tag:theconversation.com,2011:/us/topics/taxis-20154/articlestaxis – The Conversation2023-03-29T18:20:13Ztag:theconversation.com,2011:article/2025422023-03-29T18:20:13Z2023-03-29T18:20:13ZTrottinettes électriques : un bilan environnemental plutôt positif… mais un vrai besoin de régulation<p>L’opinion publique pense généralement que les trottinettes électriques sont néfastes pour l’environnement : <a href="https://qz.com/1561654/how-long-does-a-scooter-last-less-than-a-month-louisville-data-suggests">courte durée de vie</a>, <a href="https://fondationrivieres.org/filiere-batterie-eaux-contaminees-surveillance-environnementale-independante-miniere-nmg-pallinghurst/">pollution des batteries électriques</a>, <a href="https://www.6-t.co/article/trottinettes-freefloating">remplacement de modes de transport plus vertueux</a> et, finalement, <a href="https://theconversation.com/les-trottinettes-electriques-bonnes-ou-mauvaises-pour-le-climat-146035">alourdissement du bilan carbone des villes</a>.</p>
<p>Les trottinettes n’auraient donc rien d’une solution d’avenir pour décarboner la mobilité urbaine. Or, si elles présentent bien quelques faiblesses, leurs atouts pour l’environnement sont aussi nombreux.</p>
<h2>Évolution de l’empreinte carbone des trottinettes partagées</h2>
<p><a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/06/21/20002-20180621ARTFIG00130-les-trottinettes-electriques-en-libre-service-arrivent-a-paris.php">Apparues à l’été 2018</a> en France, les premières trottinettes en libre-service font couler beaucoup d’encre. Non conçus à l’origine pour un usage partagé, ces engins présentent alors de courtes durées de vie et des risques de bris en cours d’usage.</p>
<p>Ces véhicules sont à cette période <a href="https://www.rtl.be/info/monde/economie/la-guerre-des-auto-entrepreneurs-pour-recharger-les-trottinettes-electriques-1075836.aspx">rechargés de manière chaotique</a> par des autoentrepreneurs, ce qui génère des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652620329437">émissions de gaz à effet de serre (GES) élevées</a>, ces entrepreneurs utilisant souvent des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LkkH9x7h7us">vans diesel et des sites de recharge éloignés</a>.</p>
<p>Résultat ? L’empreinte carbone des déplacements de ces premières trottinettes partagées s’élève à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652620329437">109 grammes de CO₂ équivalent par kilomètre parcouru</a> (gCO2eq/km). Soit trois fois moins que le taxi, mais dix fois plus que le vélo personnel !</p>
<p>Au fil du temps, les opérateurs ont amélioré la conception de leurs engins et leur longévité, ainsi que leur gestion de flotte, en optant pour des vans électriques émettant moins de GES, ou pour des trottinettes à batteries amovibles, faciles à transporter dans de petits véhicules peu émetteurs.</p>
<p>Ainsi, en 2020, j’avais évalué que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S136192092100047X">l’empreinte carbone des trottinettes partagées avait globalement diminué de moitié à Paris</a>, pour atteindre environ 60 grammes de CO2eq/km.</p>
<p>Néanmoins, difficile de suivre l’empreinte carbone véritable des différents services partagés proposés à Paris, car les opérateurs communiquent peu, ou mal, sur les données nécessaires à l’évaluation environnementale – notamment la durée de vie véritable des trottinettes, leur devenir en fin de vie, et les caractéristiques de la gestion de flotte.</p>
<p>Certains opérateurs sous-traitent des évaluations souvent optimisées par des services de conseil ou des chercheurs manquant d’expertise (ou de rigueur ?), tout cela créant de la confusion autour de l’empreinte carbone véritable des services.</p>
<h2>Empreinte carbone des autres modes de transport à Paris</h2>
<p>L’usage de trottinettes partagées (bien gérées) émet aujourd’hui à Paris environ 60 grammes de CO2eq/km. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S136192092100047X">Qu’en est-il des autres modes de transport parisiens</a>, alors que la Ville de Paris <a href="https://www.paris.fr/pages/interdiction-des-trottinettes-en-libre-service-les-parisiens-voteront-22954">organise ce dimanche 2 avril 2023 une votation citoyenne</a> sur le maintien ou non des trottinettes en libre-service dans la capitale ?</p>
<p>Commençons par la trottinette personnelle : parce qu’un bien personnel est souvent mieux traité que son homologue partagé, et qu’il ne nécessite pas de gestion de flotte, ce véhicule a une empreinte carbone d’environ 12 grammes de CO2eq/km. C’est sensiblement aussi bien que le vélo personnel, le métro ou le RER à Paris.</p>
<p>Notons que le vélo personnel électrique est presque aussi bon que le vélo personnel mécanique… tant que sa longévité kilométrique est assez élevée (donc pas <a href="https://twitter.com/anne2bortoli/status/1410882184156745730">acheté sur un coup de tête</a> pour être remisé au placard). Utilisé seulement 1 000 km sur sa durée de vie, j’ai estimé qu’il est aussi mauvais que la voiture thermique (qui utilise des carburants fossiles).</p>
<p>Évidemment, le mode de transport le moins émissif reste la marche (2 grammes de CO2eq/km)… qui ne nécessite que l’entretien des trottoirs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Tableau montrant le classement des différents types de mobilité au regard de leurs émissions de GES" src="https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517433/original/file-20230324-18-2ddtk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Classement des différents types de mobilité au regard de leurs émissions de GES.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S136192092100047X?via%3Dihub">Anne de Bortoli</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Parmi les pires modes de transport pour le climat : le bus diesel (120 grammes de CO2eq/pkm par passager transporté sur 1 km (pkm)), la voiture personnelle (200 grammes de CO2eq/pkm), et enfin… le taxi (300 grammes de CO2eq/pkm) !</p>
<p>La trottinette partagée présente ainsi une empreinte carbone intermédiaire face aux autres modes de transport disponibles à Paris ; quant à la trottinette personnelle, elle constitue une excellente option pour une mobilité peu carbonée.</p>
<h2>Bilan carbone annuel direct et indirect des trottinettes à Paris</h2>
<p>Le problème que posent les trottinettes partagées à Paris au niveau de leurs émissions de GES, c’est qu’elles sont principalement utilisées à la place de modes moins impactants : en 2019, 22 % du kilométrage parcouru avec les trottinettes électriques partagées remplaçait des déplacements auparavant réalisés à vélo et à pied, et 60 % de ce kilométrage remplaçait des déplacements en métro et RER. Seuls 7 % des kilomètres parcourus en trottinettes partagées remplaçaient des trajets en voiture et taxi.</p>
<p>Ainsi, sur l’année 2019, nous avions estimé que les trottinettes partagées avaient généré <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652620329437">13 000 tonnes de CO2eq supplémentaires dans la ville</a>.</p>
<p>Mais rappelons que les 2,1 millions de Parisiens émettent environ 20 millions de tonnes de CO2eq chaque année. Les trottinettes partagées auraient donc alourdi le bilan carbone de la ville de Paris de… 0,015 % !</p>
<p>À titre de comparaison, si chaque Parisien renonçait chaque année à manger deux <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/4/12/3279">steaks hachés de bœuf</a>, cela éviterait au total l’émission d’environ 13 000 tonnes de CO2eq. De plus, à l’échelle d’un pays, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1361920922001560">trottinettes en libre-service ont le potentiel de réduire les émissions de GES</a>.</p>
<p>C’est ce que corrobore la mise à jour du bilan carbone des <a href="https://arxiv.org/abs/2103.04464">trottinettes partagées de seconde génération</a> à Paris que j’ai réalisé et qui montre une économie annuelle de 7 400 tonnes de CO2eq grâce à ces véhicules, par rapport à une situation sans eux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphe comparant les différents modes de transport à Paris au regard de leurs effets négatifs sur le climat" src="https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517439/original/file-20230324-1199-mytbs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison des différents modes de transport à Paris au regard de leurs effets négatifs sur le climat.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.via-id.com/shared-escooters-environment">Anne de Bortoli</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>En outre, pour comprendre l’impact global des trottinettes sur le climat, il faut tenir compte d’effets plus complexes.</p>
<p>Les services de trottinettes partagées constituent en effet une sorte de « porte ouverte » vers l’acquisition de trottinettes personnelles, bien plus performantes au niveau des émissions de GES. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1361920921000146">L’enquête que nous avons menée à Paris en 2019</a> a en effet montré que la plupart des possesseurs de trottinettes les avaient acquises après l’arrivée des trottinettes partagées.</p>
<p>Notre enquête a également montré que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1361920921000146">23 % des usagers de trottinettes personnelles couplaient leurs déplacements avec les transports en commun</a> et utilisaient moins leurs voitures.</p>
<p>On le voit, les trottinettes partagées accompagnent les nouvelles façons de se déplacer, réduisant la place accordée à la voiture en ville et participant aux nécessaires transformations de nos modes de vie urbains.</p>
<h2>La protection de l’environnement dépasse les questions climatiques</h2>
<p>Rappelons-nous aussi que le changement climatique n’est <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1259855">qu’une des urgences écologiques actuelles</a>. La pollution tue, les écosystèmes se meurent, et nous épuisons les ressources naturelles à une vitesse effrayante. <a href="https://www.oecd.org/greengrowth/greening-transport/41380980.pdf">Les habitudes de mobilité des pays développés ont une responsabilité majeure</a> dans ce triste bilan.</p>
<p>Il est donc urgent de plébisciter des modes de transport plus vertueux, <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0959378017304223">bien qu’il faille aussi réduire nos déplacements</a>. Dans le cas du transport thermique (utilisant des carburants fossiles), un déplacement en voiture ou taxi est plus impactant qu’un déplacement en moto sur toutes les dimensions environnementales, la moto étant moins lourde et consommant moins. Or, se déplacer en moto génère des dommages aux écosystèmes et aux ressources naturelles <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S136192092100047X">deux à trois fois supérieurs au déplacement en trottinettes, partagées comme personnelles</a>.</p>
<p>La trottinette constitue ainsi une alternative vertueuse à tous les modes de transport thermique. Sachant qu’elle n’émet pas de polluants directs, ce qui préserve la qualité de l’air en ville.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphe pour comparer les micromobilités personnelles et partagées à Paris en termes d’impact environnemental" src="https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517444/original/file-20230324-22-1x6u1j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparatif (sur cycle de vie) des micromobilités personnelles et partagées à Paris, en termes de dommages aux ressources, à la biodiversité, à la santé, de consommation d’énergie primaire, et d’impact au changement climatique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://arxiv.org/abs/2103.04464">Anne de Bortoli</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<h2>S’interdire d’interdire</h2>
<p>À la lumière de toutes ces informations, interdire les trottinettes électriques en libre-service semble ainsi incohérent et contre-productif.</p>
<p>Il y a bien sûr des décisions à prendre pour mieux encadrer leur usage, en renforçant notamment la régulation des services de trottinettes ; ce renforcement doit se baser sur des enquêtes de reports modaux et des évaluations environnementales fiables, réalisées à partir de méthodologies harmonisées adaptées, telles que celles développées avec le <a href="https://superpedestrian.com/s/ScootersEnvironmentalImpact.pdf">World Resources Institute</a>, et de données vérifiées. L’obtention de ces données devrait être exigée par les autorités publiques, comme c’est désormais le cas à <a href="https://publications.anl.gov/anlpubs/2022/05/175312.pdf">San Francisco</a>.</p>
<p>Ajoutons pour finir que l’argument sécuritaire, avançant des taux d’accidents supérieurs des trottinettes sur d’autres modes de déplacement, et en particulier le vélo, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0033350622000646">ne semble pas corroboré par les études scientifiques</a>, et que le Code de la route français <a href="https://www.interieur.gouv.fr/content/download/116158/931465/file/DP--Lestrottinettese%CC%81lectriquesentrentdanslecodedelaroute.pdf">encadre déjà l’usage des trottinettes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne de Bortoli est chercheuse postdoctorale au CIRAIG à Polytechnique Montréal, chercheuse associée au Laboratoire Ville Mobilité Transport de l'Ecole des Ponts ParisTech, et membre du groupe de travail dédié à l'harmonisation de l'Analyse de Cycle de Vie pour les micromobilité de NUMO - New Urban Mobility Alliance - du World Resources Institute, un think tank dédié à la préservation de l'environnement.</span></em></p>Interdire les trottinettes électriques en libre-service pourrait s’avérer incohérent et contre-productif.Anne de Bortoli, Chercheuse en carboneutralité et durabilité des transports et infrastructures au CIRAIG (Polytechnique Montréal), chercheuse associée au laboratoire Ville Mobilité Transport (ENPC), École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999202023-02-28T18:14:33Z2023-02-28T18:14:33ZConcilier ubérisation et souveraineté numérique, un défi de taille<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512689/original/file-20230228-24-s410ow.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4256%2C2816&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La protection des données personnelles est une question essentielle pour les travailleurs ubérisés. </span> <span class="attribution"><span class="source">Pexels</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le conflit entre les chauffeurs VTC et les plates-formes semble tourner en faveur des travailleurs, après de nombreuses années de combat social et juridique (succession des <a href="https://www.liberation.fr/economie/transports/a-lyon-uber-condamne-aux-prudhommes-a-requalifier-les-contrats-de-139-chauffeurs-20230120_FA7LIO62FBBCDNZ3IBS65FQVKU/">requalifications en contrat de travail</a>, vote de la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/020223/au-parlement-europeen-uber-et-deliveroo-perdent-une-bataille">présomption de salariat par le Parlement européen</a>), un nouveau combat relatif à la protection des données émerge, autour de la sécurisation des données personnelles et de la protection des droits numériques.</p>
<p>Pour les travailleurs « ubérisés », ces questions sont peu abordées car les débats autour de la présomption de salariat et la requalification en contrat de travail dominent. Cependant, le travail sur les plates-formes impose de traiter cette matière qui relève aujourd’hui du code du travail et fait partie intégrante du combat juridique de ces travailleurs face à des plates-formes qui triomphent aux dépens du droit du travail. Car si ces entreprises imposent un statut indépendant à des travailleurs subordonnés, elles ne sauraient faire exception à la violation des droits sociaux en ce qui concerne la protection de la vie privée et des libertés individuelles.</p>
<h2>Un travail de régulation indispensable</h2>
<p>Le 20 décembre 2018, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) condamne Uber à <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/piratage-de-donnees-uber-mis-a-lamende-en-france-par-la-cnil-240511">400 000 euros d’amende</a> pour atteinte à la sécurisation des comptes des utilisateurs (clients et chauffeurs) en 2016, dont les données personnelles (nom, adresses mail, numéros de téléphone) avaient été piratées.</p>
<p>Cette sanction <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cnil/id/CNILTEXT000037830841/">se justifie</a> par un « manque de précautions généralisé » étant donné que « le succès de l’attaque menée par les pirates a résulté d’un enchaînement de négligences ».</p>
<p>L’affaire <a href="https://www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/quand-les-donnees-personnelles-sechappent-laffaire-cambridge-analytica.html">Cambridge Analytica</a> a été, parmi d’autres facteurs, un accélérateur du travail de régulation effectué par l’UE, notamment à travers le <a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees">Règlement général sur la protection des données</a> (RGPD) – un texte qui encadre le traitement des données personnelles dans l’UE – qui <a href="https://www.channelnews.fr/considere-comme-insuffisamment-efficace-le-rgpd-va-etre-corrige-122531#.Y_uTJ65hiWs.twitter">sera peut-être corrigé prochainement</a>. </p>
<p>La souveraineté numérique est intimement liée à la capacité des États à protéger les droits sociaux par la régulation politique. Or, le gouvernement actuel fait preuve d’une <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/852561494810251264">vision de la souveraineté numérique</a> conforme à celle des GAFAM, sans investissements et accompagnements suffisants pour les entreprises. Or, un contexte politique favorable à l’ubérisation est sans doute moins résistant face aux géants du web et des dangers qu’ils représentent pour la démocratie.</p>
<p>Cette vision n’est ni avantageuse pour la French tech, qui dépend toujours des GAFAM, ni protectrice pour les travailleurs de plates-formes qui, du fait de la dérégulation autorisée au nom de la croissance et du travail, mènent leurs activités dans des conditions précaires. A contrario, une politique de souveraineté numérique forte peut prendre la forme, par exemple, du <a href="https://hal.science/hal-03418333">coopérativisme de plates-formes</a>, mouvement alternatif a l’ubérisation. Ce modèle démocratique de la propriété partagée et de la gouvernance participative permet aux travailleurs de devenir actionnaires et de prendre contrôle de leurs conditions de travail et toute autre décision liée à leurs droits du travail.</p>
<p>Les plaintes déposées par la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/nouvelle-plainte-contre-uber-concernant-son-utilisation-des-donnees-personnelles_AD-202009290248.html">Ligue des droits de l’Homme</a> et <a href="https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/deconnexions-de-chauffeurs-une-plainte-visant-uber-deposee-devant-la-cnil-2189032.html">par des chauffeurs VTC</a>) contre Uber pour non-respect du RGPD se sont multipliées ces dernières années.</p>
<p>Entre attaques pour refus de transfert des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/06/12/la-ligue-des-droits-de-l-homme-depose-plainte-contre-uber-devant-la-cnil_1791034/?redirected=1">données aux chauffeurs</a>, <a href="https://www.leparisien.fr/economie/les-chauffeurs-uber-ne-veulent-pas-que-leurs-donnees-partent-aux-etats-unis-20-02-2021-8425680.php">exportation et commercialisation des données</a>, et <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/06/17/des-chauffeurs-bannis-d-uber-portent-plainte-contre-l-application_6084549_4408996.html">suspension automatisée</a>, Uber est confronté depuis plusieurs années à un contre-mouvement international organisé par plusieurs acteurs de la société civile (juristes, syndicats, députés, chercheurs, journalistes).</p>
<p>En réponse, la plate-forme semble céder à certaines de ces réclamations en autorisant, par exemple, l’accès aux données d’utilisation des VTC qui en font la demande. Cependant, en ce qui relève de l’article 49 (transfert des données hors UE sans consentement des intéressés), et de l’article 22 (décision fondée sur un traitement automatisé) du RGPD, la plate-forme résiste encore pour deux raisons : d’une part, le transfert des données des chauffeurs est crucial pour le développement de la voiture autonome et d’autres projets de la plate-forme, et d’autre part, son modèle organisationnel est incompatible avec le RGPD puisqu’il est totalement automatisé et recourt très peu à des interventions humaines, alors que l’article 22 du RGPD interdit précisément cette forme de management algorithmique.</p>
<h2>La régulation : combat social et choix politiques</h2>
<p>Le sol européen est confronté à deux visions contradictoires. D’une part, la vision libérale attire les investissements étrangers grâce aux pressions politiques comme en témoignent les <em>Uberfiles</em> sur <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/10/uber-files-revelations-sur-le-deal-secret-entre-uber-et-macron-a-bercy_6134202_4408996.html">l’implication d’Emmanuel Macron dans le développement d’Uber</a> et aux avantages fiscaux dans le cadre de l’accord entre l’administration fiscale néerlandaise et Uber, permettant à cette dernière de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/13/uber-files-quand-les-pays-bas-aidaient-uber-a-freiner-un-controle-fiscal_6134619_4408996.html">payer moins d’impôts</a>.</p>
<p>D’autre part, la vision réglementaire traduit une longue tradition régulatrice du continent concrétisée par des textes comme le RGPD et la <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_6605">Directive européenne sur l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plates-formes</a> qui a contribué à l’adoption de la présomption de salariat par le parlement européen.</p>
<p>Si les deux visions adressent la question de la souveraineté numérique de l’Europe, les stratégies déployées pour y parvenir sont paradoxales. Tout en prônant la souveraineté numérique (par l’investissement dans la Frenchtech, le développement d’infrastructures nationales, etc.) Emmanuel Macron soutient le développement d’Uber, ou décerne la Légion d’honneur à Jeff Bezos.</p>
<p>La régulation politique représente un véritable travail de terrain, sans cesse menacé par le lobbying des plates-formes et par des politiques libérales sur fond de culte entrepreneurial, défendant volontiers l’hypothèse selon laquelle l’IA serait le vecteur de solutions à des problèmes sociaux profonds. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OPNx6sPqkkE">Selon Emmanuel Macron</a>, « Notre défaite collective, c’est que les quartiers aujourd’hui où Uber embauche (Uber comme d’autres), ce sont des quartiers où nous on ne sait rien leur offrir ».</p>
<p>Le combat des chauffeurs VTC prouve qu’une instance de régulation telle que la CNIL et qu’un texte de référence tel que le RGPD, ne peuvent être pleinement efficaces sans des initiatives citoyennes ambitieuses, informées et transnationales, et un positionnement politique et institutionnel plaçant le droit du travail au centre de la question de la souveraineté numérique.</p>
<p>La coopération transnationale entre les autorités de régulation est importante à ce titre, comme l’a illustré le travail des CNIL européennes pour le traitement de <a href="https://twitter.com/CNIL_en/status/935918586304040962">l’affaire du piratage des comptes chez Uber</a>. Mais elle reste insuffisante dans un paysage politique qui continue à défendre le modèle d’affaires des plates-formes sous de nouvelles formes, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/04/uber-considere-les-travailleurs-comme-un-bricolage-temporaire-en-attendant-l-arrivee-des-voitures-autonomes_6152892_3232.html">comme le dispositif du dialogue social</a>, pour s’adapter aux pressions juridiques actuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Salma El Bourkadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour les travailleurs ubérisés, un nouveau combat relatif à la protection des données émerge, qui se heurte à de nombreux obstacles sociaux et politiques.Salma El Bourkadi, Docteure en Sciences de l'information et de la communication, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1869372022-07-17T18:23:39Z2022-07-17T18:23:39ZLes « Uber Files » révèlent la stratégie du chaos de l’entreprise: peut-elle vraiment changer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/474278/original/file-20220715-22-bp9ebb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C4905%2C3245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">350 millions : c'est le nombre de trajets réalisés avec l'application Uber en France depuis 2011. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/soest-germany-august-4-2019-uber-1497227390">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis sa création en 2009, Uber a connu une histoire controversée, allant de violents <a href="https://www.sudouest.fr/economie/social/manifestation-des-taxis-les-images-des-violences-a-paris-7763710.php">conflits</a> entre chauffeurs à un logiciel secret prétendument utilisé pour <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/12/uber-files-quand-uber-trafiquait-son-application-pour-echapper-a-la-police_6134413_4408996.html">échapper aux forces de l’ordre</a>. Aujourd’hui, une fuite de plus de 124 000 documents nommés <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/affaire/uber-files/"><em>Uber Files</em></a> montre à quel point l’entreprise, sous la direction de son cofondateur et ancien PDG Travis Kalanick, a tiré parti de ce chaos pour se développer dans 40 pays.</p>
<p>Mes <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/rego.12456">recherches explorent</a> la relation entre Uber et les États. La stratégie de croissance à tout prix de l’entreprise a été inégale, façonnée et ralentie par des réglementations variables selon les marchés. Ces dernières années, Uber semble avoir calmé son approche et mis fin à certaines des activités les plus agressives décrites dans les documents fuités. Mais à mon avis, la stratégie qui est au cœur du succès de l’entreprise impose qu’elle sera toujours en conflit avec les lois des pays où elle opère.</p>
<p>Les <em>Uber Files</em> montrent que l’entreprise prenait des libertés avec la loi. Le modèle initial d’Uber – des citoyens conduisant d’autres citoyens dans leurs voitures privées sans permis ni licence d’aucune sorte – se situait juridiquement dans une zone grise. Dans des courriels, des cadres ont même plaisanté sur le fait qu’ils étaient des « pirates » et que le modèle de l’entreprise était « tout simplement illégal », lorsqu’ils se heurtaient à une opposition juridique pour aborder de nouveaux marchés.</p>
<p>Les documents divulgués révèlent également le rôle que le lobbying et les relations amicales avec des politiciens ont joué dans le succès d’Uber. La société a engagé de puissants lobbyistes, dont beaucoup étaient d’anciens membres ou associés de gouvernements nationaux qui avaient notamment promis de mettre fin au « copinage » entre politique et industrie. Parmi les rencontres avec les politiciens figuraient des personnalités telles que <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/10/uber-files-revelations-sur-le-deal-secret-entre-uber-et-macron-a-bercy_6134202_4408996.html">Emmanuel Macron</a> (alors ministre français de l’Économie) et le maire de Hambourg de l’époque (aujourd’hui chancelier d’Allemagne) Olaf Scholz.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-lobbying-une-activite-qui-reste-largement-meconnue-173450">Le lobbying, une activité qui reste largement méconnue</a>
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<p>Cette <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/10/uber-files-une-strategie-du-chaos-assumee-pour-conquerir-le-monde_6134211_4408996.html">stratégie du chaos</a> aurait également consisté à mettre en danger les chauffeurs de l’entreprise. Presque partout où Uber s’est implanté, les syndicats de taxis ont organisé des manifestations en signe de protestation qui pouvaient parfois devenir violentes. Des messages de Kalanick dans les dossiers d’Uber montrent que ce dernier considérait que la présence des chauffeurs Uber à une manifestation de chauffeurs de taxi en France « en valait la peine », car « la <a href="https://www.nouvelobs.com/social/20220711.OBS60800/la-violence-garantit-le-succes-une-enquete-revele-les-methodes-agressives-d-uber-pour-s-imposer-dans-le-monde-entier.html">violence garantit le succès</a> ».</p>
<p>Uber aurait également mis en place un « kill switch », un outil technologique permettant d’empêcher les autorités d’accéder aux données d’Uber lorsqu’elles font une descente dans ses bureaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/uber-et-si-on-oubliait-un-instant-les-taxis-et-les-chauffeurs-68180">Uber, et si on oubliait un instant les taxis et les chauffeurs ?</a>
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<p>L’entreprise s’est efforcée de prendre ses distances par rapport aux allégations des dossiers d’Uber. <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/travis-kalanick-le-createur-d-uber-ejecte-de-son-siege-20190821">Une déclaration</a> publiée par la société attribue le contenu des fuites à l’ère Kalanick, et souligne le changement de direction et de valeurs.</p>
<p>Entre-temps, le porte-parole de Kalanick a déclaré que l’approche d’Uber en matière d’expansion n’était pas de son fait, mais qu’elle était au contraire « sous la supervision directe et faite avec l’approbation totale des groupes juridiques, de politique et de conformité d’Uber ».</p>
<h2>Ce qui a (et n’a pas) changé</h2>
<p>Cette stratégie du chaos a sans aucun doute fonctionné. Uber est désormais une entreprise <a href="https://www.leparisien.fr/politique/uber-files-lobbying-role-de-macron-cinq-minutes-pour-comprendre-les-revelations-sur-le-geant-du-vtc-11-07-2022-ZIEPLJGFEBCDTMQLUO6FNOQ57A.php">valorisée à 43 milliards de dollars</a> (42 milliards d’euros) et ses chauffeurs effectuent environ 19 millions de trajets par jour. Pourtant, elle se bat toujours avec la rentabilité et des concurrents agressifs.</p>
<p>En 2017, Kalanick a quitté ses fonctions et a été remplacé comme PDG par Dara Khosrowshahi. La plupart des dirigeants ont également changé depuis lors. Les accusations concernant une <a href="https://www.lepoint.fr/economie/harcelement-sexisme-litiges-uber-empetre-dans-les-affaires-09-06-2017-2134096_28.php">certaine culture de harcèlement et de sexisme sur le lieu de travail</a> semblent s’être taries.</p>
<p>L’entreprise s’est globalement éloignée de son activité d’origine pour s’orienter vers un service où des chauffeurs agréés utilisent des véhicules munis de permis spécifiques pour transporter des passagers (en d’autres termes, un taxi à l’ère du smartphone), et a introduit « Uber Eats », un service de livraison de nourriture. L’entreprise a également adopté une approche plus calme et plus civilisée de l’expansion. « Doucement, mais sûrement », semble être sa nouvelle devise.</p>
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<p>En voici deux exemples : Uber s’est implanté à Madrid en 2014 au mépris d’une loi espagnole exigeant que les entreprises et les chauffeurs possèdent une licence spécifique. Elle s’est implantée à Berlin la même année, en violation des lois allemandes sur la concurrence. L’entreprise a été interdite, a quitté les deux villes et est revenue plus tard en respectant la réglementation en vigueur.</p>
