tag:theconversation.com,2011:/us/topics/ta-wan-37962/articlesTaïwan – The Conversation2024-03-21T15:41:58Ztag:theconversation.com,2011:article/2227932024-03-21T15:41:58Z2024-03-21T15:41:58ZÀ Taïwan, un paysage politique en recomposition<p>Le 13 janvier dernier s’est tenue à Taïwan une <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/13/election-presidentielle-a-taiwan-les-taiwanais-ont-vote-le-candidat-du-parti-au-pouvoir-fa">élection présidentielle</a> dont William Lai, vice-président sortant et candidat du parti au pouvoir, le Parti démocrate progressiste (DPP), est sorti vainqueur avec un peu plus de 40 % des suffrages (l’élection se joue sur un seul tour).</p>
<p>La campagne a fait l’objet d’une large couverture médiatique, de nombreux observateurs s’interrogeant sur les conséquences que le scrutin pourrait avoir pour la stabilité de la région. <a href="https://udn.com/news/story/123307/7690800">Lai lui-même</a> a estimé que cette élection était « la plus importante au monde cette année », Taïwan étant par ailleurs <a href="https://www.economist.com/leaders/2021/05/01/the-most-dangerous-place-on-earth">régulièrement désigné par la presse occidentale</a> comme « l’endroit le plus dangereux au monde ». Si un aperçu de l’actualité internationale invite à modérer cette formule, on ne peut nier que l’attention portée au détroit et les craintes qu’il ne se retrouve à l’épicentre d’un conflit armé pèsent sur la population taïwanaise lorsqu’il s’agit d’élire la tête de l’État.</p>
<p>Toutefois, cette année, une partie de l’électorat taïwanais a souhaité se concentrer davantage sur les discussions relatives aux affaires intérieures du pays, comme l’atteste le score (26 %) obtenu par Ko Wen-je, ancien maire de Taipei et candidat du Parti populaire taïwanais (TPP), qui affirme incarner une voie non traditionnelle dans la politique taïwanaise. Sa popularité illustre la lassitude, particulièrement sensible au sein d’une partie de la jeunesse, envers les deux partis ayant gouverné Taïwan jusqu’à présent (le DPP et le Guomindang, dont le candidat a récolté 33,5 % des suffrages).</p>
<h2>Une scène politique traditionnellement bipartite</h2>
<p>Rappelons que le Parti nationaliste, ou Guomindang (KMT), fondateur de la République de Chine (ROC) en 1912, s’est exilé à Taïwan en 1949 à l’issue de sa guerre contre le Parti communiste chinois. Après quatre décennies de dictature, il est demeuré, après le processus de <a href="https://www.slate.fr/story/224031/taiwan-fulgurante-democratisation-taipei-democratie-complete-chine-incident">démocratisation</a> de la société, l’une des principales forces politiques du pays, mais connaît un déclin constant face à son principal opposant, le DPP.</p>
<p>Son dernier candidat élu à la présidence, Ma Ying-Jeou, a exercé ses fonctions de 2008 à 2016. Depuis, le KMT peine à reconquérir le pouvoir mais demeure soutenu par un électorat stable issu des franges les plus âgées de la population. Il reste bien implanté au niveau local et a remporté les <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/les-elections-presidentielle-et-legislatives-du-13-janvier-2024-taiwan">élections législatives</a> tenues en même temps que la présidentielle du 13 janvier. Il dispose désormais de 52 sièges contre 51 pour le DPP (le TPP en a 8, et 2 sont détenus par des candidats indépendants). Cette année, son candidat à la présidentielle, Hou Yu-Ih, a réuni, nous l’avons dit, <a href="https://web.cec.gov.tw/english/cms/pe/41582">33,5 % des suffrages</a>. Ses origines « taïwanaises » ont été mises en avant pour pallier la méfiance d’une partie de la population à l’encontre de la posture du KMT, jugée trop conciliante vis-à-vis de Pékin (voir plus bas).</p>
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<p>Le concurrent historique du KMT, le Parti démocrate progressiste (DPP), est <a href="https://www.dpp.org.tw/en/about">né dans les années 1980</a> sous la loi martiale et a été un acteur clé de la démocratisation du régime. Il remporte la présidentielle pour la première fois en 2000 avec Chen Shui-Bian, réélu en 2004. Suite aux deux mandats de Ma Ying-jeou (2008-2016), le DPP récupère le pouvoir avec Tsai Ing-wen, élue en 2016 puis en 2020. La victoire de William Lai en janvier dernier est un fait inédit dans un système habitué aux alternances politiques régulières : pour la première fois depuis 2000, un parti va effectuer un troisième mandat consécutif.</p>
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<p>Toutefois, ce succès est terni par la performance décevante du DPP aux législatives : il a perdu sa majorité au Yuan législatif (nom du Parlement à Taïwan), à un siège d’écart seulement du KMT. Le mandat de Lai s’annonce dès lors plus compliqué que celui de sa prédécesseure, et des compromis avec les autres forces politiques en place sont à envisager.</p>
<h2>L’impact du bon score de Ko Wen-Je (TPP), troisième homme de la présidentielle</h2>
<p>Le soutien apporté au Parti populaire taïwanais (TPP) a indéniablement affaibli le DPP et le KMT. C’est la première fois, depuis la présidentielle de 2000, qu’un parti tiers obtient un score aussi élevé (26 % des voix). Quelques mois avant le scrutin, une alliance entre le TPP et le KMT <a href="https://thediplomat.com/2023/11/how-the-taiwan-opposition-alliance-talks-fell-apart/">avait été envisagée</a>. Certains sondages prédisaient qu’elle aurait pu contrecarrer le DPP. Mais les négociations ont rapidement échoué et le leader du TPP, Ko Wen-Je, a finalement fait cavalier seul, se présentant comme le choix du pragmatisme et du changement.</p>
<p>Principalement soutenu par les plus jeunes générations (<a href="http://m.my-formosa.com/DOC_202807.htm">environ 40 % des 20-29 ans et 34 % des 30-39 ans</a>), le TPP <a href="https://www.tpp.org.tw/en/about.php">se dit rationnel</a>, ancré dans la réalité du quotidien, et souhaite replacer au cœur du débat, marqué avant tout par la question du rapport à la République populaire de Chine, des considérations plus concrètes et internes au pays. Cette année, il est parvenu à gagner huit sièges aux législatives, alors qu’il en avait remporté cinq en 2020. Son rôle au sein du Parlement pourrait être déterminant : c’est lui qui permettra de conférer une majorité au DPP ou au KMT.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580120/original/file-20240306-18-xvroza.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Parade de soutien au candidat Ko Wen-je à Da’an Park, Taipei, le 12 janvier 2024.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ashish Valentine</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le TPP est pour l’instant limité au charisme de son leader et principalement porté par la désillusion des électeurs envers les partis traditionnels ; les quatre prochaines années seront <a href="https://www.cefc.com.hk/fr/event/les-elections-presidentielle-et-legislatives-taiwanaises-de-2024-analyse-des-resultats-et-perspectives/">l’occasion de voir s’il parviendra à s’imposer</a> comme force de proposition pérenne ou si, au contraire, sa progression enregistrée en janvier 2024 n’aura été qu’un épiphénomène.</p>
<h2>Le poids des relations interdétroit dans les campagnes présidentielles taïwanaises</h2>
<p>La volonté de défendre le système démocratique et les institutions de Taïwan, à travers le maintien du statu quo, fait consensus au sein de la population et des principales forces politiques. Des nuances existent néanmoins selon les partis quant à la meilleure façon de préserver les intérêts nationaux.</p>
<p>Le KMT, attaché à ses liens historiques avec la Chine, se montre favorable à davantage d’échanges dans le détroit : il y voit une condition indispensable pour le maintien de la paix. Il adhère au <a href="http://www.kmt.org.tw/2019/01/blog-post_9.html">« Consensus de 1992 »</a> selon lequel chaque partie (les autorités de Pékin et de Taipei) est la représentante d’« une seule Chine » dont elle nourrit sa propre définition.</p>
<p>Cette posture lui est reprochée par ses détracteurs, qui la trouvent trop conciliante face aux pressions chinoises. La politique chinoise du KMT a par ailleurs été rejetée sous le dernier mandat de Ma Ying-Jeou (2012-2016). Dans sa stratégie de rapprochement économique avec la Chine, Ma a approuvé en 2014 la signature d’un accord commercial qui a donné lieu à l’occupation du Yuan législatif, pendant plus de trois semaines, par de jeunes manifestants. Ce mouvement dit <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2014/03/28/a-taipei-la-revolution-des-tournesols-revele-le-malaise-des-jeunes-face-a-pekin_4391329_3210.html">« des Tournesols »</a> avait alors empêché la ratification de l’acte. Aujourd’hui encore, le KMT est tiraillé entre, d’une part, sa lutte pour le pouvoir contre le DPP (ce qui implique qu’il n’apparaisse pas trop compréhensif à l’égard de la RPC, car cela offre des arguments au parti rival) et, d’autre part, sa volonté de maintenir un dialogue constructif avec Pékin, ce qui fait sa spécificité sur la scène nationale taïwanaise. Dès lors, il peine à se présenter comme le porte-parole et le défenseur d’une population qui ne soutient plus tout à fait son récit national.</p>
<p>Le DPP, quant à lui, considère que les relations entre les deux rives du détroit doivent être basées sur une reconnaissance réciproque de la souveraineté de chaque partie, et c’est en ce sens qu’il refuse d’adhérer au Consensus de 1992 – condition préalable, pour la Chine, à toute interaction. De fait, les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/06/25/97001-20160625FILWWW00134-la-chine-suspend-les-contacts-avec-taiwan.php">canaux de communication entre Pékin et Taipei sont suspendus</a> depuis l’élection de Tsai Ing-Wen en 2016.</p>
<p>En réponse aux efforts chinois visant à isoler Taïwan, la politique étrangère de la présidente Tsai a consisté à multiplier les échanges avec le monde afin de développer l’intégration de Taïwan dans des réseaux diplomatiques, économiques, technologiques, culturels… William Lai a affirmé qu’il poursuivrait cette stratégie, n’en déplaise à Pékin qui, sans surprise, <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/Ta%C3%AFwan-elections/China-says-DPP-cannot-represent-Ta%C3%AFwan-after-Lai-s-election-win">a déploré</a> le résultat de l’élection.</p>
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<p>Quant au TPP, il se place en accord avec le souhait de la majorité de la population, Ko s’étant exprimé en faveur du maintien du statu quo. Il a par ailleurs affirmé être le <a href="https://www.twreporter.org/a/2024-election-presidential-candidates-interview-ko-wen-je">seul candidat</a> à même de dialoguer avec Pékin et Washington, sans néanmoins expliciter les moyens concrets à sa disposition pour ce faire.</p>
<h2>Une désaffection des jeunes envers le DPP et le KMT ?</h2>
<p>Les sondages sur les intentions de vote ont esquissé des tendances claires : parmi les jeunes de 20-29 ans et 30-39 ans respectivement, la majorité soutiennent le TPP (41,4 % et 34 %), puis le DPP (16,5 % et 29,2 %), contre seulement 12,8 % et 19 % pour le KMT. Ces électeurs expriment une frustration envers les deux partis traditionnels, qu’ils jugent <a href="https://www.theguardian.com/world/2024/jan/07/taiwan-braces-for-big-deal-presidential-election-as-chinas-shadow-looms">trop obnubilés par la question chinoise</a> dans leurs joutes politiques.</p>
<p>Malgré ses efforts pour renouveler ses représentants et donner plus de place à une nouvelle génération de politiciens, et hormis quelques exceptions tenant avant tout à la personnalité de ses élus locaux, le KMT a toujours l’image d’un parti « de vieux », à la communication peu attrayante et à l’idéologie vieillissante. Son attachement parfois doctrinal à l’histoire de la ROC entrave ses possibilités de se réformer, ce qui est pourtant nécessaire s’il souhaite étendre sa base électorale.</p>
<p>Le DPP, traditionnellement associé à la jeunesse, se doit également de prendre en compte les <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/12843">revendications et frustrations</a> mises en avant par une partie plus modérée de son électorat, récupérées à son compte par le TPP. Les deux mandats de Tsai Ing-Wen ont convaincu quant à la capacité du DPP à mener une politique étrangère prudente sans provoquer Pékin. Ils ont également permis de maintenir l’économie taïwanaise en bonne santé, mais des <a href="https://www.cna.com.tw/news/aipl/202401130366.aspx">critiques</a> demeurent quant aux inégalités, à l’accès de plus en plus difficile au logement et à la propriété, à l’inflation associée à des salaires qui restent bas, au taux de chômage élevé chez les jeunes…</p>
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<p>Le soutien accordé au TPP par les déçus du KMT et du DPP est-il voué à durer, ou n’est-il que conjoncturel ? Cela dépendra du positionnement de chaque parti dans la gestion des affaires locales et dans les débats au sein du Parlement, mais aussi de la performance de l’administration Lai dans les affaires nationales et internationales.</p>
<h2>Le statu quo dans le détroit peut-il être remis en cause par Pékin ?</h2>
<p>Chaque victoire du DPP réitère la volonté des Taïwanais de maintenir une distance avec la Chine et représente donc une défaite pour Pékin. Comme cela a été le cas avant et après les élections de Tsai Ing-Wen, nous pouvons nous attendre à une poursuite et à une accentuation des pressions militaires, économiques et diplomatiques visant à isoler et à affaiblir Taïwan, qui fragilisent effectivement le statu quo. Mais l’intensification des menaces chinoises ne fait que renforcer la méfiance et l’animosité de la population taïwanaise à l’égard de Pékin.</p>
<p>Un moyen plus insidieux d’impacter les esprits réside dans les <a href="https://www.irsem.fr/rapport.html">opérations d’influence et de désinformation</a> opérées depuis la Chine à l’encontre de Taïwan, qui est l’un des pays les plus touchés par ce type de manœuvres. The Reporter, média indépendant taïwanais, a récemment consacré un <a href="https://www.twreporter.org/a/chinese-hackers-breached-taiwanese-media-organizations">article</a> à la diffusion de propagande nationaliste chinoise sur des médias taïwanais par des hackers chinois. Il rappelle qu’en mars 2023, la Central News Agency, agence de presse officielle de Taïwan et important canal d’informations pour les services gouvernementaux, a subi une cyberattaque d’une ampleur sans précédent l’ayant paralysée pendant plus de cinq heures. Ce genre d’attaque est devenu presque routinier depuis 2020 et s’intensifie lors des campagnes électorales taïwanaises. Le but : influencer l’électorat à travers des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/elections-a-taiwan-la-chine-deverse-sa-propagande-sur-les-reseaux-sociaux-20240112">fake news</a> visant à décrédibiliser les candidats les moins favorables à Pékin.</p>
<p>Malgré ces pressions, la population taïwanaise poursuit sa résistance et l’expression de ses revendications à travers les urnes, réaffirmant sa volonté de défendre et de préserver son système politique. Profondément pacifique et attachée à la stabilité, elle continuera de porter au pouvoir des candidats à même de naviguer dans la géopolitique régionale sans confrontation directe avec la Chine, tout en maintenant son indépendance de fait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Inès Cavalli a reçu des financements de :
Aide à la mobilité sortante des doctorants, Collège doctoral de Bretagne, Taiwan Fellowship, Ministry of Foreign Affairs, ROC (Taïwan), Aide à la mobilité et à la recherche, CEFC Taipei.</span></em></p>Traditionnellement dominée par deux grands partis, la vie politique taïwanaise a vu émerger lors des dernières élections une troisième force appelée à jouer un rôle clé lors des prochaines années.Inès Cavalli, Doctorante en science politique et en études chinoises, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212412024-01-17T16:48:30Z2024-01-17T16:48:30ZÉlection de Lai Ching-te à Taïwan : quel impact sur la relation avec Pékin ?<p>Le 13 janvier 2024, le vice-président sortant Lai Ching-te (William Lai), membre du Parti démocrate progressiste (DPP) de la présidente Tsai Ing-wen (élue en 2016 et réélue en 2020), a <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/13/election-presidentielle-a-taiwan-les-taiwanais-ont-vote-le-candidat-du-parti-au-pouvoir-fa">remporté l’élection présidentielle taïwanaise</a> avec 40,1 % des suffrages. Il devance les représentants des deux autres grands partis taïwanais : Hou You-yi (Kuomintang, 33,5 %) et Ko Wen-je (Parti populaire taïwanais, 26,5 %). Ces deux formations avaient brièvement envisagé une candidature commune mais n’étaient pas parvenues à s’entendre et se présentèrent en ordre dispersé.</p>
<p>Lai, 64 ans, sera pour les quatre prochaines années le septième président de la République de Chine (Taïwan), le cinquième démocratiquement élu et le troisième issu du DPP. Si l’élection présidentielle est marquée par la continuité du pouvoir du DPP, qui s’engage dans un troisième et inédit troisième mandat consécutif, le parti présidentiel, qui disposait d’une majorité absolue au Yuan législatif (Parlement, 113 sièges au total) avec 61 sièges, doit désormais affronter une opposition qui s’appuie potentiellement sur 60 sièges. En effet, à l’issue des législatives tenues le même jour que la présidentielle, le DPP a perdu 10 sièges et en dispose aujourd’hui de 51, tandis que le Kuomintang (KMT) en a remporté 14 et en possède désormais 52. Le Parti populaire taïwanais (TPP) est passé de son côté de 5 à 8 sièges entre 2020 et 2024.</p>
<p>Le nouveau président doit surtout son succès à l’incapacité de ses opposants à composer un ticket unique, à la mobilisation des électeurs du DPP et au <a href="https://www.lepoint.fr/monde/tsai-ing-wen-la-presidente-taiwanaise-meconnue-au-bilan-presque-parfait-20-12-2023-2547763_24.php">bilan globalement positif</a> du gouvernement de Tsai Ing-wen, dont il restera le vice-président jusqu’à la passation de pouvoirs le 20 mai. Il bénéficie par ailleurs d’une image positive auprès de la population. Son score est cependant très nettement inférieur à celui de Tsai, qui avait rassemblé plus de 57 % des suffrages en 2020, et 2,5 millions de voix supplémentaires. Son élection est donc un succès relatif et même mitigé pour le DPP.</p>
<h2>Prévisible maintien, voire intensification, des tensions avec Pékin</h2>
<p>Si la coexistence d’un exécutif aux couleurs du DPP et d’un Parlement dans lequel le KMT a retrouvé la place de premier parti se traduira par des oppositions sur les questions économiques et sociales, ou encore sur la politique énergétique de Taïwan (sur le nucléaire civil notamment), elle aura aussi un impact sur la relation que Taipei entretient avec Pékin.</p>
<p>Une relation difficile que l’arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen en 2016 avait tendue en raison de sa couleur politique, la RPC multipliant au cours des années suivantes les mesures visant à renforcer l’isolement diplomatique de Taïwan, et menant des <a href="https://www.brut.media/fr/international/6-questions-tres-simples-sur-la-crise-entre-la-chine-et-taiwan-7d562e5d-44b2-4fa5-b5fc-718bf2bfd7fd">manœuvres militaires associées à un discours musclé</a>.</p>
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<p>Pékin n’a d’ailleurs pas manqué de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/14/apres-la-presidentielle-a-taiwan-la-chine-repete-que-toute-initiative-en-faveur-de-l-independance-sera-severement-punie_6210763_3210.html">réagir à l’élection de Lai</a>, pointant du doigt son supposé attachement à la promulgation officielle de l’indépendance de l’île, et le fait que son score est très nettement inférieur à ceux obtenus par Tsai Ing-wen lors des scrutins précédents, comme pour remettre en cause sa légitimité.</p>
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<p>Déjà en 2016 et encore en 2020, la Chine avait manifesté son hostilité à l’égard de l’exécutif taïwanais, et fustigé la présidence de Tsai avant même qu’elle ne fût investie. Tout au long de ses deux mandats, la présidente taïwanaise s’est évertuée à <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230520-ta%C3%AFwan-la-pr%C3%A9sidente-tsai-ing-wen-promet-de-maintenir-le-statu-quo-avec-p%C3%A9kin">conserver un statu quo avec Pékin</a>, ne remettant pas en cause le bilan de son prédécesseur du KMT, Ma Ying-jeou, sur la nécessité d’entretenir une relation économique et commerciale soutenue avec la Chine, mais en insistant sur l’importance de la souveraineté taïwanaise, tant territoriale que politique.</p>
<p>Tsai Ing-wen a également rejeté le <a href="https://thediplomat.com/2022/07/the-1992-consensus-why-it-worked-and-why-it-fell-apart/">« consensus de 1992 »</a>, pierre angulaire du dialogue entre le KMT et le Parti communiste chinois (qui est d’ailleurs interprété différemment des deux côtés du détroit), provoquant l’ire de Pékin et la multiplication des provocations chinoises, notamment de nombreux <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230819-des-man%C5%93uvres-militaires-lanc%C3%A9es-par-la-chine-autour-de-ta%C3%AFwan-%C3%A0-titre-de-mise-en-garde">exercices militaires à proximité de Taïwan</a>. On se souvient en particulier des conséquences de la <a href="https://theconversation.com/ta-wan-la-strategie-indo-pacifique-des-etats-unis-a-lepreuve-189074">visite de la speaker de la Chambre des Représentants américaine, Nancy Pelosi</a>, en août 2022, et l’important déploiement de forces chinoises autour de Taïwan qui s’ensuivit.</p>
<p>La relation entre Taipei et Pékin s’est détériorée au cours des huit dernières années, et le discours chinois sur l’unification, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/taiwan-la-menace-de-la-chine-est-elle-serieuse_VN-202401150592.html">par la force si nécessaire</a>, s’est structuré autour de <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n163/article/le-reve-taiwanais-de-xi-jinping">l’objectif de 2049</a>, année du centenaire de la République populaire de Chine.</p>
<p>Dans ce contexte, et dès lors que Pékin semble diaboliser le DPP comme étant son principal ennemi à Taïwan, les tensions vont se perpétuer dans les quatre prochaines années et la Chine poursuivra ses manœuvres militaires visant à démontrer sa détermination et ses capacités. Difficile en revanche de savoir si ces tensions seront plus fortes, cela étant lié à l’agenda stratégique chinois et à la capacité de Taipei à faire baisser la pression sans faire de compromis sur sa souveraineté.</p>
<h2>Comment les partis taïwanais travailleront-ils ensemble sur le dossier des relations avec la RPC ?</h2>
<p>La question de la souveraineté de Taïwan, notamment <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/selon-sa-presidente-taiwan-restera-libre-pendant-des-generations-979444.html">mise en avant par Tsai Ing-wen</a>, est au cœur de la relation inter-détroit telle que la conçoit Lai Ching-te.</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2012-2-page-113.htm&wt.src=pdf">projet indépendantiste du DPP</a>, qui avait sous la présidence de Chen Shui-bian (2000-2008) considérablement tendu la relation avec Pékin, a évolué vers une position plus modérée, axée sur un principe de coexistence pacifique et de statu quo. De son côté, le KMT a évolué d’une posture favorable à l’unification à une relation de bon voisinage avec la Chine. De fait, aucun grand parti politique taïwanais ne prône l’unification – une <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1325518/avis-population-taiwainaise-avenir-du-pays/">perspective de moins en moins soutenue par la société taïwanaise</a> – et l’on observe ainsi une convergence entre le KMT et le DPP sur ce sujet. Si les deux partis n’ont pas manqué de se critiquer mutuellement lors de la campagne, c’est essentiellement autour de slogans défendant la démocratie (pour le DPP) et la paix (pour le KMT), tandis qu’indépendance et unification ont quasiment disparu des argumentaires.</p>
<p>Dans ce contexte, et compte tenu des rapports de force au Parlement, un dialogue renforcé entre les deux grands partis politiques (auquel pourrait se joindre le TPP) est envisageable, et le nouveau président pourrait même s’appuyer sur la capacité du KMT à dialoguer avec Pékin, les deux partis n’ayant plus de divergences de fond sur le sujet. La très forte animosité entre le KMT et le DPP a laissé place à des débats de fond et à un respect mutuel, que l’impératif de coopération ne peut que renforcer.</p>
<h2>Une nouvelle phase dans l’affirmation démocratique de Taïwan</h2>
<p>De nombreux commentaires dans le monde occidental ont résumé le résultat de l’élection du 13 janvier à une <a href="https://www.wsj.com/articles/taiwans-victory-for-democracy-0594c04d">victoire pour la démocratie</a>. Cela est à la fois excessif et vérifié.</p>
<p>Excessif car aucun parti en compétition lors de l’élection n’est anti-démocratique, pas plus qu’aucun n’est pro-unification, et donc favorable à Pékin. C’est d’ailleurs Lai lui-même qui, à l’occasion d’un débat télévisé opposant les trois candidats, rappela qu’aucun d’entre eux n’était le candidat de Pékin. Par ailleurs, les deux vaincus concédèrent leur défaite très rapidement et félicitèrent le vainqueur, dans une atmosphère de respect mutuel et des institutions démocratiques taïwanaises.</p>
<p>Ce constat est cependant vérifié, ou plus exactement vérifiable, dès lors qu’il met en avant non seulement la bonne tenue de l’élection, en dépit des pressions exercées par Pékin, mais aussi la perspective d’une collaboration indispensable entre les différents partis pour faire adopter des lois. Le KMT dispose de la majorité au Yuan législatif, mais n’aura la majorité absolue qu’avec le TPP, et doit donc travailler avec le jeune parti fondé par Ko Wen-je. De son côté, l’exécutif ne pourra ignorer le poids du Parlement, et devra ainsi engager des pourparlers avec les deux partis d’opposition.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que l’exécutif est confronté à une forte opposition parlementaire (ce fut notamment le cas lors du second mandat de Chen Sui-bian, de 2004 à 2008), mais le fait que le parti présidentiel ne soit pas le premier parti représenté au Yuan législatif est en revanche inédit. Dès lors, la coopération est inévitable, sauf à envisager un blocage des institutions, ce qu’aucun des partis taïwanais ne semble aujourd’hui considérer. Jeune démocratie aujourd’hui reconnue à échelle internationale pour la force et le respect de ses institutions, Taïwan continue de marquer de précieux points qui ne font que renforcer sa visibilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221241/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Courmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nouveau président hérite d’une situation très tendue avec la République populaire de Chine, mais aussi d’un climat politique intérieur relativement apaisé.Barthélémy Courmont, Directeur du master Histoire -- Relations internationales, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204122024-01-03T17:36:08Z2024-01-03T17:36:08ZFrance-Chine, 60 ans d’ambivalence<p>Le 27 janvier 1964, le général de Gaulle, de retour aux affaires depuis cinq ans, concrétise l’un de ses objectifs de politique étrangère : la reconnaissance de la République populaire de Chine (RPC). Quatre jours plus tard, lors d’une conférence de presse, <a href="https://www.elysee.fr/charles-de-gaulle/1964/01/31/conference-de-presse-du-general-de-gaulle-president-de-la-republique-palais-de-lelysee-paris-le-31-janvier-1964">il précise</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La masse propre à la Chine, sa valeur et ses besoins présents, la dimension de son avenir la font se révéler de plus en plus aux intérêts et aux soucis de l’univers tout entier. Pour tous ces motifs, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s’en faire écouter. »</p>
</blockquote>
<p>Reconnaissance tardive – elle intervient bien après celle effectuée par le Royaume-Uni en 1950, pour ne citer qu’un exemple – liée à une conjoncture défavorable (le Vietminh puis le FLN algérien étant soutenus par Pékin), mais reconnaissance effective conduisant, pour Paris, à la renonciation à tout contact diplomatique officiel avec l’« autre » Chine, la République de Chine, réfugiée sur l’île de Taïwan depuis 1949, avec à sa tête Chiang Kaï-chek. Soixante ans plus tard, les conseils du Général semblent plus que jamais d’actualité, tant la RPC est devenue un acteur incontournable des relations internationales.</p>
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<p>En 2024, le 60<sup>e</sup> anniversaire de cette reconnaissance devrait être célébré en grande pompe, tant cet exercice diplomatique est l’occasion de communiquer sur la coopération économique entre les deux pays (on se souvient du <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/2014-13-14/france-chine-50-contrats-pour-le-50e-anniversaire-201403/">slogan</a>, il y a dix ans, « 50 contrats pour le 50<sup>e</sup> anniversaire »).</p>
<p>Pourtant, en six décennies, le rapport de force entre ces deux membres du Conseil de sécurité de l’ONU a bien changé, au profit de la RPC. Cet anniversaire intervient dans un contexte géopolitique particulièrement tendu : rivalité sino-américaine, guerre en Ukraine, conflits au Proche et au Moyen-Orient, tensions dans l’Indo-Pacifique, influence croissante chinoise en Afrique… Autant de sujets qui structurent une relation bilatérale en pleine évolution.</p>
<h2>60 ans, 60 milliards de déficits</h2>
<p>En 1964, la Chine disposait d’un avantage démographique sur la France, mais sur le plan économique les indicateurs français étaient bien meilleurs, l’Europe occidentale jouissant alors d’une période de pleine croissance (les trente glorieuses) tandis que la Chine sortait à peine de la <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-2-page-329.htm">« Grande famine »</a> qui sévit entre 1958 et 1962 en conséquence de la politique désastreuse du Grand Bond en avant, qu’allaient aggraver dès 1966 les dix années noires de la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-chine--9791021001107-page-545.htm">Révolution culturelle</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567506/original/file-20231230-25-51hb2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Douanes/Réalisation Paco Milhiet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="attribution"><span class="source">Douanes/Réalisation Paco Milhiet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En 2023, la relation économique apparait des plus déséquilibrées, avec un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/avec-la-chine-un-deficit-commercial-toujours-plus-abyssal-1932406">déficit commercial français abyssal</a> de plus de 50 milliards d’euros en 2022 – le plus grand déficit commercial bilatéral français. Si les multinationales françaises continuent de faire des profits en Chine (aéronautique et spatial, agroalimentaire, produits de luxe, cosmétique), les bénéfices sur l’ensemble du tissu économique national sont moins évidents, l’ouverture tous azimuts au capitalisme d’État chinois favorisant la désindustrialisation et la perte d’avantages compétitifs de nombreux produits à haute valeur ajoutée. À l’horizon 2024, la barre symbolique des 60 milliards d’euros de déficit devrait être atteinte.</p>
<p>Certes, un tel déséquilibre bilatéral n’est pas l’apanage de notre seul pays, le déficit commercial global des pays de l’UE vis-à-vis de la Chine <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lue-veut-reequilibrer-durgence-sa-relation-commerciale-avec-la-chine-2039750">s’élevant en 2022 à la somme astronomique de 400 milliards d’euros</a>.</p>
<p>Largement biaisés par des considérations idéologiques et le mythe d’une RPC qui respecterait les règles du commerce mondial après son accession à l’OMC (2001), les exécutifs français et européens n’ont su contrecarrer ni les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-chine-est-le-pays-le-plus-protectionniste-vis-a-vis-de-leurope-1029884">mesures protectionnistes de la Chine sur son marché intérieur</a>, ni les subventions chinoises dissimulées. Les indicateurs économiques les plus récents obligent à constater l’écrasant avantage et l’omnipotence de la RPC dans de nombreux pans de l’économie pour lesquels chaque déficit sectoriel apparaît colossal et peu réversible.</p>
<h2>Le « en même temps » à l’œuvre</h2>
<p>Oscillant entre intégration à des organismes multilatéraux censés démultiplier sa puissance et volonté de porter une voix singulière dans les relations internationales, le positionnement français vis-à-vis de la RPC est un exemple caractéristique du « en même temps » élyséen dans la pratique des relations internationales. Ainsi, dans une volonté globale visant à lier les contextes euro-atlantique et indo-pacifique, les principales organisations multilatérales auxquels la France contribue ont toutes durci leurs positions contre Pékin.</p>
<p>L’OTAN d’abord, avec deux documents doctrinaux récemment publiés, le programme <a href="https://www.nato.int/nato2030/fr/">OTAN 2030</a>, et le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_210907.htm">concept stratégique 2022</a>, qui désignent sans équivoque la Chine comme un concurrent et une menace pour l’ordre international. L’UE ensuite, qui par le truchement d’un document-cadre publié en 2022 intitulé <a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">« la boussole stratégique »</a>, a qualifié la RPC de « rival systémique ». Le G7 enfin, dont le dernier sommet à Hiroshima, en 2023, a abouti à un <a href="https://www.g7hiroshima.go.jp/documents/pdf/Leaders_Communique_01_en.pdf">communiqué conjoint</a> par lequel les chefs des États formant le Groupe ont adressé plusieurs reproches explicites au gouvernement de Pékin.</p>
<p>Ainsi, l’OTAN, l’UE, et le G7 voient clairement la RPC comme un concurrent, voire comme une menace. La France, pourtant membre de ces trois organisations, tient dans le cadre bilatéral franco-chinois un discours plus policé, consciente que Pékin est un interlocuteur incontournable sur un certain nombre d’enjeux transnationaux : dossier climatique, dette des pays en voie de développement, guerre en Ukraine, crise au Moyen-Orient, etc. Les observateurs ont pu constater cette singulière approche française lors de la <a href="https://theconversation.com/macron-a-pekin-les-europeens-peuvent-ils-freiner-le-rapprochement-sino-russe-201980">dernière visite d’Emmanuel Macron en Chine en avril 2023</a>, le président français appelant à cette occasion les Européens à ne pas <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/09/taiwan-emmanuel-macron-appelle-l-union-europeenne-a-ne-pas-etre-suiviste-des-etats-unis-ou-de-la-chine_6168865_3210.html">« être suivistes »</a> des États-Unis sur la question taiwanaise.</p>
<p>Par ailleurs, lors du sommet de l’OTAN de Vilnius, Emmanuel Macron a confirmé <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2023/07/09/national/tokyo-nato-office/">son refus</a> de voir une antenne de l’OTAN ouvrir à Tokyo, probablement pour ne pas susciter le mécontentement de Pékin, dont les officiels ont rappelé à de nombreuses reprises qu’ils voyaient d’un très mauvais œil l’extension de l’Organisation à la région Asie-Pacifique. La France juge qu’il est dans son intérêt de ne pas provoquer la Chine dans cette zone, à laquelle les ramifications de la relation franco-chinoise s’étendent désormais largement.</p>
<h2>L’Asie-Pacifique, future composante centrale de la relation sino-française ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/07/declaration-conjointe-entre-la-republique-francaise-et-la-republique-populaire-de-chine">communiqué conjoint</a> franco-chinois publié à l’issue du voyage du président français en 2023 mentionne en son point quatre que :</p>
<blockquote>
<p>« La France et la Chine s’accordent à approfondir les échanges sur les questions stratégiques et notamment entre le Théâtre Sud de l’Armée populaire de libération de la Chine et le Commandement des forces françaises en Zone Asie-Pacifique (ALPACI). »</p>
</blockquote>
<p>Une reconnaissance explicite chinoise de la légitimité française à se poser comme puissance de l’Indo-Pacifique ? C’est une évolution notable qui contraste avec la posture traditionnelle des officiels chinois, la RPC ayant longtemps considéré la France comme une puissance non légitime dans la zone. On se souvient des <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/06/02/la-france-puissance-de-l-asie-pacifique-combien-de-divisions_3422496_3216.html">remarques acerbes</a> d’un amiral chinois au Shangri-La Dialogue en 2013 : « Pour nous la France, c’est en Europe. »</p>
<p>Par ailleurs, si Pékin n’a jamais contesté ouvertement la souveraineté de Paris sur les collectivités françaises de la zone, le développement incontestable de la RPC dans le Pacifique océanien a souvent été mis en avant comme repoussoir à toute velléité indépendantiste, notamment en <a href="https://www.lefigaro.fr/international/ambitions-geostrategiques-ressources-enviables-pourquoi-la-chine-etend-son-influence-en-nouvelle-caledonie-20230725">Nouvelle-Calédonie</a>. Rappelons que deux chefs d’exécutifs indépendantistes sont actuellement aux affaires à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/08/un-independantiste-kanak-a-la-tete-du-gouvernement-de-nouvelle-caledonie_6087453_823448.html">Nouméa</a> et à <a href="https://www.lemonde.fr/outre-mer/article/2023/05/13/l-independantiste-moetai-brotherson-elu-president-de-la-polynesie-francaise_6173181_1840826.html">Papeete</a>, et revendiquent des relations spécifiques avec la RPC, parfois en dehors de la relation sino-française.</p>
<p>Une évolution significative de la relation sino-française qu’il conviendra de surveiller pendant les dix prochaines années. Si d’aucuns jugent la position française ambivalente vis-à-vis de la RPC, elle l’est assurément sur au moins deux volets : stratégique et économique. Stratégique avec, dans le rétroviseur de l’histoire, un passé proche qui ne passe pas, à commencer par la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/sous-marins-cinq-questions-sur-la-rupture-du-contrat-du-si%C3%A8cle-par-laustralie-1346834">dénonciation en 2021 par Canberra du contrat de vente à l’Australie de sous-marins français</a>, sous la pression des États-Unis, et la signature subséquente de l’AUKUS. Cet épisode a montré que Français et pays de l’anglosphère partagent les mêmes valeurs mais n’ont pas les mêmes intérêts.</p>
<p>A contrario, la France ne partage certainement pas les mêmes valeurs avec la Chine, mais les deux pays ont des intérêts communs en matière économique. Que ce soit dans le domaine de l’agro-alimentaire, des industries du luxe ou de l’aéronautique, la Chine demeure pour les fleurons de l’industrie française un marché de tout premier plan. L’Hexagone ne peut s’en aliéner les promesses.</p>
<p>En somme, la France n’entend pas entrer dans une logique de confrontation avec la Chine et risquer de perdre des parts de marché que lui raviraient sans l’ombre d’un doute ses concurrents occidentaux.</p>
<h2>Une ambivalence cultivée par Paris : « bruit à l’est, attaque à l’ouest »…</h2>
<p>Cette ambivalence française s’observe tout autant à l’égard de Taïwan. Ainsi a-t-il été décidé l’ouverture d’un <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=56&post=190872">deuxième bureau de représentation de Taïwan à Aix-en-Provence, en décembre 2020</a>. Trois ans plus tard était décidée par Emmanuel Macron l’implantation d’une usine de batteries électriques de deuxième génération du <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/shipping/lusine-de-batteries-de-prologium-attendue-en-2026-sur-le-port-de-dunkerque-7b51e36f-7857-4032-aecc-5b51fcf3ef5c">groupe taïwanais au port de Dunkerque</a>.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ? Que si le découplage économique vis-à-vis de la Chine, qu’appelle de ses vœux Washington, n’est certainement pas d’actualité pour Paris, les tensions entre les enjeux stratégiques d’une part et les enjeux économiques de l’autre ne cessent en revanche de s’accentuer. D’où la très grande prudence de la diplomatie française pour ce qui concerne l’Asie orientale et la conscience aiguë du coût que représenterait la multiplication des théâtres de crise. Ils s’ajouteraient à ceux se développant dans le périmètre sécuritaire de notre pays (Afrique sahélienne, Proche et Moyen-Orient, Europe orientale).</p>
<p>Demeure une option que semble avoir saisie l’Élysée : celle de la guérilla diplomatique. Autrement dit : survenir où on ne l’attend pas. La France s’est ainsi récemment impliquée au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/11/au-bangladesh-emmanuel-macron-defend-sa-troisieme-voie-et-evoque-la-vente-d-une-dizaine-d-avions-a350_6188835_3210.html">Bangladesh</a> puis à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/macron-fait-une-etape-express-et-historique-au-sri-lanka-28-07-2023-2529947_24.php">Sri Lanka</a> pour conforter sa stratégie de l’Indo-Pacifique. Elle a aussi vendu successivement des Rafale à l’Inde et à l’Indonésie, et privilégie, en lisière des hégémonies russo-chinoises, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/01/emmanuel-macron-en-asie-centrale-pour-contrer-l-influence-de-la-chine-et-de-la-russie_6197590_3210.html">Asie centrale</a> en initiant des rapprochements inédits avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/21/emmanuel-macron-en-visite-en-mongolie-une-premiere-pour-un-president-francais_6174223_3210.html">Mongolie</a> et l’Ouzbékistan tout en maintenant une relation forte dans le domaine des énergies avec le Kazakhstan.</p>
