tag:theconversation.com,2011:/us/topics/tchetchenie-73380/articlesTchétchénie – The Conversation2023-07-06T17:19:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2086082023-07-06T17:19:56Z2023-07-06T17:19:56ZRussie : la condamnation emblématique d’Oleg Orlov, figure de la lutte pour les droits humains<p><em>Oleg Orlov <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/le-dissident-russe-oleg-orlov-condamne-a-deux-ans-et-demi-de-prison-pour-ses-denonciations-de-l-offensive-militaire-en-ukraine_6218816_3210.html">vient d'être condamné à deux ans et demi de prison</a>. Nous vous proposons de relire cet article rédigé il y a quelques mois, au moment de la deuxième audience de son procès.</em></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1762413076303823286"}"></div></p>
<p>Le 8 juin dernier, un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/russie-ouverture-du-proces-de-lactiviste-oleg-orlov-figure-de-long-memorial-accuse-davoir-discredite-larmee-20230608_3LE2R2WNWVCB7KETZGDZGNUHME/">procès s’est ouvert à Moscou</a> contre <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Oleg-Orlov-pacifiste-russe-indomptable-2022-07-14-1201224878">Oleg Orlov</a>, 70 ans, éminent défenseur des droits humains en Russie, coprésident de l’organisation Centre de défense des droits humains <a href="https://memorialcenter.org/">Memorial</a>. Il est jugé pour avoir « jeté le discrédit sur l’action de l’armée russe » en Ukraine. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/guerre-en-ukraine-cinq-questions-sur-la-loi-de-censure-votee-en-russie-qui-condamne-toute-information-mensongere-sur-l-armee_4992688.html">Une loi adoptée peu après l’attaque lancée par Moscou en février 2022</a>, interdisant toute forme de critique de l’armée russe.</p>
<p>Après une courte première audience, qui ne fut que formelle, une deuxième audience <a href="https://twitter.com/france_memorial/status/1675822606971273216">s’est tenue le 3 juillet</a>. Pour l’instant, si de nouvelles charges ne sont pas retenues contre lui, il risque une peine de trois ans de prison.</p>
<p>Sa vie entière a été consacrée à la défense des droits humains, dans l’URSS finissante d’abord, puis dans la Russie de Boris Eltsine, spécialement durant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, depuis 2000, dans celle de Vladimir Poutine, où la société civile a été progressivement, et de plus en plus rapidement au cours de ces dernières années, mise au pas par le régime. Revenir sur son engagement, qui lui a valu d’innombrables problèmes judiciaires et aussi des attaques physiques, permet de mieux saisir l’ampleur de la tâche à laquelle les défenseurs des droits humains se consacrent en Russie depuis des décennies, au péril souvent de leur liberté, parfois de leur vie.</p>
<h2>Une vie au service des droits humains</h2>
<p>La vocation d’Oleg Orlov s’est manifestée très tôt. En 1979, alors qu’il travaille comme biologiste à l’Institut de physiologie végétale, il imprime après le travail des tracts dénonçant la guerre en Afghanistan et les affiche dans des entrées d’immeubles, des stations de bus et des cabines téléphoniques. En 1981, il s’élève de la même manière contre l’interdiction du syndicat Solidarność en Pologne. Il expliquera plus tard qu’il avait agi ainsi, prenant des risques considérables dans le contexte de la dictature soviétique, car il sentait qu’il ne lui était pas possible de se taire.</p>
<p>C’est tout naturellement, que, à la fin des années 1980, il compte parmi les <a href="http://prequel.memo.ru/fr">fondateurs de l’ONG <em>Memorial</em></a>. Les membres de cette organisation <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2009-3-page-131.htm">créée à l’origine pour entretenir la mémoire des victimes de la répression stalinienne</a> et prévenir un retour à de telles répressions comprirent vite que leur mission allait de pair avec la protection des droits humains dans la Russie contemporaine. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oleg Orlov, deuxième à partir de la gauche, lors d’une manifestation de Memorial à Moscou le 1ᵉʳ mai 1990 en soutien à la Lituanie, placée sous blocus par les autorités soviétiques pour avoir proclamé son indépendance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://prequel.memo.ru/fr">D. Bork Memorial</a></span>
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<p>En 1990, Orlov abandonne sa profession de biologiste pour rejoindre la commission parlementaire des droits de l’homme, officiellement créée auprès du Soviet suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Il ne lui était pas facile de devenir ainsi un représentant officiel de l’État, mais <a href="https://desk-russie.eu/2021/08/20/serguei-kovalev-la-conscience-de-la-russie.html">Sergueï Kovalev</a>, une des très grandes figures de la dissidence et ancien prisonnier politique soviétique, l’a convaincu d’accepter : « On doit profiter de cette occasion, cela ne durera peut-être pas longtemps. »</p>
<p>Il ne s’était pas trompé : Oleg Orlov ne resta à cette position que trois ans, durant lesquels son activité donna de nombreux résultats. La commission des droits de l’homme a notamment rédigé d’importantes lois sur la réhabilitation des victimes de la répression politique, sur les réfugiés et sur le système pénitentiaire.</p>
<p>En 1993, après le <a href="https://theconversation.com/comment-une-democratie-peut-sauto-dissoudre-lexemple-de-la-russie-des-annees-1990-196914">conflit sanglant entre le président Boris Eltsine et le Parlement</a>, Orlov décide de quitter une position officielle, pour se concentrer sur son travail au sein de Memorial. Cette même année, l’ONG se dote d’un Centre des droits humains, visant spécifiquement à documenter les violations commises par le pouvoir et à procurer une aide, notamment juridique, aux victimes. Orlov en prend rapidement la tête.</p>
<p>Depuis lors, pas un seul conflit armé dans lequel la Russie a été impliquée n’a échappé à la vigilance de cette organisation <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n128/article/russie-comment-defendre-les-droits-de-lhomme">et d’Oleg Orlov en particulier</a> : les deux guerres de Tchétchénie, la guerre contre la Géorgie en 2008, la guerre dans le Donbass en 2014-2016.</p>
<h2>Ne pas se taire sur les crimes du pouvoir</h2>
<blockquote>
<p>« Le “nettoyage” du village s’est accompagné de meurtres de civils, de violences à l’égard des personnes arrêtées, de pillages et d’incendies de maisons. C’est au cours de ce “nettoyage” que la plupart des villageois ont été tués et la plupart des maisons détruites. […]</p>
<p>Les tirs de mitrailleuses des véhicules blindés de transport de troupes et des chars d’assaut qui entraient dans le village ont aussi fait de nombreuses victimes parmi les villageois. Le 7 avril, 1<sup>er</sup> jour de l’opération, deux hommes âgés de 75 et 34 ans ont été tués lorsque les militaires sont entrés dans le village. Le lendemain, des tirs provenant de véhicules blindés de transport de troupes ou de chars qui passaient ont tué une jeune fille de 18 ans, un homme de 61 ans et un adolescent de 16 ans […]. De nombreux témoins ont rapporté que les soldats russes lançaient délibérément des grenades dans les sous-sols et les pièces des maisons, ainsi que dans les cours, sachant ou soupçonnant que des personnes s’y trouvaient. […]</p>
<p>Le 8 avril, un homme de 37 ans, blessé lors du bombardement de la veille, a été détenu chez lui avec son frère pour être “filtré”. Lors du convoi, d’autres détenus l’ont porté sur une civière. Près de la gare, sur ordre des convoyeurs, ils ont posé la civière au sol et les militaires ont abattu le blessé. Le même jour, un homme de 62 ans a été abattu à bout portant par des militaires dans une maison, puis aspergé d’essence et incendié. »</p>
</blockquote>
<p>Ce texte ne décrit pas les <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/03/1133307#:%7E:text=Les%20attaques%20russes%20contre%20les,de%20l%E2%80%99homme%20de%20l%E2%80%99">crimes de guerre</a> commis par l’armée russe à <a href="https://theconversation.com/ukraine-comment-les-equipes-medico-legales-enquetent-sur-les-atrocites-de-boutcha-180991">Boutcha</a> ou Irpin. Il est extrait d’un rapport du Centre des droits humains Memorial, dont Orlov était l’un des auteurs, portant sur les événements survenus dans le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/04/16/des-democrates-russes-denoncent-les-exactions-commises-dans-le-village-tchetchene-de-samachki_3868188_1819218.html">village tchétchène de Samachki</a> les 7 et 8 avril 1995, durant la première guerre de Tchétchénie. Depuis, le modus operandi de l’armée russe n’a pas beaucoup changé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Finlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?</a>
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<p>En Tchétchénie, Oleg Orlov a pris tous les risques. Ainsi, il a participé en juin 1995 aux <a href="https://www.rightsinrussia.org/orlov-2/">négociations avec les terroristes</a> qui, sous le commandement de Chamil Bassaïev, avaient pris des otages dans la ville de Boudionnovsk, dans le Caucase du Nord. À l’issue de ces échanges, des membres du groupe de négociateurs, dont Orlov, se sont portés volontaires pour rester aux mains du commando en tant qu’otages, en échange de la libération des 1 500 otages aux mains du groupe Bassaïev.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iGMii7ZCTYo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2007, il est <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-ingushetia-idUSL242348520071124">enlevé avec un groupe de journalistes</a> par des hommes armés masqués dans un hôtel d’Ingouchie, toujours dans le Caucase russe. Conduits hors de la ville dans un champ, ils furent menacés d’exécution et finalement passés à tabac, leurs ravisseurs exigeant qu’ils quittent l’Ingouchie et n’y reviennent jamais.</p>
<p>Le modus operandi des forces répressives du Caucase du Nord, n’a pas changé depuis ces années, comme en témoigne l’agression violente contre la journaliste de Novaïa Gazeta Elena Milachina et l’avocat Alexandre Nemov commise le 4 juillet 2023, alors qu’ils se trouvaient en Tchétchénie pour suivre le procès d’une femme, Zarema Moussaïeva, ayant pour seul tort d’être la mère d’opposants au satrape local, Ramzan Kadyrov, et qui a d’ailleurs été <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/07/04/chechen-court-sentences-mother-of-prominent-activist-to-55-years-in-prison-a81728">condamnée ce même 4 juillet à cinq ans et demi de prison</a>.</p>
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<p>Pendant toutes ces années, Oleg Orlov a vu ses collègues kidnappés, torturés et <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/07/16/natalia-estemirova-ou-la-mort-a-petit-feu-des-droits-de-l-homme-en-tchetchenie_1219634_3214.html">assassinés</a>, les bureaux de Memorial dans le Caucase du Nord <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20180117-russie-bureaux-ong-memorial-incendies-caucase">incendiés</a>, le Centre des droits humains Memorial <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/07/21/russie-l-ong-memorial-enregistree-comme-agent-de-l-etranger_4460831_3214.html">déclaré agent de l’étranger</a> en 2014 par les autorités russes, puis <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-la-justice-dissout-le-centre-des-droits-humains-de-l-ong-memorial-29-12-2021-2458520_24.php">dissous</a> le 29 décembre 2021. Cette dissolution est officiellement entrée en vigueur le 5 avril 2022, quelques mois avant l’attribution à Memorial, conjointement avec le militant biélorusse Ales Bialiatski et l’ONG ukrainienne Centre pour les libertés civiles, du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/07/le-prix-nobel-de-la-paix-2022-attribue-a-l-ong-russe-memorial-au-centre-pour-les-libertes-civiles-ukrainien-et-a-l-opposant-bielorusse-ales-bialiatski_6144814_3210.html">prix Nobel de la paix 2022</a>.</p>
<p>Trente ans durant, le <a href="https://www.rferl.org/a/russia-faces-of-memorial-stories-/31631658.html">Centre</a> aura documenté des milliers de cas de violations des droits humains et tenté de faire rendre des comptes aux responsables. Il était évident qu’avec l’invasion massive de l’Ukraine, les autorités russes décideraient de liquider définitivement une telle organisation et de réduire ses membres au silence, en les poussant au départ ou en les envoyant derrière les barreaux. Ce contexte pesant n’a toutefois jamais découragé Oleg Orlov de poursuivre son action de défense des droits humains.</p>
<h2>Protester contre la guerre en Ukraine depuis la Russie</h2>
