tag:theconversation.com,2011:/us/topics/societe-22209/articlessociété – The Conversation2024-03-15T15:40:37Ztag:theconversation.com,2011:article/2251462024-03-15T15:40:37Z2024-03-15T15:40:37ZL’exaltation du « sacrifice pour la patrie » au cœur de l’idéologie du régime poutinien<p>La Russie actuelle est une société marquée par la répression systématique de toute contestation. Cette situation n’est pas récente. Quand il y a dix ans, en mars 2014, la Russie a annexé la Crimée et déclenché le « printemps russe » dans l’est de l’Ukraine, de nombreuses lois visant à faire taire les voix dissonantes y étaient déjà en vigueur, notamment les tristement célèbres <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/europe-asie-centrale/russie/russie-la-nouvelle-legislation-sur-les-agents-de-l-etranger-va-encore">« loi sur les agents étrangers »</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/06/30/russie-poutine-promulgue-deux-lois-denoncees-comme-liberticides_3439201_3214.html">« loi interdisant la propagande de l’homosexualité »</a>.</p>
<p>Au cours des années suivantes, et spécialement depuis l’invasion à grande échelle lancée le 24 février 2022, le pouvoir s’est encore durci, au point d’opérer un <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2024/01/11/russie-la-repression-atteint-de-nouveaux-sommets">nettoyage total</a> de l’espace politique et culturel du pays.</p>
<h2>La répression et la guerre</h2>
<p>Comme <a href="https://www.proekt.media/en/guide-en/repressions-in-russia-study/">rapporté</a> par Proekt.Media – un groupe de journalistes indépendants dont les membres ont été eux-mêmes dernièrement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/15/la-russie-interdit-proekt-un-media-d-investigation-repute_6088377_3210.html">réduits au silence ou contraints à quitter le pays</a> –, uniquement sur la période 2018-2023, c’est-à-dire lors du mandat actuel de Vladimir Poutine, environ 110 000 personnes ont été poursuivies en Russie en vertu d’articles politiques du code administratif (qui exposent à des amendes, parfois très élevées), et 5 613 en vertu d’articles politiques du code pénal (qui exposent à des peines de prison).</p>
<p>Ce dernier chiffre, observé, répétons-le, en moins de cinq ans, est supérieur à l’ensemble des poursuites pour infractions politiques au code pénal recensées au total sous Khrouchtchev et Brejnev (1954-1982).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580485/original/file-20240307-30-m2ppo0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sous Poutine, en plus des 5 613 personnes jugées au pénal pour « extrémisme » et autres articles politiques, près de 100 000 personnes ont comparu devant la justice pour des délits administratifs à teneur politique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.proekt.media/en/guide-en/repressions-in-russia-study/">Graphique réalisé par Proekt.Media</a></span>
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<p>En outre, l’enquête souligne que ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg et que l’ampleur réelle de la répression pourrait être bien plus importante : certains autres articles répressifs, a priori non politiques, sont fréquemment utilisés pour poursuivre des personnes supposées hostiles au Kremlin. Ainsi, de nombreux Russes ayant pris part à des rassemblements non autorisés ont été jugés pour « refus d’obtempérer » ou pour « infraction aux restrictions liées à la pandémie de Covid-19 ».</p>
<p>Depuis février 2022, entre 600 000 et 1 million de Russes ont <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65790759">quitté le pays</a>. Parmi ceux qui sont restés et sont allés combattre en Ukraine, entre 47 000 (<a href="https://zona.media/casualties">estimation minimale, les noms de chacun d’entre eux ayant été répertoriés</a> et 360 000 (<a href="https://war.ukraine.ua/faq/what-are-the-russian-death-toll-and-other-losses-in-ukraine/">chiffres avancés par les forces armées ukrainiennes</a>) y ont trouvé la mort.</p>
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<p>Selon les calculs du ministère britannique de la Défense, <a href="https://www.euronews.com/2024/03/03/russia-likely-suffered-at-least-355000-casualties-in-ukraine-war-uk-mod">l’armée russe a déploré en moyenne 983 soldats morts ou blessés chaque jour</a> en février 2024. En 2023, <a href="https://www.forumfreerussia.org/en/news-en/2023-09-22/average-life-expectancy-of-mobilized-russians-in-ukraine-war-was-4-5-months">l’espérance de vie moyenne d’un mobilisé russe</a> n’était que de quatre mois et demi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-russie-la-plainte-etouffee-des-mobilises-et-de-leurs-familles-224678">En Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles</a>
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<p>Ces chiffres effarants, de même que le <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/mauvaises-conditions-materiel-obsolete-des-soldats-russes-crient-leur-desespoir-dans-une-video_AV-202210070261.html">niveau calamiteux des vêtements et équipements fournis aux soldats</a>, témoignent du peu de cas que fait le pouvoir russe de la vie de ses militaires – et, plus généralement, de ses citoyens. Ce pouvoir met en œuvre ce que l’on appelle une <a href="https://modernrhetoric.files.wordpress.com/2018/12/thanatopolitics-bloomsbury-handbook.pdf">thanatopolitique</a>, c’est-à-dire une politique où la mort violente des habitants est perçue comme une issue souhaitable dès lors qu’elle participe à la grandeur de l’État.</p>
<h2>Offrir sa vie à l’État, seule existence utile</h2>
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<p>« Il y a des gens dont on peine à dire s’ils ont vraiment vécu ou non. Ils meurent d’on ne sait quoi, par exemple d’un abus de vodka… Votre fils, lui, a vécu. Il a atteint son but. Cela signifie que sa mort a eu un sens. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=4tRQIn6GRiU">Cette tirade</a> a été adressée par Vladimir Poutine, en 2022, à une femme dont le fils avait été tué dès la première guerre du Donbass, en 2014.</p>
<p>L’idéologie du régime de Poutine est <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vladimir-poutine-nous-irons-au-paradis-en-martyrs">eschatologique</a> : elle normalise la mort et la destruction. Un exemple éloquent en a été donné lors d’un récent concert de <a href="https://www.watson.ch/fr/soci%C3%A9t%C3%A9/poutine/447821235-shaman-le-parafasciste-voici-le-chanteur-prefere-de-poutine">Shaman, l’un des chanteurs les plus populaires du pays</a>, où en criant « Je suis russe ! », le refrain de son titre-phare, il appuie sur un bouton rouge simulant le bouton nucléaire, ce qui provoque immédiatement un feu d’artifice géant, à la plus grande joie du public :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720919264796836076"}"></div></p>
<p>Pour l’État totalitaire qu’est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14782804.2019.1651699">devenue la Russie de Poutine</a>, les citoyens n’ont de valeur qu’en tant que corps patriotiques dont le seul but est de mourir pour le souverain si nécessaire.</p>
<p>C’est pourquoi la loyauté envers le gouvernement et la possession d’un corps sain capable, le cas échéant, de faire la guerre, sont les principaux critères d’après lesquels l’État totalitaire trace les frontières entre « les nôtres » et « les autres », entre « les gens nécessaires » et « les gens superflus ». Ces « gens en trop », aux yeux du régime poutinien, ce sont les membres de l’opposition politique et culturelle, la communauté LGBTIQ+, ou encore les femmes ne souhaitant pas avoir d’enfants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729804563572556268"}"></div></p>
<p>C’est pourquoi, aussi, les propagandistes de Poutine <a href="https://cepa.org/article/morality-shouldnt-get-in-the-way-russias-genocidal-state-media/">affirment</a> que l’objectif de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine (l’euphémisme que le régime emploie pour désigner la guerre actuelle) n’est pas de tuer tous les Ukrainiens en tant que peuple, mais seulement ceux qui ne se considèrent pas comme faisant partie du « monde russe ».</p>
<p>C’est pourquoi la Russie <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-recherche-des-enfants-deportes-par-la-russie-une-course-contre-la-montre-avant-qu-ils-ne-disparaissent_6319473.html">a kidnappé des enfants ukrainiens</a> et tue leurs parents : le psychisme des enfants est flexible et ils peuvent être <a href="https://www.kyivpost.com/post/25213">« rééduqués »</a>, contrairement aux adultes.</p>
<p>C’est pourquoi de nombreuses épouses de soldats russes, après avoir appris que leurs maris violaient des Ukrainiennes, <a href="https://filmscosmos.com/intercepted/">légitiment ces actes</a> – parce que, selon elles, les femmes ukrainiennes ne sont pas des femmes comme elles.</p>
<p>Les détracteurs du régime de Poutine qualifient volontiers sa politique à l’égard des Ukrainiens de manifestation par le néologisme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/25/rachisme-le-nouveau-mot-de-la-guerre-en-ukraine_6138996_3210.html">« rachisme »</a>, une contraction de « Rossia » (Russie) et de « fachizm » (fascisme) qu’employait déjà le premier président indépendantiste de la Tchétchénie (la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_tch%C3%A9tch%C3%A8ne_d%27Itchk%C3%A9rie">République d’Itchkérie</a>) Djokhar Doudaïev. En 1995, décrivant la politique de Moscou pendant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), il l’a qualifiée d’« extrêmement cruelle, inhumaine, basée sur le chauvinisme grand-russe et sur la tactique de la terre brûlée ». Le concept a depuis été évoqué de nouveau dans le contexte de la guerre russo-géorgienne en 2008, de l’annexion de la Crimée en 2014, de la guerre subséquente dans le Donbass et de <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/19/opinion/russia-fascism-ukraine-putin.html">l’invasion russe de l’Ukraine</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1650960946506919942"}"></div></p>
<p>Le régime de Poutine a nourri cette idéologie en réhabilitant dans une large mesure le stalinisme. En 2023, il y avait en Russie <a href="https://www.rferl.org/a/russia-stalin-victims-memorials-vandalism/32620956.html">110 monuments à la gloire de Staline</a> ; 95 d’entre eux ont été érigés sous Vladimir Poutine. La société russe se réapproprie rapidement les méthodes soviétiques de gouvernance et de contrôle, comme en témoigne la <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/donos-dans-russie-en-guerre-de-vladimir-poutine-la-delation-est-redevenue-un-sport-national-218137">multiplication des dénonciations</a> de citoyens russes les uns contre les autres pour « manque de fiabilité politique », qui a entraîné l’emprisonnement de nombreuses personnes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/70-ans-apres-la-mort-de-staline-son-spectre-hante-toujours-la-russie-199489">70 ans après la mort de Staline, son spectre hante toujours la Russie</a>
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<h2>Peut-on évaluer l’attachement réel des Russes à l’idéologie du pouvoir ?</h2>
<p>Les sondages réalisés dans une société non libre ne peuvent être considérés comme une source d’information fiable, mais ils peuvent donner un aperçu de la situation.</p>
<p><a href="https://www.levada.ru/2023/12/08/konflikt-s-ukrainoj-otsenki-noyabrya-2023-goda/">Selon une enquête effectuée en novembre 2023 par le Centre Levada</a>, les deux principaux sentiments – contradictoires – que la guerre avec l’Ukraine a suscités chez les Russes depuis qu’elle a démarré sont, d’une part, la terreur (32 %) et, d’autre part, la fierté pour leur pays (45 %). Cette fierté est principalement ressentie par les hommes et les personnes plus âgées, qui ont connu l’URSS. L’anxiété, la peur et l’horreur sont plus souvent ressenties par les femmes et par l’ensemble des Russes nés sous Poutine.</p>
<p>Pourtant, selon cette même enquête, la proportion de Russes qui pensent qu’il faut entamer des pourparlers de paix reste élevée : elle s’élève à 57 %, soit le même niveau qu’en octobre 2022 (après l’annonce de la mobilisation partielle). 36 % des personnes interrogées sont favorables à la poursuite de l’action militaire. Environ autant (40 %) ont collecté de l’argent et des biens pour les faire parvenir aux participants à l’« opération spéciale » au cours de l’année écoulée.</p>
<p><a href="https://www.bbc.com/russian/news-64764949">Selon les auteurs du projet de recherche indépendant « Chroniques »</a>, les Russes ne répondent pas sincèrement à la question de savoir s’ils soutiennent l’« opération spéciale », de crainte de subir les représailles du pouvoir s’ils assument leur opposition. Certains disent qu’ils la soutiennent uniquement pour « se fondre dans la foule » des conformistes. Pour d’autres, il y a une différence entre soutenir la guerre et soutenir les Russes qui y ont été envoyés. Dans l’ensemble, cependant, les sociologues estiment que les sanctions fonctionnent et que les réfrigérateurs vides « annuleront » l’effet de la propagande de Poutine, et que ceux qui tentent encore d’éviter les jugements politiques sur la guerre seront alors contraints de les formuler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-soutien-de-facade-des-russes-a-la-guerre-en-ukraine-216314">Le soutien de façade des Russes à la guerre en Ukraine</a>
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<p>Pour l’heure, en tout cas, il semble très difficile d’imaginer que le peuple russe puisse renverser le régime. La <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/4079320-20240302-mort-alexei-navalny-milliers-russes-defilent-tombe-opposant-apres-funerailles">réaction massive à la mort d’Alexeï Navalny</a> démontre sans doute qu’il existe une vraie demande intérieure de changements démocratiques, mais celle-ci est à ce stade insuffisante pour provoquer ce souffle immense de mécontentement populaire qui pourrait ébranler profondément le système.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Yatsyk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le poutinisme repose sur la thanatopolitique – de thanatos, la mort – qui proclame que la vie des citoyens n’a de sens que si elle est vécue, et sacrifiée, dans « l’intérêt de la Russie ».Alexandra Yatsyk, Chercheuse en sciences politiques, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216592024-02-26T15:50:59Z2024-02-26T15:50:59Z« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577885/original/file-20240226-24-1r3dog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=51%2C8%2C5760%2C3802&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon l'Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers.</span> <span class="attribution"><span class="source">Yakobchuk Viacheslav</span></span></figcaption></figure><p><em>Mères, travailleuses, attentives à la dimension du soin dans la relation aux autres, beaucoup de femmes ploient sous le poids de la charge mentale. En plus d’exécuter la grande majorité des tâches domestiques au sein de la famille, elles sont souvent celles qui les organisent, les planifient, y « pensent », tout simplement. Et ce d’autant plus que l’éducation des enfants est devenue un enjeu central de notre époque. Cette charge qui leur incombe au quotidien peut être alourdie par les nouveaux outils numériques. Ce vécu intime, cette addition des tâches et leur répercussion, impossibles à quantifier, doivent être appréhendés collectivement.</em></p>
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<p>Comment être une « bonne mère », tout en étant une « professionnelle impliquée », une « amie dévouée » mais aussi une « représentante associative engagée » et une partenaire attentive… en même temps, tout le temps ?</p>
<p>Les rôles sociaux que les personnes investissent tendent à se multiplier ; nos identités se conjuguent dans une dialectique entre notre identité propre et celle tournée vers autrui. En résulte une « charge mentale » démultipliée et parfois incommensurable.</p>
<p>Cette charge mentale, <a href="https://theconversation.com/le-travail-invisible-une-lutte-sans-fin-pour-les-femmes-203284">comme un très grand nombre de femmes</a>, il m’arrive moi-même de l’expérimenter dans mon quotidien, en tant que mère de quatre enfants avec une vie professionnelle dense. Sociologue de la famille et de l’éducation, je me suis donc intéressée de près à cette question.</p>
<p>Mais de quoi parle-t-on exactement ? Apparue dans les années 80, la « charge mentale » peut être définie <a href="https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/dialogues-economiques/la-charge-mentale-une-double-peine-pour-les-femmes">selon Nicole Brais</a>, chercheuse en philosophie à l’Université de Laval qui a théorisé cette notion, comme un « travail de gestion, d’organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».</p>
<p>Mais c’est la sociologue Monique Haicault qui, la première, décrit dans son ouvrage <a href="https://www.jstor.org/stable/43149231"><em>La gestion ordinaire de la vie en deux</em></a>, la « double journée » des femmes, prises en étau entre le travail domestique et familial et la montée en puissance des exigences professionnelles.</p>
<h2>71 % des charges parentales assurées par les femmes</h2>
<p>Première caractéristique : la charge mentale affecte le vécu et l’expérience des femmes. Certes, la généralisation du travail féminin, intervenue au XX<sup>e</sup> siècle, participe d’un mouvement d’émancipation de ces dernières. Mais il ne s’est pas accompagné d’un partage équitable des tâches domestiques et familiales. En effet, selon l’Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240">au sein des foyers</a>.</p>
<p>Il ne s’agit pas seulement du temps passé avec l’enfant, mais du temps à penser à tout ce qui le concerne : tri des vêtements au fil des saisons, gestion du calendrier vaccinal, organisation des vacances à venir, cadeaux à offrir aux goûters d’anniversaire, dates à retenir pour <a href="https://theconversation.com/fr/topics/parcoursup-55513">Parcoursup</a>…</p>
<p>Cette charge ne permet pas de concilier équitablement vie professionnelle et familiale et nuit au bien-être des femmes, <a href="https://www.dialogueseconomiques.fr/article/la-charge-mentale-une-double-peine-pour-les-femmes">tant elle les oblige à être constamment en alerte</a>.</p>
<p>Il ne s’agit pas seulement de partager équitablement la réalisation des tâches au sein du couple pour partager la charge mentale. Plus diffuse, cette charge est aussi cognitive, car elle résulte davantage d’une réflexion visant la gestion et la planification des tâches domestiques, éducatives et de soin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/soins-aux-personnes-agees-le-travail-invisible-des-femmes-migrantes-195496">Soins aux personnes âgées, le travail invisible des femmes migrantes</a>
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<p>On touche ainsi à une seconde caractéristique : cette charge mentale est invisible et a ceci de particulier qu’elle ne se quantifie pas.</p>
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<figcaption><span class="caption">La dessinatrice Emma, 2019.</span></figcaption>
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<p>Pour rendre compte de son intensité, souvent invisible, paraît en 2016 <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/"><em>Fallait demander</em>, une bande dessinée par l’autrice-illustratrice Emma</a>. La BD, d’abord publiée sur Internet, fait œuvre pédagogique et provoque le débat dans les sphères médiatiques mais également intimes.</p>
<p>L’autrice s’emploie à décrire les soubassements d’une injustice de genre dans un contexte de supposée égalité entre les sexes. L’engouement suscité est aussi lié à une intensification générale de cette charge mentale.</p>
<p>En effet, si cette notion est autant discutée aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle englobe de nouveaux registres, à l’instar du <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-c-comme-care-158918"><em>care</em></a> tel que défini par Monique Haicault :</p>
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<p>« Le soin, le bien-être, le souci de l’autre et de la relation à autrui composent la part émotionnelle et altruiste de la dimension affective de la vie, plus présente aujourd’hui qu’hier. »</p>
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<h2>Saturation du travail parental</h2>
<p>Enseignante-chercheuse, je mène des entretiens sociologiques auprès de nombreuses femmes. Elles décrivent souvent longuement ce qui s’apparente à une saturation de leur travail parental. Je partage à certains égards leur expérience, tant je sais ce qu’il en coûte d’avoir à penser à tout, pour soi-même mais également pour l’ensemble de sa famille, concernant tous les aspects de la vie intime, scolaire, médicale, sociale.</p>
<p>Beaucoup d’enquêtées évoquent une élévation du référentiel associé au registre éducatif : on a plus d’exigence et on s’investit plus que par le passé dans l’éducation de notre progéniture.</p>
<p>En effet, nos sociétés contemporaines <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1301">accordent une attention croissante et inédite à l’enfant</a> et c’est sans surprise sur les mères que repose principalement l’application de ces nouvelles normes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-femmes-universitaires-font-davantage-de-taches-de-soin-mais-elles-ne-sont-pas-reconnues-179047">Les femmes universitaires font davantage de tâches de soin, mais elles ne sont pas reconnues</a>
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<p>En ce sens, une caractéristique contemporaine de cette « charge mentale » semble d’ailleurs tenir dans l’évolution de la considération des besoins de l’enfant et de sa norme attenante de « bien-être ».</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2018-1-page-17.htm">tournant pédocentrique</a>, amorcé au début des années 1990, s’est diffusé jusque dans nos psychés et nos affects les plus intimes.</p>
<p>Comme le souligne le sociologue Gérard Neyrand :</p>
<blockquote>
<p>« Si aujourd’hui ce n’est plus le mariage mais la venue de l’enfant qui fait famille, cela confère à l’enfant une centralité d’autant plus grande qu’il se fait plus rare qu’autrefois, qu’il demeure plus longtemps chez ses parents, et que l’attachement affectif qu’il engendre n’a jamais été aussi élevé »</p>
</blockquote>
<p>D’ailleurs, dans certains cas, la parentalité peut pour ces raisons être vécue comme une expérience de solitude, <a href="https://journals.openedition.org/gss/3901">qui génère un fort sentiment d’incomplétude et d’épuisement</a>. Le fait d’avoir des enfants <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/des-imaginaires-aux-realites-conjugales-familiales-4005.html">peut même finir par être appréhendé comme un assujettissement</a>.</p>
<p>Si l’épuisement est d’abord personnel, il met par ailleurs à l’épreuve la conjugalité contemporaine et ses normes de partage et d’équité. Cette charge occupe la discussion de bien des couples, et apparaît nettement comme un des facteurs de délitement de la conjugalité dans les entretiens sociologiques que j’ai pu produire. Ainsi, cette jeune femme raconte :</p>
<blockquote>
<p>« On est un jeune couple, tout va bien c’est super c’est merveilleux, l’enfant arrive et là, très rapidement le vent tourne, et là Hermione on va dire qu’elle a six mois et moi je me dis que ça va pas le faire, l’histoire dure encore un an supplémentaire mais ça ne le fait pas, clairement il sert à rien, il me convient plus, il m’aide pas, je me sens seule et je me dis quitte à me sentir seule, autant l’être pour de vrai ! » (Clémence, une enfant de 14 ans, séparée).</p>
</blockquote>
<p>Si les couples les mieux positionnés sur l’échiquier social peuvent avoir recours à des services leur permettant d’externaliser un certain nombre de tâches ménagères, domestiques, éducatives, cela ne va pas de pair avec une diminution de cette charge cognitive. Parfois, l’effet peut même être inversé, car il s’agit de penser les conditions (qui, comment, où…) de cette prétendue externalisation de la gestion du quotidien ! Externalisation <a href="https://theconversation.com/nounous-africaines-a-paris-trop-presentes-pour-etre-visibles-195385">qui incombe bien souvent à d’autres femmes</a>.</p>
<h2>Numéro d’équilibriste</h2>
<p>Autre effet paradoxal : celui d’endosser socialement le rôle de gestionnaire, voire de cheffe autoritaire du foyer.</p>
<p>Combien de femmes racontent les reproches qu’elles reçoivent, parfois même accusées de distribuer les rôles et d’occuper une position hégémonique au sein leur famille !</p>
<blockquote>
<p>« À force de penser à tout : choix de l’école, choix de la nounou, départ des filles dans ma famille lors des vacances scolaires, organisation des anniversaires des filles, mais aussi des week-ends entre copains, je suis devenue en plus celle qui décide, et qui s’accapare la prise de décision » _(Amélie, deux filles de 7 et 4 ans, en couple).</p>
</blockquote>
<p>Et puis, à un autre niveau, l’externalisation ne vient que reproduire des inégalités dans la mesure où ces tâches sont toujours déléguées à d’autres femmes, souvent issues des classes populaires, de <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">l’immigration et qui acceptent des bas salaires</a>.</p>
<p>L’intensification de cette charge mentale et le morcellement de nos rôles sociaux qui en résulte est également à concevoir dans un mouvement d’accélération et de compression des vies privées et professionnelles. Un mouvement notamment rendu possible par les outils numériques et la gestion à distance des tâches, voire des rôles <a href="https://www.anact.fr/limpact-de-lutilisation-des-outils-numeriques-sur-la-charge-mentale-des-salaries">qu’ils permettent</a>.</p>
<hr>
<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d’emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les nouvelles réflexions technologiques, écologiques ou encore liées au genre survenues au tournant du XXI<sup>e</sup> siècle.</em></p>
<p><em>À lire aussi :</em></p>
<ul>
<li><a href="https://theconversation.com/tous-en-salle-comprendre-lobsession-contemporaine-pour-les-corps-muscles-217329"><em>Tous en salle ? Comprendre l’obsession contemporaine pour les corps musclés</em></a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/les-amis-notre-nouvelle-famille-217162"><em>Les amis, notre nouvelle famille ?</em></a></li>
</ul>
<hr>
<p>Je fais par exemple partie de celles qui peuvent à l’occasion télétravailler. Cela me permet de « gagner du temps », d’éviter certains déplacements, parfois de concilier certains impératifs professionnels avec mon travail parental, notamment lorsque mes enfants sont malades.</p>
<p>En résulte cependant un numéro d’équilibriste. Chaque journée peut alors devenir un temps et un espace de négociation avec moi-même, une quête visant à définir la meilleure stratégie possible pour « avancer », limitant autant que possible les sources de perturbations qui me feraient perdre l’équilibre. Par exemple, un déjeuner avec une amie en semaine, un rendez-vous avec une enseignante, une manifestation sportive pour l’un de mes enfants… sont autant d’évènements à même de « gripper » mon organisation, pourtant bien établie.</p>
<p>Reste néanmoins que la conciliation entre tous les espaces-temps constitue le creuset de difficultés quasi universelles de la condition parentale des mères.</p>
<p>Un récent rapport du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes décrit ce phénomène et pointe l’un des <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce-pro-rapport_teletravail_efh-23022023.pdf">risques du télétravail pour les femmes : la réduction des opportunités de carrière</a>.</p>
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<p>Face à cette mise en concurrence de nos identités et au sentiment de morcellement pouvant en résulter, il nous revient certes de penser à des modes d’organisation équitables dans nos relations avec nos partenaires. Toutefois, circonscrire cette problématique au seul volet intime participe d’un effacement de sa dimension politique et laisse à penser qu’il suffirait d’une bonne organisation au sein du couple pour diminuer cette « charge mentale ».</p>
<h2>La dimension collective de la charge mentale</h2>
<p>On touche là à une idéologie bien installée dans notre société : les raisons de ce qui nous pose problème sont à chercher dans notre psyché défaillante, comme le décrivent très bien Eva Illlouz et Edgar Cabanas dans <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2019-4-page-813.htm"><em>Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies</em></a>.</p>
<p>Dans les discours de la psychologie positive et du développement personnel, la « charge mentale » devient le lieu d’une introspection qui sous-entend uniquement un enjeu individuel. Pareille conception fait cependant l’impasse sur sa dimension collective et sociale : représentations et organisation de la famille, division genrée du travail éducatif, place du travail et de sa valeur dans nos trajectoires de vie…</p>
<p>Si des solutions existent dans des dispositifs de prévention et d’éducation des garçons et des filles afin de les sensibiliser aux stéréotypes et normes de genre, on ne peut cependant pas faire l’économie de penser en termes d’organisation sociale collective.</p>
<p>À ce titre, on peut imaginer l’élaboration de politiques publiques soutenant le travail éducatif et de <em>care</em>, des politiques d’emploi permettant de mieux concilier vie personnelle et professionnelle, notamment à travers la prise en compte des temporalités qu’engage la vie de famille.</p>
<p>Et parce que l’on sait que les <a href="https://theconversation.com/la-persistance-des-stereotypes-entretient-les-inegalites-professionnelles-femmes-hommes-199320">femmes</a> sont plus concernées par le travail à temps partiel, on peut envisager des mesures qui favoriseraient des journées de travail moins longues pour les hommes comme pour les femmes, des mesures qui prévoient des congés parentaux à se répartir entre parents, à commencer par un congé paternité révisé, <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/280583-conge-paternite-28-jours-compter-du-1er-juillet-2021">au-delà des 28 jours prévus depuis sa réforme au mois de juillet 2021</a>.</p>
<p>À ce jour, des dispositifs d’entreprise visent à allonger le congé pour le deuxième parent, à l’instar du <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/conge-remunere-second-parent-105-entreprises-sengagent-1169098">#Parentalact</a> qui a fait son apparition en 2020.</p>
<p>Réviser le congé paternité à la faveur d’une division équitable du travail éducatif et de <em>care</em> dès l’arrivée de l’enfant permettrait de rompre avec notre organisation familiale adossée à la mère comme parent principal. À un autre niveau, ce type d’incitation résonnerait comme une révolution culturelle pour notre société tant le travail est encouragé et valorisé, bien au-delà de la considération que suscite l’énergie déployée pour élever des enfants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jessica Pothet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En plus de leur travail, les femmes assurent la majorité des tâches familiales. Une charge mentale alourdie par la place centrale accordée à l’enfant et le développement de nouveaux outils numériques.Jessica Pothet, Maîtresse de conférences en sociologie (Université Lyon-1), chercheuse au laboratoire Max Weber, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2232922024-02-13T15:43:12Z2024-02-13T15:43:12ZRobert Badinter, « l’éloquence du cœur et de la raison »<p>L’annonce de la mort de Robert Badinter s’est accompagnée de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/09/l-hommage-unanime-des-responsables-politiques-a-robert-badinter_6215721_823448.html">très nombreux hommages</a>, dessinant le portrait d’une personnalité faisant aujourd’hui l’unanimité.</p>
<p>Parmi les multiples prises de position de ce grand homme d’État, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/mort-de-robert-badinter/mort-de-robert-badinter-le-monde-de-la-justice-rend-hommage-a-un-modele_6356056.html">défenseur infatigable des libertés publiques</a>, son combat victorieux pour l’abolition de la peine de mort, mené en tant que garde des sceaux de <a href="https://theconversation.com/global/topics/francois-mitterrand-23935">François Mitterrand</a>, restera sans doute comme le plus emblématique.</p>
<p>À ce titre, le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 dans le cadre de la discussion du projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort, a fait date. La loi sera adoptée le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/waM7DsuhX28?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait d’un journal télévisé d’époque sur le discours de Robert Badinter.</span></figcaption>
</figure>
<p><em>Ce discours est visible dans son intégralité <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peine-de-mort-discours-robert-badiner-integral">sur le site de l’INA</a>, et on peut le consulter <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/135557-discours-de-m-robert-badinter-ministre-de-la-justice-sur-labolition">ici</a>.</em></p>
<p>Ce texte a fait l’objet de beaucoup d’attentions et de commentaires, dans le cadre politico-médiatique. </p>
<p>Pour ne pas réaliser une nouvelle analyse formelle de ce texte, et afin de porter également à la connaissance des lecteurs d’autres prises de parole de Robert Badinter, nous proposons une mise en relief de caractéristiques de ce discours en lien avec ce que lui-même disait de l’art oratoire, en particulier dans le cadre d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/robert-badinter-se-raconte-dans-memorables/robert-badinter-515-2207617">podcast diffusé sur France culture</a>. C’est dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DOvD9ELmT2U">5ᵉ épisode de cette série</a>, diffusée pour la première fois en 2002, qu’il est question des mots prononcés par Robert Badiner pour en finir avec la peine de mort.</p>
<p>L’avocat y explique que « ça n’était pas une question d’argumentation » et que ce discours n’avait « pas le caractère d’une plaidoirie » : cela signifie que l’enjeu de sa prise de parole dépassait le simple fait de réussir à convaincre, mais qu’il fallait qu’elle soit à la hauteur de l’événement, et de la transformation qu’elle allait entraîner dans la société française.</p>
<p>Il est ici très intéressant, pour un analyste du discours, d’écouter les mots de l’orateur à propos de l’éloquence. S’il considère notamment « la parole comme outil », s’il estime qu’il n’y a « pas de grands avocats, mais de grandes causes », il livre néanmoins en creux une définition du discours et de ses pratiques.</p>
<h2>Émotions et raison : une argumentation millimétrée</h2>
<p>Dans ses analyses de l’art oratoire, Robert Badinter estime qu’« une émotion ressentie ne peut être communiquée que si l’expression en est toujours en deçà plutôt qu’au-delà ». Cela nécessite une maîtrise fine de l’écriture du discours, en particulier en ce qui concerne la dimension pathétique.</p>
<p>Selon le linguiste <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/pathos/">Marc Bonhomme</a>, le terme de <em>pathos</em></p>
<blockquote>
<p>« désigne les effets émotionnels et passionnels produits par un discours sur le public. Il comporte à la fois une dimension sociodiscursive (émotion partagée par plusieurs individus), interactive (émotion communiquée entre énonciateur[s] et énonciataire[s]) et dynamique (émotion construite au moyen du langage) ».</p>
</blockquote>
<p>Lorsque l’on considère le discours pour l’abolition de la peine de mort, on peut considérer que le sujet se prête à un partage d’émotion par une large audience, au-delà de l’Hémicycle. À travers le choix de certains extraits, nous allons nous attarder sur la dimension pathétique de cette allocution, c’est-à-dire sur l’émotion créée par la combinaison des trois dimensions décrites précédemment. Leur combinaison habile permet à l’orateur de parler au groupe et aux individus dans un même mouvement.</p>
<blockquote>
<p>« La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. À défaut, déclarait un ministre de la justice récent, l’angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s’appelle, je crois, un sacrifice expiatoire.</p>
<p>[…] Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l’assassin. Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme, pas une femme de cœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l’être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c’est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d’abord en refusant la loi du talion ? »</p>
</blockquote>