<p>Lorsqu’il a abordé l’expansion allemande en 2018, Khosrowshahi a admis que l’approche d’Uber s’était retournée contre elle, et s’est engagé à se développer de manière responsable. De même, en parlant de l’expérience en Espagne, Carles Lloret, PDG d’Uber pour l’Europe du Sud, a reconnu que « c’était une erreur de reproduire le modèle américain – plus libéral – sans tenir compte <a href="https://www.elmundo.es/economia/empresas/2017/04/20/58f7aca346163f1d3b8b4615.html">du contexte espagnol</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme donne une conférence" src="https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474287/original/file-20220715-26-330cip.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Travis Kalanick, co-fondateur et ancien PDG d’Uber.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://wordpress.org/openverse/image/1e9d649c-d7d0-4c2d-bacf-548d1a27d052">« Travis Kalanick » by jdlasica</a></span>
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<p>Et pourtant, certaines choses n’ont pas changé. L’entreprise fait face à de multiples poursuites judiciaires, dont la plupart portent sur la question de savoir si ses travailleurs sont considérés comme des employés, et sa <a href="https://www.bfmtv.com/economie/uber-avance-vers-la-rentabilite_AD-202111050022.html">rentabilité</a> reste une question ouverte. Comme je l’explique <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/rego.12456">dans mes recherches</a>, ces deux éléments peuvent s’expliquer par la stratégie de fond de l’entreprise : celle de la « conformité litigieuse ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-limiter-le-pouvoir-du-lobbying-aupres-des-politiques-125986">Comment limiter le pouvoir du lobbying auprès des politiques ?</a>
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<p>Uber s’adapte aux règles existantes, mais seulement dans la mesure où cela est nécessaire pour fournir ses services. Dans le même temps, elle continue de lutter contre la législation partout – dépensant des milliards en lobbying et dans l’élaboration de connexions politiques – afin de rapprocher les règles existantes de ses préférences.</p>
<p>Les dirigeants d’Uber savent que leur modèle économique pourrait ne pas être viable, et encore moins s’ils sont obligés de classer les travailleurs comme des employés et de payer pour les droits et avantages qui y sont liés. La lutte contre les réglementations est une stratégie de survie.</p>
<p>Ils ont un modèle ultime en tête – aussi proche que possible de leur modèle initial. Bien qu’ils n’enfreignent plus ouvertement les lois, ils continuent à faire pression pour obtenir les réglementations qu’ils préfèrent par le biais des tribunaux ou en trouvant des échappatoires juridiques.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-patron-d-uber-veut-reduire-la-voilure-pour-faire-face-a-la-chute-de-wall-street-20220509">mémo</a> récemment envoyé aux employés et divulgué à la presse, Khosrowshahi écrit : « Nous serons encore plus stricts sur les coûts dans tous les domaines. » L’entreprise sait que si elle est contrainte de reclasser les chauffeurs en tant que travailleurs (comme, par exemple la Cour suprême britannique <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/19/la-cour-supreme-britannique-considere-que-les-chauffeurs-uber-sont-des-employes_6070534_3210.html">l’a décidé</a>, la situation financière sera encore pire.</p>
<p>Au-delà d’une nouvelle tâche sur sa réputation, Uber a des problèmes très réels. La rentabilité est peut-être le problème le plus urgent pour l’entreprise, mais il en existe un bien plus important pour notre société.</p>
<p>Des applications comme Uber et les centaines d’autres qui ont suivi promettaient l’innovation. Au lieu de cela, elles ont surtout développé un modèle à la limite de l’exploitation et de la corruption qui sont aussi des caractéristiques du capitalisme chevronné. Compte tenu des allégations contenues dans les dossiers d’Uber, on peut également se demander s’il y aura un jour des conséquences pour ces entrepreneurs technologiques qui ont pour mauvaise habitude d’enfreindre les règles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jimena Valdez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fuite des documents d'Uber souligne la culture conflictuelle de l’entreprise. Même en changeant ses méthodes, elle se heurte toujours aux législations des pays dans lesquels elle est implantée.Jimena Valdez, Lecturer in Comparative Politics, City, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855152022-07-06T18:21:01Z2022-07-06T18:21:01ZAu Maroc, l’irruption des plates-formes de VTC transforme le secteur des transports<p>Au moment où dans plusieurs pays dits « du Nord » se développe un <a href="https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/uber-deliveroo-les-batailles-de-l-uberisation">mouvement d’opposition</a> à l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-social/pourquoi-parle-t-on-d-uberisation-de-la-societe-4723372">« ubérisation »</a> (innovation technologique devenue aujourd’hui synonyme de précarisation de l’emploi), les plates-formes numériques de transport et de livraison, qui se trouvent à l’origine de ce phénomène, se multiplient dans les pays dits « du Sud ». Avec certaines spécificités dues à l’état de développement de ces économies, comme le montrent le <a href="https://finance.yahoo.com/news/uber-set-monopoly-north-africa-145553449.html">cas de l’Afrique du Nord</a> en général et celui du Maroc en particulier.</p>
<p>Dans un <a href="https://omsn.ma/?p=10356">article pour l’Observatoire marocain de la souveraineté numérique</a>, nous dressons un bref état des lieux de l’histoire des plates-formes de transport au Maroc. En 2015, le géant américain Uber s’installe dans le pays mais le <a href="https://www.uber.com/fr-MA/blog/casablanca/uber-au-maroc">quitte au bout de trois ans</a> en raison des nombreuses résistances syndicales et juridiques auxquelles il est confronté. Un départ qui, en réalité, n’est pas définitif puisque, en 2019, Uber <a href="https://www.challenge.ma/uber-acquiert-careem-a-31-milliards-de-dollars-106776/">achète la plate-forme émiratie Careem</a>, qui opère au Maroc depuis 2015. Depuis, on a assisté dans le pays au lancement d’autres plates-formes de VTC (véhicule de transport avec chauffeur), qu’elles soient nationales (Roby, Yallah) ou internationales (Yassir, Heetch, InDriver). Selon un <a href="https://2m.ma/ar/sur-la-2/%D8%B5%D8%B1%D8%A7%D8%B9-%D8%A8%D9%8A%D9%86-%D8%B3%D8%A7%D8%A6%D9%82%D9%8A-%D8%B3%D9%8A%D8%A7%D8%B1%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%A3%D8%AC%D8%B1%D8%A9-%D9%88%D8%B3%D8%A7%D8%A6%D9%82%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B7%D8%A8%D9%8A%D9%82%D8%A7%D8%AA-%D9%81%D9%8A-%D8%BA%D9%8A%D8%A7%D8%A8-%D9%82%D8%A7%D9%86%D9%88%D9%86-%D9%8A%D9%86%D8%B8%D9%85-%D8%A7%D9%84%D9%86%D9%82%D9%84-%D8%B9%D8%A8%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B7%D8%A8%D9%8A%D9%82%D8%A7%D8%AA-%D9%81%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%84%D9%81-20211112/">documentaire diffusé sur la chaîne marocaine 2M</a>, le nombre de chauffeurs travaillant avec les plates-formes atteint les 12 000 en 2021. Ce nombre semble progresser chaque annnée en raison de l’augmentation du nombre des plates-formes exerçant dans le royaume.</p>
<p>L’implantation des plates-formes numériques dans le secteur du transport de personnes au Maroc s’explique notamment par les nombreuses failles de ce secteur, au premier rang desquelles le « système d’agrément ».</p>
<h2>Un système de transport centré autour de l’agrément</h2>
<p>L’agrément de transport de personnes a été mis en place au Maroc après son indépendance en 1956. Un dahir, ou décret du roi, du 12 novembre 1963 définit les conditions et les règles de l’organisation de ce secteur.</p>
<p>L’attribution d’un agrément de transport – c’est-à-dire, concrètement, de l’autorisation d’ouvrir une entreprise, individuelle ou non, spécialisée dans ce domaine ou dans d’autres secteurs de transport (transport de marchandises, transport maritime, transport aéronautique, etc.) – n’est pas un droit susceptible d’être revendiqué, mais un privilège octroyé par le pouvoir marocain (un don du roi ou du Maghzen, l’administration marocaine) souvent octroyé aux anciens membres de l’armée, aux artistes, aux athlètes, et à d’autres personnes influentes et partisanes du régime. Dans certains cas, ce privilège peut être attribué à des citoyens en situation économique fragile comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2005-2-page-163.htm">souligne une circulaire du ministère de l’Intérieur du 22 décembre 1981</a>.</p>
<p>La centralisation de ce service public depuis l’indépendance du Maroc s’expliquait par la volonté de créer un système socioéconomique fortifiant le régime en affaiblissant l’opposition politique. Le pouvoir marocain a donc construit ce système des agréments pour maintenir sa suprématie, d’où le <a href="https://www.alousboue.ma/76015/">contrôle que continue d’exercer le ministère de l’Intérieur</a> sur le secteur des taxis, alors que c’est le ministère des Transports qui doit en être le seul titulaire.</p>
<p>Le monopole d’attribution des agréments de transport détenu par le ministère de l’Intérieur a donné lieu à une organisation chaotique, dommageable à la fois pour les chauffeurs (précarisation de l’emploi) et pour les clients (pénibilité au quotidien) en raison de l’absence d’une stratégie de libéralisation du secteur pour créer une forte compétitivité. Depuis quelques années, les autorités essayent d’introduire de nouveaux dispositifs juridiques afin de réglementer l’activité des chauffeurs. <a href="https://snrtnews.com/fr/article/transport-par-taxi-tout-savoir-sur-la-nouvelle-reforme-du-ministere-de-linterieur-41334">La plus récente de ces tentatives, qui date du mois d’avril 2022</a>, vise à mettre en place un ensemble de mesures dont la plus remarquable est la possibilité pour les chauffeurs titulaires d’un <a href="https://www.demarchesmaroc.com/permis-de-confiance/">« permis de confiance »</a> et de la carte professionnelle de conclure des contrats de délégation des permis d’exploitation des taxis. Cette décision a <a href="https://www.hespress.com/%D9%85%D9%87%D9%86%D9%8A%D9%88-%D8%A7%D9%84%D8%B7%D8%A7%D9%83%D8%B3%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D9%8A%D8%B1%D9%81%D8%B6%D9%88%D9%86-%D8%AF%D9%88%D8%B1%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D8%A7%D8%AE%D9%84-">provoqué la colère de certains syndicats</a>, qui ont accusé les autorités d’absence de dialogue avec les instances représentatives et ont déploré le maintien du contrôle des propriétaires des agréments sur le secteur.</p>
<p>Cette instabilité est aggravée par l’arrivée des plates-formes de VTC, perçues comme des <a href="https://fr.hespress.com/48916-colere-des-taxis-careem-sexplique-partiellement.html">acteurs de plus en plus compétitifs exerçant de manière illégale</a> dans la mesure où il n’existe pas de cadre juridique les autorisant à fonctionner. Ainsi, la résistance syndicale qui persiste depuis 2015 n’a pas empêché ces entreprises de continuer d’opérer et d’attirer davantage de catégories de chauffeurs professionnels, dont <a href="https://2m.ma/ar/sur-la-2/">certains chauffeurs de taxi</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/a8aHPDme5qc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les taxis contre Uber au Maroc (France 24, 13 septembre 2017).</span></figcaption>
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<p>Comment les autorités marocaines gèrent-elles cette situation dans un contexte juridique qui interdit les plates-formes numériques de transport ? À Casablanca par exemple, l’article 46 de la décision relative aux conditions d’exploitation des voitures de taxis souligne que toute voiture qui exerce sans permis de taxi sera retirée et placée dans la réservation municipale pour une durée d’un à six mois.</p>
<h2>Un flou juridique qui profite aux plates-formes de VTC</h2>
<p>Les plates-formes de transport se présentent comme des « intermédiaires » numériques. Cette définition est source de confusion juridique, ce qui leur a permis d’échapper aux règles auxquelles sont soumises les entreprises traditionnelles de transport dans les pays du Nord. Ce même scénario est en train de se reproduire au Maroc où leur croissance est importante.</p>
<p>Ce « laisser-faire » de la part des autorités est justifié par les deux « solutions » que semblent apporter les plates-formes : la création d’offres d’« emplois » (<a href="https://www.leconomiste.com/flash-infos/careem-plus-de-5-000-chauffeurs-avec-un-statut-d-auto-entrepreneur">par exemple, Careem a permis à plus de 5 000 chauffeurs de travailler</a>) et la réponse à une insuffisance en matière d’offre de transport accessible aux citoyens. Une autre explication réside dans les opérations de lobbying que mènent ces plates-formes auprès des décideurs marocains, comme c’est aussi le cas en Europe et aux États-Unis.</p>
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<p><a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03663009/document">Notre travail de recherche</a> autour du phénomène de l’ubérisation en France montre en effet que la technologie innovante qu’offrent ces plates-formes en matière de facilitation de transport n’est pas suffisante pour accroître leurs parts du marché. L’influence des politiques à travers la promulgation de lois favorables ou l’annulation de décrets défavorables a été un axe crucial pour construire et maintenir leur hégémonie.</p>
<h2>Les effets délétères de l’expansion des plates-formes</h2>
<p>Les conséquences de ce bouleversement sont multiples mais la question de la précarisation de l’emploi et de la santé des chauffeurs constitue un sujet très médiatisé. C’est pour cette raison que l’on assiste à un glissement sémantique du terme d’ubérisation, d’une définition centrée sur l’aspect innovant qu’apportent ces technologies de transport à un <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2018-1-page-86.htm">mouvement régressif en matière de droit du travail</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-conductrices-uber-en-argentine-face-aux-inegalites-de-genre-184008">Les conductrices Uber en Argentine face aux inégalités de genre</a>
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<p>L’expérience européenne et américaine montre que ces plates-formes décident et changent leurs politiques de gouvernance relatives au taux de la commission, aux tarifs, aux chartes de travail, etc. sans négociation avec les chauffeurs. Cette absence de communication pose la question du droit du travail et, plus profondément, celle du contrôle des données par les géants du numérique.</p>
<p>Uber, qui fait partie de ces entreprises, inspire plusieurs débats sur les réels objectifs derrière sa technologie de mise en relation dans le cadre du transport de personnes ou de livraisons. Sa collecte et exploitation des données personnelles des usagers impose de réfléchir aux enjeux derrière cette pratique qui, pour certains, est la vraie source de son revenu et dont on ignore encore la finalité. Les États-nations, dorénavant menacés dans leur souveraineté par ces sociétés privées <a href="https://www.sciencespo.fr/public/chaire-numerique/wp-content/uploads/2021/05/RP-Puissances-des-plateformes-num%C3%A9riques-territoires-et-souverainet%C3%A9s-Dominique-BOULLIER-Mai-2021-1.pdf">« extraterritoriales »</a>, doivent réinventer leurs institutions politiques, développer une connaissance technique des infrastructures et des technologies, et réagir à ces changements accélérés du numérique en adaptant leur législation.</p>
<p>De ce point de vue, les réflexions autour de la souveraineté numérique au Maroc commencent déjà à aboutir à certaines décisions conséquentes, notamment <a href="https://m.le360.ma/politique/souverainete-numerique-le-maroc-interdit-lhebergement-des-donnees-sensibles-a-letranger-262738">l’interdiction d’hébergement des données sensibles à l’étranger</a>. Cette décision peut être perçue comme une avancée majeure en comparaison des autres pays d’Afrique. Cependant, le Maroc est encore loin de porter un projet politique pour reprendre le contrôle sur sa souveraineté numérique à l’instar de plusieurs pays du monde. Ce sont plutôt les unions politico-économiques qui pourraient faire face à l’hégémonie des plates-formes, d’où la nécessité pour le Maroc de mener un dialogue géopolitique autour de ces questions avec les pays d’Afrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Salma El Bourkadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les autorités marocaines laissent les plates-formes de transport opérer dans le pays alors même que les exploitants de taxi doivent normalement recevoir un agrément.Salma El Bourkadi, Docteure en Sciences de l'information et de la communication, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840082022-06-14T22:23:45Z2022-06-14T22:23:45ZLes conductrices Uber en Argentine face aux inégalités de genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466780/original/file-20220602-16-ihkcz4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3735%2C2492&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue aérienne de l’Obélisque de Buenos Aires, monument historique situé sur la Plaza de la Republica, à l’angle des avenues Corrientes et 9 de Julio.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Marianna Ianovska/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans une <a href="https://www.afd.fr/en/carte-des-projets/digital-labour-platforms-buenos-aires-metropolitan-area-work-conditions-and-gender-inequality">récente étude</a> conduite entre 2020 et 2021, nous avons analysé l’<a href="https://www.afd.fr/en/ressources/labour-market-trajectories-and-conciliation-efforts-among-female-uber-drivers">insertion professionnelle des femmes proposant leurs services en tant que conductrice de voiture de transport avec chauffeur (VTC)</a> via la plate-forme Uber dans la zone métropolitaine de Buenos Aires.</p>
<p>Nous avons cherché à comprendre l’expérience de ces conductrices pour analyser les barrières matérielles et symboliques auxquelles elles sont confrontées dans leur travail quotidien.</p>
<p>Pour y parvenir, nous avons mené de nombreux entretiens et nous sommes particulièrement intéressées aux trajectoires professionnelles d’un groupe de 14 conductrices âgées de 29 à 60 ans.</p>
<h2>VTC et division genrée du travail</h2>
<p>Historiquement, les sociétés ont assigné aux hommes et aux femmes des rôles spécifiques et ont facilité la construction de compétences différenciées. Ces différences aboutissent à un processus que nous appelons la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00324728.2020.1851748">division genrée du travail</a> et qui a des effets très profonds sur le marché du travail.</p>
<p>La division genrée du travail explique en grande partie les <a href="https://www.oxfamfrance.org/inegalites-et-justice-fiscale/comprendre-et-combattre-inegalites-femmes-hommes/">inégalités vécues par les hommes et les femmes</a> en matière d’accès et de permanence au travail salarié, et en ce qui concerne la perception des revenus. Elle impacte également leur autonomie personnelle et économique, et donc la construction de leur identité.</p>
<p>Au cœur de l’activité des VTC se trouve l’aptitude à se déplacer dans l’espace public, le rapport à l’automobile et la connaissance technique des véhicules – des compétences souvent associées au genre masculin.</p>
<p>Comme c’est le cas dans <a href="http://www.senat.fr/rap/r15-835/r15-8350.html">d’autres pays, comme la France</a>, les femmes en Argentine ont moins facilement accès au permis de conduire que les hommes : <a href="https://www.ambito.com/informacion-general/mujeres/al-volante-y-un-gran-desafio-7-cada-10-conductores-son-hombres-n5140926">seulement 3 inscrits sur 10 sont des femmes</a>. Les femmes ont donc moins accès à la mobilité dans l’espace public. Cela implique aussi une faible insertion des femmes dans le secteur des VTC.</p>
<h2>Pourquoi y a-t-il plus de conductrices Uber ?</h2>
<p>Lors de nos recherches, le marché du travail argentin se caractérisait par un fort taux de chômage et de <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1935">sous-emploi</a>, et par un nombre important d’activités précaires. Cette situation était aggravée par la récession économique qui a commencé en 2018 et a empiré pendant la pandémie.</p>
<p>L’arrivée d’Uber en 2016 a favorisé le développement du marché des VTC. Bien que les femmes demeurent en minorité, elles constituaient <a href="https://labordoc.ilo.org/discovery/fulldisplay/alma995048891902676/41ILO_INST:41ILO_V2">11 % des travailleurs au cours du premier semestre 2018</a>. On estime pour l’année 2019 qu’<a href="https://www.cippec.org/publicacion/economia-de-plataformas-y-empleo-como-es-trabajar-para-una-app-en-argentina/">il y aurait environ 55 000 chauffeurs actifs</a> dans la zone métropolitaine de Buenos Aires, et en <a href="https://www.infobae.com/sociedad/2019/09/14/bajo-el-lema-juntas-en-el-viaje-uber-realizo-un-encuentro-con-mas-de-400-conductoras/">juin 2019 la participation des conductrices avait augmenté de 110 %</a> en un an.</p>
<p>Puisque cette profession est souvent considérée comme masculine, cette évolution pourrait constituer une remise en cause des idées reçues quant à des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305750X1930511X">professions qui seraient genrées</a>. Toutefois, notre analyse des parcours professionnels montre aussi que la plupart de ces conductrices avaient déjà acquis les compétences nécessaires à ce travail en exerçant des métiers masculinisés ou impliquant la conduite. Par exemple, beaucoup d’entre elles travaillaient comme conductrices de taxi ou comme visiteuses médicales en utilisant leur propre voiture.</p>
<p>De plus, nous avons également rencontré des exemples encore plus parlants d’insertion en milieu professionnel masculin, comme dans le cas d’Alejandra. Alejandra a appris à conduire un camion et a postulé pour un emploi de livreuse de pain. Elle avait auparavant travaillé au service de prélivraison pour une agence automobile, incluant le nettoyage des voitures et la vérification des fluides.</p>
<h2>« J’ouvre et ferme l’appli quand je veux » : les limites du travail indépendant</h2>
<p>Uber ne possède pas de parc automobile et ne propose pas d’emplois classiques et salariés. Cependant, la plate-forme utilise des algorithmes pour attribuer les trajets à effectuer aux conducteurs, et fixe les tarifs en fonction de l’heure de la journée et de la disponibilité entre offre et demande. En outre, l’entreprise permet l’évaluation par les utilisateurs du service fourni par les conducteurs. Le score obtenu engendre des sanctions ou des récompenses de façon à influencer le travail des conducteurs.</p>
<p>Cependant, Uber recrute des personnes pour assurer le service en vertu d’un <a href="https://www.nber.org/papers/w22843">statut de « chauffeurs partenaires »</a> tout en favorisant le caractère indépendant de l’activité. Bien que <a href="https://theconversation.com/gig-workers-arent-self-employed-theyre-modern-day-feudal-serfs-179152">cette indépendance ait des limites</a>, comme suggéré ci-dessus, les conducteurs ont tendance à adopter l’idée d’autodétermination dans le travail. Une expression courante utilisée par les chauffeurs pour illustrer cette idée est : « J’allume et éteins l’application quand je veux », signifiant qu’il existe beaucoup de liberté pour organiser ses horaires de travail.</p>
<p>Nous avons questionné des femmes et des hommes sur le sens de cette idée d’indépendance promue par la plate-forme.</p>
<p>Les chauffeurs masculins évoquent majoritairement les notions d’entrepreneuriat et la possibilité de « devenir leur propre patron ». Comme Fabián, 23 ans, le dit :</p>
<blockquote>
<p>« La vérité, c’est que je reste avec Uber par commodité, tu es ton propre patron, personne ne t’embête, tu ne donnes d’explications à personne, tu n’as pas à suivre l’emploi du temps de quelqu’un d’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Pour les conductrices, l’indépendance se traduit par un idéal qui consiste à concilier travail rémunéré et <em>care</em> – le soin accordé aux autres et notamment à sa famille –, ce qui se traduit par des expressions spontanées telles que « Uber est une opportunité parfaite pour une mère » ou « Je peux être instantanément avec mes enfants en cas de problème ».</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/5f63618a37b1a24c4ff25896/6076a6f933692e3989918f59?cover=true&ga=false" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p>Le fait que ces expressions soient partagées aussi bien par les femmes ayant des enfants à charge que par celles n’en ayant pas montre que les conductrices considèrent que leur activité professionnelle permet de remplir les rôles féminins attendus.</p>
<h2>L’influence du genre dans les horaires de travail</h2>
<p>La nuit, les week-ends et les heures de conduite vers l’école ou le bureau sont associés à une forte demande et, par conséquent, à des tarifs plus élevés pour demander un chauffeur Uber.</p>
<p>Cependant, les possibilités de travail lors de ces périodes sont inégales entre les hommes et les femmes, les conductrices ayant plus de difficultés à accéder à ces créneaux horaires. Ainsi, les femmes se sentent plus exposées que les hommes lorsqu’elles conduisent la nuit en <a href="https://blogs.iadb.org/igualdad/en/insecurity-and-street-harassment-covid-19/">raison de l’insécurité et du harcèlement dans la rue</a>. Celles qui ont des responsabilités familiales ne peuvent pas assurer le travail de nuit, ni les périodes d’entrées et sorties d’école, car elles doivent accompagner leurs propres enfants. Cette même difficulté s’applique aux week-ends, lorsque les écoles sont fermées et que les conductrices n’ont pas d’aide pour la garde des enfants. Tous ces obstacles impliquent un <a href="https://www.afd.fr/en/ressources/gender-inequalities-platform-economy-cases-delivery-and-private-passenger-transport-services-buenos-aires-metropolitan-area">écart important entre les sexes en termes d’heures travaillées et de revenus</a>.</p>
<p>Alejandra, conductrice de 43 ans, explique comment elle perçoit la situation :</p>
<blockquote>
<p>« Ici, ce qui détermine combien tu gagnes, c’est le nombre de trajets que tu fais. Donc, si vous faites 12 heures d’affilée, vous gagnez la même chose que n’importe quel homme qui fait 12 heures d’affilée. Il n’y a pas d’inégalité là-dedans. Mais il est très difficile pour une femme de faire 12 heures de suite. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même sens, María del Carmen, une conductrice de 39 ans, dénonce avec ses propres mots les inégalités vécues par les conductrices :</p>
<blockquote>
<p>« Je sais que la nuit, on gagne beaucoup mieux sa vie, on fait les trajets au frais, le tarif est plus cher. Et la même chose se produit tôt le matin. Mais j’ai cet obstacle, enfin, je n’appellerais pas ça un obstacle, mais il est vrai que j’ai un petit enfant, donc je dois m’adapter à ses horaires, je dois travailler quand on s’en occupe. »</p>
</blockquote>
<p>Le dernier témoignage est celui de Melisa, une conductrice de 29 ans qui ne craint pas les dangers de l’obscurité et ouvre l’application à l’aube :</p>
<blockquote>
<p>« Mon fils dort avec ma grand-mère. Alors je travaille à l’aube, puis, je rentre à 8h, viens le chercher, l’emmène au jardin d’enfants, je le laisse là et je travaille jusqu’à 16h, 17h quand il sort. »</p>
</blockquote>
<h2>Rééquilibrer les tâches domestiques entre les hommes et les femmes</h2>
<p>La progression de la part des femmes qui conduisent pour Uber permet de remettre en cause les idées reçues sur le genre des professions. Cependant, ces femmes restent confrontées à de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13545701.2022.2044497">nombreux obstacles pour réussir leur travail indépendant</a>. La répartition inégale des tâches familiales est sans aucun doute la plus considérable, car elle influence les horaires de travail et, par conséquent, les revenus générés. Par conséquent, il est urgent que les politiques publiques sur le <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-c-comme-care-158918"><em>care</em></a> contribuent à <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---americas/---ro-lima/---ilo-buenos_aires/documents/publication/wcms_635285.pdf">cette lente conquête</a>, en redoublant d’efforts pour parvenir à une répartition plus équitable entre les sexes des activités non rémunérées effectuées à domicile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les plates-formes de VTC offrent des avantages incontestables pour les femmes conductrices d’Uber. Dans ce métier fortement masculinisé, les inégalités n’en restent pas moins criantes.Cecilia Poggi, Economist, Social Protection Research Officer, Agence française de développement (AFD)Marina Garcia, Chercheuse en sociologie, Universidad Nacional de General SarmientoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830802022-06-10T14:09:41Z2022-06-10T14:09:41ZDans la tête d’un chauffeur Uber : seul face à lui-même<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467535/original/file-20220607-20-e7cc58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C995%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le modèle Uber entrave toute possibilité de collectif, annihile tout pouvoir d'agir des chauffeurs et génère chez eux d'importants phénomènes de dissonance cognitive.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>À compter de la mi-juin, la plate-forme Uber étendra ses services à tout le territoire québécois. À l’échelle mondiale, la multinationale est implantée dans près de <a href="https://s23.q4cdn.com/407969754/files/doc_downloads/2021/07/Uber-2021-ESG-Report.pdf">10 000 villes et 71 pays, et compte plus de 3,5 millions de travailleurs</a>.</p>
<p>Ce modèle, basé sur le travail à la demande et la distribution algorithmique des tâches, transforme fondamentalement les manières de penser, de faire et d’organiser le travail, individuellement et collectivement.</p>
<p>L’étendue du service Uber à l’ensemble de la province offre l’occasion de se pencher sur la réalité du travail de ces milliers de chauffeurs et livreurs du Québec. À quoi ressemble leur travail au quotidien ? Comment créent-ils des liens sociaux ? Afin de tenter de répondre à ces questions, j’ai effectué de l’observation sur des groupes Facebook de chauffeurs et interrogé une cinquantaine de travailleurs Uber du Québec.</p>
<p>Doctorante en communication à l’UQAM et étudiante chercheure à l’INRS, ma thèse se penche sur leur profil et leurs motivations, le rapport qu’ils entretiennent au collectif et à la mobilisation et plus globalement les enjeux psychosociaux du travail médié par les algorithmes.</p>
<h2>Un travail atomisé ponctué d’interactions éphémères ou robotisées</h2>
<p>Bien que les travailleurs Uber soient amenés à croiser de nombreuses personnes au quotidien (clients, restaurateurs, passagers), leur activité est essentiellement solitaire sur le plan professionnel. D’une part, leur travail se déroule sans jamais rencontrer un humain de chez Uber ; leur inscription sur la plate-forme s’effectue en ligne, et leurs tâches quotidiennes leur sont distribuées par un algorithme via l’application.</p>