<p>Le 26 février 2022, deux jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’est rendu devant le Parlement russe, portant une pancarte sur laquelle il avait dessiné une colombe de la paix. Il n’y est pas resté plus de cinq minutes, arrêté par la police. Pensait-il qu’une telle colombe dessinée sur une feuille A4 arrêterait la guerre ? Ou réveillerait la conscience des députés russes ?</p>
<p>Bien sûr, il n’est pas aussi naïf, mais une fois de plus, il ne pouvait se taire. Il est ainsi, entre le 24 février et mai 2022, descendu cinq fois dans la rue pour manifester seul, <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-en-ukraine-un-opposant-au-kremlin-interpelle-apres-une-manifestation-solitaire-sur-la-place-rouge-10972536">et s’est retrouvé chaque fois au poste de police</a>. Sur ces pancartes il avait écrit : « Paix à l’Ukraine, liberté à la Russie » ; « La folie de Poutine pousse l’humanité vers une guerre nucléaire » ; « Notre refus de connaître la vérité et notre silence nous rendent complices du crime » ; « URSS 1945, pays victorieux du fascisme ; Russie 2022, pays du fascisme triomphant ».</p>
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<p>Chaque fois, un tribunal russe l’a reconnu coupable, d’abord d’avoir enfreint les règles de rassemblement, puis d’avoir violé les nouvelles lois adoptées à la hâte qui ont renforcé la censure de toute opposition à la guerre. Chacune de ces condamnations donne lieu à des amendes et, surtout, est inscrite dans son casier judiciaire ; c’est pourquoi, quand en novembre 2022, Orlov publie un <a href="https://blogs.mediapart.fr/russie-les-voix-de-la-dissidence-daujourdhui/blog/131122/russie-ils-voulaient-le-fascisme-ils-lont-eu">article</a> sur le site français Mediapart où il compare le régime de Poutine à un régime fasciste, article dont il dépose la version russe sur sa page Facebook, l’appareil répressif s’en saisit immédiatement et l’inculpe pour avoir « jeté le discrédit de façon répétée » sur les actions de l’armée russe.</p>
<p>Il risque désormais jusqu’à trois années de prison. Il est fort possible que ce ne soit que le début d’une longue persécution. Les autorités russes, qui <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/20/russia-recruits-inmates-ukraine-war-wagner-prigozhin">amnistient facilement des assassins</a>, punissent durement les propos tenus contre le régime.</p>
<p>Oleg Orlov n’a pas été placé en détention avant son procès. Il est soumis à l’engagement de ne pas quitter le pays, comme si les autorités lui laissaient entendre qu’il n’est pas trop tard pour échapper à la prison en quittant clandestinement la Russie. Mais tout au long de sa vie, malgré les multiples pressions qu’il a subies, le militant n’a jamais souhaité émigrer. Bien que se sachant menacé, il a toujours considéré que sa place était là, à Moscou et partout sur le terrain.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’a pas dérogé à ce choix. À la différence de la politique soviétique menée face à la dissidence, qui évitait, pour l’essentiel, que les opposants au régime quittent le territoire, ou les utilisait parfois comme des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14682745.2013.793310">monnaies d’échange</a>, les autorités russes <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_inozemstev_exode_juillet_2023.pdf">poussent aujourd’hui toutes celles et ceux qui les critiquent à quitter leur pays</a>. Elles mènent des perquisitions pour signifier à certains opposants qu’ils n’ont désormais pour choix que la fuite ou l’incarcération. Ils laissent les frontières ouvertes, espérant ainsi « purifier » le pays de tous ceux qui s’opposent à la guerre et à l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Oleg Orlov n’a pas voulu céder à ce chantage. Il est resté et a continué, inlassablement, de se battre pour les droits humains. Au risque de perdre sa liberté pour de longues années.</p>
<p>Qu’advient-il de Memorial, l’organisation qui a été la sienne durant toutes ces années, désormais liquidée ? Son nom n’a pas été choisi par hasard : la mémoire ne peut être liquidée, quels que soient les efforts de l’appareil répressif et judiciaire russe. Le Centre des droits humains Memorial est devenu le Centre de défense des droits humains Memorial (organisation créée, mais non enregistrée, ce qui est pour l’instant un statut légal en Russie). Ses objectifs restent les mêmes et ses membres poursuivent son action, aujourd’hui comme hier. Cela d’autant plus que ces droits n’ont jamais été autant bafoués. Oleg Orlov est là pour nous le rappeler.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été coécrit avec Natalia Morozova (FIDH et Centre de défense des droits humains Memorial)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Blum est membre fondateur de Mémorial-France, association créée en 2021 pour soutenir l'ONG russe Mémorial et ses membres.</span></em></p>Inlassable militant des droits de l’homme Oleg Orlov, figure de la grande ONG russe Memorial, vient d’être condamné à deux ans et demi de prison pour avoir dénoncé la guerre russe en Ukraine.Alain Blum, Directeur de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1817302022-04-28T21:21:58Z2022-04-28T21:21:58ZFinlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?<p>Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 –, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles <a href="https://clio-cr.clionautes.org/terres-de-sang-leurope-entre-hitler-et-staline.html">purges staliniennes</a> et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">plein effondrement</a> où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, <a href="https://www.cairn.info/breve-histoire-de-la-russie--9782080244130-page-277.htm">« relevée »</a> au cours des deux dernières décennies ?</p>
<p>Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.</p>
<h2>Autorité ne veut pas dire contrôle</h2>
<p>Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, <a href="https://tergam.info/2018/12/31/la-premiere-bataille-de-grozny-1994-1995/?lang=fr">lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny</a>, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités <a href="https://nationalinterest.org/blog/reboot/grozny-1994-battle-changed-post-soviet-russia-forever-181529">refusant d’obéir</a>.</p>
<p>Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, <a href="https://web.archive.org/web/20070930191909/http:/www.jamestown.org/publications_details.php?volume_id=3&issue_id=140&article_id=1670">« dépendait directement de sa présence sur le terrain »</a>. Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’<a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">autorité charismatique</a> : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-en-ukraine-comment-expliquer-le-nombre-eleve-de-generaux-russes-morts_5034531.html">généraux russes tués</a> dans l’actuelle guerre d’Ukraine.</p>
<p>Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/04/19/moscou-accuse-de-massacres-en-tchetchenie_129738/">très nombreuses exactions commises par les troupes russes</a> dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.</p>
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<figcaption><span class="caption">La guerre de Tchétchénie, un conflit d’une rare violence.</span></figcaption>
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<p>Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer <a href="https://www.decitre.fr/livres/tchetchenie-une-affaire-interieure-russes-et-tchetchenes-dans-l-etau-de-la-guerre-9782746705609.html">cette région dont ils se sentent si proches</a> et dont la capitale Grozny <a href="https://docplayer.fr/10097508-Du-retex-l-enfer-de-grozny-1994-2000-centre-de-doctrine-cdef-d-emploi-des-forces-division-recherche-drex-et-retour-d-experience.html">compte près de 29 % de Russes</a>. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, <a href="https://www.nytimes.com/1996/01/18/world/saying-hostages-are-dead-russians-level-rebel-town.html">à Pervomaiskaya</a>, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-chaos-russe-9782707125705.html">qu’ils détestent</a>, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs. </p>
<p>Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, <a href="https://www.dunod.com/russie-impasse-tchetchene">ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie</a>, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.</p>
<p>Le phénomène s’est également produit lors de la <a href="https://www.economica.fr/livre-la-guerre-finno-sovietique-clerc-louis-c2x32211197?PGFLngID=0">guerre soviéto-finlandaise</a> : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pkxbDwsJo38?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’invasion soviétique de la Finlande – La guerre d’Hiver 1939-40.</span></figcaption>
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<h2>L’ennemi sait toujours communiquer</h2>
<p>Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des <a href="https://docplayer.fr/10097508-Du-retex-l-enfer-de-grozny-1994-2000-centre-de-doctrine-cdef-d-emploi-des-forces-division-recherche-drex-et-retour-d-experience.html">actions beaucoup plus éprouvantes</a> avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.</p>
<p>Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.</p>
<p>Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.</p>
<p>Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.</p>
<p>Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables <a href="https://journals.openedition.org/nordiques/3423">« incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres »</a>, auxquels Helsinki opposait <a href="https://www.economica.fr/livre-la-guerre-finno-sovietique-clerc-louis-c2x32211197?PGFLngID=0">« la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue »</a> des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la <a href="https://military-history.fandom.com/wiki/Franco-British_plans_for_intervention_in_the_Winter_War">promesse d’une intervention armée de la France</a>, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.</p>
<h2>Des guerres en deux phases</h2>
<p>Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.</p>
<p>Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-russie-en-guerre-9782729822415.html">Pour la guerre de Tchétchénie</a>, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1505790132032581636"}"></div></p>
<p>Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un <a href="https://www.universalis.fr/evenement/6-31-aout-1996-accord-de-paix-en-tchetchenie/">armistice</a> reconnaissant <em>de facto</em> l’indépendance de la Tchétchénie.</p>
<h2>Un armistice est-il encore possible ?</h2>
<p>En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.</p>
<p>Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.</p>
<p>Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr%2Finternational%2Farticle%2F2014%2F06%2F05%2Fsanctions-contre-la-russie-etat-des-lieux_4432788_3210.html">guerre du Donbass de 2014</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine.Eric Martel-Porchier, Enseignant chercheur, ICD Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788072022-03-30T18:14:05Z2022-03-30T18:14:05ZComment les dessins d’enfants racontent la guerre et l’exil<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454966/original/file-20220329-21-l9g7bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2003%2C1457&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Figure 1 - Première guerre de Tchétchénie (1994-1996). [Anonyme] : «Tout est en feu»</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">in "J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner", Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 138</a></span></figcaption></figure><p>Parmi les civils de pays agressés militairement ou victimes de persécutions, les figures enfantines – enfants victimes, enfants déplacés comme aujourd'hui en Ukraine, réfugiés, ou bien encore enfants-soldats – ont alimenté depuis quelques décennies les renouvellements de la recherche scientifique sur les violences guerrières.</p>
<p>Les recherches ont d’abord porté sur l’enfant comme objet de mobilisation des discours de guerre, des politiques sociales nationales, internationales, de l’aide humanitaire. Participant elles-mêmes à la mobilisation autour des victimes, les images médiatiques d’enfants suscitent l’émotion, à des degrés très variables, selon le degré de proximité d’un conflit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/abus-violences-crises-guerres-les-traumatismes-vecus-dans-lenfance-ont-des-effets-durables-178220">Abus, violences, crises, guerres : les traumatismes vécus dans l’enfance ont des effets durables</a>