<p>Ici, les termes comme <em>souffrance</em>, <em>malheur</em>, <em>angoisse</em>, <em>passion</em>, ou <em>sensibilité</em>, qui sont répétés voire martelés, délivrent un effet émotionnel portant l’auditeur à engager sa sensibilité, et à réagir non seulement avec sa raison, mais aussi avec son <em>cœur</em>.</p>
<p>On peut relever que ce terme est utilisé sept fois au cours de la prise de parole, dans laquelle il salue d’ailleurs la capacité de Jean Jaurès à allier « l’éloquence du cœur et l’éloquence de la raison ». </p>
<p>Concernant l’appel au groupe, le recours au « progrès historique de la justice » par exemple, ancre le propos dans un contexte historique plus large que le ressenti des émotions.</p>
<p>Ce qui est intéressant, c’est que cette émotion est mise au service d’un procédé rhétorique que le linguiste Raphaël Michelli a mis en évidence <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2006-v19-n1-fr1874/016637ar.pdf">dans ses analyses des débats abolitionnistes</a>.</p>
<p>Celui-ci relève une analogie, dénoncée par Badinter, que l’on peut formuler comme suit : la sanction du crime que prononce la justice est à la société ce que la vengeance privée est à « l’être frappé dans sa sensibilité ». Le garde des sceaux s’attache à rendre cette analogie inacceptable. Il montre qu’on ne peut considérer la justice comme recouvrant les caractéristiques de la vengeance, ni mettre sur le même plan la société et la victime : la société dans son ensemble ne doit pas raisonner comme un seul être meurtri.</p>
<p>On trouve ici un écho à une autre formule de Robert Badinter, qui insiste sur la « nécessité que celui qui vous écoute ne soit jamais étranger à ce que vous dîtes ». Le procédé de l’analogie contribue pleinement à construire ce lien.</p>
<p>Pour cela, Robert Badinter mobilise le pathos, joue sur les émotions, mais il procède aussi d’une rhétorique rigoureuse pour donner de la consistance à son argumentation, tout en gardant une proximité avec son auditoire. Cela s’intègre à une seconde dimension, la dimension relationnelle et interactive du discours.</p>
<h2>L’éloquence est « toujours une relation, jamais un discours »</h2>
<p>Pour Badinter, l’éloquence, qu’il entend comme étant l’art de séduire et de convaincre, est « toujours une relation, jamais un discours ». Il explique en effet que le discours est unilatéral, alors que c’est la prise en compte constante de ce que l’autre ressent qui importe.</p>
<p>Pour préciser ce dont il est question ici, rappelons que dans la <a href="http://icar.cnrs.fr/dicoplantin/logos-pathos-ethos-fr/">triade éthos/logos/pathos proposée par Aristote</a> pour expliquer l’art de la rhétorique, <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ethos/">ethos</a> et pathos permettent de persuader, le logos (discours rationnel), de convaincre.</p>
<p>Pour convaincre, donc, Robert Badinter s’appuie bien également sur le <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/logos/">logos</a>, dans lequel il s’agit de faire « le choix d’arguments appropriés à la situation ».</p>
<p>Il est donc question de l’adaptation à son public, et de l’anticipation sur ce qui pourra le convaincre. Pour cela, l’orateur prend explicitement en compte les avis opposés aux siens, pour les discuter et les nuancer, non pas de manière frontale, mais avec une beaucoup de finesse et diplomatie :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. »</p>
</blockquote>
<p>Rappelons que l’homme a manifesté un engagement de longue date, en tant qu’avocat, sur la question de la peine de mort : sa défense de Roger Bontems, puis de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2024/02/09/la-plaidoirie-de-robert-badinter-au-proces-de-patrick-henry-en-1977-moi-je-vous-dis-si-vous-le-coupez-en-deux-cela-ne-dissuadera-personne_6215669_1819218.html">Patrick Henry</a>, ont en effet <a href="https://www.huffingtonpost.fr/justice/video/mort-de-robert-badinter-roger-bontems-et-patrick-henry-les-deux-proces-qui-ont-faconne-son-combat_229581.html">façonné son combat</a>. Et, comme il l'a raconté par la suite et comme on le ressent dans son discours, l’exécution de Roger Bontems, à laquelle il assista en 1972, le marque à jamais.</p>
<p>La réfutation se fait à la fois par la démonstration logique, mais elle est introduite par une touche personnelle appuyant sur l’expérience de l’orateur :</p>
<blockquote>
<p>« À cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »</p>
</blockquote>
<p>Cette dimension faillible peut prendre la forme de « l’erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent ». Mais elle peut aussi se traduire par « l’incertitude » et « la contradiction des décisions rendues » : différentes cours ou magistrats peuvent rendre des verdicts différents pour des mêmes faits et affaires.</p>
<p>On voit bien ici, <a href="https://doi.org/10.4000/mots.4903">à la suite de Raphël Michelli</a>, que</p>
<blockquote>
<p>« dans son argumentation, il [Robert Badinter] cherche à débarrasser l’orateur abolitionniste d’un éthos humaniste naïf, aveuglé par sa foi en l’homme ».</p>
</blockquote>
<p>Il se crédite en effet d’un éthos de logique et d’évidence, qui assoit l’argumentation, et anticipe sur les discours antagonistes et les objections.</p>
<h2>Un monologue en forme de dialogue : un orateur interlocuteur</h2>
<p>On peut ainsi dire que Robert Badinter réussit son pari en « coupant l’herbe sous le pied » de ses contradicteurs.</p>
<blockquote>
<p>« La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c’est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu’il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution. Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence.</p>
<p>Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste ! Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d’élimination, au nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s’engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. […]</p>
<p>Je m’en tiens à la justice des pays qui vivent en démocratie. Enfoui, terré, au cœur même de la justice d’élimination, veille le racisme secret. […] Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C’est une interrogation, ce n’est qu’une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l’abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté. »</p>
</blockquote>
<p>Le passage commence par entrer en dialogue avec les tenants de l’« attachement à la peine de mort », cette « conception », ses « partisans ».</p>
<p>Il argumente en lien avec la vengeance, la prudence, et l’élimination, mais surtout il parvient à réorienter la discussion vers « une interrogation qui nous interpelle » : cette formulation ne pourrait pas être davantage orientée vers le dialogue, et pourtant elle procède d’une habileté à faire le lien entre élimination et racisme, et donc à mettre en cause les jugements moraux au regard de l’origine des condamnés.</p>
<p>On retrouve bien ce que le sociologue Francis Chatauraynaud appelle la <a href="https://journals.openedition.org/ress/93">« reprise dialogique des arguments adverses »</a>.</p>
<p>Ici, Robert Badinder met en lien des arguments et des valeurs, et fait le lien entre l’abolition et des valeurs de gauche : il met en discussion les doctrines, les arguments, et positionne son argumentation de manière juste et efficace.</p>
<p>Conclusion : les mots ont un sens, qui se partage, dans une certaine mesure.</p>
<p>Si Robert Badinter en réfère à la fois au cœur et à la raison des députés, c’est qu’il s’est livré, dans son discours, à une argumentation pleine et totale : captivant l’auditoire par les émotions, il a mis ce recours aux affects au service d’une logique implacable et d’une démonstration précise, qui entre en dialogue avec les objections et réfutations potentielles.</p>
<p>Cette relation crée donc un partage du sens, une co-construction d’une réalité qui allie ses arguments et les discours circulants.</p>
<h2>« Faussaires de l’Histoire »</h2>
<p>Reste qu’il y a une limite à cette plasticité du discours et des mots, qu’il a magnifiquement résumée lors d’une séquence face à Robert Faurisson devant la 17<sup>e</sup> chambre du tribunal de grande instance de Paris, en mars 2007. Robert Badinter s’adresse alors à l’historien négationniste, qui le poursuit en diffamation, pour l’avoir qualifié, lors d’une émission diffusée sur la chaîne Arte, de<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/13/robert-badinter-poursuivi-par-le-negationniste-robert-faurisson-a-fustige-l-une-des-pires-entreprises-de-faussaires-de-l-histoire_882421_3224.html">« faussaire de l’histoire »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lVeho5-J5ws?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 12 mars 2017, au Tribunal de grande instance de Paris, Robert Badinter se défend face au négationniste Robert Faurisson.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est question dans cet extrait de l’expression « escroquerie politico-financière » que Faurisson utilise à propos des demandes de réparation financières des juifs survivants de déportation ou des descendants des victimes de l’Holocauste.</p>
<p>Voici les mots de Robert Badinter, qui gagnera ce procès :</p>
<blockquote>
<p>« Les mots ont un sens, sauf pour ceux qui les utilisent comme vous. Et pour qu’il n’y ait aucune équivoque, que les choses soient claires, pour moi jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle, Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils, que des faussaires de l’Histoire. »</p>
</blockquote>
<p>On ressent bien ici cette dimension incarnée, et partagée, des mots et de leur sens, et de leur dimension relationnelle : cette relation, possible dans le cadre de son fameux discours pour réclamer l’abolition de la peine de mort, est ici rendue impossible, tant la distance et l’opposition avec l’interlocuteur est totale et irréconciliable.</p>
<p>Cela remet en quelque sorte l’humain au cœur de la langue, interroge sur son partage, et illustre la nécessité de ne pas transiger en matière de discours. Les mots ne sont pas que des mots.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter a livré une magistrale leçon d’éloquence pour défendre l’abolition de la peine de mort.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213632024-02-02T16:58:18Z2024-02-02T16:58:18ZLes animaux de compagnie sont de plus en plus mentionnés dans les notices nécrologiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569862/original/file-20240115-15-82sgl2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C30%2C6700%2C5022&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On a constaté que l’on mentionnait de plus en plus souvent un animal dans la rubrique nécrologique de son compagnon humain.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les animaux remplissent différents rôles dans nos vies. Certaines personnes les considèrent comme des membres de la famille, tandis que d’autres apprécient le fait qu’ils les incitent à faire des promenades quotidiennes.</p>
<p>Qu’il s’agisse de <a href="https://theconversation.com/service-dogs-play-vital-roles-for-veterans-but-canadas-lack-of-standards-makes-travel-and-access-difficult-219470">chiens d’assistance</a>, d’<a href="https://humanipassion.com/sante/comprendre-chien-dassistance-quebec/">animaux de soutien émotionnel</a> ou d’une petite bête qui nous accueille à la porte de la maison, les animaux peuvent nous apporter joie, réconfort et compagnie. Il est donc naturel que ces relations qui se nouent au cours de notre vie se poursuivent – ou du moins soient commémorées – après la mort.</p>
<p>Le <a href="https://www.thestar.com/news/insight/this-humane-society-needs-a-bigger-home-what-happens-to-the-650-pets-buried-in/article_b25eba3a-99f7-11ee-a7f5-473bdce48588.html">Toronto Star</a> a récemment fait état des efforts déployés pour déterrer et déplacer plus de 600 animaux d’un cimetière pour animaux d’Oakville, en Ontario. Comme le montre cet article, et comme d’autres en <a href="https://muse.jhu.edu/book/46086/">témoignent</a>, l’enterrement, l’embaumement et l’incinération des animaux ne sont pas des pratiques nouvelles. Ces rites funéraires permettent de rendre hommage à un animal de compagnie et à tout ce qu’il représentait pour nous.</p>
<p>Mais qu’en est-il si c’est le propriétaire qui meurt en premier ? On a constaté que l’on mentionnait de plus en plus souvent un animal dans la rubrique nécrologique de son compagnon humain.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A smiling woman carries a bulldog" src="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Qu’il s’agisse de chiens d’assistance, d’animaux de soutien émotionnel ou d’une petite bête qui nous accueille à la porte de la maison, les animaux peuvent nous apporter joie, réconfort et compagnie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>L’évolution des notices nécrologiques</h2>
<p>La rédaction d’une notice nécrologique est un des nombreux actes que l’on accomplit après le décès d’un proche. Autrefois réservée à l’élite de la société, la <a href="https://doi.org/10.4324/9780203015964">nécrologie s’est démocratisée</a> et davantage de personnes sont aujourd’hui commémorées de cette façon.</p>
<p>Nous rédigeons des notices nécrologiques pour différentes raisons. Certains sont purement pratiques : il s’agit d’annoncer le décès d’une personne ou d’inviter la famille et les amis aux funérailles.</p>
<p>Mais les notices nécrologiques donnent aussi aux personnes endeuillées l’occasion de raconter l’histoire de quelqu’un qui leur était cher. Qui était-il ? Qu’aimait-elle ? Quelles étaient ses valeurs ?</p>
<p>Dans le cadre du projet <a href="https://nonreligionproject.ca/">« Nonreligion in a Complex Future »</a>, notre équipe a <a href="https://nonreligionproject.ca/obituaries/">analysé les notices nécrologiques</a> canadiennes du siècle dernier afin de comprendre l’évolution de la manière dont les gens commémorent leurs morts. Au fil des ans, on voit de plus en plus souvent la mention d’animaux.</p>
<p>Aussi récemment qu’en 1990, pas un seul des 53 avis de décès publiés un samedi donné dans le Toronto Star n’évoquait d’animaux de compagnie. Cette situation a toutefois commencé à changer progressivement. Nous découvrons qu’en 1991, Harriet sera « tristement regrettée par tous ses amis et ses animaux ». De même, Berton, décédé en 1998, est « regretté par son bon toutou Scamp ».</p>
<p>Au milieu des années 2000, de 1 à 4 % des notices nécrologiques mentionnaient des animaux de compagnie. Depuis 2015, ce chiffre a grimpé pour atteindre 15 %.</p>
<p>Il est vrai que cela ne représente pas des quantités énormes. Dans un échantillon de 3 241 avis de décès datant de 1980 à 2022, seuls 79 évoquent des animaux. Cette légère augmentation indique toutefois une transformation dans la manière dont les gens rédigent les notices nécrologiques.</p>
<h2>Raconter des histoires personnelles</h2>
<p>Nos recherches montrent que, du début des années 1900 jusqu’à aujourd’hui, les notices nécrologiques se sont progressivement allongées. Autrefois, les avis étaient courts, on y indiquait le nom du défunt, son âge et le lieu de son décès, le tout en l’espace d’environ quatre lignes. Ces dernières années, la longueur moyenne est passée à environ 40 lignes, certaines atteignant même plus de 100 lignes.</p>
<p>Cet espace supplémentaire permet d’ajouter des informations sur le défunt. Ainsi, plus de 80 % des notices nécrologiques récentes mentionnent les enfants de la personne décédée. La proportion était d’environ 50 % avant 1960.</p>
<p>Dans les notices nécrologiques récentes, il est plus probable que la formation, la profession ou les loisirs soient mentionnés. Au-delà d’une simple énumération, il est courant de voir des descriptions riches et détaillées. Plutôt que de lire le titre de son poste, nous apprenons qu’un homme était « un visionnaire dévoué qui est resté fier et loyal envers ses nombreux employés et collègues ».</p>
<h2>Nos amis à fourrure</h2>
<p>Les notices nécrologiques étant plus longues et détaillées, il semble normal que les animaux y figurent. Il est de plus en plus courant d’y mentionner l’animal de compagnie ou l’amour des animaux de la personne décédée. Ces passages deviennent également plus détaillés. Au-delà du nom de l’animal, nous apprenons s’il s’agissait d’un « caniche très chochotte », d’un « fidèle compagnon » ou du « meilleur chien de tous les temps ».</p>
<p>La profession est un autre <a href="https://doi.org/10.1080/07481187.2015.1056562">élément incontournable des notices nécrologiques</a>. Pour Mary, décédée en 2019, l’un des points forts de sa carrière chez Nestlé Purina, a été « l’intronisation de divers animaux de compagnie et chiens d’assistance héroïques au Temple de la renommée de Purina ». Ce n’était pas seulement une passion professionnelle, car Mary avait aussi six labradors noirs à la maison.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1080/13576275.2020.1784122">Les passe-temps et les intérêts</a> sont également de plus en plus fréquents dans les avis de décès. Bobby, par exemple, aimait « s’asseoir dans son jardin avec sa chienne Chloe » et « laisser son perroquet bien-aimé, Pookie, le divertir ».</p>
<p>Plutôt que d’envoyer des fleurs à la famille, on demande souvent de <a href="https://www.lovetoknow.com/life/grief-loss/lieu-flowers-wording-ideas-etiquette">faire des dons à la mémoire du défunt</a>. Il n’est pas surprenant de voir que des groupes comme <a href="https://ontariospca.ca/">l’Ontario SPCA</a>, la <a href="https://www.farleyfoundation.org/">Fondation Farley</a> et divers groupes de protection de la nature gagnent en popularité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A smiling golden retriever" src="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Il est de plus en plus courant de mentionner l’animal de compagnie d’une personne ou son amour des animaux dans sa notice nécrologique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>De nouvelles façons de pleurer les morts</h2>
<p>Cette tendance dans les avis de décès est révélatrice d’un changement sociétal plus large. En effet, les gens accordent de <a href="https://academic.oup.com/socrel/article-abstract/78/1/9/3053446">plus en plus de valeur à la nature</a> et aux <a href="https://doi.org/10.1177/00377686231170993">créatures non humaines</a>. Les raisons de cette évolution sont variées et complexes. Mais les données – tirées des notices nécrologiques et d’autres documents – laissent voir que les gens forgent des liens précieux avec la nature et les animaux.</p>
<p>Les notices nécrologiques révèlent d’autres transformations importantes de la manière dont nous commémorons les morts. Autrefois, il s’agissait de textes brefs et convenus (et il en reste encore dans ce genre). Mais de nos jours, les avis de décès sont souvent des fenêtres sur la vie d’une personne. Ils peuvent être <a href="https://www.thestar.com/opinion/contributors/an-ontario-woman-s-scathing-obituary-for-her-dad-raises-questions-do-we-have-to/article_aaaf6d28-0224-5c9a-9eaa-c124482e04bc.html">tristes ou tragiques</a>, mais aussi <a href="https://www.lex18.com/news/he-up-and-died-on-us-sons-hilarious-obituary-goes-viral">drôles, sarcastiques ou réconfortants</a>.</p>
<p>Par-dessus tout, les notices nécrologiques sont aujourd’hui plus personnelles. Pour commémorer le souvenir d’un être cher, les familles veulent faire connaître au monde entier ce qui rendait cette personne spéciale. Cela peut être raconté en parlant des activités, des gens ou des animaux de compagnie qui lui ont apporté de la joie. Pour certains, on se rappellera leur équipe de hockey préférée, la fois où ils ont réussi un trou d’un coup et, souvent, l’ami à fourrure qui se blottissait contre eux après une dure journée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221363/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chris Miller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au fil des ans, les notices nécrologiques se sont allongées, laissant plus de place pour mentionner les animaux de compagnie, les passe-temps et les passions de la personne décédée.Chris Miller, Postdoctoral fellow, Nonreligion in a Complex Future project, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195592024-01-04T15:01:52Z2024-01-04T15:01:52ZAvoir des enfants rend-il plus heureux ? Voici ce qu'en dit la science<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565820/original/file-20231214-23-m023ti.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C994%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le bonheur et l’épanouissement que l’on ressent en prenant cette décision dépendront de nombreux facteurs.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Dans plusieurs régions du monde, la <a href="https://doi.org/10.1007/s11205-011-9865-y">croyance dominante</a> stipule qu’avoir des enfants est la clé du bonheur, et que les personnes qui n’en ont pas sentent que leur existence n’est pas satisfaisante.</p>
<p>Mais est-ce vraiment le cas ? La réponse à cette question est à la fois simple et complexe. Le sentiment d’épanouissement que l’on ressent dans sa vie, que l’on décide ou non d’avoir des enfants, dépend d’une grande diversité de facteurs.</p>
<p>Examinons d’abord la réponse simple : non, nous n’avons pas besoin d’avoir d’enfants pour être <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1066480720911611">heureux et épanouis</a>.</p>
<p>Les études menées auprès de femmes qui ont choisi de ne pas devenir mères montrent que la plupart d’entre elles ont un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277539514001824">bon sens de l’identité et de l’individualité</a>. Elles ne se sentent pas définies par leur rôle au sein de la famille et estiment avoir <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0891243202238982">plus de liberté</a> et de maîtrise de leur corps, de leur vie et de leur avenir. Les femmes sans enfants font également état d’une plus grande <a href="https://doi.org/10.1177/0192513X07303879">stabilité financière</a>, même s’il n’est pas nécessaire d’avoir un <a href="https://www.jstor.org/stable/353143?origin=crossref">statut socio-économique</a> élevé pour être bien avec la décision de ne pas avoir d’enfants.</p>
<p>En moyenne, les femmes et les hommes qui n’ont pas d’enfants sont aussi <a href="https://doi.org/10.1207/S15374424JCCP2904_13">moins stressés</a>, et se déclarent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0165032721013926">plus satisfaits</a> de leur mariage.</p>
<p>Il existe peu de recherches sur les hommes célibataires et leur expérience de ne pas avoir d’enfants – et encore moins sur celle des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15240657.2019.1559515">personnes transgenres ou queers</a>. Cependant, une étude portant sur des hommes ayant choisi de renoncer à la paternité a révélé que la plupart se déclarent contents de leur décision et se félicitaient de jouir d’une plus grande liberté dans leur vie. Seul un petit nombre d’entre eux ont exprimé des regrets quant à leur choix, principalement parce qu’ils ne <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/chosen-lives-of-childfree-men-9780897895989/">laisseraient pas d’héritage</a>.</p>
<p>Toutefois, les hommes sans enfants risquent de voir leur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0192513X07303879">degré de satisfaction générale diminuer</a> à un âge avancé s’ils ne <a href="https://academic.oup.com/esr/article-abstract/26/1/1/538246?redirectedFrom=fulltext">bénéficient pas d’un soutien social</a>.</p>
<h2>Le paradoxe de la parentalité</h2>
<p>C’est lorsqu’il s’agit de décider d’avoir ou non des enfants que les choses se compliquent un peu.</p>
<p>Si les parents peuvent sans aucun doute vivre heureux et épanouis, la satisfaction qu’ils éprouvent à l’égard de cette décision s’étale généralement dans le temps et peut également dépendre de multiples facteurs sur lesquels ils n’ont pas d’emprise.</p>
<p>Au début, beaucoup de parents ressentent une <a href="https://psycnet.apa.org/record/2010-13310-011">baisse temporaire de leur bien-être</a> après la naissance d’un enfant, un phénomène connu sous le nom de <a href="https://psycnet.apa.org/record/2013-21502-002">« paradoxe de la parentalité »</a>. En effet, un nouveau bébé peut entraver la satisfaction de nombreux besoins fondamentaux, tels que le sommeil, l’alimentation et les contacts avec les amis. Cette situation peut être source de mécontentement.</p>
<p>Les femmes hétérosexuelles <a href="https://doi.org/10.1111/j.1741-3737.2003.00574.x">se déclarent aussi plus malheureuses</a> que les hommes lorsqu’elles deviennent parents. Cela peut s’expliquer par le fait que la charge des soins tend à peser de manière disproportionnée sur elles.</p>
<p>Mais le fait de bénéficier d’un bon <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5222535/">soutien familial et social</a>, d’un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6294450/">co-parent actif et également investi</a>, et de vivre dans une région dotée de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/social-policy-and-society/article/abs/introduction-parenting-support-in-the-nordic-countries-is-there-a-specific-nordic-model/18BFF0AB8EACD27F826AEDB573AEB237">politiques de soutien au travail et à la famille</a> peut compenser le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11205-011-9865-y">stress et les coûts liés à l’éducation des enfants</a>.</p>
<p>C’est probablement la raison pour laquelle les femmes norvégiennes <a href="https://link.springer.com/referenceworkentry/10.1007/978-3-319-69909-7_3710-2">ne font pas état</a> d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1053535705001733">perte de bonheur</a> lorsqu’elles ont des enfants, car la Norvège dispose de nombreuses politiques favorables à la famille qui permettent aux deux parents d’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0959353505051730">élever leurs enfants tout en menant une carrière</a>.</p>
<p>Bien qu’être parent puisse s’avérer difficile, il ne faut pas en conclure que le bonheur, la joie et une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956797612447798">vie plus épanouie</a> sont impossibles à atteindre. L’expérience parentale peut même engendrer une forme profonde de bien-être appelée « eudémonique ». Il s’agit du sentiment que votre vie vaut la peine d’être vécue, ce qui est différent du bonheur à court terme.</p>
<p>Les hommes comme les femmes peuvent ressentir un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11482-021-10020-0">bien-être eudémonique positif</a> lorsqu’ils <a href="https://doi.org/10.1177/0192513X18758344">deviennent parents</a>. Mais pour ces dernières, l’augmentation du <a href="https://psycnet.apa.org/journals/bul/140/3/846">bien-être eudémonique</a> dépend également de l’équilibre entre les tâches parentales et celles de leur partenaire.</p>
<h2>Faire face aux regrets</h2>
<p>Une autre préoccupation majeure est de savoir si on regrettera de ne pas avoir eu d’enfants.</p>
<p>Il est rassurant de constater que les recherches menées auprès de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1066480720911611">personnes âgées</a> n’ayant pas eu d’enfants montrent qu’un grand nombre d’entre elles se déclarent <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.2190/8PTL-P745-58U1-3330">comblées</a> et font preuve de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11205-015-1177-1">résilience</a> face aux problèmes de santé mentale.</p>
<p>Il semble que la principale clé pour être heureux de <a href="https://doi.org/10.1177/1066480716648676">sa décision d’avoir ou non des enfants</a> dépende du fait que l’on se sente maître de cette décision. Lorsqu’on a le sentiment d’avoir choisi sa voie, on tend à assumer ses décisions et à en tirer une plus grande satisfaction.</p>
<p>Mais que se passe-t-il si ce choix vous a été retiré, que vous vouliez un enfant sans pouvoir y parvenir ? Peut-on être heureux dans ce cas ? Notre étude montre que la réponse est un oui retentissant.</p>
<p>Nous nous sommes intéressés aux <a href="https://iacp.ie/files/UserFiles/00981%20IJCP%20Q1-23%20-%20Full_1.pdf">conséquences de l’infécondité</a> auprès de 161 femmes britanniques qui souhaitaient être mères sans avoir pu le devenir pour diverses raisons, telles que l’impossibilité de trouver un partenaire ou l’infertilité. Les participantes étaient âgées de 25 à 75 ans.</p>
<p>Nous avons constaté qu’en moyenne, le bien-être des participantes n’était pas différent de celui du public en général. Alors que 12 % d’entre elles vivaient mal cette situation (elles avaient l’impression que leur vie n’avait pas de but), 24 % s’épanouissaient psychologiquement, faisant état du niveau de santé mentale le plus élevé. Les autres ont connu des niveaux de bien-être modérés.</p>
<p>Il est intéressant de noter que, pour certains, les efforts déployés pour avoir un enfant se sont traduits par une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2468749920300764">croissance post-traumatique</a>. Cette notion fait référence aux changements psychologiques positifs qui surviennent après un événement traumatisant. Les femmes dont le niveau de bien-être est le plus élevé ont déclaré que de se concentrer sur de nouvelles possibilités dans leur vie, en dehors du fait d’être mère, les a aidées à améliorer leur bien-être.</p>
<p>Des études menées auprès d’hommes qui n’ont pas pu avoir d’enfants pour cause d’infertilité indiquent que nombre d’entre eux ont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02646838.2010.544294">éprouvé de la tristesse</a> par la suite, même si cette tristesse s’est atténuée avec l’âge. Mais comme pour les femmes involontairement privées d’enfants, repenser leur identité et leur rôle dans la société en <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.1177/1097184X99002001002">dehors de la paternité</a> a aidé beaucoup d’entre eux à trouver un sens et une satisfaction à leur vie.</p>
<p>La parentalité conduit-elle au bonheur ? L’infécondité nous rend-elle malheureux ? La réponse à ces questions n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Le bonheur ou l’épanouissement que nous ressentons dépend de nombreux facteurs, dont beaucoup échappent à notre volonté. Si la manière dont on choisit de donner un sens à sa vie est effectivement un élément clé, le soutien social qui nous est apporté pour devenir parent et le climat politique dans lequel nous vivons le sont tout autant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219559/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’étude que nous avons menée montre clairement que l’on peut être heureux même si on souhaite avoir un enfant, mais qu’on n’y parvient pas.Trudy Meehan, Lecturer, Centre for Positive Psychology and Health, RCSI University of Medicine and Health SciencesJolanta Burke, Senior Lecturer, Centre for Positive Health Sciences, RCSI University of Medicine and Health SciencesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173292024-01-01T15:47:17Z2024-01-01T15:47:17ZTous en salle ? Comprendre l’obsession contemporaine pour les corps musclés<p><em>Façonner son corps, le rendre plus performant… Une pratique qui suscite un engouement croissant, en particulier chez les millennials, adeptes de la salle de sport. Une génération qui a connu des crises fréquentes, caractéristiques d’un « capitalisme des vulnérabilités ». Et si, au -delà des bénéfices pour la santé, cette obsession pour le sport constituait un moyen de faire face et de lutter contre un sentiment de dépossession ? Un nouvel article de notre série « Nos vies mode d'emploi ».</em></p>
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<p>Vos collègues sont accros au <a href="https://www.passeportsante.net/fr/forme/sport/Fiche.aspx?doc=quest-ce-que-crossfit">CrossFit</a> et il arrive que les discussions sur la « prise de masse » s’invitent à la cantine ? Vous avez peut-être noté, autour de vous, un engouement croissant pour la salle de sport.</p>
<p>Au total, en 2020, on en comptait <a href="https://additimedia.ouest-france.fr/le-marche-de-la-salle-de-sport-etat-des-lieux-et-enjeux-de-marche/">4 540 en France, réalisant un chiffre d’affaires de 2,6 milliards d’euros</a>.</p>
<p>Il s’agit, de fait, d’un marché en <a href="https://ac-franchise.com/article/quel-avenir-attend-le-secteur-des-salles-de-sport-dici-2025">pleine croissance</a>, en Europe comme dans l’Hexagone, marqué par une offre de plus en plus diversifiée, ciblée et technologisée.</p>
<p>En effet, il est possible de s’abonner dans des salles low cost comme de luxe, les adhérentes et adhérents peuvent s’adonner à une diversité des pratiques, et ces lieux proposent une offre digitalisée de plus en plus marquée (cours en ligne, coaching réel ou virtuel, conseils nutritionnels notamment). Ce sont ainsi 6,2 millions de Français qui ont souscrit à un abonnement <a href="https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/consumer-business/articles/european-health-and-fitness-market-report-2023.html">(avec une augmentation de 16 % du nombre d’abonnés entre 2015 et 2022)</a>. Les salles sont de véritables lieux de <a href="https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/la-fabrique-du-muscle">« fabrique du muscle »</a>.</p>
<p>Un phénomène sur lequel j’ai enquêté pendant cinq ans pour ma thèse de sociologie et que je continue à analyser depuis, à travers l’observation participante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583433/original/file-20240321-24-55tt3y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em>
<em>À lire aussi :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/donnees-personnelles-comment-nous-avons-peu-a-peu-accepte-den-perdre-le-controle-218290"><em>Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/contraception-est-on-sorti-du-tout-pilule-219364"><em>Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/yoga-chamanisme-sorcellerie-etes-vous-ouvert-aux-nouvelles-spiritualites-217164">Yoga, chamanisme, sorcellerie… Êtes-vous ouvert aux nouvelles spiritualités ?</a></p></li>
</ul>
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<p>Les 25-45 ans <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/05/10/la-fabrique-du-muscle-chez-les-jeunes-s-il-faut-choisir-entre-les-devoirs-et-aller-a-la-salle-je-prefere-m-entrainer_6172716_4401467.html">constituent la grande majorité des abonnés</a>, avec notamment des adhérents appartenant à la génération Y (nés après 1981), à savoir les 30-45 ans. En France, en 2023, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381474">cette tranche d’âge comptait plus de 12,5 millions d’individus</a>.</p>
<h2>Façonnés par le « capitalisme des vulnérabilités »</h2>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/sport-quand-le-corps-devient-une-ressource-a-valoriser-173271">précédent article</a>, j’évoquais le fait que le capitalisme structure notre vision du monde. La génération Y a été façonnée par une de ses formes particulières, <a href="https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/la-fabrique-du-muscle">« le capitalisme des vulnérabilités »</a>, qui constitue notre cadre de vie depuis les années 1980.</p>
<p>Ses caractéristiques : des crises de plus en plus fréquentes et systémiques – économiques, financières comme sanitaires. Ces crises <a href="https://www.researchgate.net/publication/326805024_Vulnerability_in_Health_Trajectories_Life_Course_Perspectives">exposent les individus à des vulnérabilités</a>, c’est-à-dire à un manque de ressources pour faire face à leur environnement.</p>
<p>Or elles <a href="https://injep.fr/publication/vulnerabilite-des-jeunes-et-action-publique/">touchent plus particulièrement la jeunesse</a> - âge de la vie marqué par une phase de transition de statut social qui accroît les difficultés d’accès aux ressources. Et, en premier lieu, les difficultés d’accès à l’emploi, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569338?sommaire=2587886">qui frappent toujours plus durement les jeunes</a>, et ont marqué profondément ceux qui ont débuté leur vie professionnelle dans les années 2000 à 2010.</p>
<p>Par ailleurs, dans un contexte de désengagement de l’État en matière de politiques publiques et de <a href="https://philosciences.com/philosophie-generale/ontologie-reel-realite/151-ideologie-neoliberal">progression des idées néolibérales</a>, l’injonction à trouver en soi les ressources pour apporter des réponses aux difficultés réelles ou ressenties est forte.</p>
<h2>Reprendre la main</h2>
<p>Ainsi, dans un monde incertain, où le sentiment de dépossession peut être puissant, le travail sur le corps permet de reprendre la main, de planifier un projet à soi et pour soi.</p>
