous pas en train d’adopter cette fameuse position « en surplomb » qu’on a pu reprocher à certains grands noms des sciences sociales ? Une telle posture ne pourrait-elle pas être interprétée comme une volonté d’imposer certaines vues de la réalité sociale aux acteurs sociaux, et à nos collègues d’autres disciplines certaines notions de ce qu’est la science dans la société ?</p>
<p>Ce scrupule nous porte à défendre la réponse suivante : il ne s’agit pas tant d’orienter, il s’agit de produire du politique. C’est-à-dire du débat sur des enjeux collectifs, sur des propositions de connaissance et sur leurs conséquences en termes d’action ; et ce dans le domaine scientifique comme dans le domaine public.</p>
<p>« Produire du politique » veut donc dire participer à des débats desquels est susceptible de surgir, à partir de contributions individuelles multiples et par hypothèse souvent contradictoires, des projets de connaissance et d’action collective. De l’orientation donc, mais pas par le discours scientifique lui-même, plutôt par le fait que les scientifiques invitent à débattre, tout en participant eux-mêmes à alimenter ces débats. Lesquels pourront avoir lieu dans le domaine scientifique lui-même, mais aussi dans ce qu’on a pu appeler l’espace public, ou encore dans le cadre du système politique, et enfin dans les multiples arènes qui s’emboîtent en marge de cet espace public et de ce système politique.</p>
<h2>Activité de débat dans la science</h2>
<p>Rappelons encore ceci : l’activité scientifique est pour une part importante une activité de débat. Surtout de débats sur la pertinence d’observations ou d’interprétations. Mais aussi, et c’est principalement ce sur quoi nous voulons ici attirer l’attention, des débats sur la manière d’agir ensemble comme scientifiques : à la fois pour recueillir ces observations, pour discuter ces interprétations, mais aussi pour les faire circuler au-delà des limites du domaine scientifique, ou encore, enfin, pour prendre en compte les réactions nous parvenant de la part de non-spécialistes.</p>
<p>De tels débats doivent concerner toutes les disciplines, les SHS étant toutefois bien placées pour mettre en évidence leur dimension à la fois réflexive et politique ; pour contribuer à les organiser, sur la base de leur analyse de l’état actuel du politique, en associant des disciplines scientifiques très diverses.</p>
<p>Le pari est donc qu’il y a un rôle à jouer par la recherche en SHS de contribuer à revitaliser ou à recréer des débats de ce type et donc, du politique, dans le contexte actuel.</p>
<h2>Analyse, réflexion, retour</h2>
<p>Trois considérations nous amènent à défendre ce rôle pour les SHS.</p>
<p><strong>1. L’analyse de la conjoncture actuelle</strong>, où l’on peut constater une coïncidence entre la pandémie et des indices d’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/international-theory/article/constitutionalism-and-populism-national-political-integration-and-global-legal-integration/C9D54E336E01716FEEF0AFAA090AE61A">érosion du modèle démocratique</a>.</p>
<p>Érosion qui s’alimente, d’une part, d’une <a href="https://www.scidev.net/global/communication/editorials/the-case-for-a-deficit-model-of-science-communic.html">prise de distance excessive entre monde scientifique et monde social</a> ; mais aussi, d’autre part, d’une <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-death-of-expertise-9780190469412?cc=ru&lang=en&">remise en cause du savoir des experts</a>, en lien avec le phénomène politique qu’on a pu qualifier de populisme.</p>
<p>Ces dynamiques en apparence contradictoires se sont d’ailleurs conjointement alimentées de la crise sanitaire, les réponses de certains gouvernements et les avis d’experts les ayant inspirées étant présentés soit comme des solutions attendues, soit comme des exemples de mesures technocratiques méritant d’être rejetées par « le peuple ».</p>
<p>Dans ces conditions, il apparaît difficile de s’interroger sur le rôle de la recherche scientifique face à la pandémie sans s’interroger aussi sur les problèmes d’acceptabilité auquels la science faisait face déjà avant la pandémie. Or un des raisonnements développés face à ces problèmes est qu’il faut, non abolir la distinction de ces deux mondes, mais améliorer leur connaissance réciproque.</p>
<p>Cela exige, non seulement de vulgariser et disséminer des résultats du travail scientifique, mais surtout de faciliter une réappropriation active de la science par les non scientifiques (d’où la promotion de la science ouverte, de la science citoyenne ; d’où les visées fondatrices, par exemple, de <a href="https://theconversation.com/fr">The Conversation</a>). Ce qui suppose une bonne connaissance de la nature et de l’état actuel de la distance entre science et société, et des possibles moyens d’établir des relations, connaissances que, précisément, les SHS ont la responsabilité de développer.</p>
<p><strong>2. Une réflexion, à approfondir, sur la genèse de la démocratie</strong>, et le rôle des sciences dans cette genèse. Réflexion qui mérite de prendre appui sur l’histoire des sciences modernes. En effet, celles-ci ont pris leur essor avant le développement des régimes politiques démocratiques et elles ont fourni à ceux-ci, notamment par les académies, des <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/sc_hum_pensee_occ_t_III_I/revolution_galileenne_I_tdm.html">modèles d’organisation de l’action collective par la concertation</a>, et <a href="https://biblio-bhf.fr/246961">de débats d’idées et d’arguments</a>.</p>
<p>C’est par ailleurs <a href="https://www.librest.com/livres/les-academies-d-art--passe-et-present-nikolaus-pevsner_0-5024626_9782252041277.html">dans le domaine scientifique</a>, à côté des domaines des arts et du droit, que s’est forgée la notion de subjectivité moderne, avec son potentiel d’innovation ou de créativité susceptible de bénéficier à la collectivité. Notion qui prépare le terrain à celle de citoyenneté au sens de participation individuelle au devenir collectif, institutionnalisée par des droits et des obligations.</p>
<p>C’est enfin autour de ces domaines que s’est formé un public critique, qui a pu devenir <a href="https://mitpress.mit.edu/books/habermas-and-public-sphere">l’espace public</a> nécessaire à l’institutionnalisation du politique. Si la science <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/sc_hum_pensee_occ_t_VIII/sc_hum_pensee_occ_t_VIII_intro.html">a joué un rôle dans la formation des démocraties modernes</a>, son rôle pourrait bien être essentiel dans les efforts actuels de réhabilitation de la démocratie. Réhabilitation qui est aussi en jeu dans les réponses qui se construisent face à la pandémie.</p>
<p><strong>3. Un retour sur nos expériences individuelles de travail</strong> ces derniers mois, comme auteur·e·s et chercheur·e·s. Si un certain nombre d’entre nous ont voulu prendre la parole dans l’espace public, ce n’est pas seulement pour défendre certains acquis de nos recherches, mais aussi mus par la perception que les collectifs auxquelles nous appartenons (familles, communautés professionnelles, de voisinage, etc.) se trouvaient remis en cause dans leur nature et dans leurs modalités, que ce que « nous » était en train de changer de sens, et qu’il était urgent de « nous » engager dans ces changements, en « nous » associant aux débats déclenchés par la crise.</p>
<p>Les SHS nous sont d’un précieux secours pour prendre du recul par rapport à cette expérience. Au moment où des scientifiques de nombreuses disciplines, et non seulement des SHS, interviennent dans ces débats, les SHS peuvent mettre en valeur cette dimension essentiellement citoyenne de la parole scientifique.</p>
<h2>Débat sur le débat</h2>
<p>Les SHS mènent des recherches concernant l’ensemble des réalités affectées par la crise sanitaire ; elles auront à les poursuivre, les mettre en rapport entre elles et les mettre en rapport avec les travaux menés par d’autres disciplines scientifiques.</p>
<p>Mais elles ont aussi cette responsabilité : s’interroger sur ce que la crise sanitaire fait à la démocratie ; à laquelle la science participe par essence – et dont la science a vitalement besoin – et participer, par un travail par le débat et sur le débat, à la production du politique, dimension indispensable de la recherche, base indispensable de la démocratie.</p>
<p><em>Ce texte paraît dans le cadre du colloque <a href="http://msh-paris-saclay.fr/colloque-ruptures-des-pratiques-et-dynamique-du-debat-les-shs-face-a-la-crise-covid-19-12-13-10-2020/">« Ruptures des pratiques et dynamique du débat – Les SHS face à la crise Covid-19 »</a> organisé par la MSH Paris-Saclay les 12 et 13 octobre 2020</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En ces temps de pandémie, les SHS doivent générer du débat sur des enjeux collectifs, sur des propositions de connaissance et sur leurs conséquences en termes d’action ; une question de démocratie.Pierre Guibentif, Directeur, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayMaryse Bresson, Directrice , Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427812020-08-07T14:59:47Z2020-08-07T14:59:47Z« Je ne veux pas travailler… » : Est-on vraiment libre de se reposer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347735/original/file-20200715-27-preosr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C0%2C5472%2C3571&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Et si la paresse ou l’oisiveté était une manière d’exprimer notre volonté d’être libre&nbsp;?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/beautiful-young-woman-laying-on-600w-554755387.jpg">PointImages / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Si nous avons tous l’obligation de nous reposer pour survivre, nous ne sommes pas tous égaux en matière de droit au repos. Pourtant celui-ci reste avant tout une condition de notre liberté, de notre possibilité de nous connaître nous-mêmes et de cultiver notre attention à l’égard des autres.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/5Kn2Ibq8R0VkQIiPY5NbLU?si=-qw3T9o0QLC0UHjpWDwd8Q"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/est-on-vraiment-libre-de-se-reposer/id1523077174?i=1000487418184"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>Ainsi, pour la philosophe Mélissa Fox-Muraton, il serait bénéfique que les gens puissent réapprendre à maîtriser leur temps tout en acceptant la passivité qui fait partie de la vie.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet été, les journalistes de The Conversation France s’accordent un instant de détente à l’ombre de la philosophie. Dans cette série en 5 épisodes d’une dizaine de minutes, plongez dans la réflexion sur la notion de repos et sa place dans nos sociétés modernes.</em></p>
<p><em>Chaque semaine, des philosophes vous offrent un éclairage rafraîchissant et vous invitent à considérer les idées de bonheur, de travail, d’ennui ou encore de liberté sous un angle nouveau.</em></p>
<p><em>Installez-vous confortablement dans votre hamac ou sur votre serviette et ouvrez grand vos oreilles</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142781/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Fox-Muraton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le repos constitue la clef de notre possibilité de faire des choix signifiants pour nous-mêmes, et donc une clef pour notre liberté.Mélissa Fox-Muraton, Enseignante-chercheur en Philosophie, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427672020-07-24T09:43:15Z2020-07-24T09:43:15Z« Je ne veux pas travailler… » : Cultivons l’ennui !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347686/original/file-20200715-31-120q9cb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7360%2C4912&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Face au volume de divertissements accessibles, il est devenu très difficile de s’ennuyer vraiment c’est-à-dire de profiter des vertus de l’ennui.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/nothing-interesting-watch-young-african-600w-353560073.jpg">G-Stock Studio / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le confinement a été l’occasion pour beaucoup de gens « privés de sortie » d’expérimenter un nouveau rapport au temps et à l’espace. Il a fallu apprendre à se passer de divertissement, voire même apprendre à se divertir différemment.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f080cd717defa575da5692d/episodes/cultivons-lennui?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/0t9EIxJRyNpJhamrsf74vh?si=F97XD3RGT86KLxMlY_vmRA"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/cultivons-lennui/id1523077174?i=1000485944329"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>Mais que faire lorsque l’ennui pointe le bout de son nez ? Faut-il lutter ou bien se laisser envahir et faire face à l’apparente vacuité de son être ? Dompter l’ennui, faire des moments ennuyeux des moments privilégiés pour exercer sa conscience, n’est-ce pas ça la solution ?</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet été, les journalistes de The Conversation France s’accordent un instant de détente à l’ombre de la philosophie. Dans cette série en 5 épisodes d’une dizaine de minutes, plongez dans la réflexion sur la notion de repos et sa place dans nos sociétés modernes.</em></p>
<p><em>Chaque semaine, des philosophes vous offrent un éclairage rafraîchissant et vous invitent à considérer les idées de bonheur, de travail, d’ennui ou encore de liberté sous un angle nouveau.</em></p>
<p><em>Installez-vous confortablement dans votre hamac ou sur votre serviette et ouvrez grand vos oreilles</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François L'Yvonnet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chercher à convertir son existence plutôt que vouloir se divertir à tout prix, c’est le conseil du philosophe François L’Yvonnet dans cet épisode qui interroge le lien entre repos et ennui.François L'Yvonnet, Professeur de philosophie, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427682020-07-17T12:38:11Z2020-07-17T12:38:11Z« Je ne veux pas travailler… » : Le travail, simple antithèse du repos ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347692/original/file-20200715-35-w5d979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5607%2C3707&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Se reposer consiste aussi à ne pas être disponible pendant un moment.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/office-life-young-woman-sleeping-workplace-69637735">Sergey Mironov / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Dans la course à la productivité, il devient de plus en plus difficile de trouver le temps de se reposer.</p>
<p>Et si nous arrêtions de considérer le repos comme productif, c’est-à-dire comme une simple condition de la performance au travail ? Ne s’agit-il pas au contraire de reprendre le contrôle du temps pour s’autoriser des moments d’oisiveté, de paresse et de procrastination ?</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f080cd717defa575da5692d/episodes/le-travail-simple-antithese-du-repos?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/2R5EQSmAGjgCe4nsPK4Ihh?si=AYiTsRl9TIGZynBhqwLkAQ"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/le-travail-simple-antith%C3%A8se-du-repos/id1523077174?i=1000485283272"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>Dans ce deuxième épisode de notre série d’été « Je ne veux pas travailler », nous verrons notamment que, si la crise et le confinement nous ont permis d’expérimenter un nouveau rythme (intense pour les uns, lent pour les autres), la période aura été trop angoissante pour nous permettre de prendre le recul dont nous avons tant besoin.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346294/original/file-20200708-3970-ghw64j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet été, les journalistes de The Conversation France s’accordent un instant de détente à l’ombre de la philosophie. Dans cette série en 5 épisodes d’une dizaine de minutes, plongez dans la réflexion sur la notion de repos et sa place dans nos sociétés modernes.</em></p>
<p><em>Chaque semaine, des philosophes vous offrent un éclairage rafraîchissant et vous invitent à considérer les idées de bonheur, de travail, d’ennui ou encore de liberté sous un angle nouveau</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142768/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ghislain Deslandes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’après le philosophe Ghislain Deslandes, si l’intensité est devenue une vertu, le repos ne doit plus s’envisager comme un moment du travail, mais bien comme un changement radical de rapport au temps.Ghislain Deslandes, Professeur en philosophie des sciences de gestion, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1424552020-07-10T07:27:03Z2020-07-10T07:27:03Z« Je ne veux pas travailler… » : le repos, une invention humaine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/346684/original/file-20200709-30-zqq2wf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2795%2C1970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sommes-nous trop humains pour pouvoir nous reposer pleinement&nbsp;?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/young-girl-kitten-sleeping-on-white-165834341">Alena Haurylik / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>D’après le philosophe Laurent Bibard, l’être humain peut être considéré comme un animal dénaturé, délogé de la nature. Ainsi, se reposer (se poser à nouveau) consiste à créer les conditions d’une vie apparaissant « comme naturelle ».</p>
<p>Mais, pour se reposer pleinement et véritablement il convient de s’arrêter de réfléchir, de bouger ou même de parler pour porter son attention sur l’instant présent et l’essentiel… en silence.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/7j9mm8kM3uDKp06cFtafZ8?si=hslXHSMjTeaofSMI_jQBkw"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/le-repos-une-invention-humaine/id1523077174?i=1000484060772"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346293/original/file-20200708-3983-1qg1me7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
</figcaption>
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<p><em>Cet été, les journalistes de The Conversation France s’accordent un instant de détente à l’ombre de la philosophie. Dans cette série en 5 épisodes d’une dizaine de minutes, plongez dans la réflexion sur la notion de repos et sa place dans nos sociétés modernes.</em></p>
<p><em>Chaque semaine, des philosophes vous offrent un éclairage rafraîchissant et vous invitent à considérer les idées de bonheur, de travail, d’ennui ou encore de liberté sous un angle nouveau.</em></p>
<p><em>Installez-vous confortablement dans votre hamac ou sur votre serviette et ouvrez grand vos oreilles</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans ce premier épisode, le philosophe Laurent Bibard nous éclaire sur l'étymologie du mot « repos » et le(s) sens à donner à cette notion qui fait de l'homme un animal dénaturé.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1350782020-04-05T16:59:28Z2020-04-05T16:59:28ZDébat : Doit-on à tout prix imposer un « sens » à l’actualité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/325036/original/file-20200402-74878-1sa6hog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C37%2C1165%2C786&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Come with me' Danil Golovkin. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ccsearch.creativecommons.org/photos/96df7d1c-030f-4919-b8d5-aeeb5d0bd832">Behance</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les intellectuels devraient-ils aujourd’hui se contenter de « cueillir des fraises », pour reprendre l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-sibeth-ndiaye-s-excuse-apres-avoir-parle-des-enseignants-qui-ne-travaillent-pas_3885431.html">expression pour le moins regrettable</a> de la porte-parole du gouvernement ?</p>
<p>Evidemment, non. Les intellectuels, principalement des universitaires bénéficiant d’une position institutionnelle stable dans le champ académique, se distinguent par leur capacité à nommer le monde et à lui trouver des significations. Ils ont en cela un rôle important dans la construction de l’ordre symbolique d’une société, puisqu’ils participent à la compréhension de l’histoire collective. Mais par temps de « guerre », les intellectuels ont-ils toujours une prise sur le sens de notre destin ?</p>