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<p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-si%C3%A8cle-de-refugies-bruno-cabanes/9782021427295"><em>Un siècle de réfugiés</em></a>, Bruno Cabanes souligne en outre la « constante ambiguïté entre la photographie qui documente l’exil, celle qui se complaît dans le spectacle de la souffrance et celle qui alimente, parfois volontairement, la peur de l’invasion migratoire ». Ces représentations sont profondément révélatrices de points de vue d’adultes, de sensibilités collectives, parfois de propagande.</p>
<p>À côté d’études portant sur la mobilisation et la prise en charge de l’enfant, fondées sur les discours et les pratiques de <em>celui qui regarde</em>, des <a href="https://journals.openedition.org/ccec/5212?lang=en">travaux plus récents</a> s’intéressent aux expériences enfantines de la guerre, étudiées à travers les traces qu’elles ont laissées : journaux intimes, lettres, dessins… Ces sources enfantines révèlent le regard que l’enfant lui-même porte sur la guerre et l’exil : elles permettent d’approcher au plus près l’expérience, la dimension <em>vécue</em> de l’événement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fritzi Riesel (Françoise) et Alfred Brauner étudiants, été 1930.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011</a></span>
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<p>Ainsi, l’enfant dont on collecte la parole ou le dessin participe de l’histoire des guerres, et son témoignage graphique est précieux, non seulement pour mesurer l’impact psychique d’un conflit sur l’enfant – selon l’approche des sciences de la <em>psyche</em> – mais encore, dans d’autres disciplines des sciences humaines et sociales, pour évaluer les qualifications spécifiques de certaines situations de conflit impliquant tout particulièrement les civils : guerre d’agression, occupations, bombardements, destructions massives, <a href="https://www.cairn.info/de-la-violence-i--9782738116055-page-273.htm">crimes dits de « profanation »</a>, atteintes à la filiation, crimes contre l’humanité…</p>
<p>Les enjeux humanitaires sont primordiaux ; mais ces représentations permettent également d’écrire l’histoire d’un conflit déterminé <a href="https://www.cairn.info/revue-l-autre-2020-2-page-142.htm?ref=doi">« à hauteur d’enfant »</a>, et de la replacer dans une histoire de l’enfance en guerre et en exil.</p>
<h2>Des travaux précurseurs</h2>
<p>La lecture du dessin d’enfant est alimentée par des engagements précurseurs, en particulier au moment de la guerre d’Espagne, avec l’activité d’Alfred et Françoise Brauner, qui a fait l’objet des travaux scientifiques <a href="https://www.scienceshumaines.com/enfance-violence-exilune-histoire-des-guerres-contemporaines-a-hauteur-d-enfant_fr_32375.html"><em>Enfance, Violence, Exil</em></a> (EVE). Dans la perspective d’une histoire de l’enfance « à hauteur d’enfant », l’étude des fonds collectés et analysés permet d’approfondir notre compréhension de l’expérience des enfants en guerre, évacués et/ou exilés. Elles sont actuellement poursuivies dans le cadre du projet <a href="https://refugiereve.hypotheses.org/">Réfugier-Enfance Violence Exil</a> (REVE).</p>
<p>Leur vie durant, Alfred et Françoise Brauner ont collecté les <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33253488.texteImage">« dessins-témoignages »</a> d’enfants en guerre. Dès 1937, ils rejoignent les Brigades Internationales en Espagne, elle d’abord, comme médecin ; lui ensuite, avec la charge d’inspecter les centres pour enfants évacués de la côte levantine. C’est dans ces foyers que les Brauner commencent à s’intéresser au dessin comme outil thérapeutique, mais aussi politique, servant à dénoncer les horreurs de la guerre et, plus encore, à aiguiller la solidarité internationale envers la République espagnole.</p>
<p>On estime durant la guerre à environ 600 000 le nombre total de pertes humaines directement dues à la guerre, dont plus de la moitié sont des non-combattants. Cette première expérience humanitaire se prolonge à leur retour en France, avec des enfants juifs évacués d’Allemagne et d’Autriche, puis revenant des camps en 1945. Par la suite, l’engagement des Brauner en faveur de <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1947_num_2_2_1805">« ces enfants qui ont vécu la guerre »</a> ne se dément pas, que ce soit par l’action associative avec Enfants Réfugiés du Monde, ou par la collecte ininterrompue des dessins d’enfants en guerre, à travers le siècle et les continents – du Liban au conflit Iran-Irak, de l’Algérie au Vietnam, de l’Afghanistan à la Tchétchénie…</p>
<p>Des deux mille dessins conservés, les Brauner ne retiendront qu’un dixième pour le livre <em>J’ai dessiné la guerre</em> en 1991, comme dans le film du même titre réalisé en 2000 par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Brauner">Alfred Brauner</a> et le documentariste Guy Baudon.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 2 : Guerre d’Espagne (1936-1939). Manuel Pérez Osana, 12 ans : « Ma maison cassée ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 44-45</a></span>
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<p>Les Brauner se sont en particulier occupés d’enfants évacués en Espagne, à Benicàssim en 1938. Alfred Brauner commente : « Et il faut regarder de très près pour découvrir, minuscule à côté de la bombe qui n’a pas fini de tomber, une figure humaine avec l’inscription : <em>Padre</em>. C’est la dimension réduite du personnage mort du père qui traduit l’effroi. […] En haut du dessin, la légende-titre est politique : le fascisme a passé par là ! »</p>
<p>L’originalité des Brauner est d’avoir mis les enfants et leur discours sur la guerre au premier plan, depuis leurs engagements antifascistes et antinazis des débuts jusqu’à leurs prises de position pacifistes et antinucléaires postérieures, les poursuivant dans des contextes pédagogiques. Le dessin, comme support d’une libre expression, constitue un champ d’expérience par lequel il s’agit de faire valoir les droits des enfants.</p>
<h2>Lire des terrains de guerre</h2>
<p>Les dessins de la collection Brauner nous semblent souvent d’une remarquable actualité. Il faut cependant <a href="https://laviedesidees.fr/Le-tragique-ne-nous-a-jamais-quittes-Sur-la-guerre-en-Ukraine.html">se défier d’une interprétation présentiste</a> qui viendrait lire, par exemple, l’actuelle guerre d’agression engagée par la Russie contre l’Ukraine à la lumière des guerres du passé, entre le XX<sup>e</sup> et le XXI<sup>e</sup> siècles. Chaque dessin doit être replacé dans son contexte historique dans la mesure où il porte l’empreinte d’un monde social soumis en temps de guerre à des bouleversements singuliers, lesquels déterminent la nature propre et la représentation de l’expérience.</p>
<p>Chaque dessin doit donc être l’objet d’une lecture <em>spécifique</em>, qui prenne en compte ce contexte de production. Aussi la collection Brauner fait-elle l’objet d’une description précise, reproduisant à la fois le commentaire livré par Alfred Brauner, lui-même historiquement situé, et les données descriptives, parfois lacunaires, dont la recherche dispose : nom de l’enfant, âge, lieu de la réalisation, date, format…</p>
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<figcaption><span class="caption">Retour sur le programme Enfance Violence Exil (Ville de Clermont-Ferrand, 2013).</span></figcaption>
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<p>La collecte de dessins repose à la fois sur cette description d’éléments contextuels, factuels, et sur les corrélations établies entre différents_ regards graphiques_ d’enfants ; et leur <em>lecture</em> se situe aussi dans cette conjonction (<a href="https://refugiereve.hypotheses.org/">Les collections de R-EVE</a>, parmi lesquelles figure la collection Brauner, sont déposées et décrites dans l’entrepôt de données Nakala et disponible à partir du blog de recherche : « Réfugier Enfance Violence Exil (R-EVE) », « Collections »).</p>
<p>Le parcours de la collection révèle la présence d’analogies de thèmes et de composition. Partout, on retrouve la violence en mouvement, les émotions qu’elle suscite : intrusion des militaires, bombardements, corps, blessures, mort, exodes. Des populations européennes aux Sahraouis et aux boat-people d’Asie, les dessins d’enfants révèlent une attention particulière pour l’arsenal guerrier, de la machette au scud, en passant par les baïonnettes, chars, lance-roquettes, et figurent les escadrilles, les obus…</p>
<p>Dans « Tout est en feu » (Figure 1), ce sont deux chars soviétiques qui brûlent : un choix qui révèle également la culture patriotique dans laquelle l’enfant tchétchène grandit. Dans « Ma maison cassée » (Figure 2), Manuel Pérez Osana représente à la fois les avions-chasseurs et bombardiers, et la trajectoire de la bombe qui explose au sol.</p>
<h2>Réappropriation par le dessin</h2>
<p>L’imagination de l’enfant dessinateur s’applique souvent à introduire des personnes susceptibles d’apporter un secours aux blessés, des brancards, des ambulances, l’hôpital. Ces appuis sûrs sont d’abord ceux qu’il voit de ses propres yeux, pompiers, médecins, brancardiers. Le dessin de Manuel Pérez Osana comporte explicitement un appel au secours (<em>Socorro</em>), émis sans doute du point de vue de l’enfant, pris au piège dans la maison bombardée et éventrée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 3 : La guerre en ex-Yougoslavie (1991-1995). [Anonyme] : « Tulipes sur les tombes », dessin d’un enfant d’une école maternelle de Zabreb.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 131</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De manière plus étonnante, l’enfant met en scène sa propre capacité d’action – comme si, avec le dessin, le chaos de la guerre se maîtrisait, fût-ce de manière imaginaire. Cette capacité d’agir peut se manifester sous de multiples formes symboliques : dans le dessin (Figure 3) « Tulipes sur les tombes », un élève croate d’une école maternelle de la ville de Zagreb confrontée dès 1991 aux bombardements de l’armée populaire yougoslave représente des tombes où sont enterrés civils et combattants.</p>
<p>Avec les tulipes, de grande taille, les bougies éclairant les tombes – déposées également sur les rivières <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-2-page-267.htm">dans plusieurs traditions slaves</a> – l’enfant s’empare des rituels de deuil qui maintiennent des liens entre les survivants et le monde des défunts. Cette réappropriation par le dessin est une forme d’action.</p>
<p>Les dessins d’enfants inventent souvent des représentations imaginaires qui constituent autant de refuges dans une réalité chaotique : en 1944, à Terezin, une petite fille juive tchèque, Érika Taussigova, âgée de 9 ans, dessina le dortoir de son stalag avec, au premier plan, une corbeille de fruits, un papillon, et un grand vase rempli de fleurs. Elle ouvrait au seuil de la mort un espace-refuge imaginaire, intime et familier, celui du monde d’avant.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Déflagrations – Dessins d’enfants, guerres d’adultes, Zérane S. Girardeau, Anamosa, 2017.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les collections de dessins d’enfants, d’une terrible actualité dans le monde, portent à nos yeux les expériences enfantines et adolescentes des violences extrêmes. Leur collecte, leur préservation, leur description, leur analyse permettent de retracer l’histoire des usages scientifiques, politiques, humanitaires, artistiques des témoignages graphiques. Mais aussi, <a href="https://inculte.fr/produit/une-ile-une-forteresse/">comme l’écrit Hélène Gaudy</a> dans le récit qu’elle consacre au camp de Terezin, <em>Une île, une forteresse</em>, à partir des <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/puisque-le-ciel-est-sans-echelle-dessins-darthur-goldschmidt-au-camp-de-theresienstadt">dessins d’Arthur Goldschmidt</a> (qui est adulte), ils engagent à échapper à la surface des choses, à « sauvegarder une part de beauté » : « tout est nu, les visages, l’eau, les arbres, tout existe davantage. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Milkovitch-Rioux a reçu des financements de l'Agence Nationale pour la Recherche (ANR): cet argent a été versé au CELIS/Université Clermont Auvergne, non à Catherine Milkovitch-Rioux personnellement.
Autres financements des recherches (par son statut d'enseignante chercheuse): CELIS/UCA, Ihtp/CNRS.
Pour les illustrations, dessins, photographie, couverture issus de l'ouvrage J'ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, PUBP.