<p>Le corps, sur lequel chacun a prise, est perçu comme la ressource ultime à valoriser. Une ressource qui permettra même d’exercer une forme de pouvoir, via sa transformation en capital, que ce soit sur le marché du travail, le marché amoureux ou plus largement le marché symbolique des interactions sociales. Surtout aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, où la <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2017-4-page-99.htm">projection de l’image de soi est devenue déterminante</a>.</p>
<p>Au regard des éléments précédents, c’est en analysant leur <a href="https://www.cairn.info/la-socialisation--9782200601423.htm">socialisation primaire</a> – <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2009-4-page-53.htm">marqueur indélébile de l’identité d’un individu</a> – que l’on peut comprendre l’engouement actuel des 30-45 ans pour la « fabrique du muscle ». La socialisation primaire renvoie à l’acquisition des principales normes d’une société au cours de l’enfance et de l’adolescence, réinterprétées selon le milieu social, le genre, etc.</p>
<p>D’un côté, cette socialisation a été marquée par des facteurs forts de vulnérabilité tels que le développement du chômage de masse, la progression de l’épidémie du sida ou les premières angoisses relatives aux effets du changement climatique.</p>
<p>De l’autre, les 30-45 ans actuels font partie des générations marquées par la sportivisation de l’existence, <a href="https://theconversation.com/sport-quand-le-corps-devient-une-ressource-a-valoriser-173271">sacralisant le sportif comme modèle d’entrepreneur</a> : les membres de cette tranche d’âge considèrent alors l’activité physique comme une voie de réussite professionnelle, en tous les cas personnelle.</p>
<p>De même, ils ont connu les films à succès des années 1980 et 1990 mettant en scène des corps « parfaits » aux muscles sculptés, renvoyant à un imaginaire de pouvoir sur soi et sur les autres. C’est particulièrement vrai pour les hommes, qui ont pu prendre comme modèle, dans l’enfance, des acteurs comme Arnold Schwarzenegger ou Sylvester Stallone. Les dessins animés japonais de la même époque – tels que Cobra ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EV_aHdpj23g">Nicky Larson</a> - valorisaient des héros au même profil.</p>
<p>Au total, cette tranche d’âge est sensible à la fabrique d’un corps performant, incarné par des muscles visibles, signes de santé et de productivité apparentes. Rappelons aussi que notre système économique offre une place de plus en plus grande à la présentation de soi dans les interactions (société de services), renforçant l’importance de l’image.</p>
<h2>Logique de l’extrême appliquée au corps</h2>
<p>Cette génération frappe par un investissement dans le corps omniprésent, quasi excessif, puisque ses frontières physiques seraient sans cesse à repousser.</p>
<p>Pour certains adeptes de la salle, le corps est ainsi au centre de la vie, et c’est pour cette raison que les individus lui appliquent la logique de l’extrême, de la douleur et du travail – qui forment système – en lien avec les valeurs de leur socialisation primaire.</p>
<p>À travers ma recherche, j’ai pu observer que pour les personnes dont la vie professionnelle ne fait pas sens, le travail du corps est un substitut qui permet de reprendre le contrôle sur le processus de production (l’entraînement), comme sur le résultat final du travail (le corps musclé).</p>
<p>Pour d’autres, être performant à la salle permet de l’être dans le milieu professionnel car des <a href="https://shs.hal.science/tel-01258493/document">similitudes existent</a> : organisation du temps, planification du rendement, etc.</p>
<h2>Se muscler pour « faire face et être prêt »</h2>
<p>Ces muscles construits ont certes une dimension esthétique par leur visibilité, mais dans la phase actuelle du « capitalisme des vulnérabilités », ils possèdent aussi un versant fonctionnel : être prêt à lutter, à s’adapter, à faire face. D’où l’engouement pour des pratiques mêlant cardio et musculation (CrossFit par exemple), ainsi que pour les sports de combat.</p>
<p>En cela, les 30-45 ans sont sans doute influencés par les plus jeunes générations qui arrivent désormais en masse dans les salles : les activités de forme et de gymnastique sont les plus plébiscitées par les 15-24 ans (<a href="https://injep.fr/publication/barometre-national-des-pratiques-sportives-2022/">41 % pratiquent contre 26 % des Français en moyenne</a>.</p>
<p>Or mes observations révèlent un trait marquant semblant caractériser ces derniers : l’envie de se confronter. Cette caractéristique est visible à travers leur engagement dans les sports de combat : par exemple, en 2020, 57 % des pratiquants de boxe, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Boxe_pieds-poings">pieds-poings</a> et déclinaisons <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2023/03/ENPPS_chap13_Combat-arts-martiaux.pdf">appartiennent à la tranche d’âge 15-29 ans</a>.</p>
<p>Un tel attrait pour la lutte renverse alors l’ordre de la socialisation, puisque ce sont les plus jeunes générations qui inculquent des techniques aux plus anciennes, créant de nouvelles formes de pratiques sportives, et plus largement de mixité sociale, dans les salles. L’engagement dans une pratique assidue, extrême des 30-45 ans s’en trouve alors renforcé.</p>
<p>Certes, comme toute catégorie sociale, cette génération est diverse en interne, et la pluralité plutôt que l’uniformité des pratiques corporelles la caractérise. Mais son engouement très fort pour les transformations du corps transcende ces différences. C’est pourquoi la « fabrique du muscle » a de beaux jours devant elle, même si sa signification ultime interpelle : espérer lutter contre des vulnérabilités qui deviennent de plus en plus oppressantes et sources d’inégalités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217329/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Vallet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi un tel engouement pour les salles de sport ? Pour les personnes élevées dans un monde en crise, façonner son corps permet de lutter contre le sentiment de vulnérabilité et de dépossession.Guillaume Vallet, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179492023-12-28T17:11:32Z2023-12-28T17:11:32Z« Faire société », du chimpanzé à l’humain<p>Dans les sciences sociales, le concept de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/societe-22209">« société »</a> renvoie généralement à l’ensemble arbitraire des systèmes culturels et des structures sociales qui font des humains des êtres essentiellement cultivés. Ainsi inscrite dans l’ordre artificiel des inventions humaines plus ou moins solides et pesantes, la société humaine se distinguerait par définition de l’ordre naturel des sociétés animales, rejetées dans le domaine non humain, sinon inhumain, de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/biologie-22231">biologie</a>.</p>
<p>C’est cette discontinuité de principe que remettent en question les travaux en sciences cognitives et affectives, en psychologie comparée et en éthologie. Loin de se réduire à une construction artificielle, la société est aussi un fait de nature qui a exercé, à l’échelle de l’évolution des espèces, des pressions adaptatives sur le développement du cerveau des animaux sociaux. Les êtres humains font partie, eux aussi, des espèces naturellement sociales dont les capacités répondent aux exigences de la vie en société.</p>
<h2>Les ressorts de l’affiliation</h2>
<p>Quelles sont donc les capacités sociales que les humains partageraient avec leurs plus proches cousins, en l’occurrence les primates non humains ? Les habiletés affectives et cognitives élémentaires sont celles qui sous-tendent les dynamiques de groupe, notamment l’échange réciproque, le soin de la progéniture, l’empathie et la coopération, le contraste en-groupe/hors-groupe, la peur de l’isolement, bref les ressorts essentiels des comportements affiliatifs.</p>
<p>Bien entendu, les relations de base ne sont pas uniquement coopératives : elles englobent également les rapports de compétition, de domination ou de prédation. Identifier rapidement ces relations élémentaires et repérer les permissions, obligations, prohibitions qui les caractérisent assure l’intégration dans le groupe et permet à tout un chacun d’anticiper le comportement de ses congénères.</p>
<p>De nature peu réflexive, ces capacités sociales consistent en un système d’attentes et d’inférences, parfois appelé <a href="https://www.researchgate.net/publication/308469135_Les_formes_elementaires_de_la_vie_sociale">« sociologie naïve »</a>, qui permet d’attendre d’un subordonné une posture d’obéissance, d’un compagnon de jeu une attitude non agressive ou d’un semblable un acte de coopération. Grâce à ces attentes, les primates non-humains et humains, même très jeunes, sont à même de <a href="https://www.researchgate.net/publication/272121920_How_Preschoolers_Use_Cues_of_Dominance_to_Make_Sense_of_Their_Social_Environment">s’orienter dans le monde social</a> – un monde partagé entre « supérieurs » et « inférieurs », « similaires » et « différents », « appartenants » et « non-appartenants ».</p>
<h2>Déférer pour appartenir</h2>
<p>Après avoir identifié les capacités que les primates mobilisent pour anticiper la manière dont ils devraient se traiter les uns les autres, on peut se demander quelles sont les facultés spécifiques aux humains.</p>
<p>L’accord des éthologues et des primatologues porte sur l’aptitude humaine à se détacher de la situation et de ses enjeux immédiats. En effet, les primates non humains parviennent à réunir leurs forces et à élaborer des stratégies pour satisfaire un but qui leur est directement accessible. Par exemple, les chimpanzés réussissent à se coordonner à plusieurs pour chasser les petits singes qu’ils prennent comme proie ou pour renverser un dominant qu’ils jugent trop violent. Dans ces cas, l’objectif visé et les ressources en jeu sont présents dans la situation immédiate. Mais les humains ont une capacité supplémentaire : celle de poursuivre des objectifs à long terme et d’entretenir des représentations détachées de leur environnement actuel.</p>
<p>C’est la compétence à se détacher du ici et maintenant qui est au cœur de la pensée symbolique : le symbole, par exemple un mot, un drapeau ou une pièce de monnaie, marque un écart par rapport à ce qu’il représente ou signifie : le mot « chien », comme le disent les linguistes, n’aboie pas. C’est cette compétence au <em>détachement</em> qui permet aux êtres humains de s’<em>attacher</em> aux entités et objectifs plus distants qui meublent leur vie culturelle, que ce soit des fictions partagées (Sherlock Holmes, Mickey Mouse), des êtres institutionnels (le Real Madrid, la Constitution, Dieu), des collectifs abstraits (la France, l’Eglise évangélique) ou des événements passés ou futurs (la Première Guerre mondiale, les Jeux olympiques de 2024).</p>
<p>Les humains se caractérisent ainsi par leur capacité à se distancer de l’action en cours. En effet, alors que les relations sociales élémentaires, comme la hiérarchie ou l’échange, peuvent être perceptibles dans l’expérience directe, les « entités » culturelles sont accessibles uniquement par le biais des chaînes de communication et de transmission qui indiquent aux individus ce que leur communauté d’appartenance ou/et ses porte-parole autorisés tiennent pour réel ou imaginaire, possible ou impossible, juste ou injuste. Pour référer à des savoirs culturels, de la composition moléculaire de l’eau à la structure du Parlement en passant par la langue commune, les membres d’une communauté doivent renoncer à leur propre capacité de jugement et en déférer aux instances scientifiques, pédagogiques ou politiques qui en constituent l’autorité de validation.</p>
<h2>L’art de la distanciation</h2>
<p>Parmi les capacités déférentielles indispensables à la participation culturelle, il faut noter l’imitation ou plutôt <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2009.0069">« la surimitation »</a> dont témoignent les jeunes enfants lorsqu’ils reprennent docilement les gestes, pourtant clairement inutiles, qu’un expérimentateur effectue devant eux – contrairement aux chimpanzés qui, eux, copient seulement les gestes nécessaires à l’obtention d’une récompense.</p>
<p>La surimitation consiste à <a href="http://radicalanthropologygroup.org/wp-content/uploads/class_text_104.pdf">se conformer à la façon dont Nous faisons les choses</a>,à intégrer les « manières de » faire conventionnelles et normatives qui signalent l’arbitraire culturel d’une communauté donnée. Toutefois, cette déférence culturelle n’est pas aveugle. Même si les « existants » inobservables à l’œil nu, tels les microbes, et les « inexistants » invisibles, comme les dieux, ne peuvent être appris que par le biais d’une chaîne de communication, <a href="https://www.fabriceclement.net/doc/13.pdf">ils ne sont pas crus de la même manière</a>. Les enfants comme les adultes savent distinguer entre les entités qui ont une réalité matérielle, accessible par les sens (le microbe), et celles qui ont une existence culturelle ou institutionnelle, accessible par le sens (les dieux). En vertu de cette faculté de discernement, les êtres humains, tout au moins en principe, ne défèrent jamais totalement aux représentations collectives que leur communauté les incite à adopter. Ils oscillent le plus souvent entre la certitude et le doute, le sérieux et le ludique, l’intensité affective et le retrait émotionnel, la croyance et la non-croyance.</p>
<h2>Le pouvoir de l’imagination</h2>
<p>La prise de distance par rapport à l’expérience immédiate ne sert pas uniquement la reconduction conforme des constructions culturelles qui ont d’ores et déjà été consacrées par la collectivité. Elle sert également l’imagination qui permet aux êtres humains de percevoir le monde non pas comme il est, mais comme il devrait être. C’est la capacité imaginative qui les conduit à remettre en question les institutions établies, à déterminer des orientations nouvelles ou à transformer des rêves a priori impossibles en des mondes possibles. C’est aussi la capacité à l’imagination qui soutient l’élargissement des contours de son groupe d’appartenance. Un tel élargissement constitue d’ailleurs le pari de la politique moderne : celle-ci a pour tâche de désenclaver le sentiment du Nous en l’extirpant des frontières étroites de la co-présence et de faire exister des « communautés imaginées », notamment les nations,en <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_imaginaire_national-9782707150073">dehors du cercle restreint de nos interactions concrètes</a>.</p>
<h2>« L’animal que je suis encore »</h2>
<p>Alors que les capacités relationnelles et normatives sont au cœur des formes sociales élémentaires, les capacités à la distanciation sont au cœur des relations culturelles : ce sont elles qui donnent aux humains la possibilité de voir et d’entendre ensemble des choses qu’isolément ils ne verraient ou n’entendraient plus : un dieu, un ancêtre, une race, une nation, autant de références qui ne peuvent exister et subsister sans un système de validation collectif. Comme le soulignent Banerjee et Bloom, en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23238119/">l’absence de tout soutien culturel, Tarzan ne peut ni croire en Dieu</a>, ni espérer une vie après la mort. Enfin, les capacités à l’imagination sont au cœur des relations politiques : elles permettent de relancer l’enquête collective sur les orientations de la vie en commun.</p>
<p>Au terme de ce bref panorama, on voit mieux l’intérêt d’une enquête sur les capacités communes des primates humains et non humains. En effet, il ne faut pas oublier que notre esprit fonctionne en <a href="https://psycnet.apa.org/record/2007-03409-003">« poupées russes »</a> : loin d’être totalement modifiées par l’acquisition de la culture, nos capacités adaptatives de bas-niveau restent emboîtées dans nos capacités symboliques et linguistiques de plus haut niveau et restent donc en partie opérantes.</p>
<p>Concrètement, cela signifie que les réactions émotionnelles et les capacités affiliatives élémentaires dont notre espèce a hérité n’ont pas disparu. Elles ont encore de fortes incidences sur notre conduite, notamment lorsque les normes institutionnelles ont perdu de leur pertinence. C’est le cas dans les périodes de crise, d’incertitude et de peur, qui suscitent deux inclinations potentiellement contradictoires : une propension à voir l’autre comme un obstacle ou une menace et une <a href="https://covies20.com/2020/04/22/paniques-affiliatives-en-temps-de-pandemie/">compulsion affiliative</a> qui nous pousse à nous rapprocher les uns des autres. A priori contradictoires, ces inclinations ont une fâcheuse tendance à se réconcilier grâce à l’opposition à un ennemi commun, qui fait office de ciment affectif. Dans les moments de trouble, en effet, le travail politique « contre-nature » qui consiste à étendre les contours de « l’en-groupe » et à élargir ce que « semblable » veut dire tend à se fissurer ou même s’effondrer. Il laisse la place à la logique sociale primitive, de nature redoutablement exclusive, qui restreint le cercle des êtres avec lesquelles nous nous sentons en mesure de « faire société ».</p>
<p>Ainsi rétrécie au cercle de proximité, l’affiliation redevient grégaire et tribale. Les relations avec des non-appartenants étant dépourvues d’obligations, elles risquent de laisser libre cours à l’expression brute de la violence, comme le montre le grand nombre d’attaques mortelles qui opposent les <a href="https://www.nature.com/articles/nature13727">« communautés de chimpanzés »</a>. D’où cette conclusion, qui résonne tristement avec l’actualité : le fait que les singes se fassent la guerre les rapproche encore un peu plus de nous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217949/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Kaufmann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les chimpanzés s’organisent en groupes, avec une hiérarchie bien établie. Peut-on alors parler de société ?Laurence Kaufmann, Professeur de sociologie à l'université de Lausanne, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196842023-12-20T20:25:45Z2023-12-20T20:25:45ZSi les humains disparaissaient, qu’adviendrait-il de nos chiens ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564992/original/file-20231206-29-g9446.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C15%2C5080%2C3376&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La quête de l’humain pour trouver le compagnon canin idéal a donné naissance à plus de 400 races, chacune dotée d’une combinaison unique de caractéristiques physiques et comportementales.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Beaucoup d’humains considèrent que les chiens sont nos meilleurs amis. Mais vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il adviendrait de votre chien si nous disparaissions soudainement ? Les chiens domestiques peuvent-ils se passer des humains ?</p>
<p>Au moins 80 % <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691196183/a-dogs-world">du milliard de chiens</a> que compte la planète mènent une vie indépendante et libre, ce qui nous donne des pistes de réponse.</p>
<p>Que seraient nos chiens si nous n’étions pas là pour les influencer et prendre soin d’eux ?</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un chien ?</h2>
<p>Les chiens détiennent le titre d’espèce domestiquée la plus réussie sur Terre. Pendant des millénaires, ils ont <a href="https://iview.abc.net.au/show/dog-s-world-with-tony-armstrong">évolué sous notre regard attentif</a>. Plus récemment, l’élevage sélectif a engendré une diversité induite par l’être humain, ce qui a donné naissance à des races singulières allant de l’imposant dogue allemand au minuscule chihuahua.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562913/original/file-20231201-15-zku7cs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La diversité actuelle des races canines est le résultat de l’élevage sélectif moderne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La quête de l’humain pour trouver le compagnon canin idéal a donné naissance à plus de 400 races, chacune dotée d’une combinaison unique de caractéristiques physiques et comportementales. À l’origine, les chiens étaient élevés principalement pour remplir des <a href="https://theconversation.com/managing-mutations-of-a-species-the-evolution-of-dog-breeding-96635">fonctions qui nous étaient utiles</a>, telles que la garde de troupeaux, la chasse et la protection. Cette pratique ne s’est imposée qu’au cours des 200 dernières années.</p>
<p>Selon certains experts, le rôle d’animal de compagnie n’est qu’un autre type de travail pour lequel les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168159122000983">humains ont sélectionné des chiens</a>, l’accent étant alors mis davantage sur l’apparence. Les éleveurs jouent un rôle essentiel à cet égard, car ils choisissent délibérément les caractéristiques souhaitables et influencent ainsi l’orientation future des races.</p>
<h2>Sommes-nous bons pour les chiens ?</h2>
<p>Nous savons que certaines caractéristiques qui nous plaisent ont de graves répercussions sur la <a href="https://theconversation.com/vets-can-do-more-to-reduce-the-suffering-of-flat-faced-dog-breeds-110702">santé et le bien-être</a> de l’animal. Ainsi, les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0137496">chiens à face plate ont du mal à respirer</a> en raison de leurs voies nasales étroites et de leurs voies respiratoires courtes. Ce <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00480169.2014.940410">manque d’air</a> peut engendrer des crises d’asthme. Ces chiens sont également sujets à des problèmes de peau, d’yeux et de dents plus fréquents que les bêtes à museau long. <a href="https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"></a></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562919/original/file-20231201-21-o3gi7e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les chiens à face plate tels que les carlins et les bouledogues ne sont pas toujours à l’aise dans le corps qu’on leur a créé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>De nombreux chiens modernes nécessitent une intervention médicale pour se reproduire. Ainsi, les bouledogues français et les chihuahuas doivent souvent subir une césarienne pour mettre bas, car la tête des chiots est <a href="https://kb.rspca.org.au/knowledge-base/what-are-the-welfare-risks-associated-with-difficulty-giving-birth-in-brachycephalic-dogs/">très grosse par rapport</a> à la largeur du bassin de la mère. Cette dépendance à l’égard de la chirurgie pour la reproduction met en évidence le profond impact de l’élevage sélectif intensif sur les chiens.</p>
<p>Si les chiens domestiques ont tout à gagner à faire partie d’une famille humaine, certains mènent une vie très isolée et contrôlée dans laquelle ils ont une possibilité réduite de <a href="https://frontiersin.org/articles/10.3389/fvets.2023.1284869/">faire des choix</a> – un élément important pour leur bonheur.</p>
<h2>Les chiens sans humains</h2>
<p>Imaginez maintenant un monde où les chiens ne seraient plus soumis à la sélection et aux soins des humains. Les conséquences immédiates seraient frappantes. Les races dont les besoins fondamentaux, tels que nourriture, abri et soins de santé, dépendent largement de nous auraient du mal à s’adapter et nombre d’entre elles succomberaient aux dures réalités d’une vie sans soutien humain.</p>
<p>Cependant, cela n’affecterait probablement que moins de 20 % des chiens (ce qui correspond à peu près à ceux qui vivent dans nos maisons). La plupart des chiens du monde sont en liberté. Ce phénomène est très courant en Europe, en Afrique et en Asie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562921/original/file-20231201-17-4hsi2p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">De nombreux chiens vivent de manière autonome au milieu des humains, comme ces chiens dans la rue en Inde.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Bien que ces chiens ne soient pas domestiqués au sens traditionnel du terme, ils cohabitent avec les humains. De ce fait, leur survie dépend presque exclusivement des ressources produites par l’homme, telles que les dépotoirs et les dons de nourriture. En l’absence des humains, la <a href="https://theconversation.com/explainer-theory-of-evolution-2276">sélection naturelle</a> entrerait rapidement en jeu. Les chiens dépourvus de caractéristiques essentielles à leur survie, telles qu’adaptabilité, capacité de chasser, résistance aux maladies, instinct parental et sociabilité, déclineraient progressivement.</p>
<p>Les chiens extrêmement grands ou petits seraient désavantagés, car la taille influe sur les besoins caloriques, la régulation de la température corporelle en fonction de l’environnement et la vulnérabilité aux prédateurs.</p>
<p>Des stratégies comportementales limitées, comme le fait d’être trop craintif pour explorer de nouveaux lieux, seraient également néfastes. Et bien que les chiens stérilisés puissent présenter des caractéristiques avantageuses pour la survie, ils ne pourraient transmettre leurs gènes aux générations futures.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563817/original/file-20231206-23-djskol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’élevage de chiots sans soutien humain est pratiqué avec succès dans le monde entier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mdpi.com/2075-4450/14/7/618">(Shutterstock)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Fini les races hybrides</h2>
<p>Au final, un nouveau type de chien verrait le jour, déterminé par la santé et la réussite comportementale plutôt que par les goûts humains.</p>
<p>Les chiens ne s’accouplent pas seulement avec des individus de leur race et peuvent en choisir des très différents d’eux lorsque l’occasion se présente. Avec le temps, les races distinctes s’estompent, et les accouplements spontanés conduisent à une apparence qui se rapproche du « chien de village », semblable aux « chiens de camp » des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/11771801231167671">communautés autochtones isolées en Australie</a> et aux chiens que l’on voit Asie du Sud-Est.</p>
<p>Ces chiens sont généralement de taille moyenne, avec une morphologie équilibrée, un pelage court de différentes couleurs et des oreilles et une queue droites. Toutefois, des variations régionales comme un pelage plus touffu peuvent apparaître en raison de facteurs tels que le climat.</p>
<p>Avec le temps, les chiens retrouveraient un mode de vie de canidé sauvage. Ces bêtes adopteraient probablement des comportements sociaux et alimentaires semblables à ceux de leurs congénères sauvages actuels, tels que le <a href="https://www.publish.csiro.au/book/7138/">dingo d’Australie</a>. Ils pourraient vivre en <a href="https://7news.com.au/news/wildlife/dingo-drone-footage-captured-by-thermal-camera-on-qld-property-shows-family-fun-time-c-12586477">petits groupes familiaux sur des territoires définis</a>, revenir à une saison de reproduction annuelle, pratiquer une chasse sociale et recevoir des soins parentaux attentifs (en particulier de la part des pères).</p>
<p>La transition serait plus facile pour certaines races, en particulier les chiens de troupeau et ceux qui vivent déjà de manière autonome dans les villages ou dans la nature.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une bonne vie de chien</h2>
<p>Dans leur livre <a href="https://www.babelio.com/livres/Pierce-Le-rappel-de-la-foret/1428413">Le rappel de la forêt</a>, Jessica Pierce et Marc Bekoff explorent l’idée de préparer nos chiens à un avenir sans humains. Ils nous encouragent à leur donner davantage d’autonomie et, par conséquent, de bonheur. Cela peut signifier de les laisser simplement choisir la direction de leur promenade ou prendre leur temps quand ils reniflent un arbre.</p>
<p>En réfléchissant à un éventuel avenir sans humains, une question se pose : nos actions à l’égard des chiens sont-elles durables, dans leur intérêt et conformes à leur nature ? Ou correspondent-elles plutôt à nos désirs ?</p>
<p>En envisageant la façon dont les chiens pourraient vivre sans nous, nous pourrions peut-être trouver des moyens d’améliorer leur vie avec nous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562914/original/file-20231201-15-2sncwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Pour offrir une bonne vie aux chiens, il faut penser à leur bien-être mental, à leur santé et à leur environnement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/219684/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si nous n’étions pas là pour façonner, nourrir et soigner nos chiens, que leur arriverait-il ?Bradley Smith, Senior Lecturer in Psychology, CQUniversity AustraliaMia Cobb, Research Fellow, Animal Welfare Science Centre, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171622023-12-04T16:58:34Z2023-12-04T16:58:34ZLes amis, notre nouvelle famille ?<p><em>Notre modèle de société peut-il se penser différemment, échapper au carcan familial ? Les récentes évolutions autour du mariage homosexuel, de la PMA ou de l’adoption montrent une recomposition des liens sociaux. L’amitié y joue un rôle crucial et éminemment plus politique que l’on ne l’imagine. Cet article fait partie de notre série « Nos vies modes d'emploi ».</em></p>
<hr>
<p>Se <a href="https://www.lexpress.fr/argent/droit/le-pacs-possible-meme-en-l-absence-de-vie-de-couple_1929056.html">pacser avec une amie</a>, partager un lieu pour vivre, <a href="https://www.lemonde.fr/argent/article/2022/09/16/acheter-une-maison-de-maison-de-campagne-entre-amis_6141841_1657007.html">acheter à plusieurs</a>, élever des enfants ensemble ou passer sa vieillesse entre amis : des initiatives se multiplient hors du modèle du couple hétérosexuel. La famille traditionnelle est <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-famille-contemporaine--9782200618049.htm">désacralisée et fragilisée</a>.</p>
<p>L’amitié participe de sa recomposition avec la liberté de se réinventer en dehors d’une conjugalité exclusive. Longtemps marginalisée au profit de l’amour, <a href="https://www.fnac.com/a2759136/Anne-Vincent-Buffault-Une-Histoire-De-L-Amitie">l’amitié connaît un rebond</a> autant sur le plan des pratiques que dans <a href="https://www.mollat.com/livres/2686033/geoffroy-de-lagasnerie-3-une-aspiration-au-dehors">l’imaginaire contemporain</a>.</p>
<p>Mais s’agit-il de donner de l’importance à des relations qui ne sont pas reconnues officiellement, de les protéger juridiquement, de créer de nouveaux droits relationnels ou d’inventer une nouvelle politique de l’amitié ?</p>
<h2>L’amitié pour renforcer le lien civique</h2>
<p>Aristote pensait que l’amitié constituait avec la justice le <a href="https://editionskime.fr/produit/lamitie-chez-aristote-une-mesure-de-laffect/">ciment des relations sociales</a> et du lien civique de la cité.</p>
<p>Pour renforcer ce lien, certains ont voulu associer l’amitié à des obligations de nature juridique. Sous la Révolution française, Saint-Just écrit en l’an II (1793-1794 mais de publication posthume), ses <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/saint_just/fragments/fragments.html">Institutions Républicaines</a>. Dans un chapitre intitulé Les affections, concernant les institutions civiles, il déclare : « celui qui ne croit pas à l’amitié est banni. »</p>
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em></p>
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<p>Plus encore, tout homme âgé de plus de 21 ans doit déclarer ses amis et renouvelle cette déclaration tous les ans : l’amitié devient synonyme de citoyenneté. Si un homme quitte un ami, il est tenu de rendre compte de ses motifs au peuple. Les amis sont pour ainsi dire responsables des actes les uns des autres et en répondent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558313/original/file-20231108-17-hwjehb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chez Saint Just l’amitié devient aussi importante que la famille. Portrait de Louis de Saint-Just, huile sur toile de Pierre-Paul Prud’hon, musée des beaux-arts de Lyon, 1793.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Antoine_de_Saint-Just#/media/Fichier:Saint-Just-French_anon-MBA_Lyon_1955-2-IMG_0450.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans le monde conçu par Saint-Just, l’amitié reçoit un statut juridique éminent, et devient rapport de droit, comme l’était seule jusqu’alors la parenté de sang ou d’alliance. Le révolutionnaire pousse cette logique encore plus loin : « le peuple », écrit-il, « élira les tuteurs des enfants parmi les amis de leur père ». « Les amis porteront le deuil l’un de l’autre » ; ils « creusent la tombe, préparent les obsèques l’un de l’autre, ils sèment les fleurs avec les enfants sur la sépulture » ; enfin, « ceux qui sont restés unis toute leur vie sont renfermés dans le même tombeau ». Chez Saint-Just l’amitié devient aussi importante que la famille.</p>
<p>On peut supposer que cette institution civile contraignante imaginée par Saint-Just ne correspond pas aux aspirations de nos contemporains d’autant qu’il en oublie les femmes.</p>
<h2>La notion d’amitié est historiquement contingente</h2>
<p>Les relations d’amitié jouaient depuis l’Antiquité un rôle considérable, beaucoup plus formalisées qu’aujourd’hui avec un système d’obligations, de charges, de devoirs réciproques. L’association de l’aspect social, affectif et effectif de l’amitié qui se manifestait par l’entraide, l’échange de service et de présents, la proximité physique a longtemps dominé.</p>
<p><a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Dits-et-ecrits2">Michel Foucault</a> formule l’hypothèse qu’avec l’avènement de l’absolutisme royal, et son cortège d’institutions (l’armée, la bureaucratie, le système judiciaire, la police, l’organisation de l’enseignement qui régentent les esprits et les corps) l’amitié entre hommes devient suspecte, l’affectivité devient inquiétante : par son intensité, son exclusivité, elle peut constituer, dans une société étatisée que l’absolutisme construit, une source de subversion, un pôle de résistance.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561917/original/file-20231127-23-5jj37x.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vautrin avec Rastignac dans la cour de la pension Vauquer (Le Père Goriot). Honoré de Balzac, Old Goriot. Philadelphia : George Barrie & Son, 1897.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vautrin_%28personnage_de_Balzac%29#/media/Fichier:BalzacOldGoriot02.jpg">Auteur inconnu/Wikimedia</a></span>
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<p>Ces nouvelles structures institutionnelles auraient empêché l’amitié de continuer à tenir les fonctions sociales et politiques qui étaient les leurs pendant des siècles avec une obligation de loyauté. L’apparition du « problème de l’homosexualité » à partir du XVIII<sup>e</sup> siècle s’expliquerait par la disparition concomitante de l’importance des relations d’amitié « de cœur » entre hommes.</p>
<p>Dans les romans de Balzac, les <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2009-1-page-283.htm">amitiés passionnées</a> restent très présentes (Louis Lambert, La Cousine Bette, le Cousin Pons, Vautrin) mais l’institution familiale tend toujours à primer sur les liens électifs. Que Pons vive une amitié passionnée avec son ami Schmuke ne dérange personne, cette relation restant innommée. En revanche le Cousin Pons ne peut le faire hériter de sa collection d’art. La logique patrimoniale qui lie la sexualité et les régimes juridiques de l’héritage impose sa loi d’airain à ce cousin original et un peu <a href="https://laviedesidees.fr/Balzac-queer">queer</a>.</p>
<h2>Les précédents des aventuriers de l’amitié</h2>
<p>À l’époque de Balzac, l’amitié n’est plus constitutive de l’ordre social et s’intimise, ne vivant que dans les interstices. Si les femmes en restent dépositaires, elles sont avant tout soumises aux règles du mariage.</p>
<p>Des amitiés intenses se développent en marge comme antidote de relations familiales étouffantes. Les personnalités en rupture remettent en question les rôles établis, des femmes artistes ou militantes qui refusent la place qui leur est assignée, la bohème littéraire, les socialistes utopiques, les dandys, des adolescents révoltés.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, dans le romantisme allemand, le fouriérisme - <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/01012013/fourier-le-fourierisme-et-les-fourieristes">issu de la pensée de Charles Fourier</a>-, le <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/01012013/saint-simon-et-les-saint-simoniens?mode=desktop">mouvement saint-simonien</a> et l’anarchie, se déploie la volonté d’échapper au carcan de la famille ou à celui de l’exclusivité de l’amour pour inventer des relations égalitaires, des solidarités effectives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561918/original/file-20231127-23-3aw9n3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1185&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dandys parisiens, 1830.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dandy">Wikimedia</a></span>