<h2>La place des intellectuels</h2>
<p>« Toutes les sociétés ont eu leurs scribes », disait <a href="https://calmann-levy.fr/livre/lopium-des-intellectuels-9782702134740">l’historien Raymond Aron</a>. Les nôtres s’expriment dans les <a href="https://www.cairn.info/l-histoire-des-intellectuels-aujourd-hui--9782130531616-page-201.htm">médias écrits traditionnels</a> ou sur la radio publique. Ils sont plutôt des hommes blancs de plus de 55 ans.</p>
<p>Par exemple, entre le 17 et 31 mars 2020, sur les 50 prises de position publiées dans la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/">rubrique « Idées » du <em>Monde</em></a>, 38 ont été signées par des hommes. Excepté les quatre tribunes signées par des collectifs de personnalités, la large majorité des contributions (41) provient de l’univers académique.</p>
<p>Ces intellectuels utilisent les concepts qu’ils ont forgés dans leurs travaux universitaires pour éclairer l’actualité politique. Ainsi, dans deux tribunes différentes publiées récemment dans le journal <em>Le Monde</em>, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/la-crise-sanitaire-incite-a-se-preparer-a-la-mutation-climatique_6034312_3232.html">Bruno Latour</a>, célèbre philosophe et sociologue des sciences, et l’économiste nobélisé <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/jean-tirole-face-au-coronavirus-allons-nous-enfin-apprendre-notre-lecon_6034318_3232.html">Jean Tirole</a> nous expliquent que la vraie urgence n’est pas la guerre contre le Covid-19, mais la crise climatique.</p>
<p>Au premier abord, leur rappel de la « vraie » urgence est sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« peut-être faut-il prendre conscience que la lutte contre le changement climatique comme celle contre le coronavirus, est la responsabilité de tous » (Tirole).</p>
</blockquote>
<p>« Responsabilité de tous », « responsabilité de l’État », il y a toujours des nuances dans les prises de position, mais l’essentiel est ailleurs : la parole de ces intellectuels <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1985_num_59_1_2272">oriente</a> le regard du citoyen, définit ce qui est important et ce qui n’est pas important, en le forçant implicitement à prendre lui-aussi position.</p>
<p>Cette imposition de problématique peut s’apparenter à une forme de violence symbolique, c’est-à-dire à la construction d’un horizon des possibles qui ne fait que <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/raisons-pratiques-reedition-pierre-bourdieu/9782757841709">traduire la vision du monde des forces sociales dominantes</a>.</p>
<p>Mais au-delà de cet aspect récurrent de la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-intellectuels-en-europe-au-xixe-siecle-essai-d-histoire-comparee-christophe-charle/9782020239578">marche des idées</a>, ce type de tribunes pose aujourd’hui un autre problème. Elles obligent les citoyens ordinaires à penser à tout prix « le sens » de l’actualité. Elles leur interdisent de partir dans tous les sens ou d’accepter le non-sens de leur condition.</p>
<p>Il faut croire que cette mince possibilité de s’arrêter et de ne pas penser, de se laisser envahir par le calme ou par la peur, par des sentiments contradictoires ou par le vide est si terrifiante socialement que certains considèrent qu’il faut remettre de toute urgence de l’ordre avant que cela ne soit pas trop tard.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Non sens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Surubaru</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« To be or not to be » en guerre</h2>
<p>En sciences sociales, l’idée que le langage ordinaire peut induire en erreur le chercheur est largement partagée. Les manuels de sociologie invitent ainsi les étudiants à <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/metier-de-sociologue/">se méfier des prénotions</a>, c’est-à-dire des mots qui construisent le sens du monde au quotidien.</p>
<p>Quand le Président Macron dit que « nous sommes en guerre », le bon sens académique nous oblige donc à prendre cette expression avec des pincettes. Malgré le caractère exceptionnel de la situation sanitaire liée au Covid-19, « il ne s’agit pas d’une guerre, parce qu’il n’y a pas d’ennemi » rappelait la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/30/claire-marin-l-epreuve-de-la-rupture-peut-nous-disloquer-jusqu-a-la-folie_5443447_3232.html">philosophe Claire Marin</a>.</p>
<p>« Parler de guerre me semble inadapté, incongru et déplacé, c’est même une faute », considère lui-aussi <a href="https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/2020-03-31/michel-wieviorka-coronavirus-parler-de-guerre-est-une-faute-843666.html">l’historien Michel Wierviorka</a>.</p>
<p>Pour Bruno Latour, le problème n’est pas tant ce virus qui mène tranquillement sa vie (de « la gorge en nez en nous tuant sans nous en vouloir »), mais l’humain qui détruit la Planète. Selon lui, le véritable enjeu de cette crise est de dévoiler l’incapacité de l’État actuel à gérer la crise climatique. Les décisions actuelles de Macron illustrent selon lui l’existence d’un État enfermé dans la logique du biopouvoir, c’est-à-dire un État du XIX<sup>e</sup> siècle qui gérerait des populations de manière autoritaire sur son territoire.</p>
<p>Pour Jean Tirole :</p>
<blockquote>
<p>« dans leur quotidien, les citoyens ne mettent pas systématiquement la vie au-dessus de l’argent et ne sont pas prêts à réduire considérablement leur consommation en échange d’un monde plus sûr. »</p>
</blockquote>
<p>C’est pourquoi, l’économiste les exhorte à « apprendre leur leçon » pour :</p>
<blockquote>
<p>« faire jouer la pression sociale pour pousser les acteurs économiques à agir dans le sens du bien commun. »</p>
</blockquote>
<h2>Pourtant… « nous sommes en guerre »</h2>
<p>Malgré les réticences justifiées des universitaires à l’égard de l’usage politique du mot « guerre », celui-ci reste un des <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/philosophie/essais-d-empirisme-radical">cadres possibles d’interprétation</a> de la situation actuelle. En effet, lorsque le Chef des armées déclare « nous sommes en guerre », cela a des conséquences directes sur l’organisation de la société. Ainsi, les rythmes de la vie privée se retrouvent bousculés du jour au lendemain et les règles de fonctionnement de la sphère publique révisées de manière discrétionnaire. Le Président de la République n’est pas l’État, mais il dispose d’un pouvoir d’agir fondamental sur une population et un territoire. C’est pourquoi, lorsqu’il dit « faire la guerre », ces mots ne sont pas anodins, au-delà de simples procédés rhétoriques.</p>
<p>Pourquoi alors de nombreuses tribunes publiées à propos de la lutte contre le Covid-19 rejettent l’idée de l’existence d’une « guerre » ?</p>
<p>Pour le citoyen ordinaire, la guerre est une <a href="https://www.tallandier.com/livre/des-hommes-ordinaires/">perte de contrôle</a> de sa situation individuelle. Ce n’est pas lui qui décide du sens immédiat de ses activités, mais le pouvoir politique.</p>
<h2>Accélération du temps social</h2>
<p>Cette capacité structurante du politique n’est pas une particularité des situations de guerre : nos existences sont régies de la maternité aux pompes funèbres par les décisions de nos gouvernants. Mais l’accélération du temps social face à un « ennemi » commun (réel ou supposé) rend le pouvoir visible, palpable et de ce fait, insupportable pour beaucoup d’entre nous.</p>
<p>Confronté à cette perte de contrôle, chacun réagit avec les armes dont il dispose. Jean Tirole, Bruno Latour ou Michel Wieviorka ne sont pas des citoyens ordinaires : ils représentent les savoirs académiques institués. Leurs idées sont donc les idées d’un monde universitaire légitime, qui se donne le luxe de pouvoir reformuler les priorités du jour, à contre-courant de l’expérience immédiate du monde.</p>
<p>Or, pour ceux et celles qui n’ont pas ces armes à leur disposition, ni l’illusion de pouvoir jouer un rôle dans l’histoire de leur pays, la guerre peut être un cadre qui donne du sens à la perte de sens. Les priorités d’hier semblent ridicules aujourd’hui, car le temps n’a plus de consistance. La peur ou l’anxiété de vivre confiné se mêle à la peur de mourir ou de voir mourir. L’attente devient l’horizon commun des citoyens ordinaires, tout comme ce goût amer de brouillage de repères. Même si les intellectuels s’efforcent dans les médias à donner du sens à la violence de ce nouveau quotidien, celle-ci leur échappe. Tout comme le pouvoir d’agir sur le sens de notre destin collectif, qui reste fondamentalement un acte politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alina Surubaru a reçu des financements de la Fondation Bordeaux Université, de la Région Nouvelle Aquitaine et du CNRS.
Actuellement, ses travaux de recherche sont financés par l'Agence nationale de la Recherche. </span></em></p>Pour celles et ceux qui n’ont pas l’illusion de pouvoir jouer un rôle dans l’histoire de leur pays, la guerre peut être un cadre qui donne du sens à la perte de sens.Alina Surubaru, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1331272020-03-11T17:37:19Z2020-03-11T17:37:19ZRéussir l’aventure de la thèse, tout un art !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319577/original/file-20200310-61060-1kgr9uv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C998%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La thèse est une épreuve d'endurance;</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/female-student-taking-notes-book-library-516640027">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Qu’est-ce qu’une bonne thèse en sciences sociales ? Comment la construire au mieux, de la question de recherche à la rédaction, et comment gérer concrètement ce marathon ? Alors que les taux d’abandon sont élevés en doctorat de sciences humaines et sociales, Éric Pichet propose dans <a href="https://www.editionsdusiecle.fr/L-Aventure-de-la-these">« L’Aventure de la thèse »</a> (Les Éditions du Siècle) une méthodologie pour faire face aux principaux écueils qui se présentent et inventer sa propre stratégie. En voici un extrait.</em></p>
<hr>
<p>La rédaction et la soutenance d’une thèse constituent l’aboutissement d’un marathon intellectuel (c’est le parcours de thèse) mais aussi physique, affectif et psychologique. La thèse est un monstre qu’il faut apprivoiser : il faut donc s’y préparer. Quand on interroge les doctorants, ils estiment globalement que leurs conditions de travail au quotidien sont bonnes, mais que la thèse et une source de stress pour 74 % d’entre eux, tout particulièrement pour ceux qui dépassent la <a href="https://intranet.univ-rennes2.fr/sites/default/files//UHB/ESPACE-RECHERCHE/Rapport_conditions%20des%20doctorants.pdf">3ᵉ année de thèse</a>, d’où l’intérêt de bien gérer son temps de thèse.</p>
<h2>Une épreuve intellectuelle initiatique</h2>
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<p>« Comme le coureur de fond, le doctorant doit tenir la distance. Mais, à la différence du marathonien, personne n’a tracé pour lui de ligne d’arrivée. Le plus dur dans la thèse, c’est de finir. » (H. Lhérété, « La solitude du thésard de fond », Sciences humaines, octobre 2011)</p>
</blockquote>
<p>C’est une épreuve personnelle, une épreuve d’endurance intellectuelle et physique, temps d’une métamorphose presque kafkaïenne, une évolution riche et dense permettant de passer de l’état d’étudiant à celui de chercheur, avec de nombreux écueils qui peuvent être dramatiques. Au vu des risques encourus et de l’investissement personnel du doctorant, il faut peser soigneusement les avantages et les inconvénients de l’aventure avant de se préparer à jouer parfois trois à cinq années de sa vie et de finir dans une impasse, se préparer financièrement, psychiquement, émotionnellement et familialement.</p>
<p>Un plan de travail doit être mis en œuvre : il consiste à fixer les différentes étapes du travail de recherche, ce qui n’est pas facile pour une première œuvre de chercheur. Il faut pêle-mêle définir les outils, concepts, démarches, documents, et identifier les tâches à accomplir ainsi que leur logique. En la matière, <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1936Sci...83..369./abstract">I. Pavlov</a> donne 3 conseils : d’abord, apprendre à travailler graduellement, progressivement, en « apprenant l’ABC de la science avant de tenter d’en escalader le sommet, ensuite rester modeste : « ne pensez jamais que vous savez déjà tout » et enfin cultiver la passion de la recherche : « souvenez-vous que la science exige d’un homme toute sa vie, même avec deux vies, ce ne serait pas suffisant pour vous. Soyez passionné dans votre travail et vos recherches ».</p>
<h2>Un marathon physique et psychique</h2>
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<p>« Le temps est le principal ennemi du doctorant. » (Le principal adage doctoral)</p>
</blockquote>
<p>Voyage au long cours ou pèlerinage, la thèse est une épreuve d’endurance : il importe de bien s’y préparer et de mûrement réfléchir à son sens et à son utilité avant de se lancer. Une fois le candidat parti pour l’aventure, l’opiniâtreté est la clé de la réussite. Si le respect des échéances peut paraître contraignant, il est crucial car il libère les énergies par la contrainte qu’il exerce. C’est un paradoxe inhérent à l’activité intellectuelle que la réflexion (la phase de maturation qu’implique toute véritable recherche sur des problèmes complexes) demande du temps, mais qu’on n’y avance vraiment que sous le poids de l’urgence.</p>
<p>Même s’il n’y a que 24 heures dans une journée, il est essentiel de suivre une discipline rigoureuse, car la recherche tient de la course, et la thèse, de la course contre le temps. Mais c’est un très long marathon, pas un sprint : il faut profiter de la course, cultiver son sens de l’humour et une certaine distanciation vis-à-vis de l’objet de recherche, de sa démarche et de soi-même (par exemple en pensant aux visions, considérées maintenant comme totalement erronées, des grands chercheurs du passé), prendre soin de sa santé – forme physique, mais aussi santé psychologique – et cultiver son environnement affectif, familial et social.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RSYtKCNvYbM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande dessinée de Tiphaine Rivière revient sur un mode humoristique sur toutes les difficultés de la thèse.</span></figcaption>
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<h2>Les deux dispositions antagonistes du doctorant</h2>
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<p>« Les chercheurs en sciences sociales sont au mieux des artistes, plus communément des artisans d’art. Ils doivent l’admettre avec humilité et orgueil. Et bien comprendre qu’ils font acte de création plutôt que de connaissance – ou plutôt que leur acte cognitif est indissolublement un acte créatif. » (J.-F. Bayart, « Faire des sciences sociales, un acte de création », EHESS, 2013)</p>
</blockquote>
<p>Le doctorant doit faire preuve de rigueur mais également cultiver d’autres dimensions suivant en cela de <a href="https://www.quebec-amerique.com/livres/biographies-idees/dossiers-documents/artistes-artisans-et-technocrates-dans-nos-organisations-206">P. Pitcher</a> qui souligne trois grands types de qualités du chercheur à savoir celles de l’artiste, « audacieux, imaginatif, changeant, intuitif, imprévisible, émotif, inspirateur et drôle », du technocrate qui « travaille avec précision, sérieux, analytique cérébral, méthodique, intense, résolu » et enfin de l’artisan, « sage, honnête, direct, raisonnable, réaliste, responsable ».</p>
<p>Un projet de recherche doctorale comprend toujours deux phases qu’il n’est pas facile de distinguer : une première phase de découverte, faisant appel à l’intuition, inductive, non linéaire, et une seconde phase de validation des hypothèses, puis de présentation de la démarche et des résultats, passant du thème de recherche à l’état de l’art puis à la problématique – la question de recherche, les hypothèses et les résultats – phase qui est, quant à elle, linéaire. Mais il faut bien comprendre que la démarche de recherche proprement dite, qui aboutit à une présentation finale la plus claire et la plus ordonnée possible, n’est pas du tout claire et ordonnée avant.</p>
<h2>Des qualités intuitives</h2>
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<p>« C’est à l’intuition que se dévoile et se révèle tout d’abord l’essence propre et véritable des choses, bien que d’une manière encore toute relative. Tous les concepts, toutes les idées, ne sont que des abstractions, c’est-à-dire des représentations partielles d’intuitions, dues à une simple élimination par la pensée. » (A. Schopenhauer, 1819)</p>
</blockquote>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=917&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1153&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1153&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319586/original/file-20200310-61070-c3lud3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1153&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Éditions du Siècle</span></span>
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<p>C’est souvent sur des intuitions d’abord totalement irrationnelles et profondément paradoxales que reposent les grandes percées de la recherche fondamentale, selon un processus abductif d’ordre presque artistique ou qui, en tout cas, rapproche la science de l’art, l’imagination n’étant pas un obstacle épistémologique au progrès scientifique. Le doctorant doit donc être capable, dans le même temps, de douter, de s’interroger, de ne pas accepter l’évidence (l’important est de ne jamais cesser de questionner), de faire preuve d’imagination, d’échafauder des hypothèses – même les plus saugrenues –, ne pas censurer son imagination, de la cultiver et de faire preuve de <a href="https://www.lesechos.fr/2010/05/le-chercheur-un-pirate-individualiste-et-marginal-424548">rigueur</a>. Le <em>Research instinct</em>, c’est cette capacité à démarrer un projet et à l’aborder sous tous les angles.</p>
<p>Où trouver l’inspiration ? On dit souvent que, lors des conférences scientifiques, les moments les plus importants sont les pauses-café qui permettent d’échanger sur les présentations auxquelles on a assisté, de discuter telle ou telle question. <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/chercheur-au-quotidien-sebastien-balibar/9782370210258">S. Balibar</a> traduit ainsi son expérience de chercheur :</p>
<blockquote>
<p>« On ne trouve pas en se précipitant, encore moins en s’agitant. On trouve parfois même autre chose, que ce que l’on cherche. Mieux vaut se concentrer, réfléchir, rêver même. Je m’arrête de courir la nuit, et c’est souvent là dans une demi-conscience, que les idées me viennent. Je me réveille et je me dis : “Tiens, je devrais essayer ça, c’est peut-être pas complètement idiot ?” Oh ! Traîner mène certainement à l’échec, mais s’obstiner à trouver est loin de suffire pour réussir.</p>
<p>On ne trouve pas par hasard mais pas non plus en ne pensant qu’à ce qu’on cherche. C’est un peu comme lorsqu’un nom m’échappe, celui de quelqu’un que je connais pourtant. Mais comment s’appelle-t-il, enfin ? Trois minutes plus tard, je pense à autre chose, je me détends… et ce nom me revient tout seul. J’en ai parlé à des chercheurs en neurosciences. L’explication semble liée à la complexité de l’organisation du cerveau. Voilà autre chose que j’aimerais bien comprendre un jour. »</p>
</blockquote>
<h2>Des qualités de rigueur</h2>
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<p>« Une patience impatiente : tel est le ressort de la recherche scientifique. » (J. Hamburger, La Croix, 23 janvier 2019)</p>
</blockquote>
<p>Si les qualités intuitives déclenchent souvent une recherche ou initient des hypothèses, c’est la rigueur scientifique qui permet au chercheur d’échapper à ce que <a href="https://www.babelio.com/livres/Montaigne-Les-Essais/5234">Montaigne</a> qualifiait « d’ignorance que la science fait et engendre ». La rigueur scientifique commence avec la rigueur analytique qui doit être constamment présente à l’esprit du doctorant. Il faut par exemple vérifier soigneusement les sources, surtout dans la phase de revue de la littérature.</p>