<p>Si un problème les pousse à contacter le service technique de la compagnie, les personnes avec qui ils échangent sont situées dans des <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1525/9780520970632/html">centres d’appels délocalisés à l’extérieur du pays</a>. Qui plus est, les réponses qu’ils obtiennent sont le plus souvent formatées par des scripts, prolongeant ainsi le rapport robotisé au travail.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="homme qui porte un masque au volant d’une voiture avec une insigne Uber" src="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467558/original/file-20220607-18-79q23t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’organisation du travail limite les possibilités de socialisation et pousse les chauffeurs à se définir exclusivement par rapport à eux-mêmes, entravant le collectif de travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Concernant les quelques moments où les travailleurs peuvent se croiser, dans les restaurants en attendant les commandes ou dans la zone d’attente de l’aéroport, les interactions se résument à des formules de politesse ou à des échanges brefs à propos du nombre de commandes obtenues dans la journée, comme l’exprime Katia, livreuse Uber Eats à Montréal :</p>
<blockquote>
<p>Quand je croise un autre livreur, je lui dis « Salut ! Ah Uber, ça roule ce soir ! » ou « Ça roule pas », puis c’est tout. Après, je m’en vais et j’ai peu de chances de le revoir. Si je le recroise, je lui dis bonjour, mais je connais même pas son nom.</p>
</blockquote>
<h2>Un climat teinté de compétition</h2>
<p>Certes, les groupes Facebook de chauffeurs Uber constituent un lieu d’échange pour partager des informations et ventiler à propos de situations frustrantes. Cependant, ces espaces jouent un rôle très limité dans la construction d’un collectif, se révélant inadéquats pour des conversations élaborées sur le travail.</p>
<p>L’architecture des groupes favorise les interactions sur un temps court, les publications s’évanouissant rapidement dans le fil de discussion. Des échanges constructifs demanderaient des conversations sur un temps long, dans un climat d’écoute et de confiance. Or, la compétition ressentie par les chauffeurs conjuguée au mode d’interaction bref et anonyme des réseaux socionumériques contribue plutôt à un climat hostile, comme le dit Diane, livreuse Uber Eats à Laval :</p>
<blockquote>
<p>Je pense que les commentaires négatifs sont faits pour décourager les autres parce que c’est pas un groupe où on s’encourage, c’est un groupe où on essaie de décourager les autres parce que c’est la compétition. Moi si je veux gagner ma vie, faut que je pogne plus de courses que toi.</p>
</blockquote>
<h2>Le collectif perçu comme une menace à leur activité et leur identité</h2>
<p>Étonnamment, cette absence de collectif n’est globalement pas perçue comme un manque par la plupart des travailleurs interrogés dans le cadre de ma thèse. Malgré des conditions de travail difficiles sur lesquelles ils n’ont pas de contrôle, les travailleurs n’ont pas tendance à se tourner vers le rassemblement et la mobilisation dans le but d’établir un rapport de force avec Uber.</p>
<p>À l’inverse, le collectif est plutôt perçu comme une menace pour la plupart d’entre eux. Le climat compétitif ressenti par les chauffeurs les pousse à développer tout un répertoire de tactiques et de bricolages individuels pour se démarquer des autres, comme en témoigne Bertrand, chauffeur Uber à Québec.</p>
<blockquote>
<p>On va tous sur le groupe Facebook pour la même chose, trouver des semblables et voir s’ils peuvent nous donner des trucs et des astuces pour mieux comprendre comment ça marche, avoir des informations. Mais on comprend vite que non, on est tous dans le même bain, on est tous là pour travailler pour notre poche.</p>
</blockquote>
<p>Parmi les tactiques utilisées pour optimiser leurs revenus, certains chauffeurs vont par exemple appeler le client pour connaître sa destination avant d’aller le chercher. S’ils jugent que la course est trop peu rentable au regard de la distance à parcourir jusqu’au client, ils annuleront la course. D’autres encore utilisent deux téléphones pour conserver un accès à la carte indiquant où se situent les zones de majoration pendant qu’ils réalisent une course.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="application uber sur un téléphone samsung montrant plusieurs voitures disponibles" src="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467536/original/file-20220607-13238-andol3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au Québec, les utilisateurs d’Uber sont aujourd’hui nombreux à apprécier la facilité d’utilisation de l’application et le côté pratique du service.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Aucun sentiment d’appartenance</h2>
<p>Dans ce contexte, un collectif de travail qui proposerait d’harmoniser les pratiques et de remplacer les tactiques individuelles par des stratégies collectives, s’apparente pour bien des travailleurs à une perte de leur avantage concurrentiel.</p>
<p>Maintenant que les luttes des chauffeurs Uber contre les taxis, la Ville de Montréal et le gouvernement se sont épuisées avec <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1740570/taxi-loi-17-reforme-industrie-atrq">l’adoption de la loi 17 en 2020</a>, il n’existe plus pour eux d’ennemi commun.</p>
<p>Pour se définir, ils doivent maintenant se construire une identité à partir de leur propre groupe d’appartenance. Or, lorsqu’ils se comparent à leurs collègues, ils ont tendance à le faire par la négative. Ils cherchent à se détacher de la figure du chauffeur précaire et miséreux qui travaille 60 heures par semaine, ou encore de celle du chauffeur victime qui ne sait pas utiliser l’application intelligemment. Ainsi, les travailleurs Uber partagent une pratique commune, sans toutefois faire partie d’une communauté caractérisée par un sentiment d’appartenance.</p>
<h2>Une atomisation lourde de conséquences</h2>
<p>L’organisation du travail du modèle Uber, en atomisant les travailleurs, les amène à se définir exclusivement par rapport à eux-mêmes, engendrant plusieurs conséquences.</p>
<p>Chacun doit apprendre seul comment fonctionne l’activité et se débrouiller avec ses propres défis, en bricolant ses propres tactiques, sachant que tous les chauffeurs n’ont pas les mêmes ressources. Par ailleurs, sans possibilité de rassemblement et de dialogue, les travailleurs sont privés de l’occasion de développer une réflexivité critique collective sur leurs conditions de travail. L’absence d’échanges, d’écoute et de présence à l’autre entrave toute relation significative et toute solidarité ; l’activité est réduite à son seul rapport à l’objet technique.</p>
<p>De fait, sans pouvoir d’agir collectif face à une organisation du travail rigide et intransformable, les dysfonctionnements et les problèmes de santé des travailleurs sont toujours traités <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00464801v2/document">comme des réalités singulières plutôt que relevant de l’organisation du travail</a>, comme le dit Kader, chauffeur Uber à Montréal :</p>
<blockquote>
<p>Je ne me suis jamais vidé le cœur sur le groupe Facebook. Quand je fais un simple commentaire, je me sens attaqué par d’autres. Souvent, des chauffeurs qui parlent honnêtement se font attaquer verbalement. Il y a des souffrances parmi les chauffeurs, on pourrait en discuter. Mais le climat sérieux que ça demanderait, ça n’existe pas dans le groupe.</p>
</blockquote>
<p>Les profils de chauffeurs Uber québécois sont très variés. Par exemple, l’impossibilité de négocier les faibles revenus n’a pas les mêmes conséquences pour un ingénieur en Tesla qui exerce l’activité 3 heures par semaine dans le but de se changer les idées, ou pour un immigrant qui travaille 60 heures par semaine pour faire vivre sa famille.</p>
<h2>Faibles revenus et manque de transparence</h2>
<p>Si l’activité Uber constitue un complément de revenu pour certains individus, le modèle exploite aussi la précarité existante d’une partie de la population ; chez ceux qui exercent l’activité comme seule source de revenus, il s’agit le plus souvent d’un choix faute de mieux.</p>
<p>Bien que la majorité des chauffeurs interrogés, tous profils confondus, n’aspirent pas à devenir salariés et se montrent frileux à l’idée de se syndiquer, nombreux sont ceux qui déplorent les faibles revenus et le manque de transparence de la plate-forme relativement au fonctionnement de l’algorithme et du système de rémunération.</p>
<p>Devant cette situation, ils voient dans le gouvernement la seule partie prenante qui soit réellement en mesure d’instaurer un rapport de force avec Uber afin de forcer la plate-forme à offrir de meilleures conditions de travail à ses chauffeurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183080/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Enel a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, du Fonds de recherche du Québec - Société et culture, du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, de la Fondation J.A. DeSève. </span></em></p>Les chauffeurs Uber doivent gérer seuls le paradoxe entre la rhétorique d’Uber (flexibilité, liberté, autonomie) et leurs conditions de travail parfois difficiles.Lucie Enel, Doctorante en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734422021-12-14T19:56:15Z2021-12-14T19:56:15ZLa « jouissance cynique », un moteur de l’activité des VTC<p>Pourquoi est-il si difficile de réformer les plates-formes de véhicules de tourisme avec chauffeurs (VTC), en conférant notamment un statut de salarié aux conducteurs ? En dépit de timides avancées et des protestations de leurs travailleurs sur le mode de rémunération, des sociétés comme Uber et Lyft continuent largement de résister à cette classification, déclarant que cela les obligerait à <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/09/business/economy/uber-lyft-gig-workers-new-york.html">modifier leur modèle commercial</a> et à risquer une augmentation des coûts de main-d’œuvre de 20 à 30 %.</p>
<p>Au-delà de l’argument de perte de compétitivité avancé par les plates-formes, une autre raison est sans doute à aller chercher du côté du mode de management des chauffeurs, qui semble s’articuler autour de la notion de « jouissance cynique » que nous avons caractérisée dans nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/348182862_Who_is_pulling_the_strings_in_the_platform_economy_Accounting_for_the_dark_and_unexpected_sides_of_algorithmic_control">recherches récentes</a>.</p>
<p>S’il y a une définition positive du cynisme (par exemple lorsque le philosophe antique Diogène résiste au pouvoir en optant pour une vie frugale) nous nous concentrerons ici sur son effet autodestructeur : le chauffeur adopte un comportement transgressif pour trouver l’énergie de faire le « sale boulot », ce qui reproduit le statu quo et ne change rien à sa situation. La jouissance cynique permet dans un premier temps de motiver les chauffeurs, mais constitue durablement un désastre en termes de relations publiques et un frein à la transformation de l’entreprise.</p>
<p>L’observation de forums publics (par exemple, <a href="https://uberzone.fr/">uberzone.fr</a> ou <a href="https://www.uberpeople.net/">Uberpeople.net</a>) permet d’observer le mode d’identification des chauffeurs aux plates-formes. Celui-ci est structuré par un fantasme, au sens clinique du terme, c’est-à-dire l’adhésion affective à une structure narrative qui comporte à la fois un scénario idéalisé et un scénario catastrophe. Ce fantasme produit en effet une forme d’excitation, mais teintée de cynisme, qui « agrippe » les conducteurs à la plate-forme.</p>
<h2>« Retour en enfance »</h2>
<p>Le volet idéaliste du fantasme inclut la publicité de ces plates-formes qui décrivent le statut d’autoentrepreneur comme un eldorado de liberté. Par exemple, les interpellations publicitaires cherchent à valoriser les travailleurs, comme dans la campagne illustrée <a href="https://www.adweek.com/creativity/lyft-wrote-giant-thank-you-notes-to-its-drivers-on-these-out-of-home-ads/">ci-dessous</a> par Lyft, qui répertorie les nombreuses identités alternatives de leurs chauffeurs : étudiants en architecture, militants, mères de famille, artisans, poètes, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"938236842998198278"}"></div></p>
<p>Un tel discours gratifiant reconnaît publiquement l’identité réelle ou supposée de leurs chauffeurs, en dehors de la conduite automobile, et présente ainsi Lyft comme une entreprise bienveillante. Pourtant, une telle gratitude publique sert également à masquer le fait que ces chauffeurs ne sont, dans beaucoup d’États, ni officiellement reconnus, ni rémunérés, en tant que travailleurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran des badges ludiques proposés par Uber.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le volet béatifique du fantasme se voit également renforcé par la <a href="https://theconversation.com/la-gamification-juste-un-jeu-ou-un-reel-enjeu-153809">gamification</a> qui prend la forme d’un « retour en enfance » auxquels Uber et Lyft ont recours pour manager les conducteurs. De temps en temps, lorsqu’un chauffeur Lyft termine un trajet, il reçoit ainsi un nouveau badge. Le badge « Early Riser » est obtenu lorsqu’un trajet est terminé entre 4h00 et 8h00. Gagner une récompense telle que « Night Hero » peut améliorer l’humeur et la motivation d’un conducteur au travail.</p>
<p>Quelques articles de presse grand public ont étudié la dimension psychosociale du management algorithmique, dont notamment un <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2017/04/02/technology/uber-drivers-psychological-tricks.html">article</a> remarqué du New York Times sur Uber en 2017, ou encore un <a href="https://www.theguardian.com/business/2018/nov/20/high-score-low-pay-gamification-lyft-uber-drivers-ride-hailing-gig-economy">autre</a> du Guardian, un an plus tard, sur la gamification et les plates-formes de la « gig economy », signé d’une sociologue et ancienne chauffeure pour Lyft. On y apprend notamment que les entreprises de VTC ont recours aux sciences du comportement pour attirer une main-d’œuvre indépendante et augmenter ainsi leurs flottes.</p>
<h2>« Ils arnaquent des milliers de conducteurs »</h2>
<p>Cependant, ces scénarios flatteurs et infantiles s’accompagnent d’autres, beaucoup plus sombres, qui génèrent notamment une forme de victimisation et de paranoïa chez les chauffeurs. Sur le forum Uberpeople.net, des exemples de cette suspicion généralisée impliquent le bénéfice financier que la plate-forme tirerait illégalement de la pratique de la fixation dynamique des prix, comme l’illustre ce post de novembre 2017 :</p>
<blockquote>
<p>« Peu importe qu’ils le manipulent manuellement ou automatiquement. Ils le manipulent. Tout le monde sait ça. Ce n’est pas comme si c’était réglementé par le gouvernement. Vous travaillez pour Uber, vous vous faites manipuler. Ceux qui sont peut-être un peu plus intelligents que la moyenne manipulent l’Uber en retour. »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore cet autre, mis en ligne en septembre 2018 :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais dans une zone de boost 1,3x et ils m’ont payé avec un 1,2x. Petite différence mais je suis sûr qu’ils arnaquent des milliers de conducteurs. »</p>
</blockquote>
<p>Ces chauffeurs se disent « volés » par Uber mais, cyniquement, affirment dans le même temps que manipuler Uber en retour reste la meilleure défense.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"932734091329490945"}"></div></p>
<p>Sur uberzone.fr, Uber se voit également reprocher de soutenir les clients qui cherchent à obtenir une course gratuitement et à se faire rembourser illégalement. Comme le relate un participant du forum en novembre dernier :</p>
<blockquote>
<p>« Un gros [c…] s’est plaint auprès de la plate-forme, en disant que je ne lui ai pas rendu la monnaie (car le chauffeur n’avait pas de monnaie bien sûr) et qu’il réclamait le reste de son argent… J’ai sorti les extraits vidéo où on voit clairement ce qu’il a payé… (merci ma caméra !) Certains sont prêts à tout pour être remboursés ou même avoir une petite réduction, quitte à mentir… Le passager peut dire ce qu’il veut, ils le croiront lui, croyez-moi … »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce cas de scénario catastrophe où un client prétendument fraudeur cherche à être remboursé, le management d’Uber est dépeint comme une cabale, conspirant avec les clients pour préserver le pouvoir, tout en « volant » silencieusement de l’argent aux conducteurs honnêtes.</p>
<h2>Leadership violent</h2>
<p>Cette jouissance cynique peut cependant revêtir des aspects lucratifs : certains conducteurs deviennent ainsi des influenceurs, filment les discussions avec les clients fraudeurs à leur insu et diffusent les vidéos sur YouTube en relatant leurs expériences, avec parfois plusieurs milliers de vues. Par exemple, le compte <a href="https://www.youtube.com/channel/UCKhK5Ysw9DpHNNEVSAu0yIA">« Ryan is driving »</a> compte aujourd’hui près de 879 000 abonnés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F7ORQPHMUoY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Adventures As An Uber Driver (« mes aventures de chauffeur Uber »), Ryan is driving (2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le climat de soupçon généralisé mêlé au sentiment d’être assiégé par un management manipulateur et infantilisant contribue à un climat affectif dans lequel le conducteur, constamment sous tension, ressent des émotions primitives comme l’humiliation ou l’agressivité. Par exemple, un conducteur décrit la rivalité avec les bus :</p>
<blockquote>
<p>« Le pire c’est les chauffeurs de bus… JE NE PEUX PLUS ME LES VOIR… (sic) j’en deviens agressif, je fais comme eux… j’ai l’impression qu’ils veulent t’humilier devant le client (gratuitement)… »</p>
</blockquote>
<p>Comble de la paranoïa, les conducteurs qui s’estiment brimés « devant le client » prêtent au chauffeur de bus une intention malveillante liée à son identité de conducteur de VTC. Cette agressivité apparaît également dans les chiffres (<a href="https://www.uber-assets.com/image/upload/v1575580686/Documents/Safety/UberUSSafetyReport_201718_FullReport.pdf">6 000 agressions sexuelles ont été signalées</a> à Uber aux États-Unis entre 2017 et 2018), si bien que ces comportements sont aujourd’hui pris très au sérieux par la direction <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/12/agressions-sexuelles-le-patron-d-uber-france-promet-de-nouvelles-mesures_6022682_3224.html">d’Uber France qui a lancé une campagne de communication sur le sujet pour rassurer les clients</a>.</p>
<p>Par ailleurs, cette culture de la jouissance cynique a longtemps été partagée par le top management d’Uber. L’ancien président-directeur général Travis Kalanick en personne a ainsi été <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gTEDYCkNqns">filmé</a> en train de crier comme un despote à son propre conducteur : « Certaines personnes n’aiment pas assumer la responsabilité de leur propre m… ».</p>
<p>Cette image d’un leadership violent a également été amplifiée par les critiques à l’encontre du département des ressources humaines (DRH) d’Uber, accusé de perpétuer une <a href="https://www.theverge.com/2020/2/19/21142081/susan-fowler-uber-whistleblower-interview-silicon-valley-discrimination-harassment">culture interne</a> de sexisme. Début 2017, une salariée a ainsi relaté avoir reçu une proposition sexuelle par son manager lors du jour de sa prise de poste ; or, si la qualification de harcèlement fut reconnue par la DRH, le manager restera protégé car il est un « high performer ». La jouissance cynique consiste ici à tolérer des pratiques abusives au nom du surplus de motivation qu’elles procurent à l’entreprise.</p>
<p>Dans ce contexte, certains chauffeurs cyniques restent fatalistes, tandis que d’autres <a href="https://theconversation.com/les-chauffeurs-uber-en-greve-quelles-conditions-de-travail-a-lere-de-la-precarite-116695">manifestent</a> publiquement pour modifier leurs conditions de travail, ou en <a href="https://www.susanjfowler.com/blog/2017/2/19/reflecting-on-one-very-strange-year-at-uber">lançant l’alerte</a> sur la culture du harcèlement chez Uber. Mais ces initiatives courageuses seront-elles suffisantes pour juguler les dégâts de cette « jouissance cynique » pour les plates-formes de VTC ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Édouard Pignot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche identifie un comportement transgressif chez les chauffeurs qui leur permet de trouver l’énergie pour faire le « sale boulot », mais qui constitue aussi un frein au changement.Édouard Pignot, Enseignant-chercheur en psychologie des organisations, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1588822021-04-25T16:31:12Z2021-04-25T16:31:12ZÀ New York, l’analyse des courses de taxi révèle le surmenage dans la finance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/394746/original/file-20210413-15-pu3us7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5892%2C3899&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les chercheurs ont récolté les enregistrements de plus d’un milliard de courses dans les célèbres taxis jaunes entre janvier 2009 et juin 2016.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/B40Coqg3KLI">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le secteur financier est considéré comme l’un des secteurs les plus stressants pour les travailleurs. La pression exercée pour obtenir des résultats constamment convaincants affecte l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des banquiers en les incitant à faire de longues journées de travail.</p>
<p>Un groupe d’analystes juniors travaillant dans la grande banque d’investissement Goldman Sachs a récemment fait part de ses inquiétudes concernant la charge de travail excessive, ce qui <a href="https://www.ft.com/content/19a14cad-b5fc-4fc3-aa5a-ca306af5b831">a attiré l’attention des grands médias financiers</a>.</p>
<p>La direction a réagi en promettant une application plus stricte de l’interdiction existante de faire travailler les banquiers juniors le samedi, mais aussi, paradoxalement, en demandant au personnel de « faire un effort supplémentaire pour notre client, même lorsque nous sentons que nous atteignons nos limites ».</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que les longues heures de travail dans le secteur de la finance font la une des médias. En 2013, la disparition tragique de Moritz Erhardt, un stagiaire de 21 ans de la City de Londres décédé après avoir travaillé pendant trois jours sans dormir, avait mis en lumière les horaires de travail exténuants dans les banques d’investissement et <a href="https://www.ft.com/content/7e5fe4b6-09c0-11e3-8b32-00144feabdc0">suscité les critiques des médias</a>.</p>
<h2>16 millions de courses analysées</h2>
<p>En réaction, quelques mois après ce choc, la plupart des banques d’investissement ont mis en place des <a href="https://www.lesechos.fr/2016/01/le-buzz-des-etats-unis-jp-morgan-veut-laisser-ses-banquiers-profiter-de-leur-week-end-194602">politiques de « week-ends protégés »</a> qui visaient à améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des banquiers juniors en leur garantissant du temps libre pendant les week-ends, notamment le samedi. <a href="https://www.efinancialcareers.fr/actu/2016/06/comment-ubs-et-credit-suisse-ont-reduit-les-horaires-de-travail-de-leurs-banquiers-juniors">Certaines banques suisses leur ont d’ailleurs emboîté le pas</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394744/original/file-20210413-21-1pdmejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À la suite du décès d’un stagiaire de la City en 2013, les banques d’investissement ont mis en place des politiques de « week-ends protégés ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Super_moon_over_City_of_London_from_Tate_Modern_2018-01-31_4.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Or, comme nous l’expliquons dans un récent <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3810864">article de recherche</a>, il n’est toutefois pas certain que ces politiques améliorent l’équilibre entre le travail et la vie privée des banquiers juniors. C’est pourquoi nous avons décidé d’étudier l’évolution de la culture du surmenage dans les banques en évaluant comment ces politiques ont affecté les heures de travail des banquiers, et si elles répondent à leurs bonnes intentions en encourageant les banquiers juniors à les réduire.</p>
<p>Pour ce faire, nous avons analysé les informations de 16 millions de trajets en taxi depuis dix grandes banques d’investissement de New York et leurs environs immédiats vers des destinations résidentielles. Ils ont utilisé les enregistrements de plus d’un milliard de courses en taxi jaune publiés par la Commission des taxis et des limousines de la ville de New York, y compris les coordonnées GPS des lieux de prise en charge et de dépose et les horodatages des prises en charge qui sont disponibles pour chaque course de janvier 2009 à juin 2016.</p>
<h2>Culture persistante</h2>
<p>Cette analyse, menée avec mon ex-collègue de doctorat de la Aalto University School of Business (Finlande), montre que, lorsque les banques ont mis en place des politiques de travail sans samedi, cela a incité les employés à travailler tard le soir en semaine pour compenser. Ces résultats sont plus marqués pendant les semaines de stages d’été, lorsque les banques d’investissement emploient un grand nombre d’étudiants désireux de faire leurs preuves en travaillant dur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394745/original/file-20210413-21-14gihl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’étude révèle que la mise en place de politiques de travail sans samedi, a incité les employés à travailler tard le soir en semaine pour compenser.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/stock-traders-working-office-758625136">Shutterstock</a></span>
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<p>Ainsi, les effets négatifs de la politique peuvent avoir été plus prononcés pour les employés les plus vulnérables, que les politiques étaient censées protéger. Ce constat est révélateur de la nature de la culture du secteur bancaire et de la mesure dans laquelle les banques peuvent la modifier en introduisant de nouvelles politiques, montrant que même des politiques bien intentionnées peuvent avoir des conséquences inattendues. En outre, elle témoigne de la persistance de la culture des longues journées de travail dans les professions hautement qualifiées, en particulier dans la finance.</p>
<p>Nos résultats suggèrent donc qu’il est difficile de changer la culture des banques par décret, en particulier lorsque les enjeux pour les employés juniors et leurs patrons sont élevés. Même si des journées plus longues ne génèrent qu’une augmentation modeste de la productivité de l’équipe, l’importance des enjeux peut inciter les patrons à pousser leurs subordonnés à travailler davantage…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ellapulli Vasudevan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les banques, les politiques de « week-ends protégés » ont conduit les employés à davantage travailler en semaine.Ellapulli Vasudevan, Professeur au département finance, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1403882020-06-15T20:28:12Z2020-06-15T20:28:12ZVTC : comment mieux harmoniser la qualité de service ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/340598/original/file-20200609-21214-19n5akd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C26%2C5973%2C3341&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les chauffeurs n’ont pas le statut de salarié et travaillent parfois pour plusieurs entreprises de VTC en parallèle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/kARZuSYMfrA">Dan Gold / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Il y a dix ans à San Francisco, UberCab (soit SuperTaxi), devenu Uber, lançait la première application de mise en relation d’utilisateurs avec des conducteurs réalisant des services de transport. Depuis, les services concurrents de voiture de transport avec chauffeur (VTC) prolifèrent à travers le monde.</p>
<p>Que ce soient Lyft aux États-Unis et en Europe, Didi Chunxing en Chine, Bolt, Kapten, Caocao, Marcel ou le luxueux Wheely qui ne propose que des Mercedes-Benz en France, TemTem en Algérie, OTO en Tunisie, Careem au Maroc ainsi que Snapp en Iran, ces services de transport de porte à porte ont transformé l’expérience et les comportements des consommateurs dans leurs déplacements quotidiens.</p>
<p>Afin de comprendre l’engouement pour ce type de service en France notamment en comparaison d’autres services de transports relativement semblables (taxis ou voiture personnelle) ou plus éloignés (transports publics), nous avons entrepris un travail de recherche qui vise à identifier les raisons de la satisfaction ou de l’insatisfaction des consommateurs à l’égard des services de VTC.</p>
<p>Si les répondants évoquent des avantages comme le confort, le coût modéré par rapport au plaisir d’être servi, ou encore le gain de temps permis par la simplification de la commande et du paiement, nous souhaitons nous attarder sur deux facteurs qui affectent particulièrement le niveau de satisfaction : d’une part la performance de l’interface permettant de commander une course, et d’autre part la qualité de service, de l’aspect des équipements à la manière d’être du conducteur qui, rappelons-le, n’est en aucun cas salarié de l’entreprise de VTC. Ainsi, la qualité globale du service dépend, pour chaque course, de deux « fournisseurs ».</p>
<p>Dès lors, la question de l’harmonisation de la qualité de service de bout en bout se pose.</p>
<h2>Le design de l’interface au cœur du service</h2>
<p>La véritable innovation proposée par les services de VTC repose avant tout dans la capacité à fournir une plate-forme ergonomique de mise en contact immédiate et géolocalisée de l’offre et la demande de mobilité.</p>
<p>Les réponses des personnes interrogées reflètent ainsi l’importance du rôle de l’interface de l’application dans l’expérience des utilisateurs et la valeur perçue du service. Certains répondants décrivent les sites Web ou applications des VTC comme « ergonomiques » (répondant 7), « riches en informations » (répondant 1), « assez faciles à utiliser » (répondant 3).</p>
<p>En outre, la satisfaction à l’égard du service augmente de 19 % lorsque l’accessibilité de celui-ci progresse et elle atteint 52 % lorsque la perception de la qualité de l’application présente une amélioration.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340600/original/file-20200609-21238-12tddkx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Trois exemples d’interfaces d’application VTC (de gauche à droite : Uber, Heetch, Caocao) lors de la commande d’une course allant de la place de la Bastille à la place de la République à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran des applications</span></span>
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</figure>
<p>Parmi les aspects fréquemment mentionnés par les répondants, on trouve : une « conception simple » qui permet aux clients de naviguer sur le site Web ou sur l’application et de connaître sa localisation ; qui présente « suffisamment d’informations » sur les services offerts par l’entreprise (répondant 23) ; ou encore une application « facile à charger » qui s’affiche dans les zones où la 4G n’est pas accessible.</p>