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<p>La volonté d’instituer l’amitié n’est souvent pas une préoccupation dans ces mouvements minoritaires qui cherchent à explorer son potentiel révolutionnaire ou utopique, ses qualités éthiques.</p>
<p>Les affinités électives, les attractions magnétiques caractérisent autant l’amour que l’amitié : les frontières deviennent floues. Des groupes d’amis se forment qui sont des microsociétés alternatives en perpétuel état de sociabilité morale et qui sont nourris de correspondances.</p>
<p>Ces rencontres amicales se font sur le modèle de la circulation des ondes et des fluides humanitaires, formant des chaînes associatives <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/868468-les-sauvages-dans-la-cite-auto-emancipation-du--jean-borreil-champ-vallon">dans le socialisme utopique</a>.</p>
<h2>Des bâtisseurs d’utopies</h2>
<p>Dans la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, les anarchistes défient l’État et tentent de faire exister des associations minoritaires alternatives aux normes du code civil.</p>
<p>Il s’agit d’agrégations volontaires non institutionnalisées de bâtisseurs d’utopies au quotidien, fondées sur la spontanéité et l’indépendance.</p>
<p>Il en va de même des <a href="https://theconversation.com/solidaires-car-autonomes-loin-des-grandes-villes-la-promesse-dune-autre-vie-137827">collectifs</a> installés aujourd’hui sur des lieux alternatifs qui inventent des formes de vie communes fondées sur l’affinité, l’amitié et des pratiques égalitaires dans des zones de non-droit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/recit-des-cochons-et-des-hommes-211453">Récit : Des cochons et des hommes</a>
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<p>L’habitat éphémère et ouvert sur l’extérieur, la cabane construite à plusieurs, invention de lien et de <a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">politisation des affects</a> en sont les symboles aujourd’hui, comme l’écrit <a href="https://editions-verdier.fr/livre/nos-cabanes/">l’autrice Marielle Macé</a> :</p>
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<p>« Faire des cabanes en tous genres – inventer, jardiner les possibles ; sans craindre d’appeler « cabanes » des huttes de phrases, de papier, de pensée, d’amitié. »</p>
</blockquote>
<p>Contractualiser des relations d’amitié semble prendre à revers la liberté et la souplesse qui priment dans ses rapports amicaux. Les amitiés librement choisies n’impliquent pas d’engagement irrévocable.</p>
<p>Relation fluide ou plutôt granulaire, constituée de moments, mais qui peut se révéler durable, l’amitié telle que nous l’entendons n’exige ni contrat, ni obligations : elle n’oblige au respect d’aucun règlement statutaire. Cette fluidité en fait une relation éminemment moderne et désirable. L’amitié est la plus libre et la plus intime des associations humaines sans structuration normative.</p>
<h2>Bousculer les modèles culturels hérités</h2>
<p>L’amitié n’est pas pour cela désenchâssée du social et du politique. « L’amitié est la seule société politique libre que nous connaissions » écrit l’historienne <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/La-culture-libertaire,994.html">Claire Auzias</a>.</p>
<p>À la charnière de la vie privée et de la sphère publique, l’amitié requiert de bousculer les modèles culturels hérités. Les stéréotypes qui dévaluent les amitiés féminines et les renvoient à la rivalité et la médisance <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/feminisme-la-sororite-est-elle-vraiment-possible-5427146">sont remis en cause</a>.</p>
<p><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soeurs-silvia-lippi/9782021533323">La sororité</a> dans le féminisme invite à mettre l’amitié entre femmes au centre du mouvement. Les hommes entre eux peuvent vivre une intimité délivrée du spectre de l’homophobie. L’expérience de <a href="https://www.ens.psl.eu/actualites/eros-et-philia-passions-rationnelles">l’éros amical</a> n’est pas forcément sexuelle.</p>
<p>C’est une relation qui permet de discuter en acceptant le désaccord, de se découvrir différent, varié, variable, multiple, autre… sans se contenter du refuge de l’entre soi ou des mirages du même. L’amitié permet de trouver de nouveaux modes de vie relationnels et d’inventer des parentés de choix parmi d’autres liens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Vincent-Buffault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’évolution des relations sociales pourrait être l’occasion d’inventer une nouvelle politique de l’amitié.Anne Vincent-Buffault, Chercheuse, historienne, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173302023-11-30T16:51:39Z2023-11-30T16:51:39ZRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France<p><em>Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d'Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts <a href="https://www.instagram.com/joannsfar/?hl=fr">Instagram</a> afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.</em></p>
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<p>Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">1 518 ont été recensés</a> entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violences antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2018_num_250_2_5616?q=solveig%20hennebert">lors de cérémonies commémoratives</a> ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon <a href="https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article6505">enquête de terrain de thèse</a>.</p>
<p>J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">L’antisémitisme</a> renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XV<sup>e</sup> siècle avec les <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/iberica/la-purete-de-sang-en-espagne">premiers statuts de pureté de sang</a> dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">persécutions</a> étaient plutôt liées à de l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui</a>
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<h2>Les chiffres de l’antisémitisme</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzoIb4WoGWd","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Le recensement des crimes et délits est source de <a href="https://theconversation.com/linsecurite-un-epouvantail-electoral-a-deminer-132362">nombreuses interrogations méthodologiques</a>, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.</p>
<p>Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de <a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">structurel dans l’antisémitisme</a> tel qu’il s’exprime en France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<h2>L’héritage de l’extrême droite</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzG2HQ5ogTU","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/france/131123/aux-marches-contre-l-antisemitisme-des-elus-d-extreme-droite-au-lourd-passif">rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre</a> a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/12/gregoire-kauffmann-historien-la-presence-siderante-du-rn-a-la-manifestation-contre-l-antisemitisme-est-le-signe-d-une-profonde-recomposition-du-jeu-politique_6199658_3232.html">« recomposition du champ politique »</a>. À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les <a href="https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/121123/pour-l-emancipation-de-toutes-et-tous-contre-l-antisemitisme-d-ou-qu-il-vienne">liens du RN avec les idéologies antisémites</a>.</p>
<p>L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">l’antijudaïsme chrétien</a> :</p>
<blockquote>
<p>« les Juifs ont de l’argent »</p>
<p>« les Juifs contrôlent le monde »</p>
<p>« les Juifs contrôlent les médias »</p>
<p>« les Juifs sont des tueurs d’enfants »…</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CyVOUNNIn2z","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">enquêtes scientifiques</a> montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.</p>
<p>Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.</p>
<p>Ainsi l’expression <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2020_num_107_1_2992?q=jud%C3%A9ophobie#comm_0588-8018_2020_num_107_1_T8_0068_0000">« nouvel antisémitisme »</a> ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/international/211123/l-operation-du-7-octobre-ne-vise-pas-seulement-tuer-mais-filmer-les-tueries-et-les-atrocites">évolutions sont perceptibles</a>, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-du-6-9-france-bleu-isere/antisemitisme-un-mouvement-de-fond-depuis-les-annees-2000-juge-l-historien-grenoblois-tal-bruttmann-6454392">histoire longue</a>.</p>
<h2>« Laissez-moi hors de propos »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cz3u953o_ZY/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-face-aux-accusations-repetees-d-antisemitisme-23-10-2023-2540503_20.php">se défendent de tous préjugés</a> à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/10/nonna-mayer-les-stereotypes-antisemites-gardent-un-certain-impact-dans-une-petite-partie-de-la-gauche_6199286_823448.html">rapporte Nonna Mayer dans <em>Le Monde</em></a>. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.</p>
<p>L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">mouvements de résistance</a> de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Des manifestations directes de la violence</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzVoJsIoYcO","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Au niveau international, de nombreux actes de violence physique ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-des-slogans-antisemites-scandes-devant-l-opera-de-sydney-aux-couleurs-d-israel">« gazer les Juifs »</a>, des tags <a href="https://www.instagram.com/p/CzOh4Cvo3Ss/ ?hl=fr&img_index=1">« interdit aux Juifs »</a> notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/1159-actes-antisemites-recenses-en-france-en-un-mois-annonce-gerald-darmanin">sont également multiples</a>, et la qualification antisémite n’est pas évidente.</p>
<p>Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un <a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">sentiment d’abandon</a> chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.</p>
<p>Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-mireille-knoll/meurtre-de-mireille-knoll-l-affaire-sarah-halimi-a-peut-etre-pu-inciter-la-justice-a-retenir-le-caractere-antisemite-selon-l-avocat-d-un-des-deux-suspects_2688360.html">Mireille Knoll et Sarah Halimi</a>.</p>
<p>Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là ; cependant, les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant, le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.</p>
<h2>Banaliser</h2>
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<p>Depuis le 7 octobre, des discours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/tags-insultes-menaces-que-sait-on-du-recensement-des-antisemites-enregistres-depuis-le-7-octobre-20231117_FIAUJA3DKNGNDFHMH7K3R5B6H4/">relativisent l’existence de l’antisémitisme</a>, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">La « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français</a>
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<p>Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">après la Seconde Guerre mondiale</a> la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.</p>
<p>Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/29/universites-americaines-zones-de-langage-surveille_5390404_3232.html">« micro-agressions »</a>.</p>
<p>Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins ; ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.</p>
<h2>« Leur peur, ma rage »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cyc96WzIuFr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.</p>
<p>L’usage même du <a href="https://www.instagram.com/p/C0BoM2yNi_o/ ?img_index=1">terme « antisémitisme »</a> est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.</p>
<p>Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-4-page-441.htm">conceptualisation raciste en Europe au XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-901.htm">discours racialiste</a> envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzqHrYJoDon","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.</p>
<p>Certains ont exprimé leurs critiques face à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121123/marche-contre-l-antisemitisme-les-gauches-qui-appellent-ne-pas-manifester-renoncent-leur-role-historique">l’absence de la gauche</a> dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.instagram.com/collectif_golem/">collectif « Golem »</a> a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les <a href="https://www.lesguerrieresdelapaix.com/mouvement/ ?goto=manifeste">« guerrières de la paix »</a> créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.</p>
<p>L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-legicom-2015-1-page-39.htm#no11">certains propos peuvent être antisémites</a> s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/217330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solveig Hennebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de comportements et attaques antisémites de ces dernières semaines doit être analysée dans l’histoire longue de l’antisémitisme ordinaire en France.Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166542023-11-02T20:53:12Z2023-11-02T20:53:12Z« Controverses » : Pourquoi la notion de laïcité perturbe le débat public ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556591/original/file-20231030-25-e6ck5d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C23%2C5184%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le terme laïcité recouvre un certain nombre d'usages et de polémiques dans le débat public, en France mais aussi à ses frontières.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/persone-che-camminano-sul-pavimento-di-cemento-grigio-durante-il-giorno-ABGaVhJxwDQ">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>Dans cette série consacrée à la laïcité, nous nous attachons à décrypter les possibles incompréhensions, les polémiques mais aussi les usages de ce terme et de ce qu’il recouvre au sein du débat public. Retrouvez dans ce dossier nos différents articles.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/la-la-cite-a-langlaise-autre-pays-autres-moeurs-215952">La laïcité à l’anglaise : autre pays, autres mœurs ?</a></h2>
<p>Le Royaume-Uni est devenu une société séculière, mais sans avoir adopté le principe français de la laïcité. Qu'est-ce qui le distingue ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religieux à l’école : une longue histoire déjà</a></h2>
<p>De l’affaire du foulard à Creil en 1989 à l’interdiction des abayas à l’école annoncée par le ministre de l’Éducation, retour sur les débats concernant les signes religieux dans l’espace scolaire.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-cite-lexception-nest-pas-la-ou-les-francais-la-voient-128338">Laïcité : l’exception n’est pas là où les Français la voient</a></h2>
<p>La comparaison européenne fait apparaître que la singularité française autour de la laïcité ne réside pas dans des fondements historiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556586/original/file-20231030-19-y574ul.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les différentes acceptions de laïcité et de neutralité, dans l’espace belge ou français, rendent parfois les discours politiques confus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mike Chzi/Pexels</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2><a href="https://theconversation.com/la-cite-ou-islamophobie-de-la-belgique-a-la-france-le-brouillage-des-categories-racistes-214280">Laïcité ou islamophobie, de la Belgique à la France, le brouillage des catégories racistes</a></h2>
<p>Dans les débats, le concept d’islamophobie vient régulièrement en charrier d’autres tel que celui de laïcité en France ou de neutralité en Belgique.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-la-cite-vertu-ou-principe-192262">Laïcité : vertu ou principe ?</a></h2>
<p>La laïcité, mode d’organisation de l’État, est parfois interprétée comme valeur morale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216654/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Dans cette série consacrée à la laïcité, nous nous attachons à décrypter les possibles incompréhensions, les polémiques mais aussi usages de ce terme et de ce qu’il recouvre au sein du débat public.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceClea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceJulien Talbot, Responsable de la stratégie digitaleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2087072023-10-12T17:22:43Z2023-10-12T17:22:43ZMoi, M. Martin, je vous raconte ma vie de super riche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552070/original/file-20231004-19-5ee4u9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C36%2C2038%2C1324&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bernard Arnault, plus grosse fortune française prononce un discours devant les élèves de Polytechnique en 2017. Pour beaucoup, il incarne l'idéal-type du très très riche.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bernard_Arnault_%285%29_-_2017.jpg">Jérémy Barande / Ecole polytechnique Université Paris-Saclay/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Si je me permets de prendre la plume dans The Conversation aujourd’hui, c’est que je trouve qu’on ne nous donne pas assez la parole. Nous ? Les riches. Bien sûr, on montre la richesse, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Mais si l’on réfléchit bien, on nous entend peu. Il faut dire que beaucoup de mes congénères préfèrent se cacher. Ce n’est pas mon cas. Laissez-moi vous raconter ce que c’est que d’être riche et, passez-moi l’expression, ce que l’on nous offre…</p>
<p>Commençons par le commencement. Vous savez ce que c’est qu’un riche, vous ? Bien entendu, vous en avez une idée, tout le monde en a une. Généralement, ce n’est pas soi-même. Tout le monde ? Pas tout à fait, si l’on réfléchit bien. L’État, par exemple, se garde bien trop de définir explicitement ce qu’est un riche. Il existe un seuil officiel de pauvreté mais pas de <a href="https://www.inegalites.fr/Comment-mesure-t-on-la-pauvrete-en-France">seuil de richesse</a>.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas que l’on manque de manières de la définir ! La plus évidente consiste à regarder du côté de ce que l’on possède. Un riche possède un patrimoine élevé, financier et/ou immobilier. Pour vous permettre de vous situer, en France, en 2017, 10 % seulement des ménages ont un patrimoine net supérieur à 549 600 euros, 5 % à 794 800 euros et 1 % à 1 745 800 euros. J’ai la chance – même si je n’aime pas trop ce terme – de compter parmi ces derniers.</p>
<p>On peut aussi regarder du côté des revenus. Un riche touche beaucoup d’argent régulièrement. Pour être parmi les 10 % les mieux payés, il faut gagner plus de 3 261 euros net, 4 090 euros pour être parmi les 5 % et 6 651 pour compter parmi les 1 % (dont je fais partie, mais vous l’aviez sans doute deviné à ce stade).</p>
<p>Il existe des définitions plus subtiles. Par exemple, on peut penser qu’être riche, c’est ne pas avoir besoin de travailler pour vivre, parce que l’on peut vivre de ses rentes. Il faudrait pour cela posséder un <a href="https://journals.openedition.org/terrain/24995">patrimoine financier de 1,4 million d’euros</a>. C’est aussi mon cas au passage.</p>
<h2>Les définitions implicites de la richesse</h2>
<p>On pourrait convoquer d’autres définitions de la richesse, qui ne manquent pas. Mais je voudrais évoquer celles que j’aime qualifier de « définitions implicites » de la richesse. De quoi s’agit-il ? De celles de l’administration, fiscale en l’occurrence, qui établit, sans trop le crier sur les toits, des seuils de richesse.</p>
<p>Prenons l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), que je connais bien. L’État estime qu’à partir d’un certain niveau de patrimoine immobilier (en l’occurrence, 1,3 million d’euros, après abattements), on doit être assujetti à un impôt spécifique. C’est bien qu’on est jugé (trop ?) riche à partir de ce seuil ! Mais on peut également citer le plafonnement des <a href="https://theconversation.com/pourquoi-est-il-si-difficile-de-reformer-les-niches-fiscales-191801">niches fiscales</a>, c’est bien qu’au-delà d’un certain niveau de revenu, on est trop riches pour en bénéficier davantage.</p>
<p>Certes, ce plafonnement n’est contraignant en théorie que pour les célibataires touchant plus de 4 470 euros par mois (ou pour les couples avec deux enfants ayant plus de 13 400 euros de revenus). Mais là encore, l’État reconnaît qu’au-delà d’une certaine limite, on est trop riches pour bénéficier de ristournes fiscales.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-bourgeoisie--9782707146823-page-8.htm">Les définitions de la richesse</a> ne manquent donc pas mais sans définition officielle, les riches sont statistiquement et institutionnellement invisibilisés. On compte les pauvres – mais pas les riches. Je ne suis pas naïf et je sais bien que cette invisibilisation a des effets sociaux : en ne nous comptons pas, on complique nécessairement la mise en place de politiques publiques spécifiques à l’égard des riches. Grand bien m’en fasse.</p>
<h2>Sécurité fiscale vs Sécurité sociale</h2>
<p>Accumuler, c’est bien. Gagner de plus en plus, chaque année, c’est très satisfaisant, je ne vous le cache pas. Mais sécuriser sa richesse, c’est encore mieux. Car si j’espère évidemment accroître ma fortune, ce que je souhaite par-dessus tout, c’est la maintenir. Et l’État, c’est formidable, nous y aide. Je vais vous parler franchement : le « fisc », comme on dit, est un fidèle allié. J’ai d’ailleurs trouvé un nom pour ça : la « Sécurité fiscale ». C’est un peu comme la Sécurité sociale, mais pour les riches.</p>
<p>Laissez-moi vous donner quelques exemples pour montrer que les règles fiscales en vigueur dans notre pays, loin de nous faire fuir, nous permettent d’y passer des jours paisibles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552061/original/file-20231004-29-ontcbj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation du 10 décembre contre le projet de « réforme » des retraites.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49199944323">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Commençons par l’<a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N20074">impôt sur la fortune immobilière</a> (IFI), dont je vous ai déjà parlé. Ma modeste fortune s’élève à 4,3 millions d’euros, dont 2,3 millions en immobilier. Je vous passe les calculs, mais mon IFI s’élève à environ 450 euros mensuels, soit 3 % de mes revenus. Très honnêtement, ce n’est pas la mer à boire.</p>
<h2>Le fisc cet allié</h2>
<p>Mais laissez-moi vous raconter le plus drôle… Savez-vous qui détermine le montant de mon patrimoine immobilier ? Le fisc à l’aide des statistiques très précises qu’il possède sur les ventes ? Une intelligence artificielle qui s’appuierait sur le prix des annonces immobilières ? Des inspecteurs des impôts qui se déplaceraient sur place ? Que nenni : c’est moi ! Oui, c’est moi qui détermine le montant de la fortune sur laquelle je vais être taxé : il s’agit d’un <a href="https://www.impots.gouv.fr/particulier/questions/comment-declarer-limpot-sur-la-fortune-immobiliere-ifi">impôt déclaratif</a>…</p>
<p>Pour tout vous dire, il n’est pas impossible que je l’estime à la baisse. Nos gouvernants ont moins de pudeur avec les bénéficiaires du RSA, comme le montrent les discussions actuelles sur l’éventuelle réforme de cette prestation pour aller vers plus de contrôle.</p>
<p>Il faut également compter sur le <a href="https://www.economie.gouv.fr/particuliers/prelevement-forfaitaire-unique-pfu">Prélèvement forfaitaire unique</a> (PFU), mis en place en 2018 pour éviter que les revenus du capital ne soient trop taxés (à un taux qui peut être inférieur, pour une raison qui m’échappe moi-même, à ceux appliqués aux revenus du travail). Je peux également évoquer la faiblesse relative des taux supérieurs de l’impôt sur le revenu. Le taux supérieur est en effet actuellement de 45 % (au-delà de 168 994 euros de revenus sur une année). Je ne vais pas me plaindre : il était systématiquement entre 60 % et 70 % pendant les Trente Glorieuses.</p>
<p>Vraiment, croyez-moi, la fiscalité française n’a vraiment rien de confiscatoire pour les riches. J’ai l’impression qu’on fait tout pour qu’elle nous soit douce. Vive la Sécurité fiscale !</p>
<h2>Sécuriser le consentement à l’impôt</h2>
<p>Mais l’État va plus loin dans sa louable ambition de sécuriser la richesse. Non seulement je peux difficilement dire que je suis étranglé par les impôts, mais je peux en partie présider leur destinée, grâce aux fameuses niches fiscales. C’est la manière qu’a l’État, sans doute, de sécuriser mon consentement à l’impôt.</p>
<p>Le cas le plus emblématique est sans doute celui des salariés à domicile, dont l’État prend en charge le coût, dans une certaine limite. Comme j’emploie une femme de ménage, mes impôts sont réduits d’un peu plus de 5 000 euros (soit à peu près le montant de mon IFI !). Une partie des impôts que je suis censé payer me profite directement. Et les dons aux partis politiques, vous connaissez ? Chaque don à un parti politique ouvre droit à une réduction d’impôt de 66 % de son montant, dans une certaine limite. Mais cette réduction d’impôt ne s’applique que si… on est imposable à l’impôt sur le revenu. Cela signifie que quand je fais un don à mon parti politique préféré (peut-être aurez-vous deviné lequel), on m’en rembourse les deux tiers – alors que mon concierge, pas assez payé pour être imposable comme <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/impots-fiscalite/impots/cinq-chiffres-etonnants-sur-les-impots-des-francais-21d85be6-1f6b-11ec-a4db-d0e3da9e796f">près de la moitié des ménages en France</a>, y est entièrement de sa poche quand il effectue un versement à son parti (qui n’est pas le même que le mien, comme vous pouvez l’imaginer).</p>
<p>Non content de m’épauler ainsi dans le maintien de ma richesse, l’État m’aide à la transmettre. Je ne sais pourquoi les Français détestent à ce point les droits de succession. Franchement, je suis bien placé pour savoir que même quand on est riches, ce n’est pas grand-chose. Non seulement les <a href="https://www.impots.gouv.fr/particulier/questions/comment-dois-je-calculer-les-droits-de-succession">taux d’imposition</a> en ligne directe sont faibles, mais il existe des abattements. Pour vous donner un ordre de grandeur, sur les 4,3 millions de patrimoine que nous possédons avec mon épouse, nos deux enfants ne devraient s’acquitter, à notre mort, que de 15 % de la somme. Il leur restera de quoi voir venir.</p>
<h2>Les riches, des assistés ?</h2>
<p>Voila ce que c’est que d’être riche. Il me reste qu’à remercier tous les acteurs qui m’assistent dans la gestion de ma richesse : les gestionnaires de fortune, les notaires et les avocats fiscalistes, capables de trésor d’ingéniosité pour m’aider à payer le moins d’impôts possibles. Comme me l’a dit un jour dans un grand éclat de rire l’un d’entre eux :</p>
<blockquote>
<p>« Vous savez M. Martin, certains sont plus égaux que d’autres face au droit fiscal ! »</p>
</blockquote>
<p>Et bien entendu, l’État lui-même, qui me semble tout faire pour m’aider à maintenir mon rang. Si vous saviez comment l’administration fiscale me reçoit… Alexis Spire, dans son ouvrage <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/faibles-et-puissants-face-a-limpot/"><em>Faibles et puissants face à l’impôt</em></a>, publié en 2012, le raconte très bien. L’administration fiscale sait me faire sentir que je ne suis pas un contribuable comme les autres et, bien souvent, on trouve le moyen de s’arranger.</p>
<p>De vous à moi, en mon for intérieur, je me surprends à penser que les vrais assistés ne sont pas les récipiendaires du RSA comme le gouvernement aime à les pointer, mais bien nous, les (très) riches ! Et si, le coût de la richesse – car elle a un coût, vous l’avez compris maintenant – était supérieur au coût de la pauvreté pour le bien commun ?</p>
<p>Alors, de quoi M. Martin est-il le nom ?</p>
<p><em>Monsieur Martin n’existe pas. Mais il a une fonction : donner à voir, sous la forme d’un récit, le (très) riche d’aujourd’hui. M. Martin est un riche imaginaire, à la fois une construction et une réalité. M. Martin n’est pas une personne, mais il n’est pas rien. Il est le nom d’une réalité statistique : l’idéal-type financier et fiscal d’un très riche (1 % des plus riches en France).</em></p>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié en partenariat avec la <a href="https://journals.openedition.org/terrain/24995">revue Terrain</a> et son numéro 78 <a href="https://journals.openedition.org/terrain/24889">« Capitalisme sauvage »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Monsieur Martin n’existe pas. Mais il a une fonction : donner à voir, sous la forme d’un récit, le (très) riche d’aujourd’hui.Arthur Jatteau, Maître de conférences en économie et en sociologie, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2124822023-10-09T17:46:58Z2023-10-09T17:46:58ZAu cœur de la Chartreuse Terminorum, l’un des ultra-trails les plus mystérieux au monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552486/original/file-20231006-17-yacy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=78%2C0%2C2995%2C2413&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au sein du massif de la Chartreuse, les coureurs évoluent dans un dédale de forêts et de sentiers oubliés.</span> <span class="attribution"><span class="source">Simon Lancelevé</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Chaque week-end, des dizaines de départs de courses à pied sont données sur <a href="https://www.mov-sport-sciences.org/articles/sm/abs/first/sm20220057/sm20220057.html">divers formats</a>. Avec eux déferlent des vagues de <em>finishers</em>.</p>
<p>Le trail running, course pédestre sur sentier, apparait comme l’actuelle figure de proue de cet engouement. Selon une <a href="https://itra.run/content/news/FR_ITRA%20LES%20HABITUDES%20DES%20TRAILEURS.pdf">étude de l’International Trail Running Association</a>, menée auprès de plusieurs milliers de pratiquants, 40 % de ses adeptes auraient déjà pris part à des épreuves dépassant les 100 kilomètres, aussi appelées « ultra-trails ».</p>
<p>Dans le cadre d’une <a href="https://e3s.unistra.fr/equipe/composition/lanceleve-simon/">thèse</a> en socio-anthropologie, je me suis intéressé à ces courses au long court. Plus particulièrement à l’une d’entre elles, que personne ne finit ou presque : la <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/06/19/ultratrail-la-chartreuse-terminorum-course-de-300-km-que-personne-n-avait-encore-terminee-vaincue-pour-la-premiere-fois_6178308_3242.html">Chartreuse Terminorum</a>, en Isère.</p>
<p>300 kilomètres, 25 000 mètres de dénivelé, 80 heures : bienvenue à la « Barkley française », en référence à la mythique épreuve américaine, créée en 1986, <a href="https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Ultra-trail/Actualites/Trois-traileurs-terminent-la-barkley-dont-le-francais-aurelien-sanchez/1386359">dans le Tennessee</a>.</p>
<p>Depuis sa naissance en 2017, 40 postulants relèvent chaque année le défi de la Chartreuse Terminorum, malgré des chances de succès minimales, autour de 2 % (les quatre premières éditions s’étant conclues sans <a href="https://www.ledauphine.com/sport/2022/06/16/la-chartreuse-terminorum-est-de-retour-suivez-la-course-la-plus-dure-de-france">finisher</a>).</p>
<p>« Pourquoi ces athlètes se lancent-ils dans une telle course ? », vous demanderez-vous. Je vous évite un faux départ. Relâchez donc les prénotions. Déposez tous les clichés : « extrême », « dépassement », « limites ». Tous ces mots qui recouvrent trop de situations pour les éclairer vraiment. Faisons ensemble ce pas de côté.</p>
<p>Demandez-vous maintenant : « Comment ? » Comment ces coureurs interagissent avec cette épreuve ? Comment celle-ci leur « parle », au point qu’ils s’y préparent avec une grande <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/11230">exigence</a> ?</p>
<h2>La force de la résonance</h2>
<p>Quiconque s’intéresse à l’engagement ne peut se borner aux liens de causalité pour expliciter une manière de faire. Pour comprendre ce qui pousse des personnes à se livrer corps et âme, il faut capter le dialogue qui les lie – ici – à l’épreuve.</p>
<p>Le sociologue et philosophe allemand <a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">Hartmut Rosa</a> a théorisé ce dialogue par la notion de <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2018-6-page-90.htm">« résonance »</a>. Soit une relation qualitative durant laquelle une personne est touchée par un fragment du monde et lui répond.</p>
<p>L’attrait de l’expérience réside dans cette réponse du monde, incertaine par nature. Vous pouvez par exemple envoyer un message à quelqu’un, disons un message amoureux, sans être assuré d’un retour ; sans même parler du contenu.</p>
<p>Nul ne peut donc prévoir quand et comment il résonnera, mais toute personne ayant éprouvé le phénomène en est transformée à jamais.</p>
<p>Cette résonance s’oppose de fait à l’aliénation : la personne s’engage dans une activité, mais n’y trouve plus de sens. Elle n’obtient pas de réponse aux signaux qu’elle émet. D’où des situations vécues comme absurdes et désenchantées. Les multiples articles sur les phénomènes de <a href="https://theconversation.com/les-bonnes-questions-a-se-poser-pour-re-trouver-un-sens-a-son-travail-119348">bore out</a> ou de burn-out, à l’inverse, l’illustrent. Des phénomènes que nous retrouvons dans le monde du travail bien sûr, mais également dans <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/01/29/burn-out-ces-sportifs-qui-souffrent-en-silence_6027583_3242.html">celui du sport</a>.</p>
<p>Par nature, toute expérience est ainsi potentiellement résonante ou aliénante.</p>
<p>Dans cette optique, chaque personne mène sa propre quête d’expériences, pour vibrer le plus possible et accéder à une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-la-philo/qu-est-ce-que-le-bien-vivre-5623352">vie bonne</a>. Participer à la Chartreuse Terminorum répond à cette aspiration.</p>
<p>Pour entendre d’éventuels dialogues entre les athlètes et le monde, il m’a semblé évident de recueillir leur souffle par tous les moyens. En ethnographe, je me suis fondu dans la communauté de l’épreuve durant trois années (2019-2022), pour observer des traces d’échanges, résonantes ou non.</p>
<p>J’y ai suivi régulièrement neuf coureurs lors de leurs entraînements, tout en menant des entretiens avec eux, mais aussi avec leurs proches. Ce suivi in situ m’a permis de courir l’équivalent de 12 Lille-Marseille et de 113 ascensions du Mont-Blanc.</p>
<p>Enfin, afin de me donner une chance de capter une éventuelle résonance en course, j’ai postulé à la Chartreuse Terminorum et y ai pris part à deux reprises.</p>
<h2>Dans la gueule du lynx</h2>
<p>Passer ce pas m’a coûté quelques nuits blanches. À l’inverse d’autres courses, dont les prix varient d’un à deux euros par kilomètre, selon la notoriété de l’épreuve, pas besoin de carte de crédit pour s’inscrire ici. Chaque prétendant répond à une énigme en ligne et envoie un essai aux mystérieux organisateurs, dits le « triumvirat », en leur expliquant « pourquoi il devrait être retenu pour participer » à l’épreuve.</p>
<p>Ce triumvirat est composé de passionnés, coureurs ou assistants de coureurs sur la Barkley (entre autres), dont le but est de mettre les concurrents sur le fil ténu du possible. Chaque candidature est examinée et quarante élus sont convoqués, un jeudi, au mois de juin (ce qui représente environ un tiers des demandes).</p>
<p>Vous vous souvenez : ce message tant attendu ? Il vient enfin d’arriver.</p>
<p>Ces élus deviennent alors des postulants. Parmi eux, 10 % de femmes environ, soit deux fois moins que sur les autres ultras, en moyenne. Ces postulants sont invités à rejoindre une zone de départ, dont l’horaire exact n’est précisé qu’une heure auparavant, par le barrissement d’un cor de chasse. Un cierge est allumé en guise de coup de feu.</p>