Tous droits réservés. </span></em></p>Témoignant des effets dévastateurs des conflits sur le psychisme des jeunes victimes, les dessins d’enfants sont aussi un outil pour faire valoir leurs droits, et des sources pour les historiens.Catherine Milkovitch-Rioux, Professeure de littérature contemporaine, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1792492022-03-16T14:40:38Z2022-03-16T14:40:38ZLes Tchétchènes en Ukraine : l’arme psychologique de Poutine pourrait se retourner contre lui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452014/original/file-20220314-28-1mevvah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C33%2C4367%2C2909&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des militaires participent à une revue des troupes à Grozny, la capitale de la République tchétchène, le 25 février 2022. Féroces guerriers, leur présence en Ukraine est une arme psychologique, mais elle pourrait se retourner contre Vladimir Poutine si la guerre s'éternise.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Musa Sadulayev)</span></span></figcaption></figure><p>Les Tchétchènes ont acquis une réputation de féroces guerriers, depuis les deux guerres qui les ont opposés à la Russie, la première de 1994 à 1996 et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Seconde_guerre_de_Tch%C3%A9tch%C3%A9nie">seconde de 1999 à 2014</a>.</p>
<p>Il s’agit du conflit le plus violent qu’aient connu l’Europe et l’ex-URSS depuis la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Ces guerriers sont actuellement présents en Ukraine des deux côtés de la ligne de front. Les Tchétchènes réfugiés en Ukraine depuis les guerres qui ont ravagé leur pays soutiennent les forces armées de ce pays. Leur implication est presque passée inaperçue. En revanche, l’annonce en grande pompe le 25 février 2022 de l’envoi des troupes de Ramzan Kadyrov en Ukraine pour combattre aux côtés de l’armée russe a fait grand bruit dans les <a href="https://www.reuters.com/world/europe/russias-chechen-leader-says-his-forces-deployed-ukraine-2022-02-26/">médias occidentaux</a>.</p>
<p>Ramzan Kadyrov, président de la République de Tchétchénie depuis 2007, <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/mar/14/ukraine-chechen-leader-ramzan-kadyrov">affirme par ailleurs être lui-même présent en Ukraine</a>. Fidèle parmi les fidèles de Vladimir Poutine, il a ramené la Tchétchénie dans le giron de la Fédération de Russie en utilisant la terreur comme arme de gouvernement. Il est à la tête de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, surnommés les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kadyrovtsy">Kadyrovtsy</a>. Aucune autre entité fédérée de la Fédération de Russie n’est dotée d’une telle force armée. Même si les Kadyrovtsy sont membres de la Garde nationale russe, ils restent sous le seul commandement du président et <a href="https://lenta.ru/news/2020/07/23/generalll/">major-général</a> Kadyrov. Comment interpréter leur participation à l’invasion russe en Ukraine ?</p>
<p>Professeure en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les guerres civiles, en particulier celles de Tchétchénie, le conflit au Sahel, et les violences politiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des soldats sont assis sur une table, devant des immeubles éventrés" src="https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452015/original/file-20220314-28-o5m4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les guerres russo-tchétchènes ont été d’une grande férocité. Sur cette photo d’archive prise en février 2000, des soldats russes se reposent sur la place Minutka, à Grozny, la capitale dévastée de la Tchétchénie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Dmitry Belyakov, File)</span></span>
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</figure>
<h2>Une arme psychologique</h2>
<p>Nombre d’analystes estiment que la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1867401/tactiques-militaires-ukraine-russie-vladimir-poutine">stratégie militaire déployée par la Russie n’a pas donné les résultats escomptés</a> dans les deux premières semaines de la guerre. La résistance des Ukrainiens, couplée à des difficultés de ravitaillement, mais également à une mauvaise coordination des différents corps d’armée et à des problèmes de motivation chez les soldats conscrits comme professionnels, a considérablement ralenti l’avancée des troupes russes. Devant ces difficultés militaires et logistiques, la guerre psychologique devient un élément central de la stratégie russe.</p>
<p>L’annonce de l’entrée en guerre des troupes de Kadyrov et la propagande qui l’entoure participent de cet effort de déstabiliser l’ennemi. Ainsi, les Kadyrovtsy sont avant tout des spécialistes du maintien de l’ordre dans les villes conquises. Ils sont connus pour leur cruauté et les exactions dont ils se sont rendus coupables en Tchétchénie même, dans le Donbass en 2014 où ils sont intervenus, et en Syrie où certains des leurs sont toujours déployés. L’invocation du recours aux troupes tchétchènes sert donc à alimenter la peur au sein de la population ukrainienne. De la même façon, la rumeur voulant que les forces spéciales qui les composent aient pour mission de <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/03/02/zelensky-russia-ukraine-assassination-attempt-foiled/">tuer</a> le président ukrainien Volodymyr Zelensky vise à entretenir l’incertitude et à créer un certain effroi.</p>
<p>Leur rôle peut toutefois aller au-delà, puisque Moscou a envoyé un de ces bataillons dans le Donbass en 2014 pour <a href="https://www.rferl.org/a/vostok-battalion-a-powerful-new-player-in-eastern-ukraine/25404785.html">mettre au pas</a> les séparatistes pro-russes et les purger de leurs éléments les plus contestés. La présence des troupes tchétchènes montre donc que Moscou se prépare en Ukraine à une guérilla urbaine dans laquelle l’expérience des troupes de Kadyrov pourrait représenter un atout, non seulement pour venir à bout localement de la résistance ukrainienne, mais également pour discipliner les troupes russes et leurs affidés.</p>
<h2>Un rebelle rentré dans le rang</h2>
<p>D’autres dimensions plus politiques alimentent directement et indirectement la propagande russe et la guerre psychologique qu’elle sert.</p>
<p>Les interventions de Ranzam Kadyrov à la télévision tchétchène et sur les médias sociaux servent à rappeler ad nauseam sa loyauté envers Vladimir Poutine. Si ces gestes frôlent quelquefois la caricature, ils illustrent le soutien d’un sujet fédéré autrefois rebelle et aujourd’hui, rentré dans le rang après deux guerres d’une violence inouïe et l’instauration d’un régime autoritaire à la solde de Moscou.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Ramzan Kadyrov parle, avec des drapeaux en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452016/original/file-20220314-13-v5bipl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, s’adresse à des militaires, à Grozny, la capitale de la République, le 25 février 2022. Lui-même présent en Ukraine, il a déclaré que les militaires de sa république sont prêts à exécuter tout ordre de Vladimir Poutine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Musa Sadulayev)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certes, la personnalisation à outrance de la politique et du processus de décision au sein de la Fédération rend de facto toute voix dissonante inaudible, si toutefois il y en a. Le fait que Kadyrov incarne cette image de cohésion relève pourtant du paradoxe, tant la relation entre Moscou et la Tchétchénie reste marquée par une forme d’exceptionnalisme au sein de la Fédération.</p>
<h2>Des fissures qui pourraient s’élargir</h2>
<p>À un autre niveau, le soutien de Kadyrov rappelle que l’engagement des sujets fédérés derrière Vladimir Poutine dépasse les frontières ethniques et religieuses, qui se trouveraient effacées devant l’objectif affiché de s’opposer à un Occident honni, tout en combattant les autorités ukrainiennes qualifiées de « nazies ».</p>
<p>Toutefois, derrière cette façade de circonstances apparaissent déjà des fissures qu’il deviendra plus difficile de dissimuler si la guerre s’éternise. En effet, le Kremlin semble avoir demandé aux dirigeants des sujets fédérés de défendre le discours officiel qui fait de cette guerre une « opération militaire spéciale » ne ciblant que des objectifs militaires. Ce rôle de paravent pourrait devenir complexe à tenir pour la plupart d’entre eux alors que commencent à surgir dans la population des interrogations au sujet des pertes importantes que semble subir l’armée russe.</p>
<p>Or, si l’on fait référence à l’armée russe sans autres précisions, on tend à occulter son caractère multiethnique. <a href="https://jamestown.org/program/potential-wildcard-in-ukrainian-conflict-russian-army-not-ethnically-homogeneous/">Des experts</a> estiment même que les <a href="https://theconversation.com/la-russie-une-nation-en-suspens-174141">Russes non-ethniques</a> (c’est-à-dire citoyens russes, mais d’origines autres que russes) y sont majoritaires. Originaires d’entités fédérées moins bien nanties sur le plan socio-économique, ils pourraient représenter une proportion importante des décès. Un tel scénario ne pourrait pas être contrebalancé par les appels de Kadyrov à l’accélération de l’intervention en Ukraine. Ils deviendraient même contre-productifs pour Vladimir Poutine.</p>
<p>Le rôle des kadyrovtsy dans le conflit en Ukraine est loin d’être unidimensionnel. Au-delà de la terreur qu’ils inspirent, ils incarnent l’image d’un engagement total des sujets fédérés derrière le président de la Fédération, Vladimir Poutine. Ce tableau idyllique pourrait toutefois craqueler sous les effets d’une guerre plus longue et plus dure qu’anticipée. Le recours à ces troupes représente donc un pari risqué. Leur faible intégration dans la chaîne de commandement pourrait amoindrir les bénéfices associés à leur engagement aux côtés des unités régulières de l’armée russe. Ainsi, Kadyrov pourrait devenir au niveau politique un handicap tant son triomphalisme semble en décalage avec la réalité de cette guerre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179249/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Campana a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). </span></em></p>Devant les difficultés militaires des Russes en Ukraine, la guerre psychologique devient un élément stratégique. La présence de soldats tchétchènes participe à l’effort de déstabiliser l’ennemi.Aurélie Campana, Professeure titulaire de science politique, spécialiste des violences politiques et de la Russie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507022020-12-17T19:36:21Z2020-12-17T19:36:21ZLa Tchétchénie, révélateur et accélérateur de l’évolution de la Russie depuis 30 ans<p>« Russie, 2036. Une adolescente de 16 ans lit les nouvelles sur Internet à partir d’une puce électronique greffée sur son cerveau, et interpelle sa mère : « Maman, maman, que signifie la phrase : le temps est venu d’élire un nouveau Président pour la première fois en 24 ans ? Maman, pourquoi Poutine ne peut pas continuer ? Il est fatigué, il en a marre ? »</p>
<p>« La Tchétchénie de Kadyrov : laboratoire expérimental de la Russie » : cette banderole brandie par un manifestant solitaire à Moscou le 29 octobre 2020 – en soutien aux personnes disparues en Tchétchénie – est déchirée par les forces de l’ordre.</p>
<p>La première scénette, d’anticipation, <a href="https://www.anekdot.ru/id/1127604/">circule sur les réseaux sociaux russes</a> depuis <a href="https://theconversation.com/russie-apres-la-constitution-eltsine-la-constitution-poutine-142597">l’adoption des amendements à la Constitution de Russie en juillet 2020</a>, qui permettent à Vladimir Poutine de présider la Russie, le cas échéant, jusqu’en 2036. Elle rappelle que les Russes nés en 2020 – comme cette adolescente –, mais aussi dans les vingt années précédentes n’auront connu quasiment qu’un président – Dmitri Medvedev avait en quelque sorte assuré un intérim entre 2008 et 2012. Une sorte de nouvelle normalité s’est créée depuis 2000 : celle du maintien au pouvoir d’un homme présenté comme garant de l’ordre et de la stabilité, après des années 1990 incarnées par le chaos, la tourmente sociale, et de nombreux bouleversements politiques et géopolitiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1278234522216103937"}"></div></p>
<p>La <a href="https://www.kavkazr.com/a/30919256.html">seconde scène</a>, réelle elle, renvoie à la façon dont se sont entremêlées les évolutions tchétchènes et russes au fil des dernières décennies, et au silence imposé sur les disparus.</p>