<p>On s’inspirera de l’avertissement de E. Gibbon dans sa somme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_d%C3%A9cadence_et_de_la_chute_de_l%27Empire_romain">sur l’Empire romain</a> : « Le soin et l’exactitude dans la recherche des faits sont le seul mérite dont un historien puisse se glorifier, si toutefois il y a quelque mérite à remplir un devoir indispensable. Il doit donc m’être permis de déclarer que j’ai soigneusement examiné toutes les sources premières propres à me fournir quelques éclaircissements sur le sujet que j’ai entrepris de traiter. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le taux d’abandon est élevé en doctorat de sciences humaines et sociales. Pour relever le défi, mieux vaut être un thésard averti, avec une bonne méthodologie.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1314392020-02-10T18:47:25Z2020-02-10T18:47:25ZSciences humaines et sociales : revues en grève, qui sont-elles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314454/original/file-20200210-109896-8c0crt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C2%2C1585%2C895&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avec une diversité de modèles, les revues de sciences humaines misent sur le dialogue entre les disciplines et alimentent le débat public.</span> <span class="attribution"><span class="source">Vincentag on Visualhunt</span></span></figcaption></figure><p>Depuis deux mois, dans le prolongement de la mobilisation contre la réforme des retraites, les membres de l’enseignement supérieur et de la recherche s’inquiètent de la précarité grandissante des étudiant·e·s et des jeunes enseignant·e·s chercheur·e·s . Ils s’élèvent contre les évolutions de leur statut et celles du financement de la recherche que pourrait entériner la prochaine loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR).</p>
<p>Dans ce cadre, <a href="https://universiteouverte.org/2020/01/20/liste-et-motions-des-revues/">plus de cent revues académiques</a> se sont déclarées <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-journal-des-idees-emission-du-lundi-03-fevrier-2020">solidaires</a> du mouvement, « en lutte », voire en grève. Très largement issues des <a href="https://journals.openedition.org/traces/8803">sciences humaines et sociales</a>, elles veulent ainsi accorder à celles et ceux qui les produisent le temps nécessaire à la mobilisation. Par ce biais, elles mettent aussi en avant le rôle central qu’elles ont pu acquérir dans le système tant politique qu’économique et symbolique de la recherche.</p>
<p>Pourtant, ce mouvement a surpris, d’autant qu’à de rares exceptions (du côté de revues très généralistes comme <em>Esprit</em> ou <em>Critique</em>, ou de revues liées aux mondes militants comme <em>Mouvements</em> ou <em>Vacarme</em>), elles sont très peu connues du grand public, et de moins en moins présentes dans les rayonnages même des librairies spécialisées.</p>
<h2>Diversité éditoriale</h2>
<p>Comment les présenter de manière synthétique ? En réalité, il serait illusoire de chercher une formule qui résume précisément leur rôle. Il faut au contraire prendre acte de leur très grande diversité. Les revues peuvent être généralistes ou spécialisées, se centrer sur un domaine de recherche ou croiser les disciplines.</p>
<p>Elles sont diffusées en ligne ou en format « papier », sont payantes ou en accès libre. Certaines publient des textes à flux continu (au fur et à mesure qu’ils sont proposés et acceptés), d’autres les regroupent au sein de dossiers (qui ont ou non fait l’objet d’un appel à contribution au sein de la communauté scientifique)… Et entre ces multiples classifications, toutes les combinaisons sont possibles !</p>
<p>Une même diversité est à l’œuvre concernant leurs influences respectives dans les mondes de la recherche pour lesquels elles comptent. Si les influences officielles sont très différentes au sein des instances d’évaluation, du type Conseil National des Universités (<a href="https://www.conseil-national-des-universites.fr/cnu/#/">CNU</a>), Comité National de la Recherche scientifique (<a href="https://www.cnrs.fr/comitenational/accueil.html">CoNRS</a>) ou Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (<a href="https://www.hceres.fr/fr">Hcéres</a>), elles exercent une influence officieuse bien réelle sur les carrières des chercheur·e·s .</p>
<p>Y publier régulièrement, si ce n’est fréquemment, est déterminant tant pour être recruté que pour avancer dans la carrière. Il est également important de participer à l’un de ces différents comités :</p>
<ul>
<li><p>comité scientifique : l’instance, souvent inactive, de légitimation ;</p></li>
<li><p>comité de rédaction ou éditorial : les chevilles scientifiques des revues, qui fabriquent scientifiquement chaque numéro ;</p></li>
<li><p>comité de lecture : les chercheur·e·s qui évaluent les articles soumis par les auteurs et autrices.</p></li>
</ul>
<p>Cette influence se manifeste avec plus ou moins d’acuité selon les disciplines : par exemple, en économie, la plupart des publications se font dans les revues et elles sont interclassées de manière très hiérarchisée. En histoire, les ouvrages, collectifs ou individuels, occupent une place tout aussi voire plus importante que les revues.</p>
<h2>Un modèle économique singulier</h2>
<p>Lieux de pouvoir, les revues se caractérisent aussi par des économies singulières, renforcées par le fait que les chercheur·e·s qui y participent le font à titre bénévole – sauf dans quelques rares cas qui rémunèrent. Quand ces chercheur·e·s sont titulaires, ce n’est pas vraiment du bénévolat, puisque cela contribue avec d’autres responsabilités à leur carrière, même si cela ne fait pas en soi partie de leurs fonctions.</p>
<p>Quand ils ne sont pas titulaires (précaires et/ou doctorant·e·s ), cela ressemble à tout sauf à une sinécure. Dans tous les cas, cette économie échappe pour tout ou partie aux chercheur·e·s mêmes – certaines revues poussant le bouchon jusqu’à leur faire payer un <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3238">coût d’entrée</a> – évidemment pris sur leurs contrats de recherche, donc le plus souvent de l’argent public, pour payer à un savoir public le droit d’être diffusé…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-invisibles-du-travail-scientifique-125694">Les « invisibles » du travail scientifique</a>
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<p>Dans la continuité de cette économie complexe, une autre originalité de ce mouvement des revues est d’avoir rappelé, s’il le fallait, que les revues ne sont pas faites que par les chercheur·e·s . Comme toute activité scientifique, elles sont rendues possibles par le travail d’un grand nombre de personnes aux statuts variés.</p>
<p>Elles nécessitent une haute technicité prise en charge par toute une série de métiers souvent peu visibles, et le plus souvent malmenés dans leurs conditions de travail : les éditeurs et éditrices (ou encore « secrétaires de rédaction » : parfois fonctionnaires titulaires, parfois en CDD, parfois payés à la tâche comme pour la relecture « ortho-typo »…), des <a href="https://journals.openedition.org/traces/9283">graphistes</a> aussi, et les travailleurs et travailleuses du numérique, de plus en plus centraux dans le paysage éditorial contemporain (que l’on pense à la structure publique qu’est <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invisibles-de-lusr-2004/blog/100120/une-nouvelle-place-de-greve-retour-sur-un-blocage-numerique">OpenEdition</a> ou à d’autres, privées, comme <a href="https://www.cairn.info/">Cairn</a>.</p>
<h2>Entre temps long et fragilité</h2>
<p>Dans cette myriade d’activités et de métiers, de modèles économiques et éditoriaux que forment les revues, il faut encore compter avec une temporalité spécifique qui place les rédactions face à des dilemmes. Ce qu’elles bloquent actuellement est un long travail qui a eu lieu pour partie il y a longtemps : commander (directement ou par le biais d’un appel argumenté) un texte, le faire évaluer par les spécialistes du domaine, communiquer ces évaluations aux auteurs et entrer avec eux dans un processus qui nécessite une deuxième (voire troisième et plus) version de leur texte, amener un ensemble de textes à être prêts dans une temporalité rapprochée, les éditorialiser, les mettre en ligne ou les imprimer, etc. Difficile de faire tout cela en moins de deux ans.</p>
<p>D’autre part, si elles devaient documenter ou analyser le mouvement actuel depuis leur propre site, ces analyses ne pourraient donc être publiées que dans un long moment.</p>
<p>Globalement, si ce processus a tout d’un processus vertueux (assurant l’anonymat réciproque des personnes soumettant des papiers et de celles qui les évaluent), il répond aussi aux critères de « l’excellence ». Du coup, arrêter les revues, ou se déclarer « revue en lutte », revient également à s’interroger sur cette dimension : quelle est la part d’accréditation que les revues, volontairement ou non, véhiculent, au-delà de la simple confection d’un savoir intéressant ?</p>
<p>Notons que, comme dans tout contexte dominé par ladite excellence, les revues sont mises en concurrence entre elles. En entamant une réflexion commune, à travers des assemblées générale ou une liste d’échanges, elles espèrent aussi bloquer cette dynamique.</p>
<p>Enfin, en admettant qu’elles ne soient pas épargnées par les rapports de domination qui traversent la société, les revues peuvent être amenées à s’imposer des règles autour de la parité de genre, de la participation de jeunes chercheur·e·s au comité de rédaction… Qu’elles se mobilisent ou non, elles n’ont pas pu échapper à des débats de ce type, sachant qu’il n’est pas de science innocente ou pure (comme peuvent le rappeler les travaux de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Donna_Haraway">Donna Haraway</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Stengers">Isabelle Stengers</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-si-peu-de-femmes-dans-la-recherche-francaise-123487">Pourquoi si peu de femmes dans la recherche française ?</a>
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<p>Dans le contexte actuel, un tel constat vient accréditer la thèse de la précarité comme condition sine qua non de notre temps, selon l’anthropologie d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Tsing">Anna Tsing</a>. Que les revues tiennent (et tiennent en partie le système d’évaluation du monde de la recherche) ne doit pas occulter le fait que ça ne soit que provisoire, fragile, temporaire. Cela doit aussi inviter à repenser les modes de diffusion des savoirs, jusqu’au langage par lequel nous construisons et transmettons nos savoirs – tout aussi précaires et transitoires que ces revues.</p>
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<p><em>En 2018, la revue Tracés a consacré un numéro spécial au travail des revues en sciences humaines et sociales, intitulé <a href="https://journals.openedition.org/traces/8803">« Faire revue »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131439/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Pecqueux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte de mobilisation des enseignants-chercheurs, plus d’une centaine de revues se sont déclarées « en grève » ou « en lutte ». Quel est leur rôle dans le paysage des sciences humaines ?Anthony Pecqueux, Sociologue au CNRS, Centre Max Weber, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1305892020-02-02T19:04:59Z2020-02-02T19:04:59ZDe la géopolitique des humanités à l’humanité de la géopolitique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312914/original/file-20200130-41485-10c690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C12%2C2111%2C1589&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> Le monde : Possessions coloniales et routes commerciales, 1910</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:World_1910.jpg?uselang=fr">University of Texas</a></span></figcaption></figure><p>Lors d’un récent <a href="https://www.ens.fr/agenda/quelles-humanites-pour-l-europe/2020">colloque</a> à l’École normale supérieure, une soixantaine d’intervenants furent invités à s’interroger sur la « transformation de l’humanité » par les nouveaux enjeux scientifiques et l’« appel aux humanités » qui se laisse entendre par la suite. Comment les humanités peuvent-elles transmettre l’humanité de nos jours ?</p>
<p>La Chaire Géopolitique du Risque a répondu à cet appel en organisant une table-ronde autour de la question <a href="http://geopolitics-of-risk.ens.fr/en/geopolitique-pratique-des-humanites">« Géopolitique : pratique des humanités ? »</a>. La géopolitique est-elle une science ? Y a-t-il une théorie de la géopolitique ? Et si c’est le cas, alors s’agit-il d’une science humaine, c’est-à-dire d’une science dont la vocation est de capter, de documenter, d’analyser et de comprendre l’humanité dans l’être humain ? Ou s’agit-il plutôt d’un rassemblement encyclopédique des comportements tactiques de ceux qui détiennent le pouvoir militaire et politique ?</p>
<h2>Aux origines de la géopolitique</h2>
<p>Le discours de la géopolitique, tel qu’il est mobilisé dans l’analyse de la politique internationale aujourd’hui, puise dans des sources, des concepts et des perspectives bien disparates. Et pourtant, ses affinités institutionnelles et ses parcours professionnels s’alignent surtout avec des intérêts, des questions et des réponses propres aux sciences sociales.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312916/original/file-20200130-41527-bu9bkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Friedrich Ratzel (1844-1904).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Ratzel#/media/Fichier:Bundesarchiv_Bild_183-R35179,_Prof._Friedrich_Ratzel_(cropped).jpg">Bundesarchiv, Bild 183-R35179</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>À la différence marquante d’autres traditions nationales, la géopolitique en France se comprend comme une symbiose historiquement déterminée entre la géographie et la science naturelle. <a href="https://www.jstor.org/stable/27880898?seq=1">Ratzel</a>, parrain de la géopolitique française, pense éternaliser ce lien en affirmant en 1897 qu’« un peuple doit vivre sur le sol qu’il a reçu du sort, il doit y mourir, en subir la loi ».</p>
<p>Et pourtant, à partir du moment où l’on pose la question du « peuple » et de son « sort », du « vivre » et du « mourir », on plonge dans une logique plutôt culturelle relevant de la représentation des valeurs morales, de l’expression des affects et des pouvoirs de l’imaginaire, entre autres.</p>
<p>Autrement dit, la géopolitique n’a-t-elle pas toujours été une science humaine ?</p>
<h2>D’une part : de la discipline vers la géopolitique des humanités</h2>
<p>La question des humanités posée lors du colloque est surtout une question de discipline. Qu’est-ce une discipline ? C’est un ensemble de normes, de présupposés, de valeurs et de pratiques qui assure sa souveraineté, c’est-à-dire la souveraineté de la discipline. Qu’il s’agisse de la biologie moléculaire ou de la littérature comparée, une discipline ne reste elle-même que sous l’œil d’une instance disciplinante.</p>
<p>Chaque discipline académique est contrôlée par une instance, normalement interne, qui gouverne les affirmations, questions et débats sur la portée de sa connaissance et le sens de ses pratiques. Les humanités en tant que disciplines subissent, comme toutes les autres disciplines, cette même discipline. Les humanités, ce n’est pas toute chose. Il y a des limites. Mais la règle de cette limite est extrêmement contestée.</p>
<p>Les humanités sont par conséquent obligées de se protéger contre des « attaques », des « ingérences », des « insurrections » des « révoltes » et des « subversions ». Il s’agit sans doute de la grande politique : de la géopolitique des humanités.</p>
<p>Ce n’est donc pas par hasard que l’on se tourne vers un discours géopolitique pour comprendre la logique des facultés universitaires. Les mécanismes de pouvoir que l’on cherche à comprendre sur le plan global sont actifs sur le plan de la protection des territoires notionnels. Il s’agit de savoir comment le gardien du portail de la discipline détermine quels sont les connaissances admissibles, les objets pertinents, les pratiques convenables et les valeurs légitimes.</p>
<h2>D’autre part : des humanités à l’humanité de la géopolitique</h2>
<p>Peut-on s’interroger sur l’humanité d’une discipline ? Qu’en est-il de l’humanité de la géopolitique ? Quel est le statut de l’humanité dans l’exercice de la géopolitique en tant que discipline, et dans la pratique de la géopolitique dans les États et dans les organisations ? L’exercice de la géopolitique est-il conforme à nos principes d’humanité ? La géopolitique représente-t-elle l’humain ? Peut-on, devrait-on géo-politiser ce que nous sommes (à croire : des humanistes), qui nous sommes, ce que nous devrions être ?</p>
<p>En effet, d’où nous vient cette idée de la géopolitique ? Et où va-t-elle ? Quel est son avenir ?</p>
<h2>Concept classique</h2>
<p>La géopolitique, en tout cas selon la légende, n’est pas un terme classique. Dans l’antiquité on parle de la politique des peuples, de la tactique de la guerre. Chez Aristote, mais aussi Tacite, Bodin, Montesquieu, on retrouve des réflexions sur l’impact du milieu géographique sur la politique des peuples.</p>
<p>Mais, vers la fin du XX<sup>e</sup> siècle, on constate une transformation importante dans la pratique de la géographie elle-même. Chez von Humboldt et Ritter, la géographie transcende la simple description du monde pour devenir une réflexion sur la manière dont les sociétés s’insèrent dans l’espace.</p>
<h2>Un concept pour le XXᵉ siècle ?</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=672&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=672&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=672&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=844&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=844&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312919/original/file-20200130-41516-1lipk0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=844&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rudolf Kjellen (1864-1922).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_Kjell%C3%A9n#/media/Fichier:Rudolfk.jpg">Inconnu/Wikimedia</a></span>
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<p>Le terme <em>géopolitique</em> fut forgé en 1897 par le juriste suédois <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14650045.2014.928697">Rudolf Kjellén</a>. Il le définit de la manière suivante : la science de l’État en tant qu’organisme géographique tel qu’il se manifeste dans l’espace.</p>
<p>Il s’agit, pour Kjellén, de décrire les lois de l’évolution des États dans l’espace, s’inspirant ainsi de Darwin et de Malthus (la nouvelle science des populations). Selon Kjellén, les États entrent en conflit l’un avec l’autre du fait de leur besoin de Lebensraum (espace de vie/espace vitale). Comment on sait, Kjellén aura une influence décisive sur la doctrine géopolitique du Troisième Reich.</p>
<h2>Mort et renaissance du concept de géopolitique</h2>
<p>Mais après la Seconde Guerre mondiale, le concept de géopolitique recule. Morgenthau, grand-père des relations internationales, l’attaque dans son grand ouvrage <a href="http://saldanha.pbworks.com/f/Morgenthau.Politics+Among+Nations.pdf"><em>Politics amongst nations</em></a> (1948). Par accord bilatéral, la géopolitique est <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/fronts-et-frontieres-9782213026336">exclue des facultés universitaires en France et en Allemagne</a>. La géopolitique tombe en désuétude.</p>
<p>Le concept renaît en 1979, dans les écrits d’<a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=6xl8AgAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT9&dq=yves+lacoste">Yves Lacoste</a>, l’un des co-fondateurs de l’Institut français de géopolitique. Désormais, la géopolitique est associée à la géographie moderne.</p>
<p>Elle étudie les territoires comme enjeux de ressources, bien sûr. Mais aussi comme des lieux symboliques, comme des lieux qui produisent du sens. C’est une nouvelle forme de géographie politique qui s’interroge sur le rapport entre l’humain, l’humanité, l’espace et le temps.</p>
<h2>Géopolitique du questionnement</h2>
<p>On l’a dit, la géopolitique puise dans des sources très variées.