<p>Les postulants campent sur le site dès la veille, pour rester aux aguets. Au cours de leur attente, ils s’acquittent d’une « dîme » (3 euros), accompagnée d’offrandes au triumvirat – en général une bière et des mets locaux –, et fournissent aussi une plaque d’immatriculation personnalisée, comme sur la Barkley.</p>
<p>Ils accèdent en retour au tracé d’une boucle secrète, à effectuer cinq fois, dans un sens puis dans l’autre. Celle-ci arpente la <a href="http://www1.onf.fr/enforet/grande-chartreuse/@@index.html">forêt de la Grande Chartreuse</a>, dont les bornes – « terminorum » – ont donné leur nom à l’épreuve.</p>
<p>Les postulants devront y retrouver des livres cachés, desquels ils arracheront la page correspondant à leur numéro de dossard, pour prouver leur passage. Hormis la carte IGN et un guide de navigation empli d’énigmes, toute aide matérielle est bannie ; téléphone et montre connectée y compris. Les assistances sont limitées au camp. Les coureurs, une fois élancés, sont plongés en autonomie, jusqu’à leur retour.</p>
<p>Pour la première fois, en 2023, cinq athlètes sont venus à bout de l’épreuve dans les 80 heures imparties.</p>
<p>Ainsi, lorsque je débutais, en 2019, un journaliste spécialisé la jugeait incomparable à toute autre : « comme si on parlait d’un côté du chat domestique et du lynx de l’autre ». Le félin étant revenu dans le massif récemment, cette image me marqua.</p>
<p>La Chartreuse Terminorum apparaît donc comme une course radicale, dans tous les sens du terme. Par sa capacité à dérouter les coureurs, par son caractère « hors-norme » et son aspect communautaire, elle renverse bon nombre des codes dominants en course à pied (coût, sélection, navigation, nombre de <em>finishers</em>).</p>
<p>Comme les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ml8ADTP6BNc">courses « libres »</a> ont été créées en réaction à la course sur piste, dans les années 1970, la Chartreuse Terminorum représente un « monde à l’envers, dont elle est le miroir », pour reprendre les mots de l’<a href="https://theconversation.com/lart-de-la-resistance-entretien-avec-james-c-scott-98748">anthropologue James C. Scott</a>, qui a conceptualisé la « résistance infrapolitique », à partir de l’étude des dominés.</p>
<p>Elle est aussi radicale par son ode à la simplicité puisqu’elle renvoie aux origines mythifiées de la course à pied, en plongeant ses adeptes en « pleine nature ». Sa mise en scène et son décor enfin, en font un jeu total, multidimensionnel, distillant différents niveaux de « fun », comme autant de promesses de résonance.</p>
<h2>À chacun son style</h2>
<p>Au fil de l’enquête, j’ai relevé des points communs chez les coureurs : plutôt des hommes donc, âgés d’une quarantaine d’années, éduqués (comme souvent en trail), expérimentés et passionnés de montagne.</p>
<p>Presque tous ont participé à des courses prestigieuses et en sont ressortis avec un discours parfois critique à l’encontre des « grands barnums », à « l’esprit » en berne.</p>
<p>La plupart ont aussi vécu « plusieurs vies ». Leur parcours suggère un lacis de carrières, professionnelles mais aussi sportives. Dans certains cas, la découverte de la course est la dernière de ces bifurcations. La Chartreuse Terminorum représente alors l’épreuve ultime pour ces adeptes de l’adaptation, amoureux de casse-têtes à taille humaine. Un goût utile lorsqu’il s’agit de concilier sommeil, alimentation et course sur la durée ; sans compter la navigation, les énigmes et la recherche des livres.</p>
<p>Si toute quête de résonance reste singulière, j’ai identifié des rapprochements, en faveur de <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/2481">types idéaux</a>, présents chez tous les coureurs, mais dont l’un prédomine chez chacun. Ces types idéaux répondent à des <a href="https://journals.openedition.org/lectures/29658">« axes de résonance »</a>], comme les nomme Rosa, tels que la nature, le collectif, le rapport au corps, les éléments ludiques ou l’histoire.</p>
<p>Suivant les situations, le coureur passe d’un style à un autre. Ces styles, inspirés de <a href="https://mud.co.uk/richard/hcds.htm">ceux de Richard Bartle</a>, chercheur anglais spécialiste des jeux coopératifs en ligne, reprennent :</p>
<ul>
<li><p>Le convivial : cherchant à vibrer par le collectif (veillée au camp, recherche des livres, rituels)</p></li>
<li><p>Le performeur : cherchant à résonner par le succès et la valorisation de ses exploits (défi à soi, mise en récit)</p></li>
<li><p>Le jusqu’au-boutiste : cherchant la résonance dans la maîtrise de l’épreuve (défi absolu de finir) et de ses arcanes (rituels, histoire)</p></li>
<li><p>Le découvreur : cherchant à explorer de nouvelles choses, sur lui et son environnement (navigation, rédaction de l’essai).</p></li>
</ul>
<p>Ces styles sont associés à des quêtes, mais la résonance ne se produit pas nécessairement dans la réalisation des objectifs initiaux.</p>
<p>Le décalage, lié au passage d’un style à un autre, est davantage source de résonance. Il représente une réponse, une adaptation à un stimulus. Cette nouvelle façon d’appréhender l’épreuve transforme le rapport de l’athlète à la pratique, comme je l’ai remarqué chez certains. À l’inverse, d’autres sont incapables de ces ajustements, les subissent, et ne résonnent jamais. D’où un désengagement à plus ou moins long terme.</p>
<p>Ainsi, je retiens l’exemple de David*, coureur qui se décrit lui-même comme performeur, et qui a découvert une autre manière de courir, en s’alliant à Bastien*, lors de sa première participation. David rapportait l’émotion qu’il avait ressentie à arracher les pages des livres pour son « ami », le frisson qui le parcourait encore en y repensant.</p>
<p>Dès lors, David n’a cessé de courir la Chartreuse Terminorum avec Bastien, tel un coureur au style convivial. A l’inverse, Mathieu*, qui aime découvrir de nouveaux parcours, avait décidé de revenir sur l’épreuve dans le but d’y performer, « jouant » contre son style de prédilection. Un revirement qui l’a conduit à ne plus postuler l’année suivante.</p>
<p>Ces « manières de courir » participent à l’imprédictibilité de la course. Elles permettent de relativiser les a prioris concernant l’engagement.</p>
<p>N’est donc qu’une finalité : résonner pour vivre bien. Derrière elle, une infinité de voies singulières pour y parvenir. Ainsi, comprenez-vous maintenant l’importance du « comment » sur le « pourquoi ».</p>
<p><em>* les prénoms ont été modifiés</em></p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Lancelevé a reçu des financements de l'Ecole Doctorale Sciences Humaines et Sociales, Perspectives Européennes, de Strasbourg, dans le cadre de sa thèse.</span></em></p>Qu’est-ce qui fait courir les adeptes de la Chartreuse Terminorum, l’un des ultra-trails les plus mystérieux et difficiles au monde ? Plongée au cœur de cette épreuve que nul ne finit, ou presque.Simon Lancelevé, Doctorant en STAPS Mention « Sciences sociales du sport », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119682023-09-13T13:36:51Z2023-09-13T13:36:51ZAu Québec, comme ailleurs au Canada, les programmes d’assistance sociale sont des « trappes à pauvreté »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544832/original/file-20230825-27-81kqwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C991%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le gouvernement du Québec est actuellement en <a href="https://consultation.quebec.ca/processes/consultationpauvrete">train de mener des consultations dans le but de renouveler son plan de lutte à la pauvreté</a>. </p>
<p>La ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Chantal Rouleau, a également annoncé <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/790087/la-ministre-chantal-rouleau-prepare-une-grande-reforme-de-l-aide-sociale">son intention de moderniser la <em>Loi sur l’aide aux personnes et aux familles</em></a>, dont sont issus les programmes d’assistance sociale dans la province. </p>
<p>Puisqu’il pourrait y avoir une opportunité de revoir et de bonifier ces programmes au Québec, j’ai cherché à mieux comprendre la situation des personnes qui en sont prestataires, en particulier les personnes en situation de handicap. Pourquoi ? Parce qu’elles <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/75-006-x/2017001/article/54854-fra.pdf">vivent davantage dans la pauvreté</a>, ont <a href="https://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/centre_documentaire/Bilans/Bilan_evaluation_APE_conditions_vie.pdf">moins accès au marché du travail que le reste de la population</a> et qu’<a href="https://web.archive.org/web/20221102104813/https://www.mtess.gouv.qc.ca/publications/pdf/STAT_clientele_prog-aide-sociale_ao%C3%BBt_2022_MTESS.pdf">elles représentent la majorité des prestataires de certains programmes au Québec</a>. </p>
<p>L’hiver dernier, dans le cadre de mes études doctorales en travail social, j’ai réalisé des entrevues avec des représentants d’organisations impliquées dans la lutte à la pauvreté et dans la défense des droits des personnes en situation de handicap au niveau provincial. Cet article rapporte leurs paroles : toutes les citations entre guillemets sont tirées de ces entrevues.</p>
<h2>Des programmes d’assistance sociale insuffisants pour sortir de la pauvreté</h2>
<p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. En d’autres termes, ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. </p>
<p>En 2023, aucun des trois programmes d’assistance sociale ne permet d’atteindre la <a href="https://statistique.quebec.ca/fr/document/faible-revenu-menages-et-particuliers/tableau/seuils-faible-revenu-mesure-panier-consommation-type-collectivite-rurale-urbaine-taille-unite-familiale#tri_type_revenu=10">mesure du panier de consommation (MPC)</a>, <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/ref/dict/az/Definition-fra.cfm?ID=pop165">l’indicateur officiel du seuil de pauvreté au Canada</a>, et encore moins la mesure du « revenu viable » <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2023/">calculée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)</a>. À titre d’exemple, selon l’IRIS, l’aide sociale couvrait 47 % de la MPC pour un adulte seul à Montréal, la solidarité sociale 69 % et le revenu de base environ 86 %. Si l’on utilise le pourcentage du « revenu viable », ces montants passaient à 35 %, 51 % et 64 % respectivement. </p>
<p>Ces faibles montants génèrent « de graves inconvénients monétaires et moraux » et traitent les prestataires comme « des citoyens de seconde zone ». Le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base#:%7E:text=En%202023%2C%20le%20montant%20de,532%20%24%20pour%20l%E2%80%99ann%C3%A9e.">nouveau programme de revenu de base</a> a amélioré les choses en misant sur une approche plus flexible, par exemple en permettant le travail à temps partiel ou en autorisant les prestataires à vivre avec un conjoint ou une conjointe. Les prestations sont aussi plus généreuses. Mais <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/le-programme-de-revenu-de-base-une-avancee-insuffisante-pour-les-personnes-handicapees-et-celles-ayant-des-troubles-de-sante-mentale/">il reste encore beaucoup de travail à faire</a> selon les organisations de défense des droits.</p>
<h2>Des critères d’admissibilité compliqués et problématiques</h2>
<p>Le principal programme utilisé par les personnes en situation de handicap est le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale#c67401">Programme de solidarité sociale</a>. L’admissibilité y est conditionnelle à la présence de « contraintes sévères à l’emploi ». </p>
<p>Le principe peut sembler logique, puisqu’il s’agit d’une aide financière de dernier recours. Mais la réalité est tout autre. Plusieurs personnes interrogées lors des entrevues ont mentionné qu’il est « extrêmement difficile d’accéder au Programme de solidarité sociale pour les personnes ayant des handicaps cycliques, tels que des problèmes de santé mentale ». </p>
<p>Par exemple, les formulaires ne permettent pas réellement de « dire tout ce qu’on devrait savoir sur la personne » et « ne considèrent pas l’effet cumulatif des diverses conditions » de la personne. Les règles laissent aussi pour compte ceux et celles qui ne peuvent produire de rapports médicaux complets, <a href="https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/travail-interdisciplinaire-et-processus-complexes/">dont les populations marginalisées n’ayant pas accès à un médecin de famille</a>. Cela a pour effet de classer les individus en fonction de la nature de leur diagnostic, certains reconnus comme « valides », d’autres non, créant ainsi une « méritocratie du handicap ». </p>
<p>Notons que l’admission au <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base">Programme de revenu de base</a> est quant à elle généralement conditionnelle à la participation au Programme de solidarité sociale pendant 66 mois dans les 72 derniers mois, forçant les prestataires à vivre dans la pauvreté pendant de nombreuses années. </p>
<h2>Des règles contraignantes</h2>
<p>Par ailleurs, les régimes d’aide financière de dernier recours au Québec sont généralement « punitifs et contraignants ». Il est par exemple <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/a-13.1.1,%20r.%201#se:111">impossible de travailler pour plus de 200$ ou de recevoir des dons de plus de 100$ par mois</a> pour les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale. S’ils dépassent ces limites, leurs prestations sont coupées, dollar pour dollar. </p>
<p>De plus, les règles sont très compliquées, souvent expliquées de façon contradictoire, et les correspondances reçues ressemblent à des « mises en demeure », ce qui alimente « l’anxiété et la peur des répercussions » en cas d’erreur de bonne foi. </p>
<p>Ultimement, ces règles et cette complexité ont souvent pour conséquence de créer des « trappes à pauvreté » et de maintenir à long terme les prestataires dans ces programmes.</p>
<h2>Prioriser l’accompagnement et le « rétablissement »</h2>
<p>Tous les répondants sont sans équivoque : il est temps de changer de paradigme et de passer d’une approche punitive à une approche d’accompagnement. Ce changement implique nécessairement un abandon des clichés du profiteur ou du fraudeur à l’aide sociale, puisqu’il n’y aurait de toute façon « aucun avantage à frauder l’aide sociale » et que « personne ne se valorise en trichant ou en restant à la maison à [ne] rien faire ». </p>
<p>Il faut également « sortir de la dualité “capable/incapable” » pour donner accès aux régimes d’assistance sociale. L’incapacité doit être perçue comme un spectre et non comme une liste de cases à cocher dans un formulaire. Le handicap n’est « pas uniquement à propos de la condition médicale, mais aussi à propos de l’environnement et des aspects psychosociaux de la personne ». </p>
<h2>Un programme spécifique pour les personnes en situation de handicap ?</h2>
<p>Questionnés sur l’idée de créer un programme spécifique aux personnes en situation de handicap, <a href="https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/nouvelles/2023/06/le-projet-de-loi-historique-sur-la-prestation-canadienne-pour-les-personnes-handicapees-recoit-la-sanction-royale.html">comme celui récemment créé par le gouvernement fédéral</a>, les répondants ont affirmé qu’il s’agissait d’une idée intéressante, mais qu’il serait difficile de « tracer une ligne dans le sable » pour savoir qui y aurait accès ou non. </p>
<p>Cet enjeu, qui n’a pas encore été réglé par le gouvernement fédéral, est d’autant plus important puisque « le plus de gens il y a [dans les programmes], le plus cela coûte au gouvernement […] et vous pouvez entendre d’ici le bruit des calculatrices du ministère des Finances ». </p>
<p>Dans l’ensemble, les répondants ont souligné qu’une telle prestation pourrait « améliorer la santé mentale des prestataires » et « réduire l’anxiété des parents face au futur ». Elle pourrait également aider à changer la façon dont les prestataires sont perçus : « juste ne plus être “assisté” serait moralement plus facile », et cela les ferait passer d’« abuseur » du système à « citoyens » à part entière.</p>
<p>La création d’une prestation spécifique pourrait notamment « avoir un impact sur ceux qui restent dans les autres programmes », créant « des bons pauvres et des mauvais pauvres ». Loin de se désolidariser des autres prestataires, les représentants des groupes de personnes en situation de handicap ont évoqué qu’il ne faudrait pas qu’une telle prestation vienne discriminer et stigmatiser indirectement d’autres prestataires. On peut par exemple penser à ceux à la « croisée des chemins en matière de diagnostic » ou qui auraient de la difficulté à obtenir un certificat médical. Il ne faudrait pas non plus que la prestation devienne « un parking à personnes handicapées » contribuant à les « stigmatiser encore plus ».</p>
<h2>Pour que magasiner dans une friperie devienne un choix</h2>
<p>Depuis les entrevues, les organisations provinciales de personnes en situation de handicap ont publié un <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/memoire-commun-elaboration-du-quatrieme-plan-daction-gouvernemental-en-matiere-de-lutte-contre-la-pauvrete-et-lexclusion-sociale/">mémoire commun contenant 65 recommandations couvrant un ensemble de sujets</a>. Outre les habituelles demandes liées au montant des prestations, ces organisations demandent un changement de culture au sein du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, afin de faire du droit à la protection sociale une réalité.</p>
<p>Quelles que soient les solutions retenues par le gouvernement du Québec, ces dernières devront clairement prendre en compte les problèmes identifiés et tenter de mettre un terme à la stigmatisation des personnes prestataires de tous les régimes d’assistance sociale. </p>
<p>Pour ce faire, le ministère devrait notamment miser sur un changement de culture en priorisant l’accompagnement des personnes, revoir les critères d’admissibilité aux différents programmes et augmenter les prestations, pour qu’« acheter ses vêtements dans une friperie devienne un choix, non une nécessité. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211968/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samuel Ragot est étudiant au doctorat en travail social à l'Université McGill et analyste sénior aux politiques publiques à la Société québécoise de la déficience intellectuelle. Toutes les entrevues ont été réalisées dans le cadre de la scolarité doctorale pour laquelle un certificat d'éthique a été émis. </span></em></p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. Et ils sont également punitifs et contraignants.Samuel Ragot, PhD student - étudiant au doctorat, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078492023-09-05T17:04:25Z2023-09-05T17:04:25ZCe que l’engouement pour le rugby dit de notre rapport à la violence<p>Ces derniers mois, la violence a envahi nos écrans. Violence lors des <a href="https://theconversation.com/la-repetition-et-la-rage-au-coeur-des-emeutes-francaises-208899">émeutes cet été</a>. Violence lors de certaines manifestations contre la réforme des retraites. Violence dans les heurts entre manifestants et policiers <a href="https://theconversation.com/sainte-soline-un-tournant-pour-les-mouvements-ecologistes-203304">à Sainte-Soline</a>. Règlements de compte à l’arme lourde sur fond de trafic de drogue à Marseille.</p>
<p>Au même moment, on observe un engouement populaire pour certains sports violents, comme le rugby. Le dernier Grand Chelem de l’équipe de France dans le Tournoi des six nations, en 2022, a ainsi réuni <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/6-nations/6-nations-record-d-audience-pour-france-2-avec-plus-de-34-millions-de-telespectateurs-99114986-a911-11ec-9ac1-ea170a3bd944">34,2 millions de téléspectateurs français</a>. La Coupe du monde de rugby, qui démarre le vendredi 8 septembre en France, promet de battre tous les records d’audience. Qu’est-ce que l’engouement populaire pour ce sport dit de notre rapport à la violence ?</p>
<p>Pour chaque match de rugby professionnel, <a href="https://theses.hal.science/tel-04162667">4 joueurs doivent sortir du terrain sur blessure, en moyenne</a>.</p>
<p>Sans compter les fréquentes sorties temporaires pour saignement ou suspicion de commotion cérébrale… Les atteintes neurologiques de rugbymen, désormais bien documentées, sont les conséquences de <a href="https://sportsmedicine-open.springeropen.com/articles/10.1186/s40798-021-00398-4">l’accumulation de ces chocs violents</a>. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10/le-7-9h30-l-interview-de-9h10-du-mardi-04-avril-2023-4164142">En 2018, une série noire au cours de laquelle 4 jeunes rugbymen français sont décédés</a> a d’ailleurs provoqué une prise de conscience du grand public et des instances du rugby.</p>
<h2>Violence et spectacle sportif</h2>
<p>Le degré de violence accepté dans les spectacles sportifs serait un reflet du niveau de violence d’une société donnée, <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1976_num_2_6_3481">selon l’analyse de Norbert Elias</a>. Le degré de violence des spectacles sportifs modernes est ainsi bien inférieur à celui offert par exemple dans les Jeux olympiques antiques : les lutteurs pratiquant le <a href="https://www.herodote.net/Lutte_pugilat_et_pancrace-synthese-321.php">pancrace</a> s’affrontaient alors dans des combats parfois terribles.</p>
<p>Selon Norbert Elias, le niveau d’acceptation des actes de violence dans les spectacles sportifs était alors plus élevé, car le niveau général de violence physique et d’insécurité était alors lui aussi bien supérieur à celui de notre société actuelle.</p>
<p>Pour autant, regarder un match de rugby, c’est bien sûr <a href="https://journals-sagepub-com.kedge.idm.oclc.org/doi/abs/10.1177/2051570719844683">être confronté à une part de violence</a> quelque peu primitive et sauvage entre individus.</p>
<p>Les chocs captent l’attention des spectateurs et spectatrices qui se projettent dans le combat se déroulant sous leurs yeux. Une identification aux individus vaillants et résistants à la douleur peut ainsi s’observer.</p>
<p>De plus, assister au spectacle de ces chocs permet aux (télé) spectateurs de s’immerger dans une réalité <a href="https://www.researchgate.net/publication/276283284_Marketplace_Mythology_and_Discourses_of_Power">débarrassée de bien des artifices de la vie sociale habituelle</a>.</p>
<p>On se focalise le temps du match sur certains éléments de la condition humaine : combattre pour la défense de son terrain, faire reculer ses rivaux, faire preuve de solidarité, se sacrifier individuellement pour une cause collective… </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542347/original/file-20230811-16711-7rs5mn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le flanker toulousain Thierry Dusautoir, au centre, face à Toulon, en septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pascal Pavani/AFP</span></span>
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</figure>
<p>Des joueurs comme <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/rugby/xv-de-france/gregory-alldritt-beaucoup-de-fierte-et-un-tres-grand-honneur-d-etre-le-capitaine-du-xv-de-france-20230818">Gregory Aldritt</a> ou avant lui, <a href="https://www.lemonde.fr/rugby/article/2017/04/19/rugby-fin-de-partie-pour-thierry-dusautoir_5113602_1616937.html">Thierry Dusautoir</a> et <a href="https://www.lerugbynistere.fr/news/rugby-video-jean-pierre-rives-raconte-la-plus-grande-lecon-sportive-de-sa-vie-3112221738.php">Jean-Pierre Rives</a> incarnent ces éléments aux yeux du grand public.</p>
<h2>Rugby et domestication de la violence</h2>
<p>Cette forme de bestialité est toutefois très encadrée par un ensemble de règles fort complexes et évolutives. Ce spectacle n’est que faiblement attractif pour un individu qui le regarderait sans avoir été initié par un parent, un éducateur, un ami ou un commentateur, capable de décoder les actions et de les interpréter.</p>
<p>Les spectateurs et spectatrices ne sont donc pas laissés seuls face à la violence brute. La conformité des gestes aux règles et à l’esprit du jeu <a href="https://journals-sagepub-com.kedge.idm.oclc.org/doi/abs/10.1177/2051570719844683">est sans cesse débattue entre eux</a>.</p>
<p>Les actions sont même abondamment commentées par les arbitres en direct, au fur et à mesure qu’ils rendent leurs décisions pendant les matchs. Devant sa télévision, tout un chacun peut d’ailleurs constater leur souci désormais constant de préserver la sécurité des joueurs. </p>
<p>Ainsi, les amateurs de ce sport évaluent et apprécient la capacité des joueurs à conjuguer cette part de sauvagerie à certains raffinements, comme la malice, la science du jeu, la connaissance des règles et une forme d’esthétique.</p>
<p>Les règles du jeu sont très évolutives : régulièrement, elles viennent notamment davantage encadrer la violence pour mieux assurer la sécurité des joueurs. Cependant, quelques codes et valeurs sont eux, immuables. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ju5gh6vRgcw&t=314s">Le respect accordé aux adversaires et à l’arbitre est par exemple sacralisé</a>.</p>
<p>Le spectacle du rugby s’inscrit ainsi dans une dialectique nature/culture, mêlant sauvagerie et raffinement, associant code d’honneur immuable et complexité de règles évolutives. Le spectacle des chocs et de la douleur des joueurs crée alors les conditions d’une réflexion et de discussions sur l’acceptabilité et les limites de la violence. On parle ainsi d’une <a href="https://alcor-institute.com/online-first-dubreuil-et-dion-2019-le-spectacle-de-la-douleur-dans-lexperience-une-etude-dans-les-stades-de-rugby/">domestication de celle-ci face au spectacle de la douleur</a>.</p>
<p><a href="https://purehost.bath.ac.uk/ws/portalfiles/portal/9884811/JCR_2013.pdf">Plutôt que d’évacuer les dimensions négatives de leur expérience</a>, les spectateurs cherchent à explorer l’ambivalence du jeu, nourri de violence brute et de sophistication. Par conséquent, la discussion entre individus au stade ou devant la télévision permet d’investir la dialectique nature/culture dans une perspective qui dépasse celle de l’enjeu d’un match.</p>
<h2>Projections symboliques</h2>
<p>Si le spectacle de la violence est apprécié, c’est aussi parce que la douleur consécutive aux chocs est associée <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/44/1/22/2970267?redirectedFrom=fulltext">à tout un contenu symbolique et moral</a>.</p>
<p>Déjà à l’époque baroque, des représentations de corps sanglants et souffrants <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_1771-1347_2013_num_77_1_3344_t17_0284_0000_3">étaient les sujets centraux de nombreuses disciplines</a> – théâtre, poésie, récits, sonnets, pamphlets politiques, ouvrages de théologie, biographies, hagiographies et spectacles.</p>
<p>Ces images et évocations apportaient une leçon de morale, un sujet de pensée ou un instrument de méditation. De la même façon, les exécutions publiques qui attiraient des foules hétérogènes, permettaient systématiquement aux autorités de <a href="https://read.dukeupress.edu/french-historical-studies/article-abstract/24/3/501/9373/Fe-te-Populaire-Ou-Ce-re-monial-D-etat-Le-Rituel?redirectedFrom=fulltext">délivrer un message politique, moral ou religieux</a>, et <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1983_num_38_4_410964">à la foule d’exprimer un avis</a>.</p>
<p>Les corps souffrants des joueurs de rugby forment également le réceptacle de projections symboliques. Ils aident à discuter du bien-fondé des normes : dans quelle mesure les règles du jeu et leur interprétation est compatible avec notre vision du bien et du mal.</p>
<h2>Sensibles à la violence interpersonnelle</h2>
<p>Depuis l’horreur de la seconde guerre mondiale, notons que la violence tend à faire l’objet d’une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_dechainement_du_monde-9782707198150">disqualification définitive</a>, morale et politique. Nous sommes devenus hyper sensibles à la violence interpersonnelle.</p>
<p>Pourtant, certains anthropologues estiment qu’elle est omniprésente et <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1740">inhérente aux sociétés humaines</a>. Elle est décrite dans beaucoup de récits que ce soit <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/essais-sur-la-violence/">à travers les mythes ou l’épopée</a>. Une dimension esthétique des combats, depuis des millénaires, <a href="https://www.fnac.com/a7472756/Vintage-International-An-Iliad-Alessandro-Baricco">a également été identifiée</a>. Pour René Girard comme pour Georges Bataille, la violence nous obnubile, occupe nos débats, tarabuste nos passions et nos raisons.</p>
<p>En conclusion, l’engouement pour le rugby témoigne à la fois de notre fascination pour la violence et de notre conscience qu’elle ne doit pas se déployer sans bornes ni garde-fous. Puisqu’il nous faut composer avec elle, le rugby offre précisément le spectacle d’une violence mise en examen. Les règles sans cesse actualisées empêchent que celle-ci n’atteigne une intensité incontrôlable. La violence y est confrontée à un raffinement de codes et constamment située au regard de valeurs morales fondamentales. Le rugby encourage donc réflexion et débats sur la violence.</p>
<p>Toutefois, demeurons vigilants. Certaines tentatives d’esthétisation et de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x88vluk">folklorisation</a> de la violence dans le rugby contribuent à la normaliser. Celle-ci n’est bien sûr jamais anodine, sa banalisation serait donc une erreur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Dubreuil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Coupe du monde de rugby 2023, qui a lieu en France, promet de battre des records d’audience. Qu’est-ce que l’engouement pour ce sport à la violence très encadrée dit de notre rapport à celle-ci ?Clément Dubreuil, Professeur et chercheur à KEDGE Business School, auteur d'une thèse sur la violence et le rugby, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094812023-08-23T20:20:25Z2023-08-23T20:20:25ZLe vox pop, une pratique plus complexe qu'on le croit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540523/original/file-20230801-15-5f1zo2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C997%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vox pop est une pratique complexe et digne d'intérêt : l'assemblage de quelques interventions individuelles suffit pour faire allusion au public dans les médias. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Omniprésents dans les médias, les vox pop font souvent l’objet de rires, de critiques ou d’indifférence dans le discours populaire. Cette pratique complexe en mal d’amour et de reconnaissance se targue pourtant de « nous » représenter à divers degrés en tant que public dans les médias. </p>
<p>Et s’il était temps de lui accorder davantage d’intérêt et de soin ?</p>
<p>Le vox pop ou micro-trottoir est <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8365690/vox-pop?utm_campaign=Redirection%20des%20anciens%20outils&utm_content=id_fiche%3D8365690&utm_source=GDT">généralement défini</a> comme un sondage d’opinion informel réalisé auprès de membres du public pour être diffusé dans les médias, principalement dans un contexte journalistique. </p>
<p>Ce format, qui est tenu pour acquis collectivement, fait parfois l’objet de critiques ou de parodies. </p>
<p>Ces dernières années, le populaire <em>Bye bye</em> de fin d’année québécois s’est par exemple moqué des <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/149516/bye-bye-a-w-bienveillance-internautes-parodie-controverse-michel-olivier-girard">publicités de hamburgers de A&W</a> sous forme de micro-trottoir (2019) et des capsules de l’humoriste Guy Nantel (2018). </p>
<p>Les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=13b1CNHjZcc">vox pop produits par Nantel</a> à partir de mauvaises réponses de ses interlocuteurs à des questions de connaissances générales ont d’ailleurs soulevé une rare <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/medium-large/segments/entrevue/25163/guyn-nantel-voxpop-375e-anniversaire-montreal">réflexion publique</a> sur cette pratique, certains qualifiant sa démarche de <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/499872/le-mepris">méprisante</a>. </p>
<p>C’est afin de creuser les dessous fascinants de cette pratique plus complexe qu’il n’y paraît que j’ai consacré une thèse doctorale en communication au vox pop.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86doxhkVB6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’humoriste Guy Nantel a inclus des extraits de ses discussions de consentement à la participation dans un vox pop publié sur YouTube en septembre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<h2>D’où viennent les vox pop ?</h2>
<p>Selon les dictionnaires, le vox pop tire son nom de l’expression latine <em>vox populi, vox Dei</em>, dont les <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/7794/vox-populi">premières traces</a> remontent au VIII<sup>e</sup> siècle. Cette formule, traduite par « la voix du peuple est la voix de Dieu », pourrait suggérer que cette prise de parole a une autonomie ou un pouvoir intrinsèque.</p>
<p>Les <a href="https://editions-metailie.com/livre/vox-populivox-dei/">études sur son usage</a> suggèrent que cette « voix » a plutôt été forgée sur mesure au fil des siècles afin de refléter les intérêts dominants du clergé, puis de la royauté. Il faudra attendre les grandes révolutions sociales du XVIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que la montée subséquente des concepts de « classe ouvrière » et « d’opinion publique » avant que ces prises de parole issues de la population soient valorisées.</p>
<p>Le développement des médias a joué un rôle important dans l’émergence du vox pop, en particulier <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016344379401600403">l’introduction vers 1860</a> d’une technique journalistique inédite : l’interview. En effet, il était jusque-là peu commun pour les journalistes de citer directement leurs sources. Cette technique a aussi favorisé la création d’enquêtes plus approfondies à travers la <a href="https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/cd1b746f-d4ad-4dde-a893-4021999d441a">mise en série d’interviews</a> d’abord avec des personnalités connues, puis des personnes « anonymes ». </p>
<p>Rappelant les vox pop actuels, on rassemblait dorénavant plusieurs interventions sur un thème d’actualité, par exemple la controverse suscitée par le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k529229p/f2.item.zoom">port du pantalon chez les femmes à bicyclette</a> dans un article du Gaulois de 1895 !</p>
<p>Le vox pop a également été influencé par la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674027428">montée du marketing et des sondages d’opinion</a> au XX<sup>e</sup> siècle qui tentaient de définir ce qu’on considérait désormais comme le public de masse. On entend en effet communément que le vox pop s’adresse à des gens supposément « ordinaires » et qu’il représente l’opinion de « monsieur et madame Tout-le-Monde ».</p>
<h2>Quelques exemples précurseurs dans les médias</h2>
<p>Même si les conditions médiatiques et sociales d’existence des vox pop étaient présentes près d’un siècle plus tôt en Europe et en Amérique du Nord, mes recherches m’ont principalement permis de retracer des exemples concrets de vox pop à partir de 1930. Réalisé à Paris en 1932, le reportage photographique <a href="https://collections.museeniepce.com/fr/app/collection/7/author/9437/view?idFilterThematic=0">« Mesdames, voulez-vous voter ? »</a> accompagne chaque cliché de courts témoignages de passantes dont certaines semblent peu convaincues de la nécessité de permettre le vote aux femmes. </p>
<p>De 1932 à 1948, c’est au tour de l’émission radiophonique américaine <a href="https://archives.lib.umd.edu/repositories/2/resources/606">Vox Pop</a> de profiter des récentes avancées technologiques pour sortir ses microphones filaires du studio vers la rue et sonder le public sur toutes sortes de sujets. Au fil des années, les créateurs de l’émission travailleront consciemment à <a href="https://www.routledge.com/Radio-Reader-Essays-in-the-Cultural-History-of-Radio/Hilmes-Loviglio/p/book/9780415928212?gclid=CjwKCAjwq4imBhBQEiwA9Nx1Bh3Ircd1VhNThKmIbzu2tYV_9SfmHXGzEcaRJkuDgFjmOsfK-5KaTxoCx0EQAvD_BwE">représenter le public américain de façon exemplaire</a> et idéalisée à la radio, y compris lorsqu’il sera appelé à se mobiliser pendant la Deuxième Guerre mondiale. </p>
<h2>Un tour de force de représentation</h2>
<p>D’hier à aujourd’hui, l’une des particularités du vox pop est de faire appel à un échantillon limité de personnes triées sur le volet et d’amplifier leurs propos pour les amener à représenter plus largement le « grand public ». </p>