<p>Au contraire, si l’application est conçue comme un labyrinthe et que ses options pour choisir ou modifier la destination ne sont pas faciles à identifier, les consommateurs peuvent se sentir frustrés et subir une sorte de fardeau psychologique supplémentaire lors de l’utilisation de l’application.</p>
<p>Lorsqu’on leur a demandé quelle était leur source de satisfaction et d’insatisfaction avant la course, les répondants ont répondu : « L’application est très claire et bien structurée. On ne s’y perd pas… » (répondant 24) ; ou encore, a contrario, « parfois, nous ne pouvons pas réserver le voyage à l’avance, car le service est temporairement indisponible » (répondant 19).</p>
<p>Les résultats montrent en outre qu’une augmentation de la satisfaction, notamment liée au gain de temps permis par la facilité d’utilisation de l’interface, accélère la fidélité de 71 % et augmente le bouche-à-oreille, notamment électronique (<em>electronic word of mouth</em> ou eWOM) jusqu’à 68 %.</p>
<p>Ainsi, dans un environnement de plus en plus <a href="https://www.journaldunet.com/economie/transport/1423222-vtc-qui-a-la-plus-grosse-audience-en-france/">concurrentiel</a>, les entreprises de VTC ont tout intérêt à perfectionner le design de leur interface et à en simplifier l’utilisation au maximum.</p>
<h2>Quelle marge de manœuvre réelle sur la qualité ?</h2>
<p>Mais le service VTC ne s’arrête pas là. L’expérience des consommateurs au cours de la course impacte directement leur satisfaction à l’égard des services de VTC. La qualité des équipements tels que des voitures bien entretenues ainsi que la compétence des chauffeurs en matière de conduite, mais aussi de relationnel client (serviabilité, politesse, empathie, attention personnalisée) jouent un grand rôle.</p>
<p>Les clients ont tendance à juger l’entreprise de VTC globalement fiable s’ils vivent une bonne expérience avec le chauffeur lors de leur course. L’accessibilité du chauffeur fait partie des facteurs qui peuvent consolider ou au contraire rompre la relation du consommateur avec l’entreprise de VTC.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340602/original/file-20200609-21178-gtyk6l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le chauffeur est aussi considéré comme un fournisseur de service devant adopter un bon relationnel pour satisfaire ses clients..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/transport-business-trip-destination-people-concept-595935458">F8 studio/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela se traduit notamment par la formulation de bons ou mauvais commentaires pour l’entreprise ou par une notation plus ou moins sévère du conducteur. En effet, les plates-formes de VTC sont construites sur un système d’<a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/surveillez-votre-note-uber-peut-desormais-vous-bloquer-1360584">évaluation croisée</a> : le client évalue le service reçu et le prestataire évalue le client.</p>
<p>À noter que les clients attendent beaucoup d’une course réalisée dans un contexte sensible à savoir lorsque le temps est contraint : trajet pour se rendre à l’aéroport, un concert, une réunion, une salle de classe ou un rendez-vous avec un médecin. Ainsi, la ponctualité, la paix et le confort que les consommateurs ressentent lors d’un voyage constituent une priorité.</p>
<h2>Une harmonisation possible ?</h2>
<p>Les services de VTC fonctionnent sur la base de modèles économiques de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/joffrey-ouafqa/economie-collaborative-et-service-a-la-personne_b_8049506.html">pair à pair</a>. Les plates-formes jouent donc uniquement un rôle d’intermédiaire. En effet, malgré des procédures en cours de requalification des travailleurs indépendants en salariés, les chauffeurs ne sont ni employés ni véritablement formés par les entreprises qui gèrent les plates-formes.</p>
<p>Il est même très fréquent que les chauffeurs travaillent en parallèle pour plusieurs plates-formes sans pour autant modifier leur comportement vis-à-vis d’un client, quelle que soit sa provenance.</p>
<p>De plus, les conducteurs utilisent leurs propres voitures privées pour fournir la prestation de service (ou en <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/ile-de-france-600-chauffeurs-vtc-obliges-de-rendre-les-cles-de-leur-voiture-25-03-2019-8039505.php">louent une</a> auprès d’une entreprise spécialisée par le biais de l’entreprise de VTC).</p>
<p>La qualité et l’entretien des voitures ne sont donc pas strictement contrôlés par l’entreprise de VTC comme peuvent l’être les voitures constituant une flotte de location par exemple. Pourtant, les consommateurs attribuent l’état des voitures et le comportement des chauffeurs à la plate-forme VTC.</p>
<p>Les gestionnaires de service ont toujours la possibilité d’imposer des réglementations aux chauffeurs pour l’entretien de leurs voitures et l’utilisation de climatiseurs pour les zones et la période de l’année où le climat le demande par exemple.</p>
<p>Il reste également possible de prêter une attention stricte au recrutement des chauffeurs de services de VTC ou d’organiser des cours pour les conducteurs et leur enseigner l'éthique, les codes vestimentaires et les codes pour l’entretien des véhicules.</p>
<p>Mais, rien ne garantit un niveau élevé ni une harmonisation de la qualité de service dans les faits.</p>
<p>Ainsi, le modèle d’affaires de pair à pair, devenu une référence en matière d’optimisation des coûts possèdent quelques limites quand il s’agit de délivrer une expérience de qualité. Effectivement, celle-ci ne s’arrête pas au moment de la commande de la course.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1071900613280231424"}"></div></p>
<p>Si en dépit du système de notation des chauffeurs, il reste compliqué pour les entreprises de VTC de garantir un niveau de service optimal lors des courses, il leur est cependant possible d’agir sur le rapport qualité/prix en diminuant le coût du trajet.</p>
<p>Ce coût est principalement déterminé automatiquement en fonction de l’itinéraire et des conditions de demande des services de VTC. Ainsi les gestionnaires de plate-forme gagneraient à accorder une attention toute particulière aux algorithmes de calcul des coûts de voyage ou aux programmes récompensant la fidélité des clients pour améliorer leur image.</p>
<p>Cela permettrait notamment de gagner la confiance des consommateurs. Ces derniers ont souvent l’impression d’être « arnaqués » par un système qui <a href="https://www.numerama.com/vroom/478932-uber-comment-est-calcule-le-prix-dune-course.html">tire parti</a> de l’évolution de la demande ou des conditions de circulation et qui ne tient compte des « erreurs » de calcul de prix qu’a posteriori après une demande auprès du service clients.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ce service de transport est fourni par la plate-forme (commande) et par le chauffeur (livraison). Il reste donc difficile de garantir une expérience optimale de bout en bout et lors de chaque course.Jean-Eric Pelet, Enseignant chercheur en marketing et systèmes di'information, ESCE International Business SchoolSomayeh Zamani, Associate professor, faculty member at the Isfahan Hasht Behesht Higher Education Institute, University of IsfahanLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1349402020-05-03T17:44:32Z2020-05-03T17:44:32ZL’avenir du transport urbain au Sénégal passe-t-il par les motos-taxis ?<p>Comme ailleurs en <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/498291468192248589/pdf/669410NWP0FREN0Motorcycles0Final0fr.pdf">Afrique de l’Ouest</a>, avec les « Zémidjan » au Bénin, les « Bend-skins » au Cameroun, les « Oléya » au Togo ou encore les « Kabou Kabou » au Niger, les motos-taxis ont fait irruption dans les villes sénégalaises. De marque KTM, importées d’Asie, elles sont dénommées Jakarta. </p>
<p>Dans un pays où l’État a toujours voulu imposer une <a href="http://demdikk.com">offre publique de transport</a>, en particulier à Dakar, la présence d’une alternative privée compétitive dérange les habitudes. L’exemple en est donné par les fameux « cars rapides ». Apparus dès la Seconde Guerre mondiale, mais généralisés à partir des années 1980 dans la capitale et sa banlieue, ces minibus relevant du secteur privé ont rapidement mordu sur le monopole de la compagnie publique d’autobus (qui représentait <a href="http://www.codatu.org/wp-content/uploads/M%C3%A9moire-Amady-Baro-FAYE.pdf#page=50">moins de 10 % des déplacements</a> dans les années 2000. Dans les villes secondaires, seuls les taxis berlines remplissaient le vide. </p>
<p>L’arrivée des Jakarta a changé la donne. Cette offre est-elle partie pour être durable ? À quelles catégories de population des villes secondaires profite-t-elle ? Comment s’insère-t-elle dans un paysage urbain soumis au pouvoir des municipalités et des services déconcentrés de l’État ? </p>
<p>À l’université de Saint-Louis du Sénégal, <a href="https://www.ugb.sn/recherche/laboratoires-de-recherche/111-groupe-de-recherche/306-leidi-dynamique-des-territoires-et-developpement.html">un programme de recherches du laboratoire Leïdi</a> observe et analyse les comportements de mobilité des jeunes Sénégalais en milieu urbain (mais aussi en milieu rural). Pour saisir les logiques à l’œuvre dans les villes secondaires (telles que Diourbel, Louga, Thiès, Kolda, Ziguinchor ou encore Tambacounda), deux axes de travail ont été privilégiés : d’une part, l’observation des principaux acteurs, les conducteurs de motos, en empruntant nous-mêmes les Jakarta ; d’autre part, la multiplication des entretiens avec les responsables de l’activité dans les points de stationnement, ainsi qu’avec des élus ou des usagers. </p>
<h2>Proche des gens, proche des jeunes</h2>
<p>L’étude a permis de montrer le succès que rencontre ce mode de transport, en particulier dans les périphéries des villes et jusque dans les villages proches. Le Jakarta est devenu populaire parmi les écoliers et étudiants, les ouvriers, les commerçants, mais aussi chez les femmes qui se rendent à leur travail, aux centres de soins ou au marché.</p>
<p>Utilisant de longue date le transport informel (taxis clandestins ou « clandos », charrettes et calèches), la population découvre un nouveau moyen de déplacement avec les motos-taxis. En dépit d’un prix à la course (250 à 300 FCFA, soit autour de 0,4 euro) parfois plus élevé que celui des minibus, des charrettes ou même des taxis (seulement 100 à 200 FCFA par client quand ils sont plusieurs), le Jakarta offre des avantages indéniables : rapides et flexibles, ils sont disponibles à tout instant, ils embarquent ou débarquent le client au domicile, ils le mènent à son lieu de travail, à l’intérieur des marchés, dans les quartiers difficiles d’accès (pistes en sable, présence de relief). </p>
<p>De fait, l’apport des Jakarta est positivement apprécié par les usagers : « Ils nous facilitent beaucoup les déplacements dans la ville, nous n’avons plus besoin de faire des kilomètres de marche », selon un père de famille, qui ajoute : « Du fait de leur coût abordable, les motos rendent plus aisé le déplacement des élèves qui étudient dans les écoles loin des domiciles. »</p>
<p>Le deuxième avantage provient de l’activité elle-même. C’est un secteur d’emplois florissant pour la population dont le taux de chômage est élevé : <a href="http://www.ansd.sn/ressources/ses/SES_2016_fin.pdf#page=99">18,5 % à l’échelle nationale, mais 67,5 %</a> pour les jeunes hommes. Face aux problèmes socio-économiques que rencontrent les ménages urbains et ruraux, la possibilité de trouver à s’employer comme conducteur de moto-taxi est séduisante. </p>
<p>Le développement des Jakarta s’accompagne de celui de nombreuses activités connexes telles que la vente de pièces de rechange, le montage, la réparation ou encore le lavage. Selon le coordonnateur national des motos-taxi du Sénégal, plus de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ic9vl-vtJHY">100 000 jeunes</a> opèrent dans plus d’une vingtaine de villes. Les conducteurs sont d’origines diverses : simples chômeurs, actifs ayant abandonné leur précédente activité (petit commerce, charretier, menuisier, mécanicien, maçon, couturier, coiffeur), mais aussi diplômés sans emploi. Ces derniers associent parfois le transport en moto-taxi à un autre métier. </p>
<h2>Les raisons et les limites du succès des Jakarta</h2>
<p>La simplicité de l’activité explique sa popularité parmi les jeunes. Ce sont des motos aisées à conduire et peu exigeantes en termes de qualifications : tout conducteur en leur possession peut devenir taximan. Elles ne sont pas assignées à des sites de stationnement définis et réglementés par l’État ou les administrations communales. La plupart fonctionnent à partir de lieux improvisés et informels, près des marchés, des hôpitaux, des écoles. Beaucoup circulent sur les grandes artères à la recherche de clients potentiels et s’arrêtent ou font demi-tour dès qu’elles sont sollicitées. </p>
<p>Le lien avec le propriétaire est le même que dans les autres secteurs du transport. Il n’y a pas de contrat, les rapports sont essentiellement basés sur la confiance, l’employé étant un parent, un ami, un voisin. Les conducteurs ont l’obligation de verser quotidiennement ou chaque semaine une somme fixée entre 2 500 et 3 000 FCFA la journée. Leur salaire est constitué de ce qui subsiste après le versement, mais le carburant et les pannes demeurent à leur charge. </p>
<p>L’activité procure des revenus importants. Selon les conducteurs interrogés, les gains journaliers hors « versement » varient de 4 000 à 8 000 FCFA, soit un gain mensuel moyen de 180 000 FCFA, bien au-dessus du salaire minimum agricole (environ 29 300 FCFA) et non agricole (environ 33 500 FCFA). C’est ce qui pousse nombre de conducteurs à vouloir devenir propriétaires. Au départ, ceux-ci sont plutôt des commerçants, des fonctionnaires, des enseignants. Mais souvent, après un an d’activité, certains chauffeurs deviennent indépendants et acquièrent une moto personnelle, à 375 000-400 000 FCFA. Le risque pour eux est de reproduire le mode hiérarchique précédent, à savoir la sous-traitance de la conduite à un jeune frère ou à un cousin, et donc d’introduire un nouvel acteur dont ils dépendront et qui, lui aussi, cherchera son indépendance.</p>
<p>La présence des motos-taxi pose de nombreux problèmes. Elles sont à l’origine d’<a href="https://www.lequotidien.sn/accidents-de-la-circulation-a-thies-et-kolda-jakarta-tueurs-a-2-roues-les-motos-sont-impliquees-dans-60-des-accidents/">innombrables accidents de la circulation</a>. À Kaolack, en 2014, plus de <a href="https://www.seneweb.com/news/Transport/kaolack-plus-de-4-000-victimes-d-acciden_n_154565.html">4 000 victimes</a> d’accidents de la route, provoqués par des Jakarta, ont été répertoriées par le centre hospitalier régional. Les motos-taxis sont pilotées par des jeunes gens âgés de moins de 30 ans, parfois seulement de 15 ans, souvent inexpérimentés. Leur manque de formation, leur fougue, leur inconscience aussi poussent les conducteurs au-delà des principes de base de la sécurité routière (par excès de vitesse, absence de casque, non-respect du code de la route, ou encore manque de sommeil). Le secteur ne connaît jusque-là aucune réglementation de la part des pouvoirs publics ou des autorités municipales, les motos ne disposent pas de papiers en règle. </p>
<h2>Vers la formalisation</h2>
<p>Face à la concurrence montante des Jakarta qui ne s’acquittent d’aucune taxe, les <a href="http://archives.aps.sn/article/83318?lightbox%5Bwidth%5D=75p&lightbox%5Bheight%5D=90p">taximen se mettent en grève</a>, comme à Thiès ou Diourbel. Ce qui oblige les autorités à réagir. Ces dernières ont pensé interdire ce mode de transport en renforçant les patrouilles des forces de l’ordre, en développant les saisies et les mises en fourrières des motos, en <a href="https://www.seneweb.com/news/Politique/thies-polemique-apres-une-interdiction-d_n_164310.html">interdisant certaines artères ou la circulation durant la nuit</a>. Mais les contestations de la part des conducteurs comme des usagers montrent l’attachement de ces derniers aux Jakarta.</p>
<p>Plus récemment, les autorités réfléchissent aux moyens de formaliser l’activité. En favorisant <a href="https://www.seneplus.com/societe/500-conducteurs-de-jakarta-inities-au-code-de-la-route">les formations</a>, la sensibilisation à la sécurité, les immatriculations, l’instauration du permis de conduire, du principe de l’assurance, du paiement d’une taxe municipale (de l’ordre de 2 000 à 3 000 FCFA par mois). En organisant les lieux de stationnement placés sous l’autorité d’un chef de garage, avec un tour de rôle et un tarif fixé à l’avance. En renouvelant l’offre de véhicules avec le projet de remplacement des Jakarta par des tricycles, porté par le ministère de l’Emploi en partenariat avec l’ambassade de l’Inde. En soutenant les projets des Agences de développement local de Kaolack ou Tambacounda (« Taxi-Jakarta »), qui visent à formaliser le métier de conducteur. La lente reconnaissance de l’activité des motos-taxi par les pouvoirs publics aide à la consolidation des dispositifs de régulation internes au milieu (regroupements professionnels tels que l’association <a href="https://www.au-senegal.com/a-tambacounda-les-taxis-jakarta-sillonnent-la-ville,6772.html">Taxi Moto Tamba</a> (TMT) dans la ville de Tambacounda). </p>
<p>En dépit des réserves que les Jakarta suscitent, les populations des villes sénégalaises ne peuvent plus s’en passer ; les pouvoirs publics, incapables d’offrir un transport alternatif adéquat, ne peuvent s’en débarrasser. Si le secteur reste largement informel, son acceptation par l’État et sa popularité lui assurent un avenir certain qui devra nécessairement passer par l’adoption de mesures de régulation et de réglementation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les motos-taxis gagnent de plus en plus en popularité dans les villes secondaires du Sénégal. Ils sont, toutefois, à l’origine de nombreux accidents.Aliou Ndao, Géographe, enseignant vacataire, Université Gaston BergerJérôme Lombard, Géographe, Directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1247232019-12-12T17:23:40Z2019-12-12T17:23:40ZTraverser New York en hélicoptère : une étape pas si futile de l’expansion d’Uber<p>Le nouveau service nommé Uber Copter – qui n’est bien sûr ni écologique ni économique –, en phase de test à New York depuis l’été dernier, n’a de sens pour Uber que dans la logique de créer une <a href="https://www.01net.com/actualites/uber-prepare-le-lancement-d-uber-copter-son-service-d-helicoptere-partage-1710212.html">plate-forme multimodale</a> dédiée aux transports urbains. Cette plate-forme devra à terme intégrer l’aérien pour bien appréhender le désormais célèbre <a href="https://techcrunch.com/2019/10/18/who-will-own-the-future-of-transportation/">« future of transportation »</a>.</p>
<p>Uber montre ainsi que sa force de frappe réside en sa capacité de transporter tout type de client, en solo ou en mode partagé, d’un point A à un point B en mobilisant tout type de support : du vélo électrique via Jump jusqu’à l’hélicoptère via Uber Copter. L’idée centrale qui fut présentée et déroulée le 11 juin dernier lors de la conférence <a href="https://www.01net.com/actualites/uber-s-apprete-a-devoiler-de-nouveaux-details-sur-ses-taxis-volants-1708201.html">Uber Elevate</a> est de proposer une offre de transport intégrée qui puisse être accessible depuis sa plate-forme unique. Pour le moment, cette offre héliportée ne repose pas sur des véhicules volants électriques malgré les annonces spectaculaires de l’entreprise.</p>
<h2>Un écosystème à inventer</h2>
<p>Il s’agit donc concrètement d’ajouter <a href="https://www.nextinpact.com/brief/uber-copter-s-ouvre-a-tout-le-monde---200-dollars-pour-rejoindre-jfk-9872.htm">Uber Copter</a> à l’offre Uber. Ainsi les voyageurs new-yorkais intéressés et prévoyants – les réservations peuvent s’effectuer cinq jours à l’avance – commenceront par louer un vélo électrique Jump ou un VTC Uber pour rejoindre Lower Manhattan et son héliport. Ils poursuivront en hélicoptère jusqu’à l’aéroport JFK. Ensuite un avion les transportera jusqu’au bout du monde… où un autre véhicule Uber les attendra pour finir le trajet ! Seul l’avion n’est, pour le moment, pas pris en compte, dans cette planification porte-à-porte pour un prix d’environ 200 à 220 dollars tout compris !</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eSjg21hYXNo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Uber lance Ubercopter entre Manhattan et l’aéroport JFK (BFM TV, juillet 2019).</span></figcaption>
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<p>Paradoxalement, ce tarif devient (très) intéressant à New York car il intègre les transports au sol, ce que ne proposent pas – ne peuvent pas proposer – les sociétés de taxi exclusivement héliportées (comme celles mobilisées par Uber en juin dernier lors du <a href="http://www.leparisien.fr/festival-de-cannes/festival-de-cannes-on-a-teste-l-ubercopter-l-uber-des-airs-cannois-24-05-2017-6979998.php">festival de Cannes</a>).</p>
<p>Uber ne possède bien évidemment pas d’hélicoptère, tout comme il ne possède pas de voiture. Ce service aérien localisé à NYC est en phase de test. Il est toutefois mis en lumière avant le lancement de <a href="https://www.uber.com/fr/fr/elevate/uberair/">Uber Air</a>, prévu d’ici 2023, qui proposera des transports « dans les airs » par drone-taxi. L’écosystème d’Uber Air reste totalement à inventer mais <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/drone-taxis-volants-nasa-uber-planchent-regulation-trafic-64520/">sa complexité</a> ne fait aucun doute tant les défis sont nombreux (aéronefs, pilotes, aérogares, passagers, bagages, contexte juridique, contrôles et régulation).</p>
<h2>Redorer le blason d’Uber</h2>
<p>D’ici là, le service Uber Copter permet à l’entreprise de tenter de faire bonne figure et de redresser une image écornée. Il s’agit de réagir à la fois face aux chiffres des agressions enfin dévoilées (<a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/ubercestover-un-hashtag-pour-denoncer-les-agressions-sexuelles-bord-d-uber-234628">sur les passagères en particulier</a>) et face aux données financières très peu encourageantes (pertes au second trimestre 2019 d’environ 1,3 milliard de dollars, <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/uber-face-a-une-perte-record-de-plus-de-5-milliards-de-dollars_2093871.html">croissance significativement ralentie</a> et doublement des dépenses à 8,65 milliards de dollars).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1108247993457786880"}"></div></p>
<p>Les annonces récentes de <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-entreprise-de-vtc-uber-va-supprimer-un-tiers-de-ses-emplois-dans-le-marketing_2092219.html">suppressions d’emplois</a> ne sont pas, non plus, compatibles avec l’affichage d’une bonne santé économique – celle dont la bourse a besoin – et technologique – celle dont le voyageur a besoin – qui contribuent à porter l’image disruptive d’Uber !</p>
<p>Concernant le modèle d’affaire, le déploiement new-yorkais d’Uber Copter, qui annonce surtout la sortie d’Uber Air, est en totale conformité avec sa stratégie d’expansion et de captation.</p>
<p>Sur la forme, il s’agit de proposer à tout voyageur potentiel – pas uniquement aux abonnés de type platinium ou diamond – un écosystème au sein duquel il trouvera tout type de solutions de transport – éventuellement partagées – afin d’encapsuler l’intégralité de son voyage et de capter ses données de mobilité.</p>
<p>Sur le fond, il s’agit de traiter ces données afin de les optimiser pour proposer :</p>
<ul>
<li><p>en interne – grâce à une <a href="https://www.journaldunet.com/solutions/dsi/1420646-comment-uber-mise-sur-l-ia-a-grande-echelle-pour-optimiser-ses-services/">intelligence artificielle</a> maison – encore plus de solutions adaptées à ce type de voyageur</p></li>
<li><p>en externe la <a href="https://www.20minutes.fr/economie/2614515-20190927-uber-application-centralisera-tous-modes-transport-compris-publics">revente de ces données massives</a> à toutes les entreprises qui seraient intéressées de savoir d’où, quand, avec qui, à quel prix et vers quelle destination Monsieur Dupond ou Madame Smith voyagent.</p></li>
</ul>
<h2>Transporter, manger, voler, payer…</h2>
<p>La société Uber continue néanmoins à brouiller les pistes et à afficher un appétit d’expansion spectaculaire. Le fil rouge est toujours celui d’un écosystème le plus vaste possible qui encapsulerait le voyageur et qui saurait satisfaire toutes ses demandes de service (transport, restauration, paiement, etc.)</p>
<p>Elle mise notamment sur trois activités actuellement émergentes :</p>
<ul>
<li><p>Uber attend beaucoup de sa participation, comme membre fondateur, au consortium <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/facebook-lance-sa-crypto-monnaie-libra-crypto-monnaie-un-tueur-de-bitcoin-39886257.htm">Libra Association</a> porté par Facebook et sa vingtaine de <a href="https://libra.org/fr-FR/association/#founding_members">partenaires</a> (Lyft, Vodafone, Iliad, Coinbase, etc.). Uber pourrait ainsi avoir accès à des données financières sensibles. Il s’agit des montants des paiements effectués via le controversé <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-g7-demythifie-les-cryptos-stables-et-douche-les-espoirs-dun-lancement-rapide-du-libra-1141233">libra</a>. Uber pourrait surtout bénéficier de la synergie des usages et paiements en libra que les chauffeurs VTC devront probablement accepter !</p></li>
<li><p>Uber mise aussi sur les commandes de véhicules hors connection, sans smartphone, par l’intermédiaire de <a href="https://www.clubic.com/uber/actualite-868258-uber-teste-reservation-courses-smartphone.html">bornes fixes</a>. L’enjeu est réel dans les territoires à couverture Internet hachée ou discontinue (Europe de l’Est, Asie du Sud Est) ou avec une couverture peu stable mais sur des marchés prometteurs (<a href="https://www.jeuneafrique.com/866846/economie/cote-divoire-uber-la-licorne-americaine-des-vtc-se-lance-dans-les-rues-dabidjan/">Afrique)</a>.</p></li>
<li><p>Uber continue aussi bien sûr à miser sur sa filiale Uber Eats. Cette entité centrée sur la livraison de repas en zone urbaine montre une belle croissance dans le monde avec 250 villes impliquées – dont une quarantaine en <a href="https://www.frenchweb.fr/face-a-deliveroo-uber-eats-poursuit-sa-montee-en-puissance-dans-lhexagone/337813">France</a> – ce qui en fait un acteur majeur de la restauration avec de Deliveroo et d’autres (You2You, Stuart). Il reste toutefois à traiter sérieusement les légitimes questions posées autour des conditions de travail et des statuts des <a href="https://www.coursierjob.com/entreprises/comparatif/">livreurs/coursiers à vélo</a>, en scooter ou, de plus en plus, en voiture !</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1145434904039251970"}"></div></p>
<h2>Quid du « future of transportation » ?</h2>
<p>Certes, Uber est un géant, mais un géant qui perd encore beaucoup d’argent et qui doit redresser la barre rapidement. Pour ce faire, Uber doit clarifier son discours, rassurer les parties prenantes et rendre un peu plus lisible sa stratégie mondiale. En effet, la stratégie actuelle du géant californien et de ses filiales telles que Uber Eats, <a href="https://www.careem.com/en-ae/">Careem</a>, Otto, <a href="https://www.jump.com/fr/fr/">Jump</a>, ou encore deCarta, reste celle d’une expansion tous azimuts autour de la thématique de la mobilité.</p>
<p>L’idée est toujours de collecter – en <a href="https://help.uber.com/fr-CA/riders/article/envoyer-une-demande-au-responsable-de-la-protection-des-donn%C3%A9es-duber?nodeId=489292a2-27ce-42f5-9a47-d4dd017559fd">toute transparence</a> – le plus de données possibles, et de préférence des données de qualité. Autrement dit, les seules données qui seront rentables à traiter et à monétiser, peu importe qu’elles proviennent d’un voyage à vélo, à trottinette, en voiture, en <a href="https://www.presse-citron.net/ces-2019-voici-le-premier-drone-taxi-signe-uber/">drone</a> ou en hélicoptère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124723/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre du conseil national des universités au sein de la section des sciences de gestion et du management </span></em></p>Quelle que soit l’issue du projet Uber Elevate, la conquête des airs par le géant de la mobilité illustre sa volonté de proposer une plate-forme multimodale intégrant tous les transports urbains.Marc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1166952019-05-07T18:53:04Z2019-05-07T18:53:04ZLes chauffeurs Uber en grève: quelles conditions de travail à l'ère de la précarité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/273127/original/file-20190507-103060-1chhbwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les chauffeurs du géant Uber prévoient une journée nationale d'action pour protester contre leurs conditions de travail. À Montréal, les chauffeurs appellent à une grève d'un jour. </span> <span class="attribution"><span class="source">Dan Gold/Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Au cours des dernières semaines, Uber aurait diminué les revenus de ses chauffeurs et augmenté les prix et ce, <a href="https://www.marketwatch.com/story/uber-ipo-5-things-you-need-to-know-about-potentially-the-biggest-ipo-in-years-2019-04-12">afin de gagner la faveur des marchés financiers avant son premier appel public à l'épargne </a> jeudi, le 9 mai, le plus important depuis des années. </p>
<p>Les chauffeurs ont réagi, eux qui ne s'attendent pas à récolter les bénéfices de l'introduction en bourse d'Uber. Dans plusieurs grandes villes américaines, ils ont déclaré qu'ils éteindraient leurs applications durant deux heures, aujourd'hui, le 8 mai, <a href="https://www.reuters.com/article/us-uber-ipo-strike-new-york/ride-hailing-drivers-in-new-york-to-strike-ahead-of-uber-ipo-idUSKCN1S922A">dans le cadre d'une Journée nationale d'action coordonnée</a>. L'initiative a fait boule de neige dans le monde, dont ici au Canada. À Montréal, aujourd'hui, <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2019/05/07/des-chauffeurs-duber-veulent-perturber-le-service-mercredi-a-montreal">les chauffeurs montréalais d’Uber iront plus loin que leurs collègues américains</a>: ils « vont désactiver leurs applications toute la journée dans l’ensemble de la région métropolitaine », peut-on lire dans un communiqué émis aujourd'hui.</p>
<p>Uber est l'une des entreprises les plus prospères <a href="https://theconversation.com/la-gig-economy-vers-une-economie-a-la-tache-mondialisee-70982">de la « gig » économie, soit l'économie dite « collaborative », à la pièce, du partage, ou précaire</a>, selon les points de vue. Elle s'étend maintenant à un large éventail d'industries, dont les courriers, le covoiturage, les médias et bien d'autres. </p>
<p>Sur papier, travailler dans cette économie dite collaborative a l'air très bien. </p>
<p>Les travailleurs ont des horaires flexibles et peuvent habituellement faire leurs heures quand et comme bon leur semble. Ils peuvent compléter leur revenu à partir d'un emploi existant, gagner de l'argent entre deux emplois ou même travailler à temps plein. Les entreprises ont des coûts de main-d'œuvre moins élevés parce qu'elles n'ont pas à dépenser en indemnités de vacances, de maladie et dans d'autres avantages sociaux. Elles n'ont pas non plus à investir dans la sécurité des travailleurs, qui est laissée à leur propre discrétion.</p>