<p>Les difficultés de l’heure et l’approche à la fois coopérative et concurrente que nourrit la France à l’égard de la Chine forcent Paris à plus d’agilité et d’innovation. L’année 2024 devrait sans doute le confirmer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La France a reconnu la RPC il y a 60 ans. Par la suite, et spécialement ces dernières années, Paris a cherché à combiner, dans son rapport à Pékin, défiance sécuritaire et proximité commerciale.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2082232023-07-09T15:29:48Z2023-07-09T15:29:48ZUn dialogue de sourds entre les grandes puissances en Asie-Pacifique ?<p>Événement incontournable du milieu stratégique et sécuritaire de la région Indo-Pacifique, la <a href="https://www.iiss.org/events/shangri-la-dialogue/shangri-la-dialogue-2023/">20ᵉ édition du Shangri-La dialogue</a> (SLD) s’est déroulée du 2 au 4 juin 2023 à l’hôtel éponyme de Singapour. Organisée par l’International Institute of Strategic Studies (IISS), un think tank britannique, cette conférence annuelle est devenue au fil des ans le forum de prédilection pour échanger sur les questions de défense et sécurité régionales.</p>
<p>Près de 600 membres de gouvernements, militaires et experts régionaux d’une cinquantaine de pays étaient réunis cette année dans la cité-État. Ils ont pu constater l’étendue des divergences sino-occidentales sur les problématiques de géopolitiques régionales, tant les délégations chinoises et américaines <a href="https://asiatimes.com/2023/06/us-china-handshake-but-no-dialogue-at-shangri-la/">n’ont pas hésité à confronter leurs points de vue</a>.</p>
<p>Les ramifications asiatiques du conflit en Ukraine et la place géopolitique des pays de l’Asie du Sud-Est étaient également à la carte des débats. Une délégation française était présente et y a fait des <a href="https://twitter.com/amiralVandier/status/1665271679738695680">interventions remarquées</a> en tant que puissance riveraine de l’Indo-Pacifique.</p>
<h2>Un dialogue de sourds sino-américain</h2>
<p>Dans un contexte de tensions sino-américaines exacerbées, marqué pour ce seul début d’année 2023 par des <a href="https://www.europe1.fr/international/affaire-des-ballons-la-chine-et-les-etats-unis-saccusent-reciproquement-despionnage-4167117#">accusations d’espionnage réciproques</a>, une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/10/man-uvres-chinoises-autour-de-taiwan-un-navire-americain-deploye-aux-abords-de-l-ile-pekin-denonce-une-intrusion_6168917_3210.html">intensification des manœuvres militaires chinoises autour de l’île de Taïwan</a> et une rivalité économique croissante, les interactions entre les délégations chinoise et américaine étaient particulièrement attendues à Singapour.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Menées respectivement par le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, et le ministre de la Défense nationale chinois, le général Li Shangfu, (toujours <a href="https://www.voanews.com/a/state-department-clarifies-not-lifting-sanctions-on-china-s-defense-chief-/7104480.html">visé par des sanctions américaines</a>), les deux délégations ne se sont pas officiellement rencontrées.</p>
<p>Cela n’a pas empêché les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/asie-pacifique-au-dialogue-de-shangri-la-on-n-aura-pas-cru-longtemps-a-un-rapprochement-pekin-washington">passes d’armes</a> lors des discours officiels. Côté américain, l’accent était mis sur la défense du statu quo à Taïwan, le respect du droit international et de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale, ainsi que sur l’action positive de la diplomatie de Washington pour stabiliser l’environnement régional.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1664329040012910604"}"></div></p>
<p>Pour la délégation chinoise, particulièrement active dans les séances de questions-réponses, des inquiétudes furent exprimées sur la multiplication des partenariats sécuritaires exclusifs de la Chine comme l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/aukus-110598">AUKUS</a>, le <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">QUAD</a>, ainsi que sur une potentielle expansion de l’OTAN dans la région (une <a href="https://edition.cnn.com/2023/05/10/asia/japan-foreign-minister-hayashi-nato-intl-hnk/index.html">antenne de l’Alliance doit ouvrir à Tokyo</a> en 2024).</p>
<p>Le ministre chinois a également rappelé que les États-Unis n’avaient pas ratifié la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr">Convention de Montego Bay sur le droit de la mer</a>, et surtout qu’ils n’étaient pas un acteur riverain de l’Asie du Sud-Est – en d’autres termes, qu’ils étaient non légitimes pour s’exprimer sur les questions de sécurité régionale.</p>
<p>Enfin, les actions des forces américaines en mer de Chine ont été qualifiées par le ministre chinois de <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jun/04/li-shangfu-chinas-defence-minister-at-shangri-la-dialogue-warns-of-cold-war-mentality-in-digs-at-us">« provocations dangereuses »</a>. La veille, un <a href="https://www.politico.com/news/2023/06/04/chinese-warship-us-destroyer-taiwan-strait-00100133">navire chinois</a> avait dangereusement barré la route à un destroyer américain dans le détroit de Formose.</p>
<p>Ambiance…</p>
<h2>Le spectre de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Si la rivalité sino-américaine et les tensions en mer de Chine ont occupé une large portion des débats, le <a href="https://www.dw.com/en/singapore-hosts-key-asia-defense-summit-with-eye-on-ukraine/a-65801537">conflit en Ukraine</a> et ses conséquences géopolitiques en Asie ont également été évoqués.</p>
<p>La Chine a récemment proposé un <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230224-la-chine-d%C3%A9taille-son-plan-de-paix-en-12-point-pour-la-r%C3%A9solution-de-la-guerre-en-ukraine">plan de paix en 12 points</a>, sans succès. Cela n’a pas empêché l’Indonésie, principale puissance économique et démographique de l’Asean, de <a href="https://www.reuters.com/world/indonesia-proposes-demilitarised-zone-un-referendum-ukraine-peace-plan-2023-06-03/">proposer</a> son propre plan de paix par la voix du ministre de la Défense, le général Prabowo Subianto, lors de son intervention au SLD – un projet proposant de geler le conflit sur la ligne de front actuelle et ne condamnant pas explicitement l’agression russe, et qui fut immédiatement rejeté par le ministre de la Défense ukrainien Oleksiy Reznikov, également présent à Singapour : « Cela ressemble à un plan de paix russe, pas indonésien. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1666399114416750592"}"></div></p>
<p>De manière globale, beaucoup d’interlocuteurs ont exprimé leur inquiétude de voir le scénario ukrainien préfigurer un conflit de haute intensité en Asie – comprendre à Taïwan. Citons le ministre singapourien de la Défense, <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2023/06/03/asia-pacific/singapore-defense-minister-ng-eng-hen-china-us/">Ng Eng Hen</a> : « Des conflits simultanés en Europe et en Asie seraient une catastrophe globale. […] Ce qui se passe en Ukraine, ne doit pas arriver en Asie ». </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">Les inquiétantes leçons de la guerre d’Ukraine pour l’avenir de Taïwan</a>
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<h2>La centralité de l’Asean en question</h2>
<p>Si les sujets de politiques internationales ont donc été abordés par le menu lors de ce forum, l’importance géopolitique de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), a été vainement promue, mais reste encore un suspens. L’Asean, qui compte aujourd’hui <a href="https://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/international/asie-et-oceanie/asean">dix États membres</a>, a été créé en 1967 avec comme objectif initial de favoriser l’intégration régionale et de promouvoir la paix et la stabilité. Mais l’organisation peine à peser sur le cours des relations régionales. Courtisés par Washington et Pékin, les pays d’Asie du Sud-Est évitent généralement de s’engager sur des sujets de politique internationale, de peur de froisser l’un des deux grands partenaires.</p>
<p>Déchirée par des conflits internes, l’Asean est souvent incapable d’y apporter des solutions durables pour ramener la stabilité. Dernier exemple en date : le <a href="https://theconversation.com/lasean-face-au-coup-detat-militaire-en-birmanie-impuissance-ou-complicite-166450">Myanmar</a>, en proie à une situation de guerre civile depuis un coup d’État mené par la junte militaire en février 2021.</p>
<p>Le SLD est également une plate-forme d’expression pour les plus petits États insulaires de la région qui n’ont souvent pas voix au chapitre. Le ministre de l’intérieur fidjien, <a href="https://www.iiss.org/en/events/shangri-la-dialogue/shangri-la-dialogue-2023/">Pio Tikoduadua</a>, et le président du Timor-Leste, <a href="https://www.iiss.org/globalassets/media-library---content--migration/files/shangri-la-dialogue/2023/provisional-transcripts/p-6/dr-jose-ramos-horta-president-timor-leste---provisional.pdf">José Ramos Horta</a> ont profité de l’occasion pour regretter de concert que les intérêts géopolitiques des grandes puissances éclipsent souvent des enjeux transnationaux et non conventionnels comme le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité et les situations d’extrême précarité sociale. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-climatique-ce-nouveau-front-ouvert-par-les-petits-etats-insulaires-a-lonu-203135">Justice climatique : ce nouveau front ouvert par les petits États insulaires à l’ONU</a>
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<p>Ces problématiques concernent pourtant l’ensemble des acteurs régionaux, au premier chef les petits États insulaires, mais aussi certaines collectivités d’outre-mer sous souveraineté française.</p>
<h2>Une présence française remarquée</h2>
<p>Invitée régulière et interlocutrice attendue des Dialogues Shangri-La depuis 2002, la France est le dernier pays membre de l’Union européenne encore souverain de la région Indo-Pacifique. Dans la lignée des interventions remarquées des ministres de la Défense Florence Parly (2018) et Sébastien Lecornu (2022), c’est l’<a href="https://twitter.com/amiralVandier/status/1665271679738695680">amiral Vandier</a>, chef d’état-major de la Marine, qui était invité à participer à un panel en présence notamment de l’amiral Aquilino, commandant en Chef du commandement indo-pacifique américain, l’<a href="https://www.pacom.mil/About-USINDOPACOM/USPACOM-Area-of-Responsibility/">INDOPACOM</a>.</p>
<p>Occasion unique pour l’amiral français de rappeler les grands axes de la stratégie indo-pacifique française et de mettre en exergue les actions concrètes menées par la France et ces forces armées dans la région, comme <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/operations/operation-sagittaire">l’opération Sagittaire</a> menée en avril 2023, quand les forces aériennes et maritimes françaises ont évacué près de 900 personnes du Soudan, alors en proie à des conflits meurtriers.</p>
<h2>De maigres résultats…</h2>
<p>À l’heure où la rivalité sino-américaine structure et polarise l’ensemble des relations internationales dans la région Indo-Pacifique, cette séquence singapourienne n’aura pas permis d’atténuer les tensions régionales.</p>
<p>Après trois jours de « dialogue », le ministre singapourien de la Défense <a href="https://www.channelnewsasia.com/singapore/shangri-la-dialogue-singapore-vested-interest-us-china-communication-ng-eng-hen-3537466">synthétisait</a> avec ironie : « Des pilotes de Formule 1 conduisant les yeux bandés sur le même circuit. Ils devraient faire attention, et les spectateurs aussi ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rendez-vous incontournable des décideurs de la région Asie-Pacifique, le Dialogue de Shangrii-La a été cette année particulièrement tendu, sur fond de crises autour de Taïwan et en Ukraine.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2040942023-04-20T15:59:02Z2023-04-20T15:59:02ZLe Japon en passe de devenir une grande puissance militaire de l’Indo-Pacifique<p>L’organisation du <a href="https://www.g7hiroshima.go.jp/en/">G7 à Hiroshima</a> en mai prochain a vu le premier ministre japonais Fumio Kishida multiplier les initiatives diplomatiques depuis le début de l’année 2023 : tournée en Europe et aux États-Unis, sommet historique avec la Corée du Sud, <a href="https://theconversation.com/la-reaction-japonaise-a-linvasion-de-lukraine-179913">visite à Kiev</a>… Ces déplacements – où les questions de sécurité, et avant tout la guerre en Ukraine et le dossier de Taïwan tiennent une part significative – accompagnent une mutation notable de la posture stratégique globale de l’archipel.</p>
<p>En décembre 2022, le Japon a en effet publié deux nouveaux documents relatifs à sa défense, dont une <a href="https://www.mod.go.jp/j/approach/agenda/guideline/pdf/security_strategy_en.pdf">Stratégie de sécurité nationale</a> et une <a href="https://www.mod.go.jp/j/approach/agenda/guideline/strategy/pdf/strategy_en.pdf">Stratégie de défense nationale</a>.</p>
<p>Parmi les mesures annoncées, l’acquisition de moyens de « contre-attaque », c’est-à-dire la capacité de frapper des bases ennemies avec des missiles à longue portée, a été la plus commentée. Les <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/11/30/national/japan-buy-tomahawk-missiles/">États-Unis ont accepté de livrer des missiles de croisière Tomahawk</a> à Tokyo, un privilège jusqu’ici octroyé au seul Royaume-Uni. Washington cherche ainsi à accroître l’interopérabilité avec les Forces d’Autodéfense nippones (FAD) afin de renforcer la force de dissuasion de l’alliance dans un Indo-Pacifique sous tension.</p>
<h2>Une évolution stratégique remarquée</h2>
<p>Si la Chine et la Russie se sont empressées de dénoncer la <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/12/22/national/russia-on-jpn-defense-plan/">« militarisation débridée »</a> de l’archipel, on assiste en réalité, plus simplement, à une étape supplémentaire dans la normalisation de l’appareil de défense du pays.</p>
<p>Au demeurant, cela ne s’est pas fait sans à-coups. Il aura fallu attendre l’accumulation de menaces régionales résultant des premiers tirs balistiques puis nucléaires de la Corée du Nord en 1998 puis 2006 et de la crise montante autour des iles Senkaku avec la Chine depuis 2010 pour voir les cercles dirigeants nippons se montrer plus actifs dans la professionnalisation de leur outil militaire et l’acquisition de nouvelles capacités, notamment à travers le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-1-page-129.htm">développement d’une défense antimissile avec l’aide des États-Unis</a>.</p>
<p>Ces derniers ont fortement encouragé et accompagné le Japon dans sa quête d’une posture stratégique plus affirmée à l’échelle régionale comme internationale. Tokyo a par ailleurs su s’adapter aux contraintes de sa <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/jp1946.htm">Constitution</a>, dont l’article 9 renonce à l’usage de la force dans les relations internationales et à l’entretien de forces armées, en soulignant le caractère défensif de sa démarche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-H2tiCgL9NU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les documents publiés ces derniers jours indiquent que Tokyo ne craint plus de s’afficher comme un acteur stratégique majeur. L’archipel confirme ainsi son rôle de premier plan et son engagement aux côtés des États-Unis dans la défense d’un Indo-Pacifique libre et ouvert <a href="https://www.mofa.go.jp/policy/other/bluebook/2020/html/fr/tokushu04.html">(<em>Free and Open Indo-Pacific, FOIP</em>)</a> et au-delà, d’un ordre international libéral mis à mal par les comportements agressifs de la Chine et la Russie.</p>
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<p>L’augmentation envisagée du budget militaire nippon à 2 % du PIB sur cinq ans, contre 1 % actuellement, pourrait classer Tokyo parmi les cinq premiers acteurs de défense mondiaux, alors qu’il se situe actuellement au <a href="https://www.iiss.org/blogs/analysis/2022/02/military-balance-2022-further-assessments">8ᵉ rang, avec un buget militaire de 49,3 milliards de dollars</a>.</p>
<h2>L’exploitation de l’héritage stratégique de Shinzo Abe</h2>
<p>Shinzo Abe, ancien premier ministre (2006-2007 puis 2012-2020) <a href="https://theconversation.com/assassinat-de-shinzo-abe-quel-est-vraiment-le-poids-de-la-secte-moon-au-japon-187194">tragiquement assassiné en juillet 2022</a>, avait donné une impulsion significative au renforcement militaire de l’archipel en faisant adopter une nouvelle législation sur la sécurité nationale en 2015.</p>
<p>Désormais, les FAD peuvent faire usage de la force et porter secours à des pays amis, notamment les États-Unis, dans certaines situations mettant en jeu des intérêts nationaux vitaux (survie du Japon, menace sur les droits constitutionnels des Japonais) – et cela sans limites géographiques. Elles peuvent donc théoriquement intervenir partout.</p>
<p>Le renforcement des capacités militaires des FAD visait entre autres à donner de la substance à la promotion de ce fameux Indo-Pacifique libre et ouvert, un concept géopolitique <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/realizing-vision-of-free-and-open-indo-pacific-by-abe-shinzo-2022-09">dont Shinzo Abe a assuré avec conviction la promotion</a>. Il ralliera notamment à sa vision son homologue indien Narendra Modi dès 2015, puis Donald Trump en 2017.</p>
<p>Mettant en avant la connectivité stratégique existant entre les océans Indien et Pacifique, son approche suppose entre autres un accès libre pour l’ensemble de la communauté internationale aux mers d’Asie, à leurs principaux détroits et aux voies de navigation commerciales. Elle explique le rapprochement voulu par Abe avec les démocraties maritimes d’Asie – États-Unis, Inde et Australie – que l’expansion et l’agressivité des forces de la marine, des garde-côtes et des flottilles de pêche chinoises inquiètent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-loi-chinoise-sur-les-garde-cotes-va-t-elle-provoquer-de-nouvelles-tensions-sur-les-mers-dasie-155417">La loi chinoise sur les garde-côtes va-t-elle provoquer de nouvelles tensions sur les mers d’Asie ?</a>
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<p>Ce rapprochement s’est incarné dans l’organisation du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), un partenariat informel créé en 2004 et que Shinzo Abe a contribué à renforcer à partir de 2007 en y arrimant solidement l’Inde et l’Australie aux côtés des États-Unis. Depuis, <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">Joe Biden a fait du QUAD le cadre élargi d’une coopération multidimensionnelle</a> se posant comme une alternative aux Nouvelles Routes de la Soie chinoises.</p>
<h2>L’impact de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Le choc créé par <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Indo-Pacific/Transcript-Japan-PM-Kishida-s-speech-at-Shangri-La-Dialogue">l’invasion russe de l’Ukraine</a> a été l’un des éléments qui ont influencé la rédaction des nouveaux documents stratégiques du Japon.</p>
<p>Fumio Kishida a été parmi les premiers dirigeants asiatiques à se joindre aux pays occidentaux pour imposer des sanctions à la Russie, même si cette décision a <a href="https://www.nippon.com/fr/in-depth/a08105/">ruiné la poursuite des négociations</a> nippo-russes sur l’avenir des territoires du Nord (Kouriles pour la Russie), dont quatre îles restent disputées entre les deux pays depuis 1945.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638470706865250305"}"></div></p>
<p>Le coup de force russe en Europe a <a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">convaincu les cercles dirigeants japonais qu’une attaque de Taïwan par la Chine pouvait se produire</a> et que l’archipel ne pourrait rester à l’écart d’une crise dans le détroit.</p>
<p>Par ailleurs, le gouvernement japonais a mesuré combien le soutien de l’UE et de l’OTAN à l’Ukraine s’est accru dès lors que Kiev a montré sa résolution à se battre. Il en a déduit que la meilleure façon de s’assurer de l’appui des États-Unis et d’autres partenaires en cas de crise était de consentir un réel investissement dans sa propre défense.</p>
<p>C’est en ce sens qu’il faut comprendre la <a href="https://www.lopinion.fr/international/invite-a-madrid-tokyo-japon-attend-beaucoup-de-lotan-en-asie">présence de Kishida au sommet de l’OTAN</a> du 30 juin 2022 à Madrid, une première, ainsi que ses propos sur l’idée <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/29/le-japon-et-la-coree-du-sud-invites-du-sommet-de-l-otan-souhaitent-l-ouverture-de-l-alliance-a-l-asie_6132513_3210.html">que la sécurité de l’Europe et celle de l’Indo-Pacifique étaient liées</a>. L’augmentation envisagée du budget de défense japonais par la nouvelle stratégie correspond d’ailleurs à l’engagement des États membres de l’OTAN à consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires à horizon de 2024.</p>
<h2>Des changements de fond, mais une analyse géopolitique prudente</h2>
<p>Dans la nouvelle Stratégie de sécurité nationale, la perspective d’attaques de missiles contre le Japon est décrite comme une « menace palpable », d’où la nécessité pour le pays de se doter de moyens supérieurs à ses défenses existantes.</p>
<p>Ces éclaircissements renvoient à la réalité d’une forte dégradation de l’environnement proche du Japon : en août 2022, après la visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, Pékin a procédé à des exercices militaires d’ampleur, lançant notamment des missiles balistiques dont <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/08/04/national/japan-china-missiles-eez/">cinq ont atterri dans la zone économique exclusive du Japon</a>. Cet épisode s’est ajouté aux multiples incursions maritimes et aériennes chinoises dans les eaux territoriales et l’espace aérien des îles Senkaku (Diaoyu pour la Chine), situées à quelque 410 km de l’archipel japonais d’Okinawa.</p>
<p>Le document constate que la diplomatie et les activités militaires de Pékin sont « très préoccupantes » et représentent un « défi stratégique majeur » sans précédent pour le Japon et la communauté internationale. Quant à la Russie, depuis la guerre en Ukraine, elle constitue une « forte préoccupation de sécurité ».</p>
<p>Il est souligné que la stratégie du Japon restera « défensive » et que les « contre-attaques » ne seront utilisées que dans certaines conditions limitées. Les frappes préemptives ne sont pas autorisées.</p>
<p>Enfin, face au développement de stratégies hybrides (ingérence politique, désinformation, propagande), le Japon entend améliorer ses capacités spatiales et ses moyens de lutte contre les cyberattaques et la guerre informationnelle. <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/cybersecurite-grand-bond-avant-japon-2023">La composante de cybersécurité passera à 4 000 personnes</a> d’ici à 2027, contre 800 actuellement, ce qui permettra au gouvernement de combler d’importantes lacunes.</p>
<h2>Vers un « JAUKUS » ?</h2>
<p>L’administration Biden a salué les annonces du Japon et les grandes lignes d’une Stratégie nationale de défense qui constitue un écho à <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/11/8-November-Combined-PDF-for-Upload.pdf">celle qu’elle vient elle-même de publier</a>.</p>
<p>Pour les États-Unis, engagés dans une compétition multidimensionnelle avec la Chine, il convient d’utiliser au mieux l’innovation, mais aussi la mise en réseau des capacités technologiques et opérationnelles disponibles. Le partenariat <a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS</a> signé en 2021 avec le Royaume-Uni et l’Australie, au-delà de la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire, implique ainsi des collaborations poussées dans des secteurs clés comme l’intelligence artificielle, le calcul quantique, l’hypersonique ou encore les capacités sous-marines autonomes.</p>
<p>Le Japon et les États-Unis coopèrent déjà étroitement en matière de technologie militaire. Les forces aériennes japonaises mettent en œuvre l’avion de combat F-35 et utilisent le système de défense antimissile Aegis, tous deux construits par l’entrepreneur américain Lockheed Martin. L’alliance avec les États-Unis est plus que jamais vitale pour Tokyo, dont la dépendance en matière de renseignement et de détection avancée est déjà forte dans le cadre de la défense antimissiles. Une dépendance qui devrait s’accroître avec l’acquisition de missiles Tomahawk, d’autant que Tokyo envisage d’en doter ses destroyers équipés du système antimissiles Aegis.</p>
<p>Au demeurant, les responsables japonais ne seraient pas hostiles à des partenariats élargis, voire à un <a href="https://www.aspistrategist.org.au/is-now-the-time-for-jaukus/">« JAUKUS »</a>. Alors que la compétition technologique avec la Chine s’intensifie, le Japon estime qu’il peut donner un avantage décisif à son grand allié américain au regard de sa maîtrise dans des secteurs de pointe comme l’intelligence artificielle, la robotique, les technologies quantiques ou les semi-conducteurs.</p>
<p>En octobre 2022, durant une visite remarquée à Canberra, Fumio Kishida a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/22/face-a-la-montee-en-puissance-militaire-de-la-chine-le-japon-et-l-australie-signent-un-pacte-de-securite-historique_6146899_3210.html">renouvelé un ancien accord</a> portant notamment sur le partage de renseignements d’origine électronique avec l’Australie. La signature a relancé les supputations sur une <a href="https://www.csis.org/analysis/resolved-japan-ready-become-formal-member-five-eyes">possible adhésion du Japon à l’alliance de renseignement « Five Eyes</a> », qui rassemble les plus proches alliés des États-Unis : le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.</p>
<p>On l’aura compris : l’époque où le Japon était <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/07/11/tokyo-fait-la-sourde-oreille-aux-demandes-americaines-d-effort-militaire_2719940_1819218.html">« un géant économique mais un nain militaire »</a> est bel et bien révolue…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la menace que la Chine fait peser sur la région indo-pacifique, le Japon abandonne sa posture prudente traditionnelle, réarme massivement et se range résolument dans le camp des États-Unis.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012662023-03-15T19:58:08Z2023-03-15T19:58:08ZChine–États-Unis : gare à la fascination pour le « piège de Thucydide » !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515518/original/file-20230315-275-92kz7q.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C5%2C1791%2C852&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’aigle et le dragon sont-ils voués à s’affronter ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/eagle-vs-dragon-vector-illustration-economic-1471807013">Farosofa/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/l-autre-guerre-froide/">« L’autre Guerre Froide »</a>, qui vient de paraître aux éditions du CNRS, l’historien Pierre Grosser fait le bilan de la rivalité opposant les deux grandes puissances du XXI<sup>e</sup> siècle. Entre ambition de devenir la première puissance de la planète du côté chinois et crainte de perdre le monopole du leadership mondial du côté américain, un conflit armé est un scénario crédible selon la fameuse théorie du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/ZAJEC/57980">« piège de Thucydide »</a>, que l’auteur analyse dans l’extrait que nous vous présentons aujourd’hui.</em></p>
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<p>Dans l’histoire, l’ascension rapide d’une nouvelle puissance, soucieuse d’abord d’avoir « une place au soleil », puis de changer les règles du jeu pour qu’elles soient plus à son avantage, inquiéterait toujours la puissance la mieux installée, qui elle-même connaît un déclin relatif. Cela provoquerait nécessairement des guerres. Aujourd’hui, les États-Unis seraient confrontés au dilemme d’accepter ou non les changements tectoniques de la hiérarchie des puissances, et donc la domination qui en résulte de la Chine en Asie, ou de choisir la guerre pour la limiter, avec le risque de s’affaiblir eux-mêmes et de faciliter ce qu’ils voulaient prévenir, une transition vers la domination chinoise.</p>
<p>Cette thèse a été popularisée par un vétéran de la science politique, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/vers-la-guerre_9782738147028.php">Graham Allison</a>, sous le terme de « piège de Thucydide », afin d’avoir un vernis d’humanités, une prétention scientifique, et des citations au rabais (comme pour la « fin de l’histoire » ou le « choc des civilisations », qui sont aussi accusées de devenir des prophéties auto-réalisatrices).</p>
<p>La comparaison avec 1914, qui est développée dans l’ouvrage, ne tient pas, tout simplement parce que la Première Guerre mondiale n’a pas été causée par la rivalité entre Berlin et Londres (je le montre plus en détail dans <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01064752/document">l’étude de l’IRSEM</a> La course aux armements navals avait été gagnée par les Britanniques dès 1912, et comptait moins que la course aux armements terrestres de l’Allemagne avec la France et la Russie. Les ennemis traditionnels de l’Allemagne étaient ces deux pays, qui étaient aussi, dans l’Empire, ceux des Britanniques, ce qui rendait possible un renversement des alliances.</p>
<p>Aujourd’hui, il faut tenir compte des tensions sino-indiennes et sino-japonaises, ces dernières étant parfois aussi comparées aux relations anglo-allemandes d’avant 1914. La proximité culturelle (et dynastique) anglo-allemande était bien plus forte qu’entre les États-Unis et la Chine. Celle-ci ne sort pas de guerres d’unification qui en auraient fait, comme l’Allemagne, un modèle militaire pour les états-majors du monde entier.</p>
<p>Non seulement la Première Guerre mondiale n’est pas due principalement à cette ascension rapide d’une nouvelle puissance, mais l’histoire regorge d’exemples où ces changements de rapports de puissance <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402390.2018.1558056?journalCode=fjss20">ne provoquent pas de guerre</a>.</p>
<p>Ainsi, il n’y a pas eu de guerre entre les États-Unis et le Royaume-Uni, lorsque les premiers ont concurrencé le second dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. La Chine aime à rappeler cette réalité, et à se comparer aux États-Unis. Une puissance qui devient la plus riche du monde souhaiterait naturellement se réserver une sphère d’influence privilégiée, voire exclusive, en prétendant la libérer d’intrus impérialistes (les puissances européennes pour l’Amérique dans la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, les États-Unis pour l’Asie deux siècles plus tard), devenir une puissance navale pour protéger son commerce et ses intérêts, devenir une puissance diplomatique et culturelle. La Chine parviendrait même à être à la fois une puissance terrestre et une puissance navale, ce que n’ont pas réussi la France, l’Allemagne et la Russie – ni la Chine à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. La Chine de Xi Jinping connaîtrait sa « phase Theodore Roosevelt », lorsque les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/8409/theodore-roosevelt-et-l-amerique-imperiale">États-Unis sont devenus vraiment nationalistes et impérialistes</a>, puissance industrielle et navale, avec la prétention d’être le nouveau centre du monde.</p>
<p>Malgré les inquiétudes que la Chine suscite, sa volonté de créer des bases à l’étranger et de s’assurer des points d’appui portuaires, serait « naturelle ». De même que son souci d’assurer la sécurité de ses routes d’approvisionnement de matières premières et de ses ressortissants, en déployant des policiers chinois là où les communautés chinoises sont menacées, et en ayant les capacités militaires <a href="https://www.iiss.org/publications/adelphi/2015/chinas-strong-arm-protecting-citizens-and-assets-abroad">d’intervenir pour les protéger ou les évacuer</a>.</p>
<p>L’agitation de 2022 autour d’un <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/les-iles-salomon-sur-la-ligne-de-front-entre-la-chine-et-les-etats-unis-209057">accord de la Chine avec les îles Solomon</a> fait suite à nombre de focalisations sur des lieux (du Cambodge au golfe de Guinée ou en Namibie, en passant par les Émirats arabes unis), que convoiterait Pékin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-cambodge-une-base-militaire-comme-outil-dinfluence-pour-pekin-196165">Au Cambodge, une base militaire comme outil d’influence pour Pékin</a>
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<p>Les dépenses militaires de la Chine augmenteraient mécaniquement avec l’augmentation du PNB, sans qu’il y ait volonté militariste. Enfin, la Chine entrerait dans une nouvelle étape, déjà parcourue par les grandes puissances précédentes, en cherchant à internationaliser sa monnaie et aussi son droit. Au-delà des simples comparaisons de PNB, elle a déjà un <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/la-chine-un-geant-a-la-conquete-du-monde-1257626">pouvoir de marché</a> (grâce à sa population nombreuse à niveau de vie croissant), elle est centrale dans les chaînes de valeur et surtout la construction navale (45 % de la production mondiale) et le transport maritime, et pèse dans l’établissement de normes technologiques. Les actions internationales de la Chine n’auraient donc rien à voir avec l’idéologie du régime, mais seraient le simple produit de « lois » de la géopolitique.</p>
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<p>De plus, le piège de Thucydide ne concernerait pas la Chine, car celle-ci ne serait pas une puissance guerrière (Xi Jinping dit que <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2021/0701/c31354-9867516.html">ce n’est pas « dans son ADN »</a>). Elle est le seul membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, depuis la fin de la guerre froide, à <a href="https://www.cairn.info/demain-la-chine-guerre-ou-paix--9782072951619-page-73.htm">ne pas avoir utilisé la force militaire</a> et déployé ses soldats pour des guerres à l’étranger. Elle ne serait pas une puissance révisionniste, alors même que les États-Unis en sont une en s’en prenant, par ses interventions « humanitaires », à l’ordre international d’États souverains codifié en 1945.</p>
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<p>Pékin appelle les États-Unis à « maintenir le système international avec l’ONU en son cœur et le droit international comme fondement ». La Chine n’essaierait pas de constituer une alliance anti-occidentale avec les pays hostiles à la domination américaine (malgré la formalisation de groupes d’amis aux Nations unies), ni à entraîner des rebelles anti-impérialistes à travers le monde comme dans les années 1960 et 1970, <a href="https://www.fulcrum.org/concern/monographs/pv63g2033">ni à briser les alliances américaines, ni à promouvoir un ordre alternatif</a>. Non seulement elle ne minerait pas l’ordre international mais paye de plus en plus pour lui, par ses contributions au système onusien (notamment les Opérations de Maintien de la Paix).
En réalité, c’est le mélange d’optimisme et de pessimisme de la puissance montante qui a été une des causes de la Première Guerre mondiale, et pourrait être celle d’une guerre sino-américaine.</p>
<p>La <em>Weltpolitik</em> allemande était dans une impasse à partir de la fin des années 1900, car elle provoquait des réactions des grandes puissances concurrentes. Berlin se sentait donc empêchée d’obtenir sa « place au soleil », tout en prétendant avoir le meilleur système politique, la meilleure culture, le plus grand dynamisme industriel et commercial. C’est la remontée en puissance rapide de la Russie, après <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/histoire-du-monde-se-fait-en-asie_9782738148773.php">sa défaite de 1905 contre le Japon</a>, et donc le renforcement de la tenaille franco-russe qui poussa Berlin à une guerre quasi préventive, en profitant de la crise de l’été 1914.</p>
<p>La Chine aujourd’hui est persuadée de devoir retrouver sa place au Centre et au sommet qui lui serait historiquement due, mais elle subit le retour de bâton de pays petits et grands qui ne goûtent guère son arrogance, les efforts des puissances concurrentes pour ne pas lui laisser le champ libre, tandis que le crises internes de certains « clients » sont attribués à un endettement excessif à l’égard de la Chine (Sri Laka, Laos…). Les observateurs qui s’inquiétaient de l’offensive de charme chinoise dans les années 2000 se frottent les mains en constatant, avec une certaine exagération, la <a href="https://thediplomat.com/2022/07/chinas-poor-global-image-is-undermining-its-strategic-goals/">dégradation de l’image de la Chine</a> dans le monde depuis la fin des années 2010, à cause de son agressivité verbale et de ses pratiques coercitives.</p>
<p>La question du triomphalisme excessif de la Chine menant à une sorte de <a href="https://academic.oup.com/ia/article-abstract/94/5/1019/5092108">« surexpansion impériale »</a> est discutée depuis plusieurs années en Chine. La comparaison avec l’Allemagne est même prolongée, en regrettant que la <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7312/iken12590.7">Chine ait abandonné une politique néo-bismarckienne</a>, de multiplication de partenariats de toutes sortes, destinée à rassurer les voisins tout en dominant le système, et à tempérer les ardeurs des États-Unis (comme de la France pour le chancelier allemand). Xi Jinping aurait eu tort de jouer à Guillaume II, dans une politique régionale et mondiale assertive, de coups diplomatiques, de faits accomplis et de guerre juridique en mer de Chine du Sud, qui auraient rendu la Chine impopulaire, parfois isolée, et en conséquence plus agressive.</p>
<p>Même le Singapourien Kishore Mahbubani, chantre du triomphe de la Chine sur un Occident déclinant, <a href="https://www.fnac.com/livre-numerique/a13730571/Kishore-Mahbubani-Has-China-Won">déplore que celle-ci n’ait pas réussi à garder davantage d’« amis » aux États-Unis</a> pour empêcher le tournant consensuel pour une politique de confrontation. Au XX<sup>e</sup>, l’Allemagne s’est avérée trop grosse pour les équilibres européens mais trop faible pour dominer l’Europe : la Chine serait trop puissante pour les équilibres asiatiques, et même mondiaux, mais ses prétentions de domination seraient vaines et contreproductives.</p>
<p>La volonté croissante de Xi d’utiliser la coercition pour atteindre les objectifs de la Chine, ainsi que la rhétorique de plus en plus agressive, pourraient même être la preuve que Pékin a conscience qu’il sera difficile de dépasser pacifiquement les États-Unis dans le long sprint à la puissance. Les condensés de pessimisme dans la marmite d’optimisme seraient dangereux, car <a href="https://www.aei.org/research-products/book/danger-zone-the-coming-conflict-with-china/">pousseraient à prendre plus de risques, à cause d’une paranoïa et d’une impatience accrues</a>. Le célèbre stratège Edward Luttwak parle même d’<a href="https://www.orfonline.org/research/understanding-the-rationale-for-toxic-decision-making-within-the-army-52826/">« autisme de grande puissance »</a>, qui serait une loi de l’histoire : le PCC, particulièrement ethnocentrique et plein de morgue, ne pourrait ou ne voudrait abandonner des politiques contreproductives et autodestructrices, malgré tous les signaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514725/original/file-20230310-18-5a1hho.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’autre Guerre froide », paru en mars 2023 aux éditions du CNRS. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions du CNRS</span></span>
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<p>La question est donc de savoir si Pékin choisira une sorte de fuite en avant à court terme, ou bien de rassurer les puissances qu’elle inquiète et consolidera ses fondamentaux pour reprendre sa marche en avant. Les nominations récentes sont regardées avec attention. Pour certains observateurs, Xi promeut une nouvelle génération de diplomates prêts à la compétition avec l’Occident et à l’utilisation de la coercition, favorable à l’axe sino-russe et à un leadership chinois sur le monde non-occidental, et déterminés à défendre le modèle politique chinois ; d’autres au contraire estiment que ce sont des <a href="https://thediplomat.com/2022/07/chinas-wolf-warrior-diplomacy-is-fading/">diplomates plus modérés</a> qui sont mis en avant, pour calmer les inquiétudes des pays d’accueil. Mais comment revenir en arrière lorsque, pour des raisons avant tout domestiques, Xi Jinping aurait abandonné la montée en puissance pacifique de la Chine, et <a href="https://www.amazon.com/Overreach-China-Derailed-Peaceful-Rise/dp/0190068515">serait allé trop loin dans la projection de puissance</a> et l’agressivité verbale, provoquant une sur-réaction des États-Unis, de leurs alliés, et certains pays du Sud ? Cette sur-réaction à son tour rendrait impossible tout retour en arrière, voire faciliterait une fuite en avant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201266/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Grosser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les points de tension se multiplient entre Pékin et Washington, la transition vers un leadership chinois passera-t-elle forcément par un affrontement militaire avec les États-Unis ?Pierre Grosser, Professeur de relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1994232023-02-27T18:12:17Z2023-02-27T18:12:17ZÉtudiants chinois et taïwanais en France : la possibilité du dialogue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512413/original/file-20230227-28-pnggpe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C3266%2C3280&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche publiée lors de la projection du documentaire consacré aux échanges entre étudiants taïwanais et chinois en France analysés dans «&nbsp;Le Temps des mots&nbsp;». Les caractères chinois signifient «&nbsp;Rive droite -- Rive gauche&nbsp;» (en référence aux deux rives du détroit de Taïwan).