<p>Le linguiste américain <a href="https://www.cambridge.org/core/books/matters-of-opinion/D9DB315616B798ADCEC44621DEFDAB04">Greg Myers</a> écrira, dans son ouvrage <em>Matters of Opinion</em>, que pour le vox pop, </p>
<blockquote>
<p>La règle semble être qu’une seule personne ne peut pas parler au nom du « public », mais que n’importe quelle combinaison de trois personnes peut le faire. (traduction libre)</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux sondages d’opinion réalisés par des firmes professionnelles, la représentation qui est évoquée ici n’a rien de statistique. Cette citation résume cependant bien le pouvoir sous-estimé du vox pop et de ses créateurs et créatrices à générer des images plus ou moins déformées de certaines portions du public à destination d’auditoires médiatiques variés.</p>
<h2>Une pratique complexe et ses enjeux</h2>
<p>De ses origines à sa documentation, le vox pop est souvent associé à la pratique du journalisme. Ce format flexible qui permet de prendre le pouls de la population rapidement est fréquemment inséré dans les reportages. </p>
<p>Son utilisation est cependant plus problématique qu’il n’y paraît. </p>
<p>Les quelques études réalisées sur le vox pop journalistique nous apprennent qu’il est <a href="https://doi.org/10.1515/commun-2017-0040">malaimé des journalistes</a>, le plus souvent <a href="https://doi.org/10.1080/1461670X.2016.1187576">conçu de façon biaisée</a> et utilisé pour <a href="https://doi.org/10.1177/0267323118793779">soutenir le narratif du reportage</a> plutôt que l’expression autonome des opinions du public.</p>
<p>Le vox pop peut également être utilisé pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Cet usage est particulièrement présent sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Avec <a href="https://www.tiktok.com/tag/microtrottoir">7 milliards de vues associées au mot-clic #microtrottoir</a> à ce jour, les vox pop sont par omniprésents sur le réseau social TikTok du <a href="https://www.tiktok.com/@netflixfr/video/7099814861667896581?q=%40daetienne%20%23Netflix&t=1690489693841">jeu-questionnaire commandité</a> jusqu’à la <a href="https://www.tiktok.com/@jeremydruaux/video/7075397062832999686?is_copy_url=1">drague auprès de jeunes femmes</a> parfois en état d’ébriété.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Popularité du mot-clic #microtrottoir sur TikTok" src="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">On dénombrait 7 milliards de visionnements associés au mot-clic #microtrottoir sur le réseau social TikTok en juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TikTok</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La complexité du vox pop est manifeste lorsqu’on le considère comme <a href="https://voxpop.media/">pratique à part entière</a> portée par des créateurs et créatrices médiatiques d’horizons variés, allant de journalistes régis par un code de déontologie à des influenceurs sociaux peu encadrés. </p>
<p>Parmi les enjeux rencontrés sur le terrain, on dénote, sans pouvoir tous les nommer, le consentement de participation parfois absent, la déformation potentielle des propos, l’impossibilité de faire retirer des contenus problématiques ou encore leur risque de devenir viral. Sans suggérer que la participation à un vox pop se doit nécessairement d’être rémunérée, certains questionnements peuvent également être soulevés lorsque des contenus produits à partir de contributions d’inconnus sont monétisés.</p>
<p>La collaboration à des vox pop peut être une source de fierté, mais aussi potentiellement dommageable. Leur écho est aussi social puisque leur accumulation influence positivement ou négativement notre perception collective. À l’image de la maxime <em>vox populi, vox Dei</em>, les créateurs et créatrices médiatiques ont en effet un pouvoir énorme sur les propos et gestes qu’ils décident de mettre en scène, de récolter et de faire circuler dans l’espace médiatique.</p>
<h2>Pour des vox pop responsables</h2>
<p>À mon sens, il importe de valoriser une <a href="https://voxpop.media/hero">approche où la responsabilité collective des vox pop serait davantage partagée</a>. </p>
<p>Les créateurs et créatrices médiatiques sont d’abord invités à concevoir et réaliser leurs vox pop dans le respect des contributeurs à toutes les étapes et à faire preuve de plus de transparence sur leur démarche. </p>
<p>Les participants et participantes ont également un rôle clé à jouer : contribuer de façon assumée et mesurée aux vox pop ou exprimer leur refus si la démarche présentée ne leur convient pas. </p>
<p>Finalement, il incombe aux membres de l’auditoire de soulever des interrogations devant les contenus potentiellement problématiques et de donner de l’amour à ceux qu’ils jugent réalisés avec respect, quel que soit leur propos… </p>
<p>Oui, de l’amour, le vox pop en a bien besoin et il s’enrichit en sa présence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209481/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cynthia Noury a reçu des financements des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Réseau international de recherche-création Hexagram.</span></em></p>Les vox pop sont omniprésents dans les médias. Ils sont cependant méconnus et souvent malaimés du public et médias.Cynthia Noury, Docteure en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101422023-08-17T20:51:48Z2023-08-17T20:51:48ZLes maladies à tiques, objets de polémiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541489/original/file-20230807-17-sgr98a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=73%2C36%2C1769%2C800&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tique Ixodes ricinus mâle trouvé dans la Forêt domaniale de Flines-lès-Mortagne (Nord de la France, près de la frontière belge), juillet 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2f/Tique_Ixodes_ricinus_m%C3%A2le_For%C3%AAt_de_Flines-l%C3%A8s-Mortagne_2015B_07.JPG/2048px-Tique_Ixodes_ricinus_m%C3%A2le_For%C3%AAt_de_Flines-l%C3%A8s-Mortagne_2015B_07.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Notre rapport à la nature est-il complètement fantasmé ? Dans un <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/des-tiques-et-des-hommes-chronique-dune-nature-habitable/">ouvrage récent</a>, Philippe Hamman et Aude Dziebowski interrogent la façon dont l’humain participe pleinement au monde animal et végétal. Ils reviennent ainsi sur la mise en avant des tiques dans l’espace public et médiatique. Sous l’angle de la territorialisation des savoirs, des perceptions et des pratiques, examinée à la faveur d’un terrain rural dans l’Argonne, ils ont notamment enquêté auprès de quatre groupes sociaux : les chasseurs, les forestiers, les agriculteurs et les associatifs nature et de loisirs. Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
<hr>
<p>On peut aujourd’hui considérer que la question des maladies à tiques fait l’objet d’une couverture médiatique à la télévision, à la radio et dans la presse, et l’on sait l’importance des médias comme intermédiaires pouvant fonctionner comme</p>
<p>un amplificateur ou un filtre (« The medium is the message », selon la formule de</p>
<p>Marshall McLuhan, 1964). Le sujet réapparaît régulièrment en fonction d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/jardin/jardin-atten-tion-aux-tiques-20220623">actualité saisonnière</a> – par exemple, et sans valeur exhaustive, à l’été 2022, des articles de <a href="https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-sante-du-quotidien/2510442-piqure-tique-france-photo-que-faire-reconnaitre-evolution">vulgarisation</a> et de <a href="https://www.santemagazine.fr/sante/maladies/maladies-infectieuses/maladie-de-lyme/morsure-de-tique-les-bons-reflexes-170868">prévention</a> y ont été</p>
<p>consacrés quasi-simultanément – et en relation avec des épisodes de mobilisation de collectifs de personnes touchées par la borréliose ou maladie de Lyme (infection qui peut avoir des conséquences neurologiques, articulaires ou cardiologiques…), ou encore de dissensus sur le diagnostic, <a href="https://theconversation.com/maladie-de-lyme-attention-au-sur-diagnostic-117037">source d’anxiétés et de désaccords</a>.</p>
<p>Dans le cadre d’une thèse d’exercice de médecine, une étude bibliométrique conduite de 2006 à 2017 à partir de différents médias français et avec un focus sur l’Alsace atteste également la visibilité attribuée à la maladie de Lyme et ses conséquences sanitaires et sociales, avec un nombre croissant <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj2u_fpobGAAxXxYKQEHVYFCycQFnoECBEQAQ&url=https%3A%2F%2Fpublication-theses.unistra.fr%2Fpublic%2Ftheses_exercice%2FMED%2F2019%2F2019_OHRESSER_Suzy.pdf&usg=AOvVaw3UNMGVd3KBRr-SEUMtb3TL&opi=89978449">d’articles et de mentions</a>). Les polémiques se concentrent, depuis les années 2000, sur des formes dites de « Lyme chronique » et des situations d’« errance médicale » de <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj2u_fpobGAAxXxYKQEHVYFCycQFnoECBEQAQ&url=https%3A%2F%2Fpublication-theses.unistra.fr%2Fpublic%2Ftheses_exercice%2FMED%2F2019%2F2019_OHRESSER_Suzy.pdf&usg=AOvVaw3UNMGVd3KBRr-SEUMtb3TL&opi=89978449">patients en souffrance</a>).</p>
<p>Si « la multiplication des témoignages suggère un phénomène répandu », le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/maladie_lyme">rapport</a> de la Mission d’information de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale publié en juillet 2021 note « l’absence totale d’études permettant de préciser cette intuition » et « le développement d’une offre de soins parallèle non régulée ».</p>
<p>Parmi ses conclusions, la Mission énonce :</p>
<blockquote>
<p>« Pour dépassionner les enjeux autour de la maladie de Lyme et des patients en errance se réclamant de cette maladie, un effort considérable d’information, de pédagogie et de communication doit être accompli » (<em>ibid.</em>, p. 65).</p>
</blockquote>
<p>Ceci vise la prise en charge médicale et intègre aussi plus largement, en amont des pathologies déclarées, « les mesures de lutte contre les tiques dans une démarche <em>One Health</em> – Une seule santé », selon les termes du premier <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_lyme_180117.pdf">Plan natio- nal de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques</a>, lancé en 2016. Ce dernier précise :</p>
<blockquote>
<p>« La connaissance de l’aire de distribution des vecteurs [ici les tiques susceptibles de transmettre la borréliose], de la prévalence des pathogènes dans les populations de vecteurs ainsi que les principaux facteurs permettant de prédire la densité de tiques sont des éléments indispensables à l’évaluation du risque ».</p>
</blockquote>
<h2>Des médias aux comportements</h2>
<p>Une telle recommandation conduit à réfléchir à la question suivante : la construction médiatique plus visible d’un problème public vient-elle pour autant percoler au niveau des représentations, sinon des pratiques des acteurs en situation d’être confrontés aux tiques ?</p>
<p>Cette interrogation renvoie aux perceptions plus ou moins constituées des tiques et des maladies liées, en matière de savoirs – scientifiques ou vernaculaires – et d’usages – plus ou moins territorialisés –, c’est-à-dire : une perception avérée ou non d’évolutions croissantes du phénomène et des risques associés ; des mesures de précaution adoptées ou pas en regard d’activités professionnelles (forestiers…) ou de loisirs (promeneurs…) dans des espaces de contacts avec les tiques, à commencer par les forêts ou les hautes herbes, etc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540991/original/file-20230803-27-chf689.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un cerf braconné, sur lequel les points noirs visibles illustrent la présence commune de tiques sur le grand gibier en Argonne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romuald Weiss, technicien forestier territorial ONF, clichés transmis lors d’un déplacement de terrain en mai 2022</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur ce plan, la littérature ne dégage pas de corrélation systématique entre des perceptions graduelles d’un risque et des précautions renforcées en conséquence. Il n’est pas rare que les études concluent plutôt à un faible niveau d’adoption de comportements de prévention y compris dans les régions où le risque mesuré de la maladie de Lyme apparaît élevé, ainsi qu’il a été <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35459149/">pointé au Canada</a>.</p>
<p>Il ne faut en effet pas oublier, du point de vue des sciences sociales, que « les perceptions profanes […] sont socialement différenciées, sujettes au “biais d’optimisme” et influencées par les récits personnels », comme le rappellent certains auteurs au sujet de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30972804/">l’hésitation vaccinale</a>.</p>
<p>Une autre étude, conduite aux États-Unis dans le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35255349/">Michigan, le Minnesota et le Wisconsin</a>, où l’enjeu des maladies à tiques est saillant, a souligné l’écart entre une sensibilité générale déclarée très élevée à ces maladies (pas moins de 98 % de l’échantillon) <em>versus</em> une perception de menace directe dans l’environnement de proximité bien moindre (25 %).</p>
<p>Le paradoxe n’est qu’apparent : les auteurs soulignent que l’adoption de mesures de prévention et le contrôle régulier des tiques au sortir d’une activité sont reliés à une perception immédiate du risque autour du domicile, au diagnostic avéré d’un proche ou encore au sentiment de prévalence de la maladie parmi la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35255349/">communauté des contacts de la personne</a>.</p>
<p>En France, un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/lymefin/l15b3937_rapport-information">Rapport d’information</a> de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale relatif au financement et à l’efficacité de la lutte contre la maladie de Lyme a fait un état des lieux de la mise en œuvre du Plan national Lyme de 2016.</p>
<p>La rapporteuse <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_lyme_180117.pdf">se veut nuancée</a> pour ce qui a trait aux actions de sensibilisation. Elle évoque les avancées en matière de sensibilisation du grand public » et « les progrès en matière de sensibilisation des professionnels », tout en ajoutant : « Si de réels progrès ont été accomplis en termes de connaissance générale et de prévention de la maladie, plusieurs points de vigilance demeurent ».</p>
<p>Du point de vue de la santé au travail, si l’on pense par exemple aux forestiers, la rapporteuse « note avec satisfaction que la Mutualité sociale agricole (MSA) et Office national des forêts (ONF) se sont saisis du sujet », mais relève que « les actions engagées par l’ONF [fourniture de tire-tiques, de pantalons de travail adaptés…] ne suffisent pas à limiter la progression du nombre de maladies professionnelles reconnues au titre de la maladie de Lyme au sein de cet établissement ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540989/original/file-20230803-15-angzd2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un technicien territorial de l’ONF en Argonne porte l’équipement caractéristique en forêt : un pantalon déperlant avec guêtres intégrées (tout en évoluant bras nus, au cœur du printemps).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aude Dziebowski/UMR SAGE</span></span>
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</figure>
<h2>Pas assez d’informations publiques</h2>
<p>On le comprend, ces constats d’ensemble gagnent à être confrontés au terrain. En matière d’intéressement du grand public, le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-vectorielle/borreliose-de-lyme/documents/article/connaissances-et-pratiques-de-prevention-contre-la-borreliose-de-lyme-et-les-piqures-de-tiques-en-france-metropolitaine-barometre-sante-2019-et-2016">Baromètre national santé 2019</a> (enquête par échantillonnage probabiliste conduite par téléphone auprès de personnes de 18 à 85 ans en France métropolitaine) fait état d’une progression des indicateurs de connaissance de la population française par rapport à la précédente enquête de 2016. La part de réponses positives à la question : « Avez-vous déjà entendu parler de la maladie de Lyme ? » a crû de 66 % à 79 %, et de 29 % à 41 % pour l’item : « Considérez-vous être bien informé sur la maladie de Lyme ? »</p>
<p>Cette dernière proportion, même accrue, traduit une limite dans les niveaux d’information, de connaissance ou d’intérêt réels. Cela a été souligné plus largement dans la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1877959X15300443?via%3Dihub">littérature</a>).</p>
<p>Plus encore, la perception d’une exposition à un risque demeure limitée <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-vectorielle/borreliose-de-lyme/documents/article/connaissances-et-pratiques-de-prevention-contre-la-borreliose-de-lyme-et-les-piqures-de-tiques-en-france-metropolitaine-barometre-sante-2019-et-2016">à 25 % des déclarants en 2019</a> (par rapport à 22 % en 2016). C’est pourquoi le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale de 2021 estime qu’« une part importante de la population demeure encore à informer » et que « l’amélioration de la prévention suppose également un effort dans la durée », regrettant par exemple « le nombre limité de panneaux implantés [à l’entrée des forêts domaniales] et leur défaut d’entretien ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540987/original/file-20230803-29-hh1z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En forêt domaniale de Signy-l’Abbaye, si certaines zones forestières voient leur accès déconseillé voire fermé au grand public en raison des scolytes, avec une signalétique ad hoc, il n’en va pas de même pour les tiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aude Dziebowski/UMR SAGE</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On retrouve ici les échelles d’application fines. C’est tout l’intérêt de lier perceptions des tiques, connaissances et pratiques sociales dans des territoires d’incidence notable, <a href="https://oscahr.unistra.fr/search?keywords=&type=All&sort_by=field_publication_date&theme=12233">à l’exemple du cadre rural et forestier de l’Argonne, dans la région Grand Est</a>, dans lequel nous avons enquêté afin d’aller plus en profondeur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une approche sociologique de la question des tiques à partir du terrain rural argonnais (Aude Dziebowski/Youtube, 2023).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La construction sociale de la maladie</h2>
<p>Il peut aussi y avoir le sentiment d’une certaine disjonction entre des connais-</p>
<p>sances biologiques et médicales issues de la recherche, et leur appropriation ou non par le public, y compris par les groupes sociaux les plus concernés. Les débats entre chercheurs, médecins et patients autour de la <a href="https://scholar.google.com/scholar?q=Aronowitz,%20R.%20A.,%201991,%20The%20Social%20Construction%20of%20a%20New%20Disease%20and%20Its%20Social%20Consequances,%20The%20Milbank%20Quarterly,%2069,%201,%20pp.%C2%A079-112.">« construction sociale »</a> de la maladie de Lyme renforcent ce phénomène.</p>
<p><a href="https://www.dukeupress.edu/divided-bodies">Abigail A. Dumes</a> a ainsi exploré, aux États-Unis, les conflits de revendication autour de formes de maladie de Lyme « chronique », et dégagé, sous le regard ethnographique, la notion de « corps divisés » : l’expérience du patient se retrouve en décalage avec la perception scientifique, médicale ou sociale, et aux prises avec des batailles de légitimités entre ces groupes pour imposer chacun leur vérité.</p>
<p>L’auto-ethnographie proposée par <a href="https://works.bepress.com/sonny-nordmarken/10/">Sonny Nordmarken</a> (2019) est une illustration parmi d’autres : à partir de sa propre expérience de la maladie de Lyme, il analyse comment, selon lui, les professionnels de santé reproduisent des formations culturellement dominantes et institutionnalisées, au détriment des corps qui ne correspondent pas aux catégories établies du savoir médical, et identifie ce qu’il nomme un « savoir incarné dissident » (<em>dissenting embodied knowledge</em>).</p>
<p>En France aussi, la borréliose est l’objet de <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjHxICso7GAAxWBTKQEHQQED50QFnoECBMQAQ&url=https%3A%2F%2Fpdfs.semanticscholar.org%2Fed1e%2F892702f11a033041db470992be65732240d2.pdf&usg=AOvVaw0iTphq4rUHuznXpPL9fdSb&opi=89978449">controverses</a> sur sa détection (tests diagnostiques) et sa prise en charge (efficacité/individualisation des traitements). « On a construit une maladie », <a href="https://www.dna.fr/sante/2018/10/03/on-a-construit-une-maladie">déclare par exemple un infectiologue à la presse en 2018</a>, alors que le syndrome « chronique » après une piqûre de tique est désormais évoqué dans les recommandations de la Haute autorité de santé.</p>
<p>Ces différends publicisés sont clairement retracés dans le Rapport d’information de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale publié le 7 juillet 2021. La Commission des finances de l’Assemblée nationale évaluant le Plan national Lyme note pareillement le fait que « la confiance entre les institutions, les associations de patients et certains professionnels s’est profondément érodée ».</p>
<p>Il ne s’agit alors pas de simplement plaquer sur les représentations et les pratiques sociales diverses des uns et des autres (un chasseur, un forestier, un propriétaire foncier, un agriculteur, un randonneur, un promeneur en famille ou un touriste, sinon même un urbain dans son jardin…) les dissensions « conçues » d’experts ou « vécues » de <a href="http://dx.doi.org/10.30845/aijss.v8n3p1">malades</a>), tout en rappelant qu’en tant que telle, la mise en place d’un suivi épidémiologique exprime une hybridation entre science et connaissance pour l’action, expertise et décision, c’est-à-dire un certain brouillage des <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2006-4-page-71.htm">frontières de la connaissance</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jee-s2Qy84Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un point de vue d’acteur : David Pierrard, régisseur du domaine privé de Belval, en Argonne : Les maladies à tiques représentent-elles une préoccupation au quotidien ? (Aude Dziebowski/Youtube, 2023).</span></figcaption>
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<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=835&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=835&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=835&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1050&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1050&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539208/original/file-20230725-17-mqxwrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1050&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des tiques et des hommes, juin 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editionsbdl.com/produit/des-tiques-et-des-hommes-chronique-dune-nature-habitable/">Editions BDL</a></span>
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<p><em>Les auteurs ont publié en juin 2023 <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/des-tiques-et-des-hommes-chronique-dune-nature-habitable/">Des tiques et des hommes : chronique d’une nature habitable. Entre territorialisation, sanitarisation et responsabilisation</a>, aux éditions Bord de l’Eau</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Hamman a reçu un soutien financier de l’IdEx de l’Université de Strasbourg dans le cadre de son levier Université et Cité, pour la période du 01/09/2021 au 28/02/2023. Le projet IdEx « Impacts des modifications socio-écologiques sur les maladies à tiques et leurs représentations professionnelles et sociales » a ainsi bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir.
Il développe également ses recherches dans le cadre de la Chaire Jean Monnet « Governance of Integrated Urban Sustainability in Europe (GoInUSE) : Scales, Actors and Citizenship » (2020-2023), financée par la Commission européenne (Réf. : 619635-EPP-1-2020-1-FR-EPPJMO-CHAIR).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aude Dziebowski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Philippe Hamman et Aude Dziebowski reviennent sur la mise en avant des tiques dans l’espace public et médiatique, dans le cadre d’un ouvrage récemment paru.Philippe Hamman, Professeur de sociologie, Université de StrasbourgAude Dziebowski, Chercheuse, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102612023-07-24T18:35:54Z2023-07-24T18:35:54ZLe film « Barbie » est-il vraiment féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538830/original/file-20230723-201527-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=77%2C14%2C1783%2C933&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Barbie (Margot Robbie) dans le film _Barbie_, 2023. Réalisé par Greta Gerwig.</span> <span class="attribution"><span class="source">Warner Bros./Mattel</span></span></figcaption></figure><p>Depuis la révélation le 27 avril 2022 des <a href="https://twitter.com/wbpictures/status/1519098004992512002">premières images du film <em>Barbie</em></a>, réalisé par Greta Gerwig, <a href="https://twitter.com/wbpictures/status/1537102719525081089">et de celles qui ont été diffusées</a> jusqu’à sa sortie officielle, une vague de rose semble déferler sur les univers de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mode-23119">mode</a> et de la décoration : la tendance <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/tendance-mode-barbiecore-rose-megan-fox-mgk-kim-kardashian-margot-robbie">Barbiecore</a>. Une tendance qui devrait durer encore quelques mois si l’on en croit le succès du film, qui a généré <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/4046595-20230723-barbie-realise-meilleur-lancement-annee-2023-etats-unis">155 millions de dollars de recettes</a> durant le week-end de sa sortie aux États-Unis, réalisant ainsi le meilleur lancement de l’année 2023.</p>
<p>La poupée – qui n’est pourtant pas si jeune –, alimente de nouveau de vives passions et est <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/comment-la-poupee-barbie-s-est-jouee-des-stereotypes-sexistes-pour-devenir-un-symbole-feministe_5919542.html">érigée au rang d’icône féministe</a>. Retour sur son histoire et sur le succès du film – et attention : <em>spoilers</em> !</p>
<p>La première Barbie a été commercialisée par l’entreprise Mattel en 1959 : elle est la création de Ruth Handler, femme de l’un de ses fondateurs – dont l’histoire est rappelée dans le film. Ce que ne dit toutefois pas le long-métrage, c’est que <a href="https://journals.openedition.org/clio/446">Barbie a été conçue d’après Lilli</a>, un personnage de bédé du quotidien allemand <em>Bild Zeitung</em>, décliné en poupées de collection. Rapidement, Barbie a remporté un succès retentissant auprès des filles américaines, puis du monde entier – plus d’un milliard de poupées vendues à ce jour –, la physionomie adulte de la poupée rompant avec les traditionnels poupons jusque-là proposés aux enfants.</p>
<p>Barbie a dès le départ été critiquée pour son apparence, car elle incarne tous les stéréotypes de la beauté dite « occidentale » (peau claire, cheveux blonds…) et se distinguait au départ des autres poupées par ses mensurations hypertrophiées, notamment sa poitrine développée et sa taille trop fine.</p>
<p>Néanmoins, elle fut aussi rapidement présentée comme une « femme émancipée », propriétaire de sa propre « maison de rêve » et d’une voiture de luxe assortie à ses tenues (une Corvette Stingray 1956 rose dans le film), exerçant aussi bien des métiers considérés comme « féminins » – top-modèle, hôtesse de l’air, baby-sitter… –, que d’autres dits « masculins » – chirurgienne, conductrice de train, astronaute…</p>
<p>La réalisatrice Greta Gerwig et Mattel introduisent d’ailleurs le film en martelant l’argument-clef de la franchise : <em>Barbie can be anything !</em> Barbie réussit ainsi à concilier une apparence très féminine où le rose, <a href="https://theses.hal.science/tel-03579107">couleur du féminin par excellence</a>, est omniprésent, tout en offrant aux filles la possibilité de se projeter dans une diversité de professions qu’elles pourraient exercer une fois adultes.</p>
<p>Barbie est alors devenue un objet de débats sur la conception et la perception de la féminité, opposant les personnes qui l’estiment sexiste à celles qui la trouvent féministe. Cela ne l’a pas empêchée de devenir une icône populaire – au contraire – inspirant des maisons de couture (<a href="https://www.vogue.com/fashion-shows/spring-2015-ready-to-wear">Moschino</a>, <a href="https://fr.balmain.com/fr/experience/balmain-x-barbie">Balmain</a>…), ou des artistes, qui l’encensent (<a href="https://youtu.be/Xwnp20EMGVk">Arielle Dombasle</a>, <a href="https://drouot.com/fr/l/20676894-%E5%AE%89%E8%BF%AA%E6%B2%83%E9%9C%8D%E5%B0%941928-1987%E5%9C%A8%E8%8A%AD">Andy Warhol</a>…) ou la critiquent (<a href="https://www.luisacallegari.com/kinkbarbie">Luisa Callegari</a>, <a href="https://youtu.be/sOmR8ivXJ18">Lio</a>…).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Xwnp20EMGVk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Arielle Dombasle, « Barbiconic » (Nicolas Pradeau, 2022).</span></figcaption>
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<h2>Barbie, de Barbie Land au monde réel</h2>
<p>Dans le film de Gerwig, toutes les Barbie vivent libres et heureuses à Barbie Land, pays idyllique et rose, dans lequel elles occupent des postes importants (physiciennes, juges, présidentes…), tandis que les Ken passent leur temps à « plager » au bord de l’eau (c’est-à-dire à ne rien faire).</p>
<p>L’affiche du film met d’ailleurs en exergue l’opposition entre Barbie qui « peut tout faire » (<em>She’s everything</em>) et Ken qui se contente d’être lui-même, sans avoir d’activité particulière (<em>He’s just Ken</em>). <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-barbie-cette-allusion-sexuelle-sur-l-affiche-du-film-fait-jaser-les-francais">La version française ajoute une critique ironique du rôle d’homme-objet de Ken</a> en traduisant le slogan associé à Ken par « Lui, c’est juste Ken », un jeu de mot sur « Ken », qui est aussi le verlan de « niquer », nous menant à entendre « Lui sait juste ken ».</p>
<p>Si la Barbie héroïne (incarnée par Margot Robbie) est le cliché parfait de la poupée (d’ailleurs qualifiée de « Barbie stéréotypée »), les autres Barbie sont toutes différentes en termes de taille, de poids, de race ou de handicap, faisant écho aux poupées de la gamme <a href="http://barbiemedia.com/news/detail/140.html">« Barbie Fashionistas »</a>, commercialisée par Mattel en 2016.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ken (Ryan Gosling) et Barbie (Margot Robbie) dans <em>Barbie</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Warner Bros./Mattel</span></span>
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<p>Un jour, Barbie est assaillie de pensées mortifères et doit alors quitter sa vie parfaite à Barbie Land pour retrouver la fille qui joue avec elle dans le monde réel et qui semble souffrir. Sans cela, elle risquerait d’être malmenée et de finir en « Barbie Bizarre ».</p>
<p>Elle part seule dans sa voiture rose, mais Ken (Ryan Gosling) – dépeint comme stupide et ne pouvant vivre sans Barbie – s’incruste dans ce périple. Dans le monde réel, Barbie découvre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et la réification de son corps au travers du <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/male-gaze/">regard masculin</a>. Ken découvre de son côté un <a href="https://www.cairn.info/sexe-genre-et-sexualites--9782130827511-page-139.htm">patriarcat</a> qui le valorise en tant qu’homme, système qu’il décide d’instaurer à Barbie Land.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Barbie en route vers le monde réel dans Barbie. Warner Bros./Mattel. Capture d’écran de la bande annonce.</span>
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<p>Aidée par Gloria (America Ferrera), sa propriétaire retrouvée, Barbie doit donc désormais apprendre à « jouer de ses charmes » et exploiter la « faiblesse des hommes » pour reconquérir Barbie Land, ce qu’elle fait en se jouant de Ken et ses acolytes, puis décide de devenir humaine pour vivre dans le monde réel.</p>
<h2>Quand Barbie devient femme</h2>
<p>L’argument « féministe » du film repose sur l’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-25.html">empouvoirement</a> des Barbie, capables d’occuper n’importe quel poste sans renoncer à leur féminité, à la mode, au maquillage ou au rose, ce qui est déjà un <a href="https://dspace.wlu.edu/handle/11021/16290">argument employé pour promouvoir la poupée</a> et contrer les critiques qui verraient en Barbie un modèle stéréotypé de féminité et un idéal corporel fantaisiste, <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-03514-007">source de complexe pour les filles</a>.</p>
<p>Conciliant la féminité avec des compétences d’ordinaire associées au masculin, Barbie serait donc une alliée possible du féminisme. Toutefois, Mattel réaffirme aussi sans cesse la féminité de sa poupée, dont les <a href="https://www.researchgate.net/publication/263611015_Boys_Can_Be_Anything_Effect_of_Barbie_Play_on_Girls%E2%80%99_Career_Cognitions">instruments de travail ou les tenues sont presque toujours « féminisés »</a> – ce qui passe notamment par l’ajout de rose – lorsqu’elles occupent des postes scientifiques ou techniques.</p>
<p>Être féminine apparaît ainsi comme la « compétence » première de Barbie, ce qui amenuise celles véritablement nécessaires dans l’exercice de sa profession, tout en rendant plus exceptionnelle la présence de femmes dans certaines carrières.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Clinique vétérinaire de Barbie. Capture d’écran d’une publicité française.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.telerama.fr/debats-reportages/feminisme-washing-femvertising-quand-le-militantisme-devient-un-argument-de-vente-6857552.php">Mattel</a></span>
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<p>En soulignant ainsi la particularité féminine de Barbie, Mattel insiste <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2010-4-page-107.htm">sur son appartenance au groupe des « femmes »</a>, distinct de et opposé à celui des « hommes » que représente Ken. Dans le monde réel, ces deux catégories sociales entretiennent des rapports de genre hiérarchisés (les hommes sont supérieurs aux femmes), qui reposeraient prétendument sur des différences « naturelles » liées au sexe. Une telle justification ne devrait pas exister dans le monde de Barbie : les poupées étant dépourvues d’appareils génitaux – ce qui fait l’objet de plusieurs scènes comiques dans le film –, il est impossible de faire reposer l’opposition entre femmes et hommes sur la différence des sexes.</p>
<p>C’était sans compter sur la réalisatrice, qui conclut son œuvre par un rendez-vous gynécologique de Barbie, devenue humaine. Si l’effet comique est évident, cette scène finale vient naturaliser la féminité de Barbie et réduire les relations sociales entre les Barbie et les Ken, calquées sur celles entre femmes et hommes, à une spécificité biologique. Or, comme l’explique la sociologue féministe <a href="https://www.feministes-radicales.org/wp-content/uploads/2010/11/Colette-Guillaumin-Question-de-diff%C3%A9rence-1979.pdf">Colette Guillaumin</a>, les inégalités entre femmes et hommes ne sont pas déterminées par la biologie mais par les rapports sociaux subis ; elles sont donc un problème de société et de droits (lutte contre les VSS, égalité salariale…) indépendant du sexe.</p>
<h2>Barbie Power ( ?)</h2>
<p>Pour la sociologue anglaise, spécialiste des questions de genre <a href="https://www.springerprofessional.de/en/the-contradictions-of-successful-femininity-third-wave-feminism-/7219154">Shelley Budgeon</a>, considérer la féminité comme une source de pouvoir fait partie de la rhétorique post-féministe, sur laquelle s’appuie de toute évidence le film.</p>
<p>Phénomène médiatique et culturel plus que mouvement militant, le post-féminisme est incarné par la « troisième vague féministe » des années 1990, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2022-3-page-78.htm">prônant l’autonomie individuelle des femmes et la conciliation entre féminité et pouvoir</a>, qui se caractérise dans la culture populaire par <a href="https://books.openedition.org/pufr/9062?lang=fr">l’apparition de films et de séries télévisées mettant en scènes des femmes fortes et féminines</a> (<em>Buffy contre les vampire</em>, <em>Alias</em>…).</p>