Mais en quoi et comment puise-t-elle dans les ressources des sciences humaines ?</p>
<p>À partir du moment où l’on pose la question de la géopolitique, ne plonge-t-on pas dans une logique de culture, de la représentation, des valeurs morales, de la langue, de l’histoire, de l’expression des affects et des pouvoirs de l’imaginaire ?</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Créé en 2007 pour contribuer au développement et au partage des connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, l’Axa Research Fund a parrainé près de 650 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir davantage, consultez son <a href="https://www.axa-research.org">site</a> ou abonnez-vous au compte Twitter dédié <a href="https://twitter.com/axaresearchfund ?lang=fr">@AXAResearchFund</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J. Peter Burgess est bénéficiaire d'un financement du Fonds AXA pour la Recherche.</span></em></p>Depuis la création du terme « géopolitique » en 1897 par le juriste suédois Rudolf Kjellén, les débats font rage sur sa nature : s’agit-il, ou non, d’une science humaine ?J. Peter Burgess, Professeur, philosophe et politologue, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1270642019-11-19T22:23:35Z2019-11-19T22:23:35ZHumanités numériques : une aide pour l’éducation aux médias ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302189/original/file-20191118-66937-gg56vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C55%2C991%2C556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le numérique est aussi bien un outil de communication qu'un instrument de recherche. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Il fut un temps où l’on disait des jeunes inscrits dans des formations littéraires qu’ils « faisaient leurs humanités ». L’expression a perdu peu à peu de son rayonnement à mesure que la place du latin et du grec diminuait dans l’enseignement. Mais voilà que depuis années, les humanités reviennent sur le devant de la scène, avec l’ouverture de <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/01/30/a-quoi-menent-les-masters-en-humanites-numeriques_5416520_4401467.html">cursus dédiés</a>, ou encore le lancement de <a href="http://www.dim-humanites-numeriques.fr/">projets de recherche</a> spécifiques.</p>
<p>Qu’entend-on alors par humanités numériques ? S’agit-il d’un simple croisement entre textes anciens et nouvelles technologies ? Pour y voir plus clair, on peut consulter le <a href="https://tcp.hypotheses.org/318">Manifeste des Digital Humanities</a>, issu du THATCamp des 18 et 19 mai 2010 qui avait réuni à Paris des acteurs majeurs de ce champ.</p>
<p>Selon ce manifeste, les <em>digital humanities</em> désigneraient « une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales ». « Elles ne font pas table rase du passé, mais s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique. »</p>
<h2>Champ de recherche</h2>
<p>À travers ces humanités numériques, il s’agit de concevoir le numérique comme « instrument de recherche », comme « outil de communication » ou comme « objet de recherche » (<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01228945">Dacos et Mounier</a>, 2014).</p>
<p>Si on s’intéresse au discours politique contemporain, force est de constater que l’afflux de messages, la multiplication des canaux, et la complexité des contenus, rendent difficile l’appréhension fiable de ces informations.</p>
<p>Par exemple, on peut se trouver en face d’un tel message :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1195007242661171201"}"></div></p>
<p>On est là en présence d’un contenu textuel, auquel j’ajoute une vidéo, des éléments propres à la plate-forme Twitter, et toute une série de fonctionnalités sociales ou de partage. Ce message n’est qu’un message parmi un nombre important, et ces processus se multiplient pour toutes les personnalités politiques, et sur une multitude de réseaux.</p>
<p>Outil de communication pour les politiques, le numérique, peut alors devenir un objet de recherche, afin d’aider les citoyens à appréhender la diversité des contenus, et à objectiver leur appréciation des messages transmis. Voilà qui peut compléter la consultation des médias aux lignes éditoriales bien définies.</p>
<p>Une première tentative avait été réalisée en 2017 dans le cadre du projet <a href="http://ideo2017.ensea.fr/">#Idéo2017</a>, dont voici une présentation rapide :</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mexY3nPPo4k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Outil d’analyse</h2>
<p>Ici le numérique est aussi un instrument de recherche, puisque des fonctionnalités issues de <a href="http://www.iramuteq.org/">logiciels informatiques</a> d’analyse de données textuelles avaient été utilisés. Celles-ci permettaient de détecter des similitudes de discours, d’opérer des classifications thématiques ou de calculer des fréquences.</p>
<p>Un travail de recherche et d’ingénierie avait été mené afin de construire une plate-forme fonctionnelle utilisant ces technologies, en créant une navigation intuitive qui fournirait des résultats compréhensibles pour les citoyens non spécialistes de ces domaines.</p>
<p>Le développement scientifique en humanités numériques intervient ici pour perfectionner ces instruments de recherche. En appréhendant globalement les corpus étudiés, on constatait une perte d’information importante puisque la plate-forme ne pouvait traiter les contenus visuels ou vidéos intégrés dans les tweets.</p>
<p>Aussi, le projet <a href="http://www.dim-humanites-numeriques.fr/projets/doxavisu/">Doxavisu</a> soutenu par le Domaine d’intérêt majeur STCN, ambitionne d’améliorer la prise en compte des différentes ressources signifiantes dans les messages diffusés sur les réseaux sociaux, afin de prendre en compte de manière plus précise les informations qui sont transmises.</p>
<h2>Application citoyenne</h2>
<p>Un premier prototype a été réalisé dans le cadre du projet #Cicero, qui répond à cette exigence générale d’<a href="https://usbeketrica.com/article/cicero-outiller-citoyen-decrypter-discours-politique">outiller les citoyens</a> pour les aider à décrypter les discours politiques, mais aussi répondre aux défis posés par les humanités numériques en termes d’acquisition, de traitement, et d’analyse de contenus complexes (mêlant texte, images et vidéos par exemple).</p>
<p>Ce projet avait été présenté au <a href="https://25images.msh-lse.fr/innovatives-shs_2019/video/projet-cicero/fr">salon Innovatives SHS</a> du CNRS en 2019 et avait notamment permis de développer un moteur de recherche vidéo capable de traiter les prises de parole des candidat·e·s aux élections européennes dans les vidéos partagées en ligne :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301962/original/file-20191115-66917-1r992og.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cicero.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’idée était de procéder à des requêtes dans cet ensemble, et de produire, grâce à des outils numériques, des résultats sur ce corpus (fréquences de termes, réseaux de mots, usages spécifiques selon les personnalités, etc.) :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301790/original/file-20191114-26259-1fy8ypj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Discours des candidats.</span>
</figcaption>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301789/original/file-20191114-26273-ir1rsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sujets abordés.</span>
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<p>Ainsi, par le recours aux humanités numériques, selon les trois acceptions du numérique, on peut offrir aux citoyens le moyen de prendre du recul par rapport aux flux de communication politique, de l’appréhender, et de rendre l’information intelligible, malgré sa profusion et sa diversité.</p>
<p>Si les humanités numériques ont donc un rôle croissant à jouer, dans le domaine académique notamment, pour la recherche ou l’éducation, elle a aussi un potentiel important en lien avec la demande sociale, et des perspectives de valorisations prometteuses.</p>
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<p><em>La Région Ile-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez <a href="https://www.iledefrance.fr/des-aides-la-recherche-pour-13-domaines-dinteret-majeur">iledefrance.fr/education-recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de la Fondation UCP, ANR, DIM STCN</span></em></p>Les humanités numériques offrent de nouveaux outils pour prendre du recul par rapport aux messages de communication qui affluent sur les réseaux sociaux.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1237282019-09-27T02:18:37Z2019-09-27T02:18:37ZAnthropocène : l’humanité nécessite un programme de recherches en son nom<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293841/original/file-20190924-51463-1kiauoj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C17%2C1914%2C1258&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Décrire les interactions et les solidarités, les inégalités ainsi que les choix collectifs de l'humanité doit être au coeur de la recherche face à l'avènement de l'anthropocène. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/gens-humanit%C3%A9-solidarit%C3%A9-mains-4200284/">CJMM/Pixabay </a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Anthropocène par-ci, anthropocène par-là, <a href="https://www.google.com/search?q=anthropocene&client=firefox-b-d&source=lnms&tbm=nws&sa=X&ved=0ahUKEwiQpcf2gNjkAhXbTxUIHS26CVoQ_AUIESgB&biw=1440&bih=728">difficile d’échapper à ce terme</a> en cette rentrée 2019 : une recherche sur le moteur de recherche Google effectuée le 23 septembre, affiche plus 8000 résultats en français pour 2019 dans la catégorie actualités.</p>
<p>Sa définition demeure, en général et en premier lieu, liée aux questions environnementales. Mais pourquoi donc ? Etymologiquement, anthropocène signifie pourtant « ère de l’humain ».</p>
<h2>Parlons d’anthropocène</h2>
<p>Bien sûr que le terme anthropocène fait débat dans les <a href="https://fr.unesco.org/courier/2018-2/anthropocene-enjeux-vitaux-debat-scientifique">communautés scientifiques</a>.</p>
<p>Cela est tout à fait normal et il en va de même de nombreux autres termes. Tentez l’expérience de vous faire définir le mot « évolution » par un biologiste et un physicien, par exemple. Les mots ne signifient toujours pas les mêmes choses entre les sciences. Et même au sein d’une discipline, les joutes verbales peuvent aller bon-train (demandez cette fois-ci à deux sociologues de vous définir le mot « modernité »).</p>
<p>C’est pareil avec anthropocène. Le terme a été popularisé par le Prix Nobel de chimie <a href="https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2007-1-page-141.htm">Paul Crutzen</a> en 1995, pour désigner la période qui a débuté lorsque les activités humaines ont laissé une empreinte telle sur l’ensemble de la planète qu’elles sont susceptibles d’avoir des effets à l’échelle globale.</p>
<p>C’est un terme emprunté à la géologie. Or, ce que les géologues n’apprécient pas, ou ce sur quoi ils ne sont pas d’accord, c’est qu’on en fasse une <a href="http://theconversation.com/ce-que-la-notion-d-anthropocene-dit-de-nous-88930">« ère »</a> au sens géologique. Le débat semble clos et rien ne sert d’y <a href="https://theconversation.com/anthropocene-lhumanite-merite-t-elle-une-epoque-a-son-nom-123030">revenir encore et toujours</a>, car les enjeux sont ailleurs.</p>
<p>En faire une ère géologique ou s’en tenir à la dimension métaphorique de l’expression n’enlève rien au nœud du problème : l’action de l’humain est dorénavant d’effet planétaire.</p>
<h2>Anthropocène ou capitalocène ?</h2>
<p>Allons plus loin et considérons le problème que pose l’usage du terme au sein des sciences sociales. Certains ont proposé (à la suite d’Andreas Malm, alors doctorant en écologie humaine en Suède) le concept alternatif de <a href="https://usbeketrica.com/article/climat-sommes-nous-dans-le-capitalocene">capitalocène</a>, pour recentrer le raisonnement sur la dynamique interne du capitalisme (plutôt que sur l’activité humaine en soi).</p>
<p>Le capitalocène est ainsi le concept qui prend comme point de départ l’idée que c’est le capitalisme qui est le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels, ou, plus largement, que la question qui est posée à la science économique est celle d’un changement des horizons du possible.</p>
<p>Comme le souligne le sociologue <a href="https://www.armand-colin.com/les-societes-et-limpossible-9782200291211">Danilo Martuccelli</a>, l’église à l’époque pré-moderne (avant la révolution industrielle) pensait impossible le dépassement d’un horizon religieux du monde ; c’est ensuite la science économique qui a pensé impossible le dépassement d’un horizon libéral et capitaliste du monde. Or cet horizon est depuis très largement dépassé par les questions écologiques.</p>
<p>Stop au débat sémantique, place aux sciences sociales !</p>
<h2>Attirer l’attention sur « ce qui nous arrive »</h2>
<p>Que retirer de ce débat ? Que les deux termes d’anthropocène et de capitalocène, même discutables, ont pour objectif d’attirer l’attention sur « ce qui nous arrive » à ce moment précis de l’histoire de l’humanité. Car au final, il s’agit moins de « sauver la planète » (qui nous <a href="http://www.slate.fr/life/77938/terre-periode-habitable">survivra jusqu’à l’extinction du soleil</a>) que de redéfinir les conditions d’existence de l’humanité sur la planète.</p>
<p>La notion d’anthropocène a été proposée depuis les sciences dites « dures », ces sciences qui sont capables et de mesurer et de décrire les changements à des niveaux d’échelles non humains, depuis la modification des structures moléculaires des plantes soumises au stress hydrique jusqu’aux changements climatiques sur terre et dans les océans.</p>
<p>De la même manière, ces sciences sont aussi capables de développer des « solutions » techniques permettant une meilleure adaptation au changement (l’intelligence artificielle est souvent convoquée).</p>
<p>Les connaissances scientifiques produites sont assez robustes pour disqualifier les interprétations non scientifiques ou anti-scientifiques. Ces sciences sont alors en droit, au regard de leur capacité diagnostique, de prévoir des scénarios et de délivrer des préconisations (les actions du GIEC en sont la parfaite illustration).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-traduction-citoyenne-pour-enfin-lire-le-dernier-rapport-du-giec-sur-le-climat-116185">Une traduction citoyenne pour (enfin) lire le dernier rapport du GIEC sur le climat</a>
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<h2>Ré-orienter la façon d’aborder le changement</h2>
<p>L’interdisciplinarité avec les sciences sociales est ici souvent pensée en termes d’étude des formes « d’acceptabilité » par la société des solutions ainsi préconisées. Or cette manière de raisonner rencontre une limite majeure.</p>
<p>Cette limite est soulignée par la notion même d’anthropocène (l’enchevêtrement des dimensions « naturelles « et « humaines »). Les connaissances scientifiques des sciences « dures » ne permettent pas de comprendre les changements (ou non) des comportements, des politiques et des économies. La clef de l’orientation des conduites ressort des connaissances des sciences sociales.</p>
<p>Ainsi, le monde physique change mais dans quelle mesure les comportements, politiques ou sociétés changent-ils en réaction à cela ?</p>
<p>Les logiques d’action des acteurs ne sont pas les mêmes dans ces changements. Les intérêts, les rapports de pouvoir, les ressources, les représentations, les gouvernances ne sont pas les mêmes. Les changements produits par les uns peuvent être subis pas les autres. De la même manière, les « solutions » techniques, économiques ou politiques promues par certains peuvent dégrader les conditions des autres ou bien menacer des intérêts établis qui préféreraient que « rien ne change ».</p>
<h2>Décrire et analyser les logiques d’action et les choix collectifs</h2>
<p>Face à ces défis contemporains, les sciences sociales ont un rôle spécifique et primordial à jouer. Il est de leur responsabilité de décrire les (« bonnes ») raisons pour lesquelles les acteurs s’opposent et coopèrent sur les significations, les orientations, les risques de ces changements.</p>
<p>Elles doivent analyser les logiques d’action, les conflits et les choix collectifs qui sont faits par les acteurs concernant l’agriculture et l’alimentation, l’énergie et les modes de vie, les inégalités et les migrations, etc.</p>
<p>Les sciences sociales doivent revenir à leurs fondamentaux : décrire comment, en situation d’interdépendance généralisée, les humains construisent <a href="https://www.payot.ch/Detail/quest_ce_que_la_sociologie_-norbert_elias-9782266050135">des formes de solidarité</a>, plus ou moins égalitaires ou hiérarchisées, plus ou moins inclusives ou exclusives.</p>
<p>La question de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2003-1-page-3.htm">interdisciplinarité</a> s’est longtemps posée comme le souhait d’établir un dialogue entre des disciplines (et des sous-disciplines) séparées par une spécialisation croissante, ou bien par la nécessité d’éclairer par les sciences sociales les angles morts des sciences dites « dures ».</p>