<p>Et surtout, les employeurs n'ont pas à s'inquiéter de payer leurs travailleurs lorsqu'il n'y a pas de demande pour leur service. Si personne n'a besoin d'un chauffeur en ce moment même, Uber n'a effectivement aucun coût à défrayer. Ce manque de sécurité du revenu est l'une des principales causes de la tension croissante entre les travailleurs et les entreprises. Dans l'économie collaborative, les entreprises traitent en toute légalité les travailleurs comme des entrepreneurs indépendants plutôt que comme des employés permanents. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=130%2C122%2C4672%2C3009&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272872/original/file-20190506-103045-zomj50.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des voitures sur le pont Queensboro à New York. Les chauffeurs du géant Uber organisent une journée nationale d'action pour protester contre leurs conditions de travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP/Frank Franklin II)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une récente <a href="https://www.wired.com/story/feds-rule-companys-gig-workers-contractors/">lettre d'opinion sur les travailleurs contractuels rédigée par le département du Travail des États-Unis</a> confirme que cela ne devrait pas changer de sitôt. Les conséquences sont importantes: cela signifie que les travailleurs n'ont pratiquement aucune sécurité, que ce soit en termes d'emploi ou de salaire. </p>
<h2>Peu ou pas de présence syndicale</h2>
<p>Les avantages sociaux, la sécurité et la protection de l'emploi sont des conditions de travail que les syndicats ont gagnés et maintenus. Les syndicats sont peu ou pas présents dans l'économie collaborative, <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/mar/22/uber-lyft-ipo-drivers-unionize-low-pay-expenses">malgré des demandes en ce sens</a>, notamment en raison de l'opposition des entreprises. Il y a un fait indéniable révélé par toute une littérature économique: <a href="https://www.jstor.org/stable/2171852?seq=1#metadata_info_tab_contents">la présence d'un syndicat fait augmenter les salaires des travailleurs, en particulier pour les emplois peu qualifiés</a>. </p>
<p>Une autre <a href="https://doi.org/10.1093/qje/qjr058">étude</a> - encore plus pertinente pour l'économie du partage - s'est penchée sur les résultats en bourse des entreprises du secteur privé aux États-Unis pendant trois décennies. Elle a constaté que la présence d'un syndicat diminue considérablement la valeur à long terme des actions des entreprises cotées en bourse. </p>
<p>Ainsi, non seulement des entreprises comme Uber veulent éviter la syndicalisation de leurs travailleurs pour maintenir les salaires à un bas niveau, mais avec leur arrivée en bourse, actuelle ou à venir, elles ont probablement aussi un œil sur la valeur future de leurs actions.</p>
<h2>Les avantages de l'action collective</h2>
<p>Les grèves du 8 mai ont été initiées notamment par <a href="https://drivers-united.org/">« Rideshare Drivers United »</a> un groupe de chauffeurs Uber et Lyft « qui construisent (une) organisation pour lutter pour la dignité de notre travail et une vie meilleure ». Ils sont aidés par des organisation de défense comme <a href="https://www.gigworkersrising.org/">Gig Workers Rising</a>. Ces groupes qui organisent la grève jouent le rôle traditionnellement joué par les syndicats. </p>
<p>Organiser une grève est difficile. Supposons que vous êtes un chauffeur Uber à Los Angeles, le 8 mai, et que vous vous attendez à ce que tous les autres chauffeurs éteignent leurs applications dans le cadre de la Journée d'action. </p>
<p>Vous pourriez faire beaucoup plus d'argent que normalement en étant le seul chauffeur Uber disponible à Los Angeles. Dans <a href="http://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=978067674537514">son ouvrage classique publié en 1965 sur le sujet</a>, Mancur Olson explique pourquoi les grands groupes souffrent de ce type de problème de « parasitisme », ce qui explique pourquoi les petits groupes ont plus de facilité à organiser et à influencer la politique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272559/original/file-20190503-103078-19ixhpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les chauffeurs de taxi à Montréal ont organisé une grève d'une journée le mois dernier pour protester contre un projet de loi qui, selon eux, mettrait leur industrie en faillite. Les chauffeurs d'Uber ont pris la part du lion ce jour-là.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<p>Alors que les travailleurs de l'économie collaborative pourraient potentiellement bénéficier d'un syndicat, le moment pourrait difficilement être pire. Aux États-Unis, l'affiliation syndicale <a href="https://www.economist.com/united-states/2018/07/19/how-the-decline-of-unions-will-change-america">est en baisse depuis des décennies</a>, <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-630-x/11-630-x2015005-fra.htm">tout comme au Canada.</a></p>
<h2>Un rôle pour le gouvernement ?</h2>
<p>En l'absence d'une organisation efficace pour défendre les intérêts de ses travailleurs, le modèle d'affaires qui fait le succès d'Uber présente des défis complexes pour les législateurs.</p>
<p>Les travailleurs de l'économie collaborative font des investissements coûteux qui les lient à l'emploi qu'ils choisissent. Dans le cas d'Uber, cela signifie acheter une voiture et payer les coûts associés à l'assurance, au respect des normes de sécurité, etc. En revanche, Uber n'est pas lié à un conducteur en particulier de la même manière. Il en résulte que de nombreux travailleurs de l'économie collaborative ne sont plus qu'à un doigt d'une situation financière précaire, voire catastrophique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272556/original/file-20190503-103057-1cny3oo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestations anti-Uber de chauffeurs de taxi comme celle-ci à Varsovie, en Pologne le 8 avril 2019, ont eu lieu dans plusieurs villes à travers le monde.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>La sécurité financière des travailleurs de l'économie collaborative n'est pas le seul enjeu des politiques gouvernementales. Les entreprises comme Uber continuent d'accroître leur présence. Grâce à son propre succès, Uber a également accéléré de manière significative le déclin de l'industrie du taxi. </p>
<p>Certains chauffeurs proches de l'âge de la retraite ont vu leurs plans s'effondrer à mesure que la valeur des permis de taxi a chuté. L'impact sur la santé mentale de ces travailleurs a été si important <a href="https://www.nytimes.com/2018/12/02/nyregion/taxi-drivers-suicide-nyc.html">que le suicide chez les chauffeurs est maintenant une tendance perceptible</a>. À Québec, <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/taxi-desespoir-en-direct-a-la-tele-pour-un-chauffeur-video-c0687ace5faaa338ec4218f74720f891">un chauffeur a essayé d’attenter à sa vie en direct à la télévision</a>.</p>
<p>Les chauffeurs de taxis <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1159892/taxi-proprietaires-moyens-pression-greve-lundi-montreal-quebec">ont fait des grèves tant à Montréal qu'à Québec, en mars,</a> à la suite du dépôt, par le ministre québécois des Transports, François Bonnardel, d'un projet de loi qui prévoit une forte déréglementation de l'industrie du taxi et une régularisation des activités d'Uber ou d'entreprises similaires.</p>
<p>La libre concurrence sur le marché, l'esprit d'entrepreneuriat et l'innovation sont sans aucun doute une grande source de bien-être pour les consommateurs. Il n'en va pas toujours de même pour les travailleurs. Les décideurs politiques feraient bien d'agir tandis que la situation peut encore être gérée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116695/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arvind Magesan a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
</span></em></p>Les chauffeurs d'Uber, l'une des entreprises les plus prospères de l'économie dite collaborative, ferment leurs applications lors d'une journée de protestation, afin de dénoncer leur précarité.Arvind Magesan, Associate Professor of Economics, University of CalgaryLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1131272019-03-19T21:18:15Z2019-03-19T21:18:15ZAirbus, Boeing, Google, Textron, Toyota, VW… la guerre des drones autonomes de transport de passagers<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/263721/original/file-20190313-123534-nt9r5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C6%2C1056%2C602&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le drone modulaire Pop.Up Next d'Italdesign, Audi et Airbus. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.italdesign.it/project/pop-up-next/">Italdesign</a></span></figcaption></figure><p>Si on a beaucoup parlé de l’affrontement des deux géants de l’aéronautique Airbus et Boeing dans le domaine des super-jumbo jets, avec l’annonce récente de la <a href="https://theconversation.com/a380-de-la-prouesse-technologique-au-fiasco-commercial-111917">fin de l’A380</a>, cette guerre s’étend aussi à un domaine émergent qui représente à la fois le futur de l’aviation, de l’automobile, du transport en commun, de la mobilité interurbaine, de la logistique et des premiers secours : le drone autonome. Les applications sont innombrables, du transport de personnes aux services de secours, et le <a href="http://lutpub.lut.fi/handle/10024/155123">potentiel commercial énorme</a>, estimé à plus de 127 milliards de dollars.</p>
<p>En effet, Boeing et Airbus ont chacun testé dans les derniers mois des véhicules aériens électriques et sans chauffeur. Ces drones taxis autonomes transformeraient Airbus et Boeing en prestataires de services de mobilité aérienne. Les deux groupes sont <a href="https://arc.aiaa.org/doi/abs/10.2514/6.2017-3085">loin d’être les seuls</a> à s’intéresser aux voitures volantes : de nombreux acteurs de l’automobile et du numérique ainsi que des start-up développent aussi des drones concurrents.</p>
<h2>Boeing mise sur le PAV</h2>
<p>En janvier 2019, Aurora Flight Sciences, filiale de Boeing depuis 2017, a testé pour la première fois son véhicule volant de transport de passagers PAV (Passenger Air Vehicle), électrique et autonome, <a href="https://www.theverge.com/2019/1/23/18194332/boeing-electric-autonomous-aircraft-test-flight-vtol-aurora-flight-sciences">à Manassas, en Virginie</a>. S’il peut théoriquement parcourir 80 kilomètres, cet engin, avec lequel Boeing veut révolutionner la mobilité aérienne, n’a pour l’instant fait que décoller, rester en vol stationnaire et atterrir. La prochaine phase sera la plus sensible : passer du déplacement vertical <a href="https://www.boeing.com/features/2019/01/pav-first-flight-01-19.page">au déplacement horizontal</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le premier test du PAV (<em>passenger air vehicule</em>) de Boeing en janvier 2019.</span></figcaption>
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<p>Cependant, faire décoller et voler un avion entièrement électrique est déjà une performance, compte tenu de la quantité d’énergie considérable requise. Un des principaux challenges est d’ailleurs la consommation importante d’énergie et l’installation de stations de recharge pour les batteries de ces appareils dont l’autonomie <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0968090X18306120">risque d’être limitée</a>. D’autres difficultés techniques sont le pilotage par une intelligence artificielle, le système anticollision, la protection contre le piratage, la sécurisation des données, la coexistence des véhicules avec et sans pilote, ainsi que la coordination des drones par flotte.</p>
<p>Boeing est partenaire d’Uber Elevate qui souhaite lancer un réseau de taxis aériens, Uber Air, dès 2023, bien que l’administration fédérale de l’aviation américaine risque de mettre <a href="https://www.cnbc.com/2019/01/23/boeing-takes-step-in-developing-uber-air--with-successful-test-flight.html">bien plus longtemps pour donner l’autorisation à ces taxis aériens de survoler les villes</a>.</p>
<p>Boeing veut également tester en 2019 un drone de transport logistique autonome dit CAV (<em>cargo air vehicle</em>), pour transporter des charges jusqu’à 230 kilos, ainsi qu’un drone à énergie solaire Odysseus de télécommunication et d’analyse météorologique, géologique et topographique, qui <a href="https://www.geekwire.com/2018/boeing-subsidiary-says-high-flying-solar-powered-odysseus-drone-will-take-off-2019/">pourra voler presque indéfiniment</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Odysseus, le HAPS (<em>high-altitude pseudo-satellite</em>) de Boeing » (Aurora Flight Sciences, 2018).</span></figcaption>
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<h2>Vahana, le taxi volant d’Airbus</h2>
<p>Le 12 février 2019, Airbus, <a href="https://www.airbus-sv.com/">via sa filiale A³</a>, a réussi le premier vol longue durée de son drone eVTOL (<em>electric-powered vertical take off and landing</em>, ou aéronef électrique à décollage et atterrissage verticaux) à Pendleton, dans l’Oregon. Après une cinquantaine de vols d’essai plus courts effectués depuis le <a href="https://www.airbus-sv.com/projects/1">premier essai du 31 janvier 2018</a>, le prototype Alpha One a pu effectuer certaines manœuvres plus complexes plus rapidement, comme décoller verticalement à 70 mètres de haut, avancer à 90 km/h, tourner sur place à 180 degrés, reculer, faire du surplace <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7xJfYJUYIyc">et atterrir en douceur</a>.</p>
<p>Vahana est un taxi volant d’une place au design futuriste, mélange de drone et d’hélicoptère, qui paraît plus abouti que celui de Boeing. Ses huit rotors inclinables sont pilotés par un système innovant dont l’algorithme optimise le guidage <a href="https://vahana.aero/exploring-control-allocation-for-evtol-vehicles-78c5dbad2eb4">tout en réduisant les risques</a>. Si les transitions entre les différentes phases, pendant lesquelles les ailes s’inclinent de 30 degrés, paraissent chaotiques, nul doute que les tests effectués permettront de gagner en fluidité. Avec ses 6 mètres d’envergure et 750 kilos, il est imposant, mais son aérodynamique lui permettra de se déplacer avec précision en minimisant la consommation d’énergie.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Vahana, l’expérience passager » (Vahana, 2018).</span></figcaption>
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<p>L’objectif d’Airbus est de proposer des vols de courte distance pour un coût <a href="https://www.airbus-sv.com/projects/1">équivalent à un déplacement en voiture ou en train</a> dès 2020. D’autres types de drones sont en développement comme le Skyways d’Airbus Helicopters, un livreur de colis qui a été <a href="https://www.airbus.com/newsroom/press-releases/en/2018/02/airbus-completes-first-flight-demonstration-for-its-commercial-p.html">testé à l’Université nationale de Singapour</a>.</p>
<h2>Et pourquoi pas un drone modulaire ?</h2>
<p>Le concept <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2LggHhR2kFk">Pop.Up Next a été annoncé il y a deux ans par Italdesign</a>, filiale de Volkswagen, d’abord en association avec Airbus, puis également avec Audi depuis 2018. Les trois entreprises européennes proposent un véhicule modulaire révolutionnaire, à la fois terrestre et aérien. Il se compose de 3 parties qui peuvent se clipser les unes aux autres : un châssis avec 4 roues, une capsule avec un habitacle pour deux personnes, et un drone de 8 rotors. Le système de verrouillage entre les différents éléments permet de les connecter à la fois mécaniquement, électriquement et numériquement les <a href="https://www.airbus.com/newsroom/press-releases/en/2017/03/ITALDESIGN-AND-AIRBUS-UNVEIL-POPUP.html#media-list-image-image-all_ml_0-2">uns avec les autres</a>. La capsule peut se déplacer selon 3 configurations différentes : sur la route clipsée sur le châssis roulant, suspendue sous le drone volant, et dans des tunnels ou sur des wagons sans les autres modules.</p>
<p>Équipée de technologies de pointe – comme la reconnaissance faciale et vocale ou des batteries de dernière génération – et conçue en fibre de carbone pour être à la fois légère et résistante, la capsule pourra rouler à 100 km/h pendant 130 kilomètres et voler à 540 km/h sur 50 kilomètres. Les premières images montrent comment, grâce à l’application Pop.Up Mobility Service, on peut commander un déplacement en choisissant parmi plusieurs scénarios et plusieurs tarifs, de la même façon qu’avec Uber. Cette application est <a href="https://www.lesnumeriques.com/voiture/audi-airbus-italdesign-font-voler-pop-up-next-navette-volante-n81205.html">testée à Mexico et São Paulo</a> par la filiale Voom spécialisée dans les déplacements en hélicoptères. Grâce à une intelligence artificielle, le trajet est optimisé selon les conditions en temps réel et les préférences de l’utilisateur.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/L0hXsIrvdmw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Italdesign et Airbus dévoilent Pop.Up Next, un concept de véhicule modulaire d’avant-garde qui peut rouler et voler.</span></figcaption>
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<p>L’association entre deux groupes aussi innovants et visionnaires qu’Airbus et Volkswagen fait rêver et on imagine le potentiel que cela représente d’associer les compétences et les moyens des leaders mondiaux de l’aéronautique et de l’automobile. Des prototypes ont été présentés conjointement lors du Salon de l’automobile de Genève en 2017, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sKqP1dHgjCc">puis du salon Viva-Tech 2018 à Paris</a>. Une maquette à l’échelle ¼ a par ailleurs été testée en public chaque jour pendant l’<a href="https://www.audi-mediacenter.com/en/audimediatv/video/audi-airbus-and-italdesign-test-flying-taxi-concept-4425">Amsterdam Drone Week en novembre 2018</a>. L’objectif est de pouvoir mettre en service Pop.Up avant 2030.</p>
<h2>Une concurrence qui s’annonce rude</h2>
<p>Les deux géants de l’aéronautique ne sont pas les seuls à vouloir faire voler la planète silencieusement, sans polluer, sans effort, et en toute sécurité. Google compte aussi plusieurs projets de voitures volantes, via sa filiale <a href="https://kittyhawk.aero/">Kitty Hawk</a>, dirigée par Sebastian Thrun, professeur de Stanford, génie de l’intelligence artificielle et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kg2OILxJUKM">pionnier de la voiture autonome</a>. Après avoir dirigé Google X, il s’occupe maintenant de cette start-up de l’aéronautique voulue par Larry Page où il développe <a href="https://flyer.aero/">Flyer</a> et <a href="https://cora.aero/">Cora</a>. Plus proche d’une moto volante que d’un avion ou d’un hélicoptère, Flyer est un drone monoplace de loisir capable de voler <a href="https://www.forbes.com/sites/jeremybogaisky/2018/06/06/step-right-up-to-buy-kitty-hawks-flying-car/#6403b265626d">entre 8 et 12 minutes à 30 km/h et à 10 mètres de haut</a>. Bien que l’on ne connaisse ni son prix ni sa date de disponibilité, il est déjà possible de le <a href="https://flyer.aero/partner/">réserver</a>. Cora est un drone autonome biplace qui ressemble à un petit avion sur les ailes duquel sont fixés 12 rotors, et avec une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kJNACCPqFRQ">grande hélice verticale à l’arrière</a>. Entièrement électrique, il peut parcourir 100 km à 150 km/h.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Le Flyer : la machine volante de Google » (CNN Business, 2018).</span></figcaption>
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<p>Bell Helicopter, filiale de Textron Inc., a présenté le 7 janvier 2019 son projet de taxi volant autonome <a href="https://investor.textron.com/news/news-releases/press-release-details/2019/Bell-Unveils-Full-Scale-Design-of-Air-Taxi-at-CES-2019/default.aspx">au CES 2019 de Las Vegas</a>. Le Bell Nexus est le deuxième drone qui pourrait <a href="https://www.theverge.com/2019/1/7/18168814/bell-air-taxi-nexus-uber-flying-car-hybrid-ces-2019">voler sous la bannière Uber</a> dès l’année prochaine en plus de celui de Boeing. Plus puissant car fonctionnant avec un moteur hybride, il sera <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1o4d8N-A1G8">capable de transporter 5 personnes</a> dans une <a href="https://www.theverge.com/2018/1/8/16865404/bell-helicopter-electric-air-taxi-uber-ces-2018">cabine futuriste</a> qui avait déjà été présentée au CES 2018. Ce nouveau BellAirTaxi se positionne clairement sur le segment du luxe, comme l’indique la <a href="https://www.bellflight.com/company/innovation/air-taxi">vidéo de présentation du concept</a>.</p>
<p>Parmi les autres grands groupes sur les rangs, on peut compter les américains <a href="http://gmauthority.com/blog/2018/11/gm-looks-to-the-sky-discusses-future-flying-cars/">General Motors</a> et <a href="https://medium.com/cityoftomorrow/why-a-car-company-is-looking-to-the-skies-a-glimpse-into-fords-drone-research-8365b4c97833">Ford</a>, les allemands <a href="https://www.engadget.com/2017/09/26/dubai-volocopter-passenger-drone-test/">Volocopter</a>, partenaires de Daimler, et Volkswagen avec <a href="http://www.thedrive.com/tech/18976/porsche-to-develop-passenger-drone-german-report-claims">Porsche</a>, le britannique <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xwBqhsZwF2Y">Rolls-Royce</a> et le japonais <a href="https://www.businessinsider.com/toyota-patent-for-flying-car-2018-9?IR=T">Toyota</a>. Mais le tout premier drone de transport de passagers a été présenté par une <a href="https://www.theguardian.com/technology/2016/jan/07/first-passenger-drone-makes-world-debut">entreprise chinoise, eHang</a>, au CES de 2016. Le eHang 184 a été développé en trois ans par une équipe de 150 ingénieurs avec des technologies 100 % chinoises. En février 2018, il avait effectué des centaines de vols avec un ou deux passagers, y compris dans des conditions extrêmes, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Mr1V-r2YxME">jusqu’à 300 mètres d’altitude à une vitesse de 130 km/h</a>. Le nouveau modèle, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bEZthHwljbk">eHang 216</a>, est déjà commercialisé pour 200 000 euros.</p>
<p>Ce dernier exemple semble indiquer que la <a href="https://newprairiepress.org/ebooks/21/">Chine a pris une longueur d’avance technologique</a> sur les États-Unis et l’Europe à la fois pour les drones à usage militaire, commercial et de loisir.</p>
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<figcaption><span class="caption">« EHang AAV Manned Flight Tests » (eHang, 2018).</span></figcaption>
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<p>Si dans certains pays, la réglementation sur le survol des villes risque de retarder le déploiement des drones de transport de passagers, comme aux États-Unis et en Europe, d’autres pays sont déjà prêts à les accueillir, comme la Chine, le Japon, le Brésil, ou les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DNFO-NtjGFc">Émirats arabes unis</a>. Chaque pays privilégiera probablement dans un premier temps les machines produites par ses entreprises nationales, mais à terme, ce sont vraisemblablement les technologies les plus fiables, durables, silencieuses et économiques qui l’emporteront.</p>
<p>Boeing bénéficie du partenariat avec Uber. Airbus maîtrise le transport urbain aérien à la demande avec sa filiale Voom. Google est <a href="https://www.youtube.com/channel/UCCLyNDhxwpqNe3UeEmGHl8g">à la pointe des véhicules autonomes</a> avec son système adopté par Volkswagen et Toyota. Les trois géants devraient donc a priori devenir incontournables… sauf en Chine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Grands groupes et start-ups espèrent mettre sur le marché ces nouvelles solutions de mobilité dans les toutes prochaines années.Oihab Allal-Chérif, Full Professor, Information Systems, Purchasing and Supply Chain Management, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/918602018-02-14T21:00:17Z2018-02-14T21:00:17ZUber, le capitalisme dévoyé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/206368/original/file-20180214-174986-tngpob.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Uber car…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/33190/">Afagen/VisualHunt </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
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<p>Une entreprise privée peut-elle durablement exister alors qu’elle accumule des pertes abyssales ? Dans une économie de marché, les sociétés les plus rentables sont supposées prospérer, alors que celles qui se révèlent incapables de créer des richesses sont censées disparaître. Il existe pourtant une stupéfiante exception à cette logique : Uber.</p>
<h2>Des investisseurs face à de prodigieux déficits</h2>
<p>Avec une valorisation de près de 50 milliards de dollars, la plateforme californienne de location de voitures avec chauffeur est la plus grosse des licornes, ces fameuses startup non cotées en Bourse mais valorisées à plus d’un milliard. Aux États-Unis, sa part de marché est d’environ 70 %, alors qu’elle s’enorgueillit d’être présente dans plus de 630 villes dans le monde, avec plus d’un million et demi de chauffeurs et un cumul de plus de 1,5 milliard de courses.</p>
<p>Pourtant, Uber vient de publier ses résultats 2017, et comme ceux des années précédentes, ils sont absolument catastrophiques. Uber a subi une perte de 4,5 milliards de dollars, pour un <a href="http://bit.ly/2Cj4OYw">chiffre d’affaires de 7,5 milliards</a>. Sur les quatre dernières années, ses pertes cumulées avoisinent désormais les 10 milliards. Pourtant, cela n’a pas empêché le Japonais Softbank d’y investir en décembre dernier un peu plus de 10 nouveaux milliards, qui s’ajoutent aux 12 milliards déjà levés depuis la création de l’entreprise en 2009.</p>
<p>Parmi ses autres investisseurs, on compte notamment les banques Goldman Sachs et Morgan Stanley, le courtier Fidelity, ainsi que le <a href="http://bit.ly/2qwsEPF">fonds souverain saoudien</a>. Comment des capitalistes a priori aussi avisés peuvent-ils renouveler leur soutien à une entreprise aussi prodigieusement déficitaire ?</p>
<h2>Combien vaut une entreprise aussi déficitaire ?</h2>
<p>Bien entendu, les financiers soulignent que la valeur d’une entreprise correspond à l’actualisation de ses gains futurs, et que si l’on suppose qu’Uber sera profitable un jour, on peut tout à fait accepter qu’elle ne le soit pas aujourd’hui : il suffit d’attendre que les bénéfices à venir viennent compenser les pertes accumulées.</p>
<p>Amazon, qui a toujours été déficitaire avant son introduction en Bourse – et dont la rentabilité est restée extrêmement modeste depuis – est souvent cité en exemple. On pourrait aussi évoquer Microsoft, qui n’a versé aucun dividende au cours de ses 17 premières années d’existence, ou encore Apple, qui a connu pas moins de 29 années de résultats médiocres avant de devenir l’entreprise la plus riche du monde. Reste que le montant des pertes d’Uber est sans équivalent, que ce soit en valeur absolue, mais aussi en proportion de son chiffre d’affaires.</p>
<p>Tout gestionnaire comprend aisément qu’une entreprise dont le déficit s’élève a 60 % de son chiffre d’affaires a un problème structurel de modèle économique. En France, une seule entreprise connue fait encore pire : Ouibus, le service d’autocars de la SNCF, <a href="http://bit.ly/2EsDqct">qui en 2016 a subi une perte égale à son chiffre d’affaires</a>. Cependant, on parle ici de la filiale d’une entreprise publique, a priori moins exposée aux rigueurs du libéralisme, et les montants (45,67 millions d’euros de pertes pour 45,70 millions d’euros de chiffre d’affaires) ne sont absolument pas comparables avec la machine à brûler des milliards qu’est Uber.</p>
<h2>Acheter des parts de marchés</h2>
<p>Au passage, comment fait Uber pour perdre autant d’argent ? Après tout, son modèle économique est fondé sur la commission : à chaque fois qu’un client réserve une voiture, Uber reverse 75 % de la course au chauffeur et en conserve 25 %. Dans ces conditions, comment est-il possible d’être déficitaire ?</p>
<p>En fait, face à ses nombreux concurrents (le Chinois Didi, l’Américain Lyft, l’Indien Ola ou le Singapourien Grab) Uber se bat en multipliant les promotions pour ses clients, mais surtout pour ses chauffeurs. La logique sous-jacente est que dans une industrie de plateforme, où les effets de réseau sont supposés considérables, c’est le plus gros qui finira par emporter la mise (ce que l’on appelle en anglais « winner takes all »).</p>
<p>Par conséquent, il est indispensable pour Uber et ses concurrents d’acheter de la part de marché, et ce à n’importe quel prix, afin d’être le plus gros et de le rester. Lors de son arrivée sur le marché parisien en octobre 2017, Taxify, filiale de Didi, a ainsi offert une réduction de 50 % sur le <a href="http://bit.ly/2BZDgMf">prix des courses pendant un mois</a>.</p>
<p>Bien entendu, pour préserver sa couronne, Uber est obligé de proposer lui aussi des réductions et de multiplier les dépenses publicitaires, ce qui provoque une escalade de déficits. Un phénomène comparable se produit dans l’industrie de la livraison de repas par coursier, dans laquelle s’affrontent Deliveroo, Foodora et (là encore) Uber, avec son service UberEats : tous ces concurrents accumulent les résultats négatifs, donnant l’impression que pour l’emporter, il ne s’agit pas d’être ni plus performant ni plus rentable, mais de supporter des pertes pendant plus longtemps.</p>
<p>Fondé en 2013, le Belge Take-Eat-Easy, malgré des levées de fonds conséquentes, n’en a pas été capable : il a fait faillite en 2016.</p>
<h2>Quand les investisseurs remplacent les clients</h2>
<p>Or, l’hypothèse du « winner takes all » est-elle vérifiée pour Uber et ses concurrents ? D’un point de vue stratégique, on peut légitimement en douter, quand on voit que les barrières à l’entrée sont en fait limitées. Pour une application sur smartphone, la concurrence est à un centimètre sur l’écran, et les chauffeurs comme les utilisateurs n’ont aucune raison d’être fidèles, tant que la qualité de service est interchangeable.</p>
<p>Cette porosité est encore renforcée par le fait que pour éviter une requalification en salariat de ses chauffeurs par l’URSSAF, Uber leur demande désormais de travailler parallèlement pour d’autres plateformes. Même les vénérables compagnies de taxi, aiguillonnées par Uber, proposent à présent des applications géolicalisées, avec paiement intégré par carte de crédit et évaluation du chauffeur. Au total, l’avantage concurrentiel d’Uber semble pour le moins fragile.</p>
<p>Dans une entreprise capitaliste normale, les fournisseurs, les loyers et les salaires sont payés par les clients : c’est en leur vendant une offre à un prix supérieur au coût (en créant de la valeur) que l’on dégage la rentabilité qui finance l’activité, et si possible la croissance. Toute stratégie vise à assurer cette création de valeur au-delà des coûts, seule capable d’envisager la pérennité. Une stratégie réussie se mesure avant tout par la capacité à dégager une rentabilité durablement supérieure à celle des concurrents, ce que l’on appelle en général un avantage concurrentiel.</p>