<p>Mais si les Barbie sont puissantes, c’est que Barbie Land est un matriarcat qui n’a fait qu’inverser les rôles du patriarcat. Pourtant, <a href="https://queereducation.fr/monique-wittig-la-pensee-straight/">Monique Wittig</a> expliquait bien que de telles stratégies n’améliorent en rien la question des inégalités de rapports de genre : « seul le sexe de l’oppresseur change ». C’est pourquoi la penseuse féministe plaidait pour la construction d’un modèle social indépendant des normes de genre.</p>
<p>De plus, en exprimant leur puissance par la séduction des Ken qui veulent introduire le patriarcat à Barbie Land, les Barbie reconduisent <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2015-2-page-64.htm">l’hégémonie du couple hétérosexuel</a> comme unique modèle d’épanouissement pour les femmes.</p>
<p>Barbie doit ainsi « faire avec » le patriarcat, condamnée à son destin de femme : lorsqu’elle décide de devenir humaine, le fantôme de sa créatrice Ruth Handler (Rhea Perlman) lui fait entrevoir une vie faite d’enfants, de mariages et de femmes enceintes. Si Barbie peut être qui elle veut, ce n’est donc qu’à condition de remplir <em>ses</em> rôles de femme : employée modèle, mais aussi épouse, mère et maîtresse de maison.</p>
<h2>Rose comme… marketing</h2>
<p>Après une première partie truffée de références aux modèles de Barbie dénonçant les biais sexistes du jouet comme ceux produits par Mattel, la seconde se veut pédagogique. Barbie prend ainsi conscience des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, mais <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/feminisme-washing-lea-lejeune/9782021467208">l’ambition féministe ne va pas plus loin</a>.</p>
<p>Les Barbie parviennent en effet à sauver leur royaume non pas en combattant le patriarcat, mais en usant de la séduction, de l’empathie et de la résilience. L’héroïne en vient même à pardonner Ken son ambition de domination dont elle devrait porter la culpabilité, car elle ne lui aurait pas suffisamment prêté attention…</p>
<p>Ainsi, si Mattel – qui coproduit le film et dont on sent la grande participation à l’écriture du scénario – revient avec ironie sur ses échecs commerciaux, comme le couple <a href="https://www.womenshealthmag.com/life/a44611311/pregnant-barbie-midge/">Midge et Alan</a> – comparses de Barbie et Ken, dont la commercialisation en 2002 d’une version enceinte de Midge a fait scandale car vue comme la promotion de la grossesse adolescente – son organisation dirigée par des hommes, ou sur le consumérisme de Barbie, le film de Gerwig n’est ni plus ni moins qu’une opération marketing de grande ampleur.</p>
<p>Le film s’inscrit donc dans une campagne de <a href="https://theconversation.com/no-gender-body-positivisme-le-femvertising-bouscule-t-il-vraiment-les-codes-du-genre-156248"><em>femvertising</em></a>. Contraction des termes « feminism » et « advertising » (publicité), ce terme renvoie à la réappropriation de concepts (empouvoirement, diversité…) et de figures féministes pour améliorer une image de marque et/ou conquérir une nouvelle clientèle.</p>
<p>Face à la concurrence des poupées <a href="https://go.gale.com/ps/i.do?p=AONE&u=googlescholar&id=GALE%7CA190197239&v=2.1&it=r&sid=googleScholar&asid=2e1732b8">Bratz</a> et <a href="https://muse.jhu.edu/article/249761/pdf">American Girls</a> qui lui ont fait <a href="https://www.latimes.com/business/la-fi-mattel-slump-20180131-story.html">perdre de lourdes parts de marché</a>, Mattel tente de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2319714520914210">redorer l’image de Barbie en la rendant plus inclusive</a>, avec en 2016 la collection « Barbie Fashionistas », qui intègre depuis dans ses rangs un <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/products/barbie-barbie-et-son-fauteuil-roulant-grb93-fr-fr">modèle en fauteuil roulant</a>, un <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/products/poupee-barbie-fashionistas-187-protheses-auditives-hbv19-fr-fr">avec un appareil auditif</a> et, cette année, un <a href="https://corporate.mattel.com/news/barbie-introduces-its-first-doll-with-down-syndrome-further-increasing-representation-in-the-toy-aisle">porteur du syndrome de Down (ou trisomie 21)</a>.</p>
<p>Le <em>cast</em> et la bande-son du film intégrant de nombreuses icônes <a href="https://www.cairn.info/les-dessous-des-tendances--9782340066199-page-302.htm">pop-féministes</a> comme l’actrice franco-britannique(<a href="https://research.birmingham.ac.uk/en/publications/complex-female-characters-the-makings-of-maeve">Emma Mackey</a> vue dans la série <em>Sex Education</em>, la chanteuse-star <a href="http://repository.unj.ac.id/13143/1/COVER.pdf">Dua Lipa</a>, la rappeuse <a href="https://digitalcommons.calpoly.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1111&context=comssp">Nicki Minaj</a>…) s’inscrit alors dans le prolongement de cette stratégie marketing.</p>
<p>Greta Gerwig ayant signé des films ouvertement féministes comme <a href="https://youtu.be/cNi_HC839Wo"><em>Lady Bird</em></a> et <a href="https://youtu.be/AST2-4db4ic"><em>Little Women</em></a>, il semble néanmoins que la démarche féministe de la réalisatrice soit sincère, même si elle a certainement dû procéder à des arrangements trop nombreux pour convenir au cahier des charges de Mattel, vidant le film de son ambition politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les rappeuses Nicki Minaj et Ice Spice (avec Aqua) interprètent « Barbie World » (2023).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hannah Lux Davis/London Alley/WMG</span></span>
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<h2>Derrière les paillettes du « féminisme Barbie »</h2>
<p>Alors que la <a href="https://artreview.com/the-politics-of-barbiecore/">tendance Barbiecore est présentée comme « féministe »</a>, elle n’en a en réalité que le qualificatif, laissant miroiter aux femmes que porter des vêtements hyperféminins (jupes courtes, talons hauts…) ou <a href="https://www.konbini.com/lifestyle/tout-existe-en-barbie-meme-un-barbie-burger-chez-burger-king/">manger un hamburger rose en référence à Barbie, comme le propose une célèbre chaîne de fast-food</a> seraient une forme de revendication.</p>
<p>Redite plus <em>flashy</em> de la <a href="https://hal.science/hal-02188255v2">tendance <em>millennial pink</em></a> de 2016 – nommé d’après la génération de <em>millennials</em> (né·e·s entre les années 1980 et 2000) à laquelle elle s’adresse, et qui s’appuyait sur la même rhétorique post-féministe de féminité puissante –, elle consiste en réalité à reproduire des clichés sexistes et à réaffirmer une prétendue « différence sexuée » qui ne porte préjudice qu’aux femmes, en les invitant à porter des tenues contraignantes et à dépenser toujours plus d’argent dans des accessoires pour (ré)affirmer leur identité féminine.</p>
<p>Si le film <em>Barbie</em> se moque parfois de cette injonction consumériste à la féminité, il ne parvient que difficilement à en proposer une critique solide, et encourage même au contraire l’achat de nombreux produits dérivés issus du film, dont <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/collections/barbie-the-movie">plusieurs poupées à l’effigie des acteurs et actrices</a>, alors déshumanisés pour devenir à leur tour des hommes et des femmes-objets…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kévin Bideaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Barbie est-elle sexiste ou féministe ? Le débat est relancé par la sortie du film, précédée d’une redoutable campagne marketing. Retour sur l’imaginaire véhiculé par la célèbre poupée de Mattel.Kévin Bideaux, Chercheurɛ en arts et en études de genre, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2061792023-05-30T13:08:12Z2023-05-30T13:08:12ZCrise chez les jeunes filles – on doit prendre leur santé mentale au sérieux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528875/original/file-20230529-15-u5vra1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si l’on souhaite améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs dans le monde, il faut d’abord réfléchir aux raisons pour lesquelles on a tendance à rejeter et à invalider leurs préoccupations.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Un article paru dans le <em>Washington Post</em> a récemment fait état <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/17/teen-girls-mental-health-crisis/">d’une crise chez les jeunes filles aux États-Unis</a>. Dans ce pays, les filles connaissent des taux plus élevés que jamais auparavant d’agressions sexuelles, de problèmes de santé mentale et de suicides.</p>
<p>Des données recueillies en 2021 par les <a href="https://www.cdc.gov/healthyyouth/data/yrbs/pdf/YRBS_Data-Summary-Trends_Report2023_508.pdf">Centres for Disease Control</a> (CDC) montrent à quel point la situation des jeunes filles américaines est désolante. Quatorze pour cent des adolescentes aux États-Unis ont déclaré avoir été forcées à avoir des relations sexuelles, et 60 % avoir éprouvé des <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/13/teen-girls-violence-trauma-pandemic-cdc/">sentiments extrêmes de tristesse ou de désespoir</a>. Près d’un quart des filles ont envisagé et planifié un suicide.</p>
<p>Bien que ces résultats soient basés sur des données américaines, ils correspondent aux témoignages des jeunes filles canadiennes depuis une dizaine d’années. Ainsi, <a href="https://www.camh.ca/en/camh-news-and-stories/half-of-female-students-in-ontario-experience-psychological-distress-camh-study-shows">plus de la moitié des étudiantes de l’Ontario</a> ont dit souffrir d’une détresse psychologique modérée à grave. <a href="https://assaultcare.ca/services/sexual-assault-statistics/">Une fille sur quatre</a> a été victime d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans.</p>
<p>Le suicide est la <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/cv.action?pid=1310039401&request_locale=fr">quatrième cause de décès</a> chez les filles de moins de 14 ans, une statistique qui est relativement stable depuis 2016.</p>
<p>La réalité difficile des jeunes filles est généralement attribuée aux mêmes facteurs : <a href="https://www.girlguides.ca/WEB/GGC/Parents/Thought_Leadership/IDG_Nationwide_Survey/GGC/Media/Thought_Leadership/IDG_Nationwide_Survey.aspx">normes de beauté irréalistes</a>, <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/matins-sans-frontieres/segments/entrevue/371849/sante-mentale-instagram-enquete-wall-street-journal">pression des médias sociaux</a>, <a href="https://www.berghahnjournals.com/view/journals/girlhood-studies/14/1/ghs140104.xml">culture du viol</a> et, plus récemment, <a href="https://www.girlguides.ca/WEB/Documents/GGC/Girl_Research/Life_During_COVID19_Report.pdf">pandémie de Covid-19</a>.</p>
<p>Dans le cadre d’entretiens menés par le <em>Washington Post</em> avec des jeunes filles, celles-ci parlent également d’une autre cause, dont on a moins conscience : lorsqu’elles s’expriment, les jeunes filles ne sont pas écoutées ou prises au sérieux.</p>
<h2>Pourquoi n’écoute-t-on pas les filles ?</h2>
<p>Je suis une ancienne intervenante sociale communautaire et j’ai travaillé avec des jeunes filles âgées de 10 à 18 ans. Ma recherche doctorale actuelle porte sur les filles âgées de 8 à 12 ans qui commencent à militer, et j’y explore les moyens par lesquels nous pouvons mieux les écouter et les soutenir lorsqu’elles nous disent ce qu’elles veulent pour leur vie et leur monde. J’ai entendu d’innombrables récits de jeunes filles qui sentaient que des adultes ne les prenaient pas au sérieux.</p>
<p>Cette réaction était souvent directement liée au fait qu’elles étaient des filles et accompagnée d’affirmations selon lesquelles elles traversent simplement une phase, ne racontent pas exactement ce qui s’est passé ou dramatisent.</p>
<p>En d’autres termes, lorsque les filles nous disent ce qui se passe dans leur vie, nous avons tendance à ne pas les croire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Deux paires de mains enserrées" src="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles lorsqu’elles s’expriment, en raison de préjugés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Le fait de discréditer la parole d’un groupe entier en raison de préjugés liés à leur identité est ce que la philosophe Miranda Fricker appelle <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780198237907.001.0001">l’injustice épistémique</a>.</p>
<p>Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles en raison de préjugés sur elles et leur façon de vivre leur enfance, qui est perçue comme étant une période de frivolité, d’amusement et d’émotivité.</p>
<h2>Prendre les filles au sérieux</h2>
<p>Pendant longtemps, l’enfance des filles – plus particulièrement celle des filles <a href="https://nyupress.org/9780814787083/racial-innocence/">blanches, de classe moyenne et supérieure, non handicapées</a> – a été perçue comme une période d’innocence, de <a href="https://www.peterlang.com/document/1109532">frivolité</a> et d’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1469540518806954">amusement</a>.</p>
<p>La construction de l’identité des jeunes filles est liée aux attentes qu’on a à leur égard comme enfant et sujet genré. On attend des filles, en tant qu’enfants, qu’elles aient toujours les <a href="https://doi.org/10.1177/0907568218811484">yeux écarquillés d’émerveillement</a> devant le monde qui les entoure. En tant que sujets genrés, les filles sont en outre stéréotypées sur des aspects typiquement associés à la féminité, tels que l’<a href="http://dx.doi.org/10.1037/a0016821">émotivité</a>. <a href="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"></a></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme réconforte une jeune fille" src="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lorsque les filles nous racontent ce qui se passe dans leur vie, nous devons les écouter et les prendre au sérieux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Dans un monde qui <a href="https://online.ucpress.edu/collabra/article/5/1/54/113043/Rationality-is-Gendered">oppose rationalité et émotivité</a>, la première étant considérée comme plus crédible que la seconde, les filles sont discréditées en raison de la façon dont on les perçoit.</p>
<p>Lorsque des jeunes filles racontent ce qui se passe dans leur vie, notamment si elles ont été victimes d’une agression sexuelle ou si elles ont des pensées suicidaires, ces préjugés sont particulièrement dangereux.</p>
<p>Pour améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs, il faut d’abord réfléchir de manière critique à ce qui fait en sorte que l’on a tendance à ignorer et à invalider leurs préoccupations. Remettre en question nos préjugés sur la crédibilité des filles est une première étape essentielle de ce processus.</p>
<p>Pour ce qui est de la crise que vivent les jeunes filles, celles-ci nous indiquent clairement la voie à suivre. Dans mon travail communautaire, des filles m’ont dit se sentir davantage soutenues par les adultes lorsqu’elles <a href="https://www.womenscentrecalgary.org/wp-content/uploads/2020/03/Girls-Lead-YYC-1.pdf">étaient écoutées et qu’elles avaient le sentiment d’être entendues</a>. Dans l’article du <em>Washington Post</em>, les filles ont demandé aux adultes de <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/17/teen-girls-mental-health-crisis/">« cesser de percevoir leurs préoccupations comme de la dramatisation »</a>.</p>
<p>Les filles veulent – et ont besoin – d’être écoutées et prises au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206179/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexe Bernier est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour sa recherche doctorale.</span></em></p>La santé mentale des jeunes filles est précaire. Normes de beauté irréalistes et pression des médiaux sociaux sont en cause, mais aussi, le fait qu’elles ne sont écoutées ou prises au sérieux.Alexe Bernier, PhD Candidate, Department of Social Work, McMaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056382023-05-16T18:42:22Z2023-05-16T18:42:22ZMariage pour tous : Bègles, 2004, un moment de bascule<p>Le 17 mai 2023 marque la célébration des 10 ans de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027414540">loi dite du « mariage pour tous »</a>. Outre le droit de se marier, le texte a donné la possibilité juridique aux couples gays et lesbiens d’adopter des enfants et a permis aux familles <a href="https://theconversation.com/pma-et-homoparentalite-que-sait-on-vraiment-du-developpement-des-enfants-de-meres-lesbiennes-124397">homoparentales</a> d’être reconnues et protégées légalement. Bien qu’il ait laissé de côté certaines revendications concernant l’homoparentalité, il a constitué une étape majeure sur le chemin de l’égalité des droits des personnes LGBT, comme le <a href="https://www.cairn.info/au-dela-du-pacs--9782130519904.htm?ora.z_ref=cairnSearchAutocomplete">Pacs</a> en 1999.</p>
<p>Si le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault a été l’artisan institutionnel de cette réforme portée avec verve par la garde des Sceaux Christiane Taubira, la loi de 2013 est le résultat d’années de luttes qui se sont jouées sur différents terrains depuis les années 1990. Elles ont été menées, souvent à bas bruit, par une pluralité d’acteurs et d’actrices investis dans le combat pour l’égalité des <a href="https://theconversation.com/protection-des-droits-lgbt-dans-le-monde-quel-role-pour-les-multinationales-171649">droits LGBT</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5Z4We5N8z2M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Allocution de Christiane Taubira lors de l’adoption définitive du mariage pour tous à l’Assemblée nationale.</span></figcaption>
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<p>Parmi eux, des associations LGBT et de lutte contre le Sida, des figures engagées du monde intellectuel mais aussi des juristes, des avocates et avocats qui ont ferraillé en justice, des journalistes qui ont cherché à médiatiser cette cause et enfin, des militants et des personnalités politiques qui ont œuvré au sein des partis de gauche, embrassant ces revendications au fil des années et au gré d’événements.</p>
<p>Or, il en est un qui fut une bascule dans <a href="https://theses.hal.science/tel-03402012">l’histoire des luttes pour la conquête des droits conjugaux et parentaux des gays et des lesbiennes</a> : le « mariage de Bègles », une action proche de la désobéissance civile, organisée par un petit groupe réuni pour l’occasion en un collectif informel.</p>
<p>Premier mariage unissant deux hommes, il fut célébré par le député-maire Vert Noël Mamère en la mairie de Bègles (Gironde), près de dix avant que la loi ne légalise les unions de même sexe, et eut des effets importants sur la politisation des causes du mariage et de l’homoparentalité en France.</p>
<h2>Affirmation du principe d’égalité des droits</h2>
<p>À l’origine, une affaire d’<a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2004/02/03/sebastien-35-ans-brule-vif-parce-que-homosexuel_351546_3238.html">agression homophobe</a> qui aboutira finalement à un <a href="https://www.liberation.fr/societe/2006/09/26/non-lieu-dans-une-affaire-d-agression-homophobe-presumee_5143/">non-lieu</a>. Face à cet acte, associations et militantes et militants gays et lesbiens réclament au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin une loi contre l’homophobie.</p>
<p>Le philosophe Didier Eribon, auteur de <em>Réflexions sur la question gay</em>, et le juriste Daniel Borrillo, spécialiste des discriminations et des droits LGBT, veulent aller plus loin, convaincus depuis plusieurs années déjà qu’on ne pourra lutter efficacement contre les discriminations, l’homophobie et la transphobie tant que les gays, les lesbiennes et les trans n’auront pas les mêmes droits que les personnes hétérosexuelles.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/03/16/manifeste-pour-l-egalite-des-droits_356939_1819218.html">« Manifeste pour l’égalité des droits »</a> publié le 17 mars 2004 dans <em>Le Monde</em>, ils réclament, avec le soutien de personnalités issues des mondes intellectuel, artistique et politique, l’accès des couples homosexuels au mariage et à l’adoption, et celui des lesbiennes et des femmes célibataires à la procréation médicalement assistée.</p>
<p>Ils appellent les maires à célébrer des unions entre personnes du même sexe à la faveur d’une interprétation libérale du code civil, arguant que celui-ci ne définit pas le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme ; ils appellent aussi les parlementaires à changer la loi et les juges à interpréter l’interdiction du mariage homosexuel comme une violation du principe constitutionnel d’égalité des droits.</p>
<p>Parmi les signataires du manifeste, des maires, dont Noël Mamère, s’engagent à unir des couples homosexuels si on les sollicite. Le 31 mars, le premier édile de Bègles officialise sa position. Il déclare lors d’une conférence de presse, par l’intermédiaire des rédacteurs du manifeste, être prêt à célébrer des mariages « sans se soucier de savoir si la loi le lui permet […] puisqu’il s’agit pour lui de faire un geste politique d’affirmation du principe d’égalité des droits », comme le rapporte Didier Eribon dans son livre <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/sur-cet-instant-fragile-9782213622798"><em>Sur cet instant fragile</em></a>.</p>
<h2>« Stratégie de scandalisation »</h2>
<p>Pour les auteurs et signataires du texte, le manifeste n’est pas une fin en soi mais le préalable à une action politique soigneusement préparée et mise en œuvre par le groupe. Trois avocats connus pour leur engagement dans la défense des droits des personnes LGBT jouent notamment un rôle fondamental dans la préparation de la stratégie judiciaire de cette action : Caroline Mécary, Yann Pedler et Emmanuel Pierrat.</p>
<blockquote>
<p>« Le législateur n’était pas prêt à ouvrir le mariage aux couples homosexuels. […] Donc on décide de provoquer la réaction. […] Avec un paradoxe, c’est qu’on plaidait à la fois que le droit nous le permettait et on était aussi dans la logique de dire, soit le droit nous le permet et c’est formidable, soit il ne nous le permet pas et ce n’est pas très grave parce qu’on va secouer le cocotier suffisamment. » (Entretien avec Emmanuel Pierrat, 13 juin 2013)</p>
</blockquote>
<p>Cet appel du collectif à la transgression des normes juridiques et sociales relève, pour reprendre les termes du politiste Michel Offerlé, d’une <a href="https://www.lgdj.fr/sociologie-des-groupes-d-interet-9782707607850.html">« stratégie de scandalisation »</a>.</p>
<p>En cela, l’opération est réussie. Le mariage de Bègles, avant même qu’il ne soit célébré, crée un <em>scandale</em> jusqu’au plus haut niveau de l’État, amenant le président Jacques Chirac et son ministre de la Justice à <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/04/29/comme-le-gouvernement-jacques-chirac-invoque-la-loi-contre-le-mariage-homosexuel_363087_1819218.html">réagir</a>.</p>
<p>L’approche sociologique du scandale développée par <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2005-3-page-9.htm">Damien de Blic et Cyril Lemieux</a> permet d’expliquer en quoi cette union a été un moment de transformation sociale : pour eux, le scandale est une épreuve à travers laquelle est réévalué collectivement l’attachement à des normes. Avec l’affaire de Bègles, les positions et les représentations sociales autour du mariage et de l’homoparentalité se reconfigurent.</p>
<h2>Le mariage gay mis à l’agenda médiatique</h2>
<p>Avant cela, la cause du mariage n’avait qu’un très faible écho médiatique en France ; aucun travail spécifique n’avait été engagé par les associations LGBT sur ce thème et les partis politiques n’avaient pas intégré cette question à leur agenda. En quelques mois, l’affaire du mariage de Bègles va changer la donne.</p>
<p>La première transformation majeure concerne la <em>médiatisation de la revendication du mariage</em>. Celle-ci avait brièvement émergé à l’occasion des débats sur le Pacs, mais le sujet avait quasi disparu de l’agenda médiatique depuis le vote de la loi en 1999.</p>
<p>À l’inverse, la question de l’homoparentalité connaissait une montée en puissance grâce au travail de pédagogie et de visibilisation des familles homoparentales mené par l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), ainsi qu’à la faveur de mobilisations dans les arènes de justice dont <a href="https://www.lgdj.fr/l-amour-et-la-loi-9782362790607.html">Caroline Mécary</a> a été l’une des figures de proue.</p>
<p>Or, le mariage de Bègles <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2575081001016/mariage-homosexuel-a-begles">a fait surgir et s’installer durablement la revendication du mariage dans les médias</a>.</p>
<p>Le deuxième changement d’ampleur a trait à <em>l’agenda des associations LGBT</em>. Le mariage de Bègles va entraîner une adhésion plus claire et plus massive aux revendications liées au mariage et à l’homoparentalité et faire tomber les résistances internes au mouvement. À partir de 2004, l’accès aux droits conjugaux et familiaux deviennent les enjeux prioritaires de l’agenda LGBT, notamment en vue des élections présidentielles de 2007.</p>
<p>Plus spécifiquement, la cause du mariage devient tout autant le symbole de l’accès à « l’égalité des droits » que le moyen d’y parvenir.</p>
<p>Alors même que la cause homoparentale était essentiellement portée indépendamment du mariage, à partir de 2004, se produit une confluence des mobilisations en faveur de ce dernier et de l’homoparentalité. Celle-ci se matérialise à travers l’articulation entre <em>ouverture du mariage</em> et <em>ouverture de l’adoption</em> aux couples de même sexe posées de manière indissociable l’une de l’autre, la première emportant la seconde, tandis que les autres revendications (PMA, GPA, filiation) passent à un plan plus secondaire.</p>
<h2>Le PS emboîte le pas et dit oui au mariage gay</h2>
<p>Enfin, l’affaire de Bègles entraîne la mise à l’agenda politique simultanée des enjeux du mariage et de l’homoparentalité par un effet en chaîne. Au cours de cet épisode, Dominique Strauss-Kahn, alors député socialiste du Val-d’Oise et candidat à la primaire de son parti en vue de l’élection présidentielle de 2007, fait un coup politique : il prend publiquement position en faveur du mariage et de l’adoption dans <a href="https://www.liberation.fr/france/2004/05/11/pour-moi-l-adoption-par-un-couple-homo-c-est-oui_478997/"><em>Libération</em></a>.</p>
<p>Alors même que le Parti socialiste était encore très divisé au sujet de ces revendications, la déclaration de DSK entraîne un alignement de la direction du PS sur la sienne et contraint plus largement l’ensemble des formations politiques à se positionner sur ces questions. À partir de 2004, ces questions deviennent des enjeux de clivages entre partis, en particulier durant les campagnes présidentielles.</p>
<p>Quelques mois après la célébration du mariage de Bègles, celui-ci fut annulé. Noël Mamère fut condamné par la justice et suspendu de ses fonctions pendant un mois pour cet acte politique. Mais ses instigateurs et instigatrices pouvaient savourer leur victoire : leur action avait permis de faire entrer ces revendications dans le débat politique.</p>
<p>Aujourd’hui, presque 20 ans plus tard, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/23/quel-est-le-bilan-chiffre-du-mariage-pour-tous-dix-ans-apres_6170659_4355770.html">plus de 70 600 couples de personnes de même sexe sont mariés en France</a>, selon les données de l’Insee arrêtées fin 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Yvert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2004, le « mariage de Bègles », célébré illégalement, constitua un tournant dans les luttes pour les droits LGBT. Il a ouvert la voie au mariage pour tous, dont on fête aujourd’hui les dix ans.Emmanuelle Yvert, Chercheuse en science politique, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2042542023-04-21T14:04:56Z2023-04-21T14:04:56ZUn nouveau projet de troisième lien entre Lévis et Québec, mais toujours pas d’études<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522226/original/file-20230420-26-xg4ybr.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C4850%2C3528&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La ministre des Transports du Québec, Geneviève Guilbault, annonce que le gouvernement ne construira pas de troisième lien pour les voitures entre Lévis et Québec lors d'une conférence de presse, le 20 avril 2023 à Québec.</span> <span class="attribution"><span class="source">(La Presse Canadienne/Jacques Boissinot)</span></span></figcaption></figure><p>L’annonce de la CAQ, mercredi, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1973006/troisieme-lien-tunnel-quebec-levis-transport-collectif">à l’effet que le troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis sera consacré exclusivement au transport en commun</a> est certes positive, mais il reste de nombreux questionnements en suspens, notamment en lien avec la viabilité même du projet.</p>
<p>C’est un pas dans la bonne direction. Cela fait en effet des mois que nous attendons d’en savoir plus sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1918094/etudes-troisieme-lien-59-millions-opportunite-public-cache">études réalisées</a> dans le cadre de ce projet. <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-01-15/abandonnons-le-projet-du-troisieme-lien-quebec-levis.php">De nombreux experts s’y étaient ouvertement opposés</a>. Mais une fois ce recul annoncé, il faudra bien faire face aux enjeux actuels, notamment les changements d’habitudes liés au télétravail, et articuler des éléments de solution pour aborder la mobilité dans la région de Québec.</p>
<p>Étant moi-même impliquée dans ce débat d’actualité, et experte en grands projets d’infrastructure publique, je ne peux prétendre à la neutralité. Ce que je peux avancer par contre, en me basant sur les données scientifiques et les recherches sur ces questions, c’est qu’il serait impératif à ce stade que les citoyens et membres de la société civile puissent accéder aux analyses et hypothèses, suggérer des solutions, voire remettre en question les fondements mêmes de ce projet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/acceptabilite-sociale-il-faut-repenser-la-gouvernance-des-grands-projets-publics-183001">Acceptabilité sociale : il faut repenser la gouvernance des grands projets publics</a>
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<h2>Déterminer les meilleures solutions</h2>
<p>Il y a des infrastructures vieillissantes. C’est établi. Le pont de Québec a plus de 100 ans, et le pont Pierre-Laporte, plus de 50 ans. Quant au pont Champlain, récemment déconstruit à Montréal, il aura survécu moins de 60 ans, quoique le nouveau devrait en théorie tenir 125 ans. Il y a un <a href="https://tramwaydequebec.info">projet de tramway au centre-ville de Québec</a> qui avance tant bien que mal depuis quelques décennies, qui converge et diverge au gré des acteurs politiques et des coalitions d’acteurs en place. Et il y a une transition écologique, qui demande une modification en profondeur des façons de travailler, de se transporter et de consommer. </p>
<p>Est-ce que creuser un tunnel, entre les centres-villes de Québec et de Lévis, même si cela permet seulement le transport en commun, est réellement la meilleure solution ? Quelles sont les alternatives ? Pourrions-nous prendre part à cette réflexion, nous les citoyens, membres de la société civile, et les experts sur ces questions ? </p>
<p>Pourquoi le parti au pouvoir, la CAQ, qui a défendu le projet du troisième lien malgré tous les avis d’experts et de la science, propose-t-il maintenant une nouvelle solution, sans que plus d’études soient rendues publiques ? Celles-ci devraient inclure des projections d’achalandage ainsi que les coûts et les bénéfices que ce projet pourra engendrer. Il serait intéressant et important de considérer ces enjeux de façon proactive et concertée, plutôt que de réagir et de se repositionner au gré des vagues de l’opinion publique. </p>
<h2>Prendre en compte les nouvelles données</h2>
<p>Il faut désormais considérer <a href="https://theconversation.com/acceptabilite-sociale-il-faut-repenser-la-gouvernance-des-grands-projets-publics-183001">l’acceptabilité sociale</a> dans les grands projets publics. On l’a vu récemment dans le cadre du <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950451/rem-est-montreal-correspondances-train-leger">projet du REM de l’Est</a>. Les résidents vivant à proximité de l’infrastructure proposée en structure aérienne craignaient une perte de leur qualité de vie. Les acteurs clés de l’Est, les sociétés de transport et les municipalités impactées par le projet n’avaient pas été consultés, notamment sur l’arrimage entre le REM et les infrastructures existantes. </p>
<p>Le repositionnement du projet de troisième lien permet d’envisager une contribution importante du gouvernement fédéral. Ottawa inclut dans ses critères de financement les infrastructures de mobilité durable. </p>
<p>Cependant, au-delà de la solution envisagée, et mise de l’avant sans explications, il faut que le gouvernement caquiste prenne en compte les données sociales, environnementales et systémiques. Par exemple, il faut considérer les flux de transport de personnes, de matériel, mais également miser sur des incitatifs pour régulariser le trafic dans les heures de pointe, en considérant notamment ceux offerts aux fonctionnaires et aux personnes qui adoptent le transport en commun. Ces enjeux sont non seulement contemporains, ils sont extrêmement complexes et ne peuvent être appréhendés que par une seule perspective ou expertise.</p>
<h2>Il faut cesser de glorifier les grands projets</h2>
<p>Si on veut induire du changement, développer le réseau de transport en commun et limiter les coûts en lien avec les infrastructures publiques (autant pour les coûts de projets que de maintien des actifs sur leur durée de vie), on doit réfléchir à ces enjeux en commun, en amont, avec transparence et ouverture aux solutions alternatives, et ne pas improviser en cours de route. </p>
<p>Toute solution ne passe pas nécessairement par de nouvelles constructions. Nous devons être créatifs, et penser autrement, en nous guidant avec ce que la science, aussi interdisciplinaire soit-elle, a à offrir en termes de réponses.</p>
<p>Des grands projets publics, il faut en concevoir. Certains sont incontournables, d’autres sont vraiment intéressants en termes de bénéfices générés versus les coûts investis. Cependant, il faut arrêter de glorifier les grands projets et de vouloir en réaliser à tout prix, coûte que coûte. </p>
<p>La sobriété et la décroissance sont de plus en plus en vogue, et il serait intéressant d’entrevoir des solutions qui permettent de réellement diminuer notre empreinte et notre consommation énergétique. Par ailleurs, ceci n’est pas une vision seulement centrée sur Québec. Le mégachantier de refonte de l’autoroute métropolitaine à Montréal est actuellement en phase d’avant-projet, et <a href="https://www.alliium.com/">nous espérons que des idées audacieuses</a>, inspirées par la nature et rehaussant le bien-être des communautés, pourront influencer la conception et la revitalisation des infrastructures de mobilité urbaine d’aujourd’hui et de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204254/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maude Brunet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il faut arrêter de glorifier les grands projets et de vouloir en réaliser à tout prix, mais privilégier la sobriété et la décroissance, afin de diminuer notre consommation énergétique.Maude Brunet, professeure de gestion de projet, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2040802023-04-19T16:56:21Z2023-04-19T16:56:21ZPodcast « Objets cultes » : Le sac à dos<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521863/original/file-20230419-26-1yvs71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=168%2C33%2C4297%2C2957&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le sac à dos charrie un imaginaire positif : celui du voyage et de la découverte.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pexels</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/63ff129deef4080011120a9d/643e65bbd354bc001127952a" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? demandait le poète.</p>
<p>S’ils ont une âme, il s’agit bien de la nôtre. C’est ce que démontrait le sémiologue Roland Barthes dans ses <em>Mythologies</em>, publiées en 1957. L’intellectuel y étudiait en effet les objets et les rites populaires qui révèlent l’esprit d’une époque et les affects collectifs du pays, inventant ainsi une nouvelle manière de faire de la sociologie, accessible, impertinente et ludique. La DS, le steak-frites, les jouets en plastique… rien n’échappait à sa sagacité.</p>