</span> <span class="attribution"><span class="source">S. Ferhat</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans « Le Temps des Mots, Un dialogue sino-taïwanais », <a href="https://www.you-feng.com/temps_des_mots_ferhat_samia.php">paru en janvier aux éditions You Feng</a>, premier aboutissement d’un travail de terrain mené sur plus de dix années, la socio-politologue Samia Ferhat, spécialiste des espaces taïwanais et chinois, s’intéresse aux échanges entre étudiants originaires de Chine et de Taïwan durant leurs études en France. Au moment où la tension entre Pékin et Taïpei est à son comble, cet ouvrage met en évidence les différences de représentations existant entre les populations des deux rives du détroit de Taïwan… Mais aussi la possibilité d’un dialogue apaisé, fondé sur des affects partagés.</em></p>
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<p>De retour à Paris après presque dix années de vie à Taïwan, j’eus l’occasion, au début des années 2000, d’observer pour la première fois des interactions entre jeunes Chinois et Taïwanais. Celles-ci se tenaient principalement au sein des institutions dans lesquelles j’enseignais. Peu nombreux, il y avait néanmoins toujours deux ou trois étudiants venus de Chine et de Taïwan dans mes classes. Les étudiants chinois manifestaient en général beaucoup de curiosité à l’égard de la société taïwanaise, certains revendiquant même un lien affectif privilégié avec sa population. Ils le justifiaient par une origine territoriale, une culture et une histoire communes. Ils évoquaient notamment les liens du sang qui les unissaient, et que rien, selon eux, ne pouvait défaire ; cela se traduisait par l’expression : « Les liens du sang sont plus épais que l’eau » (血浓于水). </p>
<p>Ils faisaient ainsi référence à une matrice commune aux deux populations, l’une et l’autre majoritairement composées de membres de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Han_(ethnie)">l’ethnie han (汉)</a>. Cette matrice, à la fois historique et culturelle, sous-tendait dans leur esprit la continuité, au fil des générations, d’un lien affectif, forme d’attache primordiale, avec la terre continentale comme source et ferment de l’entité historique et socio-culturelle chinoise. Cette entité, qu’ils nomment le plus souvent « Zhonghua » (中华), est à distinguer de l’entité politique appelée « République populaire de Chine », qu’elle dépasse largement par sa profondeur et son ancrage civilisationnels. Cette conception les amenait à se représenter les populations chinoise et taïwanaise comme appartenant à une même communauté familiale ; ce qu’ils exprimaient sous l’adage : « Nous constituons une famille » (我们是一家人).</p>
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<p>À cette revendication d’une proximité affective, les jeunes Taïwanais opposaient généralement le constat d’un profond fossé (隔閡) qui les séparait les uns des autres. La perception d’un sentiment d’étrangeté et de distance à l’égard de leurs camarades chinois était expliquée le plus souvent par le fait qu’ils ne parlaient <a href="https://www.journeytotaiwan.asia/langues-parle-t-on-a-taiwan-mandarin-taiwanais-hakka/">pas tout à fait la même langue</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En fait, alors que depuis les années 1960 les deux sociétés connaissaient une situation effective de paix, puisqu’aucun conflit armé ne les avait opposées (il y a eu cependant plusieurs crises dans le détroit de Taïwan, voir notamment Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander, <em><a href="https://www.cairn.info/la-chine-en-quete-de-ses-frontieres--9782724609776.htm">La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taïwan</a></em>), ces jeunes Taïwanais affichaient une perception particulièrement tendue et inquiète de celui vivant de l’autre côté du détroit. Il me semblait dès lors qu’intervenait dans la prégnance d’un tel phénomène la question de l’imaginaire et des représentations. La perception clivée, heurtée, que ces jeunes avaient de l’altérité semblait en effet liée à la façon dont leur avait été transmise la mémoire d’un passé qu’ils n’avaient pas vécu, mais dont ils continuaient à assumer l’héritage.</p>
<p>Ces premières observations m’ont amenée à considérer la question des processus d’identification communautaire, et à interroger plus particulièrement la portée des ressources mémorielles dans la formation des liens d’identité. Je souhaitais, en effet, comprendre dans quelle mesure le rapport au passé en Chine et à Taïwan, tout en permettant la formation de nouvelles dynamiques d’identification, pouvait également contribuer à la reconfiguration des relations entre les deux sociétés.</p>
<p>Cette curiosité fut amplifiée par le contexte socio-politique de l’époque. En effet, alors qu’à Taïwan était menée depuis plusieurs années une politique de <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2004_num_85_1_3249">« dé-sinisation »</a>, de l’autre côté du détroit, au contraire, l’histoire de la République de Chine était de plus en plus réinvestie, jusqu’à conduire à une <a href="https://shs.hal.science/file/index/docid/628822/filename/Monde_chinois-FERHAT.pdf">reconsidération de ses personnages les plus décriés</a> comme, par exemple, Chiang Kaï-shek (蔣介石). Le constat d’un tel paradoxe me confirma dans le désir de travailler sur les représentations historiques et mémorielles de la jeunesse chinoise et taïwanaise.</p>
<p>Cela s’est traduit par la mise en place d’un protocole d’enquête réalisé de 2006 à 2008 en France, en Chine et à Taïwan, auprès de cinquante-quatre étudiants chinois et taïwanais âgés entre 23 et 33 ans, soit nés à la fin des années 1970 et dans le courant des années 1980 (concernant les questions politiques et identitaires relatives à la jeunesse taïwanaise, on peut se référer au travail de <a href="https://www.researchgate.net/publication/227439438_Generational_Change_and_Ethnicity_among_1980s-born_Taiwanese">Tanguy Lepesant</a>).</p>
<h2>Interroger les mémoires</h2>
<p>En fait, alors qu’à Taïwan le second mandat du président Chen Shui-bian (陳水扁) s’accompagnait d’une politique culturelle résolument formosane destinée à affirmer, au-delà de l’expérience continentale de la République de Chine, la singularité historique d’une trajectoire proprement insulaire […], je souhaitais saisir l’écart qui, hypothétiquement, séparerait une représentation du passé proprement « chinoise et continentale » d’une appréhension tentant à définir le vécu taïwanais comme totalement autre. Afin d’évaluer l’ampleur d’un tel écart, la grille d’entretien que je proposais considérait l’espace-temps situé <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2006_num_95_1_3433">entre 1910 et 1950</a> ; ce qui permettait de traiter d’une matière historique connue par l’ensemble des enquêtés. Scolarisés dans les années 1980, ils avaient en effet reçu un enseignement traitant des événements majeurs de la période […].</p>
<p>Si le regard porté sur les différents protagonistes ainsi que le sens donné aux événements différaient d’un groupe à l’autre, et ceci souvent plus en fonction de stratifications socio-culturelles, ethniques ou familiales que strictement nationales, le plus surprenant fut certainement <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2012-4-page-107.htm">l’observation d’une communauté d’expression et de formulation de sens partagés</a> par ces jeunes sur la période d’occupation japonaise en Chine et la guerre de résistance.</p>
<p>Les sentiments les plus forts qu’ils manifestaient au souvenir des événements étaient invariablement liés aux brutalités subies par la population civile : les actes de barbarie perpétrés lors de <a href="https://www.rfi.fr/fr/culture/20211213-iris-chang-la-voix-des-victimes-du-massacre-de-nankin-en-1937">l’assaut de la ville de Nankin</a>, le 13 décembre 1937, et pendant les jours qui suivirent, la pratique systématique du viol, l’assujettissement des femmes de réconfort et les <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/pourquoi-lhistoire-de-lunite-731-reste-taboue-au-japon-177468-01-10-2018/">expérimentations biologiques sur des êtres humains</a> dans différents camps d’internement dont l’unité 751 à Pingfang, arrondissement de la ville de Harbin.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"652613973955751936"}"></div></p>
<p>Tous ces faits, à un moment ou à un autre du récit, conduisaient à l’expression de trois sentiments particuliers : la colère (气愤/氣憤), la haine (仇恨) et la honte (耻辱/恥辱). Si les deux premiers ne me surprenaient pas, je n’arrivais cependant pas à comprendre comment des jeunes éloignés par plus d’un demi-siècle des événements, et vivant dans deux sociétés distinctes, dont l’une n’était d’ailleurs pas toujours prête à faire sienne l’histoire continentale, pouvaient se retrouver autour d’un sentiment qui ne me semblait pas nécessairement relever de l’expérience de la victime. En effet, n’était-ce pas à l’agresseur et au tortionnaire d’éprouver un tel sentiment ?</p>
<p>À ce questionnement, les jeunes proposaient généralement une même explication qui, non seulement, révélait une perception singulière de la notion de responsabilité, mais rendait aussi compte d’une appréhension particulièrement fine de la psychologie de la victime. […]</p>
<h2>La possibilité du dialogue</h2>
<p>Que m’apprenait la formulation du sentiment de honte par les participants au protocole d’enquête mené en 2006 ? En fait, la communauté d’émotions exprimée et, surtout, le sens invariablement donné à ce sentiment, me permettaient de saisir cet espace de rencontre possiblement nourri de perceptions partagées que François Jullien nomme <a href="https://shs.hal.science/halshs-00677232/document">« l’entre »</a>. </p>
<p>Si l’éloignement géographique et la distance historique avaient indéniablement conduit à l’évolution distincte des deux sociétés, dont l’inconciliable différence était par ailleurs au cœur de l’affirmation identitaire formosane à Taïwan, je commençais toutefois à distinguer, au fil des entretiens, la possibilité d’un commun permettant à ces jeunes de formuler, en termes analogues, la réalité d’une représentation non seulement historique, mais aussi affective et normative (cette analogie de sens et ce commun terminologique nous ramènent également à François Jullien qui nous dit que : <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/3854">« les façons de parler sont aussi et d’abord des façons de penser »</a>). Un « entre » nourri de ressources culturelles qu’ils se montraient capables de mobiliser au moment de ce retour vers le passé, et au-delà de toute fixation identitaire.</p>
<p>[…]</p>
<p>C’est cet « entre », ce terreau nourri de probables communs, qui m’a menée à envisager la possibilité du dialogue entre ces jeunes Taïwanais et Chinois. Dialogue compris comme l’éventualité d’une mise en relation, voire en confrontation, des positions respectives par la mobilisation de ces ressources culturelles afin de construire, idéalement, une intelligence mutuelle. Un espace où les « écarts » ne seraient pas résorbés mais travaillés et débordés pour rendre effective et féconde la dynamique de l’interaction.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1122&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1122&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512412/original/file-20230227-155-sef6zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1122&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Le Temps des mots », paru en janvier 2023 aux éditions You Feng. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions You Feng</span></span>
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<p>De ce premier protocole de recherche, et des réflexions qui en ont émergé, est né l’atelier « Dialogue sino-taïwanais autour du cinéma ». Organisé à Paris de l’hiver 2009 au printemps 2010, il fut conçu comme un espace de rencontre et de discussion ouvert à de jeunes Chinois et Taïwanais. L’objectif était de permettre à ses participants d’échanger et de débattre autour de films traitant de deux moments de l’histoire propres à leurs sociétés respectives : la <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2016-4-page-941.htm">guerre de résistance contre le Japon</a> sur le Continent, et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ta%C3%AFwan_sous_domination_japonaise">période de colonisation japonaise à Taïwan</a>. </p>
<p>Au nombre de dix, cinq jeunes hommes et cinq jeunes femmes, les membres de l’atelier se sont retrouvés lors de six séances d’une durée moyenne de six heures, généralement découpées en trois sessions : la projection du film, suivie d’un temps de discussion générale et complétée par la mise en place d’activités réalisées en groupes plus restreints […]. L’atelier s’est tenu de 2009 à 2010. Il a été suivi de la réalisation d’un documentaire, « Le Temps des mots -左岸右岸 » (2015) et d’entretiens individuels menés jusqu’en 2021. Le documentaire a donné lieu à la réalisation d’un <a href="http://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2016/11/Asia-Focus-5-itw-Samia-Ferhat.pdf">entretien avec Emmanuel Lincot</a> pour la revue en ligne <em>Asia Focus – Programme Asie</em> de l’IRIS.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samia Ferhat a bénéficié de bourses, de financements, d'allocations de recherche de l'UMRCCJ (EHESS-CNRS), l'Academia Sinica, le Ministère de l'éducation taïwanais, le Ministère des affaires étrangères français, le Ministère de la culture taïwanais. </span></em></p>Les civils portent, dans leur discours, la mémoire telle qu’elle est enseignée dans leur pays. C’est ce qui a été observé lors d’ateliers menés auprès d’étudiants chinois et taïwanais en France.Samia Ferhat, Chercheuse a Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine (EHESS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1978762023-02-05T16:57:46Z2023-02-05T16:57:46ZLa défense de Taïwan à l’épreuve de la montée en puissance chinoise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507409/original/file-20230131-10822-rbk42e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6126%2C4071&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parade militaire à Taipei, le 10&nbsp;octobre 2021. Taïwan se prépare à affronter une invasion chinoise sur mer, dans les airs et aussi sur le territoire de l’île.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Jeng Bo Yuan/Shuttterstock</span></span></figcaption></figure><p>2023 sera-t-elle <a href="https://warontherocks.com/2022/12/is-china-planning-to-attack-taiwan-a-careful-consideration-of-available-evidence-says-no/">l’année d'une grande déflagration dans le détroit de Taïwan</a> ? </p>
<p>En tout cas, l’illusion d’un <a href="https://archipel.uqam.ca/923/1/M10187.pdf">règlement de la question sino-taïwanaise sur la base de l’interdépendance économique</a> a vécu, sous le triple effet d’un réarmement chinois tourné avant tout contre Taipei, d’une opposition sino-américaine croissante et de la progression du sentiment national taïwanais.</p>
<p>L’actuelle <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/26/face-a-la-chine-les-pays-de-l-indo-pacifique-se-rearment-et-se-rapprochent-des-etats-unis_6159370_3232.html">hausse des tensions</a> incite à s’interroger sur les moyens offensifs dont dispose l’armée chinoise, ainsi que sur la capacité de l’île à renforcer sa défense et à se rapprocher de ses alliés.</p>
<h2>Le renforcement de l’armée chinoise</h2>
<p>Taïwan est la clé de l’endiguement naval de la Chine. Prendre l’île <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/programme-taiwan-sur-securite-diplomatie/opportunite-vulnerabilite-regards-chinois-sur-importance-geostrategique-taiwan-2021">permettrait à Pékin</a> de sécuriser ses côtes, de briser son encerclement maritime et de profiter des avantages géographiques de Taïwan face à ses adversaires américains et japonais. En effet, les côtes de l’île donnent directement sur les eaux profondes du Pacifique ; les sous-marins chinois pourraient y appareiller en toute discrétion.</p>
<p>Forte de sa croissance économique, la Chine <a href="https://news.usni.org/2022/11/29/2022-pentagon-report-on-chinese-military-development">continue de préparer l’Armée populaire de Libération</a> (APL) à cette mission. Alors que Taipei a annoncé en août 2022 une <a href="https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2022/08/25/taiwan-va-augmenter-ses-depenses-militaires-de-13-23275.html">forte hausse de son budget de défense</a>, celui de Pékin, le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/la-chine-depense-sans-compter-pour-moderniser-larmee-populaire-de-liberation-1869965">deuxième au monde</a> après celui des États-Unis, demeure vingt fois supérieur.</p>
<p>L’APL a lancé entre 2015 et 2019 l’équivalent de 600 000 tonnes en navires de guerre, soit 50 % de plus que Washington sur la même période. Pékin ambitionne, au cours de la décennie 2020, de mettre en service plusieurs groupes aéronavals, alors que l’US Navy prévoit de <a href="https://news.usni.org/2022/08/15/navy-wants-to-decommission-39-warships-in-2023">mettre à la retraite un certain nombre d’unités</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-cambodge-une-base-militaire-comme-outil-dinfluence-pour-pekin-196165">Au Cambodge, une base militaire comme outil d’influence pour Pékin</a>
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<p>La Chine construit également des bâtiments d’assaut amphibies, <a href="https://warontherocks.com/2022/10/mind-the-gap-part-2-the-cross-strait-potential-of-chinas-civilian-shipping-has-grown/">adapte ses ferries</a> au transport de blindés et aux missions de débarquement, et agrandit sa flotte de transport aérien ainsi que ses <a href="https://www.scmp.com/news/china/military/article/3152423/upgrades-chinese-military-airbases-facing-taiwan-hint-war-plans">bases au Fujian</a> (la province côtière située en face de Taïwan).</p>
<p>Taïwan est une forteresse naturelle. Mais Pékin veut neutraliser cet avantage par la <a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/security-1-pla-rocket-force-plarf-mark-stokes-project-2049/id1487913289?i=1000513097051">croissance quantitative et qualitative de l’arsenal</a> de sa Force des fusées (PLARF), également susceptible de frapper les positions américaines et japonaises situées à proximité de l’île (Guam et Okinawa).</p>
<p>L’APL s’entraîne au <a href="https://www.cna.org/reports/2021/09/The-PLAs-New-Joint-Doctrine.pdf">combat interarmes</a> au cours de manœuvres amphibies et aériennes. Elle perfectionne ses capacités de guerre électronique et cyber, utiles pour cibler les infrastructures critiques et perturber la chaîne de commandement adverse.</p>
<p>Pékin tente aussi de créer les <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2022-2-page-243.htm">conditions pour un futur combat naval dans la profondeur</a> des océans Indien et Pacifique afin d’y contrecarrer tout soutien américain, couper la retraite aux défenseurs taïwanais et contrôler les lignes de communication.</p>
<p>En tout, le renforcement des capacités de l’APL érode les avantages défensifs de Taïwan et constitue une menace de plus en plus crédible pour l’aéronavale américaine.</p>
<h2>La défense taïwanaise en débats</h2>
<p>Pour autant, une invasion de Taïwan resterait extrêmement difficile. Pour réussir, l’APL devrait acquérir la <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7249/j.ctt17rw5gb.12">supériorité absolue dans les mers et cieux</a> du détroit, tout en maintenant en respect la menace américaine au large.</p>
<p>Taïwan, peuplée de quelque 23 millions d’habitants, peut compter sur <a href="https://foreignpolicy.com/2020/02/15/china-threat-invasion-conscription-taiwans-military-is-a-hollow-shell/">150 000 soldats</a>, une trentaine de larges unités navales (frégates, destroyers…) et 400 avions de chasse. Mais le déséquilibre avec les forces chinoises grandit.</p>
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<p>La posture de défense taïwanaise <a href="https://warontherocks.com/2021/11/taiwans-defense-plans-are-going-off-the-rails/">reste largement conventionnelle</a>, avec un large panel de missions : disputer à l’APL la supériorité sur les eaux et les cieux du détroit, contrôler les lignes de communication maritime et casser un potentiel blocus.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2021-1-page-115.htm">Ce choix est reflété dans les équipements</a> dont Taïwan a récemment passé commande ou développe : nouveaux F-16, sous-marins, chars de bataille Abrams… Mais de <a href="https://www.stimson.org/event/a-question-of-time-enhancing-taiwans-conventional-deterrence-posture/">nombreux analystes considèrent</a> qu’outre leur coût très important, ces armements aux contraintes logistiques élevées seront déployés à partir de bases vulnérables, et pourraient être facilement neutralisés dès le début d’un conflit.</p>
<p>Taïwan est donc le <a href="https://www.voacantonese.com/a/a-review-of-taiwan-s-asymmetrical-warfare-capabilities-after-chinese-drills-20220807/6690734.html">théâtre d’un débat</a> entre les <a href="https://thediplomat.com/2020/11/taiwans-overall-defense-concept-explained/">partisans de la lutte asymétrique tels que l’amiral Lee Hsi-ming</a>, ex-chef d’état-major des armées (2017-2019), et les tenants de la défense conventionnelle.</p>
<p><a href="https://thediplomat.com/2020/11/taiwans-overall-defense-concept-explained/">Les premiers estiment que</a> Taipei, dans un contexte budgétaire serré, devrait se concentrer sur l’essentiel : persuader Pékin de son incapacité à débarquer et à se maintenir sur l’île. Ils priorisent donc des équipements adaptés, susceptibles de résister à une première frappe de missiles balistiques chinois : petits, mobiles mais très nombreux et bien dispersés tels que des missiles anti-aériens et anti-navires déployés sur corvette légère ou camion.</p>
<p>Cette approche, <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/07/us/politics/china-taiwan-weapons.html">appuyée par Washington</a>, a été <a href="https://warontherocks.com/2021/11/taiwans-defense-plans-are-going-off-the-rails/">tacitement rejetée par l’armée</a> après le départ à la retraite de l’amiral Lee. <a href="https://www.voacantonese.com/a/a-review-of-taiwan-s-asymmetrical-warfare-capabilities-after-chinese-drills-20220807/6690734.html">D’après les partisans du conventionnel</a>, l’ampleur des exercices de l’APL en temps de paix exigerait au contraire, pour sauvegarder la marge de manœuvre aérienne et maritime de Taïwan, de continuer à acquérir du matériel lourd comme actuellement.</p>
<p>L’école asymétrique rétorque qu’elle ne vise pas à débarrasser Taïwan de tous ses moyens conventionnels, mais qu’espérer contrecarrer l’APL symétriquement relève, à terme, de l’utopie. Lee par exemple comprend le besoin de <a href="https://foreignpolicy.com/2020/08/20/taiwan-military-flashy-american-weapons-no-ammo/">renouveler une partie du matériel veillissant</a>, mais à condition d’y consacrer moins de ressources et de le faire dans un cadre accordant la priorité à l’asymétrie.</p>
<p>En attendant, la formation au combat minimaliste du service militaire, et les doutes sur la <a href="https://forum.ettoday.net/news/2041460">valeur opérationnelle de la réserve</a> continuent à faire débat. En outre, <a href="https://foreignpolicy.com/2020/02/15/china-threat-invasion-conscription-taiwans-military-is-a-hollow-shell/">l’armée éprouve des difficultés à recruter assez de volontaires</a>, à cause notamment de salaires peu compétitifs par rapport à la concurrence du secteur privé, de sa réputation perfectible auprès de la population, et d’un taux de natalité très faible à Taïwan (1,2 enfant par femme en 2O22).</p>
<p>C’est pour parer à ces problèmes que <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/taiwan-une-societe-sur-le-pied-de-guerre-6120414">Taipei a annoncé l’extension du service militaire obligatoire</a> pour les hommes, de quatre mois à un an dès 2024. Mais les <a href="https://www.taiwannews.com.tw/en/news/4769112">défis demeurent nombreux</a> pour faire de ce changement une pleine réalité : il faudra construire de nouvelles casernes, recruter l’encadrement et s’assurer d’avoir assez <a href="https://twitter.com/PaulHuangReport/status/1607702921801785346">d’équipements en stocks</a>.</p>
<p>D’autres idées nouvelles sont apparues dans le sillage de la guerre d’Ukraine comme la <a href="https://warontherocks.com/2022/03/the-view-of-ukraine-from-taiwan-get-real-about-territorial-defense/">création d’une force de défense territoriale</a>. À ce jour, cette idée <a href="https://thediplomat.com/2022/05/why-taiwan-cant-copy-ukraines-civil-defense-blueprint/">n’a toutefois pas reçu de soutien officiel</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">Les inquiétantes leçons de la guerre d’Ukraine pour l’avenir de Taïwan</a>
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<h2>La carte américaine</h2>
<p><a href="https://www.cato.org/commentary/rhetoric-aside-americas-asian-partners-are-giving-their-own-defense">Les Américains s’alarment</a> d’un rapport de force militaire déséquilibré entre Taïwan et la Chine, et de la posture plus offensive de Pékin.</p>
<p>Washington avait longtemps maintenu le doute quant à sa décision d’intervenir militairement en cas d’attaque chinoise de Taïwan. Cette posture présentait l’avantage de maximiser la marge de manœuvre américaine en dissuadant la Chine de recourir à la force et en veillant à ce que Taipei ne franchisse pas les lignes rouges pékinoises.</p>
<p>Mais en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/19/joe-biden-affirme-que-les-etats-unis-defendraient-taiwan-en-cas-d-invasion-chinoise_6142183_3210.html">assurant</a> en septembre dernier que les États-Unis se porteraient à la rescousse de Taïwan en cas d’attaque chinoise, Joe Biden <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2022/09/joe-biden-taiwan-china-strategic-ambiguity/671512/">s’est écarté de cette « ambiguïté stratégique »</a>. Cela étant, malgré ce changement en forme d’avertissement à Pékin, l’intensité exacte du soutien militaire américain à Taïwan demeure non précisée. L’ambiguïté perdure donc au niveau tactique.</p>
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<p>Certains à Taipei craignent que la guerre en Ukraine n’augmente les délais pour la livraison d’armements américains, <a href="https://warontherocks.com/2023/01/the-real-reasons-for-taiwans-arms-backlog-and-how-to-help-fill-it/">dont le montant s’élève actuellement à 19 milliards de dollars</a>. À Washington, le <a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/7900"><em>National Defense Authorization Act</em> de 2023</a> aurait pu, entre autres, répondre à ces inquiétudes, mais il semble avoir été <a href="https://www.defensenews.com/congress/budget/2022/10/17/senate-to-add-10-billion-in-taiwan-aid-scale-back-arms-sale-reform/">coupé de certaines mesures</a> permettant d’expédier plus rapidement les équipements commandés.</p>
<p>Les Américains aussi renforcent leur dispositif militaire. Ils possèdent un certain nombre de bases au Japon, dont la plus importante se trouve à Okinawa (à 600 km à l’est de Taïwan). Ils viennent de signer avec les Philippines – dont le territoire se situe à proximité de Taïwan et de la mer de Chine méridionale (dont les eaux sont également revendiquées par Pékin) – un <a href="https://www.lepoint.fr/monde/manille-permet-a-washington-d-acceder-a-des-bases-militaires-supplementaires-02-02-2023-2507152_24.php">accord pour y renforcer leur présence militaire</a>. Plus largement, les Américains débattent de la meilleure stratégie à adopter <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300268027/the-strategy-of-denial/">pour contrer le plus efficacement possible</a> la montée en puissance de l’armée chinoise.</p>
<h2>Une nouvelle normalité ?</h2>
<p>La tactique chinoise actuelle consiste en une montée en pression constante visant à démoraliser Taïwan, à persuader ses alliés de son caractère indéfendable, à contester sa souveraineté, à recueillir des renseignements sur son armée et à aggraver ses contraintes logistiques, sans provoquer pour autant de <em>casus belli</em>.</p>
<p>Pékin a franchi un palier avec les manœuvres d’août 2022 après la visite à Taipei de Nancy Pelosi, recourant à des tirs de missiles dans six zones autour de Taïwan. <a href="https://www.chinanews.com.cn/gn/2022/08-07/9821666.shtml">L’APL semblait vouloir persuader</a> de sa capacité à (1) se déployer sans être dissuadée au plus proche de Taïwan, (2) encercler l’île et (3) dissuader l’intervention de « forces extérieures » (lire « américaines ») lors d’un conflit. Le franchissement d’avions de l’APL de la tacite « ligne médiane » du détroit <a href="https://twitter.com/pdchinese/status/1529986367643881472 ?s=21&t=reAyPDxkeLTg2lwXtLH_Yg&fbclid=IwAR2n8e86vN0geWtWL7zUQOjET5clriefrUd3PNWQ5sI6TRbJmy83ySkk1E0">est devenu routinier</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507405/original/file-20230131-14-r6bbwx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le mouvement en tenaille de l’APL.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CIGeography Louis Martin-Vézian 2021</span></span>
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<p>Pékin a certainement voulu montrer sa capacité à <a href="https://udn.com/news/story/11091/6523278 ?from=udn_ch2_menu_v2_main_cate&fbclid=IwAR1nKhb4lx8sNp1IyCCFhlFLmGEjVFgI-iG_15MQ7MNH7CHDEaR7TVbw7cs">menacer les lignes d’approvisionnement maritime de Taïwan</a> et à bloquer l’île. Taipei espère donc réussir à augmenter ses stocks défensifs <a href="https://foreignpolicy.com/2022/09/08/taiwan-needs-weapons-for-day-1-of-a-chinese-invasion/"><em>avant</em> le début d’un conflit</a>, et a <a href="https://edition.cnn.com/2022/10/06/asia/taiwan-china-airspace-first-strike-intl-hnk-ml/index.html">clarifié ses règles d’engagement</a> : il contre-attaquera en cas d’incursion dans ses eaux et considérera un blocus comme un acte de guerre.</p>
<h2>Et après ?</h2>
<p>La dissuasion tiendra tant que Pékin ne se sentira pas assuré de sortir gagnant d’un conflit aux conséquences aussi graves qu’incertaines. Une modernisation militaire inachevée, les défenses taïwanaises, les risques économiques, la vulnérabilité du littoral chinois et la menace d’interposition des États-Unis (possiblement soutenus par le Japon) concourent à freiner Pékin.</p>
<p>Les bruits de bottes constituent donc un moyen d’intimider Taïwan en augmentant progressivement le niveau de tension. C’est aussi pourquoi la Chine fabrique de nombreux navires et avions, Pékin estimant peut-être que le renversement de l’équilibre des forces instillera à terme le doute chez les défenseurs et facilitera l’émergence de conditions politiques plus favorables pour progresser vers une unification sans recourir à la force. L’option militaire gagne cependant en attrait, les pressions chinoises d’ordre politique influençant peu les Taïwanais.</p>
<p>Dans un contexte de compétition économique sino-américaine exacerbée, de profonds désaccords politiques entre Taipei et Pékin et de montée en puissance militaire chinoise, le statu quo s’efface devant le retour au premier plan du rapport de force. Les tensions dans le détroit de Taïwan risquent bien de perdurer.</p>
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<p><em>Cet article est une version actualisée d’une étude publiée par <a href="https://www.areion24.news/produit/les-grands-dossiers-de-diplomatie-n-71/">Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 71</a>, adapté ici après avoir reçu l’autorisation du directeur de la publication</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Tierny a reçu en 2022 une bourse de recherche du Ministère des affaires étrangères de Taïwan.
Hugo Tierny a reçu en 2021 une bourse de recherche du Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC).
Hugo Tierny a été visiting scholar au Taiwan Center for Security Studies (TCSS).
</span></em></p>La tension ne retombe pas dans le détroit de Taïwan. Quel est le potentiel militaire de la Chine, et comment l’île s’organise-t-elle pour sa défense ? État des lieux des forces en présence.Hugo Tierny, Doctorant en histoire militaire et en relations internationales à l'École Pratique des Hautes Etudes (EPHE), Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1890852022-09-04T15:22:37Z2022-09-04T15:22:37ZLe casse-tête chinois de Taïwan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/481593/original/file-20220829-13-b5wug1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C6221%2C4119&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La République populaire estime que si elle prend le contrôle de Taïwan, ce sera une réunification. Mais l’unité des deux rives du détroit de Formose n’a été qu’une brève parenthèse dans la longue histoire de l’île…
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/china-taiwan-flags-painted-on-concrete-2179593957">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La récente <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/04/taiwan-le-perilleux-voyage-de-nancy-pelosi_6137136_3232.html">visite à Taïwan de Nancy Pelosi</a>, présidente de la Chambre des Représentants américaine et troisième personnage dans la ligne protocolaire du pouvoir à Washington, a déclenché <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-chine-instrumentalise-la-visite-de-nancy-pelosi-pour-renforcer-son-emprise-sur-taiwan-20220803">l’ire de la Chine</a> et rapproché la planète de la perspective d’un conflit majeur, dans la région Asie-Pacifique.</p>
<p>La grave crise que cette visite a provoquée place tous ceux qui pensent que la démocratie reste le moins mauvais des systèmes politiques devant un dilemme quasi insoluble. En l’occurrence, un véritable casse-tête chinois !</p>
<p>Comment défendre efficacement la petite démocratie de Taïwan face au géant totalitaire et impérialiste qu’est la Chine ? Peut-être en insistant sur le fait que si la légitimité du droit international est du côté de Pékin, celle qui découle de l’histoire est, en revanche beaucoup plus discutable, contrairement à ce qu’<a href="https://www.mfa.gov.cn/ce/cedz/fra/zt/zgtw/TW/t144100.htm">affirme avec aplomb la propagande officielle de la République populaire</a>…</p>
<h2>Une dictature militaire pendant presque quarante ans…</h2>
<p>En cette période de déclin démocratique généralisé, Taïwan constitue une brillante exception à la règle qui mérite d’être saluée. Depuis le début de la démocratisation du pays, vers la fin des années 1980, il s’est en effet progressivement imposé comme le plus démocratique de toute l’Asie et même du monde non occidental. D’après le <a href="https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2020/">classement annuel</a> en la matière établi par l’Economist Intelligence Unit, il a intégré en 2020 le groupe très restreint de la vingtaine de « démocraties complètes » (full democracies) que compte la planète et s’est classé au 8<sup>e</sup> rang mondial en 2021, avec un score de 8,99 (sur un maximum de 10). Cela place Taïwan juste derrière les champions habituels que sont les cinq pays du nord de l’Europe, la Nouvelle-Zélande et l’Irlande, et juste devant l’Australie et la Suisse. Le <a href="https://freedomhouse.org/countries/freedom-world/scores">classement de <em>Freedom House</em></a> est concordant, considérant Taïwan comme un pays « entièrement libre » avec un score de 94 en 2021.</p>
<p>Une telle performance est d’autant plus remarquable que la démocratie taïwanaise vient de fort loin. Après sa défaite en 1949 face au Parti communiste de Mao Zedong, le général Tchang KaÏ-chek, qui préside la République de Chine (RoC) et dirige le parti nationaliste du Kuomintang, s’est en effet <a href="https://www.herodote.net/8_decembre_1949-evenement-19491208.php">replié</a> avec ses troupes et environ 1,5 million de ses partisans sur l’île de Taïwan.</p>
<p>Le début de la guerre froide, avec le conflit en Corée et la protection bientôt étendue à Taïwan par les États-Unis, va empêcher la RPC de parachever par la conquête de l’île sa mainmise sur l’ensemble du territoire national qu’elle estime être sien. Sur cette dernière, la population se verra imposer une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/04/taiwan-deterre-les-crimes-de-la-dictature-de-tchang-kai-chek_6041742_3210.html">sévère dictature militaire</a>, une loi martiale d’airain et un régime de parti unique, le Kuomintang, qui dureront près de 40 ans, survivront à la mort de Tchang Kaï-chek en 1975 et perdureront sous l’égide de son fils Tchang Ching-kuo, pratiquement jusqu’au décès de celui-ci en 1988.</p>
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<figcaption><span class="caption">Taïwan : le président Tchang Kaï-chek prête serment pour la quatrième fois (1966).</span></figcaption>
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<p>Durant cette période, le développement économique de l’île a été spectaculaire, faisant de Taïwan l’un des quatre « petits dragons » du fameux « miracle de l’Asie orientale », avec la Corée du Sud, Hongkong et Singapour. Cela a entraîné des changements sociaux profonds, une hausse rapide du niveau d’éducation et l’émergence d’une classe moyenne entrepreneuriale qui supporte de plus en plus mal la dictature et demande un changement politique.</p>
<p>Il sera ainsi mis fin, dès 1986, au régime de parti unique dont bénéficiait le vieux Kuomintang, qui représentait surtout les intérêts des nationalistes venus de Chine continentale. La même année, Taïwan voit la création du <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2013-4-page-131.htm">Minjindang</a> ou PDP (Parti démocratique progressiste), qui porte plutôt les aspirations de la population locale originaire ou native de Taïwan et va devenir son principal rival dans un système multipartiste.</p>
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<p>En 1987, la loi martiale imposée dès 1949 sera enfin levée. En 1988, à la mort de l’héritier de la « dynastie » des Tchang, le Parlement, toujours dominé par le Kuomintang, élira à la présidence <a href="https://www.researchgate.net/publication/231978539_Lee_Teng-hui_and_the_Idea_of_Ta%C3%AFwan">Lee Teng-hui</a>, vice-président en fonction et membre dirigeant du Kuomintang, mais premier leader du pays à être né à Taïwan. Il restera en poste jusqu’en 2000 et se révélera comme l’artisan de la transition démocratique. En 1992 auront lieu les premières élections législatives libres du pays, et le <a href="https://www.liberation.fr/evenement/1996/03/23/l-ile-connait-sa-premiere-election-presidentielle-au-suffrage-universel-samedi-taiwan-s-installe-dan_165059/">suffrage universel direct</a> pour les présidentielles sera établi en 1998.</p>
<h2>… devenue une démocratie modèle</h2>
<p>La victoire du Minjindang, avec l’élection en 2000 du juriste né à Taïwan <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-3-page-51.htm">Chen Shui-bian</a>, mettra fin à un demi-siècle de domination absolue du Kuomintang.</p>
<p>Chen Shui-bian sera réélu en 2004 <a href="https://www.universalis.fr/evenement/16-27-mars-2004-election-presidentielle-troublee/">dans une ambiance politique encore instable et conflictuelle</a>. Mais, depuis, la démocratie s’est consolidée et s’est fermement établie à Taïwan, avec un jeu d’alternance classique au pouvoir des deux grands partis dominant la vie politique. Le Kuomintang gagnera les élections de 2008 et réoccupera le pouvoir jusqu’en 2016 sous la présidence de <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/3813">Ma Ying-jeou</a>, année où le Minjindang lui succède, alors avec la victoire de <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2015-4-page-126.htm">Tsai Ing-wen</a>, réélue en 2020 jusqu’en 2024.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216007237258416130"}"></div></p>
<p>Bref, Taïwan est devenue en une trentaine d’années une démocratie exemplaire face à une Chine totalitaire au nationalisme exacerbé qui veut lui faire subir le <a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">sort qu’elle a réservé récemment à Hongkong</a> (dont la situation et l’histoire étaient très différentes).</p>
<p>C’est d’ailleurs la crainte d’une grande majorité de la population de l’île, qui est apparemment satisfaite du système démocratique dans lequel elle vit désormais et ne tient absolument pas à être rattachée en tant que 23<sup>e</sup> province à la Chine continentale. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit favorable à une indépendance formelle, mais elle adhère au minimum au statu quo actuel qui consiste à la pratiquer sans la proclamer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/explainer-the-complex-question-of-taiwanese-independence-188584">Explainer: the complex question of Taiwanese independence</a>
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<p>Cette dernière perspective reste inacceptable pour Pékin, qui tient absolument à réintégrer Taïwan avant le 100<sup>e</sup> anniversaire de la RPC en 2049 en s’appuyant sur le fait que sa légitimité à être seule et unique représentante de la Chine au regard du droit international et de la reconnaissance au sein du système de l’ONU est acquise et indiscutable.</p>
<h2>Taïwan et le monde</h2>
<p>Pourtant, en 1945, c’est tout naturellement la République de Chine (RoC) nationaliste dirigée par <a href="https://www.proquest.com/openview/b62d56b40a839de8582d0da4e80d4029/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1818041">Tchang KaÏ-chek</a> qui a initialement occupé le siège permanent auquel le pays a droit au sein du <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr">Conseil de sécurité des Nations unies</a> nouvellement créé en tant que membre de l’alliance des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais, dès sa victoire en 1949, la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/proclamation-de-la-republique-populaire-de-chine/">RPC de Mao Zedong</a> revendique aussi ce siège. Et comme les deux régimes adhèrent au « principe d’une seule Chine », la RoC réfugiée à Taipei rêvant de reconquérir la Chine continentale et la RPC d’annexer l’île de Taïwan, cela pose rapidement un problème à l’ensemble des pays de la communauté internationale.</p>
<p>Après l’Inde qui l’a reconnue en premier, un certain nombre de pays européens – les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège.. – jouent toutefois le réalisme et décident de reconnaître dès le début des années 1950 la RPC comme seule représentante légitime de la Chine, établissant des relations diplomatiques avec Pékin et les rompant en conséquence avec Taipei.</p>
<p>La diplomatie de la RPC développe dès lors une stratégie agressive pour pousser son avantage, amenant de nombreux autres pays à suivre le mouvement, la France du général de Gaulle <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/reconnaissance-de-la-chine-en-1964-le-poids-de-l-evidence-et-de-la-raison-de-gaulle_1770817.html">rejoignant ce club</a> en 1964.</p>
<p>Le tournant crucial se situe en octobre 1971 quand l’AG de l’ONU adopte la résolution 2758 par laquelle la RPC est reconnue comme seule représentante légitime de la Chine, avec expulsion concomitante des représentants de la RoC de Taïwan. Le Japon franchit le pas en 1972 ; puis les États-Unis, engagés dans leur politique de détente vis-à-vis de Pékin, font finalement de même en 1979.</p>
<p>Depuis lors et surtout avec la montée en puissance de la RPC, le succès époustouflant de son économie devenue la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-2-page-62.htm?ref=doi">deuxième du monde</a> en quarante ans et sa capacité à financer d’énormes projets d’infrastructures dans le cadre de sa stratégie des « Routes de la soie », la dégringolade s’est poursuivie pour la RoC.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’y a plus que 14 pays dans le monde, en majorité des micro-États insulaires, qui reconnaissent Taïwan : 4 en Océanie, 4 dans les Caraïbes, 3 en Amérique centrale, 1 en Amérique du Sud (le Paraguay), 1 en Afrique (le Swaziland devenu Eswatini depuis 2018), ainsi que le Vatican, qui sera à n’en point douter le « dernier des Mohicans ». Après le Niger, l’Afrique du Sud, le Lesotho et la Macédoine ces dernières années, le dernier pays à avoir changé de camp est le Nicaragua en 2021.</p>
<p>En revanche, 57 pays ont quand même conservé des relations « non diplomatiques » avec Taïpei, dont la plupart des grandes puissances membres du G20, avec lesquelles l’île continue d’entretenir d’importants échanges économiques, commerciaux, industriels et financiers. En dépit de cela, la légitimité de Pékin à représenter la Chine « seule et unique » sur le plan international peut difficilement être mise en doute. Il n’en va pas de même pour sa légitimité historique.</p>