<p>Cette projection imaginée sur les 20 ans à venir nous amène à regarder dans le rétroviseur des années 2000-2020. Comment l’État russe et son régime politique ont-ils évolué ? Quel rôle les guerres de Tchétchénie ont-elles joué dans cette évolution ? Plus largement, il s’agit aussi de s’interroger sur l’articulation entre recours à la force à l’intérieur du territoire de la Fédération de Russie, évolution du régime russe et interventions extérieures. L’articulation des problématiques russe et tchétchène met en exergue un nœud central, la problématique tchétchène condensant celle des enjeux à l’œuvre au moment de l’effondrement de l’Union soviétique.</p>
<h2>Restaurations autoritaires</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/la-fin-des-empires--9782262051600-page-429.htm">Sortie d’empire</a> et <a href="https://www.cairn.info/la-russie-postsovietique--9782348045660-page-7.htm">sortie de l’autoritarisme</a> étaient en effet, au début des années 1990 – conjuguées à l’enjeu d’une <a href="https://www.cairn.info/l-economie-de-la-russie--9782707145661-page-37.htm">transition</a> d’une économie planifiée à une économie de marché encadrée par le droit –, les mots d’ordre des nouvelles élites. Il s’agissait donc de mener simultanément un projet de libération nationale et de construction démocratique.</p>
<p>Si cet enjeu multiple s’est joué à l’échelle de tout l’espace post-soviétique, le cas tchétchène en incarne une forme paroxystique, et la gestion par Moscou du <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18475">deuxième conflit</a>, dans les années 2000, est sans appel : aux aspirations de libération nationale tchétchène qui <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2011-3-page-189.htm">s’étaient exprimées dans les années 1990</a>, dans l’engouement mimétique de nombreuses proclamations de souveraineté sur l’ensemble du territoire de l’Union soviétique, se substitue une politique d’ordre incarnée par une <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/ramzan-kadyrov-illiberal-peace-chechnya-john-russell/e/10.4324/9781315798318-8">« paix nommée Kadyrov »</a>, du nom de l’homme qui dirige d’une main de fer cette petite République rentrée dans le giron de la Fédération, et sommée de redoubler de loyauté vis-à-vis de Moscou.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage du 15 novembre 2006 sur Ramzan Kadyrov (France 2).</span></figcaption>
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<p>Le message, sans appel, vaut aussi pour la population russe dans son ensemble : les aspirations démocratiques exprimées au tournant des années 1980-1990 rencontrent une fin de non-recevoir, cristallisée par l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence en 2000, et la mise en place de ce qu’il qualifie de <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2007/11/29/la-dictature-de-la-loi-ou-le-retour-de-l-etat-fort_977496_3214.html">« dictature de la loi »</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2020-2-page-154.htm">« verticale du pouvoir »</a>. Dès lors que la figure politique promue à l’avant-scène en 2000 contraste fortement avec tout ce qui incarnait une <a href="https://fr.rbth.com/histoire/80773-russie-vie-annees-1990-spivs-criminalite-gangsters">décennie 1990 largement vécue comme « noire »</a> du fait d’une tourmente marquée par des pertes symboliques et territoriales tous azimuts, un retour de balancier est à l’œuvre.</p>
<p>À l’euphorie bien vite retombée qu’avaient suscitée les espoirs de démocratisation dans un segment de la population russe se sont en effet substitués les constats amers d’une immense différenciation sociale mettant face à face une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00166897/document">poignée de riches oligarques</a> et une majorité de citoyens en lutte pour leur survie, ainsi qu’un discrédit durable de l’idée de démocratie. La société russe était donc prête à accueillir un tel retour à l’ordre.</p>
<p>Ces logiques d’abdication conjuguées, amplifiées dans les années 2010, dessinent d’une certaine façon une dynamique inverse de celle qui fut exprimée au début des années 1990. La dérive autoritaire croissante referme le dossier d’une éventuelle transition démocratique, tandis que la restauration de la tutelle de Moscou sur un « sujet » – c’est le mot qui désigne toutes les entités fédérées de la Fédération de Russie dans la Constitution de 1993 – turbulent donne le ton.</p>
<h2>La religion au service des projets politiques</h2>
<p>Au fil de ces vingt ans, se sont imposées de nouvelles grilles de lecture. Après le retour de Vladimir Poutine à la présidence russe en 2012 (pour ce qui allait être son troisième mandat), la constitution d’un socle idéel officiel est venue appuyer l’évolution autoritaire du pays.</p>
<p>Si la convocation de l’Église orthodoxe, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/kirill-l-ange-gardien-de-poutine-29-11-2012-1695055_24.php">partenaire par excellence de ce projet politique</a>, s’est imposée, l’usage politique d’un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/LE_HUEROU/58581">islam officiel en Tchétchénie</a> a suivi, en parallèle, renforçant le pouvoir au niveau local de Ramzan Kadyrov, fort du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-tchetchenie-poutine-reconduit-kadyrov-au-nom-de-la-securite-28-03-2016-2028466_24.php">mandat qui lui est donné par Moscou pour éradiquer le terrorisme</a>, dans le droit sillage de la narration imposée par Moscou dès 1999 pour disqualifier tout projet indépendantiste tchétchène. En effet, en août 1999 des islamistes tchétchènes et daghestanais, venus de Tchétchénie, effectuent une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/09/07/les-rebelles-islamistes-ouvrent-un-nouveau-front-au-daghestan_3573313_1819218.html">incursion</a> Daghestan. Le président indépendantiste tchétchène élu, Aslan Maskhadov, <a href="https://www.kavkaz-uzel.eu/articles/247053/">désapprouve</a> vigoureusement cette opération, ce qui n’empêche pas Moscou de le qualifier de terroriste et de le disqualifier totalement. À partir de ce moment-là, la narration en vigueur est celle d’une lutte anti-terroriste légitime menée par Moscou pour libérer le peuple tchétchène du terrorisme. Le projet de libération nationale tchétchène est enterré par Moscou.</p>
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<p>L’instauration à partir de 2000 d’un nouveau contrat social en Russie, reproduit en Tchétchénie de façon amplifiée, se base sur l’ordre. Au désordre des années 1990, incarné par une démocratie erratique et une aspiration à la liberté, se substitue en effet dans les années 2000 un ordre autoritaire et répressif, qui offre à la population russe un mieux-être économique et social en échange d’une régression anti-démocratique et de l’érosion méthodique des droits et libertés.</p>
<p>Le contrat social incarné par Ramzan Kadyrov en Tchétchénie reproduit le même type de pacte : la reconstruction de la République et la soumission de la population à une paix des cimetières sont brandies en lieu et place de ce qui avait mu les aspirations indépendantistes. Si l’aspiration à la liberté s’exprimait à travers le combat des Tchétchènes durant la première guerre (1994-1996), c’est aussi par la guerre (1999-2009) et la répression que s’incarne le retour à l’ordre. Les pratiques d’impunité et de non-droit expérimentées en Tchétchénie, exacerbées notamment durant la deuxième guerre (officiellement qualifiée d’<a href="https://www.cairn.info/journal-critique-internationale-2008-4-page-99.htm">opération anti-terroriste</a>) accompagnent et renforcent la dérive autoritaire en Russie, le dernier épisode en date étant la proposition de <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/11/russia-new-foreign-agents-bill-further-erodes-freedom-of-expression-and-association/">durcir la loi sur les « agents étrangers »</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’une réflexion collective de synthèse et prospective <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">« 20 ans déjà, 20 ans demain. 2000-2020-2040 »</a> sur quelques évolutions politiques majeures à l’occasion des 20 ans du <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">Cevipol</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aude Merlin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ramzan Kadyrov dirige la Tchétchénie depuis quinze ans. L’évolution de la république nord-caucasienne reflète et accélère l’évolution de la Russie entière.Aude Merlin, Chargée de cours en science politique à l'Université libre de Bruxelles, spécialiste de la Russie et du Caucase, membre du Cevipol, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418382020-07-05T16:43:01Z2020-07-05T16:43:01ZLa diaspora tchétchène au miroir de Dijon<p>Mi-juin 2020, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/15/dijon-apres-les-violences-inedites-de-ce-week-end-des-forces-de-l-ordre-en-renfort_6042913_3224.html">150 personnes d’origine tchétchène</a> ont afflué à Dijon en provenance de plusieurs villes de France – et même, semble-t-il, de Belgique et d’Allemagne – dans le but affiché de venger l’agression d’un Tchétchène de 19 ans par des dealers. Cette expédition punitive, précédée d’<a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/des-tchetchenes-de-nice-prennent-la-parole-apres-les-violences-aux-liserons-1592323746">incidents de même nature à Nice</a>, a provoqué une certaine sidération et rappelé la réalité de la présence de nombreux Tchétchènes dans plusieurs pays de l’Union européenne, dont la France.</p>
<p>Force est de constater que c’est au rythme d’événements souvent violents surgissant dans l’actualité que les Tchétchènes réapparaissent dans l’espace public en Europe. On se souvient, notamment, d’une attaque au couteau commise le 12 mai 2018 à Paris par un Français d’origine tchétchène affilié à Daech, <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/290518/quand-un-attentat-paris-fait-reparler-de-la-tchetchenie">Khamzat Azimov</a> : un passant a été tué et l’agresseur a été abattu par les forces de l’ordre. Des trajectoires de « radicalisation » islamiste, voire des départs en Syrie ont été évoqués pour certains ; aujourd’hui, c’est au tour de la <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/violences-a-dijon-une-note-confidentielle-revele-l-emergence-d-une-mafia-tchetchene-16-06-2020-8336880.php">« mafia tchétchène »</a> d’être mise en avant par des hommes politiques, des médias et les services de renseignement.</p>
<p>Au-delà des projecteurs braqués sur les agissements d’une centaine de personnes, que sait-on des Tchétchènes installés en Europe et des raisons de leur migration ?</p>
<h2>Un exil provoqué par la guerre puis par la répression politique</h2>
<p>L’histoire de la confrontation russo-tchétchène s’inscrit dans un temps long remontant à la colonisation du Caucase par l’armée tsariste et culminant durant les guerres du Caucase au <a href="https://www.cairn.info/magazine-alternatives-internationales-2008-12-page-20.htm">XIXᵉ siècle</a>. Si une première diaspora s’est constituée dans l’empire ottoman suite à la conquête russe à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, l’installation de Tchétchènes sur le territoire de l’Union européenne commence à la fin des années 1990.</p>
<p>En effet, la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2009) – qui fait suite à une <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18475">première guerre déjà très violente (1994-1996)</a> – a été <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/tch2410.pdf">particulièrement meurtrière</a> et a jeté sur les routes de l’exil des dizaines de milliers de Tchétchènes. Face à la <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/europe-asie-centrale/russie/tchetchenie/La-torture-en-Tchetchenie-la">pérennisation des violences</a> et de l’impunité en Tchétchénie, ces réfugiés n’ont vu d’autre perspective que de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2005-5-page-90.htm">s’installer durablement dans les pays hôtes</a>.</p>
<p>C’est ainsi qu’au début des années 2000, la plupart des demandeurs d’asile tchétchènes étaient des civils ayant subi tortures ou exactions, souvent anciens partisans de la Tchétchénie indépendante (l’Itchkérie pour ses partisans) ; certains avaient combattu dans la résistance armée contre Moscou.</p>