<h2>A chacun de prendre sa part</h2>
<p>Avec l’anthropocène il en est tout autrement, sur au moins trois plans. La rapidité des changements tout d’abord, qui risque de balayer les approches disciplinaires classiques, tout comme sont balayées des technologies (comme le moteur thermique) et des industries (automobiles) qui se pensaient indispensables.</p>
<p>Ensuite, la dimension fondamentalement sociale de l’anthropocène, au sens où ce n’est pas pour des raisons techniques ou scientifiques que les choses marchent ou ne marchent pas, sont mises en œuvre ou pas, mais bien du fait de la dynamique des rapports sociaux et des modes de gouvernance.</p>
<p>Enfin, parce que les humains et les non-humains <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/02/03/humains-non-humains-comment-repeupler-les-sciences-sociales_1474362_3260.html">sont tellement enchevêtrés</a> que la méconnaissance réciproque des connaissances des sciences et des sciences sociales les unes par les autres ne permet plus vraiment de comprendre ce qui se passe.</p>
<p>Le temps est sans doute venu d’initiatives et de stratégies universitaires marquantes de prise en compte des <a href="https://theconversation.com/les-institutions-scientifiques-au-defi-du-changement-climatique-119692">défis de l’anthropocène</a>. A chacun <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/17/les-universites-et-grandes-ecoles-doivent-integrer-l-urgence-climatique-dans-leur-strategie_5511279_3232.html">d’en prendre sa part</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La clef de l’orientation des conduites face aux changements induits par l’activité humaine ressort des connaissances des sciences sociales.Eric Macé, Professeur de sociologie, directeur du département de recherche CHANGES, Université de Bordeaux Université de Bordeaux, Université de BordeauxMarie Coris, Enseignant-chercheur économie de l’innovation, laboratoire GREThA, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234162019-09-24T19:01:20Z2019-09-24T19:01:20ZDéconstruire les préjugés, un préalable à toute démarche scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293656/original/file-20190923-54767-n0njbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1917%2C1428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Identifier et déconstruire les préjugés, une étape indispensable à la construction du raisonnement scientifique. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/connaissances-livre-la-biblioth%C3%A8que-1052010/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Les 12 et 13 octobre prochain, <a href="https://www.fetedelascience.fr/pid35362/centre-val-de-loire.html">dans le cadre de la Fête de la science</a>, l’Institut universitaire technologique (IUT) de Bourges (Université d’Orléans) proposera différentes animations et démonstrations parmi lesquelles une exposition sur le thème des préjugés. Ce choix n’est pas anodin ; outre la mise en valeur d’une exposition de qualité et la participation par ce fait au travail de déconstruction vis-à-vis du public de préjugés aussi courants que potentiellement destructeurs, il permet également de saluer indirectement le travail largement effectué sur ce thème par les sciences humaines et sociales. Or, ironie du sort, ce sont ces mêmes sciences humaines qui sont souvent victimes de préjugés tenaces quant à <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-sens-dessus-dessous--9782600041645-page-259.htm">leur appartenance « réelle » à l’univers des sciences</a> et ce, tant dans l’opinion publique qu’au sein même du monde scientifique.</p>
<p>L’exposition dont il est question est l’aboutissement très réussi d’un travail éducatif et pédagogique mené en 2013 <a href="https://www.epide.fr/">par les jeunes de l’EPIDE d’Osmoy dans le Cher</a> avec leurs éducateurs. Un EPIDE est un établissement d’insertion dans l’emploi accueillant en internat des jeunes majeurs (18-25 ans) volontaires sans aucune qualification.</p>
<p>Très bien réalisée, elle s’attaque en une dizaine de panneaux aux préjugés malheureusement communs de sexe, race, classe… sans langue de bois aucune. Sur chacun des panneaux, un préjugé « courant » (« les arabes sont des voleurs », « les noirs sont nonchalants », « les chômeurs sont des fainéants », « les blondes des idiotes »…) est rigoureusement déconstruit, avec chiffres, données et raisonnement scientifique à l’appui.</p>
<p>Cette exposition invite ainsi à une réflexion plus poussée : qu’est-ce que les préjugés ? Pourquoi existent-ils ? Comment les combattre ? Le préjugé est un jugement (positif ou négatif), formulé par anticipation, sans expérience préalable, à propos d’un objet, d’une personne ou d’un groupe social. Il se confond souvent avec les stéréotypes qu’il utilise effectivement, le stéréotype consistant en une représentation simplificatrice et figée servant à caractériser un objet ou un groupe.</p>
<h2>La fonction sociale des préjugés</h2>
<p>Préjugés et stéréotypes ont évidemment des fonctions sociales, largement rappelées par les travaux de la psychologie sociale. Ils permettraient d’apporter de la cohésion à une communauté donnée et renforceraient les identités de groupe en facilitant l’<a href="https://journals.openedition.org/aile/4917">adhésion</a> à un imaginaire collectif d’autant plus efficace que simplifié.</p>
<p>Mais sous leurs abords naïfs et caricaturaux, préjugés et stéréotypes méritent d’être pris au sérieux. Derrière le gitan « voleur de poule » ou le rom « voleur d’enfants », le juif « âpre au gain » ou l’étranger « consommateur d’allocations », combien de tragédies passées ou actuelles… Marqueurs de l’ignorance, les préjugés constituent d’abord un obstacle à la pensée scientifique et au-delà ils participent de rapports sociaux fondamentaux que le scientifique se doit de dévoiler.</p>
<p>La nécessaire rupture avec la pensée commune et ses préjugés s’inscrit au cœur de toute démarche scientifique, comme l’ont souligné <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/bachelard_gaston/formation_esprit_scientifique/formation_esprit.pdf">notamment Bachelard</a> ou encore Bourdieu, chez qui le dévoilement des mécanismes cachés et subtils qui circulent au travers des préjugés est également indispensable pour mener une réflexion sérieuse.</p>
<h2>Bachelard et Bourdieu, pourfendeurs de préjugés</h2>
<p>En 1934, Gaston Bachelard s’interroge sur ce qui fait obstacle à la formation de l’esprit scientifique en chacun d’entre nous. Il nous invite à détruire nos opinions, à chasser de notre esprit les projections psychologiques spontanées et inconscientes produites par nos habitudes, ces fausses évidences qui nous apparaissent comme étant claires et familières. Il s’agit de détruire une opinion qui ne pense pas mais traduit simplement des besoins en connaissance. On ne peut « rien fonder sur l’opinion », elle ne peut être que fausse car celui qui l’exprime ne peut démontrer rationnellement l’idée qu’il avance. L’opinion a ainsi « en droit toujours tort » et accéder à l’esprit scientifique nécessite de rompre avec « ses connaissances mal faites ».</p>
<p>Pour la sociologie, et notamment celle de Pierre Bourdieu, la même nécessité de rupture avec la pensée commune conditionne la démarche scientifique. Mais cela ne suffit pas : les préjugés doivent être déconstruits plus que simplement détruits. La sociologie se doit de comprendre et mettre à jour les mécanismes qui règlent le jeu social et le rôle qu’y tiennent les préjugés. « L’opinion publique n’existe pas » <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-">écrit Bourdieu</a>, mais c’est <em>un artefact</em>, une construction permettant de gommer et dissimuler les rapports de domination sociale.</p>
<p>Derrière le plus anodin des préjugés se jouent ainsi des rapports de domination historiques toujours renouvelés. Ainsi des préjugés sur les femmes au volant dont on sourit aujourd’hui mais dont la vitalité et la survivance montrent bien la hauteur des enjeux : des femmes émancipées, accédant librement à la circulation dans l’espace public, à la maîtrise de l’objet technique, s’échappant hors de l’espace domestique où tout s’obstine à les confiner, menaçant ainsi un des <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-domination-masculine-pierre-bourdieu/9782020352512">principaux ressorts de la domination masculine</a>…</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=871&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=871&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=871&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293657/original/file-20190923-54782-nhuvwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une publicité qui démontre la persistance des préjugés.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Indispensables sciences humaines donc et parmi elles, indispensable sociologie que met ainsi indirectement à l’honneur (en même temps que ses jeunes auteurs) cette exposition. Et pourtant, ces disciplines restent aujourd’hui encore souvent ignorées, toujours mises en cause quant à leur réelle scientificité, à leur légitimité. La sociologie est <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Questions_de_sociologie%C2%A0-1956-1-1-0-1.html">« une science qui dérange »</a>, écrivait encore Bourdieu, parce qu’elle révèle et dévoile des vérités cachées et qu’elle menace ainsi l’ordre établi, jusqu’au cœur du champ scientifique qui n’a peut-être pas intérêt à interroger ses propres préjugés, permettant ainsi à certaines hiérarchies et dominations académiques de se perpétuer…</p>
<p>Délibérément inscrite au cœur d’une manifestation labellisée « scientifique », espérons que la visite de cette exposition contribue à faire tomber (tous) les préjugés aussi bien dans le public que chez les scientifiques présents.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123416/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Barnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A l’IUT de Bourges, une exposition très pédagogique démontre la nécessité, notamment grâce aux apports de la sociologie, de déconstruire les préjugés pour cultiver un esprit rationnel.Frédérique Barnier, Enseignante-chercheure en sociologie, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1183652019-09-17T19:04:10Z2019-09-17T19:04:10ZRecherche : comités d’éthique, le risque d’une « bureaucratie de la vertu » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292387/original/file-20190913-2178-7agk8v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C11%2C994%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En sciences humaines et sociales, les protocoles d'expérience font l'objet de plus en plus de préoccupations éthiques. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, les comités d’éthique se sont renforcés dans le paysage français de la recherche. Objectif affiché par <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2008-3-page-128.htm">ces instances</a> : s’assurer en amont qu’une étude ou une expérience ne portera pas préjudice aux personnes qui y participent.</p>
<p>Dans le monde anglo-saxon, si ces comités (ou <em>Institutional Review Boards</em>, IRB) se sont depuis longtemps imposés en sciences humaines et sociales (SHS), ils soulèvent un certain nombre de critiques, notamment des chercheurs privilégiant les enquêtes de terrain et autres méthodes qualitatives.</p>
<p>Il convient donc de s’interroger sur cette tendance : s’agit-il d’accroître la vigilance éthique des chercheurs en SHS lors de leurs interventions ? Ou cela peut-il cacher une certaine forme de censure ? Mime-t-on les pratiques anglo-saxonnes issues de la recherche biomédicale ? Ou entend-on préserver les institutions de coûteuses poursuites légales et de risques réputationnels ? Garantir l’accès, au niveau international, à certains partenariats ou publications qui ont inscrit le blanc-seing d’un comité d’éthique dans leurs procédures de financement et/ou d’acceptation ?</p>
<p>Depuis 2016, les prescriptions qui se multiplient en France – et nourrissent les travaux des comités d’éthique – sont généralement guidées par les motifs les plus nobles. Qui ne serait pas d’accord pour dire qu’une recherche ne doit en aucun cas nuire aux sujets observés ou questionnés, qu’il faut fréquemment les anonymiser, qu’il est scandaleux de falsifier des résultats, de plagier ou encore de révéler des secrets industriels ? En revanche, la manière dont ces principes sont appliqués pose question.</p>
<h2>Origines historiques</h2>
<p>Dans les années 1960, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2009-2-page-87.htm">trois expériences</a> (et leurs scandales associés) marquent le début des préoccupations éthiques en SHS. Les plus célèbres sont celle de Milgram, sur la soumission à l’autorité, et celle de Zimbardo, dite également « de Stanford », basée sur une mise en scène dans une fausse prison (<a href="https://www.editions-zones.fr/livres/histoire-d-un-mensonge/">fortement contestée aujourd’hui</a>).</p>
<p>Il y eut également les travaux moins connus de Laud Humphreys qui allât secrètement observer les rencontres homosexuelles dans les toilettes publiques… et releva les plaques d’immatriculation pour pouvoir retrouver les sujets et observer leur vie « normale » !</p>
<p>Ces scandales amèneront les associations académiques à produire des codes de déontologie, et les institutions à former les premiers comités d’éthique, les fameux IRB anglo-saxons. Leur généralisation donnera lieu à une réflexion plus globale publiée en 1979 dans le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Belmont">« Rapport Belmont »</a> qui établit les principes maintenant canoniques du respect de la personne, de la bienfaisance envers les sujets et de la justice dans le processus de sélection.</p>
<p>Ce rapport pose alors les bases de deux principes clés :</p>
<ul>
<li><p>le consentement libre et éclairé</p></li>
<li><p>le calcul bénéfices/risques de la recherche</p></li>
</ul>
<p>Ces principes seront entérinés par la « Common Rule » qui institutionnalise la logique de conformité et les IRB.</p>
<p>En France, l’histoire des comités d’éthique commence en 1983 avec la création du <a href="https://www.ccne-ethique.fr/">Comité consultatif national d’ethique</a> qui a pour mission de rendre des « Avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche ». Vient ensuite la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_%C3%A0_la_protection_des_personnes_dans_la_recherche_biom%C3%A9dicale">Loi Huriet</a> en 1988 imposant la création de Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale.</p>
<p>En 2004, ces comités deviendront, dans une logique d’harmonisation des systèmes européens, des CPP (Comités de protection des personnes). Un point est essentiel dans cette évolution : les comités sont dits confirmés et non plus consultatifs, c’est-à-dire qu’ils sont contraignants.</p>
<p>Enfin, en 2012, la <a href="http://www.sfrms-sommeil.org/recherche/comite-devaluation-des-protocoles-de-recherche-clinique/loi-jarde-application-pratique/">Loi Jardé</a> impose à toutes les recherches impliquant des personnes de devoir passer devant un CPP. Le décret d’application est publié en 2016, ce qui explique les changements organisationnels et institutionnels importants en matière de comités d’éthique de la recherche ces dernières années.</p>
<h2>Protocoles inadaptés</h2>
<p>Pour nos collègues anglo-saxons qui subissent depuis longtemps les IRB et autres <em>research ethics committees</em>, l’approbation a priori d’un protocole détaillé présente le risque d’entraver la recherche de terrain en SHS.</p>
<p>Si l’expérimentation, en psychologie par exemple, se prête bien à la construction d’un tel protocole, celui-ci interdit l’exploration, la recherche-action, l’observation participante ou de type ethnographique… des approches qui s’accommodent mal de ces exigences.</p>
<p>En effet, avant tout accès au terrain, il s’agirait de soumettre la question de recherche, la définition de l’échantillon et des questions. De plus, recueillir le consentement libre et éclairé de chacun des participants n’est possible que si le chercheur vérifie des hypothèses déjà structurées, et cela dans certains contextes.</p>
<p>Or, pour beaucoup en SHS, le design de la recherche se construit « chemin faisant ». L’observation des cultures et des stratégies d’acteurs implique de se fondre dans le décor alors que toute observation « couverte » devient difficile à mener. Ainsi, ce type de protocole, individualisant des « sujets » se prête mal à l’identification de phénomènes collectifs. Par ailleurs, les exigences en termes de <a href="https://www.cnil.fr/fr/comprendre-le-rgpd">RGDP</a> (règlement général sur la protection des données) complexifient le travail du chercheur.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/ethiquepublique/284">Eric Gagnon (2010)</a> identifie trois principales logiques sous-jacentes qui posent question dans la forme que prennent peu à peu ces comités d’éthique en France :</p>
<ul>
<li><p>la bureaucratisation (c’est-à-dire appliquer mécaniquement des règles et des normes)</p></li>
<li><p>le soupçon (imposer une mécanique de contrôle)</p></li>