<p>Aujourd’hui, ces objets ne sont plus les mêmes et la globalisation a grandement changé la donne. Mais l’exercice, lui, n’a pas pris une ride et c’est Pascal Lardellier, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne, auteur entre autres de <a href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/societing/ouvrage/236-nos-modes-nos-mythes-nos-rites.html"><em>Nos modes, nos mythes, nos rites</em></a> qui se penche sur nos objets cultes.</p>
<p>Symbole de l’aventure ou de la vie étudiante, le sac à dos n’en finit plus d’envahir les rues et de compléter le look des branchés urbains. Une obsession qui en dit long sur nos fantasmes et nos modes de vie. C’est l’objet qui retient notre attention aujourd’hui.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460246/original/file-20220428-15-gtbh03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Nos modes, nos mythes, nos rites</em>, éditions EMS (2013).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>Extraits</strong></p>
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<li><p>« Scaffold of Repeated Addition », One Man Book, 2022.</p></li>
<li><p>“The Raiders March” : John Williams / Walt Disney Music Company</p></li>
</ul>
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<p><em>Crédits : Conception et animation, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204080/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le sac à dos n’en finit plus d’envahir les rues et de compléter le look des branchés urbains.Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FrancePascal Lardellier, Professeur à l'Université de Bourgogne Franche-Comté, Chercheur au laboratoire CIMEOS, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2033732023-04-14T13:41:44Z2023-04-14T13:41:44ZBonobos et chimpanzés : ce que nos plus proches parents nous apprennent sur nous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520929/original/file-20230413-26-m49nr3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1060&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les recherche sur les chimpanzés et les bonobos nous aident à comprendre quelles sont les aspects humains qui sont naturels et non conditionnés par la société.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les êtres humains sont un mélange intéressant d’altruisme et de compétition. </p>
<p>Parfois, nous travaillons en collaboration, mais à d’autres moments, nous luttons entre nous pour arriver à nos fins. Pour tenter d’expliquer ces tendances contradictoires, les scientifiques ont observé des chimpanzés et des bonobos.</p>
<p>Parmi les grands singes, les chimpanzés et les bonobos sont les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959437X16301162">plus proches de nous sur le plan génétique</a>, puisque nous partageons avec eux environ 98,7 % de notre ADN. Nous possédons un ancêtre commun, ainsi que des <a href="https://sunypress.edu/Books/E/Evolution-of-Human-Behavior2">attributs anatomiques, des hiérarchies sociales complexes et des compétences en matière de résolution de problèmes semblables</a>.</p>
<p>Les bonobos sont peut-être l’un de nos plus proches cousins, mais les chimpanzés sont davantage étudiés depuis que <a href="https://www.nature.com/articles/2011264a0">Jane Goodall a constaté</a>, dans les années 1960, qu’ils fabriquent et utilisent des outils. Cette découverte a marqué le début de l’utilisation de la recherche sur les chimpanzés pour comprendre quels sont les aspects humains qui sont naturels et non conditionnés par la société. Diverses caractéristiques humaines, telles que l’<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF02382862">empathie</a>, l’<a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rsbl.2020.0370">esprit ludique</a> et le <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0010625">respect des aînés</a>, sont désormais considérées comme issues de notre ascendance commune avec les chimpanzés.</p>
<h2>Le chimpanzé agressif en nous</h2>
<p>Un aspect inquiétant attire aussi l’attention. Il arrive aux chimpanzés de péter les plombs et de s’attaquer dans le cadre d’agressions coordonnées. Dans son livre <a href="https://www.babelio.com/livres/Waal-La-Politique-du-chimpanze/437351">La politique du chimpanzé</a> (1982, pour l’édition originale en anglais), le Néerlandais Frans de Waal, spécialiste des primates, décrit de manière imagée comment Luit et Nikkie, deux jeunes chimpanzés mâles, se sont alliés pour supplanter Yeroen, le mâle alpha. Ils ont mordu et arraché les testicules de Yeroen, qui est mort au bout de son sang.</p>
<p>L’un des arguments avancés par les scientifiques est que les tendances belliqueuses sont ancrées en nous de la même manière qu’elles le sont chez les chimpanzés, ce qui remet en cause l’idée que les guerres <a href="https://www.scientificamerican.com/article/war-is-not-part-of-human-nature/">seraient un phénomène inventé par les humains</a>. Les chimpanzés peuvent également nous aider à comprendre les circonstances susceptibles d’engendrer une agression, notamment lorsqu’un des <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/abs/10.1098/rspb.2001.1926">groupes rivaux est en surnombre</a> ou lors de la <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1196/annals.1330.015">négociation des positions dans la hiérarchie</a>.</p>
<p>J. B. Mulcahy, co-directeur du Chimpanzee Sanctuary Northwest aux États-Unis, estime néanmoins que les agressions ne représentent <a href="https://chimpsnw.org/2023/02/conflict-and-reconciliation-2/">qu’une très petite part des activités quotidiennes</a> des chimpanzés. Il est possible que certains scientifiques aient trop mis l’accent sur ce trait de caractère. De plus en plus de recherches montrent que les chimpanzés peuvent faire preuve de <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1611826113">coopération</a>.</p>
<h2>Le doux bonobo</h2>
<p>Les bonobos, qui intéressaient peu les scientifiques autrefois, sont aujourd’hui considérés comme <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-017-00548-3">plus proches</a> des humains que les chimpanzés. Compte tenu de leur réputation d’animaux gentils, il s’agit d’une bonne nouvelle pour nous.</p>
<p>Contrairement aux groupes de chimpanzés dominés par les mâles, les bonobos vivent dans des communautés pacifiques dirigées par une femelle. D’ailleurs, les sociétés humaines <a href="https://networks.h-net.org/node/73374/announcements/7798769/warfare-and-peacemaking-among-matricultural-societies">sont souvent matriarcales</a> lorsqu’il y a peu de concurrence directe pour les ressources.</p>
<p>Dans les communautés de bonobos, les relations sexuelles jouent un rôle important dans le maintien des relations et la résolution des conflits. Ainsi, si la découverte de nourriture peut entraîner les chimpanzés dans une frénésie agressive, les bonobos adoptent plutôt une <a href="https://www.jstor.org/stable/24980375">approche harmonieuse</a> et se réunissent pour ce qui devient parfois un pique-nique polyamoureux. On les voit souvent s’adonner à des jeux sexuels et à du toilettage, ce qui peut rappeler l’amour libre dans la culture hippie. Bien que la femelle alpha soit généralement plus petite que les mâles, toutes les femelles se rassemblent autour d’elle pour chasser les mâles si ceux-ci deviennent agressifs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux chimpanzés bonobos s’étreignent dans la nature" src="https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les bonobos sont connus pour leur nature pacifique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/bonobo-chimpanzees-hugging-wilderness-democratic-republic-2158575391">Wirestock Creators/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les bonobos sont aussi enclins au partage. Des expériences menées en 2010 à Lola ya Bonobo, un sanctuaire pour bonobos en République démocratique du Congo, ont montré que lorsque des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982209022015">bonobos se trouvent dans des pièces adjacentes</a> et que l’un d’entre eux reçoit de la nourriture, celui-ci préfère partager sa nourriture plutôt que de manger seul. On les a également vus offrir de la nourriture à des individus <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29619667/">n’appartenant pas à leur groupe</a>, peut-être <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0051922">pour se faire de nouveaux amis</a>. Il leur arrive aussi d’aider d’autres bonobos à obtenir de la nourriture, même <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0051922">s’ils ne pourront en manger</a>.</p>
<p>Les bonobos pourraient avoir une meilleure intelligence sociale que les chimpanzés. Dans le cadre d’expériences où l’on présentait à divers animaux des <a href="https://www.amazon.com/Survival-Friendliest-Understanding-Rediscovering-Humanity/dp/0399590668">gobelets renversés</a> sous lesquels on avait caché une friandise, les chimpanzés choisissaient les gobelets au hasard, mais les bonobos (et les chiens) se tournaient vers la personne qui dirigeait l’expérience pour savoir lequel était le bon. <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00429-018-1751-9">Les bonobos ont également des circuits cérébraux</a> qui paraissent davantage orientés vers le partage, la tolérance, la négociation et la coopération que les chimpanzés.</p>
<h2>Les humains ont intégré les traits des deux espèces</h2>
<p>Où se situent alors les humains ? Il semble que nous ayons intégré les traits des deux espèces, ce qui crée une tension entre nos penchants vers l’agression et vers l’harmonie. Notre propension au conflit rappelle la compétitivité des chimpanzés. Pourtant, les bonobos nous enseignent que nous sommes enclins à l’altruisme et que la société peut être organisée de manière plus pacifique. </p>
<p>Cet altruisme est à la base de la coopération à grande échelle qui a permis à l’Homo sapiens de diffuser des idées, de former des nations, d’explorer l’univers et de survivre à d’autres humains primitifs tels que l’Homo erectus.</p>
<p>Et si la notion d’une société fondée sur l’amour libre peut paraître un conte de fées utopique, il semble que nous nous ouvrions à d’autres pratiques sexuelles, comme la <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.03033/full">non-monogamie consensuelle</a>, dans un monde de plus en plus désabusé par rapport aux notions traditionnelles de genre et de structures relationnelles. La flexibilité du comportement humain constitue après tout la base de notre remarquable capacité d’adaptation. Il ne faut donc pas hésiter à explorer de nouvelles possibilités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203373/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Yong ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il semble que les humains ont intégré les traits des chimpanzés et des bonobos, ce qui crée une tension entre nos penchants vers l’agression et vers l’harmonie.Jose Yong, Assistant professor of Psychology, Northumbria University, NewcastleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1991262023-02-13T20:37:09Z2023-02-13T20:37:09ZLe polyamour, entre « bricolage » au quotidien, communication et critique sociale du couple<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507899/original/file-20230202-7442-x2e5wd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C432%2C5155%2C2932&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les relations polyamoureuses se fondent sur une communication permanente entre les partenaires.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pixel-Shot</span></span></figcaption></figure><p>On souhaite peut-être qu’il en soit autrement, mais le sentiment de l’amour n’est pas universel ; il est tributaire des normes de la société dans laquelle nous vivons. Notre conception actuelle de l’amour est en partie <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/letrange-histoire-de-lamour-heureux-9782818500057">héritée du romantisme du XIXᵉ siècle</a>.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/couple-30520">couple</a> binôme tel qu’il est envisagé dans l’amour romantique se pense comme la rencontre entre deux individus, destinés à vivre ensemble. De cette idéologie, découle une vision de la relation amoureuse standard : un couple hétérosexuel liant deux personnes tombées amoureuses au premier regard, après s’être croisées dans la vraie vie et non sur une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34477">application de rencontre</a>. Celle-ci valorise un couple stable, cohabitant, <a href="https://theconversation.com/lideal-du-couple-parental-mis-a-mal-par-la-rupture-124563">qui souhaite avoir des enfants</a>, dont les partenaires sont engagés dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-3-page-59.htm">rapports à visée égalitaire</a> et pratiquent une <a href="http://www.epel-edition.com/publication/239/surveiller-et-jouir.html">sexualité dite conventionnelle</a>.</p>
<p>Dans la réalité, on sait pourtant que les usages <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2017510/COUFAM15e_D4_Parcours-conjugaux.pdf">s’écartent de ce modèle</a>.</p>
<p>Plus théoriquement, ensuite, les fondements idéologiques du couple binôme ont été questionnés, notamment par les utopistes et révolutionnaires, au nombre desquels on peut citer Charles Fourier (1772-1837) ou Alexandra Kollontaï (1872-1952) ainsi que, plus récemment, <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/9599">par les féministes des années 70</a>.</p>
<h2>Des relations émotionellement impliquantes</h2>
<p>Ce que l’on désigne aujourd’hui par polyamour constitue, pour ceux qui le pratiquent, l’une des alternatives possibles au modèle du couple. Cette alternative consiste à entretenir plusieurs relations amoureuses, émotionnellement impliquantes, sans dissimuler ses multiples liens à ses partenaires.</p>
<p>En ce sens, elle se distingue de la relation adultère (avec mensonge au partenaire « trompé »), des relations amicales et sexuelles sans mise en couple, des couples « ouverts » ou « libertins » (dans lesquels les relations extraconjugales sont plutôt envisagées comme des activités sexuelles, souvent dépourvues de sentiment amoureux).</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans le cadre d’une recherche sociologique menée sur cette forme de non-monogamie en France, j’ai suivi, de 2020 à 2022, une quinzaine de « cafés poly » se déroulant pour certains en présentiel à Paris et en région, pour d’autres en distanciel. Au sein de ces groupes de paroles mensuels, 15 à 30 personnes concernées se retrouvent pour échanger dans un cadre qui se veut bienveillant.</p>
<p>À ces observations participantes s’ajoute une analyse de contenus en ligne (essentiellement des blogs, des forums de discussion, des comptes Instagram, des témoignages audio ou vidéo) ainsi qu’une quinzaine d’entretiens, réalisés avec des personnes concernées, et au cours desquels nous avons échangé sur leur trajectoire affectivo-sexuelle.</p>
<h2>« Un truc qui nous ressemble vraiment »</h2>
<p>Le polyamour revêt de multiples formes. Il peut s’agir d’un couple « socle » sur lequel se greffent des relations périphériques, d’un « trouple » (un « couple » de trois personnes), de relations plurielles non hiérarchisées, cohabitantes ou non, etc. Les modalités du lien s’inventent en fonction des configurations.</p>
<p>Ainsi, à l’instar de toutes les pratiques affectives s’édifiant dans les marges, l’une des caractéristiques de ce type de relation réside dans la part de bricolage qu’elle suppose.</p>
<blockquote>
<p>« On a expérimenté, comme tous les gens, on est dans cette expérience » (Inès, 45 ans, une relation de couple stable, une relation amoureuse en construction, une relation amicale et sexuelle)</p>
</blockquote>
<p>Au-delà, les polyamoureux et polyamoureuses cherchent à donner à leurs relations des formes qui leur correspondent.</p>
<blockquote>
<p>« On construit un truc qui nous ressemble vraiment, là ouais, vraiment ! On fait quelque chose qui est à notre image et qui nous ressemble. » (Inès)</p>
</blockquote>
<h2>Distance critique et éthique</h2>
<p>L’un des plus célèbres guide pratique du polyamour s’intitule <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/aux-lecteurs-et-lectrices-emancipe-es/article/130521/l-ethique-des-amours-plurielles-de-dossie-easton-et-janet-w-ha"><em>La salope éthique</em></a>. Ceci paraît emblématique du fait que chez les personnes polyamoureuses, la distance critique et réflexive à l’égard de l’amour conjugal conventionnel implique un attachement de premier plan à l’éthique.</p>
<p>« Honnêteté », « bienveillance mutuelle », « intégrité » figurent, à cet égard, parmi les valeurs cardinales auxquelles Deborah Taj Anapol, psychologue clinicienne américaine, consacre plusieurs sections de <a href="https://archive.org/details/polyamorynewlove0000anap"><em>Polyamory. The New Love Without Limits</em></a>, son ouvrage précurseur.</p>
<p>Au cours de nos échanges, l’une des organisatrices d’un « café poly » en ligne explique, qu’à ses yeux, le polyamour,</p>
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<p>« c’est la possibilité de relations plurielles dans un cadre éthique. Ça […] veut dire grossièrement : je prends soin de moi, je prends soin de l’autre et je tiens compte de l’autre, de ses émotions et je prends soin de ma relation avec elle ou lui et des relations de manière générale. »</p>
</blockquote>
<p>Le souci porté à soi et à l’autre se retrouve aussi dans le fait que les partenaires cherchent à tisser des liens affectifs les reconnaissant comme des êtres multiples et désirants.</p>
<h2>Potentielles situations conflictuelles</h2>
<p>Ce type de relation délivre de la nécessité de combler la totalité des attentes de l’autre – ce qui prévaut dans un couple classique, configuration dans laquelle l’autre est à la fois partenaire économique, sexuel, ami, co-parent, etc. En cela, le polyamour s’éloigne de la vision romantique d’un alter ego.</p>
<blockquote>
<p>« J’adore Clara, elle est drôle et avec elle, j’aime plein de trucs, mais on peut pas aller au ciné ensemble. Elle parle tout le temps, elle mange, elle bouge. Elle n’est pas cinéphile du tout. »
(Matthieu, 44 ans, une relation régulière, des « plans d’un soir »)</p>
</blockquote>
<p>Comme dans n’importe quelle relation inter-indivuelle, mésententes et dissensions se manifestent parfois. Le fait même de multiplier le nombre de partenaires peut alors rendre les situations conflictuelles, ce dont ont témoigné certaines des personnes au cours de ma recherche.</p>
<p>Il n’est pas surprenant, dès lors, que le mot « communication » revienne si souvent concernant les manières de résoudre les conflits.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507905/original/file-20230202-2164-ussmzz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=605&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">GoodStudio</span></span>
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<p>« Ça va se faire dans l’échange et la communication. En écoutant l’autre, ses besoins et ses ressentis. En laissant de la place pour la parole. »
(Claire, 42 ans, en couple stable, des relations ponctuelles sur quelques mois)</p>
</blockquote>
<h2>Contribuer au mouvement de transformation de la société</h2>
<p>En cherchant à entretenir des relations riches, singulières et calquées sur leurs propres attentes, en plaçant les sentiments et les émotions au centre de leur vie, les polyamoureux et polyamoureuses souhaitent ainsi contribuer, à leur manière, au mouvement de transformation de la société.</p>
<p>À ce sujet, mon travail de terrain confirme les observations réalisées par d’autres universitaires à l’étranger (Suède, Angleterre, États-Unis).</p>
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<p>« Si ton modèle théorique il est complètement claqué, ta remise en question, c’est bullshit. Si c’est juste une question de communication non-violente, on va rapidement régler le problème (rires). Il faut tout prendre à bras le corps, ce sont des problèmes bien plus structurels. » (Clémence, 28 ans, en couple stable, une relation amoureuse, une relation amoureuse en construction)</p>
</blockquote>
<p>Comme le montre par exemple la sociologue américaine Elisabeth Sheff, le polyamour est rarement le « first step outside of the box » : il s’inscrit dans un style de vie <a href="https://rowman.com/ISBN/9781442253100/The-Polyamorists-Next-Door-Inside-Multiple-Partner-Relationships-and-Families">globalement critique à l’égard des oppressions et des privilèges</a> (blancs, masculins, hétéronormés, capitalistes, etc.).</p>
<p>Qui, dans notre société, peut s’autoriser à consacrer un temps significatif au sentiment amoureux ? Qui est en mesure, au quotidien, de mettre des mots sur ses émotions ? Qui peut entretenir plusieurs relations amoureuses aussi riches et denses que souhaitées ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507902/original/file-20230202-10513-iwyq0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des adeptes du polyamour défilent lors de la gaypride de Toronto (Canada), en juin 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shawn Goldberg</span></span>
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<p>Dans leur grande majorité, les personnes rencontrées au cours de ma recherche ont fait des études supérieures, sont férues de culture, participent à la vie associative, sont engagées politiquement (dans des syndicats, des collectifs féministes ou en faveur de l’écologie, etc.) et exercent des professions qui leur permettent de disposer de temps.</p>
<p>Le polyamour concernerait donc plutôt une population <a href="https://www.jstor.org/stable/24713313">politisée, éduquée</a>, et <a href="https://www.forewordreviews.com/reviews/loves-not-color-blind/">plutôt non racisée</a>.</p>
<h2>Un « travail acharné » pour toutes et tous ?</h2>
<p>Le « travail acharné » que nécessite le polyamour – pour reprendre le concept de « hard work » <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09589236.2022.2098094">que l’anthropologue Rahil Roodsaz a développé à l’issue d’un travail de recherche mené aux Pays-Bas</a> ne semble cependant pouvoir concerner qu’une minorité de personnes.</p>
<p>Il n’existe que très peu de données quantitatives sur le polyamour, néanmoins, Jennifer Rubbin et ses coauteurs estiment que seule 4 à 5 % de la population des États-Unis <a href="https://journal-fuer-psychologie.de/article/view/324/355">est concernée par la non-monogamie consensuelle</a>.</p>
<p>En France, où peu de recherches sont menées sur ce sujet, l’Étude des parcours individuels et conjugaux (Epic) menée par l’Ined et l’Insee en 2013-2014 indique que 71 % des 25-65 ans considèrent <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2019-1-page-173.htm">que l’on ne peut pas être amoureux de plusieurs personnes à la fois</a>. Le modèle du couple binôme a la vie dure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Tabois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux antipodes de la quête d’un unique alter ego, héritée de l’amour romantique, le polyamour revêt des formes multiples. Ses adeptes placent la communication au centre des relations.Stéphanie Tabois, Sociologue et anthropologue, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976402023-02-09T23:41:56Z2023-02-09T23:41:56ZSilence, déclassement et dépendance : la vie des personnes âgées vivant avec le VIH au Sénégal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506615/original/file-20230126-35203-3amwxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1288%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Réunion de personnes âgées organisée par le Conseil national des Aînés du Sénégal, sur le rôle des aidants dans la prise en charge des maladies chroniques à Dakar, 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">S. Sagne, CNAS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>En Afrique, grâce à l’efficacité des traitements antirétroviraux (ARV) qui ont été généralisés à partir des années 2000, de plus en plus de personnes vieillissent avec le VIH. On estime que le nombre de personnes vivant avec le VIH âgées de plus 50 ans devrait tripler d’ici 10 ans, et atteindre <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28831864/">6 à 10 millions en Afrique sub-saharienne</a>. Elles subissent les effets physiologiques universels du vieillissement, cumulés avec ceux des traitements médicamenteux et de l’infection virale sur le long terme. Vieillir avec le VIH en Afrique devient une expérience – somatique et sociale, individuelle et collective – de plus en plus fréquente.</p>
<p>Le Sénégal fut le <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers20-10/010064279.pdf">premier pays d’Afrique francophone</a> à avoir rendu disponibles les antirétroviraux (ARV), dès 1998. En 2022, les personnes âgées de plus de 50 ans vivant avec le VIH (PAVVIH) représentent plus du tiers des 31 637 personnes traitées. Certaines le sont depuis plus de 20 ans.</p>
<p>Comment ces personnes et leurs proches vivent-ils le vieillissement avec le VIH ? Comment la société gère-t-elle leur santé ? Une étude anthropologique <a href="https://crcf.sn/grand-age-et-vih-au-cameroun-et-au-senegal-anthropologie-du-vieillissement-et-de-la-maladie/">« Grand âge et VIH »</a> est actuellement en cours à Dakar et à Yaoundé (Cameroun) auprès de personnes âgées de plus de 70 ans, vivant avec de VIH, de leurs proches et des soignants pour analyser le vécu et les perceptions du vieillissement avec le VIH. Les premiers résultats de l’étude à Dakar sont ici présentés.</p>
<h2>Vivre avec le VIH dans la longue durée</h2>
<p>« On vit avec ça, cela ne nous pose plus de problème, on s’est habitué, on oublie presque que l’on est malade », déclare Aminata, âgée de 70 ans, qui reçoit un traitement antirétroviral depuis 21 ans (tous les prénoms sont fictifs).</p>
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<p>Dans les années 2000, la prise des traitements contre le VIH était très contraignante. Le nombre des comprimés était élevé – jusqu’à 20 comprimés par jour – et certains traitements avaient des effets secondaires éprouvants. Vingt ans après, ces traitements, rendus gratuits, ont été simplifiés et se résument souvent à la prise quotidienne d’un seul comprimé. Généralement dépistées alors qu’elles étaient dans un état grave, ces personnes ont retrouvé santé et vie « normale » ; certaines se qualifient de « survivantes ». Elles font preuve d’une très bonne adhésion aux soins et au traitement ARV.</p>
<p>Mais avec l’âge, elles sont confrontées à diverses pathologies liées au vieillissement qui surviennent plus précocement que chez les personnes non infectées par le VIH. Les plus fréquentes sont l’hypertension artérielle, le diabète et leurs complications (maladies cardiaques, oculaires, AVC, etc.) Ces maladies complexifient leur suivi médical et les contraignent à fréquenter diverses structures de santé, en plus de leur visite semestrielle pour le VIH. Certaines PAVVIH témoignent de difficultés à suivre les traitements pour ces autres maladies qu’elles jugent moins prioritaires, d’autant que les médicaments sont souvent coûteux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xjMvQjz7pM8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Secret, silence, partage</h2>
<p>Au moment du diagnostic, les personnes se sont parfois confiées à quelques proches : le conjoint, la personne qui les accompagnait aux consultations ou qui finançait les soins. Par la suite, rares sont celles qui l’ont révélé à d’autres personnes.</p>
<p>D’une manière générale, les personnes considèrent que « le VIH est une maladie qu’il ne faut pas divulguer », car « cette maladie n’est pas jolie ». La crainte d’un jugement moral sur les circonstances de la contamination demeure le principal motif du maintien du secret. En 2022, le VIH demeure une maladie stigmatisante.</p>
<p>Les femmes âgées vivant avec le VIH sont souvent veuves parce que leur conjoint est décédé du VIH et en raison de la différence d’âge liée au contexte de polygamie. Elles subissent une pression au remariage de la part de la famille et de la société, mais peu d’entre elles acceptent de se remarier, de crainte que leur nouveau conjoint divulgue leur maladie.</p>
<p>Les enfants des PAVVIH sont également peu informés, même si ce sont des adultes. « Je vis comme si je n’avais pas cette maladie, je la garde pour moi, même à mes enfants, je n’ai rien dit » témoigne Ibrahima, âgé de 72 ans ; d’autres s’accommodent d’une forme de non-dit : « Je n’ai jamais discuté de la maladie avec mes enfants ; ils savent parce qu’en 2000 c’est ma fille aînée qui m’accompagnait à l’hôpital, mais je n’ai jamais fait face à eux pour en parler », explique Ousseynou, 84 ans, traité par ARV depuis 22 ans. Ces réticences sont majorées chez les personnes dépistées à un âge avancé, en raison du tabou portant sur la sexualité des personnes âgées.</p>
<p>Mais la survenue d’incapacités fonctionnelles (cécité, difficultés à se déplacer, etc.) nécessitant une aide pour les activités quotidiennes (prise des médicaments ou trajets pour les consultations) oblige à revoir ces choix. Au mieux, l’annonce à l’un des enfants clarifie un non-dit ou suscite une sollicitude ; mais parfois, cela ravive des conflits anciens et des accusations de dissimulation.</p>
<h2>Déclassement économique et précarité</h2>
<p>Avec l’avancée en âge, l’arrêt de toutes activités professionnelles se traduit pour la majorité des personnes âgées par une diminution majeure de leurs ressources économiques. Au Sénégal, seules 24 % des personnes de plus de 60 ans ont une pension de retraite, au montant souvent modeste, le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2016-1-page-91.htm?ref=doi">minimum étant de 53 € par mois</a>. À travers les dispositifs de réversion, les veuves reçoivent des pensions encore plus faibles, notamment dans les cas de partage lié à la polygamie.</p>
<p>Les personnes qui avaient une activité professionnelle dans le secteur informel, et qui n’ont plus de revenu, constatent avec inquiétude l’érosion de leur capital économique. Certaines se retrouvent contraintes à des déménagements successifs qui les repoussent progressivement vers la périphérie urbaine pour trouver des loyers moins onéreux.</p>
<p>Les PAVVIH tentent de travailler tant que leur condition physique le leur permet, afin de repousser le moment où elles n’auront plus d’autonomie économique. Cette perte d’autonomie se traduit pour toutes par un déclassement économique et par l’exacerbation de situations de précarité et de dépendance qui ont un impact direct sur leur santé physique et psychologique.</p>
<p>Dans le même temps, leurs dépenses de santé augmentent. En effet, au Sénégal, si les médicaments ARV et certains examens biologiques sont gratuits depuis 2003, une partie des coûts des soins liés au VIH et ceux des autres maladies sont supportés par les patients. Or la moitié des PAVVIH présentent au moins une comorbidité qui nécessite un traitement régulier. <a href="https://theconversation.com/au-senegal-quelle-couverture-de-sante-des-personnes-agees-souffrant-de-diabete-et-dhypertension-174180">Une étude réalisée en 2021 à Dakar</a> évalue entre 34 et 40 € le reste à charge d’une consultation pour des patients âgés présentant une hypertension artérielle ou un diabète, ce à quoi s’ajoutent les coûts du transport pour se rendre dans les structures de soins. Alors que le dispositif de protection sociale prévu pour les plus de 60 ans – le <a href="https://www.agencecmu.sn/plan-sesame-0">Plan Sésame</a> – fonctionne mal, ces dépenses de santé constituent souvent un véritable casse-tête pour les PAVVIH et leur famille.</p>
<h2>Dépendance</h2>
<p>Le manque de ressources place les personnes âgées, et notamment les PAVVIH, en situation de dépendance économique à l’égard de leurs proches. Les aides dont elles peuvent bénéficier sont fonction de la nature et de la qualité des liens, une forme d’héritage des relations familiales sur l’ensemble de leur vie.</p>
<p>Les personnes le plus souvent sollicitées sont les enfants, les frères et sœurs utérins, puis les descendants indirects (neveux et nièces) ; moins souvent, des relations amicales anciennes ou des parents aisés plus éloignés ; plus rarement encore, le voisinage. Les PAVVIH déploient parfois toute une stratégie pour éviter la honte de devoir quémander (la <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2015-1-page-181.htm">sutura</a>) et ne pas solliciter trop souvent les proches au risque de les « fatiguer ».</p>
<p>« Je vis avec l’aide des gens et la grâce divine », reconnaît Habib, 84 ans, traité depuis 20 ans qui précise que ce sont ses voisins qui financent le déplacement pour se rendre à l’hôpital (2 €). Le code d’honneur est souvent évoqué : « Mon fils gère la vie dans la maison : s’il me donne, je vais prendre, mais ma dignité ne me permet pas de lui demander. »</p>
<p>Au Sénégal, la cohabitation intergénérationnelle est fréquente, la taille moyenne des ménages étant de dix personnes. Cette situation peut favoriser une entraide au bénéfice des personnes âgées. Mais les difficultés d’accès à l’emploi conduisent souvent à ce que ce soient les personnes âgées disposant d’une pension de retraite qui entretiennent la maisonnée. Il leur faut alors choisir entre les dépenses familiales et celles concernant leurs dépenses médicales, souvent au détriment de leur santé.</p>
<h2>Une entrée « digne » dans les rôles sociaux du grand âge avec le VIH</h2>
<p>Les PAVVIH ne vivent heureusement pas toutes dans des situations dramatiques. Notre étude a permis d’identifier les conditions favorisant une entrée « digne », pour les personnes vivant avec le VIH, dans les rôles sociaux du grand âge.</p>
<p>Fatou, 74 ans, veuve, est traitée par ARV depuis 2006 ; elle habite avec ses deux fils, ses belles-filles et cinq petits-enfants scolarisés. Seul son fils aîné est informé de sa maladie. Elle dit vivre une vieillesse heureuse. Ses enfants la prennent en charge et elle s’occupe de ses petits-enfants : « Je ne fais rien comme activité à part garder mes petits-enfants qui me tiennent compagnie, je suis la « yaay » (mère de famille) ».</p>
<p>Dans le contexte actuel de dépendance économique de la plupart des PAVVIH, ces rôles sociaux sont rendus possibles lorsque leurs enfants sont socialement insérés, à travers un emploi et des revenus stables. Ils peuvent alors se répartir la prise en charge financière de leurs parents ; en retour, ceux-ci peuvent s’investir dans leur rôle au sein de la famille ou de la communauté.</p>
<p>À défaut du soutien familial, il est de la responsabilité collective d’assurer une vie digne aux PAVVIH. Des associations de personnes vivant avec le VIH commencent à se mobiliser en faveur de leurs ainés. Plus largement, des collectifs comme le <a href="http://archives.aps.sn/article/144413?lightbox%5Bwidth%5D=75p&lightbox%5Bheight%5D=90p">Conseil national des Ainés du Sénégal</a> militent pour un meilleur fonctionnement du Plan Sésame et la création d’un minimum vieillesse pour les personnes démunies. Au Sénégal, les personnes de plus de 60 ans ne représentent que 6 % de la population. Dans un pays où le <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2019-1-page-85.htm">grand âge est valorisé</a>, s’occuper des aînés devrait être l’une des valeurs cardinales d’une société solidaire, tout comme cela devrait l’être dans le reste du monde.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://crcf.sn/grand-age-et-vih-au-cameroun-et-au-senegal-anthropologie-du-vieillissement-et-de-la-maladie/">« Grand âge et VIH au Cameroun et au Sénégal, anthropologie du vieillissement et de la maladie »</a> est financé par Sidaction-Ensemble Contre le Sida. Les investigateurs principaux sont au Cameroun : Laura Ciaffi, Marie-José Essi, Antoine Socpa ; au Sénégal : Gabrièle Laborde-Balen, Khoudia Sow, Bernard Taverne ; au Sénégal, les enquêtes ont été réalisées par Seynabou Diop, Catherine Fall et Marcel Ndiana Ndiaye</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197640/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriele Laborde-Balen a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernard Taverne a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Khoudia Sow a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes.</span></em></p>Au Sénégal, le VIH reste largement tabou, ce qui a un impact direct sur les personnes qui en sont porteuses, et particulièrement sur les seniors.Gabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)Bernard Taverne, Anthropologue, médecin, Institut de recherche pour le développement (IRD)Khoudia Sow, Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.