<p>Or, dans le cas d’Uber et de ses avatars, ce sont en fait les levées de fonds qui permettent l’activité : les investisseurs remplacent (et dans une certaine mesure financent) les clients. À chaque fois que vous prenez un Uber, vous pouvez vous dire que Goldman Sachs, le fonds souverain saoudien ou Softbank payent l’essentiel de votre course.</p>
<h2>Scandales à répétitions… et voitures autonomes</h2>
<p>Alors que le fondateur d’Uber a été écarté, après une série de scandales pour <a href="http://bit.ly/2o6lg9j">harcèlement, fraude</a> et <a href="http://bit.ly/2Eq8ppw">dissimulations diverses</a>, que certaines villes comme Londres ont <a href="http://lemde.fr/2jRQhPk">retiré leur agrément</a>, que l’Europe a décidé que la réglementation sur les <a href="http://bit.ly/2DfKBVa">transports devait s’appliquer</a>, ou que la France a imposé une qualification <a href="http://bit.ly/2EHOxS7">plus exigeante pour les chauffeurs</a>, on peut légitimement se demander combien de temps cette caricature de capitalisme peut encore faire illusion. Et ce n’est certainement pas le projet de remplacer les chauffeurs <a href="http://bit.ly/2BYFDPa">par des voitures autonomes</a> qui peut rassurer sur son avenir.</p>
<p>En effet, toute la stratégie d’Uber et des autres plateformes numériques comme Airbnb, BlaBlaCar ou LeBonCoin, repose sur l’idée qu’un investissement relativement limité permet de fédérer un nombre considérable d’utilisateurs. Si Uber compte plus d’un million et demi de chauffeurs (que la société qualifie d’ailleurs de « chauffeurs avec Uber » et non de « chauffeurs Uber »), elle n’a qu’une dizaine de milliers de salariés, et surtout elle ne possède aucune voiture.</p>
<p>Ses investissements concernent quasi exclusivement la technologie et le marketing, et sa logique consiste à avoir le moins d’actifs fixes possible. Or, si jamais il lui fallait acheter les voitures, ses besoins en capitaux seraient gargantuesques et son modèle économique radicalement métamorphosé. Sa situation financière semble peu propice à un changement aussi coûteux.</p>
<h2>Le vrai apport d’Uber ? L’ubérisation</h2>
<p>Au total, si Uber venait à disparaître, qu’en resterait-il ? On l’a vu, les conséquences pour les chauffeurs et les utilisateurs seraient limitées, puisqu’il leur est facile de se tourner vers les concurrents. En fait le principal héritage d’Uber sera peut-être le concept d’uberisation lui-même. Si le terme est souvent utilisé à tort et à travers, l’uberisation décrit en toute rigueur le phénomène par lequel des entreprises établies sont concurrencées par des plateformes numériques mettant en relation des prestataires et des clients qui s’évaluent mutuellement.</p>
<p>De fait, les salariés sont remplacés par des indépendants. D’un point de vue plus stratégique, on peut aussi dire que l’uberisation concurrence des ressources stratégiques (par exemple les licences de taxi ou les emplacements pour les hôtels) par la mutualisation de ressources ordinaires (des individus possédant une voiture ou des logements vides).</p>
<p>Le prix d’une licence de taxi à New York s’est ainsi effondré de 1,3 million de dollars en 2014 à <a href="http://cbsn.ws/2BXGcce">seulement 241 000 dollars en 2017</a>.</p>
<p>On peut donc en être certain : même si Uber disparaît, l’uberisation – qui touche désormais des industries aussi diverses que le transport routier (avec <a href="https://trusk.com/">Trusk</a>), les parkings (avec <a href="https://www.parkadom.com/">Parkadom</a>), la publicité (avec <a href="https://fr.eyeka.com/">Eyeka</a>), le conseil (avec <a href="https://businesstalentgroup.com/">BTG</a>) ou même les salons de coiffure (avec <a href="https://www.popmyday.com/fr">PopMyDay</a>) – lui survivra, et c’est déjà considérable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Fréry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quel est le système qui conduit Uber à afficher des pertes aussi catastrophiques ? Sur quoi fonctionne la course aux parts de marché de l’inventeur de l’ubérisation ? Analyse d’un anti-modèle.Frédéric Fréry, Professeur de stratégie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/784402017-05-30T23:06:10Z2017-05-30T23:06:10ZUber : analyse de l’effet de domination<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/171351/original/file-20170529-25233-1z0w5na.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C4%2C1585%2C1015&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un client descend d'une voiture Uber</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/18947075953/5a3fcd395a/"> dharder9475 via Visualhunt </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>L’économie digitale repose sur des algorithmes et des données. Leur utilisation reconfigure les situations de marchés, aussi bien celui des services que celui du travail. La stratégie d’Uber est mise en œuvre dans le cadre de fortes asymétries créées par l’organisation de la chaîne de valeur sur le marché des transports de personnes.</p>
<p>S’agissant des <a href="http://bit.ly/2rOsjrf">plateformes collaboratives</a>, la technologie et la globalisation ont favorisé la création de marchés quasi-monopolistiques qui, <a href="http://bit.ly/2rxrC5K">dans le cas d’Uber</a>, ont abaissé à la fois les barrières à l’entrée pour les chauffeurs et les coûts d’information pour les usagers.</p>
<p>Les positions traditionnellement acquises ont été contestées, l’augmentation du nombre des véhicules a accru la concurrence, entraîné une <a href="http://bit.ly/2r4tTE1">redistribution des rentes</a> et favorisé la création de nouvelles opportunités d’emploi et de revenu pour des personnes peu ou pas qualifiées.</p>
<p>Les nouvelles opportunités se réalisent d’autant plus facilement que les coûts d’ajustement sont faibles, la main-d’œuvre étant souvent issue du chômage, donc recherchée même « sans expérience préalable ». Cela a conduit les organisations en place (en particulier G7 à Paris) à demander aux pouvoirs publics d’égaliser les conditions de la concurrence de façon à maintenir leur activité.</p>
<h2>Les formats de la prestation de services se modifient</h2>
<p>Uber fait coexister, selon <a href="http://bit.ly/1YeZQDD">J. Mokyr, C. Vickers et N. Ziebarth (2015)</a>, un marché du travail centralisé avec un emploi flexible. Grâce à la technologie, les décisions relatives à chaque course sont gérées à partir de la plateforme de manière identique (parc homogène de voitures, gestion des appels, mécanisme des prix et des prélèvements). La flexibilité de l’emploi se réalise par la réputation qui se déplace d’un cran. Uber assure la vente de services, mais n’engage pas sa réputation.</p>
<p>La réputation engagée est celle des chauffeurs individuels qui peuvent être remerciés (déconnectés de l’application) à partir des évaluations fournies par les clients. L’application précise en effet : « Notez votre chauffeur et commentez anonymement votre course. Vos avis permettent aux chauffeurs d’améliorer leur service. » La technologie permet la construction d’effets de réputation individuels à partir de séries statistiques anonymes.</p>
<p>Si l’effet de réputation est positif, cela se fait au bénéfice de la firme. La seule façon d’accroître les revenus pour les chauffeurs (les primes existent mais sont très difficiles à obtenir), Uber fixant les prix et les commissions qui ont augmenté de cinq points récemment, est d’augmenter leur temps de travail en multipliant les courses.</p>
<p>On retrouve ici une notion bien connue de la pensée marxiste, celle de plus-value absolue. Cette organisation favorise l’apparition de nouvelles formes de fragilité (l’évaluation directe par les clients) et ouvre de nouvelles brèches sociales puisque le travail indépendant ne bénéficie pas de la protection sociale.</p>
<h2>Des litiges juridiques en perspective</h2>
<p>De nouvelles formes d’inégalité se créent. Elles s’expliquent à la fois par les avancées technologiques et la globalisation. Uber est présente dans 80 pays et plus de 500 villes et sa part de marché dans le transport des personnes atteint les 80 % dans certains pays. De ce point de vue, il semble que les nouvelles technologies numériques, par des applications intelligentes, <a href="http://bit.ly/2nPvLxe">modifient les règles du jeu dans cette activité</a> et permettent d’accroître la satisfaction de la clientèle. Dans le même temps où elles fragilisent les relations sociales et accentuent les oppositions entre la direction (les fondateurs) et les chauffeurs considérés comme indépendants.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2qsiVK4">Des litiges se multiplient</a> dans différents pays, initiés par les associations de taxis, les caisses de sécurité sociale, les mairies, etc. Uber s’affranchit des législations sur le transport de personnes en faisant valoir sa spécificité de plateforme numérique ne jouant qu’un rôle d’interface entre des chauffeurs indépendants et des clients.</p>
<p>Saisie par un juge espagnol, la Cour de justice européenne précise qu’Uber relève du domaine du transport et peut donc être obligé de posséder les mêmes licences et agréments que les taxis. L’indépendance des chauffeurs est un argument artificiel puisque leur activité, qui peut atteindre jusqu’à 60 heures hebdomadaires, ne peut pas se concevoir en dehors de leur relation d’emploi avec Uber. Il y a donc bien une situation de dépendance économique.</p>
<h2>Une répartition déséquilibrée</h2>
<p>La technologie élargit le champ des possibles, elle favorise la création du concept de « services à la demande » et l’ascension rapide des licornes de l’économie collaborative. La capitalisation d’Uber, qui n’est pas cotée en bourse, avoisine aujourd’hui les 68 milliards de dollars.</p>
<p>Les directeurs/fondateurs ont par ailleurs verrouillé les organes de décision en s’attribuant des actions préférentielles qui leur accordent dix droits de vote par rapport aux actions normales qui n’en possèdent qu’un. Cependant, à partir du moment où la technologie quitte le cerveau des mathématiciens et des ingénieurs à l’origine de l’application pour « épouser » une forme capitalisée et organisée au sein d’une entreprise, rien n’obligeait les fondateurs d’Uber à déséquilibrer à ce point le triangle de la répartition entre profits, prix et revenus du travail : c’est-à-dire à faire prévaloir l’accumulation de rentes au profit des fondateurs et la satisfaction des utilisateurs (baisse des prix par rapport à ceux pratiqués par les concurrents), au détriment des chauffeurs dont les revenus sont pris en étau entre les prix et les commissions imposés par la plate-forme.</p>
<p>Le problème est double. La direction d’Uber admettra-t-elle que les chauffeurs sont en <a href="http://bit.ly/2rcRC3n">situation de dépendance</a>, ce qui est le propre d’une relation d’emploi et qui implique une rémunération du travail permettant la couverture des charges et de la protection sociale (y compris les cas de maladie et d’invalidité) ?</p>
<p>Du côté des chauffeurs, la question est de savoir comment les mécanismes de fonctionnement, qui seront sûrement améliorés par crainte d’une intervention législative, déplacent les points de référence que ces personnes utilisent pour apprécier et comparer leurs vies respectives.</p>
<h2>Substituer le code informatique à la loi ?</h2>
<p>Plus généralement, les plateformes digitales sont des structures de gouvernance privées qui empiètent sur les institutions existantes : activées par des algorithmes, elles cherchent à instituer un ensemble de règles qui organisent ce qui peut être fait par qui et en quels termes (<a href="http://bit.ly/2bg2wRQ">Kenney et Zysman, 2016</a>). C’est-à-dire à faire prévaloir, selon ces auteurs, le code informatique sur le code juridique. Inévitablement, des choix politiques seront nécessaires pour <a href="http://bit.ly/2sdGume">encadrer le déploiement</a> et le fonctionnement de ces plateformes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/78440/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Exploration des mécanismes économiques sous-jacents au système Uber.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/760662017-04-20T18:16:22Z2017-04-20T18:16:22ZUber a suscité une nouvelle génération de chauffeurs VTC<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/166150/original/file-20170420-20082-qkz2aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Intérieur Ford Puma</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Illuminated_Interior_Ford_Puma_1.7.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis 2011 et l’arrivée d’entreprises de taxis sans licence réservables par Internet, dont la plus célèbre est la firme américaine Uber, le monde du taxi s’est transformé. Tout d’abord, il y a eu augmentation globale du nombre d’entreprises de voiture de transport avec chauffeur (VTC) sur le territoire français, mais pas partout : la hausse a surtout eu lieu en région parisienne et autour des grandes villes tandis que le nombre d’entreprises de VTC a diminué dans les départements ruraux.</p>
<iframe id="infographie-ID1171" src="https://data-tc.com/iframe/?infography=1171" width="100%" height="550" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p><em>Évolution du nombre d’entreprises de « VTC » (code NAF/APE 4932Z) avant et après 2011. Cliquez sur les boutons pour changer de période. Réalisation Baptiste Coulmont et Sylvain Lapoix. Source : <a href="https://www.sirene.fr/sirene/public/accueil">Sirene</a> et <a href="https://www.insee.fr/fr/accueil">Insee</a>.</em></p>
<p>Les entrepreneurs, eux aussi, ont changé. Ils sont plus jeunes et on remarque plus de noms de tradition maghrébine. Comparativement à avant 2011, il y a, après 2011, moins d’Alain, de Philippe, de Jean et de Patrick. Et très probablement plus d’immigrés ou de descendants d’immigrés : on trouve plus fréquemment Ahmed, Ali, Mohamed et Karim au volant de la voiture.</p>
<iframe id="infographie-ID1109" src="https://data-tc.com/iframe/?infography=1109" width="100%" height="400" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p><em>Évolution de la fréquence des prénoms chez les créateurs d’entreprises de transport automobile de passagers. Réalisation Baptiste Coulmont et Sylvain Lapoix. Source : <a href="https://www.sirene.fr/sirene/public/accueil">Sirene</a> et <a href="https://www.insee.fr/fr/accueil">Insee</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Baptiste Coulmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’arrivée d’Uber et d’autres sociétés de voitures réservables par Internet a révolutionné la profession de chauffeur. Évolution de cette population.Baptiste Coulmont, Sociologue, maître de conférences à l'université Paris 8 , Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/762672017-04-18T20:03:21Z2017-04-18T20:03:21ZLa manipulation secrète des utilisateurs d’Uber dévoilée par des lanceurs d’alerte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165386/original/image-20170414-25894-rg28wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vrai ou fausse voiture ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/senatormarkwarner/19588717540">Mark WarnerFlickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Quel point commun discernez-vous entre Volkswagen, Facebook et Uber ? Ces entreprises utilisent le code informatique pour violer la loi, donc nuire aux usagers, et ce en toute impunité jusqu’à ce qu’un lanceur d’alerte ou une autorité porte l’information publique.</p>
<h2>Tromperie, censure et discrimination : quelle éthique pour les réseaux sociaux et les applications mobiles ?</h2>
<p>Quelle est la différence entre optimiser les émissions polluantes de véhicules automobiles lors des cycles d’homologation et appliquer un algorithme pour sélectionner des contenus sur un réseau social ou une application mobile ? Aucune : dans les deux cas, la donnée est choisie, triée, écrémée… Pourquoi ? Éviter des poursuites judiciaires, afficher des résultats flatteurs aux clients pour les maintenir captifs des produits et services, avec une conséquence immorale : tromper les autorités, les utilisateurs et les différencier pour mieux les discriminer.</p>
<p>Uber a reconnu avoir trompé ses utilisateurs depuis 2014 grâce à un programme appelé « Greyball » présentant une fausse carte et des voitures fantômes à ceux <a href="http://www.internetactu.net/2017/04/11/uber-les-gouvernances-fantomes/">que la société identifiait comme étant ses « opposants »</a>. La société leur affiche aussi une « autre version » de la réalité afin que ses employés testent des fonctionnalités ou encore dissuadent ces utilisateurs méprisables qui osent utiliser l’application en violation des conditions générales, le <a href="http://therideshareguy.com/how-uber-deceives-the-authorities-worldwide/">tout avec l’aval de son service juridique</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/165392/original/image-20170414-25882-el15ns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour vous, vraiment ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/afagen/8862976586">Adam Fagen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Les informations et documents ont été révélés par quatre lanceurs d’alerte, employés d’Uber. La société avait créé un périmètre géographique virtuel autour des bâtiments officiels de Portland et traqué l’activité de son application pour garder à l’œil les utilisateurs. Elle avait étiqueté comme opposant Mr. England, représentant de la ville de Portland, où l’application n’avait pas été approuvée : elle lui a présenté une fausse version de l’application pour éviter d’être poursuivie. Comment avait-elle identifié Mr. England ? Très simple : 60 employés d’Uber analysent en permanence les mouvements bancaires sur le secteur et croisent les données avec celles publiées sur les réseaux sociaux et Internet (d’où l’expression « testent des fonctionnalités »). Les employés s’étaient aussi rendus dans les boutiques de téléphones mobiles dans ce même périmètre pour repérer les modèles les moins chers et leurs numéros de série : rappelez-vous que l’identifiant de l’interface de navigation est collectée automatiquement par l’application… ! Ainsi, la société montrait à tous ses opposants une fausse version de l’application, avec des véhicules fantômes, ou pas de véhicule du tout !</p>
<p>Mais il ne s’agit pas d’une simple procédure validée par les juristes d’Uber… Il s’agit de sauvegarder les profits de la société. Les autorités nationales quant à elles, tentent de protéger les usagers en s’assurant que les chauffeurs respectent la réglementation locale à des fins de sécurité.</p>
<h2>Des développeurs omnipotents, sans foi ni loi</h2>
<p>Le numérique est clairement utilisé pour avoir des conséquences dans le monde physique : orienter vos comportements, vos décisions, vos achats, échapper aux contrôles des autorités et à des poursuites judiciaires… Protection du modèle économique de la société <em>versus</em> obstruction à la justice et tromperie des utilisateurs : l’analyse des risques est vite faite. Dans le <a href="http://www.marketing-strategie.fr/2010/05/15/10-conseils-pour-reussir-lanalyse-s-w-o-t/">SWOT</a> de la société Uber, l’équilibre entre les opportunités et les menaces est reflété par un algorithme toxique pour la sécurité de ses clients.</p>
<p>L’annonce que <a href="https://www.cnet.com/news/Facebook-fake-news-mark-zuckerberg/">Facebook traque les faux comptes faisant circuler des <em>fake news</em></a>, comme les faux messages viraux sur les réseaux sociaux (<em>click bait</em>) sonnent aussi faux quand on sait que son algorithme n’a rien de neutre ! Les blocs apparaissant sur le mur de votre page correspondent à une sélection générée par vos mentions « j’aime » et vos propres posts, recoupés avec vos données sur Instagram et Whatshapp, plus toutes celles librement disponibles sur le net. D’ailleurs, en mars 2016 <a href="http://blog.instagram.com/post/141107034797/160315-news">Instagram a annoncé</a> qu’elle sélectionnera ses contenus qui ne seront plus présentés de manière chronologique mais selon un algorithme qui affichera aux utilisateurs ce qui est le plus susceptible de les intéresser.</p>
<h2>Un algorithme pour contourner la loi est-il légal ?</h2>
<p>Nous savons nos données malléables, les équipes d’analyse maligne des données comportementales à des fins de marketing ciblé s’en donnent à cœur joie sur les plateformes de données consommateurs. Mais avec l’affaire Uber, un pas a été franchi : ces mégadonnées générées par les applications, les objets connectés et la navigation Internet sont autant de leviers de discriminations entre les mains des entreprises qui choisissent leurs clients et donc en excluent une partie de façon indécelable.</p>
<p>Quelles applications et sites web sont dignes de confiance ? Comment être sûr de ne pas se faire berner ? De ne pas cliquer sur le piège ? Laisser les limites de l’envahissement technologique aux mains de sociétés privées ne semble pas être l’idée du siècle. Avec l’apparition de nouveaux modèles économiques, la frontière de la légalité a été mise à mal une première fois, amenant les autorités nationales ou locales à « négocier » le respect de la loi avec ces entreprises dites innovantes. Aujourd’hui, c’est l’utilisation du code informatique par ces mêmes entreprises qui est questionnée. Il nous faut davantage légiférer sur les algorithmes, opérer des contrôles et donc attribuer les moyens techniques et humains à la hauteur des prétentions des ennemis de l’éthique pour assurer la protection de chacun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76267/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Utiliser le code informatique pour violer la loi donc nuire aux usagers en toute impunité jusqu’à ce qu’un lanceur d’alerte ou une autorité porte l’information publique. Il y en a qui ont essayé…Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/738912017-03-07T20:59:53Z2017-03-07T20:59:53ZLes mystères de l’uberisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/159403/original/image-20170305-29022-gff4f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C3254%2C2115&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Makers space Steam Labs, Toronto : un nouveau modèle d'innovation collective ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/77662096@N06/29374871640/in/photolist-M9j6dh-LKKTW9-LKL9tL-McsFAF-LKKTKC-M5gPWi-M5gPCc-McsJki-LfgkbT-LKKSJj-LKLc9q-M2DT4A-M9jsq7-M2DSBd-M9jrzu-M9jrdN-M9jqMs-LKL93q-M9jquo-McsK3a-Lf6X6u-M9jmeQ-LKL4Bw-Lf6Weu-LKL4sd-LfgkPg-McsHhg-M9jkmY-McsHdD-McsH3D-LKL49h-M9jjM1-M9jiz1-McsF5a-McsENi-Lf6Tr5-M9jdTC-Lf6Mx1-Lf6MjA-M9jbdh-McsyQM-Lf6HwL-Lf6DU5-LKKTwS-M2Dwi7-M9j4Gm-Lf6Cu1-M9j4r1-M5gA12-Lf6BpW/">Sharon VanderKaay/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En ce début de siècle, une innovation technologique majeure agite les esprits et encourage toutes les ambitions entrepreneuriales.</p>
<p>La voiture automobile remplace rapidement le fiacre dans les rues de Paris, et la Compagnie Française des Automobiles de Place, fondée en 1905, compte bien en profiter. Cédée à Renault puis à Simca, l’entreprise – devenue la Compagnie des taxis <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxis_G7">G7</a> et reprise par André Rousselet – connaît des hauts et des bas. Pour alléger ses coûts salariaux, la compagnie imagine, dans les années 1970, un nouveau <a href="http://www.liberation.fr/futurs/1995/04/24/taxis-histoire-d-une-sous-proletarisation-a-la-g7-700-voitures-6-chauffeurs-salaries-tous-les-autres_129364">modèle</a> d’affaires : un service de taxi opéré par des chauffeurs indépendants.</p>
<p>Autre siècle, autre technologie : l’idée fondatrice d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Uber_(entreprise)">Uber</a> – également née à Paris selon la <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Uber-un-concept-ne-a-Paris-et-developpe-dans-la-Silicon-Valley-2014-12-15-1253962">légende</a> – s’inspire aussi d’une innovation technologique, celle des réseaux numériques. Établie en 2009, Uber semble de prime abord difficilement comparable à la vénérable G7. Financée par des <a href="https://www.lesechos.fr/02/06/2016/lesechos.fr/021989276136_le-buzz-des-etats-unis---uber-leve-3-5-milliards-de-dollars-aupres-d-un-fonds-souverain-saoudien.htm">levées de fonds</a> massives, la start-up américaine croît vite et affiche l’ambition de dominer le marché mondial du transport de personnes, en s’appuyant sur une plateforme technologique avancée et un modèle de revenu original.</p>
<p>À y regarder de près, néanmoins, le modèle d’affaires d’Uber ne diffère guère de celui de la G7. L’entreprise fonctionne en <a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2012/06/22/cercle_48234.htm">« marché biface »</a>, une plateforme qui met en relation des clients et des chauffeurs indépendants. Le statut juridique des chauffeurs, la tarification, et les technologies employées sont certes différents. Mais d’un point de vue stratégique, la nouveauté du modèle et l’avantage concurrentiel qu’il confère à Uber – aujourd’hui en <a href="http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/12/20/32001-20161220ARTFIG00132-uber-va-perdre-3-milliards-de-dollars-cette-annee.php">lourde perte</a> – restent à démontrer.</p>
<h2>Une percée foudroyante… dans les discours</h2>
<p>Il est toutefois un domaine dans lequel le succès d’Uber est incontestable : l’imaginaire collectif. Les <a href="http://www.latribune.fr/technos-medias/kartable-la-startup-qui-veut-uberiser-les-manuels-scolaires-507705.html">manuels</a> scolaires, la <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/03/19/sea-bubbles-alain-thebault-seine-voler_n_9475590.html">Seine</a>, les <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-145081-avocat-une-profession-uberisable-1180383.php">avocats</a> ou encore la <a href="http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/01/12/31001-20160112ARTFIG00200-macron-va-t-il-uberiser-la-politique.php">politique</a> : l’<em>uberisation</em> est annoncée de toutes parts. À en croire les <a href="https://www.uberisation.org/">zélotes</a>, nul ne serait à l’abri d’une lame de fond qu’ils annoncent inéluctable.</p>
<p>L’expression a fait une foudroyante percée dans le discours médiatique, au point de figurer aujourd’hui en bonne place dans les <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/le-defi-numerique/uberisation-du-travail-faire-le-tri-entre-les-vertueux-et-les-autres_433949">débats</a> de l’élection présidentielle. Apparue pour la première fois en France dans la retranscription d’une <a href="https://www.ft.com/content/377f7054-81ef-11e4-b9d0-00144feabdc0#axzz3M8s3UwVa">interview</a> donnée fin 2014 par Maurice Lévy au Financial Times, l’expression « uberiser » sent pourtant encore l’encre fraîche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=243&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159541/original/image-20170306-931-190c2fi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=306&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Articles mentionnant « uberisation », « uberizer », « uberization », « uberize » dans la base presse Factiva.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un concept ambigu et bigarré</h2>
<p>Défaut de jeunesse peut-être, l’ambiguïté du terme n’a d’égale que sa popularité. Les articles sur l’uberisation renvoient pêle-mêle à une palette de concepts pas toujours bien assortis, de l’<a href="http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/economie-collaborative">économie collaborative</a> à la société <a href="https://theconversation.com/lentrepreneuriat-alterne-en-finir-avec-le-mythe-dune-societe-post-salariale-73636">post-salariale</a>, en passant par la <a href="http://www.latribune.fr/economie/france/transformation-numerique-les-entreprises-a-la-peine-617373.html">transformation numérique</a>. Ils convoquent dans le désordre la pensée de <a href="http://www.economie.gouv.fr/facileco/ronald-coase">Ronald Coase</a>, de <a href="http://www.economie.gouv.fr/facileco/joseph-schumpeter">Joseph Schumpeter</a> ou, plus proche de nous, de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Rifkin">Jeremy Rifkin</a>. Leur tonalité oscille entre optimisme béat et dénonciation indignée, entre grand soir productif et esclavage moderne.</p>
<p>Il n’est pas évident de reconnaître l’entreprise Uber dans ce portrait-robot bigarré. La <a href="http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/06/25/michel-bauwens-uber-et-airbnb-n-ont-rien-a-voir-avec-l-economie-de-partage_4661680_1656994.html">dimension collaborative</a> de la plateforme ne saute pas aux yeux. Si Uber a bien secoué le marché des taxis, son modèle n’est pas une « innovation de rupture », au-moins au sens où l’entend le <a href="https://hbr.org/2015/12/what-is-disruptive-innovation">professeur Christensen</a> à l’origine de ce concept. Quant à l’emploi d’indépendants, c’est loin, nous l’avons dit, d’être une nouveauté dans ce secteur. De fait, seule une infime proportion des articles consacrés aujourd’hui à l’uberisation – moins de 5 % – fait explicitement référence à la firme de San Francisco.</p>
<h2>Un mystère et une invitation</h2>
<p>Ce qui nous laisse une énigme : si Uber n’uberise pas (ou peu), pourquoi l’entreprise est-elle devenue l’emblème de ce phénomène perçu de transformation de la société ?</p>
<p>Pourquoi ne parlons-nous pas plutôt de « googlisation » ? Après tout, s’il est une organisation qui a contribué à transformer l’économie mondiale – à commencer par la <a href="https://gigaom.com/wp-content/uploads/sites/1/2013/04/google-v-newspapers-pptx.jpeg">presse</a> – c’est bien le géant de Mountain View.</p>
<p>Le mystère résiste à l’investigation empirique. Certains noteront qu’uberisation sonne mieux. La <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1386418115300483">recherche</a> montre que la prononciation a son importante. D’autres feront remarquer qu’un phénomène de transformation sociale perçu comme nouveau appelle un nom nouveau. Après tout, Google est une entreprise née au siècle passé. Il est aussi probable que la personnalité, sulfureuse, du patron d’Uber ait contribué à attirer l’attention des médias et du public. Il est vrai que <a href="http://www.capital.fr/enquetes/documents/portrait-de-travis-kalanick-le-tres-brutal-fondateur-d-uber-1009120">Travis Kalanick</a> est de ceux qui font vendre du papier et génèrent du trafic publicitaire.</p>
<p>Une partie de l’explication est peut-être à chercher ailleurs. Au-delà d’un phénomène transformatif de la société, réel ou fantasmé, présent ou à venir, l’uberisation renvoie à une émotion forte, tenace, que le publicitaire Maurice Lévy a bien pressentie : la <a href="http://www.latribune.fr/technos-medias/20141217tribd1e82ceae/tout-le-monde-a-peur-de-se-faire-uberiser-maurice-levy.html">peur</a> de « se faire uberiser ». C’est une peur profonde, primaire, qui tiraille nos sociétés modernes : celle de la disparition de ces entreprises qui nous sont familières et <a href="http://www.editionsbdl.com/fr/books/la-dsorganisation-du-monde/76/">façonnent</a> notre quotidien, du remplacement du travail de l’homme par celui du robot, et d’un glissement vers un monde nouveau, nécessairement inconnu.</p>
<p>Cette peur est d’autant plus insidieuse que nul ne sait dire avec précision ce qu’est l’uberisation. Celui qui <a href="https://theconversation.com/les-mots-du-management-et-si-on-faisait-le-menage-56518">parle mal</a>, pense mal, nous avertit <a href="https://www.youtube.com/watch?v=so51Q8w1xlE">Nanni Moretti</a> : la vacuité du concept nous dispense de penser et offre une formidable chambre d’écho à notre peur collective.</p>