<li><p>la judiciarisation (par le caractère trop administratif de ce contrôle)</p></li>
</ul>
<p>S’ils adoptent une approche trop rigide, les comités d’éthique de la recherche risquent d’avoir en fait un effet contre-productif : ils pourraient inhiber, voire détruire, l’éthique dont ils sont censés être garants.</p>
<h2>Pistes d’évolution</h2>
<p>Face à ces risques, les chercheurs en sciences sociales se doivent d’être vigilants et actifs pour approfondir le questionnement éthique de leurs travaux autant que pour refuser « la bureaucratisation de la vertu » (<a href="https://scholarship.law.cornell.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1740&context=facpub">Jacob & Riles, 2007</a>).</p>
<p>Quatre voies semblent s’offrir à eux :</p>
<ul>
<li><p>se soumettre et privilégier une compétition qui n’assure pas la qualité de leur production</p></li>
<li><p>contourner les règles</p></li>
<li><p>coopérer pour faire évoluer les pratiques des institutions de promotion de l’éthique (en termes de formation, de débats, de processus d’approbation et de sanctions) afin de les adapter aux SHS</p></li>
<li><p>faire exempter les SHS de modes de régulation importés des sciences biomédicales.</p></li>
</ul>
<p>Eric Gagnon (2010) en vient à la conclusion que « le temps me semble venu de faire évoluer les comités d’éthique d’un rôle d’examinateur et d’arbitre vers un rôle d’animation et de discussion ».</p>
<p>Comment faire ? Plutôt que des formulaires standardisés et autres <em>checklists</em>, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1525/jer.2006.1.2.71?casa_token=VGyeFV4x8fUAAAAA:sON4c8Fzso6I3-JAvitgB9KRBXGwclAi02X6yaVoDU2RUFOYa92XMULPFIqbZZXVqDKcXKOOTK-o">Martin Tolich et Maureen Fitzgerald (2006)</a> proposent que les comités d’éthique se concentrent sur quatre questions ouvertes :</p>
<ul>
<li><p>Quel est le projet de recherche ?</p></li>
<li><p>D’après le chercheur, quels sont les problématiques éthiques posées par ce projet ?</p></li>
<li><p>Comment le chercheur se propose-t-il de les résoudre ?</p></li>
<li><p>Quelles sont les alternatives prévues au cas où le projet de recherche viendrait à changer après sa validation et son lancement ?</p></li>
</ul>
<p>Dans tous les cas, ces problématiques sont considérées par la plupart des experts comme pleinement liées à l’ensemble du système de la recherche. L’invitation est donc faite aux SHS de les analyser et d’y apporter des solutions de manière globale. C’est ce qu’ont commencé à initier de nombreuses institutions par exemple la Société française de management (SFM) dans une table ronde que nous avons organisée, et retranscrite dans <a href="http://i3.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/07/Le-Libellio-d-volume-15-num%C3%A9ro-2-Et%C3%A9-2019-2.pdf"><em>Le libellio d’Aegis</em></a> (pp. 45-53).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Veiller à ce que les recherches ne nuisent pas à leurs participants, c’est l’un des objectifs des comités d’éthique. Mais leur manière de mettre en pratique ces principes peut poser question.Yoann Bazin, Enseignant chercheur en Sciences de gestion, EM NormandieJulienne Brabet, Professeur émérite en Sciences de Gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1197702019-07-10T19:01:57Z2019-07-10T19:01:57ZBrésil : Bolsonaro en guerre contre l’enseignement des sciences humaines<p><a href="https://br.reuters.com/article/domesticNews/idBRKCN1NZ2OI-OBRDN">Comparer les réserves d’Indiens</a> avec les zoos et leurs habitants avec les animaux. Autoriser les enfants à fréquenter les <a href="https://jconline.ne10.uol.com.br/canal/mundo/brasil/noticia/2019/05/08/decreto-de-bolsonaro-permite-pratica-de-tiro-em-clube-por-criancas-e-adolescentes-378259.php">écoles de tir</a>. Commémorer le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/30/quand-jair-bolsonaro-veut-celebrer-le-coup-d-etat-de-1964_5443524_3210.html">coup d’État de 1964</a> qui a inauguré une dictature de 21 ans au Brésil. Menacer les enseignants qui critiquent le gouvernement ou qualifier d’imbéciles les étudiants. Voilà le ton du nouveau président du Brésil, Jair Bolsonaro. Les attaques récentes contre l’histoire, la sociologie et la philosophie sont en parfaite harmonie avec ce que l’on appelle déjà un anti-gouvernement.</p>
<p>Le 25 avril 2019, Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation de Bolsonaro, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/03/au-bresil-le-ministre-qui-veut-reduire-les-sciences-humaines_5457823_3210.html">a déclaré</a> que le gouvernement, <a href="https://www.lemonde.fr/universites/article/2015/09/17/japon-vingt-six-universites-comptent-fermer-leurs-facultes-de-sciences-humaines-et-sociales_4760695_4468207.html">à l’instar du Japon</a> qui avait fermé 26 facs de sciences humaines et sociales en 2015, étude des moyens de retirer particulièrement des fonds publics des départements de philosophie et de sociologie. Objectif : tourner ces ressources vers des domaines qui génèrent plus de revenus aux contribuables, tels que les formations d’infirmiers, la médecine vétérinaire, l’ingénierie ou la médecine.</p>
<p>En outre, selon le ministre, les cours de philosophie et de sociologie seraient destinés aux personnes très riches, voire à l’élite, qui peuvant étudier avec leur propre argent. Les déclarations du ministre ont été appuyées par le président Jair Bolsonaro lui-même, un jour plus tard sur Twitter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1121713534402990081"}"></div></p>
<p>Selon le président, son ministre « étudie la décentralisation des investissements dans les facultés de philosophie et de sociologie (sciences humaines) » dans l’objectif de « se concentrer sur les domaines générateurs de revenus immédiats, tels que la médecine vétérinaire, l’ingénierie et la médecine ». Selon Bolsonaro, le gouvernement doit « respecter l’argent du contribuable », et, avant tout, « enseigner aux jeunes à lire, écrire, faire des comptes ».</p>
<h2>Vague conservatrice</h2>
<p>La philosophie et la sociologie ont connu une croissance dans l’enseignement supérieur brésilien sous le gouvernement du Parti des Travailleurs. En 2008, elles sont devenues <a href="http://www.planalto.gov.br/ccivil_03/_ato2007-2010/2008/lei/l11684.htm">obligatoires</a> dans le cycle équivalent au lycée en France. Après le <a href="https://theconversation.com/limplosion-de-la-nouvelle-republique-bresilienne-59360">« soft coup »</a> de Dilma Rousseff (2016), une réforme de l’éducation du gouvernement de Michel Temer a relégué ces disciplines à la condition d’optionnelles.</p>
<p>Puis, la vague conservatrice en croissance rapide depuis au moins 2014 a été notamment nourrie par le mouvement <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Au-Bresil-les-enseignants-sinquietent-detre-places-sous-surveillance-2018-11-28-1200985996">École sans parti</a>, dont l’objectif est de lutter contre le prétendu prosélytisme idéologique des enseignants dans les écoles brésiliennes. Le groupe attaque continuellement les enseignants en sciences humaines, les accusant d’être de simples militants de gauche et encourageant les étudiants à <a href="https://gauchazh.clicrbs.com.br/educacao-e-emprego/noticia/2019/02/novo-projeto-de-escola-sem-partido-quer-permitir-que-aluno-grave-professor-cjrsc9vpv013g01lickgi9h5f.html">exposer</a> sur les réseaux sociaux ceux qui « endoctrinent » en classe.</p>
<p>Bolsonaro est un allié de l’École sans parti depuis plusieurs années. Certains des thèmes les plus chers à ce mouvement – tels que la lutte contre « l’idéologie du genre » – ont été au cœur de la <a href="https://theconversation.com/bresil-apocalypse-now-105552">campagne électorale</a>. En présentant Abraham Weintraub comme ministre de l’Éducation, Bolsonaro a déclaré : « Nous voulons une jeunesse qui ne s’intéresse pas à la politique ».</p>
<p>La scène publique est marquée aussi pour le récent succès éditorial d’analystes politiques de droite au Brésil, notamment l’intellectuel relégué par l’académie <a href="https://www.courrierinternational.com/article/bresil-le-gourou-intellectuel-de-jair-bolsonaro-un-homme-si-delicieux">Olavo de Carvalho</a>, un allié de Steve Banon, est considéré le gourou du gouvernement. Carvalho se moque des universités publiques brésiliennes, malgré le fait qu’elles soient – ou peut-être parce qu’elles sont – les institutions les <a href="https://www.capes.gov.br/images/stories/download/diversos/17012018-CAPES-InCitesReport-Final.pdf">plus importantes</a> pour la production scientifique brésilienne.</p>
<p>Le ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/11/20/au-bresil-la-diplomatie-sous-le-signe-de-l-extreme-droite-et-des-theories-du-complot_5385748_3222.html">Ernesto Araújo</a>, est l’un des membres olavistas du gouvernement Bolsonaro, c’est-à-dire du groupe sous l’influence d’Olavo de Carvalho. Quelques mois avant d’assumer ses fonctions, Weintraub <a href="https://www.youtube.com/watch?v=U7zNP18oxX0">avait déjà dévalorisé</a> les cours de philosophie. Soulignant les inégalités régionales, le ministre avait suggéré que l’agronomie devait être étudiée dans les universités du Nord-Est plutôt que la philosophie.</p>
<h2>Tollé général</h2>
<p>L’annonce du gouvernement a eu une grande répercussion. Des journalistes ont souligné que ces cours reçoivent déjà <a href="https://educacao.uol.com.br/noticias/agencia-estado/2019/04/27/bolsonaro-causa-indignacao-ao-sugerir-reducao-de-repasses-a-estudo-de-humanas.htm">moins des subventions</a> que dans d’autres domaines. Des experts en éducation ont estimé que le changement <a href="https://www.bbc.com/portuguese/brasil-48201426">affecterait davantage</a> les Noirs et qu’il serait <a href="https://educacao.uol.com.br/noticias/2019/04/27/proposta-de-bolsonaro-para-humanas-fere-constituicao-dizem-especialistas.htm">inconstitutionnel</a> compte tenu de l’autonomie académique des universités.</p>
<p>Dans une <a href="https://educacao.uol.com.br/noticias/2019/04/26/fecha-o-mec-diz-ponde-sobre-proposta-de-bolsonaro-para-curso-de-filosofia.htm">interview</a> le 26 avril, le professeur de philosophie Luiz Felipe Pondé a déclaré qu’« on devrait fermer le MEC (ministère de l’Éducation), pas les facultés de philosophie et de sociologie ».</p>
<p>L’auteur du <em>Guide de philosophie politiquement incorrect</em> défend les partenariats avec le marché pour financer les universités, mais souligne que l’élite brésilienne ne songe qu’à un retour immédiat. En ce sens, pour Pondé « retirer l’investissement des formations d’humanités […] semble absurde, car le Brésil est un pays pauvre, sans culture, sans tradition de réflexion et sans tradition d’idées ».</p>
<p>D’autre part, dans un article paru le 3 mai, le professeur de philosophie d’une université publique <a href="https://www1.folha.uol.com.br/colunas/vladimirsafatle/2019/05/a-filosofia-e-um-esporte-de-combate.shtml">Vladimir Safatle</a> dit que</p>
<blockquote>
<p>« M. Bolsonaro a raison lorsqu’il choisit la philosophie et la sociologie comme cibles privilégiées contre l’éducation nationale. Tant qu’il y aura un département de philosophie et un département de sociologie dans notre pays, nous étudiants apprendront chaque jour à mépriser les gouvernements comme celui qui a récemment commencé ».</p>
</blockquote>
<p>L’auteur de <em>La Gauche qui n’a pas peur de prononcer son nom</em> conclut : « L’histoire de la philosophie est un formidable combat contre ce qu’on tente de faire avec la société brésilienne. Le seul moyen d’arrêter ce combat serait, justement, de nous éliminer, comme le rêve ce gouvernement ».</p>
<h2>Financement de la recherche</h2>
<p>L’Association nationale des etudes supérieures en philosophie (ANPOF) <a href="http://www.anpof.org/portal/index.php/es-ES/artigos-em-destaque/2075-nota-de-repudio-a-declaracoes-do-ministro-da-educacao-e-do-presidente-da-republica-sobre-as-faculdades-de-humanidades-nomeadamente-filosofia-e-sociologia">a publié une note</a> réfutant les déclarations de Weintraub et Bolsonaro. Selon le communiqué « les étudiants des universités publiques, et en particulier des sciences humaines, appartiennent principalement aux couches les plus défavorisées de la population ». Les associations brésiliennes de sciences sociales ont publié une note de presse commune indiquant qu’« il est inacceptable… que ces disciplines soient considérées comme un “luxe”, pouvant être interrompues en temps de crise économique ».</p>
<p>Comme les notes d’associations brésiliennes, une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/06/bresil-les-sciences-sociales-et-les-humanites-ne-sont-pas-un-luxe_5458932_3232.html">tribune</a> signée par plus de 1 400 membres d’universités du monde entier défend le financement public des champs du savoir et affirme qu’« il ne revient pas à la classe politique, dans nos sociétés démocratiques, de décider de ce qui constitue un bon ou un mauvais savoir ».</p>
<p>Dans les semaines qui ont suivi l’annonce de la « décentralisation des investissements dans les facultés de philosophie et de sociologie », le gouvernement <a href="https://exame.abril.com.br/brasil/capes-bloqueia-mais-27-mil-bolsas-de-mestrado-e-doutorado-no-brasil/">a supprimé</a> des milliers de bourses de recherche dans tous les domaines. Ensuite, il a annoncé une réduction de 30 % des ressources discrétionnaires de <a href="https://educacao.estadao.com.br/noticias/geral,especialistas-veem-punicao-em-corte-de-recursos-para-universidades-acusadas-de-balburdia,70002810236">trois universités</a> sous prétexte de désordre vis-à-vis des institutions.</p>
<p>La réduction a ensuite été <a href="https://g1.globo.com/educacao/noticia/2019/04/30/mec-diz-que-bloqueio-de-30percent-na-verba-vale-para-todas-as-universidades-e-institutos-federais.ghtml">étendue</a> à l’ensemble des établissements d’enseignement fédéraux (universités et instituts). En réponse, de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/31/au-bresil-les-etudiants-manifestent-pour-la-seconde-fois-contre-les-coupes-budgetaires_5470034_3210.html">grandes manifestations</a> de défense de l’éducation ont traversé le pays.</p>
<p>L’insistance sur le retrait des investissements de l’enseignement supérieur public brésilien a commencé à partir de la mise en question des cours de philosophie et de sociologie et a atteint en quelques semaines globalement le financement de la recherche scientifique et le financement du fonctionnement des universités. Pourtant le ministre a déclaré le 6 juin que le secteur de l’éducation allait grandir dans le pays. Selon lui, cette demande <a href="https://www.terra.com.br/noticias/educacao/apos-confronto-com-universidades-federais-weintraub-fala-em-fortalecer-setor-privado,5dfe7cf3af7483d9f13eed90e9f30b19go5i9plf.html">ne peut être satisfaite</a> par le secteur public, par les contribuables.</p>
<p>Dans un discours prononcé devant le 12<sup>e</sup> Congrès brésilien de l’enseignement supérieur privé, Weintraub a déclaré : « Nous voulons que la société puisse poursuivre son bonheur, ses rêves. Cela n’est possible qu’avec un enseignement supérieur fortement basé sur l’entreprise privée et libre ». Peu après, les actions des principales entreprises du secteur <a href="https://moneytimes.com.br/estacio-e-kroton-disparam-com-weintraub-defendendo-ensino-superior-privado/">ont fortement augmenté</a>.</p>
<hr>
<p><em>Texte co-écrit avec Murilo Rocha Seabra (PhD en Anthropologie, La Trobe University) et Lúcio Vasconcellos de Verçoza (Docteur en Sociologie pour l’Université Fédérale de São Carlos et enseignant de Sociologie à l’Université Fédérale d’Alagoas).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119770/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Silveira de Andrade Antunes est professeur de philosophie à un équivalent d'un lycée au Brésil.</span></em></p>Invoquant la rentabilité de l’argent public, le gouvernement brésilien considère couper des fonds alloués aux études universitaires de sociologie et philosophie. Retour sur ce coup de tonnerre.Gabriel Silveira de Andrade Antunes, Doctorant en Philosophie Politique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/930242018-03-11T20:19:03Z2018-03-11T20:19:03ZLes chercheurs en SHS savent-ils écrire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209789/original/file-20180310-30975-6ofodn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C489%2C4594%2C2407&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Se mettre à écrire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/16280261890/97f9029c23/">Visualhunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Nous nous interrogeons souvent sur les dispositifs de légitimation à l’époque du numérique. Nous avons le sentiment, parfois, de perdre quelque chose : la culture de l’édition papier a des repères précis et nets. La publication est une forme forte de légitimation. Sans doute, le niveau de légitimation dépend de beaucoup de facteurs (quelle maison d’édition publie, par exemple), mais de toute manière, le fait d’avoir son nom imprimé, compte beaucoup.</p>
<p>Dans le monde universitaire, être publié est aussi ce sur quoi se fonde notre carrière et l’évaluation de notre travail.</p>
<h2>Une culture de l’imprimé</h2>