<p>À mesure que la situation évoluait dans le sens d’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_un_monde_a_l_envers/a53921">« tchétchénisation »</a> du conflit puis de la mise au pas de la République, reconstruite et figée dans le silence glaçant de la répression menée par Ramzan Kadyrov, le profil des demandeurs d’asile tchétchènes s’est diversifié. Il ne s’agissait plus seulement d’indépendantistes, mais également, parfois, de personnes tombées en disgrâce à mesure que le système broyait ses propres citoyens. Par conséquent, l’exil a gagné d’autres segments de la société, souvent plus jeunes, non circonscrits aux indépendantistes ou aux anciens d’un maquis de plus en plus réduit. L’abandon progressif de la dimension nationale de la lutte armée au profit de l’idéologie islamiste radicale a <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-du-lundi-28-mai-2018">renforcé le brouillage des identités politiques</a>.</p>
<p>Il est donc difficile de catégoriser politiquement les Tchétchènes vivant dans les pays de l’UE. Alors que le bras long de Ramzan Kadyrov est parfois venu y semer la terreur, comme l’ont rappelé les assassinats des anciens combattants indépendantistes <a href="https://www.letemps.ch/opinions/complot-assassins-tchetchenes">Oumar Israïlov</a> à Vienne en 2009 et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/19/nouvelle-passe-d-armes-entre-berlin-et-moscou-dans-l-affaire-du-georgien-tue-a-berlin_6043418_3210.html">Zelimkhan Khangochvili</a> à Berlin en août 2019, et des blogueurs d’opposition <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/21/opposant-tchetchene-tue-a-lille-les-enqueteurs-sur-la-piste-d-une-elimination-rudimentaire_6030277_3224.html">Imran Aliev</a> à Lille en février 2020, et <a href="https://www.rferl.org/a/russian-asylum-seeker-austria-murder/30706727.html">Anzor Oumarov</a> à Vienne le 4 juillet 2020, il n’est pas exclu que certains réfugiés – par choix ou par contrainte exercée sur leurs proches restés sur place – se soient mis au service de la dictature tchétchène à l’intérieur même des démocraties européennes, favorisant une atmosphère de surveillance et de dénonciation.</p>
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<p>Cette hypothèse, mais aussi l’observation de longue durée des réfugiés installés en Europe, inscrivent en faux l’antienne d’une solidarité sans faille et laisse apparaître une société largement atomisée, en Europe comme sur place.</p>
<h2>Anciennes et nouvelles générations</h2>
<p>Fin 2019, l’OFPRA comptait environ 16 000 ressortissants russes reconnus réfugiés en France. Parmi eux, la proportion de Tchétchènes pourrait avoisiner les 60 %, selon les estimations et en l’absence de statistiques « ethniques ». En outre, une partie non négligeable a acquis la citoyenneté française, tandis que de nombreux enfants de ces familles sont nés en France et sont devenus français, formant aujourd’hui une deuxième génération. Enfin, des milliers de Tchétchènes sans papiers continuent d’errer dans l’Union européenne dans l’espoir d’obtenir un statut de demandeur d’asile ou une régularisation ; ils sont parfois <a href="https://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/sites/sciencespo.fr.ecole-de-droit/files/Rapport_Dublin_Habitat-Cite%20_Sciences%20Po%20Paris_2019.pdf">renvoyés d’un pays vers un autre</a> au nom de la Convention de Dublin.</p>
<p>Au total, les estimations oscillent entre 30 000 et 65 000 Tchétchènes résidant en France, sans qu’on puisse établir de chiffre fiable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1273126932549419008"}"></div></p>
<p>Qu’ils soient ou non citoyens français, réfugiés, demandeurs d’asile ou sans papiers, ces individus cherchent à affirmer une identité collective qui s’exprime notamment à travers la pratique religieuse et se combine avec une intégration scolaire et professionnelle souvent réussie, de même qu’avec une volonté de montrer son allégeance et sa gratitude à la France. Peut-on pour autant parler de « communauté tchétchène », comme l’ont fait si promptement médias et politiques, imposant un cadrage des événements ?</p>
<h2>De la notion de communauté et de ses usages</h2>
<p>Au-delà de l’emballement médiatique et d’une <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/communaute-tchetchene-et-marche-de-la-drogue-une-cinquantaine-de-plaintes-contre-estrosi-29-06-2020-8344425.php">récupération politique</a> certes attendue mais d’autant plus à même de « prendre » que l’événement intervient dans un contexte où le maintien de l’ordre public est sous le feu des projecteurs, pourquoi la notion de « communauté » s’impose-t-elle si facilement dès lors que l’on parle des Tchétchènes ? Les sciences sociales ont depuis longtemps montré que toute communauté est une construction sociale et/ou politique qui produit des effets en permettant à un groupe de constituer des ressources de mobilisation politique et un imaginaire social et culturel. Son usage fait souvent l’objet de vifs débats tant académiques que politiques, tel <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/110115/olivier-roy-la-communaute-musulmane-nexiste-pas?onglet=full">celui</a> engagé après les attentats de 2015 autour d’une supposée « communauté musulmane » invoquée comme collectivité solidaire et sommée de réagir face à l’événement.</p>
<p>On pourrait appliquer la même démarche de déconstruction aux événements de Nice et de Dijon, mais un élément diffère substantiellement et mérite l’attention : les Tchétchènes s’exprimant publiquement, dans des <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/dijon-il-n-y-a-pas-de-souci-entre-les-communautes-assure-un-representant-tchetchene-7800608566">interviews</a> ou sur les réseaux sociaux, font eux-mêmes largement usage de cette notion et, loin de la rejeter, la revendiquent en invoquant les codes sociaux qui lui sont associés comme (auto)-justification de ces actions, à commencer par le déclenchement quasi automatique d’une responsabilité individuelle et collective dès lors qu’un membre de la « communauté » est attaqué – surtout quand, comme cela semble être le cas à Dijon, la violence exercée apparaît comme une menace à l’encontre de tous.</p>
<p>En d’autres termes, c’est un droit au « pluralisme juridique » qu’ils revendiquent, en proclamant leur attachement à la loi de la République tout en s’autorisant des pratiques parallèles de justice auto-gérée qui, bien qu’illégales sur le territoire du pays hôte, sont considérées comme légitimes dès lors qu’elles sont régulées et limitées par un « code de l’honneur ». Des pratiques que dans son travail sur le pluralisme juridique en Tchétchénie, Yegor Lazarev analyse comme relevant de la construction <a href="https://muse-jhu-edu.inshs.bib.cnrs.fr/article/734154/pdf">d’un ordre légal post-colonial</a>.</p>
<p>Des dispositions spécifiques viennent compléter le tableau : les Tchétchènes sont réputés amateurs de sports de combat, fréquentent ou dirigent des clubs de lutte ou d’arts martiaux mixtes (MMA), alimentant et reproduisant une mise en scène de soi viriliste qui valorise les savoir-faire guerriers, en ayant recours à l’histoire des conflits du passé qui ont amené leurs ancêtres ou leurs aînés à se mobiliser par les armes pour défendre leur terre.</p>
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<p>Dès lors, la tentation est grande de créer une figure essentialisée d’un Tchétchène « indomptable », entre passé combattant, violences de guerre et expédition dijonnaise aux allures de vendetta. S’y ajoute l’accélération produite par les réseaux sociaux, qui diffusent de la même manière les opérations répressives menées en Tchétchénie par les autorités, abondamment commentées au sein d’une diaspora aussi révoltée qu’impuissante. Se rejoue-t-il donc ici quelque chose de la rémanence de la guerre et de la répression dans un contexte certes totalement autre, mais offrant des possibilités de mobilisation collective ? Parmi celles-ci, la tentative de ressouder une société atomisée en l’opposant à la figure « arabe » supposée des dealers, même si celle-ci a été rapidement euphémisée au profit de l’affirmation d’une fraternité religieuse.</p>
<p>Si certaines réactions expriment un clair rejet du comportement observé à Dijon, si beaucoup ont appelé à <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/violences-a-dijon-la-communaute-tchetchene-appelle-au-calme-et-a-l-apaisement-16-06-2020-8336655.php">l’apaisement</a>, de nombreux Tchétchènes vivant en diaspora disent <em>a minima</em> comprendre, ou tentent de relativiser, préférant mettre en avant la nécessité de se faire justice face à la défaillance de l’État-hôte devant le trafic de drogue.</p>
<p>Cette position est appuyée par Ramzan Kadyrov lui-même, qui a adressé à ses « compatriotes » un <em>satisfecit</em> opportun(iste), affirmant que « le comportement des Tchétchènes à Dijon a été correct ». À demi-mot, la réaction d’un leader historique du mouvement indépendantiste, premier ministre du gouvernement itchkérien en exil <a href="https://youtu.be/9uXdRoL_uI0">Ahmed Zakaev</a>, vient apporter une note légèrement dissonante. En désapprouvant les violences de Dijon et en comparant leurs auteurs aux <a href="https://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/47185/Holdings"><em>spoilers</em> de l’entre-deux-guerres</a> – ces anciens combattants victorieux de la première guerre qui, porteurs d’un habitus guerrier, ont fait régner leur loi au mépris de l’ordre légal –, en appelant la diaspora tchétchène à occuper en Europe une place « digne » et loyale envers les pays d’accueil, il rappelle, en creux, l’effacement du projet national tchétchène de la fin du XX<sup>e</sup> siècle et la crainte qu’éprouve la première génération de voir jouer à vide un supposé code de l’honneur devenu inopérant et injustifiable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les récents événements de Dijon ont braqué le projecteur sur les quelques dizaines de milliers de Tchétchènes résidant en France. Une diaspora traversée par diverses lignes de fracture.Anne Le Huérou, Maitresse de conférences en études russes et post-soviétiques, Institut des Sciences sociales du Politique (ISP), Chercheure associée au CERCEC (EHESS/CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresAude Merlin, Chargée de cours en science politique à l'Université libre de Bruxelles, spécialiste de la Russie et du Caucase, membre du Cevipol, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1200172019-07-09T18:45:13Z2019-07-09T18:45:13ZDébat : L’illibéralisme de Poutine a des conséquences stratégiques<p>Dans un <a href="https://www.ft.com/content/670039ec-98f3-11e9-9573-ee5cbb98ed36">entretien très commenté avec le <em>Financial Times</em></a>, <a href="https://www.ft.com/video/a49cfa25-610e-438c-b11d-5dac19619e08">Vladimir Poutine</a> a exprimé de manière nette son opposition au libéralisme. Reprenant son discours classique contre les valeurs d’une société ouverte, tolérante et diverse, il a également emprunté aux extrêmes droites un propos hostile aux migrants et réfugiés. En soi, cela n’a rien de surprenant, à ceci près qu’il a exprimé de manière officielle ce qui était le moteur principal de son action, <a href="https://theconversation.com/debat-comment-parler-avec-la-russie-de-poutine-97005">à nos yeux évident depuis longtemps</a>.</p>
<p>Il n’est toutefois pas certain que chacun perçoive les implications stratégiques et la grammaire propre que cette position implique et en tire les conséquences dans l’analyse de la stratégie russe et dans l’action. Il serait facile, devant l’ampleur de ses effets, d’y discerner un propos à destination intérieure, visant à légitimer la <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-04-30/who-is-putin-afraid-of-russia-s-political-prisoners">persécution des dissidents</a> et des <a href="https://www.hrw.org/news/2019/02/15/russia-new-wave-anti-lgbt-persecution">homosexuels</a>, les <a href="https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/russia">atteintes aux droits de l’homme</a> et la <a href="https://www.voanews.com/europe/report-russian-free-speech-crackdown-intensified-2012">mise au pas de la presse</a>.</p>
<p>On y verra aisément aussi une « explication » de son <a href="http://theconversation.com/how-russians-have-helped-fuel-the-rise-of-germanys-far-right-105551">soutien aux mouvements extrémistes</a> en Europe avec lesquels la convergence idéologique est désormais claire – ces mouvements ayant remplacé les « partis frères » – communistes – du temps de l’URSS. Dès avant leur entrée au gouvernement, des accords avaient été <a href="https://www.thedailybeast.com/cheats/2017/03/06/putin-s-party-signs-cooperation-deal-with-italy-s-far-right-lega-nord">conclus entre la Lega italienne</a> et le <a href="https://www.themoscowtimes.com/2016/12/19/putins-united-russia-signs-cooperation-agreement-with-far-right-austrian-party-a56579">FPÖ autrichien</a> et le parti de Poutine, Russie Unie.</p>
<h2>L’horizon de la guerre</h2>