<p>Il n’est pas anodin que cette peur soit associée à une organisation. Ainsi va le monde qu’il est de plus en plus <em>organisé</em>. Pour celui qui s’intéresse à la <a href="https://www.amazon.fr/Th%C3%A9ories-organisations-Fran%C3%A7ois-Xavier-Vaujany/dp/2717868267">théorie des organisations</a>, l’uberisation s’inscrit dans une longue histoire de transformation de l’organisation du travail, des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire aux multinationales modernes, en passant par les guildes du Moyen Âge.</p>
<p>Comprendre l’uberisation, c’est reconnaître que les formes d’organisation que nous prenons pour des faits naturels immuables n’en sont pas. C’est accepter l’inéluctable évolution – et peut-être un jour la disparition – de cette forme bureaucratique, relativement récente et à bien des égards imparfaite, que nous appelons « entreprise ». C’est réaliser que les formes d’organisation de demain ne sont pas prédéterminées et qu’aucun modèle – pas plus celui d’Uber qu’un autre, ne s’impose à nous. Sauf si nous y consentons.</p>
<p>L’uberisation, en somme, n’est pas une force transcendante et irrésistible, mais une invitation à <a href="https://theconversation.com/a-lere-du-travail-collaboratif-il-faut-repenser-lorganisation-59321">inventer</a>, expérimenter et construire de nouveaux modèles d’organisation, plus efficaces, plus justes et plus humains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Jourdan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tout le monde en parle, mais qu’est-ce que l’uberisation ? Retour sur un concept aussi ambigu que populaire.Julien Jourdan, Professeur, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/738902017-03-07T20:59:45Z2017-03-07T20:59:45ZFace à l’uberisation, comment renouveler les capacités créatives de l’entreprise ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/159384/original/image-20170304-29009-1xrhh8w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Design Thinking Workshop (UX Camp Vienna).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/142146350@N07/27202788816/in/album-72157668087230910/">UXpro Austria / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat avec l’<a href="http://www.anvie.fr/">Anvie</a> à l’occasion de la publication de son <a href="http://bit.ly/2ldhgVS">« Best-Of 2016 »</a>.</em></p>
<hr>
<p>Terme très à la mode, « l’uberisation » décrit un phénomène par lequel des startups, grâce à Internet, parviennent à rivaliser avec des acteurs traditionnels, voire à prendre le dessus. Tous les secteurs d’activité, sans exception ou presque, sont potentiellement concernés.</p>
<h2>Quelques éléments de définition et de contexte</h2>
<p><a href="http://bit.ly/2lIWgC1">L’uberisation</a>, terme inventé par Maurice Lévy, président de Publicis, décrit le phénomène par lequel des startups qui utilisent Internet remettent en cause un acteur traditionnel en redéfinissant les règles du jeu de son industrie. L’expression provient de la startup Uber qui fonctionne avec des VTC et conteste le monopole des taxis. L’ampleur prise par le phénomène dans de nombreux secteurs a donné l’expression uberisation. On parle désormais d’uberisation de l’assurance, des transports, de l’hôtellerie, etc.</p>
<p>L’uberisation met en lumière la difficulté que rencontrent nombre d’entreprises établies sur leur marché parfois depuis de nombreuses années et qui soudainement voient leur suprématie contestée. Au-delà d’une problématique de marché seule, l’uberisation pose la question de leur identité organisationnelle tant les ruptures traduisent la nécessité de changer le modèle économique même de ces acteurs, c’est-à-dire leurs ressources (Airbnb est le premier hôtelier du monde mais ne possède pas un seul hôtel), leurs processus (BlaBlaCar réinvente le transport par le partage) et leurs valeurs (la révolution digitale signifie transparence et immédiateté).</p>
<p>Au-delà, l’uberisation menace également de ringardiser les méthodes d’innovation. Beaucoup des grandes entreprises ainsi remises en question investissent énormément dans l’innovation et ont des budgets de R&D conséquents. Mais ils font face à des challengers entrepreneuriaux, qui misent sur la vitesse, l’audace et la réactivité, en misant à fond sur les nouvelles approches entrepreneuriales (design thinking, lean startup, effectuation, etc.) pour découper les chaînes de valeur actuelles et s’accaparer les parties les plus intéressantes.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2mZtZrT">Le groupe de travail</a> constitué par l’Anvie s’est attaché à réfléchir aux possibilités concrètes d’action à partir du témoignage d’acteurs du terrain qui réfléchissent à leur action d’innovateur et avec le regard de chercheurs sur la question.</p>
<p>Sous l’angle humain, le groupe s’est demandé au fond pourquoi les innovateurs persistent à essayer de transformer les groupes de l’intérieur plutôt que de partir entreprendre à l’extérieur. Il y a une raison : les « hacktivateurs », mélange de hackers et d’activateurs, sont impertinents mais bienveillants envers l’organisation. Ils ne souhaitent pas la quitter pour aller entreprendre à l’extérieur car le monde ne peut pas être fait que de startups, et ils estiment que « sauver » les grands groupes est un enjeu important pour l’emploi. En outre, ces groupes ont des ressources, ils représentent un terrain de jeu avec un potentiel important qui séduit ceux qui ont de l’ambition.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=255&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159386/original/image-20170304-29002-a8oo6x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=321&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sacramento Hacker Lab.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/intelfreepress/8425352334/in/photolist-diXKKX-hu8XLo-99tasd-cNE4W7-dQw8Hq-8LDYw3-8NJet4-hErQn9-8LAUKB-bnDYdR-8NJd4n-htrr3D-6preRg-bnDWsB-8K4xmF-6gv5gQ-8K7zML-8K7zth-8K7zRb-8K4wWH-6prf8R-8K4wT2-8K7A8s-8K4xcz-8K7zkb-bnDYit-eBjLPe-bnDWWr-6prfa4-6pvorq-8K7A2s-bnDX9z-6pvooS-8K4wxX-8K7zxq-bnDXr4-bnDWci-bnDWLk-bnDY7X-bnDX54-9AkF5w-8K7zad-bnDXEM-bnDY5H-6prf6P-bnDXPK-8K4x1P-bnDX22-bnDWFk-8K7zd7">Intel Free Press/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>« Gérer » la dimension organisationnelle de l’innovation</h2>
<p>Il est notamment nécessaire pour l’innovateur de savoir « vendre » les projets d’innovation en interne, mais aussi en externe, sachant que plusieurs approches peuvent être utilisées : directement auprès des acteurs concernés… ou en se « camouflant » derrière d’autres acteurs, la direction générale par exemple, voire en ne dévoilant pas l’entièreté du projet d’innovation. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Edison, qui avait volontairement abaissé la luminosité des ampoules au niveau de celle de l’éclairage au gaz afin que sa découverte n’effraie pas les premiers utilisateurs… L’innovateur doit savoir rester discret. « L’innovateur doit avancer masqué ».</p>
<p>Le soutien de la direction générale est bien sûr utile pour défendre le projet et obtenir des ressources, mais il peut susciter des jalousies, et surtout, la direction générale peut se montrer impatiente d’obtenir des résultats rapides, ce qui peut tuer le projet car l’innovation met souvent longtemps à porter ses fruits. La relation aux décideurs est cruciale. Ils sont sur d’autres échelles de temps, d’autres impératifs, parfois très court terme.</p>
<p>Toujours sur le plan organisationnel, la création d’une direction de l’innovation n’apparaît pas souhaitable, car cela crée un silo supplémentaire, et cela déresponsabilise les collaborateurs. Au contraire, l’innovateur doit se connecter aux processus et aux pratiques, être un agent mutagène. Pour cela il faut susciter la demande et l’envie.</p>
<h2>Valoriser les innovations générées « par en bas »</h2>
<p>Il ressort ensuite que le projet d’innovation ne vient pas d’en haut en général, et assez naturellement la discussion a porté sur la gestion des innovations générées « par en bas. » Les démarches d’innovation doivent être transverses, et se déployer dans un lieu à part, neutre, permettant de les rendre plus efficaces, de contribuer au désilotage des organisations.</p>
<p>C’est tout l’intérêt des nouveaux lieux (lab, espace de coworking). Un lab interne est utile pour susciter et accompagner des projets, et il doit suivre quatre principes : s’arrimer à ce qui existe, fonctionner en coresponsabilité (le porteur du projet, son manager, le lab), rester à un niveau d’acceptabilité pour l’entreprise, et développer le sens du compromis. Au fond, un innovateur doit déranger l’ordre existant par définition, mais il doit le faire avec mesure s’il ne veut pas que l’organisation réagisse négativement et tue l’innovation.</p>
<p>Un lieu à part doit bien réfléchir à sa connexion au reste de l’organisation ; ce sont souvent les processus mis en œuvre, plus qu’un diagramme organisationnel, qui détermineront la réussite de cet aspect crucial. Loin d’être imposés d’en haut, les lieux qui réussissent semblent être ceux qui, par leur pratique, suscitent l’envie et la demande, et démontrent leur valeur par petites touches et par une fine inscription dans les processus et méthodes de travail existantes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159385/original/image-20170304-29005-8ryjpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Design Thinking Workshop.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bytemarks/5849285070/in/photolist-9UT7EA-9UQbRP-9UQ9YP-9UT8x7-9UQc9c-9UT62Y-9UT5uJ-9UQeQk-9UQfkx-9UT5Km-9UT8db-9UT58d-9UQcLk-9UT7mS-9UT35m-9UT25w-9UQf6H-9UT2qb-9UT4Rf-9UT1KU-9UQd3n-kYuBsc-or5QKs-mHeMk1-rf7iyq-q5S8yL-pn8BmJ-nj6qsw-pNfN5A-nDZks1-pbmUZv-nZ9zWN-oLEJFm-6zxYvb-87K8RN-ekb6fo-5Dk6ub-nwNK9R-oCfvA3-9jCaJi-GBsGQi-H7Doij-mch99m-GBsSg2-aAPKuU-Hu1SnU-9jCbuz-9dFj9D-9jFgqf-H7DmJs">Burt Lum/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Plusieurs méthodes</h2>
<p>En ce qui concerne les méthodes, les démarches entrepreneuriales sont une bonne source d’inspiration (startup weekend, lean startup, effectuation, design thinking). Elles permettent de penser large, bien au-delà du cœur de métier de l’organisation. Associer par ailleurs des profils divers, et faire appel à l’externe est extrêmement profitable. Ces démarches innovantes permettent aux équipes de fonctionner autrement, d’adopter de nouvelles logiques de travail ; de fait, elles contribuent à la transformation des entreprises, mais elles ne se décrètent pas.</p>
<p>L’importance des démonstrateurs a été soulignée, car ils facilitent la prise de décision par le management. On peut à ce titre citer le célèbre exemple du Palm Pilot, qui a convaincu ses premiers investisseurs sur la base d’un prototype… en bois, très rudimentaire pourtant. L’impression 3D offre à ce titre de formidables opportunités, mais n’est pas forcément nécessaire : vidéos, objets en pâte à modeler ou en papier… se révèlent souvent suffisants. L’objectif est bien de rendre l’innovation tangible, par tous les moyens. Comme le soulignait l’un des intervenants, avec un démonstrateur posé sur la table du Comex, la question n’est plus tant « doit-on le faire ? » que « quand le fait-on ? »</p>
<p>Les concours d’innovation sont intéressants, mais on ne sait pas quoi en faire derrière. Si rien n’est prévu derrière, cela restera un concours d’idées, or le problème n’est pas le manque d’idées, mais précisément leur mise en œuvre. Il en va de même pour tous les événements, par exemple les <em>start-up weekends</em> et autre hackathons.</p>
<p>La liberté est nécessaire dans les démarches d’innovation, à la condition qu’elle s’inscrive dans un cadre, dans des contraintes de temps, d’espace et de budget et qu’elle ne nie pas la réalité de l’organisation, avec laquelle elle doit composer pour réussir.</p>
<p>Il faut savoir démarrer petit, et pas forcément directement avec un projet d’innovation. Par exemple, par des conférences internes où on vient parler de son métier et où on invite des entrepreneurs, des innovateurs, des acteurs de transformation. Ainsi, on lance un mouvement social, on crée des liens et on suscite une attente, une demande pour aller plus loin.</p>
<p>La RH est bien sûr cruciale, d’autant que la gestion des talents n’inclut pas les innovateurs, car ils sont trop compliqués à gérer et surtout ils ne sont pas identifiés comme tels par l’organisation. Or sans gestion de carrière pour ceux qui prennent des risques, pas de projection possible et donc risque de construire sur du sable. La RH doit avoir pour objectif à la fois l’autonomisation des individus dans leur démarche d’innovation et leur inscription dans une logique d’entreprise de long terme, ce qui est un exercice d’équilibrage difficile.</p>
<p>Au final, le groupe de travail insiste sur la nécessité du « faire », et pour cela du « faire petit au début », et celle de s’inscrire dans une réalité organisationnelle qui peut être frustrante mais qu’il ne faut pas nier car elle a ses objectifs de court terme. C’est cette difficulté – devoir innover alors qu’on veut des résultats à court-terme – qui est au cœur de la difficulté de l’innovateur. Celui-ci est donc à la fois un faiseur et un animal politique. Identifier, accompagner et faire grandir les innovateurs en leur fournissant un cadre approprié est l’enjeu majeur des organisations actuelles si elles veulent avoir une chance de survivre à l’uberisation de leur environnement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Silberzahn a animé le groupe de travail de l'Anvie sur le thème « Face à "l'ubérisation", comment renouveler les capacités créatives des entreprises ? »</span></em></p>L’uberisation menace de ringardiser les méthodes d’innovation classiques. L’entreprise doit s’organiser pour apprendre de nouvelles formes de créativité.Philippe Silberzahn, Professeur stratégie et organisation, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/681802016-11-07T21:02:37Z2016-11-07T21:02:37ZUber, et si on oubliait un instant les taxis et les chauffeurs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/144687/original/image-20161105-27914-hyqlgr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sous une apparence simple, le monde d’Uber est très complexe.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/132115055@N04/26028160601/in/photolist-FE28kF-FKTeoM-qwgrAp-p2RQ2K-wiEsF7-zpkRw1-Hisxb7-zsvZk4-Dwv7dG-7kMYgY-qAQReL-oVb4M9-JF1BG2-otM1np-owJ6L3-qvv26B-nyKKX-6Rmzs7-p8ex3x-yuCeAq-qTWfZg-5QWTZn-HCE8jk-za45bE-qkAqPG-xs9WG9-zsvZSM-DTfgpT-E4nF2y-ypTLft-qe4VQs-HrYEP7-ypbrZB-GHspJj-oJsMLt-Bq7ubi-DxKETi-q1E7aM-pE9gjr-wr8ayB-oYmvqV-qJ9AB2-piSFqe-EaRPno-CDxMit-qLRr8a-DGZaku-HnKiGo-ptm4Ts-pigcST">Núcleo Editorial/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Bête noire des taxis, <a href="https://theconversation.com/uber-ou-comment-conquerir-une-position-dominante-mondiale-en-un-temps-record-48692">Uber</a> compte dans le monde plus d’un million de chauffeurs utilisant sa plateforme. Oublions les premiers sans s’interroger sur leurs pertes et le caractère loyal ou déloyal de la concurrence que cette profession réglementée subit ; ignorons si les seconds sont des chômeurs en moins ou des travailleurs exploités en plus. Intéressons-nous aux bénéfices pour les consommateurs et à la concurrence dans la <a href="https://theconversation.com/de-general-motors-a-uber-metamorphose-du-capitalisme-51873">voiture de transport</a> avec ou sans chauffeur.</p>
<h2>Des débats divers selon le contexte national</h2>
<p>L’entrée fracassante d’Uber dans le monde du transport urbain a soulevé, et continue de soulever, de nombreuses polémiques. Les plus vives portent sur l’inadaptation du cadre réglementaire des taxis, la façon de le faire évoluer, la baisse de recettes et du prix des plaques pour les chauffeurs, ainsi que sur les emplois créés par les VTC, leur nombre, mais aussi leur valeur sociale (petits boulots ou vrais emplois, rémunération de misère ou décente) et leur caractéristiques contractuelles (salariat déguisé ou micro-entrepreneur indépendant). Bref, les débats portent avant tout sur la rivalité entre Uber et les taxis, ses raisons et ses effets.</p>
<p>Ils sont légitimes et méritent réflexion. Mais les éclairages que l’on peut apporter dépendent des situations locales et nationales. Les réglementations des taxis, le droit du travail et le taux de chômage varient d’une métropole et d’un pays à l’autre. Or les analyses documentées restent encore limitées à un petit nombre de marchés géographiques.</p>
<p>Prenons l’exemple de l’origine et du profil des chauffeurs Uber en France et aux États-Unis. En France, un quart d’entre eux étaient au chômage ; la moitié consacre plus de 30 heures par semaine à circuler ; et les trois quarts en tirent la majeure partie de leurs revenus. Aux États-Unis, moins de 10 % des chauffeurs Uber étaient auparavant sans emploi, et pour la très grande majorité d’entre eux il s’agit d’une activité à temps partiel et d’un <a href="https://s3.amazonaws.com/uber-static/comms/PDF/Uber_Driver-Partners_Hall_Kreuger_2015.pdf">revenu de complément</a>.</p>
<p>En France, la proportion de chauffeurs Uber dans la population active locale est d’autant plus élevée que leur zone d’habitation se caractérise par un taux de chômage élevé et un <a href="https://drive.google.com/file/d/0B1s08BdVqCgrTEZieTloQnRlazQ/view">revenu médian faible</a>. Aux États-Unis, les chauffeurs Uber se distinguent peu de l’ensemble de la population active des grandes métropoles.</p>
<p>En schématisant, Uber offre aux États-Unis une opportunité pour ceux qui ne gagnent pas assez et en France pour ceux qui ne gagnent rien. Cette différence est liée à toute une série de conditions économiques particulières, mais aussi à l’interdiction en France d’Uber Pop qui aurait facilité, comme aux États-Unis, l’activité à temps partiel.</p>
<h2>L’avantage pour le consommateur</h2>
<p>Concentrons-nous alors sur les consommateurs. Lorsque vous avez utilisé pour la première fois les services d’un VTC comme Uber vous avez eu l’impression d’entrer dans un autre monde : un chauffeur qui vous ouvre la portière ; qui est aimablissime ; qui vous demande si vous voulez écouter la radio, et si oui laquelle ; qui vous offre des bonbons et de l’eau minérale ; et qui ne doit pas être payé en liquide. Vous avez peut-être ainsi évité – cela arrive parfois – l’odeur du chien sur le siège passager, la saleté dans l’habitacle, les jérémiades du chauffeur sur la circulation, le refus des cartes de crédit, etc.</p>
<p>Mais vous avez peut-être aussi observé que la qualité de service des taxis parisiens, concurrence des VTC oblige, s’était grandement améliorée. Idem pour les taxis à Chicago. Dans cette ville, le nombre de plaintes des passagers a décru avec l’essor d’Uber, notamment les plaintes pour impolitesse, chauffage en panne, lecteur de carte défectueux, et <a href="https://www.ftc.gov/system/files/documents/public_comments/2015/06/01912-96334.pdf">conduite en téléphonant</a>.</p>
<p>Un autre bénéfice pour les consommateurs apporté par Uber et quelques autres comme Heetch est d’offrir un service qui s’écarte des centres-ville et qui offre une plus forte présence la nuit. À New York, les courses en Uber réalisent moitié plus de trajets en dehors de Manhattan <a href="http://fivethirtyeight.com/features/uber-is-serving-new-yorks-outer-boroughs-more-than-taxis-are/">que les Yellow Cabs</a>. En France, les trajets en VTC sont moitié plus importants que ceux des taxis entre minuit et le <a href="http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/etude-differentes-formes-voitures-transport-avec-chauffeur-vtc_rapport.pdf">petit matin</a>. Des millions de consommateurs qui ne prenaient jamais un taxi en commandent désormais sur leur téléphone portable.</p>
<h2>Prix et valeur</h2>
<p>Pour ce qui est des prix, la comparaison est compliquée. Les consommateurs sont en général gagnants dans la mesure où ils peuvent désormais opter pour des services <em>low cost</em>. Partager un véhicule avec Uber Pool ou faire appel à un chauffeur occasionnel de type Uber Pop permet de se déplacer en payant beaucoup moins cher qu’un taxi traditionnel. Aux États-Unis où ces services sont très développés, Uber est moins cher dans la très grande majorité <a href="http://www.businessinsider.com/uber-vs-taxi-pricing-by-city-2014-10?IR=T">des métropoles</a>. À Paris, où Uber Pop a été interdit, les courses avec réservation G7 et Uber X sont de <a href="http://blog.eurecab.com/2015/04/taxis-g7-vs-uber-confrontation-de-deux-poids-lourds-du-taxi-et-du-vtc/">montants comparables</a>.</p>
<p>Pour quantifier le bénéfice des consommateurs, les économistes calculent la différence entre ce qu’ils payent et ce qu’ils auraient été prêts à payer. Par exemple s’il pleut, vous paierez mettons 10 euros votre course alors que vous étiez prêts à la payer 18 euros pour éviter de vous faire tremper. Ce gain de 8 euros est votre surplus.</p>
<p>Une poignée <a href="http://www.nber.org/papers/w22627">d’économistes américains</a> a estimé ce surplus pour les passagers d’Uber transportés en 2015 aux États-Unis à près de 7 milliards de dollars. Un chiffre qui vous parlera sans doute mieux : le passager d’Uber moyen engrange un surplus de 1,57 dollar pour chaque dollar qu’il dépense.</p>
<h2>L’innovation tarifaire</h2>
<p>Cette estimation n’a pas été réalisée en interrogeant les passagers, mais grâce à une politique de prix d’Uber particulière. À l’heure de sortie des cinémas, s’il pleut, ou encore le dimanche midi quand les chauffeurs préfèrent rester en famille, la course sera plus chère. Un coefficient multiplicateur du prix de base apparaît sur l’écran et le consommateur clique pour accepter la course ou bien décide de ne pas passer commande.</p>
<p>Ce sont ces informations qui sont utilisées pour construire la courbe de demande ainsi que pour calculer le surplus des consommateurs. Elles nous disent par exemple que le prix de la course sans coefficient multiplicateur est accepté dans 64 % des cas, mais seulement dans 39 % des cas quand le coefficient multiplicateur est de 2.</p>
<p>La possibilité de réaliser de tels calculs n’est cependant pas l’intérêt principal d’une tarification qui colle quasi-instantanément aux conditions de l’offre et de la demande. Il est de gérer efficacement la pénurie.</p>
<p>En premier lieu, attirés par une course qui sera mieux payée, les chauffeurs vont se diriger vers les zones où ils sont le plus demandés et vont adapter leurs horaires pour être présents au pic des besoins. Et <a href="http://www.anderson.ucla.edu/faculty/keith.chen/papers/SurgeAndFlexibleWork_WorkingPaper.pdf">ça marche</a>. On <a href="http://ftp.iza.org/dp9986.pdf">observe ainsi</a> que le nombre de courses Uber à New York est 25 % plus élevé quand il pleut ! Avec un prix constant, le nombre de véhicules disponibles serait resté le même et les clients en auraient attendu fort longtemps ou n’en auraient pas trouvé.</p>
<p>En second lieu, les passagers qui vont être transportés sont ceux qui valorisent le mieux ce service. Avec un prix constant, le principe du « premier arrivé, premier servi » se serait appliqué pour gérer la rareté. Les véhicules disponibles auraient été occupés indépendamment du consentement à payer plus ou moins élevé des passagers. Par exemple, à la station de taxis le troisième dans la queue aurait attendu son tour même s’il était prêt à payer beaucoup plus cher que ceux devant lui.</p>
<h2>Derrière le prix d’une course</h2>
<p>Vous êtes peut-être en train de vous dire que c’est bien qu’il y ait plus d’Uber quand il pleut, mais que ce n’est pas juste de servir d’abord les plus riches. Vous êtes peut-être alors un partisan intransigeant de l’égalité absolue. Mais comprenez quand même qu’avec un tarif de base constant, les chauffeurs gagnent moins et que leurs efforts supplémentaires pour rouler quand il pleut malgré le trafic chargé, ou à l’heure du déjeuner dominical, ne sont pas rémunérés pleinement.</p>
<p>En effet, l’augmentation du prix de la course profite d’abord et avant tout aux chauffeurs ; Uber n’en bénéficie qu’à hauteur de sa commission de 20 %. Comprenez aussi que l’ensemble des consommateurs sont aussi gagnants car le gain des passagers additionnels transportés grâce au plus grand nombre de véhicules disponibles dépasse en général la perte de ceux qui, le prix étant trop élevé, ont dû se rabattre sur un moyen de transport alternatif moins onéreux.</p>
<p>Il est possible que ces arguments ne vous convainquent pas complètement. D’autant que vous avez peut-être eu vent du quadruplement du tarif d’Uber lors d’une prise d’otage dans le centre de <a href="http://www.huffingtonpost.com/2014/12/15/uber-sydney-surge-pricing_n_6325026.html">Sydney en 2014</a>.</p>
<p>Quelques heures se sont écoulées avant qu’Uber ne reprenne la main sur son algorithme et propose la gratuité en prenant à sa charge le paiement bonifié des chauffeurs. Mais notez qu’au Bataclan, les taxis, les Uber et autres VTC ont fait preuve de courage et de générosité en se portant au secours de blessés et en transportant gratuitement des centaines de personnes. Dans un registre moins dramatique, au Nouvel An <a href="http://bgr.com/2016/01/04/new-years-eve-uber-surge-pricing-reactions/">à New York</a> ou à <a href="http://www.leparisien.fr/espace-premium/paris-75/des-trajets-en-vtc-a-230-eur-la-nuit-du-reveillon-03-01-2015-4415551.php">Paris</a>, les prix d’Uber peuvent quintupler.</p>
<p>Ce qui choque en général dans le coefficient multiplicateur d’Uber et de ses concurrents, à l’instar de Lyft, est lié à un sentiment de déloyauté. D’abord, il est indubitable que certains bénéficient de la situation sans avoir rien fait. Il y a des véhicules qui se trouvent dans la zone où apparaît tout d’un coup une offre inférieure à la demande et donc le déclenchement d’une majoration.</p>
<h2>Le partage asymétrique</h2>
<p>Ces chauffeurs ne se sont pas rendus exprès dans le quartier alors qu’ils perçoivent quand même le tarif majoré. C’est un gain qui leur tombe du ciel. Ensuite et surtout, nos comportements s’écartent de la rationalité économique parfaite. Le refus de l’échange en cas de partage asymétrique d’un gain ou d’une perte est un résultat bien connu en économie expérimentale. Il repose sur l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_l%27ultimatum">expérience suivante</a> : un sujet reçoit une somme d’argent et doit proposer à un autre sujet de la partager selon son bon vouloir ; ce dernier peut accepter ou refuser l’offre ; et, s’il la rejette, la somme d’argent est alors perdue pour tout le monde. Dans la plupart des cas, quand le partage laisse moins de 30 % à celui qui reçoit l’offre, il la refuse. Il préfère ne rien gagner plutôt qu’empocher de l’argent ; il préfère signifier ainsi à l’offreur que sa règle de partage est injuste en le punissant puisqu’il n’aura rien non plus.</p>
<p>Une façon classique des vendeurs de réduire le nombre de réfractaires aux majorations de prix instantanées, et limiter ainsi leurs effets négatifs sur la réputation, consiste à en exonérer en totalité ou partiellement les clients fidèles. Je n’ai pas connaissance qu’Uber ait mis en œuvre cette pratique, mais peut-être que d’autres VTC le font ou s’apprêtent à le faire. N’oublions pas en effet qu’Uber fait bien face à des concurrents en dehors des taxis réglementés eux-mêmes.</p>
<h2>Un marché mondial et très local</h2>
<p>Uber détient une longueur d’avance sur ses rivaux par sa couverture géographique. L’entreprise californienne est aujourd’hui implantée dans 72 pays et 425 villes. Cependant elle n’est pas partout dominante. Certes, elle est loin devant Lyft et Curb dans presque toutes les villes des États-Unis ; et en France également devant Chauffeur Privé et LeCab. En revanche, elle est devancée de beaucoup en Russie par Yandex, en Indonésie par Gojek, en Inde par Ola, ou encore en <a href="https://theconversation.com/uber-china-rachete-par-didi-chuxing-ou-le-qui-perd-gagne-de-la-plateforme-californienne-63917">Chine par Didi Chuxing</a>. Ce sont toutes de firmes locales. Ce n’est pas une surprise car les <a href="https://theconversation.com/uber-ou-comment-conquerir-une-position-dominante-mondiale-en-un-temps-record-48692">marchés sont locaux</a> et la connaissance des situations locales, en particulier politique et réglementaire, peut être un atout décisif.</p>
<p>Évidemment, la stratégie planétaire d’Uber lui coûte cher. Dans cette industrie, il est en effet nécessaire de détenir rapidement une part de marché élevée. À défaut, les chauffeurs ne gagnent pas assez car ils roulent trop souvent à vide, et les clients attendent trop longtemps.</p>
<p>Inversement, plus le nombre de clients est élevé, plus les tarifs au kilomètre peuvent être bas car les chauffeurs roulent presque toujours à plein. Mais gagner des parts de marché sur les concurrents passe par des remises et des prix attractifs. En deux ans Uber a perdu 2 milliards de dollars dans l’Empire du Milieu à s’échiner à contester la suprématie de Didi. La firme de Travis Kalanick a finalement jeté l’éponge en préférant vendre sa filiale chinoise et entrer au capital de Didi à hauteur de 18 % pour un montant non communiqué.</p>
<p>Une telle stratégie d’alliance est commune chez Uber et ses concurrents. Lyft est par exemple partenaire d’Ola en Inde et de Grab en Asie du Sud-Est. Notons que les alliances commerciales ou capitalistiques ne se limitent pas au transport urbain VTC que nous connaissons aujourd’hui.</p>
<p>Uber est partenaire de Volvo et Nissan, Lyft est associé à General Motors, Daimler possède MyTaxi et les géants de l’Internet sont très présents : Apple a investi un milliard de dollars dans Didi qui a également pour actionnaire Tencent et Alibaba ; Google est un des premiers investisseurs d’Uber et David Drummond, un des dirigeants d’Aphabet, siégeait encore récemment à <a href="http://www.wsj.com/articles/alphabet-executive-david-drummond-leaves-uber-board-1472510812">son conseil d’administration</a>.</p>
<h2>La concurrence de demain… sans chauffeur</h2>
<p>Tout ce petit monde se prépare à la concurrence de demain, celle qui devrait voir les voitures sans chauffeurs remplacer les véhicules des particuliers. Pourquoi posséder une voiture dès lors que les rues et les boulevards seront sillonnés de machines intelligentes à quatre roues qu’il suffira de héler électroniquement ? Le tout pour une dépense annuelle moindre qu’une voiture personnelle.</p>
<p>Le marché visé n’est plus seulement quelques pour cent des trajets automobiles en ville, mais leur quasi-totalité. C’est ce <em>next big thing</em> qui explique la valorisation d’Uber à près de 70 milliards de dollars, un montant supérieur à celui du premier constructeur automobile américain.</p>
<p>Il n’est cependant pas sûr qu’Uber domine ce nouveau mode de transport individuel sans chauffeur. Aujourd’hui, Uber réalise des marges élevées sans détenir d’actifs matériels, l’essentiel des voitures appartenant aux chauffeurs. Demain, il lui faudra opérer ses propres véhicules dans une industrie à faible marge à l’instar des <a href="http://www.economist.com/printedition/2016-09-03">compagnies <em>low cost</em> aériennes</a>. Grâce à sa marque et sa capacité d’innovation, Uber a cependant toutes ses chances pour réussir cette grande transformation. Mais on ne peut pas exclure qu’elle soit à son tour ubérisée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/68180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs François Lévêque est Associé-Fondateur de Microeconomix, cabinet d’expertise et de conseil en analyse économique.