<p>L’édition papier a un pouvoir de légitimation parce qu’elle garantit un travail que l’auteur doit réaliser avec l’éditeur pour faire en sorte que son texte soit de bonne qualité. L’éditeur demande à l’auteur des compétences pour permettre cette mise en forme : dans le modèle papier, par exemple, le fait de connaître la langue, de savoir structurer ses références bibliographiques avec un style prédéterminé, de savoir organiser dans une page papier ses idées. Ce sont des compétences techniques d’écriture sans lesquelles un auteur n’est pas un auteur et un chercheur n’est pas un chercheur.</p>
<p>Or il se trouve que ces compétences techniques sont liées à une forme particulière de diffusion de la connaissance : celle du papier. Il se trouve aussi que cette forme n’est plus la forme dominante : la plupart des contenus circulent sur le web et la totalité est produite avec des outils informatiques. Il se trouve aussi que cette forme ne répond pas aux exigences scientifiques : notamment l’exigence de structuration. Une bibliographie stylée sur papier n’est pas aussi bien structurée qu’une bibliographie dans une base des données, par exemple : le style sur papier sert juste à simuler une structuration de catalogue, sans en être en réalité une. Ou encore, la structuration sémantique des contenus (titres, fonctions des mots, etc.) ne peut qu’être simulée graphiquement sur papier alors que le numérique permet un véritable balisage sémantique.</p>
<h2>Des compétences pour l’écriture numérique</h2>
<p>L’écriture en environnement numérique – qu’elle soit destinée à l’impression ou à la diffusion papier – est la seule écriture que nous connaissions aujourd’hui : il n’y a plus personne qui écrive un article à la main et qui le fasse ensuite dactylographier par quelqu’un d’autre.</p>
<p>Il est donc nécessaire que les « auteurs » aient les compétences techniques minimales demandées. Ceux qui ne les ont pas, tout simplement ne savent pas écrire et donc ne doivent pas le faire.</p>
<p>Il est vrai, nous sommes dans une période de transition (depuis au moins 40 ans, mais les transitions peuvent durer longtemps parfois), et on peut peut-être accepter que quelques chercheurs en fin de carrière puissent rester ancrés à des pratiques qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui, mais qui en avaient un avant l’introduction de l’ordinateur dans les processus d’écriture. On parle du début des années 1980, donc on parle de chercheurs qui ont écrit, disons, leur thèse avant 1984 (pour prendre une date symbolique : celle du lancement de l’Apple II) et qui sont déjà à la retraite ou sur le point d’y aller.</p>
<h2>Sortir des schémas d’écriture anciens</h2>
<p>Soyons fous : les sciences humaines et sociales ont souvent été très snob par rapport à leurs outils et donc très réfractaires au changement. Prenons donc les années 2000 comme début d’une informatisation généralisée.</p>
<p>Tous les chercheurs qui ont fini leurs études après 2000 n’ont aucune excuse : ils vivent entourés de technologies numériques depuis leur enfance, ils les utilisent à longueur de journée, ils sont encore (assez) jeunes et devraient avoir la capacité d’adapter leurs pratiques. Ne pas le faire est très grave : cela signifie n’avoir aucune idée de ce qu’on fait dans notre profession. Notre métier consiste fondamentalement à écrire et nous écrivons sans avoir la moindre idée des implications de ce que nous faisons.</p>
<p>Accepterait-on un médecin qui n’a aucune idée de ce qu’est un os ? Ou un mécanicien qui ne connaît pas le principe de fonctionnement d’un moteur à explosion ? Ou un mathématicien qui ne sait pas démontrer le théorème de Pythagore ? Mais alors pourquoi acceptons-nous pléthore d’« auteurs » qui n’ont aucune idée de comment on écrit ? Qui écrivent la totalité de leurs textes sous Word, un logiciel de traitement de texte propriétaire et pas adapté pour nos exigences scientifiques ?</p>
<p>C’est comme si un chirurgien opérait avec une hache à la place du bistouri. Que les chercheurs s’indignent aujourd’hui d’un style bibliographique mal traité sous Word et non du fait que, indépendamment du style, une bibliographie non structurée ne sert à rien me semble une abomination.</p>
<p>Cette situation est inacceptable et honteuse et il faut la dénoncer immédiatement. Il faut que les institutions en prennent conscience et qu’elles intègrent les compétences d’écriture dans les compétences minimales requises pour avoir un poste de chercheur. Et il faut aussi que des formations obligatoires soient mises en place dans toutes les disciplines des SHS.</p>
<p>Je propose ici une sorte de manifeste de l’écriture qui pourrait être adopté par les institutions :</p>
<h2>Manifeste pour une écriture compétente en sciences humaines et sociales</h2>
<p>Savoir écrire est une compétence technique indispensable pour tout chercheur ou auteur en sciences humaines et sociales. L’écriture scientifique a des caractéristiques particulières par rapport à l’écriture généraliste.</p>
<p>Nous pouvons résumer ces caractéristiques en deux principes généraux. Pour être scientifique :</p>
<p><strong>1. L’écriture doit être structurée sémantiquement.</strong> La base de la recherche est de connaître exactement le sens des termes et des expressions utilisées. Cette précision et cette exactitude différencient un contenu scientifique d’un contenu généraliste. Il est donc indispensable :</p>
<ul>
<li><p>De baliser sémantiquement le texte (au moins ses parties fondamentales : titres, notes, citations, références). Cette opération était faite sur papier avec des codes graphiques (italique, guillemets, etc.) qui, aujourd’hui, n’ont plus aucun sens. Continuer de les utiliser et confondre le balisage sémantique avec le balisage graphique est un signe de profonde incompréhension de la pratique d’écriture.</p></li>
<li><p>De structurer la bibliographie et les références. Une bibliographie est une base de données avec des champs : auteur, titre, éditeur, date, etc. La traiter comme une série de lignes est inacceptable. Cela empêche d’utiliser les références pour leur fonction première : celle de relier des contenus entre eux.</p></li>
<li><p>D’utiliser des identifiants uniques. Les mots-clés, les noms propres, les entités nommées doivent être désambiguïsés. Pour ce faire, il est indispensable de les aligner à des autorités (Rameau, IDREF, ORCID…)</p></li>
</ul>
<p><strong>2. L’écriture doit respecter des standards ouverts.</strong> Les résultats de la recherche doivent être ouverts. Il est contre la nature même de la science de les rendre propriétaires. En outre, les contenus scientifiques aspirent à la pérennité et seuls les standards peuvent l’assurer. Il est donc nécessaire :</p>
<ul>
<li><p>D’utiliser des formats libres et standards. L’usage de Word est une règle universelle. Or cela est inacceptable, car les formats doc et docx, outre qu’être très peu adaptés aux besoins scientifiques en SHS, sont la propriété d’une multinationale. Il est indispensable d’utiliser des formats ouverts et en particulier HTML ou XML.</p></li>
<li><p>D’utiliser, dans la mesure du possible, des outils non propriétaires. Indépendamment du format, les outils d’écriture conditionnent l’écriture elle-même. Il est donc important de ne pas laisser façonner la pensée par des outils produits par des entreprises commerciales.</p></li>
</ul>
<p>Le respect de ces deux principes avec leurs corollaires devrait être un préalable à l’embauche d’un chercheur en SHS dans une institution de recherche ainsi qu’une condition nécessaire pour l’obtention des diplômes de recherche – maîtrise et doctorat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Marcello Vitali-Rosati a reçu des financements du CRSH. </span></em></p>Il est nécessaire que les chercheurs aient des compétences techniques. Ceux qui ne les ont pas, ne savent tout simplement pas écrire et ne doivent donc pas le faire.Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/907062018-01-29T10:29:15Z2018-01-29T10:29:15ZPortrait de chercheur : Marie-Sol Ortola, Le Souffle d’Al-Andalus<p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
<blockquote>
<p>« En retraçant la circulation des énoncés sapientiels ((maximes, sentences, proverbes…) de la Péninsule Ibérique du IX<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle, entre cultures arabes, juives et chrétiennes, Aliento fait revivre l’une des apogées des civilisations étrangement absente de la mémoire collective ».</p>
</blockquote>
<p>Un ciel bleu de toute beauté. Au Brésil, à Belém. Un souvenir absolument triste. Des Amérindiens vivant libres, à moitié nus, et qui soudainement courent s’habiller au défilé d’évangélistes, de femmes et d’enfants, petite colonne missionnaire vêtue de blanc, venue au village pour asséner les leçons injurieuses d’un dieu qui les voulait rabaissés. Une révolte parmi d’autres. Dans les années 80, à Madrid. Des femmes s’arrachent avec la police pour protéger un jeune Maghrébin de l’expulsion. Au vrai, il y en avait une autre à dire sa solidarité en actes de résistance, et elle était celle-là. En feuilletant ces quelques images, on entre un peu dans l’histoire de Marie-Sol Ortola. Professeure de littérature espagnole du moyen-âge et du XVI<sup>e</sup> siècle au département d’études ibériques et ibéro-américaines de l’Université de Lorraine, elle incarne avec ferveur les enseignements d’une histoire magistralement minimisée, de formidables échanges des sagesses entre peuples et cultures en mouvements. L’un de ces grands moments des civilisations.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Marie-Sol Ortola.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro, iwsy-face.com</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Héritière d’une vision qui se rit encore, et la chose est amère, des blocs de civilisations hiératiques, des oppressions politiques, religieuses, des pouvoirs de l’argent, du haut d’un idéal juché sur un vieux canasson et qui n’a pour armement que le style de son expression. Et de cet esprit ouvert au seuil du Nouveau Monde qui défend les honnêtes et les petites gens dans un élan fantasque, merveilles, tentatives, des hommes enfiévrés d’être parmi les plus désespérés. Marie-Sol Ortola a toutes ces richesses de l’Espagne dans le sang. Ses yeux clairs fixent la réalité dans sa nudité. Au fil des conversations, ils s’abîment souvent dans une sorte de sfumato qui contemple gravement, à l’arrière-plan du tableau, les trésors, les pertes et les sacrifices, les impossibles révoltes et la marche inexorable du temps.</p>
<p>C’est un esprit insoumis, un tempérament, toujours prêt à rire ou à se cabrer, une pensée profondément humaine, maniant les cultures, les exemples et les mots à l’aisance d’une rigoureuse précision qui n’est que l’exigence du respect. En 2017, son grand programme est arrivé à un terme. Aussi, elle espère que de jeunes chercheurs en partagent le rêve à poursuivre et qu’ils aient les moyens de travailler. Pour la culture du projet qui domine l’Université et qui donne la primauté au financier avec accord ici où là, en suivant les cours des valeurs de politiques sporadiques, des orientations du moment, empêchant la création pérenne d’espaces de dialogues authentiques, elle n’a pas de mots assez durs.</p>
<blockquote>
<p>« Marie-Sol Ortola déplore l’éloignement du politique de l’univers scientifique, particulièrement en sciences humaines et sociales où la recherche fondamentale “est quelque part perdue”, dès lors qu’elle ne peut pas fournir d’utilité immédiate, “d’applications à courte vue”. »</p>
</blockquote>
<p>Ses propres recherches ont généré des créations de calculs, d’algorithmes, de bases de données, d’indexations, de systèmes d’annotations inédits, pouvant être réutilisés pour nombre d’applications, transposables dans le monde économique, mais après la phase fondamentale. La chercheuse donne des gages, et s’inscrit, puisque c’est le titre, dans les humanités numériques. Passant presque sous silence dans cette introduction par les aléas administratifs, que ses recherches menées avec une impressionnante liste de chercheurs et de spécialités, portées par la <a href="http://msh-lorraine.fr/">MSH</a>, par l’<a href="http://www.inalco.fr/">INALCO</a>, en partenariat avec l’<a href="http://www.atilf.fr/">ATILF</a>, l’Agence Nationale de Recherche, ressuscite tout un monde d’échanges, un passé d’une extraordinaire fertilité qui pourrait redéfinir avantageusement bien des identités actuelles, solidement cadenassées.</p>
<p>L’Aliento c’est le souffle de la rencontre au IX<sup>e</sup> siècle entre la tradition arabe de l’adab et d’al-Andalous, l’Espagne, qui devient une plaque tournante où circulent les savoirs venus d’orient passant aux royaumes chrétiens notamment par les centres monacaux du nord de la Péninsule, d’où ils se diffusent dès le XI<sup>e</sup> siècle. Puis par les traductions latines au XII<sup>e</sup> siècle, et du XIII<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle par les traductions en langues venraculaires. En al-Andalus, l’adab rencontre également la tradition sapientielle juive, de la littérature midrashique. Inspirant la composition de recueils, d’œuvres originales, pendant deux cents ans.</p>
<p>À partir du XII<sup>e</sup> siècle, des recueils d’<em>exempla</em> et de <em>dits des philosophes</em> sont traduits vers l’hébreu, le latin et les langues romanes. Cet héritage complexe, d’une fabuleuse richesse, se retrouve dans la littérature espagnole du XV<sup>e</sup> et du XVI<sup>e</sup> siècles, ainsi que dans les proverbes espagnols, judéo-espagnols et maghrébins contemporains. Ainsi le projet <a href="https://www.aliento.eu">ALIENTO</a> pour Analyse Linguistique, Interculturelle d’ÉNoncés sapientiels et Transmission Orient/Occident-Occident/Orient, a entrepris depuis dix ans, de construire une immense base de données sur les sources, la transmission et la postérité des énoncés sapientiels (maximes, sentences et proverbes), de la Péninsule ibérique du IX<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle entre trois cultures. Le réseau Aliento, initié par Marie-Sol Ortola et Marie-Christine Bornes Varol, retrace la circulation volatile de ces sagesses partagées et hybridées, leur cheminement, leur évolution, par-delà mille enjeux scientifiques pointus, liés aux traductions, aux réinterprétations culturelles, au poids des emprunts, au travers de langues parlées et écrites.</p>
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<p>« Les recherches d’Aliento alignent un nombre considérable de facteurs et d’éléments qui, reliés ensemble, disent les réalités effervescentes de ces époques constituant un bien de l’Humanité. »</p>
</blockquote>
<p>En ces matières, un travail d’une telle ampleur n’avait encore jamais été mené. Il existe une part de donquichottisme indéniable à vouloir livrer au grand public ces quelques 9570 énoncés, après les avoir scientifiquement reliés entre eux, dans toutes leurs langues et leurs versions pour offrir une circulation textuelle nouvelle et sans fin. Ces sagesses exprimées avec une telle force d’évidence perdurent donc dans bien des langues et expressions usuelles d’aujourd’hui. Et transportent incognito, de bouche en bouche, cette richesse d’origines. Imaginer des chrétiens, des juifs et des musulmans, dans les espaces où certains s’opposent si douloureusement, se référer à une même parole inconsciente de faire communauté, n’est pas sans évoquer quelques scènes férocement drôles.</p>
<p>Au-delà de la satire humaine, pour Marie-Sol Ortola, la quête des origines entre l’Ancien et le Nouveau Monde, aux parallèles et aux traits immuables qui font les choix semblables à une destinée, pourrait bien servir de fil conducteur et de morale à cette histoire intégralement espagnole.</p>
<hr>
<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/ortola_marie_sol.pdf">« Marie-Sol Ortola, Le Souffle d’Al-Andalus »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Sol Ortola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Portrait d’une spécialiste passionnée de la littérature espagnole du moyen-âge et du XVIᵉ siècle.Marie-Sol Ortola, Professeur de littérature espagnole (Renaissance et Moyen Age), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/902832018-01-17T21:40:50Z2018-01-17T21:40:50ZPortrait de chercheur : Jean-Christophe Blanchard, une voix pour les morts<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/202339/original/file-20180117-53328-155kpbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jean-Christophe Blanchard.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« À partir de traces faibles, l’historien a recomposé une figure oubliée par l’histoire, celle de Jean‑François Didier d’Attel de Luttange, un noble du XVIII<sup>e</sup> égaré au XIX<sup>e</sup>, écrivain, compositeur, traducteur, mathématicien, bibliophile, numismate… aspirant à devenir un savant de l’universel. »</p>
</blockquote>