<h2>L’histoire de l’île</h2>
<p>Jusqu’au milieu du XVI<sup>e</sup> siècle, l’île de Taïwan, qui n’a d’ailleurs pas encore de nom bien établi dans la tradition chinoise, est habitée par une <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/famaustro.htm">population austronésienne</a>, probablement à l’origine du peuplement d’une grande partie de l’Océanie, et est restée largement isolée, à l’écart des troubles agitant le continent.</p>
<p>Elle n’a jamais soulevé le moindre intérêt des dynasties successives qui ont dominé la Chine depuis celle des <a href="https://www.ccc-paris.org/decouverte-de-la-chine/la-dynastie-des-qin/">Qin</a> qui a réalisé, deux siècles avant notre ère, une première forme d’unité du pays.</p>
<p>En fait, paradoxe de l’histoire, l’île n’est sortie de son isolement qu’au tout début de l’expansion coloniale européenne en Extrême-Orient, quand une poignée de marins et marchands portugais « découvrent » cette terre, qu’ils vont baptiser « <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2009_num_96_362_4401_t1_0334_0000_1">Ilha Formosa</a> » ou « l’île magnifique », et y établir un premier comptoir en 1544. Ils seront supplantés en 1624 par les <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=60&post=63452">Hollandais</a>, qui vont dominer les routes maritimes du monde entier pendant tout le XVII<sup>e</sup> siècle et s’installent à Tainan, dans le sud-ouest de Formose, alors que la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/dynastie-ming-reperes-chronologiques/">dynastie des Ming</a>, au pouvoir à Pékin depuis 1368, est en plein déclin et a d’autres préoccupations avec les sécheresses, les épidémies, les famines et les révoltes qui affligent l’Empire du Milieu.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481589/original/file-20220829-8758-95ihm2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rencontre entre les colons hollandais et les populations aborigènes de Taïwan circa 1635.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Dutch_pacification_campaign_on_Formosa#/media/File:Landdag.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Les choses ne vont changer qu’avec la prise de pouvoir par les Mandchous, qui fondent en 1644 la dernière dynastie impériale chinoise, celle des <a href="https://www.ccc-paris.org/decouverte-de-la-chine/la-dynastie-des-qing/">Qing</a>. La résistance contre ces envahisseurs non chinois venus du nord s’organise dans le sud du pays autour de la ville côtière de Xiamen et de la maison princière des Tang, restée fidèle aux Ming, sous la houlette d’un aventurier membre des Triades et fils d’un ancien pirate et d’une mère japonaise qui passera à la postérité sous le nom de Koxinga. Devant l’offensive mandchoue, il décide de se replier avec ses troupes sur l’île de Formose dont <a href="http://www.taiwandocuments.org/koxinga.htm">il chasse les Hollandais</a> en 1662 pour y fonder l’éphémère royaume de Tungning, qui est finalement défait en 1683 et absorbé dans l’empire des Qing.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Statue en pierre d’un guerrier à cheval" src="https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481584/original/file-20220829-18-mro91f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Statue de Koxinga à Tainan. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Statue_of_Koxinga,_Tainan.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces derniers continuent cependant à n’avoir aucun intérêt pour cette île considérée comme l’arrière-cour lointaine de la province du Fujian, rapatrient les troupes amenées par Koxinga et interdisent même aux populations d’origine chinoise (Han) de s’y installer ! Ensuite, la Chine des Qing se ferme largement aux contacts extérieurs au XVIII<sup>e</sup> siècle et l’île de Formose reste isolée et fréquentée sporadiquement par les seuls pêcheurs de la côte du Fujian.</p>
<p>Il faut attendre le XIX<sup>e</sup> siècle pour véritablement voir le début de son peuplement progressif par des populations Han chassées des provinces côtières de l’empire par les guerres et les famines qui accompagnent le boom démographique sur le continent et accélèrent le déclin du pouvoir mandchou. Cela crée d’ailleurs de nombreux conflits avec les populations locales, que Pékin essaye de gérer comme il le peut dans une attitude relativement négligente.</p>
<p>Ce n’est finalement qu’en 1885 que l’île se voit attribuer un statut de province dotée d’un gouverneur, et devient formellement une part reconnue et constitutive de l’empire Qing sous le nom de Taïwan. Cela ne va toutefois durer que dix ans puisqu’au terme de la guerre sino-japonaise de 1894-1895, la Chine cède « à perpétuité » Taïwan et les îles Pescadores voisines au Japon par le fameux <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1895shimonoseki.htm">traité de Shimonoseki</a>.</p>
<p>L’île restera ensuite un demi-siècle, jusqu’à la défaite nippone de 1945, sous la coupe du Japon, qui y appliquera la politique de modernisation économique et sociale inaugurée sous l’ère Meiji et y aura une influence déterminante, base du succès de son développement ultérieur. Puis, en 1945, Taïwan revient, comme on l’a vu, dans le giron de la Chine nationaliste de Tchang Kaï-chek qui s’y replie en 1949 après la victoire des communistes de Mao Zedong sur le continent.</p>
<h2>Une île qui ne fut pas longtemps chinoise</h2>
<p>Si l’on résume l’histoire de Formose-Taïwan, l’île est donc restée totalement indépendante pendant des millénaires ; a été légèrement affectée par les colonisateurs portugais pendant 80 ans et hollandais pendant 20 ans ; dominée par les Mandchous de manière très superficielle pendant deux siècles et à la fin de façon plus formelle mais pendant tout juste 10 ans ; puis profondément transformée par les Japonais pendant 50 ans, avant de devenir le refuge de la RoC nationaliste depuis exactement 73 ans. La légitimité historique du pouvoir en place à Pékin à revendiquer l’appartenance au territoire national de l’île de Taïwan, qu’elle a administré directement cinq fois moins longtemps que le Japon, n’est donc ni très solide ni bien convaincante !</p>
<p>C’est donc plutôt sur cet argument qu’il faut insister pour défendre la démocratie de Taïwan et le droit de sa population à s’autodéterminer et choisir le régime politique qui lui convient. Si Pékin peut affirmer sans vergogne, <a href="https://asialyst.com/fr/2022/07/14/hong-pas-colonie-langage-nouvel-imperialisme-chine/">comme il vient juste de le faire</a>, que Hongkong n’a jamais été une colonie britannique (!), on devrait pouvoir lui opposer le fait que Taïwan n’a quasiment jamais été une possession chinoise ! Mais il faut bien avouer que cette argumentation a peu de chances de succès face à la rhétorique ultra-nationaliste de la RPC.</p>
<p>La solution de large autonomie trouvée en 1999, au moment du retour de Hongkong dans le giron chinois, connue comme la formule d’« un État deux systèmes », était bien sûr le meilleur compromis possible, mais on a vu comment il a fait long feu avec la mise au pas récente de la cité-État où le mouvement démocratique a soulevé l’ire de Pékin. Il reste peut-être aussi à encourager les pays qui sont aux premières loges et bien placés pour jouer les médiateurs, comme l’Indonésie et ses partenaires de l’<a href="https://asean.org/">Asean</a>, à faire émerger un accord acceptable pour les deux parties qui évite le conflit qu’ils craignent plus que tout dans la région Asie-Pacifique.</p>
<p>Sinon, en gardant un brin d’optimisme, on peut aussi se dire que la cause de la démocratie n’est pas perdue en Chine populaire, même si elle est pour l’instant très improbable. En effet, rien ne dure pour toujours et un retournement de conjoncture économique liée à la « démondialisation » en cours et aux problèmes d’inégalités sociales, d’environnement et de santé publique pourrait bien raviver la contestation au sein du peuple chinois apparemment endormi.</p>
<p>Mais quand il se réveillera, pour paraphraser <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/apprendre-enseigner/langue-francaise/reveiller">Napoléon Iᵉʳ et Alain Peyrefitte</a>, les choses pourraient radicalement changer. Après tout, ce n’est pas le traditionalisme de la société chinoise confucianiste qui empêche le pays d’évoluer vers une démocratie : sans cela, Taïwan, qui aurait plutôt eu des leçons à donner à Pékin dans ce domaine, ne serait jamais devenu le phare démocratique que l’on admire aujourd’hui !</p>
<p>C’est bien le conservatisme du Parti communiste chinois, accroché à sa position hégémonique et aux privilèges qui vont avec, ainsi que la vision ultra-nationaliste et totalitaire de Xi Xinping, qui bloquent toute évolution. Or aucun homme n’est éternel. Dans l’intervalle, il faut tenir bon sur les principes, en défendant Taïwan avec tous les arguments et moyens possibles, de manière ferme mais sans provocations inutiles, en faisant tout ce qui est possible pour éviter un conflit armé qui scellerait le rapprochement entre la Russie et la Chine et serait une catastrophe pour la région et le monde entier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Taïwan, qui n’a en réalité que très peu appartenu à la Chine continentale dans son histoire, représente un contre-modèle démocratique que la République populaire de Chine veut absolument effacer.Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1890742022-08-21T16:21:08Z2022-08-21T16:21:08ZTaïwan : la stratégie indo-pacifique des États-Unis à l’épreuve<p>Le 3 août dernier, la courte visite à Taïwan de Nancy Pelosi, présidente de la chambre américaine des Représentants, a déclenché une réaction belliqueuse de Pékin et un cycle d’activités militaires chinoises soutenues à proximité des côtes de l’île, instaurant ce que beaucoup d’analystes qualifient de <a href="https://foreignpolicy.com/2022/08/17/taiwan-america-china-pelosi-visit-reliance/">« nouvelle norme »</a>.</p>
<p>Dès le 4 août, Pékin a effectué des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Chine-declenche-manoeuvres-militaires-autour-lile-Ta%C3%AFwan-2022-08-04-1201227605">exercices aéromaritimes d’ampleur</a> incluant des tirs de missiles balistiques – une démonstration de force qui a rappelé aux observateurs le <a href="https://www.liberation.fr/tribune/1996/03/19/la-troisieme-crise-du-detroit-de-taiwan_165488/">scénario de 1995-1996</a>, lors de la première crise majeure dans le détroit. Les manœuvres chinoises visaient alors à protester contre la visite aux États-Unis de Lee Teng Hui, à l’époque président de l’île, puis quelques mois plus tard à empêcher sa réélection. L’épisode avait suscité l’envoi de deux porte-avions américains par l’administration Clinton. Cette fois, Joe Biden n’aura dépêché qu’un seul porte-avions, et <a href="https://www.lesoir.be/458522/article/2022-08-08/taiwan-annonce-des-exercices-de-defense-apres-ceux-de-pekin">Taïwan a organisé des entraînements de défense</a> – au demeurant programmés de longue date, selon ses responsables.</p>
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<p>La surmédiatisation et la durée des exercices chinois entretiennent depuis début août une atmosphère de <a href="https://www.tf1info.fr/international/tirs-vers-taiwan-si-la-chine-attaque-c-est-la-fin-du-monde-previent-l-ambassadeur-en-france-2228429.html">dramatisation</a> et d’incertitude qui, au-delà de la région, retient l’attention internationale en raison de la tension sino-américaine qu’elle génère. Outre les menaces militaires, la Chine a fixé un coût diplomatico-économique élevé au déplacement de Nancy Pelosi, afin de prévenir des initiatives similaires : <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/visite-de-pelosi-a-taiwan-la-chine-degaine-les-sanctions-economiques-contre-les-etats-unis-927721.html">sanctions commerciales</a>, <a href="https://www.chine-magazine.com/des-personnalites-politiques-taiwanaises-sanctionnees-par-la-chine/">interdiction de visites en Chine</a> de personnalités taiwanaises et autres, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/05/taiwan-denonce-le-passage-d-avions-et-navires-de-guerre-sur-la-ligne-mediane-du-detroit-separant-l-ile-de-la-chine_6137243_3210.html">suspension de nombreuses coopérations</a> avec les États-Unis.</p>
<p>À ce stade, plusieurs questions se posent. Le statu quo précaire prévalant autour du détroit a-t-il été rompu ? Y a-t-il un infléchissement notable et durable de la part de Pékin ? Quelles perspectives se dessinent pour Taïwan, notamment dans le cadre de la <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/02/U.S.-Indo-Pacific-Strategy.pdf">stratégie indo-pacifique américaine</a>, dont la tonalité anti-chinoise s’accentue ?</p>
<h2>Pourquoi l’enjeu taiwanais est vital pour Xi Jinping</h2>
<p>Entamées le 4 août pour trois jours, les manœuvres de l’Armée Populaire de Libération (APL) se sont donc poursuivies, y compris après le 15 août. Cette volonté d’entretenir la tension – tout en épuisant la défense taïwanaise puisque chacun de ces exercices met en alerte les forces de Taipei – illustre la détermination chinoise à affirmer ses droits sur l’île.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1554686698264854533"}"></div></p>
<p>La Chine soutient que son attitude est <a href="https://www.tellerreport.com/news/2022-08-08-wang-wenbin-s-response-to-china-s-continued-military-exercise--issue-a-warning-to-the-perpetrators-and-punish-the-%22taiwan-independence%22-forces.r1lfZHLC6c.html">« ferme, forte et appropriée »</a>, et vise à protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale face aux « indépendantistes taiwanais » et à ce qu’elle estime être une « provocation américaine ». Ces positions reflètent des enjeux de politique intérieure et une intransigeance particulière de Xi Jinping qui <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/08/11/china-reaction-pelosi-visit-taiwan-reunification/">rendent impossible toute résolution pacifique de la « question taiwanaise</a> ». Xi Jinping doit <a href="https://www.challenges.fr/monde/congres-du-parti-du-pcc-pourquoi-rien-nest-gagner-pour-xi-jinping_817406">soigner sa stature d’homme fort avant le 20ᵉ Congres du PCC à l’automne</a> et une session plénière de l’Assemblée nationale populaire en 2023 où il devrait briguer un troisième mandat présidentiel de cinq ans (rappelons qu’il a été élu en 2013 et réélu en 2018).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parti-communiste-chinois-une-nouvelle-ere-171864">Parti communiste chinois : une nouvelle ère ?</a>
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<p>Joseph Wu, le chef de la diplomatie de Taïwan, a dénoncé le choix chinois d’une approche hybride <a href="https://news.yahoo.com/taiwanese-foreign-minister-warns-china-043231322.html">visant à préparer une invasion de l’île</a> et mêlant exercices militaires, cyberattaques, intense campagne de désinformation et coercition économique.</p>
<p>Taïwan est d’autant plus à réduire qu’elle constitue pour Xi Jinping un contre-exemple politique dont la réussite économique, les capacités d’innovation technologique et le fonctionnement démocratique jettent une ombre sur le modèle chinois. La dénonciation des velléités d’indépendance de Taïwan et les menaces répétées à l’encontre de la présidente Tsai depuis son arrivée au pouvoir en 2016 s’apparenteraient même à un aveu de faiblesse aux yeux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/05/avec-poutine-on-aurait-deja-frappe-taiwan-la-deception-des-ultranationalistes-chinois_6137276_3210.html">d’une opinion publique ultra-nationaliste</a>. Celle-ci ne peut que constater la résilience de Taïwan, y compris <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/programme-taiwan-sur-securite-diplomatie/strategie-taiwan-face-pandemie-quels-enseignements-pour-pays-europeens-2021">face au Covid-19</a>, contrairement à la Chine, et ne comprend pas que l’île ne soit pas à la merci de l’APL.</p>
<h2>L’internationalisation et la quête de soutien de Taïwan</h2>
<p>La situation est cependant plus complexe qu’il n’y paraît en raison du changement de perception internationale et d’une <a href="https://www.areion24.news/2022/03/08/taiwan-une-puissance-diplomatique/">lecture nouvelle du statut de Taïwan</a>, qui a su habilement mettre en avant sa nature démocratique.</p>
<p>Nancy Pelosi, dont <a href="https://www.lopinion.fr/international/pelosi-a-taiwan-le-vieux-combat-de-madam-speaker-contre-le-parti-communiste-chinois">l’hostilité à l’égard du régime communiste chinois</a> est connue, a bien perçu cette évolution que sa visite visait entre autres, à mettre en exergue. À l’heure de la guerre d’agression russe en Ukraine, la résolution de l’île à défendre son système politico-économique et sa liberté face à un adversaire aux moyens largement supérieurs résonne différemment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">Les inquiétantes leçons de la guerre d’Ukraine pour l’avenir de Taïwan</a>
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<p>Sans franchir la <a href="https://www.jstor.org/stable/48640619">ligne rouge de l’indépendance</a>, Taïwan a su, au fil des ans, se créer un relatif espace diplomatique, alors que le <a href="https://www.liberation.fr/debats/2016/01/26/stephane-corcuff-la-nation-taiwanaise-se-construit-sans-la-chine_1429066/">sentiment d’identité nationale</a> grandissait. Le nombre de visites de haut niveau à Taipei s’est multiplié : autorités américaines, parlementaires européens, sénateurs français ne craignent pas de se rendre sur l’île et d’y rencontrer sa présidente.</p>
<p>Les bureaux de représentation de Taïwan, dont le dernier a ouvert à Vilnius en 2021, s’apparentent à des ambassades. Si l’île reste exclue de l’ONU, de la Banque mondiale, de l’OMS ou du FMI, elle a pu <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=56&post=143405">intégrer l’OMC</a>. Joe Biden a avalisé cette stratégie de normalisation en invitant des représentants de l’île au <a href="https://www.la-croix.com/centaine-pays-autour-Biden-sommet-virtuel-democratie-2021-12-09-1301189297">Sommet virtuel de la démocratie de décembre 2021</a>.</p>
<p>Il serait illusoire d’opposer le « soft power » de Taïwan au « hard power » chinois. Toutefois, le démantèlement brutal de la démocratie à Hongkong et le traitement de la question ouïghoure ont altéré l’image de la Chine, et contribué à renforcer le statut moral de Taïwan. Face au Covid-19 et aux effets de la guerre en Ukraine, Taïwan a démontré son efficacité et son <a href="https://www.lesaffaires.com/blogues/francois-normand/pourquoi-taiwan-est-crucial-pour-votre-entreprise/635131">rôle moteur dans les chaînes d’approvisionnement internationales</a>. Il devient difficile aux tenants d’un discours dénonçant les autocraties et leur recours à la force, comme les États-Unis, l’Union européenne ou le G7, de <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom/-/2546638">ne pas s’engager plus activement dans un soutien</a> – diplomatique, politico-économique ou militaire – au régime de Taipei.</p>
<h2>Taïwan, bastion maritime de l’indo-pacifique américain</h2>
<p>Interrogé à plusieurs reprises sur la possibilité d’une intervention militaire pour défendre Taïwan en cas d’attaque chinoise, Joe Biden a <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/biden-promet-de-defendre-taiwan-une-declaration-qui-n-a-rien-de-surprenant-selon">répondu par l’affirmative</a>, dissipant partiellement la politique américaine d’« ambiguïté stratégique ». Celle-ci consiste à aider Taïwan à construire et à renforcer ses défenses, mais sans promettre explicitement d’agir en cas d’agression. <a href="https://www.congress.gov/bill/96th-congress/house-bill/2479">Selon le Taïwan Relations Act</a>, adopté par le Congrès en 1979, Washington est tenu de vendre des armes à Taïwan afin qu’elle puisse assurer sa défense face à la puissante APL. Pour autant, est-ce aujourd’hui suffisant ?</p>
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<p>Le recours à la force russe contre l’Ukraine fait craindre un scénario similaire en Asie, où la Chine se montre <a href="https://theconversation.com/la-chine-et-le-droit-international-de-la-mer-un-dialogue-impossible-161389">intraitable</a> sur la revendication de ses frontières maritimes. Le regain d’instabilité dans le détroit de Taïwan a donné des arguments aux partisans d’une plus grande clarté sur la nature de l’engagement américain, dont l’Australie et le Japon.</p>
<p>Ces pays, qui entretiennent des relations tendues avec Pékin, s’inquiètent de l’impact de la crise en cours sur la <a href="https://maritimeindia.org/the-us-indo-pacific-strategy-2022-an-analysis/">stratégie indopacifique que l’administration Biden</a> promeut activement dans la région et qu’ils soutiennent. Ils doutent que les États-Unis soient en position de faire face seuls à un conflit de haute intensité en Asie au vu de leur investissement en Ukraine face à la Russie.</p>
<p>Le Japon se sent particulièrement vulnérable. Les <a href="https://www.7sur7.be/monde/des-missiles-chinois-seraient-tombes-dans-les-eaux-japonaises%7Eada79d88/">cinq missiles chinois tombés dans ses eaux le 5 août</a> lui font craindre que Pékin ne vise à terme ses intérêts économiques et militaires ou les <a href="https://www.france24.com/fr/billet-retour/20190426-japon-okinawa-bases-soldats-americains-militaires-population">bases américaines à Okinawa</a>. Tokyo, déjà confronté à de fréquentes <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20130827.OBS4419/japon-iles-senkaku-nouvelle-incursion-de-navires-chinois.html">incursions navales chinoises autour des îlots Senkaku</a>, à une centaine de kilomètres de Taïwan, et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220324- %C3 %AEles-kouriles-la-guerre-en-ukraine-ravive-les-tensions-entre-le-japon-et-la-russie">aux prises avec la Russie</a> sur la question des territoires du Nord (îles Kouriles pour Moscou) <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/08/03/national/china-target-taiwan-drills-japan/">se sent devenir une cible potentielle de l’APL</a> dans le cadre des opérations de celle-ci autour de Taïwan.</p>
<p>La stratégie indo-pacifique des États-Unis pourrait trouver ses limites face à la détérioration de la situation dans le détroit. Cette stratégie vise en effet à contenir l’expansion régionale chinoise, notamment dans le domaine maritime, à renforcer la sécurité maritime régionale et à préserver la liberté de mouvement de l’US Navy et de ses alliés et partenaires. Or, la <a href="https://asiepacifique.fr/indo-pacifique-le-maritime-marianneperondoise/">liberté de navigation</a> et la sécurisation des grandes voies maritimes internationales, au cœur de cette stratégie, apparaissent menacées par la poussée chinoise en mer de Chine méridionale et orientale et, à terme, dans le détroit de Taïwan qui ouvre l’accès au Pacifique. Celui-ci, siège à Hawaï du commandement interarmées américain pour l’Indo-pacifique, l’<a href="https://www.pacom.mil/About-USINDOPACOM/USPACOM-Area-of-Responsibility/">USINDOPACOM</a>, et zone de déploiement de la <a href="https://www.c7f.navy.mil/">VII<sup>e</sup> flotte</a>, constitue un théâtre où les États-Unis possèdent une forte empreinte stratégique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1558604878846607360"}"></div></p>
<h2>Le QUAD et l’AUKUS face à la Chine</h2>
<p>L’ambition chinoise de s’étendre de l’océan Indien jusqu’au Pacifique océanien en y déployant son projet de Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) explique l’investissement de l’administration Biden au sein de nouveaux mécanismes de coopération stratégique multidimentionnelle<a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">comme le QUAD</a> et l’<a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS</a>.</p>
<p>En mai dernier, les membres du QUAD (États-Unis, Japon, Australie, Inde) ont décidé de renforcer leur coopération politico-militaire et d’investir massivement dans l’innovation et les nouvelles technologies pour répondre au défi chinois. Nul doute que <a href="https://www.rfi.fr/fr/ %C3 %A9conomie/20220803-ta %C3 %AFwan-le-num %C3 %A9ro-un-des-semi-conducteurs-avertit-la-chine-qui-menace-l- %C3 %AEle">Taïwan, qui domine l’industrie des semi-conducteurs</a>, y a toute sa place. De la même façon, la construction de sous-marins nucléaires d’attaque pour l’Australie – objet du partenariat AUKUS (États-Unis, Australie, Royaume-Uni) – vise à renforcer le dispositif de dissuasion américain face aux <a href="https://www.penseemiliterre.fr/de-l-importance-des-forces-terrestres-dans-les-dispositifs-de-deni-d-acces-et-d-interdiction-de-zone-une-perspective-chinoise._241_3000457.html">capacités anti-accès de l’APL</a>.</p>
<p>Ces arrangements qui se superposent aux alliances traditionnelles que les États-Unis entretiennent en Indo-Pacifique ont vocation à <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php ?carticle=22947">rééquilibrer le rapport de forces</a> et la compétition capacitaire entre les États-Unis et la Chine. Il reste à voir s’ils aboutiront rapidement à la constitution d’une coalition capable d’opérer dans le détroit de Taïwan et plus largement de maintenir la sécurité maritime et la liberté de navigation dans l’Indo-Pacifique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente montée des tensions entre la Chine et le duo américano-taïwanais contraint Washington à repenser sa stratégie régionale, qui vise à maintenir un équilibre de plus en plus précaire…Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884212022-08-10T14:39:57Z2022-08-10T14:39:57ZLa visite de Nancy Pelosi à Taïwan provoque un accès de colère chez le gouvernement chinois<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478549/original/file-20220810-12-abjbz3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C5937%2C3997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des passants devant un panneau d’affichage annonçant la venue de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Taipei, à Taïwan, le 3 août 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (AP Photo/Chiang Ying-ying)</span></span></figcaption></figure><p>La visite à Taïwan de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, n’a duré que 24 heures.</p>
<p>Mais elle a mis en évidence la brutale réaction de la Chine, <a href="https://www.cnbc.com/2022/08/08/china-announces-fresh-military-drills-around-taiwan.html">notamment la poursuite des exercices militaires autour de Taïwan</a> quelques jours après son départ, et montre à quel point le détroit de Taïwan représente une <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/aug/05/what-the-fallout-from-pelosis-visit-means-for-taiwan-and-china">ligne de fracture géopolitique entre la Chine et le reste du monde</a>.</p>
<p>À son point le plus étroit, le détroit de Taïwan est un canal d’eau de 130 kilomètres de large qui sépare la République populaire de Chine de l’île de Taïwan.</p>
<p>Mais le fossé entre Taïwan et la Chine est plus que géographique. Depuis plus d’un demi-siècle, le <a href="https://history.state.gov/milestones/1953-1960/taiwan-strait-crises">détroit demeure l’un des derniers vestiges de la guerre froide</a>. Il est le symbole de la division entre l’autoritarisme de la Chine et la démocratie florissante de Taïwan.</p>
<p>Néanmoins, Taïwan est aussi une sorte de paria international. En effet, peu de pays entretiennent officiellement des liens diplomatiques avec cet État, souvent par crainte des répercussions de la part du gouvernement chinois. Pendant trop longtemps, la <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-china-38285354">politique dite « d’une seule Chine »</a>, qui stipule que le monde ne compte qu’une seule Chine, et que Taïwan en fait partie, a été le fondement de toutes les relations avec ce pays.</p>
<p>Cependant, alors que la Chine impose à tous les pays d’adhérer à cette politique, les <a href="https://www.state.gov/u-s-relations-with-taiwan/">États-Unis</a>, le <a href="https://publications.parliament.uk/pa/cm199900/cmselect/cmfaff/uc574iv/574m15.htm">Royaume-Uni</a>, l’<a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/eu-taiwan-political-relations-and-cooperation-speech-behalf-high-representativevice-president_en">Union européenne</a> et aussi le <a href="https://www.international.gc.ca/country-pays/taiwan/relations.aspx?lang=fra">Canada</a> ne font que « reconnaître » cette politique.</p>
<p>Au grand dam de la Chine, de nombreux pays maintiennent des liens économiques, culturels et même militaires avec Taïwan. Aux yeux de Pékin, la visite de Mme Pelosi revient à <a href="https://www.reuters.com/world/china/china-says-us-politicians-who-play-with-fire-taiwan-will-pay-2022-08-02/">« jouer avec le feu »</a>.</p>
<h2>Visite de routine et réaction excessive de la Chine</h2>
<p>La réaction instantanée de la Chine à la visite de Mme Pelosi a été de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/8/5/china-military-drills-to-resume-around-taiwan-despite-concerns">procéder à des exercices militaires et de lancer des missiles balistiques au-dessus de Taïwan</a>. Les visites de législateurs étrangers y sont pourtant courantes.</p>
<p>Le président du Sénat tchèque a conduit une délégation à Taïwan en août 2020 ; la Chine a réagi en déclarant que les dirigeants tchèques <a href="https://www.dw.com/en/czech-china-taiwan/a-54764477">« paieraient un lourd tribut »</a>. Le <a href="https://www.thestar.com/news/world/asia/2022/07/20/european-parliament-vp-urges-renewed-china-taiwan-dialogue.html">vice-président du Parlement européen a également visité Taïwan en juillet 2022</a>, et a souligné le « rôle de l’île en tant que partenaire international, stratégique, responsable et digne de confiance ».</p>
<p>Pourtant, Mme Pelosi est la seule personne à avoir été personnellement sanctionnée par la Chine, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/nancy-pelosi-taiwan-sexist-china-b2137335.html">suscitant des spéculations selon lesquelles la réaction de la Chine serait misogyne</a>.</p>
<p>La présidente démocratiquement élue de Taïwan, Tsai Ing-Wen, elle-même une femme, a figuré sur la liste 2020 des personnes les plus influentes du monde du magazine <a href="https://time.com/collection/100-most-influential-people-2020/5888307/tsai-ing-wen/"><em>Time</em></a> pour avoir tenu tête aux agressions constantes et manifestes de la Chine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1308797245043683328"}"></div></p>
<h2>Réponse de la communauté internationale à la crise</h2>
<p>En guise de représailles à la visite de Mme Pelosi, la Chine a également suspendu les <a href="https://abcnews.go.com/International/wireStory/china-summons-european-diplomats-statement-taiwan-87981101">pourparlers sur le climat et les liens militaires avec les États-Unis</a>, aggravant encore les tensions et laissant penser que le pays ne prend pas très au sérieux les mesures en faveur du climat.</p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne a appelé la Chine à ne pas <a href="https://twitter.com/JosepBorrellF/status/1555014758335668227">« utiliser cette visite comme prétexte à une activité militaire agressive dans le détroit de Taïwan »</a>. Le Japon a déclaré que ces exercices militaires auront « un <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20220805-japan-s-prime-minister-calls-for-immediate-cancellation-of-chinese-military-drills">sérieux impact sur la paix et la stabilité de notre région et de la communauté internationale</a>, » tandis que les ministres des Affaires étrangères du G7 ont condamné les <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/en/newsroom/news/-/2545896">« actions menaçantes… en particulier les exercices de tir réels et la coercition économique, qui risquent d’entraîner une escalade inutile »</a>.</p>
<p>Avec les <a href="https://www.ctvnews.ca/world/china-extends-threatening-military-exercises-around-taiwan-1.6018056">exercices militaires en cours</a>, la Chine semble vouloir démontrer sa capacité à instaurer un <a href="https://www.csis.org/analysis/toward-fourth-taiwan-strait-crisis">blocus de Taïwan</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1556097162383134720"}"></div></p>
<p>Or, le <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/taiwan-tensions-raise-risks-in-one-of-busiest-shipping-lanes-1.1800174">détroit de Taïwan est l’une des voies maritimes internationales les plus fréquentées au monde</a>. En outre, certaines des <a href="https://www.mcgill.ca/iasl/files/iasl/the_missing_link_in_the_global_aviation_safety_and_security_network_text_final_0.pdf">lignes aériennes commerciales les plus achalandées du monde traversent l’espace aérien entourant le pays</a>.</p>
<p>Rien de surprenant à cela, Taïwan étant une grande nation commerçante qui produit plus de <a href="https://www.cnbc.com/2021/03/16/2-charts-show-how-much-the-world-depends-on-taiwan-for-semiconductors.html">50 % des semi-conducteurs de la planète, lesquels fournissent la puissance de calcul des appareils électroniques modernes et soutiennent l’économie mondiale</a>. Un blocus ou une invasion chinoise de <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2022-06-23/economic-chaos-of-a-taiwan-war-would-go-well-past-semiconductors">Taïwan engendrerait d’énormes bouleversements pour le reste du monde</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une traînée de condensation provenant d’un avion militaire dans un ciel bleu avec une demi-lune visible" src="https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477951/original/file-20220807-51907-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un avion militaire vole au-dessus du détroit de Taïwan, au point le plus rapproché de la Chine continentale par rapport à l’île, dans la province chinoise du Fujian (sud-est), le 5 août 2022, trois jours après la visite de Mme Pelosi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ng Han Guan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Zone cruciale des eaux internationales</h2>
<p>Plus tôt en juin, la Chine a déclaré qu’elle détenait <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/xwfw_665399/s2510_665401/2511_665403/202206/t20220613_10702460.html">« la souveraineté, les droits souverains et l’autorité sur le détroit de Taïwan »</a>, une revendication qui a été <a href="https://www.forbes.com/sites/jillgoldenziel/2022/06/28/china-claims-to-own-the-taiwan-strait-thats-illegal/?sh=4fe1845d9ba2">réfutée par les États-Unis comme une violation du droit international</a>.</p>
<p>La Chine revendique également la souveraineté sur des îles contestées dans la mer de Chine méridionale, une prétention que la <a href="https://pca-cpa.org/en/cases/7/">Cour permanente d’arbitrage a jugée sans fondement juridique</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/closindx.htm">Convention des Nations unies sur le droit de la mer</a> stipule clairement que la haute mer ne fait pas l’objet de revendications de souveraineté et que tous les États jouissent des libertés de navigation et de survol. <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/china-canada-warships-taiwan-strait-1.6214303">Le Canada et d’autres pays envoient régulièrement des navires de guerre dans le détroit de Taïwan</a> dans le but de contrer la tentative de la Chine de prendre le contrôle de cette étendue d’eau internationale.</p>
<p>Les essais délibérés de missiles balistiques et les exercices de la Chine, en violation du droit international, n’ont pas seulement des répercussions sur la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/aug/05/china-missile-drills-around-taiwan-a-threat-to-regional-security-says-japan-pm">mer territoriale de Taïwan</a>, mais empiètent également sur la <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/japan-protests-after-chinese-missiles-land-its-exclusive-economic-zone-2022-08-04/">zone économique exclusive du Japon</a>.</p>
<p>La réaction excessive de la Chine à ce qu’elle prétend être une question purement intérieure transforme donc ironiquement le conflit sur Taïwan en une crise internationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un grand navire se déplaçant sur une mer bleue" src="https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477953/original/file-20220807-67272-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les navires traversent le détroit de Taïwan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ng Han Guan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une pensée pour le peuple de Taïwan</h2>
<p>Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères a écrit : <a href="https://www.taipeitimes.com/News/editorials/archives/2022/03/02/2003774022">« Le peuple de Taïwan sait malheureusement trop bien ce que c’est que de vivre à l’ombre des menaces et de l’intimidation »</a>.</p>
<p>Avant que Taïwan ne devienne une démocratie, une dictature militaire oppressive y régnait. Pourquoi 23,5 millions de personnes composées <a href="https://www.stearthinktank.com/post/indigenous-linguistic-legacy-taiwan">d’ethnies taïwanaises, chinoises et de 15 tribus autochtones des îles du Pacifique</a> qui vivent <a href="https://www.businessinsider.in/international/news/nancy-pelosi-calls-taiwan-one-of-the-freest-societies-in-the-world-during-visit-to-the-island/articleshow/93316096.cms">dans ce que Mme Pelosi a appelé « l’une des sociétés les plus libres du monde »</a> voudraient-elles se voir, <a href="https://chineseposters.net/themes/taiwan-liberation">comme la Chine l’affirme depuis des décennies, « libérées » ?</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des manifestants allument des bougies lors d’une veillée nocturne" src="https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477954/original/file-20220807-32086-zekez8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des centaines de participants assistent à une veillée aux chandelles sur la place de la Démocratie à Taipei, à Taïwan, en juin 2020, pour marquer l’anniversaire de la répression militaire chinoise du mouvement prodémocratie sur la place Tiananmen à Pékin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Chiang Ying-ying)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré les obligations contraignantes de la <a href="https://www.gov.uk/government/news/foreign-secretary-statement-on-the-25th-anniversary-of-the-handover-of-hong-kong">Déclaration commune sino-britannique</a>, l’<a href="https://www.hrw.org/feature/2021/06/25/dismantling-free-society/hong-kong-one-year-after-national-security-law">érosion des libertés civiles et de l’indépendance judiciaire à Hongkong</a> montre que Pékin ne respecte pas ses engagements internationaux.</p>
<p>En outre, la Chine a incarcéré plus d’un million de Ouïghours et d’autres minorités ethniques dans des « camps de rééducation » et les a soumis à ce qui constitue des <a href="https://www.independent.co.uk/asia/china/uyghur-tribunal-genocide-xinjiang-b1972682.html">crimes contre l’humanité</a>.</p>
<p>L’ambassadeur chinois en France a récemment déclaré ouvertement que les habitants de <a href="https://www.newsweek.com/china-reeducate-taiwan-reunification-ambassador-1731141">Taïwan aussi seront « rééduqués</a> ». Il est difficile d’imaginer pourquoi quelqu’un souhaiterait vivre sous un régime où il n’y a aucune <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/media-censorship-china">liberté politique ou médiatique</a> et où les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/2/15/canada-us-and-allies-denounce-immoral-arbitrary-detentions">citoyens et les ressortissants étrangers sont assujettis à des détentions arbitraires</a>.</p>
<p><a href="https://press.un.org/en/2012/gashc4051.doc.htm">L’autodétermination est le droit inaliénable de tous les peuples à vivre à l’abri de la peur et de l’oppression</a>. Alors que la Chine et les États-Unis s’affrontent dans la région indopacifique, il est essentiel que le monde soutienne le peuple de Taïwan. La communauté internationale doit dénoncer les actes d’agression qui sapent la paix et la sécurité régionales et mondiales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188421/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kuan-Wei Chen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les visites de législateurs étrangers à Taïwan sont courantes. Alors pourquoi la Chine a-t-elle réagi de manière aussi violente à la récente visite de Nancy Pelosi ?Kuan-Wei Chen, Executive Director, Centre for Research in Air and Space Law, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858352022-06-29T22:50:40Z2022-06-29T22:50:40ZLes inquiétantes leçons de la guerre d’Ukraine pour l’avenir de Taïwan<p>Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, les <a href="https://www.courrierinternational.com/magazine/2022/1649-magazine">analyses et les mises en garde</a> sur le renforcement de la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/03/04/taiwan-ukraine-russia-war-china/">menace chinoise pesant sur Taïwan</a> se sont multipliées.</p>
<p>Sans prétendre résumer l’ensemble de ces analyses, il est utile à ce stade de s’arrêter sur trois interrogations qui nourrissent la réflexion : l’impatience grandissante manifestée par Xi Jinping va-t-elle se trouver modérée ou encouragée par le « passage à l’acte » inattendu de Poutine ? Que change l’expérience ukrainienne de ces quatre derniers mois à la posture états-unienne d’« ambiguïté stratégique » ? Enfin, les nouvelles formes de « guerre asymétrique » observées lors de ce conflit sont-elles de bon augure pour la capacité de résistance de Taïwan, voire pour les chances d’un succès américain en cas de confrontation directe avec la République populaire de Chine ?</p>
<h2>Le risque de l’occurrence de la guerre</h2>
<p>Force est de constater que, gouvernement et <a href="https://information.tv5monde.com/info/guerre-en-ukraine-la-credibilite-du-renseignement-americain-sort-renforcee-448061">services de renseignements états-uniens</a> mis à part, la décision de Poutine de « passer à l’acte » a surpris les observateurs et la plupart des gouvernements étrangers, tant la balance des risques et des avantages paraissait défavorable au Kremlin. Faut-il y voir un précédent qui annoncerait une semblable initiative chinoise envers Taïwan, comme se le demandait l’éminent sinologue <a href="https://asialyst.com/fr/2022/05/28/jean-pierre-cabestan-nul-ne-sait-quelle-forme-engagement-americain-defendre-taiwan/">Jean-Pierre Cabestan</a>, pour qui :</p>
<blockquote>
<p>« Un élément assez inquiétant est le fait que, comme on le sait, nombreux étaient ceux qui refusaient de croire à une invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Or il a pris cette décision, de manière très verticale, sans que personne ne vienne sur son chemin. Xi Jinping aujourd’hui a quant à lui accumulé tellement de pouvoirs que l’on peut se demander s’il n’est pas dans la même situation. Gonflé par un nationalisme que l’on sait incandescent et soucieux de régler la question taïwanaise avant la génération suivante, Xi pourrait être aussi tenté de passer à l’acte, et ceci dans des délais assez brefs. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/poutine-sur-lukraine-xi-jinping-sur-ta-wan-deux-discours-si-semblables-184341">Poutine sur l’Ukraine, Xi Jinping sur Taïwan : deux discours si semblables…</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Toutefois, en dépit d’un renforcement de son emprise personnelle sans précédent depuis Mao (malgré une <a href="https://thediplomat.com/2022/05/xi-jinpings-legitimacy-malaise-is-bad-news-for-cross-strait-relations/">légitimité parfois contestée</a>), Xi Jinping ne pourrait pas prendre une telle décision sans l’accord des rouages organisationnels et politiques de cet État-parti. À titre d’exemple, rappelons que les <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/asia/2001-01-01/tiananmen-papers">Tiananmen Papers</a> décrivent bien le méandre des consultations qui a conduit au choix de la stratégie répressive en juillet 1989.</p>
<p>En tout état de cause, avant d’envisager une décision aussi lourde de conséquences, la direction chinoise se doit de tirer les <a href="https://foreignpolicy.com/2022/04/19/china-invasion-ukraine-taiwan/">leçons de la guerre en Ukraine sur les plans politique et militaire</a>.</p>
<h2>Quel engagement américain ?</h2>