<p>Mais pour le reste, entend-on déjà, la Russie de Poutine serait un pays « normal » avec lequel on pourrait conclure des accords, commercer, attendre une réciprocité, bref un pays qu’il faudrait « comprendre » et dont on devrait prendre en compte, selon les règles de la géopolitique classique, les « intérêts ».</p>
<p>Poursuivre dans cette voie serait s’égarer, parfois pour se rassurer à bon compte, souvent en cédant à une paresse de l’esprit. C’est aussi, consciemment ou non, le résultat d’une <a href="https://disinfoportal.org/the-kremlins-multifaceted-strategy-in-france/">propagande douce souvent plus invasive</a> que la désinformation lourde. Cela conduit à refuser de prendre le président russe à la lettre et de percevoir peut-être, car il fait depuis longtemps ce qu’il a dit récemment, le changement de paradigme qu’il a déjà opéré.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/jun/28/putin-war-machine-russian-atrocities">article important</a>, Natalie Nougayrède rappelait que l’essentiel était peut être moins le discours que la réalité de la Russie, en particulier depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir : la guerre. Ces presque 20 ans de guerre (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie…), quasi incessante, succédaient d’ailleurs aux 10 ans de guerre soviétique en Afghanistan et aux 9 ans de guerre de l’ère Elstine. Guerres marquées par l’impunité et le crime, écrit-elle, dont l’Occident « n’a pas compris qu’elles finiraient par définir la structure du pouvoir de la Russie et comment elle se définit par rapport au reste du monde. » Dès lors, conclut-elle, notre indignation devant l’anti-libéralisme de Poutine ne doit pas masquer la vraie question, celle des « crimes répétés et délibérés sur des civils et de sa responsabilité pour ceux-ci ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afghanistan-comment-expliquer-la-resilience-des-talibans-101954">Afghanistan : comment expliquer la résilience des talibans</a>
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<p>On doit certes, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/27/putin-skripal-attack-should-not-affect-uk-russia-relations">comme l’a fait le président du Conseil européen</a>, Donald Tusk, répondre à Poutine en opposant les valeurs libérales de l’Europe, en particulier le règne de la loi, les droits de l’homme et les libertés, qui ne sont pas obsolètes. Mais le domaine des valeurs ne s’arrête pas aux frontières des États et les <a href="https://abcnews.go.com/International/russia-committed-war-crime-syria-investigators/story?id=53580112">crimes de guerre commis par le Kremlin</a> ne sont que le prolongement international de son antilibéralisme.</p>
<p>Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’opposer le modèle de la démocratie libérale à l’autoritarisme antilibéral poutinien, mais de s’opposer aux actes qui le traduisent. Délier ces deux dimensions conduit non seulement à ne rien comprendre, mais surtout – ce qui est le but recherché par la Russie – <a href="https://www.ecfr.eu/publications/summary/winning_the_normative_war_with_russia_an_eu_russia_power_audit">à ne rien faire</a>.</p>
<h2>Guerre idéologique, idéologie de la guerre</h2>
<p>Sur le plan idéologique, l’antilibéralisme tel que l’exprime Vladimir Poutine est une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">guerre totale aux principes</a> qui sous-tendent l’ordre international. Il implique logiquement que le droit international (respect des frontières et des traités), et en particulier le droit humanitaire international, sont devenus « obsolètes », ainsi que le fonctionnement normal des institutions multilatérales, en particulier le <a href="https://www.rte.ie/news/world/2018/0411/953637-russia-syria-un-veto/">Conseil de sécurité des Nations unies</a>.</p>
<p>Cette idéologie n’est d’ailleurs pas seulement affirmée, mais mise en pratique en Ukraine et en Syrie, comme elle le fut jadis en <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/opinion/russias-chechnya-model-for-syria-will-only-deepen-the-conflict/">Tchétchénie, qui en constitua d’une certaine manière la première répétition</a>. Innombrables sont les articles qui s’interrogent sur le <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/01/putins-real-long-game-214589">dessein du maître du Kremlin</a> et sur l’<a href="https://www.nytimes.com/2019/06/25/magazine/russia-united-states-world-politics.html">existence ou non d’une stratégie planifiée d’avance</a>. Il est probable qu’il n’en a pas au sens militaire du terme ni dans les termes classiques des relations internationales. En revanche, sa stratégie idéologique commande tout.</p>
<p>Plusieurs signes en témoignent. D’abord, si l’on raisonne en termes rationnels, auxquels répond la notion classique d’intérêts, rien ne permet de conclure que ces opérations meurtrières correspondent à un <a href="https://theconversation.com/non-monsieur-poutine-nest-pas-un-stratege-genial-48635">intérêt stratégique de la Russie</a>. Au contraire, une entente pacifiée avec ses voisins et l’Europe, un renforcement des accords avec l’OTAN et une participation active à un processus qui aurait visé à la sortie d’Assad auraient permis à la Russie de jouer un rôle important et constructif sur la scène internationale.</p>
<p>Ils auraient surtout renforcé l’économie et, partant, le soutien au président russe. Au demeurant, même si l’on prend les opérations russes en Syrie depuis septembre 2015, rien sur le plan militaire ne justifiait les <a href="https://theconversation.com/debat-en-syrie-le-silence-ne-doit-pas-recouvrir-les-crimes-commis-a-idlib-113701">exactions délibérées et gratuites sur les civils</a> qui ne sont rien d’autre que des opérations de terreur <a href="https://thehill.com/opinion/international/425863-is-chechnya-putins-blueprint-for-syria">comme il a pu en exister en Tchétchénie</a>.</p>
<p>Ensuite, l’<a href="https://www.rferl.org/a/daily-vertical-challenging-russia-humiliation-narrative/28502024.html">habillage rhétorique</a> <a href="https://www.brookings.edu/opinions/humiliation-as-a-tool-of-blackmail/">sur l’humiliation</a> et la <a href="https://www.history.com/news/vladimir-putin-russia-power">grandeur perdue</a> et à retrouver ne tient pas la route, et est au mieux second par rapport à la perspective idéologique. Ces perceptions ne sont pas « naturelles », mais le fruit d’une opération de propagande mise en œuvre par les idéologues russes et les médias sous contrôle.</p>
<p>Galia Ackerman a récemment démontré <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/17/le-regiment-immortel-la-guerre-sacree-de-poutine-portraits-de-disparus-et-propagande-russe_5463155_3232.html">dans un livre magistral</a>, <em>Le régiment immortel</em>, comment celle-ci fonctionnait en liant l’épisode de la « Grande Guerre patriotique » à une entreprise contemporaine de mobilisation belliqueuse. La <a href="https://www.lepoint.fr/monde/comment-la-rehabilitation-de-staline-avance-en-russie-05-03-2018-2199642_24.php">réhabilitation de Staline</a>, <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2019/06/13/putins-dangerous-campaign-rehabilitate-stalin/">largement encouragée par le pouvoir</a>, va aussi dans ce sens, alors que l’<a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/05/27/the-russian-economy-is-stagnating-a65760">économie russe s’effondre</a> et que la <a href="https://www.rferl.org/a/study-22-percent-of-russians-live-in-poverty-36-percent-in-risk-zone-/29613059.html">pauvreté explose</a>.</p>
<p>Enfin, l’idéologie a ceci de propre qu’elle est toujours négation du futur. La stratégie idéologique constitue l’effondrement de la stratégie. L’idéologie ne conduit pas à une situation prédéterminée à l’avance, mais n’est que le développement logique d’une idée qui n’a pas de fin. Elle ne vise pas à façonner le monde, mais à le soumettre à sa loi, sans la visée d’un but.</p>
<p>De fait, on voit bien ce que Poutine entend détruire, mais il n’a pas de projet de construction. Il ne prépare pas un <a href="https://www.the-american-interest.com/2019/04/24/russia-is-no-great-power-competitor/">stade où la Russie serait plus puissante</a> et prospère, mais pourrait fixer l’ordre du jour par destruction des autres. La volonté de démanteler et de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/oct/09/vladimir-putin-divide-europe-skripal-russia">diviser l’Europe</a>, de rendre impossible dans les pays de l’ancienne URSS une expérience démocratique réussie et le <a href="https://time.com/5564173/how-putin-built-russian-empire/">soutien à des dictatures criminelles</a> ne résultent pas d’un projet de domination organisé, mais correspondent à un dessein purement idéologique : favoriser l’<a href="https://theconversation.com/russia-putin-lead-the-way-in-exploiting-democracys-lost-promise-94798">échec de toute forme de société démocratique et libérale</a> pour s’imposer comme modèle unique.</p>
<h2>Une nouvelle Guerre froide ? Comparaison n’est pas raison</h2>
<p>Cela oblige à éclairer les propos parfois entendus sur une <a href="https://www.brookings.edu/opinions/are-u-s-and-russia-in-a-new-cold-war/">nouvelle « Guerre froide »</a> qui nous opposerait à la Russie de Poutine. Comme souvent, la comparaison est d’une portée limitée sur le plan historique. La période actuelle n’est pas marquée par la course à la parité en matière d’armement, nucléaire et conventionnel, entre deux blocs.</p>
<p>Les conflits que conduit la Russie aujourd’hui en Ukraine et en Syrie ne constituent pas un affrontement direct avec les États-Unis ou les Alliés comme pendant les guerres du Corée et du Vietnam, ni même d’Afghanistan. Malgré les <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/11/leaked-documents-reveal-russian-effort-to-exert-influence-in-africa">actions d’influence actuelle de la Russie en Afrique</a> ou en <a href="https://carnegieendowment.org/2018/05/03/russia-playing-geopolitical-game-in-latin-america-pub-76228">Amérique latine</a>, comme <a href="https://time.com/5565120/russias-presence-in-venezuela/">au Venezuela</a>, nous sommes plus dans une logique de dominos ni d’ailleurs de <em>containment</em>.</p>
<p>Le soutien apporté par la Russie aux <a href="https://www.4freerussia.org/putin-european-far-right-partners-crime/">mouvements d’extrême droite</a> et ses <a href="https://www.worldcrunch.com/world-affairs/post-soviet-agitprop-how-putin-is-winning-social-media">actions d’agit-prop</a> ne sont pas identiques au soutien organisé aux partis communistes partout dans le monde et il n’y a plus l’équivalent d’une Internationale communiste. Nous n’avons pas assisté aujourd’hui à l’équivalent des interventions soviétiques en <a href="https://www.history.com/this-day-in-history/soviets-put-brutal-end-to-hungarian-revolution">Hongrie</a> (1956) et Tchécoslovaquie (<a href="https://www.rferl.org/a/1088011.html">1948</a> et <a href="https://meduza.io/en/feature/2018/08/24/before-1968-we-had-nothing-against-russia-or-the-soviet-union">1968</a>), et il n’y a rien d’équivalent aux crises de Berlin (1948) et à celle des missiles à Cuba (1962).</p>
<h2>Des interventions extérieures pour consacrer la défaite des principes démocratiques</h2>
<p>Si la guerre actuelle de la Russie n’est donc pas équivalente à la Guerre froide, elle reste toutefois un conflit systématique qui se traduit en guerres chaudes. L’invasion du Donbass s’est soldée par plus de <a href="https://www.rferl.org/a/death-toll-up-to-13-000-in-ukraine-conflict-says-un-rights-office/29791647.html">13 000 morts</a>, des dizaines de milliers de blessés et <a href="https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2019-01-16/shadow-war-ukraines-policy-towards-internally-displaced">plus d’1,5 million de déplacés</a>.</p>
<p>Pour retrouver l’équivalent de l’annexion illégale de la Crimée, il faut remonter à celle des Sudètes par l’Allemagne nazie. Sans avoir l’ampleur des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2014/02/27/les-tatars-peuple-puni-de-crimee_983345">déportations de masse effectuées sous Staline</a>, la <a href="https://www.hrw.org/news/2017/11/14/crimea-persecution-crimean-tatars-intensifies">persécution des Tatars de Crimée</a>, avec son lot de <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/dec/12/crimean-tatars-accuse-russia-of-kidnappings-and-political-arrests">disparitions forcées</a>, d’<a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_europes_duty_to_protect_crimean_tatars">emprisonnements arbitraires</a>, de harcèlement et d’<a href="https://www.newsweek.com/russian-occupiers-are-wantonly-destroying-crimean-tatar-palace-783007">éradication culturelle</a>, traduit une volonté d’éradication.</p>