<p>Simultanément au passé et au présent, il vit entre deux temps. Entre permanence et mutation. Fasciné par les origines et les évolutions, il observe aussi, non sans ironie, entre amusement et ressentiment, les déviations du sens des symboles que bringuebalent les époques, parfois jusqu’à l’incohérence. Ou à l’ignorance, la marque la plus regrettable de l’oubli. Jean‑Christophe Blanchard est un spécialiste de l’héraldique et de l’emblématique lorraine des origines (XII<sup>e</sup> siècle) à nos jours. Un expert de la composition et des mécanismes d’utilisation des armoiries et plus largement des emblèmes représentés dans les armoriaux, les manuscrits enluminés, sur les sceaux, les monnaies et bien d’autres objets et monuments… L’étude de ces objets complexes implique de vastes connaissances en sciences de l’érudition : paléographie, diplomatique, codicologie, sigillographie, numismatique… Elle est, en définitive, la science de la communication par l’image de l’Ancien Régime et donc une connaissance de tout un monde. Car ces images héraldiques (ou emblématiques) sont, comme les armoriaux en particulier, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00627071/PDF/L_armorial_d_AndrA_de_Rineck_une_propagande_dA_voyA_e.pdf">« un programme et une proclamation »</a> d’une identité qui rend compte des valeurs « idéologiques et militantes », des croyances, des savoirs, des aspirations autant que des stratégies de représentation de leur auteur ou commanditaire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean‑Christophe Blanchard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro</span></span>
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<p>En menant ses recherches sur l’intégration des armoiries dans la communication des élites, Jean‑Christophe Blanchard est aussi devenu un fin connaisseur des éléments constitutifs et des affichages des identités dans une approche des temps longs qui débute au Moyen Âge et perdure de nos jours. Du blason au logo. De l’armure au perfecto. Il se promène au milieu des rues, dans une histoire qu’il touche en continu, mesurant les écarts de paradigmes, les évolutions, les absences, et parfois les contresens, qui gravent et illuminent de la pierre aux néons, l’expression des sociétés d’hier à aujourd’hui. Pour exemple, il cite le monument « dit de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_de_la_Croix-de-Bourgogne">Croix de Bourgogne</a> », à Nancy, qui s’illustre par une croix de Lorraine.</p>
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<p>« Cette croix double, représentation symbolique d’une relique de la vraie croix rapportée en Anjou au XIII<sup>e</sup> siècle et vénérée par les princes angevins, fut introduite en Lorraine par René d’Anjou en 1431. »</p>
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<p>Le 5 janvier 1477, le petit-fils de ce dernier, René II, duc de Lorraine, gagne la bataille de Nancy contre Charles le Téméraire, trahi par les siens, et qui périt le crâne fendu jusqu’aux dents sous un coup de hallebarde. Le Duc victorieux ordonne la construction d’un monument à l’endroit même où l’on retrouva sa dépouille dénudée, pour honorer la mémoire du Prince vaincu et célébrer sa victoire. Puis le monument s’abîme. Il sera rebâti plusieurs fois avant de prendre, en 1928, la forme que nous lui connaissons actuellement. À cette date, on célèbre plus l’unité de la nation républicaine à travers toutes ses composantes, la Lorraine ayant été réintégrée à la France, que la victoire de René II.</p>
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<p>« Pourtant, les commémorations du 5 janvier voient régulièrement défiler sur cette place des adhérents lorrains du parti nationaliste français. Et on les voit, posant sur des photos diffusées sur leur site Internet, avec des drapeaux français portant la francisque de Vichy. Ces drapeaux sont une insulte à la mémoire des hommes qui ont voulu ce monument, des nationalistes certes, mais des républicains, plutôt des progressistes et dreyfusards ! Ils sont aussi une insulte aux idéaux de la Résistance dont la croix de Lorraine, est, entretemps, devenue le symbole ! » s’insurge l’Ingénieur d’études en laissant éclater sa colère.</p>
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<p>Docteur en histoire exerçant au sein du <a href="http://crulh.univ-lorraine.fr/">Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire</a> de l’Université de Lorraine, Jean‑Christophe Blanchard ne donne pas de cours. Rien n’interrompt son tête-à-tête avec la matière, les archives et le dialogue respectueux qu’il noue avec les morts. Parfois, pour les réintégrer méticuleusement et à une juste place dans le récit des hommes. Toujours à compléter. Ses recherches actuelles relèvent d’une des plus belles aventures de cette veine.</p>
<p>Avec une dizaine de collègues dans presque autant de disciplines, il est à l’origine de la résurrection prochaine d’un de ces oubliés de l’histoire. « D’un noble du XVIII<sup>e</sup> égaré au XIX<sup>e</sup> », écrit Frédéric Plancard dans l’Est républicain. <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/7025">Jean‑François Didier d’Attel de Luttange</a>, descendant d’une famille anoblie dans la première moitié du XVI<sup>e</sup> siècle, était de cette génération d’entre deux siècles troublés, qui supportait mal le déclassement de la noblesse et participait de l’ancienne mouvance dont le but ultime consistait à être savant, à atteindre l’universel. Occupation tout aristocratique, la polymathie pour valeur suprême pouvait aussi bien constituer chez Attel de Luttange, une aspiration de nature, un refuge ou une réponse par le dépassement aux turpitudes d’une époque désorientée. Quand Monarchies, Républiques et Empires se succédaient au tempo d’une marche de l’histoire jusqu’alors inédite. Seule certitude, il produisait. Et en quantités formidables. Des romans, des romans historiques, des mathématiques, de la musique, des traités de numismatique… Il écrit le grec. Démesurément bibliophile il amasse plus de 3000 ouvrages de grande valeur qu’il léguera à sa mort à la ville de Verdun. Et c’est sur des traces très minces, que Jean‑Christophe Blanchard est parti à la rencontre d’un disparu auquel il va donner la main.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/blanchard_jean_christophe.pdf">« Jean‑Christophe Blanchard, Une Voix pour les morts »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>À partir de traces faibles, l’historien a recomposé une figure oubliée par l’histoire, un noble du XVIIIᵉ égaré au XIXᵉ aspirant à devenir un savant de l’universel.Jean-Christophe Blanchard, Docteur en histoire, ingénieur d'études au Centre de Recherche Universitaire Lorrain d'Histoire, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/892002018-01-10T20:17:38Z2018-01-10T20:17:38ZPortrait de chercheur : Grégory Hamez, Le dessous des cartes mentales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199260/original/file-20171214-27565-1secoog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grégory Hamez.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com">Sébastien Di Silvestro</a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« L’étude des représentations mentales de leur territoire des cadres et ouvriers d’une usine frontalière fournit de précieux renseignements sur les difficultés de l’espace européen à ouvrir des perspectives à la hauteur de sa géographie humaine. »</p>
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<p>Depuis les attentats de Paris et Bruxelles, les files d’attente s’allongent sur l’A22, l’axe autoroutier qui relie Lille à la Belgique. Les vieilles guérites ont repris du service. Plus de 200 douaniers tentent de couvrir les quelque 620 kilomètres de frontières entre la Belgique et la France. Une tâche d’une certaine amplitude quand 300 points d’entrées permettent le passage d’un pays à l’autre. Dans certains villages, il suffit de traverser la rue pour se retrouver « de l’autre côté ». Alors, les patrouilles sont de retour. Les temps changent et les lisières aussi. Grégory Hamez est un enfant de ces frontières.</p>
<p>Né entre Lille et Dunkerque, d’une famille implantée du côté francophone et néerlandophone, il a toujours vécu les frontières comme des lignes de transformations spatiales, propices à l’imaginaire et à l’observation. Lignes de démarcations ou pointillés, barrières ou discontinuités, les activités humaines qu’elles limitent ou appellent relèvent parfois du paradoxal. Dans sa propre famille, les grands-parents néerlandophones parlaient encore français, puis les cousins, plus du tout, malgré la faible distance géographique. Du coup, ils échangeaient en anglais, empruntant pour se rejoindre, la langue d’une frontière encore plus lointaine.</p>
<p>Quand en 1993, la Belgique concède une spectaculaire autonomie décisionnelle à ses régions et communes, faisant que le Roi des Belges, le chef de l’État belge, n’interviendra plus dans les processus de décision politique des entités fédérées, Grégory Hamez a 21 ans. Il voit alors des gens avec qui il se sent bien, se positionner clairement dans une autre voie. Un moment désarçonnant, questionnant, surprenant. Une prépa et des études à Paris 1 – Panthéon Sorbonne le ramènent par le choix d’un sujet de thèse à la magnétique de ces démarcations : <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00007191">« Du transfrontalier au transnational : approche géographique. L’exemple de la frontière franco-belge »</a>.</p>
<p>Dans cette étude sur l’évolution des frontières intérieures dans le contexte d’une intégration européenne toujours en croissance, le jeune chercheur se sert avec originalité des mariages mixtes entre Franco-belges, mettant en perspectives les données locales et nationales, comme outil de mesure des relations frontalières spontanées.</p>
<p>_Contre toute attente, ces unions stagnent à proximité de la frontière alors qu’elles augmentent sur le territoire national, preuve d’un effet de diffusion et de changement d’échelle transnationale, voire européenne. _</p>
<p>Au plan local, il explique cette stagnation par une diminution des relations entre Flamands de France et de Belgique, conséquence d’une divergence linguistique grandissante. Mais si l’on résume, plus la frontière est ouverte moins elle génère de relations dans sa périphérie immédiate. Voici l’un des paradoxes des frontières qui exercent d’autant plus d’attraction qu’elles ouvrent ou ferment à des différences.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grégory Hamez.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro/iwsy-face.com</span></span>
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<p>Grégory Hamez raconte que les contacts au sein de sa famille installée de part et d’autre de la frontière étaient plus fréquents entre 1850 et 1950, alors qu’elle était « plus fermée », mais proposait un plus grand différentiel. De nombreux Belges venaient alors travailler ou résider en France, attirés par un système législatif et fiscal plus avantageux. Des usines ! Des usines, s’écrierait-on aujourd’hui, étaient alors implantées en France pour éviter des droits de douane français trop élevés. Des Belges venaient alors travailler dans les usines françaises en réplique parfaite de la situation actuelle entre la France et le Luxembourg.</p>
<p>Différentiel fiscal et salaire en moyenne 1,8 fois supérieur entraînent une attractivité du Luxembourg sans pour autant favoriser une identité conjointe, et même bien au contraire. Les travailleurs transfrontaliers le savent bien et le ruminent chaque matin dans les embouteillages de l’A31. Pour Grégory Hamez, tous ces éléments questionnent le projet européen dans une intégration qui se fait en dépit de l’hétérogénéité des territoires. Et devrait, selon lui, générer beaucoup plus d’opportunités de traverser les frontières pour aller chercher du travail ou commercer.</p>
<p>Le chercheur rêverait d’un service citoyen européen poussant chaque jeune entre 15 et 25 ans à passer un an dans un autre pays, pour les études, un travail associatif ou de droit privé, qu’importe, mais puisque les frontières sont ouvertes, que les gens bougent et se créent enfin cette identité commune. Pour l’instant, le projet reste en panne.</p>
<p><em>Pour étudier les mécaniques des frontières au plus près, dans un contexte précis reliant des hommes à une géographie dans une perspective de travail entre deux pays proches, Grégory Hamez a cofondé le <a href="http://greti.org/">Groupe de recherches transfrontalières interdisciplinaires</a> (GRETI).</em></p>
<p>Un regroupement des Universités de Lorraine, du Luxembourg et de la Sarre, membres de la « Grande Région », soutenu par la MSH, additionnant les compétences en géographie, linguistique, sciences de gestion et sociologie. Restait à trouver un terrain d’étude, un grand carrefour, pour comprendre, les mécaniques du travail transfrontalier, les échanges linguistiques, les trajectoires, les profils et les cartes mentales qui font qu’un individu tourne le dos ou est attiré par l’autre côté de la frontière, dans une représentation tout individuelle de son territoire.</p>
<p>Pour se dégoter le lieu, le groupe a la main heureuse. La cofondatrice du groupe, Claudia Polzin-Haumann, Professeur en apprentissage des langues à l’université de La Sarre, croise le PDG de l’usine smart à Hambach, qui en 2014, s’apprêtait à sortir la smart fortwo en collaboration avec Renault. Seul problème et pas des moindres, les Français de chez Renault ne parlent pas allemand et les interlocuteurs s’efforcent d’échanger en anglais. Le GRETI propose son aide pour mieux comprendre le passage des frontières linguistiques et le groupe smart lui demande en échange de bons procédés de lui livrer au terme des recherches un document de recommandation. Accord conclu. Les chercheurs sont en place.</p>
<p>Leur terrain de « jeux » est plus qu’alléchant. Le groupe Daimler propriétaire de l’usine-ville est allemand ainsi que son PDG. 85 % des personnels sont français avec un encadrement mixte. Le site d’Hambach se situe à proximité de la frontière allemande. Et l’usine inaugurée en 1997 par Helmuth Kohl et Jacques Chirac incarne une certaine réussite de la coopération franco-allemande. 1 600 personnes travaillent sur ce site de 68 hectares. Les chercheurs obtiennent alors un accès à des salariés, ouvriers et cadres, travaillant dans les trois groupes : production, support (commerce), nouvelles voitures. « Des conditions superbes ».</p>
<p>La composition du salariat étant franco-allemande, les chercheurs du GRETI décident d’employer une méthodologie mixte pour mener leurs entretiens. Afin que les salariés puissent s’exprimer librement dans la langue de leur choix. Ils commencent les entretiens dans un schéma semi-directif en posant des questions sur la vie dans l’entreprise et la communication. Mais le groupe smart demande un élargissement de la recherche pour interroger les salariés sur le sujet des langues.</p>
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<p>« On s’est mis à brosser très large et chacun apportait quelque chose sur la méthodologie. Les linguistes avaient leur propre questionnaire, sur les biographies linguistiques, les langues que les personnes parlaient au travail et chez eux, la langue dans laquelle ils regardaient la télé, la langue employée pour les réseaux sociaux et quels réseaux ? Idem pour les écrans d’ordinateur, les claviers azerty… Ces entretiens ont permis de dégager une sociologie humaine et linguistique », explique Grégory Hamez.</p>
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<p>De son côté, il glisse une étude sur la carte mentale. Dans ce procédé, il tend une feuille blanche à son interlocuteur en lui demandant de représenter les lieux qui comptent pour lui. Afin de visualiser s’il existe une forme d’ancrage territorial, un espace d’appartenance particulier. Dessins, mots, symboles, la représentation en elle-même n’avait aucune importance. Le géographe partait de l’hypothèse non dégrossie qu’il s’agissait d’un milieu mixte, de l’hybridité, de l’entre-deux. Déjà parce qu’il faut être bilingue pour entrer dans l’entreprise qui se situe à 5 km de la frontière allemande, dans une zone où on parle le « platt », un patois tonique. Cette idée reposait sur l’observation de ces salariés confrontés en permanence aux changements de langue, dans leurs trajets quotidiens, entre collègues, au téléphone.</p>
<p>Beauté de la science, l’hypothèse se révèle infondée et en laisse apparaître une autre. Même si les pratiques révélaient une certaine mixité, les cartes mentales présentaient de fortes déterminations nationales. En fait, la véritable distinction entre ces salariés des frontières résidait entre « nomades » et « sédentaires ». Grégory Hamez s’enthousiasme :</p>
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<p>« D’une part, il y avait des personnes avec une représentation du champ du monde de type : oui, aujourd’hui je travaille chez Smart, mais peut-être que l’an prochain je chercherai au Mexique ou en Chine. Des salariés en ouverture aux opportunités, mais pas enracinés. Et ce qui était surprenant, c’est que cette distinction n’avait rien à voir entre le fait d’être cadre ou ouvrier. »</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/hamez_gregory.pdf">« Grégory Hamez, Le dessous des cartes mentales »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89200/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Grégory Hamez étudie les mécaniques des frontières au plus près, dans un contexte précis reliant des hommes à une géographie dans une perspective de travail entre deux pays proches.Grégory Hamez, Professeur de géographie et d'aménagement, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.