<p>Le soutien américain à Taïwan est réputé s’inscrire dans une politique d’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ambiguite-strategique-petit-guide-diplomatie-americaine-vis-vis-Ta%C3%AFwan-2022-05-24-1201216690">ambiguïté stratégique</a>, excluant tout engagement formel. Cette posture vise à exercer une double dissuasion : il s’agit de dissuader la RPC d’entreprendre une réunification par la force, mais aussi de dissuader les autorités taiwanaises d’engager un <a href="https://www.lepoint.fr/monde/tout-juste-reelue-tsai-avertit-pekin-taiwan-est-deja-un-pays-independant-15-01-2020-2357802_24.php">processus d’indépendance formel</a>, ce qui serait un casus belli avéré avec Pékin. Le souci sous-jacent est de ne pas voir se renouveler l’expérience de 1914, quand de grandes puissances ont été entraînées dans une guerre majeure par des décisions inconséquentes de leurs alliés.</p>
<p>La leçon de la guerre d’Ukraine sur ce point est elle-même ambiguë. L’expérience confirme certes que les États-Unis n’entrent pas en guerre pour un pays auquel ne les lie aucun engagement formel, ce qui ne peut manquer d’inquiéter à Taïwan. Toutefois, l’ampleur du soutien accordé par Washington à Kiev sur les plans militaire (à travers des livraisons d’armes et d’informations) et politico-économique (par l’ampleur du dispositif de sanctions) a dépassé toutes les anticipations. Dans le même temps, <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/us-taiwan-strategic-ambiguity-must-end-by-abe-shinzo-2022-04/french">suivant l’avis de nombreux observateurs</a>, le président Biden a <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/23/us-would-defend-taiwan-if-attacked-by-china-says-joe-biden">reformulé le 23 mai dernier l’engagement américain envers Taïwan</a> en des termes <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/may/25/biden-defend-taiwan-china-invasion">très clairs</a>, conduisant à penser que les États-Unis <a href="https://www.taiwannews.com.tw/en/news/4489405">s’impliqueraient encore plus significativement dans un conflit pour Taïwan</a> que dans la guerre en Ukraine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Washington livre des armes offensives à Kiev (TV5 Monde Info, 16 avril 2022).</span></figcaption>
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<p>La Russie a échoué à isoler l’Ukraine de son arrière stratégique européen, ce qui a permis l’acheminement d’une aide importante en matériels et approvisionnement. De quels moyens les États-Unis disposeraient-ils pour apporter leur aide à Taïwan en cas de conflit ?</p>
<p>On se souvient que, durant la guerre du Vietnam, au moins jusqu’en 1972, les États-Unis avaient <a href="https://content.time.com/time/subscriber/article/0,33009,843585,00.html">laissé ouvert l’accès du port d’Haiphong</a> aux navires soviétiques ravitaillant le Nord-Vietnam en armements et fournitures diverses ; on voit mal la Chine opter pour une telle attitude en cas de guerre ouverte avec Taïwan.</p>
<p>La RPC laisserait-elle l’aviation américaine renouveler l’opération <a href="https://www.dailykos.com/stories/2022/5/3/2095405/-Operation-NICKEL-GRASS-America-s-Airlift-to-Israel-During-the-1973-Yom-Kippur-War"><em>Nickel Grass</em></a> qui a permis de livrer à Israël 22 300 tonnes d’armes, munitions et équipements qui ont seules permis la victoire de l’État hébreu dans la Guerre du Kippour en 1973 ?</p>
<p>Ces questionnements soulignent une double prise de risque : pour les États-Unis, celui de passer outre à un blocus de Taïwan que la Chine mettrait probablement en œuvre dans ces circonstances ; pour Pékin, celui d’ouvrir le feu sur des navires ou avions américains, encourant ainsi la lourde responsabilité d’initier l’engagement armé entre les deux grandes puissances.</p>
<p>À côté des incertitudes tenant à l’ampleur de l’engagement américain, de quelles leçons l’expérience de la guerre en Ukraine est-elle porteuse en matière de résistance de Taïwan ?</p>
<h2>Les nouvelles formes de la guerre asymétrique, un atout pour Taïwan ?</h2>
<p>Une leçon majeure se dégage des premiers mois de la guerre : appliquée avec résolution, l’adoption des tactiques et moyens de la guerre asymétrique permet à un petit pays de résister à l’agression d’une puissance bien supérieure, pourvu qu’il <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/guerre-en-ukraine-xi-jinping-face-au-principe-de-realite-20220317_CCDNDZO4S5D4LL7RYQZJGVG5C4/">dispose de soutiens extérieurs résolus</a>. Sans surprise, <a href="https://www.politico.com/news/2022/05/19/deadly-serious-u-s-quietly-urging-taiwan-to-follow-ukraine-playbook-for-countering-china-00033792">Taïwan a été invitée à s’inspirer de l’exemple ukrainien</a>.</p>
<p>Au nombre des moyens d’une telle résistance figurent des missiles antichars et antiaériens puissants et très maniables, l’emploi généralisé de drones assurant aussi bien la surveillance du champ de bataille que des actions offensives, une bonne mobilité des forces éclairée par un système de renseignement bénéficiant de l’assistance américaine.</p>
<p>Justement, Taïwan est réputée avoir fait le constat que seule l’adoption d’une stratégie de guerre asymétrique lui offrait des perspectives de succès face à l’Armée nationale populaire. Toutefois, comme l’argumente un <a href="https://www.stimson.org/event/a-question-of-time-enhancing-taiwans-conventional-deterrence-posture/">rapport de deux universitaires américains</a>, la stratégie adoptée est loin de s’être traduite par des <a href="https://warontherocks.com/2021/11/taiwans-defense-plans-are-going-off-the-rails/">choix cohérents en matière d’armements et d’équipements</a> : les commandes de sous-marins, de destroyers, de chars ou d’avions de chasse traduisent plutôt une continuité dans des modalités traditionnelles de défense.</p>
<p>Le redéploiement vers des systèmes défensifs plus discrets et plus mobiles, <a href="https://worldnewsera.com/news/u-s-presses-taiwan-to-buy-weapons-more-suited-to-win-against-china/">demandé par les États-Unis</a> dans la perspective d’une stratégie de défense intégrée <a href="https://www.airuniversity.af.edu/JIPA/Display/Article/3019529/bold-and-unprecedented-moves-building-a-us-taiwan-defense-strategy-in-the-strai/">prônée par certains analystes</a>, n’a été qu’amorcé, de même que la réorganisation et l’<a href="https://www.leparisien.fr/international/taiwan-entraine-ses-reservistes-sur-fond-dinquietudes-liees-a-lukraine-14-03-2022-MWFZ3GAG2RDKNMUPJRZRYXKHBU.php">entraînement renforcé du corps de réservistes</a> appelés à remplir le rôle joué en Ukraine par la <a href="https://www.letelegramme.fr/monde/en-ukraine-la-defense-territoriale-est-le-dernier-rempart-face-aux-russes-17-04-2022-12991055.php">Défense territoriale</a>.</p>
<p>La guerre en Ukraine a mis en évidence l’importance de deux types d’armes : les missiles et, plus novateurs, les drones. L’effort de Taipei en matière de missiles est notable. Il reste toutefois modeste au regard des <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/apl-force-en-mutation-2016">moyens dont dispose l’APL</a> en la matière.</p>
<p>Répondre à cette asymétrie exige une concentration des efforts sur deux créneaux stratégiques : d’une part, les missiles air-sol, efficaces contre les avions ou missiles adverses, et capables de limiter l’efficacité des frappes chinoises sur les moyens de défense et de communication taiwanais ; et, d’autre part, les missiles antinavires, nécessaires en grand nombre pour dénier à la marine de l’APL la capacité d’opérer un débarquement sur les côtes de l’île. Là encore, l’annonce récente, présentée comme un succès, de <a href="https://missilethreat.csis.org/country/taiwan/">nouveaux missiles capables de frapper les bases adverses</a> en Chine continentale atteste d’une dispersion des moyens qui peut nuire à la satisfaction de ces priorités stratégiques.</p>
<p>Par leur coût limité, leur flexibilité et la discrétion de leur mise en œuvre, les drones apparaissent comme les instruments privilégiés <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/guerre-futur-ukraine-premiere-guerre-drones-99240/">d’une défense asymétrique</a>. Alors que l’investissement consenti par l’Ukraine lui a assuré une franche supériorité sur l’armée russe dans ce domaine, l’effort taiwanais, tardif et limité, restera en tout état de cause bien modeste par <a href="https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/breves-strategiques/strategic-brief-no-38-2022-china-s-drone-mania.html">rapport aux moyens de l’APL</a>, qui s’appuient sur la première industrie mondiale en la matière.</p>
<p>La guerre d’Ukraine a surtout révélé l’importance de la volonté d’un peuple à se mobiliser pour défendre son indépendance et son territoire, au prix des plus grands sacrifices. Depuis des décennies que plane la menace chinoise, les observateurs ont régulièrement douté d’une volonté semblable de la population taiwanaise. Plus qu’une comparaison statique, l’expérience ukrainienne se manifestera en dynamique. Venant après la mise au pas de Hongkong, véritable enterrement des illusions sur le compromis de 1992 <a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">« un pays, deux systèmes »</a>, l’agression russe, de <a href="https://asialyst.com/fr/2022/06/18/fin-ambiguite-xi-jinping-confirme-entente-strategique-poutine-russie-chine/">plus en plus approuvée par Pékin</a>, apporte le choc nécessaire à un réveil de l’esprit de défense taiwanais.</p>
<p>Ce réveil doit se traduire par des décisions majeures en matière d’effort budgétaire global : sans doute convient-il d’augmenter la part de la Défense dans le budget, au-delà des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/taiwan-adopte-un-budget-militaire-record-pour-repousser-une-invasion-chinoise-1413049">2 % du PIB péniblement atteints dernièrement</a>, de mieux répartir ces moyens et d’améliorer la préparation militaire d’une jeunesse appelée à alimenter les unités de réservistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’armée taïwanaise prépare ses troupes à une attaque de la Chine (Les Échos, 7 janvier 2022).</span></figcaption>
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<p>Cet esprit de résistance est particulièrement nécessaire pour crédibiliser le stade ultime de la défense asymétrique : la poursuite d’une action de guérilla qui contestera à une armée chinoise victorieusement débarquée la maîtrise du territoire de l’ile. Si sa crédibilité est avérée, cette perspective d’une résistance intérieure peut exercer un pouvoir dissuasif « en dernier ressort », en convainquant les autorités chinoises que même un débarquement réussi pourrait s’avérer n’être qu’une victoire à la Pyrrhus.</p>
<h2>D’une guerre locale à une conflagration générale ?</h2>
<p>L’expression de « guerre froide » entre le monde occidental et le front des autoritarismes sino-russe paraissait excessive. Nous en vivons pourtant aujourd’hui un « point chaud », comparable à la Guerre de Corée dans la précédente guerre froide. Ainsi réapparaît le risque d’un dérapage vers une conflagration généralisée, que la fermeté, voire le « jusqu’auboutisme », des parties concernées ne permet pas d’exclure complètement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-chantage-nucleaire-de-vladimir-poutine-178095">Le chantage nucléaire de Vladimir Poutine</a>
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<p>Si l’on voit mal le conflit ukrainien dégénérer à ce point, la montée des tensions qu’il révèle ne peut que renforcer l’inquiétude sur la possibilité d’une escalade, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/china/2022-05-20/fight-over-taiwan-could-go-nuclear">y compris nucléaire</a>, que pourrait provoquer un affrontement autour de Taïwan.</p>
<p>Dans le même temps, le recours massif aux sanctions, envisagées depuis la création de la Société des Nations en 1920 comme un substitut à l’action armée, risque de montrer toutes ses limites, déjà illustrées par des expériences précédentes : l’imbrication des économies en majore le <a href="https://www.iris-france.org/165409-ukraine-russie-quand-on-impose-des-sanctions-a-un-pays-avec-lequel-on-a-des-relations-economiques-importantes-les-consequences-peuvent-etre-lourdes-pour-nos-economies-nos-entreprises-ou-n/">coût en retour, en particulier pour l’Europe</a>, au point que celle-ci doive s’accommoder d’arrangements et d’exceptions ; cette imbrication rend encore plus illusoire la gageure que constituerait la mise en œuvre contre la Chine de sanctions efficaces qui resteraient supportables pour l’économie, et donc pour l’opinion américaines.</p>
<p>La guerre en Ukraine posera bientôt la question cruciale de la valeur de la garantie américaine. Sur le plan militaire, divers <a href="https://www.reddit.com/r/CredibleDefense/comments/pzxsy4/in_multiple_war_games_the_us_has_failed_to_defend/">wargames</a> ont fait apparaître les risques pour les États-Unis d’une défaite dans un conflit avec la Chine pour la défense de Taïwan.</p>
<p>Les <em>Task forces</em> constituées autour d’un porte-avion apparaissent vulnérables à une <a href="https://nationalinterest.org/blog/reboot/closer-look-chinas-carrier-killer-missiles-195367">attaque combinée de missiles chinois</a>, de même que la <a href="https://eurasiantimes.com/chinas-guam-killer-df-26-missile-greatest-risk-for-us-in-asia-pacific/">grande base de Guam</a>, centre névralgique du déploiement aéronaval états-unien dans le Pacifique de l’Ouest. Certes efficaces contre des attaques limitées, les défenses antimissiles américaines <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14799855.2020.1769069">seraient rapidement saturées en cas d’attaque massive</a>. Sur le plan politique, dès les <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/midterms-aux-etats-unis-six-mois"><em>mid-terms</em> de novembre</a>, le consensus bipartisan qui soutient aujourd’hui l’action de Joe Biden <a href="https://theconversation.com/le-poutinisme-a-toute-epreuve-de-donald-trump-et-de-ses-partisans-180622">pourrait se trouver fragilisé</a>, pour la plus grande satisfaction du tandem d’États révisionnistes autoritaires spéculant dans la durée sur les incertitudes qui affectent la démocratie américaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Hénin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La résistance acharnée que l’Ukraine oppose à la Russie pourrait ne pas suffire à dissuader la République populaire de Chine de chercher à récupérer Taïwan par la force.Pierre-Yves Hénin, Professeur émérite en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1843412022-06-12T18:44:34Z2022-06-12T18:44:34ZPoutine sur l’Ukraine, Xi Jinping sur Taïwan : deux discours si semblables…<p>La guerre engagée par la Russie pour soumettre ou démembrer l’Ukraine est venue alimenter l’inquiétude d’un prochain recours à la force par la République populaire de Chine à l’encontre de Taïwan afin de réaliser le <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n163/article/le-reve-taiwanais-de-xi-jinping">« rêve chinois de réunification nationale »</a>. Une inquiétude d’autant plus grande que, trois semaines avant l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine et Xi Jinping avaient publié une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/05/au-jo-de-pekin-vladimir-poutine-et-xi-jinping-affichent-un-front-commun-face-aux-etats-unis_6112423_3210.html">déclaration de totale solidarité</a> lors de la visite du président russe à Pékin. Alors, <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/685593/ukraine-et-taiwan-meme-combat">Ukraine et Taïwan, même combat</a> ?</p>
<p>La Russie et la Chine sont aujourd’hui toutes deux des États autoritaires et révisionnistes, au sens où ils entendent remettre en cause l’ordre mondial existant. Certes, la situation de Taïwan est bien différente de celle de l’Ukraine en termes de droit international, mais les discours de justification de Vladimir Poutine et Xi Jinping convergent pour l’essentiel.</p>
<p>En effet, les « narratifs » russe et chinois reposent sur deux piliers communs : d’une part, l’affirmation d’une identité nationale partagée, puis déchirée, qu’il convient de restaurer ; d’autre part, une préoccupation géostratégique causée par une présence militaire des États-Unis ou de leurs alliés potentiellement hostile dans leur étranger proche, synonyme de menace d’encerclement et de contestation de leur sphère d’influence légitime sur leur « pré carré ».</p>
<p>À ces arguments s’ajoute un autre aspect de première importance : la volonté de ces systèmes autoritaires de se protéger face au « contre-modèle » démocratique qu’incarnent à leurs frontières l’Ukraine et Taïwan.</p>
<h2>Revendication d’une identité nationale partagée : le discours russe…</h2>
<p>Comme celui de la <a href="https://theconversation.com/la-chine-ou-le-paradigme-du-national-capitalisme-autoritaire-174488">Chine</a>, le régime russe actuel peut être qualifié de <a href="https://www.iris-france.org/156883-le-national-capitalisme-autoritaire-une-menace-pour-la-democratie-3-questions-a-p-y-henin-a-insel/">national-capitalisme autoritaire</a>. Dans ce type de régime, la légitimation de l’autoritarisme mobilise en particulier un discours national identitaire.</p>
<p>Il n’est pas étonnant que cette logique figure au premier plan du narratif russe pour justifier le démembrement de l’Ukraine, objectif proclamé de son action militaire. Vladimir Poutine s’est chargé personnellement de produire ce discours dans un long document intitulé <a href="https://france.mid.ru/fr/presse/russes_ukrainiens/">« Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »</a>, dans lequel l’histoire se trouve instrumentalisée <a href="https://theconversation.com/vladimir-putin-points-to-history-to-justify-his-ukraine-invasion-regardless-of-reality-177882">à l’appui de sa politique révisionniste</a>), ce que de nombreux historiens <a href="https://theconversation.com/a-historian-corrects-misunderstandings-about-ukrainian-and-russian-history-177697">n’ont pas manqué de dénoncer</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535198724070297601"}"></div></p>
<p>Rappelant l’histoire longue et compliquée d’une Ukraine ballottée entre les sphères d’influence russe et lituano-polonaise, Poutine affirme que le mouvement de revendication d’une identité nationale ukrainienne – d’abord culturelle et linguistique –, qui s’est particulièrement manifesté à la fin du XIX<sup>e</sup>, siècle était manipulé par le mouvement national polonais – l’étranger, déjà – qui luttait à l’époque contre <a href="https://books.openedition.org/pulm/7024?lang=fr">l’annexion de la Pologne dite « du Congrès » par l’empire russe</a>. Plus intéressante est sa <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/vladimir-poutine-l-ukraine-a-ete-entierement-construite-et-creee-par-lenine_VN-202202210554.html">dénonciation de la politique soviétique des nationalités</a> dans le devenir de l’espace hérité de l’URSS.</p>
<p>L’agression russe n’a fait que renforcer la vision de l’Histoire partagée par la majeure partie des Ukrainiens, d’après laquelle leur identité nationale aurait été édifiée des siècles durant, en particulier dans l’opposition à l’empire autoritaire des tsars puis des autorités communistes. Toujours réprimé par le pouvoir soviétique, ce programme de réflexion historique renaît à la fin des années 1980, avec la pérestroïka, à l’initiative du Parti communiste d’Ukraine, <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2022-04-19/memory-crash-politics-history-and-around-ukraine-1980s-2010s">comme le rapporte un historien de Kiev qui a participé à ce renouveau</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-reactions-ukrainiennes-a-la-reecriture-de-lhistoire-par-vladimir-poutine-168136">Les réactions ukrainiennes à la réécriture de l’histoire par Vladimir Poutine</a>
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<p>On relèvera au passage que le rattachement de la Crimée à l’Ukraine par décision du Soviet suprême le 19 février 1954 – présenté à l’époque par Moscou comme un don généreux du grand frère à l’occasion du 300<sup>e</sup> anniversaire du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2014/04/11/bogdan-pourquoi-as-tu-cede-l-ukraine-aux-russes">Traité de Pereïaslav</a>, et aujourd’hui comme une <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/67828">lubie de Khrouchtchev</a> – visait en réalité à renforcer le <a href="https://www.wilsoncenter.org/publication/why-did-russia-give-away-crimea-sixty-years-ago">poids de l’élément russe</a> dans une république où les <a href="https://euromaidanpress.com/2022/01/21/it-took-red-army-a-decade-to-subdue-western-ukraine-after-1945-russian-specialist-on-ukraine-warns-kremlin/">mouvements de contestation de l’ordre russo-soviétique</a> n’étaient pas éteints.</p>
<h2>… et son pendant chinois</h2>
<p>Le discours chinois de justification de la nécessaire « réunification » avec Taïwan revêt certes une certaine légitimité a priori en termes de droit international, puisque les États-Unis eux-mêmes ne contestent pas l’appartenance de principe de l’île à la Chine. Pour autant, cette réunification est présentée comme la dernière survivance des <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-et-le-monde/l%E2%80%99europe-et-la-r%C3%A9gulation-juridique-des-relations-internationales/les-trait%C3%A9s-in%C3%A9gaux-avec-la-chine">« traités inégaux »</a> à effacer pour réaliser le « grand rêve chinois ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Tout comprendre aux relations entre la Chine et Taïwan (<em>Courrier International</em>, 2021).</span></figcaption>
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<p>Certes, c’est bien par le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1895shimonoseki.htm">Traité de Shimonoseki</a> en 1895 que le Japon s’est approprié l’ile de Taïwan. Pourtant, les différents gouvernements chinois ne revendiqueront pas le retour de Taïwan à la mère patrie avant plusieurs décennies. Jusqu’en 1942, alors que la restitution de la Mandchourie est exigée, Taïwan n’apparaît que comme un territoire qui doit être libéré de l’occupation japonaise, au même titre que la Corée et <a href="http://nam-viet-voyage.com/fr/histoire-annam-chinois-francais/">l’Annam</a>, également anciennes colonies chinoises. Rarement évoqué, ce point est bien <a href="https://journals.openedition.org/chinaperspectives/4828">documenté par l’historien états-unien Alan M. Wachman</a>. En 1937, lors de ses <a href="https://www.allenandunwin.com/browse/books/general-books/history/Red-Star-Over-China-Edgar-Snow-contributions-by-Dr-John-K-Fairbank-9781611855128">entretiens avec le journaliste Edgar Snow</a>, Mao considère que le Parti communiste doit aider les Taïwanais à lutter pour leur indépendance, position réitérée par Zhou Enlai en juillet 1941. En 1938, le président nationaliste Tchang Kaï-chek exprime la même position :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons permettre à la Corée et à Taïwan de restaurer leur indépendance, ce qui bénéficiera à la défense nationale de la République de Chine. »</p>
</blockquote>
<p>La rupture viendra d’un acteur inattendu, Franklin Delano Roosevelt. Le 14 août 1941, la <a href="https://www.un.org/fr/about-us/history-of-the-un/preparatory-years">Charte de l’Atlantique</a> prévoit le retour de Taïwan à la République de Chine. Informé par ses relations états-uniennes, le Kouo-Min-Tang (le parti de Tchang Kaï-chek) intégrera ce point de vue en 1942. Dans le même temps, le Parti communiste chinois opère le même changement de posture, qu’il présente comme une initiative des communistes taïwanais.</p>
<p>Comme le remarque <a href="https://journals.openedition.org/chinaperspectives/4828">Alan Wachman</a>, cet affaiblissement de l’argument de la légitimité historique conduit à privilégier l’argument géostratégique.</p>
<h2>Les arguments géostratégiques</h2>
<p>Nous ne reprendrons pas ici la longue controverse sur la légitimité de l’élargissement de l’OTAN à d’anciennes démocraties populaires, puis aux États baltes, libérés de l’annexion soviétique voire, un jour, à la Géorgie et à l’Ukraine. En tout état de cause, cet élargissement amène aux frontières de la Fédération de Russie une coalition potentiellement opposée à ses projets révisionnistes de restauration, si besoin par la force, de la <a href="https://theconversation.com/en-ukraine-la-russie-fait-la-guerre-pour-etendre-sa-sphere-dinfluence-177077">sphère d’influence</a> héritée de l’Empire des tsars et de l’URSS. La vidéo suivante a été publiée par une diplomate chinoise, signe révélateur de l’alignement des positions de Pékin et Moscou sur cette thématique de l’encerclement :</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1503820283072888833"}"></div></p>
<p>Alliance défensive, l’OTAN ne risque pas d’engager d’action offensive contre la Russie, dont les préoccupations sur ce point sont pour le moins surfaites. Il reste que, à défaut de constituer une menace pour la Russie elle-même, l’élargissement de l’OTAN aura incontestablement limité sa capacité d’action dans des pays relevant à ses yeux de son « étranger proche » (sans toutefois l’empêcher de soutenir militairement des « républiques séparatistes » contrôlées par des minorités russophiles et russophones, de la Transnistrie à l’Abkhazie, en passant par le Donbass). Sans la présence militaire occidentale dans les pays limitrophes, on voit mal comment l’armée ukrainienne aurait pu résister avec autant d’efficacité à l’offensive russe de février 2022.</p>
<p>Employant une terminologie qui n’est pas sans rappeler le <a href="https://www.jstor.org/stable/24909770">discours allemand d’avant la Première Guerre mondiale</a>, la Russie affirme que la présence militaire occidentale vise à « encercler » son territoire. De manière similaire, l’autonomie de Taïwan sous protection états-unienne constitue, aux yeux des autorités chinoises, le point d’ancrage d’une barrière fermant les mers de Chine le long de la « <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/First_island_chain">première chaine des iles</a> ». Le manuel sur la géographie militaire du détroit de Taïwan publié en 2013 par l’Académie de défense de Pékin comporte une présentation très explicite de l’enjeu géostratégique que constitue la possession de Taïwan : le contrôle de l’île est vital pour se prémunir d’un blocus, en même temps qu’il permettrait de menacer les communications du Japon ; et il offrirait à la marine de l’Armée populaire un accès libre à l’océan Pacifique et un moyen de pression décisif sur les États de la région, rapportent les chercheurs <a href="https://digital-commons.usnwc.edu/nwc-review/vol72/iss1/10/">William Murray et Ian Easton</a>.</p>
<p>Aussi réels que soient les enjeux stratégiques et géopolitiques en cause, il nous semble qu’une dimension supplémentaire intervient dans la motivation russe et chinoise de mettre fin aux statuts respectifs de l’Ukraine et de Taïwan.</p>
<h2>L’argument politique</h2>
<p>La <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Chine-Russie-raisons-dun-rapprochement-2022-02-04-1201198606">dénonciation commune</a> des « révolutions de couleur » par Poutine et Xi Jinping attire l’attention sur le fait que ces dirigeants de régimes autoritaires voient une menace dans les démocraties situées à leur porte. La démocratie fonctionne certes mieux à <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=TWN&codeTheme=9&codeStat=EIU.DEMO.GLOBAL">Taïwan</a> qu’en <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=UKR&codeStat=EIU.DEMO.GLOBAL&codeTheme=9">Ukraine</a>, mais dans les deux cas, ces petits pays, de droit ou de fait, montrent qu’ex-Soviétiques comme Chinois peuvent parfaitement vivre autrement qu’en dictature.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=590&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=590&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467584/original/file-20220607-40890-87xz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=590&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ce visuel amplement relayé par les sites officiels ukrainiens met en évidence l’alternance au pouvoir en Ukraine, qui tranche significativement avec la situation en Russie et en Biélorussie depuis plus de vingt ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Euromaidan</span></span>
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<p>Si, depuis des années, Moscou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/29/ukraine-une-democratie-imparfaite-mais-precieuse_5443089_3232.html">s’attache aussi systématiquement à dénigrer la démocratie ukrainienne</a>, c’est que ce régime, par son existence même, contrarie le narratif du Kremlin. Comme le dit le journaliste <a href="https://desk-russie.eu/2022/04/01/lukraine-premier-front-du-combat.html">Jean-François Bouthors</a>, « pour Vladimir Poutine, laisser l’Ukraine avancer dans cette direction [démocratique] est impossible. Comment tenir d’un côté que c’est en raison d’une spécificité civilisationnelle russe que se justifie l’autocratie qu’il impose au pays et de l’autre que, comme il le prétend, les Ukrainiens ne se différencient pas des Russes, alors qu’eux ont opté pour la démocratie ? […] De son point de vue, le pouvoir à Moscou était effectivement menacé par l’expérience démocratique ukrainienne ».</p>
<p>Parallèlement, les universitaires Kelly Brown et Kalley Wu Tzu-Hui soulignent que Taïwan présente désormais un modèle alternatif de modernité et de démocratie dans le monde chinois ; c’est selon eux la principale raison pour laquelle Pékin a un problème avec Taïwan – « Trouble with Taïwan », expression retenue comme titre de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-asian-studies/article/abs/trouble-with-taiwan-history-the-united-states-and-a-rising-china-by-kerry-brown-and-kalley-wu-tzu-hui-london-zed-books-2019-246-pp-isbn-9781786995223-cloth/5E46A81D70BC82ECDEE4708FA6473FB8">leur ouvrage</a> publié en 2019.</p>
<p>S’il se fait discret dans la communication à destination du « Nord », cet argumentaire est <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/05/GRESH/64659">bien accueilli dans nombre de pays « du Sud »</a>, pour lesquels la posture russe et chinoise a le <a href="https://foreignpolicy.com/2022/05/02/ukraine-russia-war-un-vote-condemn-global-response/">mérite de rompre avec un système libéral démocratique dominé par les États-Unis</a>, prompt à sanctionner des dérives dont le front des régimes de national-capitalisme autoritaire s’accommode par nature.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184341/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Hénin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les discours russe et chinois sur l’Ukraine et Taïwan ont beaucoup en commun, aussi bien sur les plans identitaire et stratégique qu’au niveau politique.Pierre-Yves Hénin, Professeur émérite en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1780502022-03-02T19:42:30Z2022-03-02T19:42:30ZL’attentisme de Pékin face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie<p>Xi Jinping a opté pour une posture prudente en attendant l’issue de la guerre russe en Ukraine.</p>
<p>En lançant une invasion d’envergure de l’Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février dernier, le Kremlin s’est immédiatement retrouvé face à trois fronts : le <a href="https://www.cfr.org/global-conflict-tracker/conflict/conflict-ukraine">théâtre de la guerre en Ukraine</a> ; les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=24AixvXhpSE">condamnations internationales</a> et la <a href="https://fr.euronews.com/2022/02/27/malgre-la-repression-les-manifestations-anti-guerre-se-multiplient-en-russie">contestation à l’intérieur</a>. Chacun de ces trois aspects intéresse au plus haut point le régime de Pékin.</p>
<p>Le <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Chine-Russie-raisons-dun-rapprochement-2022-02-04-1201198606">rapprochement stratégique</a> de la Chine et de la Russie est souvent présenté comme « solide » et déterminant dans le système international d’aujourd’hui. La réalité est plus nuancée. Les relations sino-russes sont, en effet, <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/malgre-les-apparences-il-existe-des-divergences-structurelles-entre-la-chine-et-la-russie">complexes et asymétriques</a>.</p>
<p>Dans ce duopole, Xi Jinping dispose d’une <a href="https://warsawinstitute.org/russia-chinas-junior-partner/">supériorité indéniable</a> qui se manifeste déjà sur de nombreux plans – et qui pourrait encore s’accroître si la guerre en Ukraine précipitait l’avènement <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/michel-duclos-le-regime-poutinien-est-condamne-1389969">d’une Russie post-Poutine</a>. La Chine, qui est le <a href="https://asialyst.com/fr/2022/02/26/guerre-ukraine-poutine-peut-il-compter-soutien-economique-chine/">premier partenaire économique de l’Ukraine</a> (produits agricoles, minerais et axe de circulation des « Nouvelles routes de la soie »), sait que la guerre en cours, quelle qu’en soit l’issue, changera en tout état de cause la donne géoéconomique.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Chine et Russie ont désormais une quasi-alliance » Le Point, 25 février 2022.</span></figcaption>
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<h2>Sur le front de la guerre en Ukraine : un soutien uniquement déclaratif</h2>
<p>Le 4 février dernier, jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, Vladimir Poutine était reçu par Xi Jinping à Pékin. Les deux hommes ont affiché leur entente et leur volonté de <a href="https://asia.nikkei.com/Opinion/Putin-and-Xi-prepare-to-synchronize-their-watches">faire front face à l’Occident</a>, et abordé divers aspects de leur coopération, notamment dans le domaine des <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/russia-china-discuss-greater-gas-financial-cooperation-during-putin-visit-2022-02-02/">livraisons de gaz russe à la RPC</a> ainsi qu’un <a href="https://tfipost.com/2020/07/this-is-our-land-china-now-claims-russias-vladivostok-as-part-of-its-territory/">bail (potentiel) de 99 ans accordé à la Chine sur des terres de Sibérie orientale</a> s’étendant d’Irkoutsk (lac Baïkal inclus) jusqu’à Vladivostok.</p>
<p>Depuis l’attaque russe sur l’Ukraine, qui a débuté moins de trois semaines plus tard (il n’est pas impossible que cette temporalité soit due à la volonté de Moscou de ne pas démarrer les hostilités <a href="https://edition.cnn.com/2022/01/26/politics/russia-china-olympics-ukraine/index.html">avant la fin des JO</a>, auxquels Pékin <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-jeux-olympiques-dhiver-sont-si-importants-pour-la-legitimite-du-parti-communiste-chinois-176311">conférait une importance colossale</a>), le pouvoir chinois et ses médias <a href="https://www.lejdd.fr/International/pourquoi-la-chine-soutient-la-russie-mais-sest-abstenue-a-lonu-4096307">reprennent le discours du Kremlin</a> : la Russie, à les entendre, n’a pas déclenché une guerre mais seulement « lancé une opération militaire spéciale », les vrais « fautifs » de la dégradation de la situation étant l’OTAN, les États-Unis et l’UE.</p>
<p>Hua Chunying, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-la-chine-accuse-les-etats-unis-mais-ne-soutient-pas-completement-la-russie">assénait</a> ainsi le 26 février dernier :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qu’il faut comprendre, c’est le rôle que joue l’un des principaux acteurs, les États-Unis ; ils sont à l’origine de cette crise en Ukraine. »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà des déclarations, Pékin ne fournira cependant <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3241851-20220225-guerre-ukraine-role-chine-pourrait-jouer-conflit">aucun soutien militaire ou logistique</a> à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. En revanche, le suivi des opérations militaires, des combats et des modalités tactiques jour après jour est et sera particulièrement intense du côté des responsables des affaires militaires et stratégiques chinoises. La guerre actuelle donne des clés importantes pour interpréter les capacités russes, ainsi que les modalités de réponse choisies par l’OTAN et les Ukrainiens.</p>
<h2>Sur le front international : une posture de « silence stratégique »</h2>
<p>L’Ukraine ne se trouve pas dans l’environnement stratégique voisin de la Chine. En ce sens, il n’y a là aucune priorité stratégique pour le régime de Pékin. Xi Jinping peut se permettre de prendre le temps d’observer, d’une part, l’évolution du front international (relations avec l’OTAN, l’UE, les acteurs privés ou non étatiques, tels les <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/ukraine-la-planete-tech-se-mobilise-contre-linvasion-russe-1389980">Anonymous</a>) dans lequel Poutine a plongé la Russie et son peuple et, d’autre part, les fronts de la guerre en Ukraine (tactique et stratégique, cyber, spatial, etc.).</p>
<p>Tous ces éléments <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-chine-soutient-poutine-mais-ne-lui-accorde-pas-de-cheque-en-blanc-20220207">viendront enrichir le spectre stratégique du PCC dans divers scénarios</a> dans l’environnement stratégique de la Chine : Taiwan, péninsule coréenne, relations avec le Japon, l’Inde, l’Asie centrale et les rapports de force sur mer.</p>
<p>C’est dans ce contexte international que Pékin use d’un certain <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Crise-ukrainienne-Taiwan-jamais-menace-dune-invasion-militaire-chinoise-2022-02-25-1201202120">« silence stratégique »</a> pour peser et mesurer les actions de sa politique étrangère à venir selon l’évolution de la situation internationale dans le contexte de guerre en Ukraine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : comment la Chine réagit-elle ? • RFI, 25 février 2022.</span></figcaption>
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<p>Pékin, de même que New Delhi et Abu Dhabi, s’est abstenu lors du vote de la résolution de l’ONU, <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/02/1115192">condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie</a>. Façon de ménager l’avenir et de se réserver une certaine marge de manœuvre, sachant que les répercussions de la guerre et des sanctions économiques (<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lue-sapprete-a-exclure-des-banques-russes-de-swift-1389928">y compris en ce qui concerne l’exclusion des banques russes du système SWIFT</a>) vont changer la situation le long des <a href="https://asialyst.com/fr/2022/02/26/guerre-ukraine-poutine-peut-il-compter-soutien-economique-chine/">« Nouvelles routes de la soie »</a>, en particulier pour le transport ferroviaire, et plus généralement pour le commerce avec l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-comment-linvasion-russe-pourrait-faire-derailler-une-economie-mondiale-fragile-177993">Ukraine : comment l’invasion russe pourrait faire dérailler une économie mondiale fragile</a>
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<p>Enfin, tandis que les médias chinois, aussi bien tournés vers l’intérieur que vers l’étranger, insistent, nous l’avons dit, sur la prétendue culpabilité des États-Unis dans l’affaire ukrainienne, il semblerait que Huawei offre un soutien indirect et discret à <a href="https://twitter.com/chine_actu/status/1497843156611739650">l’infrastructure cyber de la Russie</a>. Le tout converge dans une <a href="https://www.irsem.fr/rapport.html">logique d’infoguerre et d’influence</a> – un domaine où le régime a puissamment accru ses modalités d’action depuis le début de la pandémie de Covid-19.</p>
<h2>Sur le front intérieur : les inquiétudes du régime chinois</h2>
<p>Le pouvoir autour de Vladimir Poutine est aujourd’hui remis en question aussi bien par une partie du peuple russe que par une partie de l’élite politico-économique (militaires, intellectuels et services spéciaux).</p>
<p>La guerre en Ukraine a déclenché en Russie des <a href="https://www.liberation.fr/international/guerre-en-ukraine-les-demonstration-de-solidarite-durement-reprimees-en-russie-20220225_GELLY2RCVVEPZGQMIHNTXRB2LA/">manifestations d’opposition au Kremlin</a>, et ce dans de nombreuses villes et régions du pays. Ces protestations, qui témoignent de l’existence d’une société civile russe distincte du pouvoir poutinien, sidèrent le pouvoir chinois, renvoyant aux formes diverses et protéiformes d’opposition en Chine même. Le régime de Pékin continue de <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220225-chine-les-m%C3%A9dias-d-%C3%A9tat-silencieux-face-%C3%A0-l-invasion-russe-en-ukraine">verrouiller l’espace public et l’Internet chinois</a> afin de se prémunir d’une montée en puissance des revendications et oppositions affichées par une opinion chinoise moins uniforme qu’il n’y paraît.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopinion-publique-russe-face-au-conflit-russo-ukrainien-175728">L’opinion publique russe face au conflit russo-ukrainien</a>
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<p>En outre, les décisions unilatérales de Vladimir Poutine suscitent une certaine remise en cause de ses décisions par plusieurs responsables russes, notamment du <a href="https://www.lejdd.fr/International/guerre-en-ukraine-les-oligarques-russes-prennent-leur-distance-avec-vladimir-poutine-4096598">milieu des affaires</a>. De plus, la guerre actuelle semble devoir se traduire, pour la Russie, par un coût humain, économique et matériel gigantesque qui affaiblira la légitimité du président.</p>
<p>Certes, le <a href="https://asialyst.com/fr/2022/02/26/pourquoi-ukraine-pas-taiwan/">contexte de Taïwan n’est pas identique</a>, géographiquement et géo-stratégiquement. Mais si la RPC décidait de prendre le contrôle de l’île par la force, elle se retrouverait sans doute à son tour face aux mêmes trois fronts que nous avons évoqués : la guerre, la condamnation internationale et le mécontentement d’une partie de sa propre population.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496870368887382020"}"></div></p>
<p>Raison de plus pour que Xi Jinping porte la plus grande attention au conflit russo-ukrainien alors que le <a href="https://www.asie21.com/tag/20e-congres-national-du-parti-communiste-chinois/">XXᵉ Congrès du PCC doit le maintenir au pouvoir dans la durée</a>, dans un <a href="https://www.questionchine.net/que-sera-l-annee-du-tigre-essai-de-perspective?artpage=3-3">contexte stratégique</a> marqué par la question de Taiwan, les tensions en mer de Chine et les postures martiales de Pékin partout dans son environnement régional.</p>
<h2>La chute de Poutine, une inquiétude pour Pékin ?</h2>
<p>Poutine a déclaré unilatéralement une guerre dont la violence a suscité une résistance organisée en Ukraine, des sanctions occidentales lourdes et la montée de la contestation au sein du peuple russe. Cette situation pourrait conduire prochainement le système poutinien <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/02/27/pourquoi-poutine-a-deja-perdu-la-guerre/">à sa perte</a>. La chute de Poutine ne manquerait pas d’inquiéter profondément Pékin. Cependant, le PCC, autour de Xi Jinping, joue une forme tactique de « corde longue », s’exposant ouvertement le moins possible dans un soutien à Vladimir Poutine, misant même sur l’éventualité d’une Russie post-poutinienne.</p>
<p>Le vide potentiel laissé par Poutine verrait le régime chinois <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-ukraine-lopportunisme-une-option-pour-la-chine-1389474">investir davantage</a> l’espace d’influence diplomatique, économique et stratégique de la région eurasiatique (énergie, ressources naturelles, proximité avec les régimes en place…) sans avoir à prendre en charge la « gestion courante » des affaires publiques des régions impliquées.</p>
<p>La guerre de Vladimir Poutine en Ukraine en ce début d’année 2022 signe notre changement de siècle, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/03/RICHARD/64416">historiquement et stratégiquement</a>. L’Europe semble en avoir pris conscience. Pékin aussi ; mais alors que les Européens ont réagi avec une célérité qui a surpris plus d’un observateur, le régime de Pékin reste observateur et garde le temps de l’évolution de la guerre pour lui, restant à l’affût d’opportunités de gagner en influence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p>Soutien international affirmé de Vladimir Poutine, Xi Jinping reste prudent quant à la position à adopter vis-à-vis de la guerre déclenchée par le Kremlin en Ukraine.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746012022-01-18T18:28:38Z2022-01-18T18:28:38ZTaiwan et la Chine : guerre ou statu quo ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440205/original/file-20220111-13-1oiojfk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C0%2C9059%2C3759&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les deux camps semblent prêts à l’affrontement, mais des négociations peuvent encore permettre d’échapper au pire.