</span></em></p>Analyse du modèle Uber sous l’angle de la concurrence, des bénéfices consommateurs et des prix… en attendant l’avènement des voitures sans chauffeurs.François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/639172016-08-18T04:39:28Z2016-08-18T04:39:28ZUber China racheté par Didi Chuxing ou le « qui perd gagne » de la plateforme californienne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/134292/original/image-20160816-13025-16rrm6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur la ligne de départ, à Shanghai.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/carloszgz/15210144673/in/photolist-pb4Y6F-ok8rCY-px8hdd-bu2m7s-kk3YEC-6W1f3d-GNcsc1-J8DNE5-pLN846">Carlos ZGZ/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Pourquoi la défaite à court terme d’Uber face à Didi Chuxing en Chine peut également être lue comme une victoire à moyen terme ?</p>
<p>Pourquoi la bataille perdue en Chine peut se transformer en une guerre gagnée en Asie en général et en Inde en particulier ? Pourquoi le communiqué <a href="http://www.prnewswire.com/news-releases/didi-chuxing-to-acquire-uber-china-300306782.html">« Didi Chuxing to Acquire Uber China »</a> publié début août sonne le top départ d’une nouvelle aventure pour Uber ? Comment cette stratégie type « cheval de Troie » peut se révéler beaucoup plus efficace à terme qu’une stratégie type « outsider » ? Pourquoi parler de <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/01/uber-abandonne-la-chine-au-leader-local-didi_4977098_3234.html">défaite ou d’échec pour Uber</a> est peut- être un peu rapide ?</p>
<p>L’objectif stratégique principal voire tautologique d’une entreprise est avant tout de rester en vie et en ce sens Uber a atteint son objectif !</p>
<h2>Revue des forces en présence sur le théâtre des opérations</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134298/original/image-20160816-13035-scd7st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean Liu, présidente de Didi Chuxing.</span>
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<p>Le marché chinois actuel est énorme et donc… attractif. Il s’agit de 300 millions d’utilisateurs, de 11 millions de courses quotidiennes et de 400 villes connectées et ces chiffres ne peuvent qu’augmenter. Il n’est en effet pas question – économiquement, <a href="https://theconversation.com/comment-la-chine-se-prepare-a-lapres-charbon-59291">écologiquement</a>, politiquement – que les 1,3 milliard de Chinois deviennent 1,3 milliard d’heureux propriétaires d’automobiles. Il faudra donc partager les véhicules en circulation !</p>
<p>Ainsi, ce marché fut depuis 2014, le théâtre d’un <a href="http://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/0211175447525-uber-abdique-en-chine-en-revendant-ses-activites-a-didi-2018159.php">terrible combat sur le marché des VTC</a>(véhicules de tourisme avec chauffeurs). Il s’agit de l’affrontement entre la plate-forme californienne Uber – crée en 2009 par Travis Kalanick et valorisée à 68 milliards de dollars – leader du marché mondial et l’entreprise Didi Chuxing – née de la fusion en 2015 de Didi Dache et Kuaidi Dache – et leader du marché chinois. Cet affrontement fut essentiellement financier (levée de fonds), technologique (applications mobiles) et juridique (législation concernant le transport de passager).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134294/original/image-20160816-12998-1gsbnle.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Appli Didi en Chine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/iphonedigital/26777063870/in/photolist-pb4Y6F-ok8rCY-px8hdd-bu2m7s-kk3YEC-6W1f3d-pLN846-GNcsc1-J8DNE5">iphonedigital/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour se protéger des attaques d’Uber – en particulier sur les tarifs, l’atout majeur d’Uber appuyé sur sa confortable trésorerie – le chinois Didi a réussi à séduire de très puissants partenaires investisseurs. De ce fait, Didi a pu aisément contrer la guerre des prix déclenchée par Uber en subventionnant et récompensant ses utilisateurs. En effet, la plate-forme Didi a pu s’appuyer durant ces deux années sur l’aide sonnante et trébuchante des deux principaux groupes de l’économie numérique chinoise – Tencent et Alibaba –… et même sur l’américain Apple qui a participé à une récente levée de fonds à hauteur de 1 milliard de dollars sur les 7,3 milliards de dollars collectés par Didi.</p>
<p>Uber de son côté avait accueilli de nombreux investisseurs chinois au sein du capital de sa filiale chinoise avec en premier lieu le géant du numérique Baidu. Ces partenariats furent insuffisants et Travis Kalanick avouait début 2016 <a href="https://www.letemps.ch/economie/2016/08/15/lasie-territoire-hostile-uber">« Nous perdons 1 milliard de dollars par an en Chine. Nous avons un adversaire féroce »</a>. Uber ne pouvait pas être la énième grande firme du numérique américain à caler sur le marché chinois (après Google, Amazon, Facebook, Twitter)</p>
<p>De plus, le ministère des transports chinois a enfin produit un texte, fin juillet 2016, légiférant sur les services de réservation de voitures avec chauffeur. Cette réglementation interdit notamment d’intervenir à perte et contrarie les stratégies d’achat de part de marché des deux acteurs.</p>
<p>Enfin, les partenaires américains d’Uber avaient cessé de croire en la future rentabilité des dépenses de Travis Kalanick en Chine. Un cessez-le-feu était donc devenu inéluctable afin de ne pas rejoindre le cimetière des imprudents combattants terrassés par la complexité de l’Empire du Milieu</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134300/original/image-20160816-13028-1a0n31.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Didi Chuxing + Uber.</span>
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<h2>Les détails du cessez-le-feu</h2>
<p>Le 1<sup>er</sup> août 2016, un <a href="https://newsroom.uber.com/uber-china-didi/">simple communiqué de Didi Chuxing relayé par Uber</a>annonce que les deux leaders de la réservation de taxis et de VTC en Chine vont fusionner. Plus exactement, le communiqué indique que c’est Didi Chuxing qui acquiert Uber Chine (<a href="http://www.prnewswire.com/news-releases/didi-chuxing-to-acquire-uber-china-300306782.html">« Didi Chuxing to Acquire Uber China »</a>).</p>
<p>Les grandes lignes de cet accord soulignent que Uber détiendra 17,7 % du capital de Didi – un actif considérable – qui serait ainsi valorisée à 35 milliards de dollars. De son côté, Didi entre au capital d’Uber, acquiert la marque et les clients chinois d’Uber et investira 1 milliard de dollars dans Uber Monde pour lui permettre d’atteindre une valorisation à 68 milliards de dollars.</p>
<p>Outre ce communiqué, la réaction de Travis Kalanick sur son propre compte Facebook est interessante car elle montre les ambitions et la motivation du fondateur dirigeant d’Uber :</p>
<blockquote>
<p>« Devenir rentable est le seul moyen de construire une entreprise durable qui puisse servir le public et les chauffeurs chinois sur le long terme […] Je n’ai aucun doute qu’Uber Chine et Didi Chuxing seront plus fort ensemble ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134301/original/image-20160816-13037-vsothh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Uber CEO Travis Kalanick en septembre 2014 à San Francisco.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/techcrunch/14995870387/in/photolist-oR8KPr-chi4WC-aRRcQH-jYdvJv-chi4zW-chi3jA-dtFisu-p6WEwd-daazmf-chi3E9-chi3Z3-chi5Rm-chhZzA-chi6vy-aRRcAc-aRP4i2-9Ha2d8-chi2y3-aRRduz-aRRgKT-9LSKvU-jYdRg4-p6A3jU-chi5B7-daaUuL-chi68E-aRRciV-aRP4FD-chi7aY-aRQBGB-aRRd7v-chi1Dm-chi2b3-chi5cE-9LPYf6-aRQBWt-chi2Hm-kLvtk-p6A2SG-chi1dm-chi31C-chi1NQ-chhZ9h-chhYYb-chi4gd-9LPYa4-9LPXpa-9LSKqW-9LPXqK-9LPYdF">TechCrunch/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<h2>La nouvelle stratégie du perdant magnifique</h2>
<p>Prenons comme grille de lecture de cette nouvelle stratégie en trois temps, la fameuse citation attribuée à Mohamed Ali mais qui lui fut soufflée par l’un de ses entraîneurs et mentor Drew Bundini Brown. Elle dit en substance <a href="http://www.lemonde.fr/sports-de-combat/article/2016/06/04/les-citations-les-plus-memorables-de-mohamed-ali-le-boxeur-poete_4935194_1616664.html">« Vole comme le papillon, pique comme l’abeille, et vas-y cogne mon gars, cogne »</a>.</p>
<p><strong>1. Vole comme le papillon</strong></p>
<p>Tout d’abord comme le papillon (de nuit) Uber Chine continue de voler même si ce n’est plus en pleine lumière. Uber vole plus discrètement. Il n’est donc pas mort et continue à apprendre du marché chinois, de ses acteurs, de ses enjeux, de ses défis et de ses spécificités.</p>
<p>Sa marque, ses applications, ses clients ont été rachetés par son concurrent, mais restent en état de fonctionnement, son PDG emblématique est désormais membre du conseil d’administration de Didi Chuxing et la firme détient un cinquième du capital de Didi Chuxing ce qui est un atout majeur dans un pays où le temps long est une donnée importante. Le papillon Uber vole des ailes de Didi Chuxing…</p>
<p><strong>2. Pique comme l’abeille</strong></p>
<p>La présence d’Uber au sein du capital de Didi Chuxing est une position stratégique essentielle pour appréhender discrètement le vaste marché chinois, mais aussi – moins discrètement – le marché asiatique et notamment indien. Il rend, de plus, caduc le fameux pacte anti-Uber de 2015. <a href="http://uk.businessinsider.com/lyft-didi-ola-grab-anti-uber-alliance-launches-2016-4?r=US&IR=T">« The new global anti-Uber alliance : Ola, Lyft, Didi Kuaidi and GrabTaxi agree to ride together »</a>.</p>
<p>Ce pacte regroupait essentiellement les acteurs asiatiques (Chine, Inde, Singapore) et l’outsider américain d’Uber (Lyft). Il permettait de s’échanger des informations et des clients en rendant leurs applications interopérables. Un américain pouvait utiliser Lyft en Inde et un voyageur indien utiliser Ola aux USA. Désormais ce pacte paraît contre-productif.</p>
<p>D’une part, les informations détaillées dont disposera Uber via le conseil d’administration de Didi Chuxing – stratégie du cheval de Troie – rendent presque dangereux pour ces quatre acteurs la continuation de ces échanges de bons procédés. D’autre part, pourquoi continuer à travailler ensemble et donc à financer Uber sachant qu’un cinquième de la richesse de Didi Chuxing sera sa propriété de facto ?</p>
<p><strong>3. Vas-y cogne mon gars, cogne !</strong></p>
<p>Même si l’Asie peut toujours lui paraître hostile à bien des égards, Uber peut à présent se concentrer sur <a href="https://www.letemps.ch/economie/2016/08/15/lasie-territoire-hostile-uber">des marchés prometteurs comme l’Inde ou l’Asie du Sud Est</a>. En Inde, le groupe Ola contrôle la moitié du marché contre un tiers à Uber. En Asie du Est – notamment Singapour, Indonésie, Philippines, Malaisie, Thaïlande et Vietnam – le groupe Grabtaxi contrôle – avec des financements de Didi – la quasi-totalité du marché via une trentaine de villes sauf peut être en Indonésie où Go-Jek est bien présent sur le marché des motos-taxis.</p>
<p>Fort de sa paix des braves en Chine, et donc du milliard de dollars annuel qu’il n’y perd plus et du milliard de dollars que Didi Chuxing doit investir dans Uber Monde, Uber peut aborder le combat contre Ola ou contre GrabTaxi de façon plus ancrée à la fois sur le plan juridique, technologique et économique.</p>
<p>Uber va par exemple y tester – avec le recul de son expérimentation chinoise – des stratégies plus adaptées aux contextes locaux notamment les motos-taxis, les bateaux-taxis, les prix fixes, les prix variables en fonction du trafic ou du conducteur/trice, les trajets réguliers, etc. Même si le principal ennemi – pour les stratèges d’Uber – reste législatif et réglementaire comme c’est le cas notamment à Taiwan où la plate forme californienne risque d’être interdite.</p>
<p>Selon les communicants d’Uber, chantres de l’ubérisation qui lui est adossée, la plate forme doit encore et toujours travailler sur son image d’opérateur technologique et non pas de transporteur ! <a href="http://benavent.fr/plateformes-collectionner-les-papillons/">Ce combat sera probablement le plus complexe à mener.</a></p>
<p>Pour cogner fort, Uber pourra aussi investir plus massivement dans la recherche. C’est à dire dans ses applications, ses infrastructures et l’optimisation de ses données. Il lui faut notamment se constituer ses propres cartes – pour se libérer de sa <a href="http://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/0211174722254-uber-veut-semanciper-de-google-maps-2018145.php">dépendance à Google Maps</a> – et valoriser ses propres données sur les conducteurs, les passagers, les services additionnels, les trajets, les véhicules, le trafic, le pricing…d’où les 500 millions de dollars récemment orientés vers ces recherches. Il lui faut aussi ne pas rater le futur et énorme marché du transport en voiture, mais…« sans conducteur » et là encore se débarrasser de son addiction à Google.</p>
<h2>Un symbolique combat des chefs</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134302/original/image-20160816-13028-ya65co.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tim Cook patron d’Apple et Jean Liu présidente de Didi Chuxing le 16 mai 2016 à Pekin.</span>
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<p>Enfin, pour cogner là où ça fait mal, notamment l’orgueil et en particulier celui de son meilleur ennemi californien, faisons confiance à un Travis Kalanick décomplexé.</p>
<p>Notons par exemple que Apple <a href="http://www.lesechos.fr/13/05/2016/lesechos.fr/021930108915_cette-nuit-en-asie---apple-investit-1-milliard-de-dollars-dans-le-concurrent-chinois-d-uber.htm">avait massivement financé Didi lors de son tour de table</a> récent et qu’une partie de ces financements revient donc dans l’escarcelle d’Uber depuis la signature du « qui perd gagne » du 1<sup>er</sup> août 2016.</p>
<p>Uber n’est pas mort, il vole encore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/63917/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La défaite annoncée d’Uber en Chine, après deux années, beaucoup d’illusions et 2 milliards de dollars de perdus, n’est pas si radicale qu’elle peut le sembler a priori. Uber y gagne gros.Marc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/486922015-10-07T13:19:07Z2015-10-07T13:19:07ZUber ou comment conquérir une position dominante mondiale en un temps record<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/97407/original/image-20151006-7333-35w258.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'appli Uber lors de son lancement en Chine en 2014</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bfishadow/14656314348/in/photolist-ok8rCY-zBisu-faKe6U-fZwzGt-gATBmb-qvKug6-tJSUPA-6xb9Ws-qvLxoe-9Ptkou-5chEhM-s8iPjz-sbAdYt-2XxSx7-iR5uaH-qvMfAM-qNe8y8-qvKy7c-qvKh8Z-pRq7k2-pRc8vW-qvLKMc-qvLJBr-qKUi89-qvMfVV-qKWdYo-qvKtj6-n2nWs4-tuF3Fh-patH11-6A6eNK-pKb88M-ohzVTN-c3z8eY-rvhj8u-2fDFYJ-9iUvN7-afttb4-8L7qcj-nXRBYY-epJVoJ-6D4cVE-dUM7uX-f1DJAB-6fcxFT-9eARyS-dUSF8S-dUSC2s-6fgN1q-39cern">bfishadow/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Longtemps, la domination d’entreprises à l’échelle mondiale s’est cantonnée au commerce de matières premières. Elle résultait de lents progrès et parachevait de patients efforts. Songeons aux positions acquises par Royal Dutch Shell dans le pétrole, par De Beers dans le diamant, ou encore par United Fruit dans la banane. On trouve aujourd’hui des exemples dans presque tous les secteurs d’activités : la banque d’investissement (JPMorgan), la pharmacie (GlaxoSmithKline), les services informatiques (IBM), l’aéronautique (Boeing), la distribution de mobilier (Ikea) et aussi bien sûr les moteurs de recherches (Google) ou les réseaux sociaux (Facebook).</p>
<h2>L’accélération</h2>
<p>L’accélération du phénomène peut être documentée de façon frappante quoi qu’indirecte en observant le rythme d’adoption des innovations. Il a fallu attendre 75 ans pour que le nombre d’utilisateurs du téléphone atteigne cent millions, contre respectivement 16 et 7 années dans les cas du téléphone mobile et d’Internet. <a href="https://www.bcgperspectives.com/content/articles/digital_economy_technology_strategy_digital_imperative/">Plus récemment</a>, Facebook a conquis ce nombre en 50 mois, le magasin d’applications d’Apple en 26 mois et le jeu vidéo Candy Crush Saga en 15 mois.</p>
<p>Plus directement et plus sélectivement, on peut observer le nombre de clients de quelques géants de l’ouest des États-Unis. En mars 2014, Apple fondée en 1976, comptait 790 millions d’inscrits à son magasin de musique iTunes, Amazon, née en 1994, recensait 244 millions de comptes actifs, c’est-à-dire de clients ayant passé une commande au cours des 12 mois passés, Google, lancé en 1998, bénéficiait de 1 420 millions de visiteurs uniques, Facebook créé en 2004, comptabilisait 1 276 millions d’<a href="http://www.fabernovel.com/fr/work/study-gafanomics-new-economy-new-rules/">utilisateurs actifs mensuels</a>.</p>
<h2>Uber ou le cas ultime</h2>
<p>Enfin, un exemple, celui d’Uber, résume à lui seul le phénomène. Cette entreprise de transport urbain voit le jour en 2009 à San Francisco. En 6 ans, elle s’est implantée dans 290 villes et dans 50 pays. En 2014, elle a opéré <a href="http://expandedramblings.com/index.php/uber-statistics/">140 millions de courses</a>). Dans la seule ville de New York, elle a conquis 40 % du marché en valeur des courses commandées à l’avance et <a href="http://fr.slideshare.net/funk97/ubers-business-model">20 % du marché total</a>, c’est-à-dire y compris les taxis hélés dans la rue.</p>
<p>Cette extension mondiale fulgurante est d’autant plus intéressante à analyser qu’elle concerne une industrie locale. Le transport urbain sert en effet des marchés géographiques restreints. Un client pour un trajet à Paris ne peut pas s’adresser à un taxi marseillais, londonien ou bostonien, et inversement. Du côté de l’offre, la concurrence est le fait d’entreprises elles-mêmes locales. Elle est encadrée par une réglementation également d’échelle locale (même si cette dernière s’accompagne parfois d’un cadre national).</p>
<p>Aucune compagnie de taxi ne s’était internationalisée avant Uber. Pourquoi l’a-t-elle fait ? Pourquoi ne s’est-elle pas contentée de conquérir une à une les grandes villes des États-Unis ? 18 mois après son lancement à San Francisco Uber sort déjà des frontières fédérales. Jusque-là elle n’était pourtant présente ailleurs qu’à New York, Seattle, Chicago, et Boston. Paris sera sa sixième conquête.</p>
<h2>Une stratégie contre-intuitive</h2>
<p>En première analyse, la stratégie globale d’Uber est contre-intuitive. Rien ne semble la justifier sur un plan économique. L’application d’Uber contrairement aux systèmes d’exploitation comme Windows ou Android ne correspond pas à un coût fixe tel que seule l’assurance d’un débouché dans plusieurs pays permet de l’amortir.</p>
<p>En fait, l’application doit être ajustée à chaque marché, ce qui entraîne des coûts additionnels spécifiques. Uber doit bien sûr l’adapter aux différentes langues, monnaies et mesure des distances. Mais pour chaque ville, il faut également une nouvelle carte. De plus la réglementation, la densité de population et les transports alternatifs varient d’un endroit à l’autre ; ce qui implique des adaptations dans les services offerts et le recrutement de chauffeurs. Bref, les économies d’échelle et d’envergure ne justifient pas l’internationalisation d’Uber.</p>
<h2>Expansion ou internationalisation ?</h2>
<p>Mais doit-on parler d’internationalisation ? La stratégie d’expansion d’Uber n’est pas de conquérir des nouveaux pays, mais des nouvelles métropoles. Selon son directeur général et co-fondateur, Travis Kalanick, la dimension nationale n’est pas une variable clef pour identifier les villes où Uber a intérêt à se développer en priorité. Il cite l’exemple de Paris dont les services automobiles de transport urbain ressemblent beaucoup plus à ceux de San Francisco qu’à ceux de New York. Il en <a href="http://newsroom.uber.com/paris/fr/2011/12/were-going-global-with-big-funding/">déduit</a> que l’idée traditionnelle « le marché domestique d’abord, l’international ensuite, ne s’applique pas ».</p>
<p>Travis Kalanick justifie l’expansion globale d’Uber par la pression concurrentielle. Le modèle d’affaires et la technologie d’Uber sont imitables. De premiers concurrents, Lyft et Side-car par exemple, n’ont pas tardé à apparaître aux États-Unis. Pour rester en tête, il faut grandir très vite, et donc servir le plus grand nombre de marchés locaux de la planète.</p>
<p>L’avantage au premier réside ici dans la connaissance de la marque. Plus la marque sera diffusée, plus nombreux seront les consommateurs qui téléchargeront l’application de demande de courses sur leur téléphone intelligent. Plus tôt la marque sera connue, plus il y a de chances qu’elle soit la première qu’ils installent. (Rien ne les empêchera par la suite d’installer l’application de concurrents, mais la tendance à ne s’adresser qu’à un seul est forte.) Le mécanisme est identique pour le recrutement des chauffeurs avec toutefois une plus forte propension que les consommateurs à adhérer à plusieurs réseaux.</p>
<p>L’avantage de notoriété de la marque est décisif car selon un phénomène d’entraînement bien connu des plateformes, plus il y a d’abonnés Uber plus il est intéressant d’être chauffeur Uber (il y a ainsi plus de chances d’obtenir une course) et plus il y a de chauffeurs Uber plus il est intéressant d’être abonné Uber (il y a ainsi plus de chances de trouver vite un véhicule).</p>
<p>Cependant, hormis pour les voyageurs d’affaires, une marque locale pourrait parfaitement suffire. La notoriété pourrait être acquise par des dépenses publicitaires dans des supports dont l’audience ne dépasse pas les limites de la ville convoitée, l’affichage urbain par exemple. Ce qui est important est d’arriver le premier dans les métropoles visées et non d’être le plus grand de la planète.</p>
<p>Le tour de force d’Uber est d’avoir installé sa marque dans le monde entier, et donc dans l’ensemble des grandes villes, à une vitesse phénoménale et à un coût modeste. Dans chaque ville ou presque, l’arrivée d’Uber s’est en effet traduite par des débats judiciaires et des <a href="https://theconversation.com/uber-et-frederic-bastiat-47132">actions d’éclat des chauffeurs de taxi traditionnels</a>. Les médias nationaux ont relayé les informations et rendu compte régulièrement de ce qui se passait dans les villes étrangères.</p>
<h2>Jouer sur les vents contraires</h2>
<p>Les actions en justice et les cris des entreprises installées ont offert à Uber une puissante caisse de résonnance pour installer sa marque à l’international. Soulignons que la stratégie d’expansion effrénée et globale d’Uber n’aurait pas pu être menée sans l’appui financier du capital-risque. Uber a levé plusieurs milliards de dollars auprès de fonds. Elle a battu le record mondial auparavant détenu par Facebook. Memlo et Google Ventures ont parmi d’autres participé aux divers tours de table du financement de l’expansion d’Uber. La conquête fulgurante de positions dominantes mondiales est pour partie liée à l’essor du développement de l’industrie financière au cours des années 1980, en particulier en matière de capital-risque.</p>
<p>Pour Travis Kalanick, ainsi que pour un nombre croissant d’entrepreneurs, le terrain de jeu envisagé dès le départ de leur projet est la planète tout entière avec ses 7 milliards d’habitants. Les barrières géographiques et culturelles ne sont pas considérées comme des obstacles. Les particularismes nationaux sont à peine mentionnés dans les études de marché et les plans d’affaires. Grâce à Internet et au téléphone mobile, chaque humain connecté – ils sont environ aujourd’hui 3 milliards – est un consommateur potentiel, même s’il n’a pas d’argent ! La planète s’est brutalement rétrécie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48692/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire de François Lévêque reçoit des aides à la recherches de nombreuses entreprises, notamment au cours des 5 années passées d’EDF, Microsoft et Philips. Par ailleurs François Lévêque est Associé-Fondateur de Microeconomix, cabinet d’expertise et de conseil en analyse économique.</span></em></p>L’accélération de l’adoption des innovations et l’extension de la dominations mondiale des groupes vont de pair. Uber en est un excellent exemple.François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/471322015-09-20T14:08:56Z2015-09-20T14:08:56ZUber et Frédéric Bastiat<p>Le gouvernement et les chauffeurs de taxi français sont furieux contre Uber, l’entreprise d’origine californienne offrant le service populaire de partage de voiture. Fin juin 2015, <a href="http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/06/29/uberpop-deux-dirigeants-d-uber-en-garde-a-vue_4664052_1656994.html">la justice française a arrêté</a> deux dirigeants <a href="https://www.uber.com/fr/">d’Uber France</a>, pour les juger en correctionnelle. Quant aux chauffeurs de taxi, ils ont été très loin dans leurs <a href="http://actualite.housseniawriting.com/international/2015/06/26/france-les-protestations-anti-uber-provoquent-le-chaos-et-la-violence/5499/">manifestations violentes</a>, on s’en souvient, brûlant des voitures et agressant les chauffeurs et les passagers d’Uber.</p>
<p>Ces débordements ont eu au moins une conséquence positive pour les chauffeurs de taxi. Uber a <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/03/uber-annonce-la-suspension-d-uberpop-en-france_4669011_3234.html?xtmc=uber&xtcr=27">suspendu l’opération d’UberPop</a>, un service fourni par des chauffeurs non professionnels. Le <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/">Conseil Constitutionnel</a> lui-même s'est penché sur la légalité d’UberPop.</p>
<p>Cette situation me fait penser à un économiste français, bien connu à son époque, mais relativement obscur aujourd’hui. <a href="http://bastiat.org/fr/">Frédéric Bastiat</a>, né en 1801 à Bayonne, a travaillé dans l’entreprise d’exportation fondée par sa famille avant d’être élu à l’Assemblée nationale. Son expérience commerciale a nourri les idées économiques qu’il a théorisées dans un certain nombre d’essais polémiques publiés dans les années 1840. Malheureusement, il a contracté la tuberculose pendant un de ses tours en France. Retiré à Rome pour tenter de se soigner, il y est mort en 1850.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=708&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=708&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=708&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/94423/original/image-20150910-27332-8b73z3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Frédéric Bastiat (1801-1850)</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’expérience de Bastiat confirme qu’il est possible de changer l'orientation de sa vie professionnelle, même à un certain âge. Il a fait publier son premier essai sur les sciences économiques en 1844 dans le <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34426009k/date">Journal des Économistes</a>, auquel il a fourni des articles jusqu’à sa mort. Ce changement de carrière lui a permis de gagner une renommée internationale qu’il n’aurait jamais pu acquérir en restant commerçant ou même homme politique.</p>
<p>Son essai le plus célèbre est une satire qui s’applique fort bien à la situation contemporaine d’Uber France. Malgré le fait qu’il est né 200 ans avant la fondation d’Uber et qu’il n’entendait rien au partage de voiture, aux applications, et aux smartphones, son analyse de la frilosité des propriétaires de petites entreprises, tels les chauffeurs de taxi, est aussi pertinente aujourd’hui qu’en 1845, la date de la publication de <a href="http://bastiat.org/fr/petition.html">Pétition des fabricants de chandelles</a>. Cet essai prend la forme d’une supplique des fabricants de bougies au Parlement français. La pétition demande au gouvernement « de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale ».</p>
<p>Autrement dit, les fabricants de bougies veulent démontrer les effets nuisibles d’un « concurrent étranger » (le soleil) sur l’économie de la France. Fait aggravant, non seulement le soleil peut fournir le même « produit » que les bougies, mais il le fait gratuitement. Bastiat affirme – ironiquement, bien sûr – que si la population française utilisait uniquement des bougies, toutes sortes d’entreprises auxiliaires comme l’agriculture, le transport, et l’exploitation minière pourraient aussi prospérer.</p>
<h2>« Humble Proposition » à la française</h2>
<p>Bastiat fait partie de la tradition des grands écrivains satiriques comme l’Irlandais Jonathan Swift, l’auteur de <a href="http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article1700">Humble Proposition</a>. Dans cet essai, Swift propose la notion de manger des bébés pour – en même temps – nourrir le peuple et réduire la surpopulation. La brillance de la satire de Bastiat réside dans la démonstration prétendue des effets nuisibles du soleil et l’exposition de l’illogisme absurde de cet effort de protéger les fabricants de bougies d’un « rival étranger qui possède des avantages compétitifs ». Si on remplace le soleil par Uber et les fabricants de bougies par les chauffeurs de taxi, on peut voir la même myopie aujourd’hui qu’en 1845.</p>
<p>Pétition des fabricants de chandelles est un texte d’à peine 1 600 mots. Mais malgré sa brièveté, l’essai illustre parfaitement la vision de Bastiat de la notion classique de la liberté économique, ainsi que son opposition au protectionnisme. En plus, l’essai révèle – pour le meilleur ou le pire – pourquoi ses idées ont été privilégiées par des chefs d’État contemporains comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Et par la nouvelle vague libertarienne. Cet essai – et d’autres par Bastiat – sont à lire d’urgence, surtout pendant que le Conseil Constitutionnel étudie la légalité d’UberPop et la direction que peut prendre <a href="http://businessmacroeconomics.com/">l’économie</a> française.</p>
<p><em>Andy Koppel, docteur en littérature française à Tufts University, a été le co-auteur de la version française de cet article. Il a été vice-président du marketing technique et relations OEM à North Atlantic Publishing Systems. Il n’a pas de relation, d’investissement ou de connexion particulière a un quelconque service d’auto-partage.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/47132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jay L. Zagorsky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'histoire de l'affrontement entre Uber France et les taxis fut racontée en 1844 par Frédéric Bastiat, économiste libéral, sous forme d'une satire grinçante. Avait-il vu juste?Jay L. Zagorsky, Economist and Research Scientist, The Ohio State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.