</span> <span class="attribution"><span class="source">GoodIdeas/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Taiwan est <a href="https://www.economist.com/leaders/2021/05/01/the-most-dangerous-place-on-earth">l’endroit le plus dangereux du monde</a>, écrivait <em>The Economist</em> en mai dernier. Depuis, la situation a empiré. Le 10 octobre, la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, déclare que l’île « ne s’inclinera pas », en réponse aux <a href="https://www.lefigaro.fr/international/nouvelle-incursion-record-d-avions-chinois-dans-la-zone-de-defense-aerienne-de-taiwan-20211004">incursions</a> des avions chinois dans sa zone d’identification aérienne.</p>
<p>Les 9 et 10 décembre 2021, Joe Biden réunit un <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211209-joe-biden-r%C3%A9unit-une-centaine-de-pays-pour-son-sommet-pour-la-d%C3%A9mocratie">sommet virtuel pour la démocratie</a>, auquel participent plus de 100 chefs d’État et de gouvernement. Taïwan est invitée, pas la Chine. Celle-ci avait dès le 8 décembre exprimé sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/la-chine-et-la-russie-non-invitees-au-sommet-pour-la-democratie-organise-par-les-etats-unis_6103361_3210.html">« ferme opposition »</a> à l’invitation de Taïwan : « Taïwan n’a pas d’autre statut en droit international que celui de partie intégrante de la Chine », avait déclaré un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.</p>
<p>Ces événements récents posent une nouvelle fois le problème de la dualité Chine-Taïwan. Pour y voir plus clair, examinons d’abord le problème juridique.</p>
<h2>Taïwan et la Chine : une zone grise du droit international</h2>
<p>Classiquement, un État existe à partir du moment où il possède un <a href="https://journals.openedition.org/plc/321">territoire, un peuple, un gouvernement</a>. C’est le cas de Taïwan comme de la République populaire de Chine (RPC). Cependant, pour être un sujet et un acteur du droit international, il faut aussi qu’il soit reconnu par les autres États. Taïwan n’est <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-12-10/taiwan-s-last-diplomatic-friends-make-up-0-2-of-global-gdp-map">reconnu que par quatorze États</a> – essentiellement de petits pays d’Amérique centrale et d’Océanie, ainsi que le Vatican en Europe. Chaque État se détermine en fonction de ses relations avec la Chine : adversaire ou alliée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1339140160043278345"}"></div></p>
<p>Taïwan n’est pas un État plein et entier. C’est un État indépendant de facto – appelé aussi <em>République de Chine</em> depuis 1949 –, situé au large de la Chine continentale. Du point de vue de la RPC, l’île est <em>de jure</em> « la 43éme province de Chine », bien que celle-ci n’y exerce actuellement aucun pouvoir. Cette situation particulière (État <em>de facto</em>) est fondamentalement liée à la reconnaissance internationale de la République populaire de Chine comme État ayant la qualité de représenter le peuple chinois.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/cn1982.htm">Constitution chinoise de 1982</a> définit Taïwan comme une partie sacrée et inaliénable de la Chine. Dans la logique de la position de Pékin, la <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2005/03/26/manifestation-geante-a-taiwan-contre-la-loi-chinoise-anti-secession_631816_3216.html">loi anti-sécession de 2005</a> précise qu’a priori la réunification doit être pacifique, mais n’exclut pas des moyens non pacifiques.</p>
<p>Le 25 octobre 1971, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2006-3-page-71.htm">reconnaissance par les Nations unies de la République populaire de Chine</a> (résolution 2758) a marginalisé Taïwan. Conséquence problématique : les ressources du droit international ne sont pas disponibles à Taïwan, dans le sens où ni les traités internationaux de protection des droits humains, ni les recommandations des Nations unies n’y sont applicables.</p>
<p>De plus, le cas de Taïwan pose un problème connu des spécialistes de droit international : la tension qui existe entre le droit à l’autodétermination des peuples, brandi par Taïwan, et le respect de l’intégrité des États, invoqué par la Chine populaire. Il en résulte à l’étranger un doublage institutionnel. Il y a ainsi à Paris une <a href="http://www.amb-chine.fr/fra/">ambassade de la RPC</a>, ainsi qu’un <a href="https://www.roc-taiwan.org/fr_fr/index.html">bureau de représentation de Taïwan</a> ; on retrouve ce voisinage, par exemple, en région PACA, qui abrite un <a href="http://marseille.china-consulate.org/fra/">consulat de la Chine populaire à Marseille</a> et un <a href="https://www.roc-taiwan.org/frprv_fr/post/214.html">bureau annexe de Taïwan à Aix-en-Provence</a>. Les deux s’ignorent. À Taipei, l’<a href="https://www.ait.org.tw/">American Institute</a>, officiellement organisation à but non lucratif, inauguré en 2018, est une ambassade de fait des États-Unis. L’<a href="https://china.usembassy-china.org.cn/embassy-consulates/beijing/">ambassade officielle</a> se trouve à Pékin.</p>
<h2>Les relations entre les deux Chines</h2>
<p>Une digue de fer ne sépare pas les deux rives du détroit de Formose. En 2010, un <a href="https://www.france24.com/fr/20100629-taiwan-chine-signent-accord-cadre-commercial-historique-pekin-taipei">accord-cadre de coopération économique</a> a été signé entre les deux parties. En novembre 2015, Xi Jinping et le président taïwanais de l’époque, Ma Ying-jeou, se rencontrent à Singapour. 40 % des exportations de Taïwan <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/TW/conjoncture-economique">s’effectuent en direction de la RPC</a>. 400 000 Taïwanais sont établis sur le continent. En 2019, avant le Covid, 2 683 000 touristes chinois avaient visité Taïwan.</p>
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<p>Mais sur le plan politique, les problèmes sont nombreux. Depuis quelques années, la Chine accentue la pression sur Taïwan. Le 2 janvier 2019, Xi Jinping déclare que la seule solution est l’intégration à la Chine, dans le cadre de la formule : <em>un pays, deux systèmes</em>. Mais <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=50,50&post=155255&unitname=Deux-rives-Taiwan-Info&postname=Sondage-%3A-une-%C3%A9crasante-majorit%C3%A9-de-Taiwanais-rejettent-la-formule-%C2%AB-un-pays%2C-deux-syst%C3%A8mes-%C2%BB">84 % des Taïwanais la rejetaient en 2019</a>. Le <a href="https://www.andrewerickson.com/2019/07/full-text-of-defense-white-paper-chinas-national-defense-in-the-new-era-english-chinese-versions">Livre Blanc</a> chinois de la défense de juillet 2019 réaffirme son opposition à la sécession. Et le 1<sup>er</sup> juillet 2021, Xi déclare que la Chine fera obstacle à toute tentative visant à assurer <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/07/02/notre-nouvelle-marche-comprendre-le-discours-de-xi-jinping/">l’indépendance de Taïwan</a>.</p>
<p>En réalité, deux nationalismes s’affrontent. Celui de la Chine populaire, pour laquelle les Taïwanais sont forcément chinois. Et celui de Taïwan. En 2021, selon le <a href="https://www.taipeitimes.com/News/taiwan/archives/2021/07/24/2003761369">Centre d’études des élections de l’université nationale Chengchi de Taipei</a>, les deux tiers de la population se disent « uniquement Taïwanais ». Chez les moins de 30 ans, c’est plus des quatre cinquièmes. Plus des deux tiers des Taïwanais se prononcent en faveur de l’indépendance de Taïwan si la paix doit être maintenue, moins de 20 % sont favorables à <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-3-page-67.htm">l’unification avec une Chine</a> qui aurait atteint le niveau de vie de Taïwan.</p>
<p>Taïwan étant une démocratie pluraliste depuis l’<a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=47&post=116501#:%7E:text=Le%2015%20juillet%201987%2C%20%C3%A0,des%20dissidents%2C%20retrouvent%20la%20libert%C3%A9.">abolition de la loi martiale en 1987</a>, elle possède plusieurs partis politiques qui alternent au pouvoir et ont des positions différentes par rapport à la Chine. Le Parti démocratique progressiste (PDP), aujourd’hui au pouvoir, sait qu’il ne peut pas déclarer l’indépendance, car il doit ménager les États-Unis, qui ne veulent pas brusquer la Chine. Mais il est complètement opposé à toute unification et ne reconnaît pas le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Consensus_de_1992#:%7E:text=Le%20consensus%20de%201992%20ou,signification%20du%20terme%20%C2%AB%20Chine%20%C2%BB.">« consensus de 92 »</a>, un accord signé en 1992 affirmant que la Chine continentale et Taïwan constituent une même Chine, même s’il peut y avoir des divergences d’interprétation quant à la signification du terme <em>Chine</em>.</p>
<p>Cet accord a reçu le soutien du Kuomintang (KMT), le parti nationaliste qui a exercé le pouvoir à Taïwan de 1949 à 2016, et a été repris à son compte par Pékin, même si la Chine met officiellement en doute la réalité du consensus. C’est un texte ambigu rédigé à Hongkong, selon lequel il n’existe qu’« une seule Chine » : la Chine continentale avait préféré ne pas chercher à définir ce terme, et le gouvernement de Taïwan, à l’époque dirigé par le KMT, souhaitait que chaque partie conserve sa propre interprétation. Pour le KMT, la Chine, c’est Taïwan, mais son gouvernement ne concerne que l’île de Taïwan et les autres îles qu’elle administre. Le PDP pense qu’en réalité, Taïwan est déjà indépendant. Mais le KMT et le PDP s’accordent pour reconnaître comme indispensable le soutien des États-Unis.</p>
<p>Au-delà des déclarations des partis politiques, Taïwan et la Chine sont séparés par des conceptions différentes de la démocratie. Taïwan est depuis 1987 une démocratie au sens occidental du terme. Son cas prouve qu’on peut être de culture chinoise et adhérer à cette forme de démocratie. La RPC a une autre conception de la démocratie. Selon la version officielle, il s’agit d’une démocratie socialiste chinoise : le gouvernement est à l’écoute du peuple, assure l’ordre et la progression du niveau de vie, mais le peuple n’élit pas ses dirigeants au niveau national.</p>
<p>En 2016, 72 % des Chinois déclarent qu’ils sont désireux de <a href="http://www.asianbarometer.org/publications//b15620cf8549caa8a6cc4da5d481c42f.pdf">vivre sous ce régime</a>. En analysant ces chiffres, il faut bien sûr faire la part de l’autocensure. Toutefois, plusieurs études ont montré que les sondés sont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10670564.2016.1223104">bien moins peureux</a> qu’on le suppose.</p>
<h2>Si demain la guerre : America first</h2>
<p>Le 21 octobre, Biden déclare qu’en cas de conflit avec la Chine les États-Unis <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211022-les-%C3%A9tats-unis-sont-pr%C3%AAts-%C3%A0-d%C3%A9fendre-ta%C3%AFwan-en-cas-d-attaque-de-la-chine-selon-joe-biden">défendront militairement</a> Taïwan. Mais est-ce si sûr ?</p>
<p>Pour les États-Unis, Taïwan a toujours été un pion. Depuis la rupture de leurs relations diplomatiques les États-Unis ne sont plus liés à Taipei que par un traité de défense, le <a href="https://www.ait.org.tw/our-relationship/policy-history/key-u-s-foreign-policy-documents-region/taiwan-relations-act/"><em>Taïwan Relations Act</em></a>, loi adoptée en avril 1979. Il souligne l’importance d’une résolution pacifique tout en prévoyant la fourniture d’armes à Taiwan, mais évite de mentionner de façon explicite l’hypothèse d’une intervention militaire en cas d’agression chinoise. Il est complété par trois communiqués conjoints sino-américains et les <a href="https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-concurrent-resolution/88/text/ih"><em>Six Assurances</em></a>.</p>
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<p>C’est le principe dit <em>d’ambiguïté stratégique</em>. Mais en cas de guerre, 41 % des Taïwanais accepteraient de se battre, alors que 49 % d’entre <a href="https://www.ettoday.net/news/202000720/1764795.htm">refuseraient le combat</a>. Ces chiffres sont sans doute liés au fait que 59 % des Taïwanais croient que les États-Unis enverraient des troupes à Taïwan en cas de conflit. Mais He Yicheng, membre du Comité central du KMT, <a href="https://baijiahao.baidu.com/s?id=16759462514802960003&wfr=spider&for=pc">estime</a> que les États-Unis laisseront tomber Taïwan en cas d’attaque chinoise et que seulement 15 % des Taïwanais seraient prêts à combattre.</p>
<p>Les États-Unis seraient-ils prêts à risquer une guerre mondiale pour Taïwan ? <a href="http://k.sina.com.cn/article_2730765330_a2c42c1202000uk71.html">Luo Qingcheng</a>, directeur de l’Association taïwanaise d’études internationales et stratégiques, pensait en 2020 qu’ils resteraient en dehors de tout conflit et laisseraient Taïwan se battre à leur place. Mais, surtout, étant donné les précédents du Vietnam et de l’Afghanistan, on peut parier qu’ils abandonneraient Taïwan s’ils parvenaient à un accord satisfaisant avec la Chine. Leur devise a toujours été : <em>America first</em>.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174601/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Norbert Rouland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Suite aux différentes déclarations d’octobre 2021, le ton est monté entre les deux Chine. Il serait cependant faux de croire que les deux états n’entretiennent que des relations belliqueuses.Norbert Rouland, Professeur de droit. Ancien membre de l'Institut universitaire de France (Chaire anthropologie juridique), professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734552021-12-16T20:06:53Z2021-12-16T20:06:53ZTaïwan et la rivalité sino-américaine : le monde peut-il basculer ?<p>Chacun a pu entendre parler, dans l’actualité internationale récente, des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/larticle-a-lire-pour-tout-comprendre-aux-tensions-entre-la-chine-et-taiwan_4823717.html">tensions autour de Taïwan</a> et de leur aggravation. Elles furent au centre des échanges entre Xi Jinping et Joe Biden lors de leur <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211116-joe-biden-et-xi-jinping-entament-un-sommet-virtuel-pour-apaiser-les-tensions">sommet virtuel</a> dans la nuit du 15 au 16 novembre dernier.</p>
<p>Ces tensions mettent directement aux prises plusieurs acteurs clés : la République de Chine – mieux connue sous le diminutif de « Taïwan » –, la République populaire de Chine (RPC), les États-Unis et les États géographiquement proches qui, évidemment, auraient tout à craindre d’un affrontement militaire sur le territoire taïwanais et sur les territoires maritimes adjacents.</p>
<p>Le Japon, les Philippines et, peut-être dans une moindre mesure, la Corée du Sud ou le Vietnam ne peuvent qu’être préoccupés par l’accentuation des discours martiaux et parfois menaçants des deux principales parties : la République populaire de Chine et les États-Unis d’Amérique.</p>
<h2>L’intensification des tensions</h2>
<p>Ces tensions se sont intensifiées dans la période récente sous le double effet, notamment, de la multiplication des incursions et de la pression militaires chinoises, et des expressions voire des actions de soutien de la part des États-Unis au bénéfice de Taïwan.</p>
<p>La Chine a effectué plusieurs opérations aériennes au cours desquelles un nombre considérable (plusieurs dizaines par opération) d’appareils ont traversé la zone d’identification aérienne de Taïwan. Nous ne détaillerons pas <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/defense-linquietante-montee-en-puissance-de-la-flotte-chinoise-1410805">l’activité navale</a> chinoise, également très intense, et plus largement la multiplication de manœuvres.</p>
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<figcaption><span class="caption">Intrusion record d’avions militaires chinois dans le ciel de Taïwan (France 24, 3 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>De leur côté, les États-Unis ont affirmé être <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211022-les-%C3%A9tats-unis-sont-pr%C3%AAts-%C3%A0-d%C3%A9fendre-ta%C3%AFwan-en-cas-d-attaque-de-la-chine-selon-joe-biden">prêts à défendre Taiwan</a> en cas d’intervention militaire chinoise et ont confirmé la présence de conseillers et d’instructeurs militaires américains sur le sol taïwanais.</p>
<p>Il faut rappeler au passage que cette région est l’objet de vives tensions depuis longtemps, puisqu’à proximité immédiate de Taïwan se trouvent également les <a href="https://centreasia.eu/montee-des-tensions-autour-des-iles-senkaku/">îles Senkaku</a>, contrôlées aujourd’hui par le Japon mais revendiquées à la fois par la RPC et par la République de Chine. Ces îles font partie de l’archipel des Ryūkyū et de la préfecture d’Okinawa, territoire japonais où stationnent de très importantes forces navales et aériennes américaines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Une querelle issue d’oppositions anciennes</h2>
<p>Les tensions actuelles autour de Taïwan sont le fruit d’une histoire ancienne. Celle-ci résulte d’abord de l’affrontement entre nationalistes et communistes après l’effondrement de la première République chinoise, en 1949. C’est alors que les seconds, victorieux, obligèrent les premiers à se réfugier sur l’île de Taïwan.</p>
<p>Dans la plupart des rivalités et des frictions géopolitiques, sinon dans toutes, les parties prenantes rivales s’opposent des arguments presque toujours de deux types : des arguments historiques, et des arguments juridiques. Ici, l’un des principaux arguments avancés par le régime de Pékin pour obtenir de gré ou de force la réintégration de la <a href="https://fr.euronews.com/2021/10/09/le-president-chinois-promet-une-reunification-pacifique-avec-l-ile-rebelle-de-taiwan">« province rebelle »</a> – c’est ainsi qu’il désigne la démocratie taïwanaise – est d’affirmer que Taïwan a toujours été chinoise.</p>
<p>Pourtant, l’argument historique est en réalité plus faible qu’il n’y paraît : il n’y a eu <a href="https://www.lhistoire.fr/ta%C3%AFwan-ou-la-fronti%C3%A8re-inachev%C3%A9e">ni présence ni souveraineté chinoises sur l’île avant la fin du XVIIᵉ siècle</a>. De plus, l’île de Taïwan fut <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=60&post=63468">sous contrôle japonais de 1895 à 1945</a>. Enfin, la fin de la Seconde Guerre mondiale a coïncidé avec la défaite des nationalistes et leur regroupement sur l’île de Taïwan tandis que, sur le continent, la République populaire de Chine était proclamée par Mao Zedong en 1949.</p>
<p>On voit donc que l’antériorité multiséculaire d’un pouvoir chinois sur l’île de Taïwan est plus limitée que ce que l’intuition suggérerait. D’autant plus que l’on doit l’apparition et le renforcement d’une présence « chinoise » non pas à l’action résolue de l’empire chinois, mais à l’action intéressée des premiers « colonisateurs », si l’on peut dire, à savoir des Portugais, qui, au XVI<sup>e</sup> siècle, firent venir dans un but de valorisation économique des populations chinoises sur l’île de Taïwan d’où elles étaient donc absentes auparavant. Les populations natives étaient aborigènes et austronésiennes.</p>
<p>Autre problème historique : jusqu’en 1971, c’est la République de Chine – autrement dit Taïwan – qui représente la Chine à l’ONU. Et non pas la République populaire de Chine. Ce n’est que cette année-là que la communauté internationale – notamment les États-Unis – dut se résoudre à reconnaître l’importance politique indiscutable de la Chine maoïste et à lui attribuer le siège détenu jusqu’alors par Taïwan.</p>
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<p>Dès lors, le déclin diplomatique de Taïwan sur la scène internationale a été quasiment inexorable, quoique lent. Car, jusqu’à une période récente, Taïwan fut reconnu diplomatiquement par des dizaines d’États à travers le monde. Ce n’est que sous l’effet d’un <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/programme-taiwan-sur-securite-diplomatie/taiwan-une-puissance-diplomatique-part-entiere-2021">lobbying agressif de la part de la Chine</a> que la plupart des États qui avaient des relations diplomatiques avec Taïwan y ont renoncé : ils ne sont plus qu’une <a href="https://www.frstrategie.org/sites/default/files/documents/programmes/Programme-Taiwan/2021/taiwan-2021-01.pdf">quinzaine</a> (notamment de petits États des Caraïbes) et la liste continue de fondre avec le <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211210-le-nicaragua-rompt-avec-ta%C3%AFwan-et-reconna%C3%AEt-une-seule-chine-dirig%C3%A9e-par-p%C3%A9kin">choix récent du Nicaragua de ne plus reconnaître que la RPC</a>. La menace de rétorsions économiques à généralement suffi à convaincre de petits États à « abandonner » Taïwan à son sort face au géant émergent.</p>
<h2>Quel est le risque réel de dérapage militarisé ? Quand pourrait-il se produire ?</h2>
<p>Il est évidemment impossible de répondre à ces questions avec certitude : le problème de l’évaluation des gains et des coûts par chacune des parties peut difficilement être résolu.</p>
<p>Mais on peut faire plusieurs constats. D’abord, il y a le précédent de Hongkong qui, en pleine crise pandémique a été réduite au silence. Ses (jeunes) activistes prodémocratie ont été envoyés en prison et maltraités, des lois liberticides ont été votées et appliquées à la demande de Pékin et, plus largement, la démocratie hongkongaise a été démantelée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">Hong Kong : la fin du principe « Un pays, deux systèmes »</a>
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<p>Ce précédent est tout à fait essentiel pour bien appréhender la montée des tensions autour de Taïwan. Il faut bien comprendre que, pour le régime actuel de Pékin, toute expérience chinoise d’un système politique à caractère démocratique représente une menace vitale. Cela explique que l’une de ses lignes de positionnement, depuis fort longtemps, est de prétendre que les <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2011-2-page-52.htm">valeurs promues par les puissances occidentales n’ont rien d’universel</a> et que les Chinois entendent avoir leur propre régime politique, fidèle à leurs propres valeurs, et que cela ne passe pas par la promotion de la démocratie. Évidemment.</p>
<p>Autrement dit, toute expérience démocratique qui fonctionne et qui réussit par, avec et pour des citoyens chinois est une menace car elle fait la démonstration que les Chinois peuvent tout à fait « rester chinois » et fonctionner dans un système démocratique. Si en plus ces Chinois vivant en démocratie sont prospères, c’est une menace encore plus vitale pour le régime actuel de Pékin.</p>
<p>Par-delà la volonté de défendre la thèse d’« une seule Chine », de récupérer un territoire présumé historiquement chinois, etc., il faut bien voir le caractère vital que prend, pour le régime actuel de Pékin, le fait d’entraver, voire de faire cesser, toute expérience démocratique chinoise.</p>
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<figcaption><span class="caption">Taïwan : la guerre aura-t-elle lieu ? Le dessous des cartes (Arte, 24 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Il faut également souligner l’importance géostratégique de Taïwan pour l’affirmation de la puissance chinoise. L’examen rapide d’une carte des territoires maritimes autour de Taïwan et de la RPC (eaux territoriales et zones économiques exclusives notamment) montre un fait simple : nulle part la Chine de Xi Jinping n’a d’accès direct et totalement libre au grand large. Contrôler Taïwan territorialement, c’est améliorer cette donnée géostratégique pour une puissance militaire qui entend bientôt rivaliser avec celle des États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457981387714224130"}"></div></p>
<p>Enfin, pour comprendre la montée actuelle des tensions autour de Taïwan, il faut peut-être les mettre en relation avec la montée des tensions, concomitante, d’une part dans l’est de l’Ukraine et d’autre part à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Une hypothèse ne doit pas être écartée : une entente entre la puissance chinoise et la puissance russe qui pourrait leur permettre, au moment opportun, d’ouvrir un <a href="https://www.meta-defense.fr/2021/04/12/ukraine-taiwan-moyen-orient-le-scenario-du-pire-pour-le-pentagone-prend-corps/">double front</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468162762052280320"}"></div></p>
<p>Ouvrir un front dans le Pacifique nord-ouest autour de Taïwan et ouvrir un front dans l’est de l’Europe aurait l’énorme avantage pour les deux puissances, si leur action était ainsi coordonnée, d’obliger les Occidentaux, et en particulier les Américains, à se positionner sur deux zones très éloignées simultanément.</p>
<p>Aujourd’hui, la puissance militaire nominale des Américains reste très supérieure à celle des Chinois, surtout si l’on y ajoute l’ensemble des alliés sur lesquels peuvent compter les Américains. Mais si ces derniers doivent positionner des forces sur deux fronts simultanément, la situation est très différente. Un tel scénario n’aurait rien à envier au meilleur des préceptes stratégiques que l’on peut trouver dans <em>L’Art de la guerre</em> de Sun Tzu ou dans un traité désormais célèbre comme celui des <a href="https://chinesereferenceshelf.brillonline.com/grand-ricci/files/36-stratagemes.pdf">« 36 Stratagèmes »</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Jeanne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine met de plus en plus la pression sur Taïwan. La montée des tensions pourrait-elle déboucher sur un conflit de grande envergure ?Ludovic Jeanne, Géographe, Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1735512021-12-12T20:53:03Z2021-12-12T20:53:03ZLa Chine, première puissance sportive de demain ?<p><a href="https://www.forbes.fr/business/de-plus-en-plus-de-pays-envisagent-un-boycott-diplomatique-des-jo-dhiver-de-pekin/">Critiquée de toutes parts</a> – à la fois pour le sort qu’elle réserve aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/la-chine-est-responsable-d-un-genocide-des-ouighours-estiment-des-experts-et-avocats_4876347.html">Ouïghours</a>, pour sa remise au pas de <a href="https://www.la-croix.com/Hongkong-Jimmy-Lai-deux-autres-militants-condamnes-veillee-Tiananmen-2021-12-09-1301189298">Hongkong</a>, pour la <a href="https://reporterre.net/Le-totalitarisme-numerique-de-la-Chine-menace-toute-la-planete">« dictature numérique »</a> qu’elle a instaurée à l’intérieur de ses frontières, ou encore pour l’inquiétante affaire de la tenniswoman <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/nicolas-mahut-sur-laffaire-peng-shuai-on-ne-peut-pas-tolerer-la-tenue-des-jo-de-pekin-20211211_YPHLUZWHCRF63KBZVLAIVEDGFI/">Peng Shuai</a> –, la République populaire de Chine s’apprête à accueillir à Pékin les JO d’hiver dans une ambiance délétère.</p>
<p>On sait déjà que ces Jeux seront boycottés diplomatiquement – pas sportivement – par les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211207-jo-de-p%C3%A9kin-le-boycott-diplomatique-am%C3%A9ricain-divise-les-grandes-puissances">États-Unis</a>, l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20211207-l-australie-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Australie</a>, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/sports/20211208-le-royaume-uni-annonce-%C3%A0-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-d-hiver-de-p%C3%A9kin">Royaume-Uni</a> et le <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6588188/le-canada-annonce-a-son-tour-un-boycott-diplomatique-des-jo-de-pekin.html">Canada</a>. D’autres pays pourraient leur emboîter le pas. Malgré ces contrariétés, la Chine fait pourtant du sport un élément essentiel de son pouvoir.</p>
<p>Le pays a érigé tout au long du XX<sup>e</sup> siècle un système politico-économico-sportif total dont les objectifs à long terme sont d’élever la performance sportive à son plus haut niveau pour devenir la première puissance sportive mondiale d’ici à 2049, date du centenaire de la révolution maoïste.</p>
<p>Comment la Chine est-elle devenue une sérieuse candidate au titre de première puissance sportive de la planète ?</p>
<h2>Le sport pour s’émanciper du joug bourgeois</h2>
<p>L’histoire du sport moderne en Chine est avant tout celle d’une revanche. À la fin du XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècle, le mouvement sportif chinois est contrôlé par les États-Unis, par l’intermédiaire de la Young Men’s Christian Association (YMCA), <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3606">qui organise les programmes sportifs scolaires et les compétitions locales</a>.</p>
<p>Grâce au sport, la YMCA cherche avant tout à « évangéliser » et « civiliser » « l’homme malade de l’Asie ». Mais avec le début de la guerre civile chinoise en 1927, les critiques contre l’impérialisme américain se font de plus en plus présentes.</p>
<p>Mao Zedong <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">s’empare politiquement du domaine du sport</a> afin d’en faire un argument pour lier force nationale et éducation physique. L’objectif est de redresser le corps de la nation chinoise par le prisme du corps de la population. Entre 1927 et 1949, l’éducation physique et la discipline militaire font partie intégrante du programme du Parti communiste chinois.</p>
<p>Dès le lendemain de la révolution de 1949, Mao appelle « à développer le sport et la culture physique et à renforcer la condition physique du peuple ». Les autorités chinoises vont même plus loin. Si le sport est une arme de « l’anti-féodalisme », il est également une arme de « l’anti-impérialisme » : il s’oppose au modèle sportif américain jugé bourgeois.</p>
<p>Afin de s’en émanciper, Mao décide de prendre le meilleur des modèles sportifs des autres pays communistes, dont l’URSS est la tête de gondole. Dès lors, la Chine multiplie les échanges par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2019-3-page-69.htm">« tournées de bonne volonté »</a> à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire avec les « pays frères ».</p>
<p>Le système sportif chinois s’inspire grandement du modèle soviétique : les manuels sportifs de l’URSS sont traduits en mandarin, le système politico-économico-sportif chinois devient vertical et public, les associations et syndicats sportifs sont créés, l’apparition de classements favorise l’émergence des athlètes de haut niveau, qui disposent désormais de la possibilité de s’entraîner à temps plein dans des structures idoines.</p>
<h2>L’affaire des deux Chine : exister à l’échelle internationale</h2>
<p>Parallèlement, la RPC cherche à intégrer les grandes instances du sport mondial pour pouvoir exister sur la scène internationale. Dès 1952, Mao Zedong souhaite rejoindre le CIO <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3603">pour pouvoir participer aux JO d’Helsinki</a>.</p>
<p>Problème, la Chine y est déjà représentée depuis 1922 par la République de Chine (ROC) et son Comité national olympique chinois (CNO) pré-existant à la révolution maoïste. En 1951, 19 des 25 membres du CNO chinois s’envolent pour Taïwan et participent à la création <em>de facto</em> de l’État de Taïwan. Ils demandent officiellement au CIO de prendre une position définitive.</p>
<p>Dans le même temps, la RPC formule la demande de participation aux JO. Cela a pour effet de créer deux entités politiques qui revendiquent un même territoire : c’est l’affaire des deux Chine. Pris entre deux feux, le CIO décide d’admettre des athlètes des deux territoires et d’éluder la question du statut de ces deux pays. La RPC envoie 38 hommes et 2 femmes à Helsinki. C’est la première fois de l’histoire olympique que le drapeau de la RPC flotte lors d’un événement sportif international. En réponse, Taïwan refuse d’envoyer ses représentants.</p>
<p>Deux ans plus tard, en 1954, le CIO est la première grande organisation internationale à officiellement reconnaître la RPC et son « Comité olympique de la République populaire de Chine ». Mais il continue aussi à reconnaître la Chine nationaliste présente à Taipei. Ainsi les deux délégations sont-elles présentes lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Melbourne en 1956.</p>
<p>En voyant le drapeau de la ROC flotter sur la ville australienne, <a href="https://www.jstor.org/stable/20192198">Mao demande à sa délégation d’athlètes de repartir à Pékin et de quitter les JO</a>. La Chine est donc <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2008-2-page-93.htm">exclue du mouvement olympique en 1958</a>, faute de solution.</p>
<h2>Le temps de l’ouverture</h2>
<p>À partir des années 1960, les dirigeants chinois font du sport un élément de la diplomatie du pays et le ping-pong est proclamé sport national. En 1959, le pongiste <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210721-tragic-spy-who-sparked-china-s-table-tennis-domination">Rong Guotuan</a> remporte les championnats du monde de tennis de table et offre à la RPC son premier sacre sportif de premier plan. Pour Mao, cette victoire est <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/170/PIRONET/61714">« une arme nucléaire spirituelle »</a> : « La balle de ping-pong représente la tête de l’ennemi capitaliste », la frapper avec la « raquette socialiste » permet de marquer « des points pour la mère patrie ».</p>
<p>Il s’agit bien entendu de renforcer l’image de la Chine dans le monde, dans un contexte d’isolement vis-à-vis des puissances occidentales et de tensions croissantes avec l’URSS.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le sport en Chine selon Mao, Archive INA du 2 septembre 1974.</span></figcaption>
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<p>Si le sport permet au pouvoir chinois de signifier une intention négative, il devient un vecteur diplomatique positif à partir des années 1970. En effet, entre 1971 et 1972, le slogan chinois « L’amitié d’abord, la compétition après » se traduit par l’émergence de la célèbre <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/713675951">« diplomatie du ping-pong »</a>, qui voit des échanges de pongistes américains et chinois participer au renouveau des relations entre les deux pays.</p>
<p>Suite aux <a href="https://www.cairn.info/economie-de-la-chine--9782130575610-page-39.htm?contenu=article">réformes de Deng Xiaoping</a>, après la mort de Mao, le système sportif chinois s’inspire des moyens occidentaux pour croître.</p>
<p>En 1979, lors d’une conférence à Pékin, il est décidé que la politique sportive, qui s’inscrivait jusqu’ici dans le cadre de la lutte des classes, <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781315857053/sport-nationalism-china-zhouxiang-lu-fan-hong">devait être abolie au profit d’une nouvelle politique sportive</a> destinée à servir les « Quatre modernisations ». L’objectif est de s’éloigner de la Révolution culturelle et de ses conséquences : le déclin du sport de haut niveau au profit de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2016.1188082?journalCode=fhsp20">l’hygiénisation du peuple</a>.</p>
<p>En 1980, Wang Meng, le ministre des Sports, affirme que la Chine est une puissance pauvre qui doit concentrer ses efforts sur le sport de haut niveau afin d’améliorer l’image du pays dans le monde et augmenter la fierté et le patriotisme chinois. Le sport doit désormais servir à renforcer la fierté nationale à travers les victoires sur d’autres nations. Le nouveau slogan, « Compétition ! », est sans équivoque.</p>
<p>Signe de l’importance du sport pour le PCC, et alors que le CIO continue de reconnaître Taïwan, la Chine <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/28/la-republique-populaire-de-chine-sera-a-lake-placid-et-a-moscou-en-1980_2764249_1819218.html">réintègre le CIO en 1979</a> et envoie pour la première fois depuis 1952 une délégation de 24 athlètes aux JO d’hiver de 1980 à Lake Placid. La même année, le PCC juge que l’invasion soviétique en Afghanistan met en péril les frontières chinoises et s’allie avec les États-Unis pour <a href="http://www.slate.fr/sports/83001/jo-moscou-1980">boycotter les JO de Moscou</a>.</p>
<p>Quatre ans plus tard, en 1984, 216 athlètes chinois participent aux JO de Los Angeles, alors que l’URSS refuse de s’y rendre. Principale représentante du monde communiste, la Chine finit à la quatrième place en remportant pas moins de 32 médailles, dont 15 en or. À leur retour au pays, les athlètes reçoivent un message officiel du Conseil d’État : « Vous avez réalisé de grands succès aux Jeux olympiques. La victoire aux JO va aider à construire la confiance et l’esprit chinois ».</p>
<p>L’engouement est tel que les médias de la RPC parlent alors d’« événement historique » et de « nouveau chapitre dans l’émergence de la Chine en tant que grande puissance du sport ».</p>
<h2>Le « Juguo Tizhi » : tout pour le sport de haut niveau</h2>
<p>C’est le début de la mutation du système sportif chinois concernant le haut niveau. L’objectif ? « Sportiviser » l’ensemble de la population chinoise dès le plus jeune âge afin de performer sur la scène internationale.</p>
<p>Pour ce faire, le budget dédié au sport est augmenté afin d’<a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2008_num_102_1_3602">attirer les experts du sport international</a>. Au lendemain des JO de Los Angeles, le slogan « Développer l’élite du sport et faire de la Chine une superpuissance dans le monde » a pignon sur rue.</p>
<p>Il devient clair pour les dirigeants chinois que le sport sera le reflet des échecs et des succès du régime à l’étranger. C’est ainsi que le PCC adopte un projet de réforme du système sportif le 15 avril 1986. Dès lors, le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16184742.2017.1304433">« Juguo Tizhi »</a>, à savoir « le soutien de l’ensemble du pays au système sportif de haut niveau », devient la norme en Chine.</p>
<p>Concrètement, un système pyramidal à trois niveaux est mis en place afin de créer et faire émerger le champion de la masse des sportifs.</p>
<p>Le premier niveau est constitué de la masse des pratiquants présents dans les écoles primaires et secondaires. Dès leur plus jeune âge, les enfants et adolescents sont chaperonnés par une commission locale des sports qui les repère, les teste et les entraîne « scientifiquement ». L’État opère un écrémage chez les enfants entre 6 et 9 ans, suite à quoi les meilleurs sont envoyés dans des écoles du sport spécialisées où ils s’entraîneront 10 heures par jour. Le programme sportif est composé d’un savant mélange du meilleur des méthodes d’entraînement soviétique et capitaliste.</p>
<p>Ensuite, au deuxième niveau, les athlètes sont répartis dans des équipes de province et des clubs professionnels pour faire leurs classes. Dès lors, l’objectif est de tirer le meilleur de chacun d’eux.</p>
<p>Enfin, et c’est le troisième niveau, les meilleurs acquièrent le droit d’intégrer les équipes nationales puis, si leur niveau le permet, l’équipe olympique. Grâce à ce système, qui perdure encore aujourd’hui, c’est toute la société chinoise qui est mise en branle pour performer vite et bien.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’entraînement des jeunes gymnastes chinoises, Archive INA du 11 octobre 2004.</span></figcaption>
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<h2>Le temps des records et des polémiques</h2>
<p>En dépit de ce renouveau systémique, les JO de 1988 sont un relatif échec compte tenu du retour des Soviétiques et des autres pays du bloc communiste. La RPC n’obtient que la onzième place au classement des médailles.</p>
<p>Dans la foulée, quelques critiques commencent à apparaître à l’égard du « Juguo Tizhi ». Certaines pointent notamment du doigt l’incapacité pour les athlètes à prendre du plaisir dans un contexte d’ultra-performance, le fait que l’omniprésence de l’État empêche une certaine forme d’innovation ou encore la mauvaise santé des athlètes de haut niveau.</p>
<p>De manière générale, les acteurs du mouvement sportif chinois – managers, athlètes et entraîneurs – font tout pour améliorer le niveau de performance. Les sportifs de haut niveau sont soumis par les autorités à un régime semi-militaire strict. Les campus sportifs sont organisés de façon à améliorer au maximum les performances et les lieux de vie des athlètes sont situés sur ceux-ci, les séparant ainsi de la vie civile.</p>
<p>À l’intérieur, les hommes et les femmes vivent séparément et n’ont pas le droit d’avoir de relations intimes. Il est d’ailleurs vivement conseillé aux athlètes de ne pas tomber amoureux ou de fonder une famille.</p>
<p>En outre, certaines méthodes illicites sont également employées pour améliorer les performances des sportifs. Parfois, les autorités mentent sur l’âge des athlètes qu’ils chapeautent afin qu’ils puissent se confronter rapidement à leurs pairs plus âgés et ainsi connaître le haut niveau plus tôt. Par ailleurs, l’usage de produits dopants devient <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/jeux-olympiques/actualites/dopage-en-chine-plus-de-10000-athletes-positifs-entre-1980-90-881607">courant en Chine dans les années 1980</a>. Herbes, décoctions traditionnelles, ou encore « pilules miracles », les techniques sont aussi variées qu’originales.</p>
<p>Si la Chine remporte les Jeux asiatiques de Séoul en 1986, 11 athlètes sont testés positifs dans la foulée, laissant planer l’ombre d’un doute sur l’ensemble des performances chinoises. Pour le ministère des Sports chinois, il est hors de question que l’image du pays en pâtisse à l’étranger. En 1989, après quelques balbutiements, le premier centre de test antidopage chinois est reconnu par le CIO et les autorités promeuvent les « trois sérieux principes » : tests antidopage sérieux, interdiction de l’usage de produits dopants dans le sport et punitions pour ceux qui utilisent ces produits. Mais, dans un premier temps, cela ne suffira pas.</p>
<p>En 1993, « l’armée de Ma » – du nom de l’entraîneur chinois Ma Junren – fait sensation aux championnats du monde d’athlétisme de Stuttgart en remportant victoire sur victoire et en pulvérisant record sur record. Symbole du succès du « Juguo Tizhi », les Chinoises Qu Yunxia, Zhang Linli et Zhang Lirong réalisent un triplé retentissant en finale du 3000 mètres féminin. Mais épuisées par la dureté des conditions qui leur sont imposées, neuf femmes de l’équipe écrivent une lettre (révélée seulement en 2015) où elles dénoncent les pratiques de leur entraîneur, <a href="https://www.liberation.fr/sports/2016/02/06/athletisme-les-soldates-de-ma-ne-carburaient-pas-qu-au-sang-de-tortue_1431538/">qui les forçait à prendre des produits dopants</a>.</p>
<p>En dépit de ces déclarations, le sport chinois continue sa marche en avant.</p>
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<figcaption><span class="caption">La finale du triplé chinois aux Mondiaux d’athlétisme de Stuttgart en 1993.</span></figcaption>
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<h2>Une montée en puissance irrésistible ?</h2>
<p>Il faut attendre les années 1990 et la chute de l’URSS pour voir la Chine grappiller année après année des places au classement olympique des médailles. Elle est quatrième en 1992 et 1996 puis franchit un cap en 2000, finissant troisième, avant d’atteindre la deuxième place en 2004. À mesure que la Russie baisse le pied, la Chine se positionne comme une puissance sportive incontournable.</p>
<p>Le 13 juillet 2001, le CIO <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.olympic.org%2Ffr%2Fgames%2Fbeijing%2Felection_fr.asp#">attribue l’organisation des JO d’été 2008 à Pékin</a>. Pour les autorités chinoises, la victoire est totale. Un sondage d’opinion à l’époque montre que <a href="https://www.pewresearch.org/2008/08/05/an-enthusiastic-china-welcomes-the-olympics/">96 % de la population chinoise soutient cette initiative</a>. C’est fait, la Chine va accueillir les JO pour la première fois de son histoire. Mieux : elle va même les remporter au classement des médailles.</p>
<p>En dépit de cet indéniable succès, l’événement est marqué par de nombreuses <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/24/01003-20080324ARTFIG00279-la-flamme-des-jo-pekin-a-ete-allumee.php">protestations</a> à l’égard du régime chinois. La chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique Gordon Brown, ou encore le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon, décident de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture pour dénoncer les atteintes de Pékin aux droits humains. Dès lors, l’événement sportif est un projecteur qui éclaire la RDC pour le meilleur et pour le pire.</p>
<p>Depuis, le sport reste un enjeu majeur pour la Chine, qui cherche à atteindre le premier rang des superpuissances sportives. Pourtant, les boycotts annoncés aux JO d’hiver de Pékin 2022 laissent penser que les puissances occidentales ne la laisseront pas faire. À suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les JO d'hiver de Pékin à venir suscitent de nombreuses critiques, retour sur les ambitions sportives historiques de la puissance chinoise.Lukas Aubin, Docteur en Études slaves contemporaines : spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresJean-Baptiste Guégan, Enseignant en géopolitique du sport, Institut libre d'étude des relations internationales (ILERI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1612512021-05-20T18:13:29Z2021-05-20T18:13:29Z« Quelle démocratie ? » (3 / 3) : La démocratisation de la Chine, un espoir à oublier ?<p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>La démocratie, c’est littéralement le pouvoir exercé par le peuple. Elle ne se déploie évidemment pas de la même manière sous toutes les latitudes. Les États qui ont choisi ce régime, ou prétendent l’avoir choisi, l’appliquent chacun avec leur histoire, leurs institutions, leurs aspirations. Dans certains d’entre eux, la crise sanitaire a eu des impacts sur l’exercice de la démocratie.</p>
<p>The Conversation a choisi d’explorer cette notion à travers une série de podcasts réalisée avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, et intitulée « Quelle démocratie ? ». On y parle de ses évolutions aux États-Unis, en France, et en Chine. Les deux premiers États sont indéniablement des démocraties, même s’ils font régulièrement l’objet de critiques sévères. La Chine, elle, est un régime autoritaire qui, pourtant, se prétend démocratique.</p>
<p>Dans cet ultime épisode intitulé « La démocratisation de la Chine, un espoir à oublier ? », nous nous intéressons à la République populaire de Chine. Comment comprendre les récentes évolutions du régime, aussi bien dans sa politique étrangère qu’à l’intérieur ? Quel est le rapport à la démocratie de cet État autoritaire ?</p>
<p>Le sinologue Jean‑Pierre Cabestan nous accompagne dans cette réflexion. Jean‑Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS et chercheur associé au Centre d’étude français sur la Chine contemporaine de Hongkong. Il est également professeur de science politique à l’Université baptiste de Hongkong.</p>
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<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue lors du webinaire <a href="https://youtu.be/8GfuiGPRgMs">« Le monde chinois entre dictature et démocratie »</a>, enregistré en février 2021 dans le cadre de la session 5 du cycle de formation de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>) « Les régimes démocratiques à l’épreuve des transitions ? La question de la gouvernance. »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment comprendre les récentes évolutions de la Chine ? Quel est le rapport à la démocratie de cet État autoritaire ?Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceFrançoise Marmouyet, Coordinatrice éditoriale, The Conversation FranceRayane Meguenni, Chef de projet podcasts, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1470752020-09-30T17:31:39Z2020-09-30T17:31:39ZRépublique populaire de Chine : l’anniversaire de tous les dangers<p>En ce 1<sup>er</sup> octobre, jour anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine en 1949, Xi Jinping s’apprête à prononcer un grand discours qui adressera, une fois de plus, un satisfecit général à la nation sur fond de <a href="http://www.eastpendulum.com/#">défilé martial</a>. Mais la RPC se trouve dans un isolement diplomatique grandissant et la société chinoise se lézarde, conséquence d’une crise économique sans précédent provoquée par la pandémie.</p>
<p>Le chômage est <a href="https://thediplomat.com/2020/06/how-china-can-avert-an-employment-crisis/">endémique</a> et le pays est en proie à une <a href="https://asialyst.com/fr/2020/09/18/chine-menace-crise-alimentaire-symptome-virage-gauche-xi-jinping">grave pénurie alimentaire</a>). <em>Last but not least</em> : les troubles ethniques aux marges (Mongolie intérieure, Tibet, Xinjiang) s’ajoutent aux risques de conflits avec <a href="https://theconversation.com/chine-inde-mefiance-par-temps-de-pandemie-136149">l’Inde</a> et <a href="https://theconversation.com/faire-du-bruit-a-lest-et-frapper-a-louest-ta-wan-aux-avant-postes-des-strategies-chinoises-135380">Taïwan</a>.</p>
<h2>La présidence belligène de Xi Jinping</h2>
<p>La paranoïa structurelle et la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/14/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-1-un-regime-mutant/">concentration du pouvoir autour de Xi Jinping</a> se sont continuellement exacerbées depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Sa posture conciliante vantant l’attachement de son pays aux principes du multilatéralisme comme au développement écologique (une posture chaque jour infirmée par la pollution des <a href="https://fr.theepochtimes.com/principale-source-de-plastique-retrouve-oceans-provient-cours-deau-de-chine-1040171.html">océans</a> et des sols et par la <a href="https://fr.theepochtimes.com/des-militants-et-des-experts-preoccupes-par-les-activites-de-deforestation-menees-par-la-chine-en-afrique-1208784.html">déforestation que la RPC met en œuvre sur tous les continents</a>) ne doit en rien faire illusion.</p>
<p>D’une part, Xi Jinping a, en quelques mois, ruiné le crédit à l’international dont la Chine s’était progressivement mise à bénéficier depuis le lancement des réformes de Deng Xiaoping à partir de 1979, et accéléré une <a href="https://theconversation.com/les-lecons-de-la-tournee-europeenne-du-ministre-chinois-des-affaires-etrangeres-145293">forme nouvelle d’isolement diplomatique</a>. La crise de Hongkong a d’ailleurs rappelé avec force que la culture politique du PCC n’a pas changé d’un iota depuis les massacres de Tiananmen (1989). La Chine est entrée dans une phase qui, à terme, pourrait être comparable à celle de l’Iran dans l’association délétère d’une <a href="https://nationalpost.com/news/politics/china-steps-up-use-of-hostage-diplomacy-in-international-relations-experts">diplomatie des otages</a>, de la propension de ses représentants à menacer sans ménagement leurs interlocuteurs (comme en <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/fake-news-et-agressivite-les-multiples-derapages-de-l-ambassadeur-de-chine-en-france_2123806.html">France</a>, en <a href="https://thediplomat.com/2020/09/how-will-china-respond-to-the-czech-senate-presidents-visit-to-taiwan/">Tchéquie</a> ou en <a href="https://www.theguardian.com/australia-news/2020/may/03/china-and-australia-how-a-war-of-words-over-coronavirus-turned-to-threats-of-a-trade-war">Australie</a>) et <em>in fine</em> de l’accélération de son isolement qui pourrait se révéler aussi dommageable pour la RPC que pour l’ensemble de ses partenaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1300417768957841409"}"></div></p>
<p>D’autre part, la Chine est animée d’un puissant sentiment de revanche face à l’Occident. C’est même <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/23/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-2-drole-de-guerre-et-colosse-aux-pieds-dargille/">l’un des piliers de sa stratégie d’hégémonie</a>. Pékin est longtemps passé maître dans l’emploi d’un double langage que les opinions occidentales ont su enfin percer à jour. Les intentions prédatrices de cet État-Parti, les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-diplomatie-chinoise-des-loups-combattants-20200604">déclarations bellicistes de diplomates</a> et de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/21/la-chine-sur-le-pied-de-guerre_6052984_3232.html">médias nationaux</a>, ainsi que les <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-chine-simule-en-video-l-attaque-d-une-base-americaine-une-premiere-c-est-la-diplomatie-du-loup-combattant?id=10589299">intimidations militaires</a> ne se sont pas atténuées, si bien que les Européens ont fini par en saisir la menace.</p>
<p>Les grandes instances internationales sont désormais, pour beaucoup d’entre elles, sous l’influence de Pékin. Loin d’en réfréner l’action, <a href="https://theconversation.com/organisations-internationales-le-spectre-dune-hegemonie-chinoise-se-concretise-136706">l’ONU</a> est devenue, malgré elle, le <a href="https://asialyst.com/fr/2020/09/26/coronavirus-climat-comment-trump-xi-jinping-etrilles-onu/">porte-voix</a> du régime. Cette situation est pourtant réversible.</p>
<h2>« Un État seul n’est jamais en bonne compagnie »</h2>
<p>Ce constat, signé Paul Valéry, s’applique tout à fait à la Chine d’aujourd’hui. Sa diplomatie a fait naufrage.</p>
<p>La RPC s’est rapprochée de pays à risques (<a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3102896/us-china-relations-north-korea-nuclear-talks-opportunity">Corée du Nord</a>, <a href="https://www.pakistantoday.com.pk/2020/09/11/strategic-dimensions-of-close-china-pakistan-relations/">Pakistan</a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/pourquoi-le-mysterieux-traite-entre-l-iran-et-la-chine-inquiete-tant-20200728">Iran</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/25/l-expansion-militaire-chinoise-trouve-un-point-d-appui-au-cambodge_5493306_3210.html">Cambodge</a>, <a href="https://theconversation.com/la-birmanie-objet-de-toutes-les-attentions-chinoises-en-asie-du-sud-est-145264">Myanmar</a>…), d’une santé déjà fragile et dont l’insolvabilité se retournera inévitablement contre elle.</p>
<p>Son partenariat avec la <a href="https://www.lejdd.fr/International/josep-borrell-face-a-leurope-la-russie-la-chine-et-la-turquie-veulent-changer-les-regles-du-jeu-3988324">Russie</a>, dans ses prolongements turcs en Méditerranée comme au Moyen-Orient, accroît la fracture qui oppose des logiques impériales à celles des États-nations que Pékin convoite car ils sont encore riches et possèdent des <a href="https://www.cnccef.org/wp-content/uploads/2020/04/CCE-CHINE-Covid-19-VEILLE-TECHNOLOGIQUE-SUR-LES-INNOVATIONS-EN-CHINE-V1.3-FR-200407.pdf">capacités technologiques</a> qu’elle ne maîtrise pas. <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/economie/nicolas-baverez-l-archipelisation-du-monde-20200913">Les cartes sont par ailleurs rebattues</a> puisque les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/signature-de-l-accord-israel/emirats-le-15-septembre-a-la-maison-blanche-20200908">Émirats du Golfe reconnaissent à présent Israël</a> tandis que l’ensemble des pays musulmans non arabes se tournent à la fois vers Moscou et Pékin.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la télévision officielle chinoise, 15 juin 2019.</span></figcaption>
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<p>Pendant ce temps, une sorte d’endiguement de la Chine est mis en place par la puissance américaine, spécialement en Asie orientale où la RPC est déjà contenue jusqu’à ces avant-postes que sont le Japon, Taïwan et le Vietnam. Donald Trump a, en effet, décidé de renforcer les liens des États-Unis avec chacun de ces pays. C’est un choix stratégique. Qu’il soit réélu ou non, Donald Trump a une vision pour les États-Unis. Il se projette sur un temps long qui, bien au-delà de sa personne, signe un coup d’arrêt à la permissivité dans les choix qui caractérisaient ceux de ses prédécesseurs concernant la Chine. Sa personnalité, mais aussi les membres de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/matthew-pottinger-l-influent-m-chine-de-donald-trump-bete-noire-du-regime-20200907">son entourage proche</a>, n’y sont pas étrangers. Le contraste avec la France est de ce point de vue saisissant.</p>
<h2>Quelle politique chinoise pour la France ?</h2>
<p>Il n’y a pas de sinologue à l’Élysée depuis l’élection d’Emmanuel Macron. En revanche, le choix a été fait jusqu’à très récemment, et curieusement assumé par les néo-gaullistes (de Jacques Chirac à Jean‑Pierre Raffarin), de concéder à la Chine un statut d’exceptionnalité – et ce, dans tous les domaines. Que ce soit sur la question des droits de l’homme, les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/22/leurope-et-la-chine-deux-singularites-anciennes-dans-un-monde-neuf/">transferts de technologies</a>, le pillage d’informations confidentielles dans les industries et les laboratoires français, la répression contre les individus… On peut raisonnablement s’interroger sur ces largesses.</p>
<p>Dans le même temps, Taiwan est resté l’angle mort des diplomaties française et européenne. À tort. Car s’il est un point où la France et l’Europe sont attendues, c’est bien celui de la démocratie. Et il a plus d’une fois été démontré que l’alliance entre démocraties peut rapporter davantage qu’une alliance entre des démocraties et une dictature. Mais n’est-il déjà pas trop tard ? Les ambassades chinoises, dans l’ensemble du monde occidental, ont tissé leur toile. S’appuyant sur des associations aux appellations iréniques, elles peuvent désormais <a href="https://jamestown.org/program/the-ccps-united-front-network-in-sweden/">mobiliser les diasporas</a>, influencer des décisions, <a href="https://jamestown.org/program/the-china-u-s-exchange-foundation-and-united-front-lobbying-laundering-in-american-politics/">recourir à des lobbys</a>, voire porter chez l’adversaire des coups s’apparentant à des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/09/04/manifestation-a-paris-de-la-communaute-chinoise-contre-le-racisme-envers-les-asiatiques_4992321_3224.html">insurrections urbaines</a>, comme récemment à Paris.</p>
<p>Le <a href="https://www.tallandier.com/auteur/kai-strittmatter/">Front uni</a> (organe du PCC agissant notamment à l’international en matière de propagande et de subversion) qui siège à deux pas du pouvoir central pékinois est devenu nettement plus actif au cours de ces dernières années : renseignement, subversion, instrumentalisation de la diaspora et des opinions publiques.</p>
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<p>Une démocratie ne peut tolérer les campagnes de déstabilisation ou les menaces que font peser les autorités chinoises sur des familles tibétaines ou ouïgours <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-france-des-ouighours-sous-la-pression-des-autorites-chinoises-1303169">réfugiées en France</a> ou dans le reste de l’Union européenne, et demain à l’encontre de ressortissants taiwanais ou hongkongais. Les moyens de coercition existent. L’État et ses représentants vont-ils oser y recourir ?</p>
<h2>Bruits de bottes en Asie</h2>
<p>En parallèle de la gestion de crise de la Covid-19, le Parti-État s’est livré à une démultiplication des gesticulations militaires tout autour de sa périphérie territoriale, spécialement dans trois espaces : à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/21/la-chine-multiplie-les-demonstrations-de-force-face-a-taiwan_6053028_3210.html">Taiwan</a>, en mer de Chine méridionale et enfin dans la zone frontalière avec l’Inde.</p>
<p>Depuis la fin août, Pékin a intensifié ses intimidations à l’encontre de Taiwan. Mi-septembre, la Chine populaire ne reconnaît plus la ligne médiane dans le détroit de Taïwan et <a href="https://twitter.com/HenriKenhmann/status/1307202405964996610">fait décoller</a> successivement plusieurs avions de combat (J-10, J-11), chasseurs bombardiers (J-16), bombardiers stratégiques (H-6) et avions de lutte anti-sous-marine (YQ-8), alors que ses navires entourent l’île. Le scénario d’une prise de l’île par les troupes communistes n’a jamais été aussi plausible.</p>
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<p>En Inde et dans l’espace maritime au sud de la Chine, les tactiques sont similaires. Le déploiement de <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/le-rafale-decolle-en-inde-et-vise-l-europe_726617">Rafale depuis l’Inde</a> et de navires américains fait contrepoids à la tactique chinoise. Si la guerre n’a jamais été aussi proche depuis l’ouverture économique chinoise, la situation en interne est probablement bien plus chaotique qu’il n’y paraît.</p>
<h2>Une situation économique préoccupante</h2>
<p>Premièrement, Xi Jinping promeut un supposé nouveau schéma économique appelé <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-29-2020/la-circulation-duale-nouveau-paradigme-economique/">« double circulation »</a>. Ce système devrait favoriser la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/en-chine-le-danger-dune-reprise-a-deux-vitesses-1238205">consommation intérieure et le développement à l’international des technologies chinoises</a>, tout en réduisant la dépendance extérieure (chaînes d’approvisionnement). Ce sujet n’est en réalité pas nouveau. L’ancien tandem Hu Jintao–Wen Jiabao avait déjà promu l’idée d’une transition vers la consommation intérieure. Le ralentissement économique interne, la chute de la demande internationale et la guerre économique, en plus du confinement, ont provoqué un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-pib-chinois-en-repli-de-6-8-contraction-inedite-20200417">recul sans précédent du PIB chinois</a>. La difficile relance de l’économie privilégie sans surprise les géants nationaux et <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-32-2020/la-chine-se-decide-a-jouer-franc-jeu/">incite de manière autoritaire</a> le secteur privé à collaborer (y compris à l’international) avec le Parti-État.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1300582278326878208"}"></div></p>
<p>Deuxièmement, le bras de fer sino-américain dans le domaine des technologies, en particulier des <a href="http://emag.directindustry.com/chinas-quest-for-semiconductors-a-battlechip-strategy/">semi-conducteurs</a>, affecte durement l’économie de la RPC et sa puissance stratégique. La Chine est, en effet, fortement dépendante de la disponibilité des composants. Le scénario d’une « récupération » de Taiwan par la force s’expliquerait en partie par le sujet des semi-conducteurs : l’île possède en la matière des savoir-faire et des technologies (destinées entre autres aux États-Unis), <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/la-chine-debauche-les-ingenieurs-de-tsmc-pour-tenter-de-devenir-un-leader-dans-les-semi-conducteurs.N994994">notamment avec l’entreprise TSMC</a>. Le récent <a href="https://www.reuters.com/article/us-huawei-tech-china-fire/fire-at-huawei-facility-in-southern-china-put-out-no-casualties-local-government-idUSKCN26G1AN">incendie majeur du centre de R&D de Huawei</a> à Dongguan (proximité de Shenzhen) est un coup dur supplémentaire pour le géant chinois.</p>
<p>Plus la Chine avance dans son expérience de puissance au sein du système international, plus le double phénomène de rigidité/fermeture en interne et d’expansion prédatrice en externe se manifeste. N’oublions pas que ce pays qui vient de fêter son 71<sup>e</sup> anniversaire a annoncé depuis longtemps sa volonté de posséder la <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-32-2020/la-chine-se-decide-a-jouer-franc-jeu/">première armée au monde</a> en 2049, pour ses cent ans. Il est vital pour l’Europe et le monde de veiller à ce que Pékin ne s’impose pas comme un modèle, que ce soit par la force ou par la ruse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147075/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La RPC célèbre son 71ᵉ anniversaire dans une ambiance délétère. En difficulté sur les plans économique et diplomatique, elle envisage des opérations armées d’envergure, notamment contre Taiwan.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1461622020-09-16T18:16:13Z2020-09-16T18:16:13ZChine-UE : sommet virtuel, retombées réelles ?<p>Les relations entre l’Union européenne et la Chine sont en voie de recomposition – un processus qu’accélère encore la crise sanitaire actuelle. On a encore pu le constater en ce début de semaine lors du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/14/l-union-europeenne-appelle-la-chine-a-des-concessions-pour-boucler-un-accord-sur-les-investissements_6052178_3210.html">sommet virtuel UE-Chine</a>.</p>
<p>Peu avant, Xi Jinping avait rassemblé ses troupes pour s’adresser un satisfecit au ton martial sur la gestion de la crise. <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-31-2020/la-chine-celebre-sa-victoire/">Ce raout</a> masquait une tout autre réalité : celle d’un pays ébranlé par la pandémie et de plus en plus en proie au doute. Les réformes tant vantées par le régime laissent plus de 40 % de la population (600 millions de personnes) avec une moyenne de 140 euros par mois seulement et le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/10/les-fragilites-cachees-de-la-reprise-chinoise_6051655_3234.html">taux de chômage explose pour atteindre plus de 10 % de la population</a> (en plus de l’endettement, du financement de l’immobilier et l’immense <em>shadow</em> <em>banking</em>).</p>
<p>Le sommet virtuel du 14 septembre entre Xi Jinping et les dirigeants européens – Ursula von der Leyen, Charles Michel et Angela Merkel, qui assure la présidence semestrielle – semble indiquer, dans la continuité du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2020/06/22/">dernier sommet de juin</a>, que les relations entre l’UE et la Chine entrent dans une nouvelle phase.</p>
<p>En juin, Ursula von der Leyen et Charles Michel dénonçaient, lors d’une conférence de presse, l’ingérence chinoise à travers la « diplomatie des masques » en parallèle du non-respect des demandes de réciprocité, dans un contexte paranoïaque, sécuritaire et répressif (Hongkong, Taiwan, Xinjiang, Mongolie intérieure et mer de Chine du Sud). Pékin n’apporta aucun élément de réponse. Un silence assourdissant (tactique ?) qui contrastait avec le bruit produit par l’appareil diplomatique du PCC et ses <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/loups-guerriers-nouvelle-espece-diplomates-made-China-2020-05-12-1201093988">« loups guerriers »</a>.</p>
<h2>Des opinions publiques européennes hostiles à Pékin</h2>
<p>La perception d’une Chine conquérante, ayant de grandes difficultés à diffuser et séduire par le <em>soft power</em> en dehors d’un <a href="https://www.editionsmkf.com/produit/chine-une-nouvelle-puissance-culturelle/">système dicté par le PCC</a>, a depuis une grosse décennie structuré un sentiment en demi-teinte concernant la Chine communiste. Ce sentiment est commun à l’ensemble des opinions des démocraties libérales – européennes en particulier –, quoi qu’il se soit davantage radicalisé aux États-Unis. La concentration du pouvoir entre les mains de Xi Jinping, l’intensification du système répressif et les difficultés d’accès au territoire chinois ont fait décrocher l’attractivité de la Chine.</p>
<p>Pékin fait valoir la prééminence de sa souveraineté pour réfuter toute forme d’ingérence dans ses affaires intérieures. Viol des traités internationaux, non-respect des droits de l’homme, <a href="https://foreignpolicy.com/2020/09/02/china-detain-cgtn-journalist-cheng-lei-australia-hostage-diplomacy/">rapt de journalistes étrangers</a>, arrestations de dissidents, de leurs avocats, provocations militaires, rhétorique agressive de diplomates en poste dans les grandes capitales occidentales sont autant de différends qui finissent par indisposer opinions et dirigeants européens. Le déni des autorités chinoises quant à leur responsabilité dans la propagation de la pandémie a fait prendre conscience du risque réel qu’encouraient les Européens à maintenir inchangée la nature de leurs relations avec la Chine.</p>
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<p>L’échec patent de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/23/la-diplomatie-du-masque-de-la-chine-a-fait-flop_6037468_3232.html">« diplomatie des masques »</a> menée sans finesse, et les menaces récurrentes chinoises contre plusieurs gouvernements européens ont montré les limites de cette coopération.</p>
<p>De plus, la <a href="https://www.france24.com/fr/20200522-la-chine-vante-sa-gestion-du-covid-19-m%C3%AAme-si-elle-en-a-pay%C3%A9-le-prix-fort">gestion « musclée » du coronavirus par la Chine</a> s’est révélée, somme toute, nettement moins efficace que celle <a href="https://www.lejdd.fr/International/Asie/covid-19-a-taiwan-une-strategie-efficace-ignoree-de-loms-3991560">conduite par les autorités de la démocratie taïwanaise</a>. C’est d’ailleurs vers Taïwan que se tournent un nombre croissant d’hommes politiques européens qui y voient une alternative à la dictature chinoise. Ainsi, Milos Vystrcil, président du Sénat de la République tchèque, a lancé, début septembre, devant les députés de l’île, un vibrant <a href="https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/010920/je-suis-taiwanais-lance-un-dirigeant-tcheque-en-visite-taipei">« Je suis Taïwanais »</a>. Déclaration qui, avec ses relents de guerre froide, n’en posait pas moins avec courage (il a été <a href="https://focustaiwan.tw/politics/202006100005">menacé de mort</a>) les bases d’une politique différente de celle qui avait été menée jusqu’ici.</p>
<p>Prague retrouve bien des résonances en écho de sa propre histoire (l’annexion des Sudètes par la dictature nazie et l’abandon des démocraties occidentales…) à travers la crise que subit Hongkong. Et toute sa culture politique s’est nourrie du combat de Vaclav Havel, des thèses libérales du philosophe Jan Patočka, lesquelles furent à l’origine de la <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2009-1-page-311.htm">Charte 77</a>. Textes majeurs de la dissidence européenne dénonçant l’oppression soviétique, ils devaient, beaucoup plus tard, inspirer ceux de l’intellectuel et <a href="https://hikari-editions.fr/products/lhomme-qui-a-defie-pekin">prix Nobel Liu Xiaobo, auteur de la Charte 08</a>. Cette dernière fut à l’origine de son arrestation et désillusionna définitivement celles et ceux qui, après le massacre de Tiananmen, pouvaient encore espérer une issue démocratique pour la Chine.</p>
<p>Rappelons par ailleurs qu’en Europe, seul le Vatican (non membre de l’UE) entretient des relations avec la République de Chine (Taïwan). Le poids de la morale (ne pas reconnaître Pékin et son régime communiste, donc athée…) explique la position du Saint-Siège (la <a href="https://theasiadialogue.com/2019/08/21/taiwan-and-the-vatican-relations-from-past-to-near-future/">même depuis 70 ans</a>). Mais cette reconnaissance, maintes fois débattue au sein même de la Curie romaine, pourrait rétrospectivement avoir été aussi dictée par la raison. Car les interprétations culturalistes selon lesquelles la Chine devrait faire valoir son état d’exception en matière de droits de l’homme ont non seulement vécu, mais démontré les risques liés à leur permissivité. C’est au nom de cet exceptionnalisme que des transferts de technologies très sensibles (notamment vers le fameux <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/sante-et-pharmacie/revelations-l-histoire-secrete-du-laboratoire-p4-de-wuhan-vendu-par-la-france-a-la-chine_707425">laboratoire P4 de Wuhan</a>) ont eu lieu, dans une opacité dont il faudra un jour rendre compte.</p>
<h2>Vers un rééquilibrage et une plus grande réciprocité ?</h2>
<p>Les relations sino-européennes sont fortement structurées par <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/22/leurope-et-la-chine-deux-singularites-anciennes-dans-un-monde-neuf/">l’asymétrie et un manque de réciprocité</a>. Depuis 2019, la Commission européenne qualifie la Chine de « rival », voire de <a href="https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/communication-eu-china-a-strategic-outlook.pdf">« menace systémique »</a>, ce qui irrite beaucoup Pékin.</p>
<p>En outre, la Chambre de commerce européenne en Chine a publié en 2019 un <a href="https://www.europeanchamber.com.cn/en/press-releases/3110/european_chamber_report_identifies_profound_lack_of_european_involvement_in_china_s_belt_and_road_initiative_and_the_scheme_s_dampening_effects_on_global_competition">rapport</a> de synthèse sur les « Nouvelles routes de la soie », puis un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/en-chine-lexasperation-des-entreprises-europeennes-1241013">second en 2020</a>, dénonçant le manque criant de transparence dans les appels d’offres internationaux, les problèmes d’endettement et de propriété intellectuelle, les transferts forcés de technologies ou encore une concurrence inéquitable, et exigeant une ouverture réciproque du marché chinois et la <a href="https://theconversation.com/les-lecons-de-la-tournee-europeenne-du-ministre-chinois-des-affaires-etrangeres-145293">fin de nombreuses pratiques restrictives</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1304308718981574656"}"></div></p>
<p>Comme l’a rappelé en juin dernier le chef de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/17/entre-la-chine-et-l-europe-il-y-a-un-avant-et-un-apres-coronavirus_6043196_3232.html">diplomatie européenne, Josep Borell</a>, « la pression monte pour choisir son camp dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine ».</p>
<p>Alors que la RPC s’engage dans une nouvelle phase de son développement économique, qualifiée de <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-chine-se-recentre-sur-son-marche-interieur-20200904">« double circulation »</a> par Xi Jinping, sa situation économique et en termes d’approvisionnement, particulièrement de composants stratégiques (semi-conducteurs), est de plus en plus critique. C’est pourquoi Pékin souhaite s’appuyer toujours plus <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/en-chine-le-danger-dune-reprise-a-deux-vitesses-1238205">sur la consommation intérieure</a>, sur fond de découplage des économies et de rapatriement des secteurs d’activité les plus sensibles.</p>
<h2>Avec le danger croît ce qui sauve</h2>
<p>La Covid-19 a irréversiblement décillé le regard des Européens sur la dangerosité du régime chinois et les a incités à revenir à leurs fondamentaux : préserver leurs réserves stratégiques ; maintenir leur développement industriel et technologique ; défendre une certaine idée de l’homme face à toutes les dictatures, et notamment celle de la Chine qui a clairement montré que la technocratie capitaliste alliée à un régime marxiste engendrait des formes d’aliénation totalement inédites.</p>
<p>« Avec le danger croît ce qui sauve », disait le poète Hölderlin. Cette prise de conscience a gagné l’ensemble de la société française. Tout récemment, tandis que le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, envoyé par Xi Jinping, effectuait une tournée dans les pays du nord de l’Europe, le diplomate Yang Jiechi, dépêché par le Parti, <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2020/0907/c31354-9757077.html">se chargeait du sud</a>. Il s’agissait de diviser les Européens contre les États-Unis et de tâter le terrain sur la mise en place de la 5G par Huawei. Les Européens ont tenu. Illustration : pendant qu’Emmanuel Macron recevait – au mépris des usages protocolaires – <a href="https://www.la-croix.com/Monde/ministre-chinois-recu-lElysee-2020-08-28-1201111151">Wang Yi à l’Élysée</a>, le Quai d’Orsay donnait son feu vert à l’ouverture d’un deuxième bureau de représentation de Taïwan en France. Ce dernier sera inauguré à Aix-en-Provence avant la fin 2020. L’ouverture d’un troisième bureau sur le territoire national est envisagée. Qu’est-ce à dire ? Que Taïwan cesse d’être l’angle mort d’un nombre croissant de diplomaties européennes. Les <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=56&post=174528">choix de Donald Trump</a> allant dans le même sens agissent d’ailleurs comme un puissant aiguillon.</p>
<p><a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/eu-nations-breaking-rules-in-bilateral-trade-deals-with-china/">Le montant exponentiel des investissements</a> chinois en Europe entre 2008 et 2016 (en net recul depuis) dévoile par ailleurs les intentions de Pékin : asservir l’Europe par la dette, capter des savoir-faire, et favoriser une sortie des capitaux de Chine. C’est à ces problématiques que les dirigeants européens ont eu à penser le 14 septembre (notamment en renforçant les <a href="https://www.lopinion.fr/edition/economie/l-investissement-arme-guerre-strategique-tribune-franck-proust-216240">mécanismes de filtrage</a>). Dans tous les cas de figure, l’endiguement de la Chine apparaît désormais aux yeux de divers pays de l’UE comme une priorité stratégique, même s’il convient bien sûr de maintenir le dialogue pour éviter le pire.</p>
<p>L’Europe est face à son propre destin. Alors que la compétition stratégique et industrielle entre la Chine et les États-Unis <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gomart_eam_europe_etats-unis_2020.pdf">se déploie sur le Vieux Continent</a>, l’UE semble aujourd’hui en mesure de faire entendre sa voix. Comme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/15/desaccords-a-l-amiable-entre-la-chine-et-l-union-europeenne_6052238_3210.html">l’a rappelé</a> Charles Michel lors du sommet du 14 septembre dernier : « L’Europe doit être un acteur, pas un terrain de jeu. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le récent sommet Chine-UE a illustré les tensions croissantes dans les relations entre les deux parties. L’UE ne semble plus hésiter à manifester ouvertement sa désapprobation vis-à-vis de Pékin.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1419302020-07-17T12:09:00Z2020-07-17T12:09:00ZKiribati : l'archipel au coeur de la lutte d'influence entre la Chine et les États-Unis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/346104/original/file-20200707-194413-gxeh32.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C14%2C4812%2C3620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À l’issue du vote du 22 juin, c’est Taneti Maamau qui a été réélu à la présidence, consacrant ainsi la Chine comme allié du gouvernement. </span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quand on entend parler de Kiribati (prononcé Kiribas), c'est principalement à propos de la lutte contre les changements climatiques. <a href="https://florafranca.wordpress.com/2016/01/14/kiribati-maintenir-une-population-hors-de-leau/">La survie des 115 000 habitants</a> de cet archipel est en effet menacée par la montée des eaux. Or cet État a fait l’objet d’une couverture médiatique dans les dernières semaines pour une autre raison : son élection présidentielle du 22 juin 2020. </p>
<p>Les résultats de ce scrutin revêtent une importance particulière dans la compétition entre la Chine (République populaire de Chine ou RPC) d’une part, et Taïwan (République de Chine ou RDC) et les États-Unis de l’autre. Car les deux candidats au poste de la présidence défendaient des alliances divergentes.</p>
<p>Taneti Maamau, candidat à sa réélection, promouvait un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Kiribati-president-pro-Pekin-Taneti-Maamau-reelu-2020-06-23-1201101340">rapprochement avec la Chine</a>, alors que le chef de l’opposition, Banuera Berina, soutenait des <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-kiribati/kiribatis-pro-china-leader-wins-re-election-in-blow-to-taiwan-idUSKBN23U038">relations étroites avec Taïwan</a>. À l’issue du vote, c’est Taneti Maamau qui a été réélu à la présidence, consacrant ainsi Beijing comme allié du gouvernement. </p>
<h2>Un lieu stratégique</h2>
<p>Malgré sa petite taille, Kiribati est considéré comme un <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/apr/24/pro-china-kiribati-president-loses-majority-over-switch-from-taiwan">point stratégique dans le Pacifique</a>. La Chine souhaitait le récupérer à son avantage, notamment en s’alliant avec le gouvernement local. Rallier Kiribati à sa cause permet à Beijing d’avancer ses pions sur deux fronts : contre les revendications séparatistes de Taïwan, et contre la puissance américaine dans le Pacifique et sur l’échiquier international. </p>
<p>Ce petit pays est ainsi instrumentalisé par les puissances extérieures, au service de leur lutte d'influence à l'international. Il en va de même de nombreux territoires, souvent perdus au milieu d'océans et qui, de prime abord, semblent n'avoir pas grand-chose à offrir à des alliés. Mais un territoire stratégiquement situé - proche des côtes d'un rival ou dans une région éloignée - peut offrir à un État la possibilité d'assouvir ses désirs d'influence au niveau global. Le jeu entre puissances ne se passe pas toujours là où on l'attend. </p>
<h2>Isoler Taïwan</h2>
<p>Le rapprochement entre Kiribati et la République populaire de Chine est d’abord motivé par le désir d’isoler encore et toujours Taïwan sur la scène internationale. La République de Chine avait en effet profité du désintérêt de Beijing pour <a href="https://thediplomat.com/2020/01/kiribati-president-makes-first-trip-to-china-after-switch-from-taiwan/">sceller une alliance </a> avec l'archipel du Pacifique en 2003, et ainsi gagné un nouvel ami dans sa quête de reconnaissance internationale. Kiribati reconnaissait alors la souveraineté de Taipei, à la suite de quoi Beijing avait rompu toutes relations avec l'archipel. </p>
<p>Le retour de l'alliance entre Kiribati et Beijing s'explique par un changement de stratégie de la part de Beijing face à Taïwan. Depuis l'élection de Xi Jinping à la tête de l'État chinois, en 2013, et <a href="https://thediplomat.com/2020/01/kiribati-president-makes-first-trip-to-china-after-switch-from-taiwan/">à la suite de l'élection de Tsai Ing-wen </a> à Taïwan, en 2016, la RPC a isolé la RDC en coupant tous ses liens avec ses alliés, rendant le projet de reconnaissance de Taïwan comme État indépendant de plus en plus illusoire. </p>
<p>En <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/apr/24/pro-china-kiribati-president-loses-majority-over-switch-from-taiwan">promettant d'investir massivement dans le développement</a> de Kiribati - ce que <a href="https://www.iris-france.org/148180-kiribati-une-victoire-dinfluence-pour-la-chine-dans-le-pacifique/">Taïwan n'était pas en mesure de faire</a> - Beijing a retrouvé son allié d'antan.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346110/original/file-20200707-30-1mix3iq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à gauche, et le président de Kiribati, Taneti Maamau, se serrent la main lors d'une cérémonie de signature au Grand Hall du peuple à Beinjing, lundi 6 janvier 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Mark Schiefelbein, Pool</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aujourd’hui, la RDC n’est plus reconnue que par 15 États à travers le monde. En cooptant Kiribati, Beijing fait diminuer encore et toujours la liste des États reconnaissant Taïwan comme entité politique indépendante, imposant le désir de la RPC de voir la Chine de nouveau unie sous le même drapeau. </p>
<h2>Contrer la stratégie américaine</h2>
<p>Si Taïwan est d’abord une question d’ordre interne pour Beijing, soit une manière d’imposer la Chine populaire comme seul gouvernement légitime, il s’agit aussi d’un enjeu externe. En isolant Taïwan, Beijing sape aussi la politique américaine en Asie, alors que la République de Chine est historiquement <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMHistoriquePays?codePays=TWN&langue=fr">soutenue par Washington</a>. </p>
<p>La victoire de Taneti Maamau remet aussi en question les liens historiques entre Kiribati et les États-Unis. Kiribati est devenu un protectorat anglais au 19ᵉ siècle, puis occupé par le Japon durant la Seconde Guerre mondiale, pour être libéré par les forces américaines en 1943. </p>
<p>En obtenant son indépendance de la Grande-Bretagne en 1979, Kiribati a cependant maintenu des liens forts avec les États-Unis. Un traité d’amitié entre les deux États a en effet été signé, stipulant qu’aucune installation militaire étrangère ne pouvait être construite à Kiribati, <a href="https://foreignpolicy.com/2020/06/19/kiribati-election-china-taiwan/">sans l’aval de Washington</a>. </p>
<p>Ce traité est cependant révocable - une option que l’ambassadeur de Kiribati à l’ONU et aux États-Unis <a href="https://foreignpolicy.com/2020/06/19/kiribati-election-china-taiwan/">juge saisissable</a> par le Président Maamau. Ceci permettrait à la Chine de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1223404/influence-chine-monde-routes-soie-bri-geostrategie-chinoise">réaliser des projets de développement à Kiribati</a>, au profit de sa puissance économique, commerciale et militaire, comme elle a pu le faire en Afrique et tout le long de sa nouvelle route de la soie. </p>
<h2>Une base spatiale chinoise</h2>
<p>Le pays, et en particulier l’île Christmas, située à moins de 2000 km d’Hawaï, pourrait servir de débouché touristique pour la population chinoise, concurrençant sa voisine américaine. L’île <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-kiribati/fierce-presidential-election-erupts-in-pacific-amid-china-taiwan-tussle-idUSKBN23Q0ZN">pourrait aussi être utilisée pour la marine et le renseignement</a> chinois et ainsi faire contrepoids au commandement américain dans le Pacifique, cœur de la stratégie militaire américaine dans la région, situé à Hawaï. </p>
<p>L'île Christmas pourrait aussi être de nouveau mobilisée au service des ambitions spatiales chinoises, alors que Beijing a lancé la course à de plus amples recherches sur la <a href="https://www.ledevoir.com/monde/asie/544734/chine-lune">lune avec sa sonde «Chang’e-4»</a> en 2019. Cet endroit avait en effet été utilisé en 2003 lors du <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/univers-premier-vol-habite-chinois-succes-complet-2597/">premier vol spatial habité chinois</a>, alors que les relations avec Kiribati étaient au beau fixe. </p>
<p>Ce revirement est suivi de près <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-kiribati/fierce-presidential-election-erupts-in-pacific-amid-china-taiwan-tussle-idUSKBN23Q0ZN">par les États-Unis et ses alliés</a>, alors que la Chine tente d’accaparer le contrôle du Pacifique, lieu d’affrontement direct entre les deux puissances en proie à une <a href="https://www.franceinter.fr/monde/chine-usa-les-nombreuses-raisons-d-une-guerre-froide">guerre commerciale et médiatique</a> sans précédent. </p>
<p>La nouvelle amitié entre Kiribati et la Chine vient ainsi chatouiller la puissance américaine proche de ses côtes. C’est donc bien un élément probant dans la lutte d’influence sino-américaine que nous observons, qui démontre un changement d’ordre international déjà en marche. </p>
<h2>Une opportunité pour Kiribati</h2>
<p>Enfin, Kiribati n'est pas en reste avec ce nouveau partenariat. Malgré les <a href="https://foreignpolicy.com/2020/06/19/kiribati-election-china-taiwan/">soupçons de corruption</a> qui planent sur son Président et plusieurs membres du gouvernement à la suite de leur revirement d’allégeance au profit de la Chine – Kiribati <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-kiribati/fierce-presidential-election-erupts-in-pacific-amid-china-taiwan-tussle-idUSKBN23Q0ZN">aurait reçu $4,2 millions de la Chine</a> quelques semaines avant les élections, ce qui pourrait profiter au pays en proie à la montée des eaux. </p>
<p>La Chine semble prête à offrir un ensemble « <a href="https://www.lefigaro.fr/international/taiwan-de-plus-en-plusisole-sur-la-scene-internationale-20190923">d’opportunités de développement sans précédent »</a> à ses alliés, bien plus que Taïwan ou Washington seraient prêts ou capables de proposer. Ces aides pourraient permettre de sauver Kiribati de la montée du niveau des océans, et de trouver une autre solution que celle de relocaliser entièrement la population i-Kiribati, nom donné aux habitants de l'île. Il en va donc de la survie du pays, qui profite aussi par le fait même à Beijing.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141930/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Flora Pidoux receives funding from Fonds de Recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>L'amitié entre Kiribati et la Chine chatouille la puissance américaine. Cet élément nouveau dans la lutte d’influence sino-américaine démontre un changement d’ordre international déjà en marche.Flora Pidoux, PhD candidate, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1404632020-06-18T17:44:25Z2020-06-18T17:44:25ZPolynésie française et Océanie : quelles stratégies chinoises ?<p>Considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/jso/6677">lac américain</a> au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Pacifique est devenu depuis les années 1990 un terrain d’action de la Chine qui y a activé plusieurs leviers d’influence. Elle y est aujourd’hui un acteur incontournable.</p>
<p>Sa proximité géographique, le <a href="https://www.armand-colin.com/histoire-de-loceanie-de-la-fin-du-xviiie-siecle-nos-jours-9782200601300">rôle exercé par sa diaspora</a>, sa volonté de participer aux dialogues multilatéraux n’expliquent pas tout. Les Nouvelles Routes de la Soie – « Belt and Road Initiative » (BRI) – constituent le fer de lance de sa diplomatie. Celle-ci vise pour l’essentiel à réinvestir ses surcapacités productives à l’étranger dans des projets d’infrastructures.</p>
<p>Rappelons que la Chine est à la fois le premier producteur mondial dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture et le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/geographie-territoires/la-mer-nourriciere/">premier consommateur mondial de ressources halieutiques</a>. Dans ce contexte, la Polynésie française pourrait devenir <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/des-investisseurs-chinois-se-lancent-dans-l-aquaculture-en-polynesie-francaise_1678100.html">l’un des greniers alimentaires</a> de la Chine. Il existe par ailleurs dans les fonds marins du Pacifique une <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/10/Asia-Focus-49.pdf">abondance de minerais</a> (sulfures polymétalliques hydrothermaux à Wallis, encroûtement de manganèse cobaltifère dans l’archipel des Tuamotu, nodules polymétalliques à Clipperton…) stratégiques pour les industries du futur en Chine.</p>
<h2>L’Indo-Pacifique : un barrage contre la Chine</h2>
<p>En somme, en Polynésie comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande, l’on craint que Pékin étende <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1btbxk9">son influence géopolitique</a>. Une part croissante des populations de <a href="http://www.futuredirections.org.au/publication/tonga-between-an-irresistible-force-and-an-immovable-object/">Tonga</a>, du <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/on-the-ground-in-vanuatu-monuments-to-china-s-growing-influence-are-everywhere-20180410-p4z8t0.html">Vanuatu</a>, de la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/papouasie-nouvelle-guinee-un-pays-meconnu-dans-un-environnement">Papouasie-Nouvelle-Guinée</a> partagent un ressenti identique. Fragilité oblige, elles n’ont guère la <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780230113237">possibilité de s’y opposer</a>.</p>
<p>Il semble qu’elles soient très vite acculées à choisir entre la stratégie initiée par Pékin ou celle, concurrente, que souhaitent promouvoir – avec le soutien des Américains – les Japonais et leurs alliés indiens. Connue sous le nom de projet « Indo-Pacifique », cette stratégie alternative semble avoir les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/macron-presente-ses-projets-pour-reinscrire-la-reunion-dans-l-espace-indo-pacifique-20191023">faveurs de Paris</a>. Et pour cause : dans le contexte post-Brexit, la présence européenne dans cette immense région est <em>de facto</em> française. Elle vise aussi, pour le président Emmanuel Macron, à rappeler que loin de se limiter au champ européen, la France – de par ses possessions d’outre-mer et sa Zone économique exclusive (11 millions de Km<sup>2</sup>) – est, après les États-Unis, la <a href="http://www.opex360.com/2018/03/24/lamiral-prazuck-france-seconde-puissance-maritime-monde/">deuxième puissance maritime du monde</a>.</p>
<p>Pour Washington, la zone pacifique et ses prolongements stratégiques sont prioritaires <a href="https://www.csis.org/events/book-launch-crashback-power-clash-between-us-and-china-pacific">dans sa confrontation avec la Chine</a>. Les États-Unis comptent sur leur domination maritime pour renforcer leur réseau d’alliés. Le <a href="https://thediplomat.com/2020/05/the-quad-and-the-pandemic-a-lost-opportunity/">Quadrilateral Security Dialogue</a> (groupe informel regroupant les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde) y pourvoit dans une très large mesure par des manœuvres aéronavales communes qui visent à endiguer les velléités expansionnistes chinoises. L’Asie du Sud-Est demeure la partie nodale de <a href="https://www.nytimes.com/2014/04/20/books/review/asias-cauldron-by-robert-d-kaplan.html">ce dispositif</a>. Signe des temps : <a href="https://asialyst.com/fr/2018/11/07/asean-soluble-indo-pacifique/">l’Asean</a> intègre à présent dans son discours la « doctrine Indo-Pacifique ».</p>
<p>La Chine n’en reste pas moins très offensive dans une région où la course à la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/taiwan-de-plus-en-plusisole-sur-la-scene-internationale-20190923">reconnaissance diplomatique</a> lui est encore disputée par Taïwan. Au reste, avec la démocratisation et l’indigénisation (<em>bentuhua</em>) initiées à la fin des années 1980, le regard porté sur l’histoire de l’île dans son rapport au continent a <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/6371">radicalement changé</a>. La reconnaissance des cultures aborigènes – véritable cheval de bataille de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen – répond à un double objectif : prendre ses distances avec le pesant héritage chinois et affirmer les singularités identitaires de l’île. Ses ramifications linguistiques contribuent au rayonnement historique de Taïwan, de même que les <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-07/010064324.pdf">liens de parenté de ses premiers habitants</a> avec des populations vivant en lointaine périphérie (Madagascar et Océanie). Il ne fait de doute pour personne que l’inauguration en 1994 à Taipei du <a href="http://www.museum.org.tw/symm_en/01.htm">ShungYe Museum of Formosan Aborigenes</a>, en face du Musée national du Palais, répondait déjà, dans son emplacement symbolique, à cet objectif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1158307112604327938"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, tous ceux qui sont hostiles à la perspective d’une réunification avec la Chine <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/6685">rappellent</a> que Taïwan a été profondément marquée par l’influence du Japon, dont elle fut une colonie de 1895 à 1945. Se manifestent donc dans la région les principales rivalités internationales du siècle, tant sur le plan des appartenances politiques que sur celui des singularités culturelles. Ces rivalités se mesurent notamment aux récurrentes <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/la-tension-monte-en-mer-de-chine-entre-pekin-et-washington_3581535.html">provocations navales</a> auxquelles la Chine se livre de façon répétée, avec une propension à faire fi du droit international dans les contentieux insulaires qui l’opposent à ses plus proches voisins. La pandémie de la Covid-19 a été dans cette partie du globe <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">comme ailleurs</a> l’accélérateur d’une tendance semble-t-il irréversible.</p>
<h2>Poser les bases de l’hégémonie chinoise en Océanie</h2>
<p>Pékin cherche à légitimer son rôle de « grand pays en développement » capable d’investir (<a href="https://asialyst.com/fr/2016/04/11/la-chine-se-rappelle-au-bon-souvenir-de-la-diplomatie-du-chequier/">diplomatie du chéquier</a>) et de montrer aux autres pays en développement que son modèle lui a permis de sortir de la pauvreté sans avoir suivi la trajectoire des pays occidentaux. La continuité avec la <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051.htm">politique tiers-mondiste issue de Bandung (1955) est claire</a>.</p>
<p>Le régime vise également à empêcher la constitution d’une coalition anti-chinoise au sein des organisations internationales (il s’agit de dissiper l’idée d’une « menace chinoise » et de resserrer l’étau diplomatique autour de Taïwan). Cette dimension politique a porté ses fruits. Au début de l’année 2020, Taïwan n’est reconnu que par quinze États à travers le monde dont <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/rising-china-and-future-blue-pacific">quatre dans le Pacifique</a> (Tuvalu, Nauru, Îles Marshall et Palau).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1252663302573998081"}"></div></p>
<p>En outre, la RPC, dont la dépendance aux ressources naturelles et aux matières premières (ressources de la mer) s’est considérablement accrue depuis 25 ans, <a href="https://www.aspi.org.au/report/chinese-influence-pacific-islands">vise à sécuriser ses approvisionnements en pétrole, gaz, matières premières, ressources halieutiques et produits agricoles</a>. Le bassin Pacifique (de l’Australie aux espaces ultra-marins) compte beaucoup dans la stratégie et la sécurisation des approvisionnements.</p>
<p>Dans cette triple perspective, Pékin a réussi à intégrer onze États dans le projet BRI : Nouvelle-Zélande, Îles Cook, Micronésie, Fidji, Kiribati, Niue, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga, Vanuatu, Îles Salomon et Samoa. Seules Nauru, Palau, Tuvalu, les Îles Marshall et l’Australie <a href="https://www.lowyinstitute.org/publications/ocean-debt-belt-and-road-and-debt-diplomacy-pacific">n’ont pas adhéré au projet</a>. La grande majorité des micro-États insulaires sont pauvres, peu développés et ne disposent que d’infrastructures très lacunaires, en plus d’être géographiquement isolés. La diplomatie chinoise du <a href="https://chineseaidmap.lowyinstitute.org/">carnet de chèques</a>, proposant des infrastructures de base ou plus élaborées, en un temps record et dans des conditions opaques, facilite le développement de relations particulières avec les gouvernements des États du Pacifique Sud.</p>
<p>La Chine a su développer au cours des deux à trois dernières décennies en Asie-Pacifique un <a href="https://www.defensenews.com/global/asia-pacific/2019/08/19/china-grown-strong-enough-for-a-surprise-move-in-the-indo-pacific-think-tank-warns/">dynamisme diplomatique</a> à plusieurs échelles (de la frange asiatique aux espaces ultra-marins du Pacifique Sud). En 1976, six ans après l’indépendance des Fidji, Pékin investit l’archipel et développe progressivement ses liens diplomatiques avec les autres États jusqu’en 1989, où Pékin devient un partenaire du dialogue du <a href="https://www.forumsec.org/">Forum des Îles du Pacifique</a>, la première organisation politique régionale, regroupant les dix-huit États du Pacifique sud. Le projet BRI trouve un écho au sein de la plupart des organisations de la région : le <em>Regional Comprehensive Economic Partenrship</em> (RCEP), le format Asean +3, le Forum des Îles du Pacifique ou encore le cadre du <em>Pacific Islands Trade and Invest</em>.</p>
<h2>Jeu de go en Océanie</h2>
<p>Fin 2019, conformément à la dynamique de rupture des relations diplomatiques entre plusieurs pays qui jusqu’alors reconnaissaient Taïwan, les <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1700930.shtml">Îles Salomon</a> de même que <a href="https://www.lepoint.fr/monde/taiwan-un-peu-plus-esseule-apres-la-decision-des-kiribati-de-reconnaitre-pekin-20-09-2019-2336837_24.php">Kiribati</a>, annonçaient la fin de leurs liens avec Taipei. Au lendemain de ce revirement géopolitique dans le Pacifique Sud, une délégation du gouvernement des Salomon était reçue à Pékin et s’apprêtait à formaliser un accord de location de la totalité de l’île de Tulagi – la présence de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale témoigne de l’importance de cette île, bien que de taille très modeste, dans une perspective stratégique parce que carrefour de navigation et point d’appui et de projection de forces armées – à une <a href="https://www.tahitinews.co/index.php/2019/10/22/une-ile-de-2-km2-des-salomon-louee-par-un-mysterieux-groupe-industriel-chinois/">société chinoise basée dans la province du Fujian</a>.</p>
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<p>L’entreprise (China Sam Group) avait conclu (courant 2018) un contrat de location de cette île de 2 km<sup>2</sup> (1200 habitants) dans des conditions contractuelles floues et souhaitait développer un mouillage en eaux profondes, bénéficier d’un droit d’exploitation des ressources et développer une zone économique spéciale. Cette situation n’était pas sans rappeler la stratégie dite du <a href="https://mappemonde-archive.mgm.fr/num40/fig13/fig13405.html">« collier de perles »</a> mise en œuvre par Pékin en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien. Il s’agit d’un développement de point d’appui de nature duale avec des objectifs militaires (<em>dual-use purpose for military objectives</em>) – capacité d’écoute, d’interception et de brouillage. L’accord sera cependant résilié en octobre 2019, le gouvernement des Salomon le jugeant <a href="https://www.tahiti-infos.com/L-archipel-des-Salomon-renonce-a-louer-une-ile-a-une-societe-chinoise_a186191.html">« illégal et inapplicable »</a> (la société chinoise ne bénéficiait pas du statut d’investisseur étranger, ce qui a permis d’annuler l’opération). D’autres exemples d’implantation chinoise présentent plusieurs éléments d’utilisation multiple, comme au <a href="https://www.reuters.com/article/us-vanuatu-australia-china/australia-aid-plane-to-vanuatu-delayed-as-chinese-plane-was-parked-at-port-vila-airport-idUSKCN21W10Q">Vanuatu</a>.</p>
<p>Acteur régional de premier plan dans la zone, l’Australie, qui a tout au long des années 2000 développé des <a href="https://www.aspistrategist.org.au/victorias-belt-and-road-initiative-deal-undermines-cohesive-national-china-policy/">liens importants avec la Chine</a> (milieux d’affaires, proximité de parlementaires australiens avec Pékin, activités extractives et agricoles, diaspora chinoise, etc.), revoit aujourd’hui sa politique régionale et ses relations avec la RPC. L’immixtion pékinoise dans les milieux politiques australiens <a href="https://www.lepoint.fr/monde/australie-l-ex-chef-du-contrespionnage-fustige-l-ingerence-de-pekin-22-11-2019-2348906_24.php">rendue publique par les services de renseignement du pays</a>, l’interdiction faite à la Chine de poser un câble sous-marin reliant les Salomon à la métropole de Sydney et la <a href="http://www.opex360.com/2019/06/25/le-port-de-darwin-controle-par-un-groupe-chinois-laustralie-songe-a-en-construire-un-autre-pour-ses-activites-militaires/">présence chinoise dans le port de Darwin</a> sont pour beaucoup dans l’attitude récente de Canberra qui réaffirme son rôle et sa position au sein de la région Indo-Pacifique ainsi que son appartenance au <a href="https://www.smh.com.au/world/north-america/greatest-peril-study-finds-australia-most-dependent-on-china-among-the-five-eyes-20200514-p54ssg.html">réseau <em>Five</em> <em>Eyes</em></a>.</p>
<p>L’Australie semble être le pays le plus en pointe de la <a href="https://navalinstitute.com.au/contest-for-the-indo-pacific-why-china-wont-map-the-future/">rivalité d’influence avec Pékin dans le Pacifique Sud</a>. Le premier ministre se veut <a href="https://www.aspistrategist.org.au/china-and-australia-face-off-in-irate-and-icy-pandemic-diplomacy/">plus proactif</a> dans la zone : première visite d’État aux Salomon puis au Vanuatu et aux Fidji depuis plus de quinze ans, création d’un ministère dédié au Pacifique, etc. En matière sécuritaire et de politique de défense, le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/Sous-marins-Naval-Group-signe-contrat-siecle-Australie-2019-02-11-1201001783">« contrat du siècle »</a> portant sur la livraison de douze sous-marins à propulsion conventionnelle signé avec l’industriel français Naval Group illustre la course aux armements en lien avec la hausse du budget de la défense chinois, le développement d’une sous-marinade évoluant au-delà des chaînes d’îles et la montée en puissance stratégico-militaire de Canberra en Asie-Pacifique en partenariat avec l’allié traditionnel américain, mais aussi les partenaires français et <a href="https://theprint.in/world/pm-modi-discusses-healthcare-trade-defence-with-australia-pm-morrison-in-online-summit/435346/">indien</a>. On l’aura compris : en Océanie, la Chine n’a pas encore gagné la partie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila (FDBDA).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine cherche à accroître son influence dans le Pacifique et spécialement en Océanie. Une politique qui ne va pas sans susciter de résistance, notamment de la part de l’Australie.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1392802020-05-27T18:27:43Z2020-05-27T18:27:43ZHong Kong : la fin du principe « Un pays, deux systèmes »<p><em>Mise à jour du 1<sup>er</sup> juillet : Le 30 juin, à la veille de l'anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine intervenue le 1er juillet 1997, le Parlement chinois a adopté la <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/30/world/asia/hong-kong-security-law-explain.html">« Loi sur la sécurité nationale »</a>, et le président Xi Jinping a immédiatement promulgué ce texte qui, dans les faits, entérine la mainmise définitive de Pékin sur l'ancienne colonie britannique. L'occasion de relire ce récent article qui explique comment les autorités ont profité de l'épidémie de Covid-19 pour reprendre le contrôle d'une enclave trop attachée à ses espaces de liberté.</em></p>
<p>La République populaire de Chine profite de la fin de l’épidémie de SARS-CoV-2 sur son territoire pour reprendre la main sur Hongkong après un an de contestation. Depuis juin 2019, en effet, les manifestations se sont multipliées à Hongkong contre la loi d’extradition proposée par Carrie Lam, cheffe de l’exécutif de la « Région administrative spéciale », pour transférer en Chine les citoyens chinois ayant transgressé la loi à Hongkong.</p>
<p>Les lieux où s’exprime la liberté d’opinion à Hongkong (universités, journaux, librairies, parcs publics…) se sont vidés sous le double effet de la répression par la police des mouvements de contestation et de la crise sanitaire.</p>
<h2>Le souvenir encore vivace des événements de 2003</h2>
<p>Le gouvernement de Pékin met tout en œuvre pour que la crise du SARS-CoV-2 ne répète pas le scénario du SARS-CoV en 2003 : un coronavirus venu des chauve-souris vivant dans le centre de la Chine et transmis aux humains par l’intermédiaire des civettes consommées dans les marchés pour la médecine chinoise traditionnelle au Guangdong avait alors infecté environ 8 000 personnes, dont 10 % étaient décédées. Hongkong avait été particulièrement touchée, avec près de 1 800 cas et 300 morts, et son économie s’était retrouvée <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC539564/">à l’arrêt pendant plusieurs mois</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> juillet 2003, trois semaines après que l’Organisation mondiale de la Santé ait déclaré Hongkong « free of SARS » (« débarrassée du SARS »), 500 000 personnes (soit 10 % de la population) manifestèrent contre un <a href="https://www.scmp.com/article/420333/article-23-argument">projet législatif sur la sécurité</a> qui mettrait en œuvre l’article 23 de la Loi fondamentale prévoyant d’« interdire tout acte de trahison, de sécession, de sédition ou de subversion contre le gouvernement central ». Après cette manifestation, la proposition de loi discutée depuis un an au Parlement du Hongkong fut abandonnée, et ceux qui la soutenaient démissionnèrent.</p>
<h2>Une exception menacée</h2>
<p>Le 25 avril dernier, le chef du bureau de liaison du gouvernement chinois à Hongkong, Wang Zhenmin, <a href="https://www.scmp.com/news/hong-kong/politics/article/2091747/one-country-two-systems-hong-kong-could-be-scrapped-if-it">mit en cause</a> la doctrine « Un pays, deux systèmes » qui garantit l’autonomie de Hongkong :</p>
<blockquote>
<p>« Si les “deux systèmes” deviennent un moyen de contester le “un pays”, alors les raisons d’existence des “deux systèmes” disparaissent. »</p>
</blockquote>
<p>Le 22 mai, le premier ministre Li Keqiang ouvrit la session de l’Assemblée nationale populaire réunie à Pékin en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/22/pekin-se-prepare-a-imposer-une-loi-de-securite-nationale-a-hongkong_6040425_3210.html">affirmant sa résolution</a> à « perfectionner le système juridique et les mécanismes d’application des lois en matière de protection de la sécurité de l’État dans les régions administratives spéciales ».</p>
<p>Malgré les déclarations rassurantes de Carrie Lam sur le respect de l’autonomie de Hongkong, le discours du premier ministre est apparu comme un <a href="https://www.scmp.com/news/hong-kong/politics/article/3085741/two-sessions-2020-hong-kong-leader-carrie-lam-vows-full">désaveu</a> de la cheffe de l’exécutif pour les manifestations qu’elle n’a pas su arrêter, et qui ont repris en réponse à ce discours. Pékin propose à présent de faire ce que le gouvernement de Hongkong n’a pas fait en imposant la législation sur la sécurité prévue par l’article 23 de la Loi fondamentale.</p>
<h2>Un concept vieux de presque quarante ans</h2>
<p>De nombreuses voix s’élèvent à Hongkong pour déplorer la fin de la doctrine « Un pays, deux systèmes » (<em>yi guo liang zhi</em>). Celle-ci fut formulée par Deng Xiaoping en 1983 dans le cadre de ses négociations avec Margaret Thatcher sur la rétrocession de la colonie britannique de Hongkong à la Chine populaire. La déclaration sino-britannique du 26 septembre 1984 stipula ainsi que « le système et la politique socialiste ne seront pas pratiqués dans la région d’administration spéciale, et le système et le mode de vie capitaliste de Hongkong demeureront inchangés pendant 50 ans » à compter du 1<sup>er</sup> juillet 1997. </p>
<p>Cette déclaration conditionna le travail du comité de rédaction de la Loi fondamentale, qui fut interrompu en mai-juin 1989 par la démission de deux représentants de la société civile hongkongaise, Louise Cha et Peter Kwong, après le massacre de la place Tian’anmen. À la suite de ce qu’il qualifia d’« incident », le gouvernement de Pékin ajouta à la Loi fondamentale l’article 23 qui interdit les actes de subversion.</p>
<p>La doctrine « Un pays, deux systèmes » est considérée comme une invention géniale de Deng Xiaoping, qui a rendu possible le développement industriel de la Chine populaire en profitant des conditions d’échange avec l’Occident maintenues à Hongkong. Dans les faits, ce compromis s’est avéré plus agressif qu’il ne paraissait, et il s’est révélé désavantageux pour la « région d’administration spéciale », dont l’autonomie de gouvernement, la liberté d’expression et la monnaie étaient maintenues.</p>
<p>Des observateurs ont remarqué que la doctrine « Un pays, deux systèmes » formalisait le mode d’existence de la population chinoise à Hongkong, qui s’est toujours sentie attachée à la « mère patrie » tout en bénéficiant de la liberté d’expression politique et d’échange économique garantie par le gouvernement britannique. Les dissidents chinois <a href="https://www.scmp.com/comment/insight-opinion/article/2141430/one-country-has-never-been-question-hong-kong-two-systems">émigrèrent régulièrement à Hongkong pour fuir le régime en place à Pékin</a>, depuis la révolte des Taiping dans les années 1850 jusqu’à la répression des militants démocrates dans les années 1990 en passant par celle des communistes dans les années 1930. </p>
<p>L’expression « Un pays, deux systèmes », qui visait à convaincre la République de Chine à Taiwan de la possibilité qu’elle soit réunifiée à la République populaire de Chine en conservant son autonomie, apparut pour la première fois dans le <a href="http://www.china.org.cn/english/7945.htm">discours du maréchal Ye Jianying le 30 septembre 1981</a>. Cette doctrine fut réaffirmée par les successeurs de Deng Xiaoping qui y ajoutèrent leurs propres variantes (Jiang Zemin, Hu Jintao, Xi Jinping), mais elle fut <a href="http://www.taipeitimes.com/News/editorials/archives/2019/10/02/2003723242">refusée par le Parti démocrate et indépendantiste lorsqu’il fut au pouvoir à Taiwan (à travers la présidence de Cheng Shui-Bian entre 2000 et 2008 et de Tsai Ying-Wen depuis 2016)</a> et elle ne fut jamais vraiment acceptée par le Parti nationaliste à Taiwan.</p>
<p>La doctrine « un pays, deux systèmes » peut être considérée plus généralement comme une formalisation des effets de la colonisation occidentale et de la guerre froide en Asie. De nombreux pays asiatiques ont été divisés par cette double secousse, et la brièveté de la colonisation japonaise n’a pas atténué cette division. La Corée est scindée entre un régime communiste au Nord et un régime capitaliste au Sud. Le Vietnam a été longtemps divisé par la même coupure avant sa réunification sous un régime communiste en 1976. Dans le cas de Singapour, on pourrait plutôt parler de « deux pays, un système » tant son rattachement au monde commercial malais est évident, malgré l’autonomisation de son gouvernement sous l’autorité coloniale britannique d’abord, sous celle d’une élite confucéenne ensuite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1240706566850072580"}"></div></p>
<p>On peut également souligner que ce sont précisément les pays les plus divisés par ces grandes coupures historiques qui ont été les plus affectés et les plus réactifs lors des crises de SARS-CoV en 2002-2003 et de SARS-CoV-2 en 2019-2020. Rien d’étonnant à cela : ces territoires ont toujours été des plaques tournantes dans la circulation des personnes, des marchandises et donc des virus entre le continent chinois et le reste du monde. On a pu considérer ainsi que le succès de Hongkong dans le contrôle du SARS-CoV en 2003 tenait à la doctrine « un pays, deux systèmes », qui rendait le territoire à la fois très exposé aux menaces venues de Chine et le mieux placé pour en informer le reste du monde grâce à sa liberté d’expression. C’est ce que j’ai appelé <a href="http://www.zones-sensibles.org/frederic-keck-les-sentinelles-des-pandemies/">« les sentinelles des pandémies aux frontières de la Chine »</a>.</p>
<h2>Concilier sécurité et liberté</h2>
<p>L’abolition de cette doctrine par le gouvernement de Pékin sous l’effet de la double irritation causée par les manifestations à Hongkong et par les bonnes performances sanitaires de Taiwan – qui s’expliquent par sa séparation politique avec la Chine malgré sa proximité géographique – semble <a href="https://www.scmp.com/comment/opinion/article/3078609/three-hard-truths-beijing-accept-if-one-country-two-systems-live">peu probable</a>, car elle bouleverserait les équilibres géopolitiques au-delà des relations entre le régime de Pékin et les territoires chinois situés sur ses frontières. Depuis 1983, c’est l’économie mondiale tout entière qui a besoin de la doctrine « un pays, deux systèmes » pour délocaliser les chaînes de production capitalistes dans un pays régi par un gouvernement communiste. La guerre froide qui se déclare entre la Chine et les États-Unis n’a rien à voir avec celle qui eut lieu entre l’URSS et les États-Unis, car les seconds n’ont jamais été aussi dépendants économiquement à l’égard de la première qu’ils le sont à l’égard de l’Empire du Milieu.</p>
<p>Mais il faudrait alors reformuler ce que signifie « deux systèmes » pour comprendre la prétention de la Chine à devenir « un pays » pour le monde entier. Ce terme opposerait non pas le socialisme et le capitalisme, dont tout le développement économique mondial des quarante dernières années montre qu’ils sont compatibles et qu’ils se renforcent mutuellement pour exploiter les forces de production et les ressources naturelles, mais la sécurité et la liberté. Face aux menaces écologiques globales, la Chine aura alors encore besoin de Hongkong et de ses autres sentinelles sur ses frontières, car il n’y a pas de signaux d’alerte sans liberté d’expression.</p>
<hr>
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<p><em>Créé en 2007 pour contribuer au développement et au partage des connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Axa Research Fund a parrainé près de 650 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir davantage, consultez son <a href="https://www.axa-research.org">site</a> ou abonnez-vous au compte Twitter dédié <a href="https://twitter.com/axaresearchfund?lang=fr">@AXAResearchFund</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Keck a reçu des financements de Fonds Axa pour la recherche, Agence Nationale de la recherche. </span></em></p>Pékin érode toujours davantage le principe « Un pays, deux systèmes » en vigueur à Hong Kong depuis sa rétrocession à la Chine en 1997. La tension est dernièrement encore montée d'un cran.Frédéric Keck, Directeur du laboratoire d'anthropologie sociale, Collège de FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1353802020-04-05T16:50:20Z2020-04-05T16:50:20ZFaire du bruit à l’est et frapper à l’ouest : Taïwan aux avant-postes des stratégies chinoises<p>Comme le rappelait récemment le sinologue <a href="https://twitter.com/stephanecorcuff/status/1242449101423345665">Stéphane Corcuff</a>, la diplomatie tonitruante de Pékin en matière d’« assistance » aux pays touchés par le Covid-19 est une application claire du stratagème « faire du bruit à l’est et frapper à l’ouest », issu du recueil datant de la Chine classique des <a href="https://chinesereferenceshelf.brillonline.com/grand-ricci/files/36-stratagemes.pdf"><em>36 Stratagèmes</em></a>. En ce sens, Taïwan, gros caillou dans la chaussure de la politique étrangère de Pékin, pourrait faire l’objet d’une affirmation militaire de la RPC, qui pourrait ainsi se débarrasser de l’un des « cinq poisons » (Taïwan, les Ouïghours, les Tibétains, le Falungong et les militants pro-démocratie) définis par le régime communiste.</p>
<h2>Récurrence des incursions militaires chinoises à Taïwan</h2>
<p>Depuis 1949, une règle tacite interdit aux avions militaires et civils des deux pays de franchir la ligne médiane du détroit de Taïwan. Le développement de la RPC et son ascension se sont accompagnés d’une affirmation de souveraineté tout autour de sa géographie, particulièrement maritime en mer de Chine de l’est et du sud. Si la mer de Chine méridionale constitue un <a href="https://theconversation.com/les-iles-militarisees-en-mer-de-chine-du-sud-la-partie-emergee-de-la-puissance-de-frappe-de-pekin-97946">véritable laboratoire stratégique</a> de la Chine en Asie, l’île de Taïwan représente le dernier espace politique et stratégique à conquérir. Rappelons que Taïwan, depuis 1987 et l’abolition de la loi martiale, bénéficie d’un véritable régime démocratique, se distinguant pleinement de son voisin chinois.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> février, en pleine crise du Covid-19 en Asie orientale, un <a href="http://www.opex360.com/2020/02/10/taiwan-denonce-lincursion-dun-bombardier-chinois-h-6-dans-son-espace-aerien/">bombardier stratégique Xian H-6 (copie d’un appareil soviétique)</a> et un nombre incertain d’autres appareils assurant son escorte ont effectué une nouvelle incursion dans l’espace aérien de Taïwan, en écho à celles de <a href="https://www.ft.com/content/fcf3cfe6-b6ba-11e0-ae1f-00144feabdc0">2011</a> ou de <a href="http://www.opex360.com/2019/03/31/taiwan-denonce-une-incursion-provocatrice-davions-de-combat-chinois-j-11/">mars 2019</a>, où des chasseurs chinois avaient déjà procédé de la sorte. Une opération qui est venue s’ajouter à la liste des <a href="http://www.eastpendulum.com/brouilleur-bombardier-drone-ces-appareils-chinois-qui-tournent-autour-du-taiwan">mouvements aériens (chasseur, bombardier stratégique et avion renifleur) et navals (porte-avions, frégates, etc)</a> effectués par la RPC autour de l’île depuis deux décennies – manière pour Pékin de tester la puissance américaine, d’intimider Taïwan et d’éprouver ses propres capacités.</p>
<p>En réponse, les forces aériennes de Taïwan ont fait décoller plusieurs F16 pour intercepter les aéronefs chinois. Durant l’été 2019, <a href="https://www.air-cosmos.com/article/des-f-16-pour-taiwan-21595">Washington avait approuvé la vente de 66 nouveaux chasseurs F-16V Block 70 de Lockheed Martin</a> à Taïwan. Conformément au <a href="https://www.ait.org.tw/our-relationship/policy-history/key-u-s-foreign-policy-documents-region/taiwan-relations-act/"><em>Taïwan Relations Act</em></a>, en vigueur depuis 1979 – et que <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/%C3%89tats-Unis-jouent-Taiwan-contre-Chine-2020-03-31-1201087091">Donald Trump tient plus que jamais à honorer</a> – l’île bénéficie du matériel et du savoir-faire technologique américains, mais a perdu la supériorité stratégique face à Pékin. Les efforts de modernisation des armées chinoises depuis plus de trente ans, très polarisés sur la question de Taïwan, en attestent (nombre d’appareils, marine modernisée, système balistique, bulle de déni d’accès).</p>
<h2>Le verrou stratégique de Taïwan</h2>
<p>Dans la stratégie chinoise, l’île de Taïwan, encore plus que la mer de Chine méridionale, constitue un verrou stratégique pour une sortie discrète de ses <a href="https://www.areion24.news/2019/03/19/les-sous-marins-chinois-et-la-transformation-du-theatre-indopacifique/">sous-marins nucléaires</a>. La configuration hydrographique des grandes profondeurs ouvrant sur l’océan Pacifique permettrait une dilution de ses sous-marins. La mer de Chine méridionale n’est pas assez profonde et trop « fermée » par des détroits surveillés et étroits. Ainsi, la prise de Taïwan assurerait à Pékin à la fois la crédibilité de sa dissuasion à la mer, mais aussi sa supériorité stratégique. Par conséquent, la « prise » par la force de l’île n’est pas exclue. Dans son discours de début d’année en 2019, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/02/pour-recuperer-taiwan-xi-jinping-n-ecarte-pas-le-recours-a-la-force_1700704">Xi Jinping le rappelait</a>. <a href="https://thediplomat.com/2020/02/taiwan-scrambles-fighters-to-intercept-chinese-military-aircraft/">La militarisation accrue</a> des approches maritimes et continentales de la Chine contraste brutalement avec les discours officiels, centrés sur la connectivité et le commerce international. La montée en puissance de la marine chinoise, en particulier de ses sous-marins, tend à modifier les équilibres stratégiques en Asie-Pacifique.</p>
<p>S’y ajoute un contexte crisogène entretenu par Pékin : <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Taiwan-veut-proteger-infiltrations-communistes-chinoises-2020-01-03-1201069577">velléités d’infiltrations chinoises dans le processus électoral taïwanais</a>, escarmouches récurrentes entre gardes-côtes taïwanais et hors bords venant du continent, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1212036/un-navire-americain-dans-le-detroit-de-taiwan-sur-fond-de-tensions-avec-pekin.html">intimidations</a> de l’Armée populaire de Libération (APL) contre le destroyer lance-missiles américain <em>McCampbell</em> naviguant dans les eaux territoriales des îles Paracels, le 10 mars, menaces enfin de la presse chinoise – <em>Global Times</em> – contre les autorités américaines dans la partie de bras de fer qui les oppose à Pékin au sujet de Huawei en <a href="https://www.globaltimes.cn/content/1182273.shtml">brandissant le spectre d’une coupure de l’approvisionnement en matériel médical vers les États-Unis</a>…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244090593124528129"}"></div></p>
<h2>« Bastion de liberté dans l’Indo-Pacifique »</h2>
<p>La situation de Hongkong depuis mai-juin 2019 a galvanisé l’électorat taïwanais qui s’est rassemblé en janvier dernier autour de la <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/quand-taiwan-dit-non">présidente sortante Tsai Ing-wen</a>. Plus encore : les ingérences répétées de Pékin redonnent un souffle nouveau à l’île, malgré un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Diplomatiquement-Chine-continue-detouffer-Taiwan-2019-09-17-1201048173">isolement diplomatique accru</a>. En vingt ans de diplomatie très offensive de la part de la RPC, partout dans le monde, le nombre d’États reconnaissant Taïwan <a href="https://www.lepoint.fr/monde/taiwan-une-ile-en-voie-de-disparition-diplomatique-22-08-2018-2245042_24.php">est passé de plus d’une trentaine à quinze</a>.</p>
<p>Le discours de la présidente réélue insiste sur la souveraineté et la démocratie de l’île, faisant de Taïwan un « bastion de liberté » dans l’Indo-Pacifique. L’élection du <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3045714/entangled-us-china-taiwan-relations-likely-just-got-more">mois de janvier à Taïwan révèle aux Chinois</a> et au reste du monde que le modèle « un pays, deux systèmes » proposé par Pékin ne séduit pas. Ce modèle a très largement montré ses limites dans la situation traversée par Hongkong, véritable repoussoir aux yeux d’une majorité de Taïwanais.</p>
<h2>Le modèle taïwanais dans la gestion de la crise du Covid-19</h2>
<p>Le 13 mars, le <em>New York Times</em> publiait un article intitulé : <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/13/opinion/coronavirus-best-response.html">« Ils ont contenu le coronavirus. Voici comment »</a>. L’analyse expliquait comment l’épidémie avait été contrôlée à Taïwan, Hongkong et Singapour, sans recourir aux mesures draconiennes chinoises de confinement généralisé : mise en œuvre, dès début janvier, de contrôles serrés aux frontières, y compris par des équipes montées à bord des avions venant de Wuhan ; fermeture des vols avec la Chine début février ; traçages détaillés des malades et de leurs contacts ; quarantaine stricte pour les malades et les contaminés.</p>
<p>Dans l’île, quatre mois après la détection des premiers cas en Chine, la rigueur préventive semble avoir porté ses fruits. En dépit de la forte densité de population (649 hab/km<sup>2</sup>, soit cinq fois plus qu’en France), au 26 mars, le bilan était de 252 cas cumulés de Covid-19, et de seulement 2 décès. Ce qui, rapporté à la population, classe l’île parmi les régions de la planète les moins touchées, grâce à une <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/coronavirus-lasie-orientale-face-la-pandemie-la-reponse-rapide-minutieuse-et-numerique-de-taiwan">gestion exemplaire de la crise</a>. Le 21 mars, dans <a href="https://asialyst.com/fr/2020/03/21/coronavirus-revele-modele-taiwanais-taiwan/">Asialyst, Jean‑Yves Heurtebise</a> proposait une analyse de la réaction taïwanaise à l’épidémie qu’il comparait à celle, très laxiste, de la France, calquée sur les recommandations de l’OMS et de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Constatant que ces deux organisations se sont initialement montrées trop rassurantes, il les accuse d’avoir sciemment réduit leur niveau d’alerte pour ne pas indisposer Pékin.</p>
<h2>L’OMS et l’OACI : deux organisations sous influence ?</h2>
<p>La vérité, écrit Heurtebise, est que les autorités sanitaires françaises « se sont mises au diapason de l’OMS et de l’OACI, dont l’impartialité est douteuse ». Le Directeur général de l’OMS Tedros A. Ghebreyesus, originaire d’Éthiopie, « porte d’entrée des Nouvelles routes de la soie chinoises en Afrique », assurait le 3 février, dix jours après le durcissement des mesures chinoises, que « les restrictions de vols étaient inutiles ». Huit jours plus tard, la Chinoise Fang Liu, directrice de l’OACI, recommandait d’assouplir les restrictions de vol alors que les compagnies américaines venaient de suspendre leurs vols vers la Chine. Avec le recul, nous savons d’ores et déjà que la Chine s’est notoirement opposée à ce que <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/29/coronavirus-la-chine-a-impose-son-point-de-vue-au-sein-de-l-oms_6027569_3244.html">l’Organisation mondiale de la santé proclame une urgence de santé publique de portée internationale</a>.</p>
<p>C’est dans le contexte de cette cécité à la fois collective et consentie que Taïwan a réussi à exfiltrer du continent, et plus particulièrement de la province du Hubei, foyer originel du Covid-19, <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=50&post=174608">plusieurs centaines de ses ressortissants</a> – et ce, malgré les tensions et les suspicions réciproquement entretenues entre Pékin et Taipei. Le gouvernement taïwanais a pu s’appuyer sur son réseau d’industriels et d’hommes d’affaires, lesquels ont fait preuve d’une remarquable solidarité à l’égard de leurs concitoyens, dans des initiatives qui relèvent à la fois de la diplomatie informelle et d’une extraordinaire résilience.</p>
<p>Hub interrégional et économique non moins important, Taïwan est toutefois exclue de l’OMS comme de l’OACI. Pourtant, Taïwan est un acteur majeur et incontournable de la santé mondiale, comme vient de le prouver sa gestion de la crise. Signe des temps : l’île et ses représentants n’ont pas été conviés à participer à la prochaine session annuelle de l’OMS, qui devrait se tenir du 17 au 21 mai prochain à Genève. Loin est cette année 2009 lorsque Taïwan y avait été sollicitée en tant qu’observateur. L’absence de Taïwan au sein de ces organisations mondiales n’invite-t-elle pas à reconsidérer leur mode de fonctionnement et, aussi, à envisager un rééquilibrage des choix européens et français en matière de politique étrangère ?</p>
<p>Pékin est en passe d’assumer un rôle hégémonique dans nombre d’organisations internationales. Parmi les grandes organisations dépendant de <a href="https://www.letemps.ch/opinions/chine-saffirme-organisations-internationales">l’ONU, quatre (FAO, ONUDI, UIT, OACI) sur quinze</a> ont à leur tête un directeur installé par la RPC.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244629517836193798"}"></div></p>
<h2>Taïwan : l’angle mort des diplomaties française et européenne</h2>
<p>La gouvernance autoritaire que la Chine érige en modèle pour endiguer l’épidémie n’est pas un exemple à suivre. Taïwan en apporte la preuve. Si la menace politique qui pesait initialement sur les dirigeants de la RPC – présentée par certains, à tort, comme un possible Tchernobyl chinois – se transforme pour le régime de Pékin en opportunité géopolitique, il n’en demeure pas moins que Taïwan, plus que jamais, se retrouve aux avant-postes de la ligne de front qui oppose désormais les démocraties aux régimes autoritaires.</p>
<p>Face au Léviathan chinois, la vigueur avec laquelle Taïwan défend son modèle politique intéresse et interroge le reste du monde. Son besoin de sécurité et d’indépendance est en accord avec l’humanisme défendu par les nations démocratiques. Cette crise nous le rappelle avec force. Elle nous invite à questionner nos choix et maintenir au sein même du système politique international une diversité de choix quant à ses représentants. Ceci demeure pour nous, démocraties, absolument vital.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En apportant son aide à de nombreux pays touchés par la pandémie, la République populaire de Chine cherche à faire diversion, de façon à exercer tranquillement une pression croissante sur Taïwan.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1140992019-04-11T22:49:19Z2019-04-11T22:49:19ZTortues, abeilles et panthères : quand les espèces « éteintes » réapparaissent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/265298/original/file-20190322-36276-1vfp1wv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C6%2C910%2C605&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La première tortue géante de Fernandina jamais observée depuis 112 ans.</span> <span class="attribution"><span class="source">Galapagos National Park</span></span></figcaption></figure><p>Comme dans un film de zombies, certaines espèces que l’on croyait éteintes semblent ressusciter d’entre les morts. Entre le 21 février et le 4 mars dernier, trois de ces « redécouvertes » ont ainsi attiré l’attention : celle de la <a href="https://www.nationalgeographic.com/animals/2019/02/extinct-fernandina-giant-tortoise-found/">tortue de Fernandina dans les îles Galápagos</a> (<em>Chelonoidis phantasticus</em>), dont la dernière apparition datait de 1906 ; celle de l’<a href="https://www.theguardian.com/environment/2019/feb/21/worlds-largest-bee-missing-for-38-years-found-in-indonesia">abeille géante Wallace</a> (<em>Megachile pluto</em>), supposément disparue en 1980 ; celle enfin de la <a href="https://mymodernmet.com/formosan-clouded-leopard-extinct/">panthère nébuleuse de Taïwan</a> (<em>Neofelis nebulosa brachyura</em>), que l’on n’avait plus revue depuis 1983 et qui avait été officiellement déclarée éteinte en 2013.</p>
<h2>Disparition du dernier individu</h2>
<p>Ces redécouvertes soulignent combien nos connaissances sur certaines des espèces les plus rares sont minces ; elles interrogent aussi la manière dont nous les déclarons éteintes. <a href="https://www.iucnredlist.org/">La liste rouge</a> de l’Union internationale pour la conservation de la nature permet de tenir un registre mondial des espèces menacées et de mesurer le risque qu’elles disparaissent. L’organisation a élaboré une liste de critères pour déterminer le statut de menace d’une espèce, qui n’est considérée éteinte que « lorsqu’il n’y a plus de doute raisonnable sur la mort du dernier individu ».</p>
<p>Selon la liste rouge, une telle affirmation exige que :</p>
<blockquote>
<p>« des enquêtes exhaustives dans l’habitat connu ou probable de l’espèce, réalisées à des moments appropriés et dans l’ensemble de son aire de répartition historique aient échoué à relever un seul individu. Ces observations doivent être menées dans un cadre temporel adéquat au regard du cycle et du mode de vie de l’espèce ».</p>
</blockquote>
<p>Étant donné toutes les preuves – ou plutôt l’absence de preuves – exigées, il paraît étonnant que des espèces puissent être déclarées éteintes. Car pour comprendre si une espèce a disparu, il faut aussi connaître ses habitudes dans le passé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262635/original/file-20190307-82669-15n060x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La plus grande abeille au monde était présumée éteinte avant sa redécouverte en Indonésie en février 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Megachile_pluto#/media/File:Stavenn_Megachile_pluto.jpg">Stavenn/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les observations à un moment et un endroit donnés nous renseignent sur la survie d’une espèce ; mais lorsque celle-ci se fait rare, les observations se font évidemment moins fréquentes, jusqu’à ce que l’on se demande si cette espèce existe toujours.</p>
<p>On se base en général sur le temps écoulé depuis la dernière apparition de l’animal pour mesurer la probabilité d’extinction d’un groupe, mais il est rare que l’individu alors observé soit effectivement le dernier du taxon. Car bien des espèces persistent probablement des années sans être vues.</p>
<h2>Empreintes, déjections, griffures</h2>
<p>À quoi correspond concrètement le repérage des espèces ? Il peut prendre de multiples formes, depuis l’observation directe d’un individu vivant en chair et en os ou en photographie, jusqu’à la preuve indirecte via des empreintes au sol, des griffures ou des matières fécales ; ou encore par des récits oraux rapportés grâce à des témoins oculaires.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262634/original/file-20190307-82661-1828tk5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La panthère nébuleuse de Taïwan est une espèce endémique de l’île considérée comme éteinte, mais des témoins rapportent l’avoir vue récemment.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Formosan_clouded_leopard#/media/File:LeopardusBrachyurusWolf.jpg">Joseph Wolf/Wikipedia</a></span>
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<p>On le comprend aisément, ces différents types de preuves n’ont pas tous la même valeur – un oiseau dans la main vaut davantage qu’une salle remplie de gens se souvenant l’avoir vu ! Faire le tri entre les observations réelles ou erronées complique encore un peu plus la déclaration d’extinction.</p>
<p>L’idée qu’une espèce soit « redécouverte » peut rendre les choses plus confuses encore.</p>
<p>La redécouverte implique en effet que quelque chose a été perdu ou oublié mais le terme donne souvent l’impression que l’espèce est proprement ressuscitée – d’où le terme d’<a href="https://theconversation.com/meet-the-lazarus-creatures-six-species-we-thought-were-extinct-but-arent-50274">« espèces lazare »</a>. Une interprétation erronée des espèces perdues ou oubliées signifie que l’hypothèse par défaut est l’extinction de toute espèce qui n’a pas été vue depuis un certain nombre d’années.</p>
<h2>Présumée éteinte</h2>
<p>Quelles conclusions tirer de tout cela pour les trois récentes « redécouvertes » d’espèces évoquées plus haut ?</p>
<p>Même si aucun spécimen vivant de la tortue de Fernandina dans les îles Galápagos n’avait été repéré depuis 1906, des observations indirectes de déjections, d’empreintes et de marques de morsure de la tortue sur des figuiers de Barbarie avaient été <a href="https://www.iucnredlist.org/species/170517/128969920">rapportées en 2013</a>.</p>
<p>L’incertitude pesant sur la qualité de ces observations et la période très longue depuis laquelle elle n’avait pas été aperçue ont probablement contribué à ce qu’elle soit déclarée « en danger critique (possiblement éteinte) » en 2015. Dans la nature, une espèce est présumée éteinte jusqu’à preuve du contraire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262637/original/file-20190307-82692-7yv718.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ce spécimen de tortue des Galápagos de l’île Fernandina, que l’on croyait être le dernier du genre, a été recueilli en 1906.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Fernandina_Island_Gal%C3%A1pagos_tortoise#/media/File:Chelonoidis_nigra_phantastica.jpg">John Van Denburgh/Wikipedia</a></span>
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<p>Si l’abeille géante Wallace n’avait pas été aperçue au cours des 38 dernières années, elle n’avait toutefois jamais été déclarée éteinte par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Son cas a été suspendu pendant des années par manque de données ; ce n’est que récemment qu’elle a été évaluée comme « vulnérable ».</p>
<p>Bien que cette découverte soit excitante pour une espèce qui n’avait pas été observée depuis de longues années, sa « redécouverte » montre surtout que nous ne connaissons que très peu de choses sur nombre d’espèces rares.</p>
<p>Pour ce qui concerne la panthère nébuleuse de Taïwan, <a href="https://blogs.scientificamerican.com/extinction-countdown/clouded-leopards-confirmed-extinct-taiwan/">classée éteinte</a> en 2013, elle avait été aperçue pour la dernière fois en 1983, selon le témoignage de 70 chasseurs. Une <a href="http://cloudedleopard.org/documents/Formosan%20clouded%20leopard%20Po-Jen%20Chiang%202007.pdf">vaste opération</a> menée dans les années 2000 pour tenter de détecter sa présence à l’aide de caméras avait échoué.</p>
<p>Tandis que la tortue et l’abeille géantes ont été déclarées à nouveau vivantes après la découverte de spécimens, la réapparition de la panthère nébuleuse demeure plus incertaine. D’après des observations faites à deux occasions distinctes par des gardes forestiers, les preuves semblent convaincantes, mais établir si le félin est vraiment vivant exigera des investigations plus poussées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114099/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Roberts a reçu des financements de différents organismes. Entre autres, NERC, ESRC, University of Kent, Chester Zoo, OATA et OMS-IWT. Il est affilié au programme d’Oxford Martin School sur le commerce illégal d’espèces sauvages (OMS-IWT). Par ailleurs, il est membre du groupe de conseil sur le commerce illégal d’espèces sauvages du gouvernement britannique et de l’unité nationale sur les crimes envers les espèces sauvages du groupe de prestation prioritaire des services de lutte contre la cybercriminalité et la criminalité liée aux espèces sauvages.</span></em></p>Récemment, trois espèces que l’on croyait éteintes ont à nouveau montré signe de vie. Est-il réellement possible d’avoir la certitude qu’une espèce est morte ?David Roberts, Reader in Biodiversity Conservation, University of KentLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.