<p>L’<a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fworldviews%2fwp%2f2018%2f03%2f06%2fthe-long-terrifying-history-of-russian-dissidents-being-poisoned-abroad%2f%3f&utm_term=.d9d40bb548f0">assassinat</a> ou la <a href="https://theconversation.com/sergei-skripal-and-the-long-history-of-assassination-attempts-abroad-93021">tentative d’assassinat d’opposants russes</a> à l’étranger rappelle également certaines périodes de la Guerre froide. Les <a href="https://theconversation.com/how-russia-is-growing-its-strategic-influence-in-africa-110930">ingérences en Afrique</a> et le <a href="https://elpais.com/elpais/2019/02/14/inenglish/1550140270_689024.html">soutien aux dictatures en Amérique latine</a> et au <a href="https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/perspectives/PE200/PE236/RAND_PE236.pdf">Moyen-Orient</a> miment aussi des époques plus anciennes avec des méthodes en partie différentes. Enfin, la guerre idéologique contre les valeurs occidentales transpose à l’ère du numérique certaines méthodes du Komintern.</p>
<p>Surtout, la guerre en Syrie, marquée d’abord par le <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/09/isis-syria-war-crimes-accountable-assad-putin-icc">soutien actif du régime Assad</a>, puis à partir de septembre 2015 par une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/feb/25/waiting-for-putin-and-assad-to-run-out-of-people-to-kill-is-that-our-plan">participation directe de Moscou aux opérations et aux crimes de guerre</a>, révèle le passage d’une idéologie de mépris des droits fondamentaux à une <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">action ouverte d’extermination des populations civiles</a> comme pour marquer sa <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">capacité d’impunité</a> et consacrer au grand jour la défaite des principes de pays démocratiques.</p>
<h2>Casser les règles à tout prix</h2>
<p>Le point commun à la période soviétique et à la nôtre réside dans le combat idéologique. Une opinion commune veut que l’<a href="https://www.the-american-interest.com/2019/01/14/fukuyama-was-right-mostly/">effondrement de l’URSS ait marqué la fin de l’opposition doctrinale</a> entre non seulement le monde dit « libre » et l’espace communiste en raison de sa disparition, mais aussi entre l’univers démocratique et tout autre système.</p>
<p>Certes, en 1991, il existait encore des régimes autoritaires, d’inspiration communiste ou non, mais il n’y aurait plus sur le plan conceptuel d’opposition entre deux systèmes de pensée différents. Le système de démocratie libérale serait désormais le seul à pouvoir être perçu comme légitime. Cette assertion trop rapide est certes oublieuse d’autres proclamations, soit de régimes conservateurs d’inspiration islamiste radicale assez différents (<a href="https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2019/iran">Iran</a>, <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/22/opinion/khashoggi-mbs-arab-democracy.html">Arabie saoudite</a>, <a href="https://www.france24.com/fr/20190417-sultan-hassanal-bolkiah-brunei-portrait-droits-homme-lgbt-charia">Brunei</a> notamment), soit de dirigeants qui entendent opposer un <a href="http://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=10563">particularisme culturel et politique</a> au principe même de valeurs universelles – ce dont la proclamation de <a href="http://www.bbc.co.uk/worldservice/people/features/ihavearightto/four_b/casestudy_art30.shtml">« valeurs asiatiques »</a> par Mahathir est le symbole. <a href="https://theconversation.com/indias-prime-minister-modi-pursues-politics-of-hindu-nationalism-what-does-that-mean-117794">L’hindouisme conservateur de Narendra Modi</a> va dans le même sens, mais aucun des deux n’exprime une volonté prosélyte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-arabie-saoudite-un-rapprochement-qui-agace-washington-85475">Russie–Arabie saoudite : un rapprochement qui agace Washington ?</a>
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<p>Par son action dont les dernières déclarations au <em>Financial Times</em> expriment la logique, Poutine entreprend de systématiser un ensemble doctrinal en opposition exacte avec les valeurs du monde libre. Il ne conduit pas seulement son discours d’opposition pour proclamer une immunité du territoire russe par rapport à ces principes, mais il entend en faire la règle du nouveau monde. Mais quelle règle ?</p>
<p>Le système communiste, les violât-il et les pervertît-il continuellement, disposait d’un socle de principes formellement stables. Il inversait le sens des mots et des concepts de façon orwellienne pour tenter de détruire la perception du réel, mais il se targuait de respecter les règles et les institutions.</p>
<p>Le système de Poutine, s’il emprunte à cette subversion des notions, <a href="https://www.theguardian.com/books/2015/feb/04/nothing-is-true-and-everything-is-permitted-peter-pomerantsev-review-russia-oil-boom">entend saper tout ce qui peut rester de règles</a> tant sur le plan intérieur qu’au niveau international. Le système soviétique avait un projet clair de domination et d’expansion et entendait que le monde entier devienne soviétique. Il était guidé par un principe messianique. La visée de Poutine est moins la conquête et l’allégeance que la <a href="https://www.the-american-interest.com/2018/03/01/putins-strategy-chaos/">destruction et le chaos</a>. Il ne veut pas remplacer les principes du monde libre par une idéologie, mais casser les règles de l’ordre international et celles de l’ordre interne des pays sans imaginer un autre monde, sinon celui de l’absence de normes.</p>
<h2>La règle contre le chaos</h2>
<p>Le risque ouvert par la Russie de Poutine, <a href="https://www.ukrinform.net/rubric-polytics/2461636-nicolas-tenzer-senior-french-official-director-of-the-center-for-studies-and-reflections-for-political-action-cerap.html">que nous avions qualifié de systémique</a> en ce qu’il concerne autant nos valeurs, notre intégrité politique et notre sécurité, oblige à repenser nos méthodes d’action sur le plan international et notre diplomatie.</p>
<p>D’abord, toute concession, <a href="https://information.tv5monde.com/info/emmanuel-macron-l-europe-doit-dialoguer-avec-la-russie-305639">même purement verbale</a>, envers le régime de Poutine traduirait une méconnaissance de la manière dont il fonctionne. Depuis l’<a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/beware-russia%E2%80%99s-%E2%80%9Ccreeping-annexation%E2%80%9D-georgia-30227">annexion <em>de facto</em> de deux provinces de la Géorgie en 2008</a>, soit 20 % de son territoire, il n’a jamais opéré la moindre concession. Toute faiblesse constitue un encouragement à poursuivre son offensive.</p>
<p>Sur le plan intérieur, les <a href="http://www.cicerofoundation.org/lectures/Nicolas_Tenzer_Message_of_Russian_Dissidents.pdf">dissidents l’ont bien compris</a>, qui réclament non pas moins de sanctions, <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fdemocracy-post%2fwp%2f2018%2f07%2f20%2fwhats-really-behind-putins-obsession-with-the-magnitsky-act%2f%3f&utm_term=.c8d728a63c1e">mais au contraire plus</a> – on pense notamment au <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/who-s-afraid-of-an-eu-magnitsky-act-bill-browder-says-it-s-not-just-the-targets">Magnitsky Act</a>, lequel ne vise d’ailleurs pas que Moscou mais l’ensemble des régimes qui commettent des violations des droits de l’homme.</p>
<p>La <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/06/26/russias-reinstatement-to-pace-is-a-grave-mistake-a66174">récente réadmission de la Russie</a> au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à laquelle avait <a href="https://euobserver.com/opinion/142849">œuvré la propagande russe</a>, ne s’est pas accompagnée de la libération – demandée par le <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/05/25/russia-must-release-detained-ukrainian-sailors-maritime-tribunal-a65745">Tribunal international de la Mer à Hambourg</a> – des <a href="http://khpg.org/en/index.php?id=1527519105">70 prisonniers politiques</a> et <a href="https://www.reuters.com/article/us-ukraine-crisis-russia-sailors/russia-detained-24-ukrainian-sailors-in-kerch-strait-incident-ifax-idUSKCN1NV1R8">24 marins ukrainiens</a>, illégalement détenus par Moscou. Ni par une attitude coopérative dans l’enquête sur la <a href="https://www.cbsnews.com/news/mh17-crash-murder-charges-russian-ukrainian-nationals-malaysia-airlines-flight-17/">destruction du vol MH17</a>, la <a href="https://foreignpolicy.com/2019/01/18/its-time-to-stand-up-to-russias-aggression-in-ukraine/">fin des agressions dans le Donbass</a>, l’amorce de son retrait de Crimée et l’<a href="https://www.thetimes.co.uk/article/syrian-civilians-killed-as-assad-and-russia-escalate-bombing-n80tgtcnm">arrêt des bombardements de civils en Syrie</a>. Elle ne garantit aucunement une acceptation par la Russie des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme que le <a href="https://www.juridicainternational.eu/index.php?id=15646">Kremlin refuse d’appliquer</a> et dont la « légalité », en vertu d’une loi de novembre 2015, est soumise à la conformité de la Constitution russe.</p>
<p>Ensuite, c’est se tromper soi-même que d’estimer que le régime russe fonctionne selon la logique classique d’une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-ne-faut-pas-negocier-avec-la-russie-de-poutine-54748">négociation internationale</a> et qu’on pourrait en espérer quelque chose en Ukraine et en Syrie. Il n’y a jamais eu d’avancée concrète sur ce point et il n’y en aura jamais : les <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/02/doctors-global-appeal-stop-syria-bombing-hospitals-idlib">crimes de guerre en Syrie continuent aujourd’hui dans la région d’Idlib</a>. Cela pourrait être le cas pour un État qui fonctionne selon des critères rationnels et selon une logique classique d’intérêts. Ce n’est pas le cas avec les dirigeants actuels du Kremlin en raison de leur logique radicale et de la <a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_security_concerns_russian_mafia_back_on_agenda7083">nature même du système de pouvoir russe</a>.</p>
<p>Enfin, il faut prendre au sérieux la guerre idéologique de la Russie car elle correspond à une offensive, globale quoique différenciée dans ses méthodes et ses visées, de l’<a href="https://theconversation.com/les-vents-sont-contre-nous-la-porte-etroite-de-la-liberte-109270">ensemble des régimes autoritaires</a>, de la Chine à l’Arabie saoudite, en passant par l’Iran, l’Égypte, voire les États-Unis de Donald Trump.</p>
<p>Au moment où des peuples, non seulement dans les <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-48607317">rues de Moscou</a>, mais aussi à <a href="https://www.bbc.com/news/av/world-asia-china-48599658/hong-kong-protests-why-people-are-taking-to-the-streets">Hong Kong</a>, en <a href="https://theconversation.com/les-etudiants-algeriens-cles-du-changement-113075">Algérie</a>, au <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/05/comment-au-soudan-militaires-et-opposants-se-sont-mis-d-accord-sur-la-transition-politique_5485691_3212.html">Soudan</a>, au <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jan/23/venezuela-protests-thousands-march-against-maduro-as-opposition-sees-chance-for-change">Venezuela</a> et dans les <a href="https://edition.cnn.com/2018/12/18/europe/hungary-protests-orban-intl/index.html">régimes illibéraux en Europe</a>, manifestent pour le droit, la liberté et la démocratie, nous devons rappeler la vertu de principes dont la portée est universelle par-delà les cultures, les religions et les traditions. Nous ne pourrons aider ces <a href="https://theconversation.com/why-we-need-an-international-freedom-movement-77339">combattants de la liberté</a> que si nous restons d’une inflexibilité totale quant aux règles du droit international et du droit humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120017/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Le dessein du président russe est purement idéologique : favoriser l’échec de toute forme de société démocratique et libérale pour s’imposer comme modèle unique.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/854752017-10-12T19:07:06Z2017-10-12T19:07:06ZRussie–Arabie saoudite : un rapprochement qui agace Washington ?<p>Une <a href="http://www.rfi.fr/europe/20171004-russie-visite-historique-roi-salmane-arabie-saoudite-moscou">« visite historique »</a>, un événement <a href="https://fr.sputniknews.com/international/201710051033335299-poutine-salmane-entretien">« emblématique » selon l'agence Sputnik news</a> : ces formules reviennent, dans les <a href="http://www.arabnews.com/node/1172296/saudi-arabia">chancelleries</a> et les salles de <a href="http://www.france24.com/fr/20171005-le-roi-salmane-darabie-russie-une-visite-historique">rédaction</a> pour qualifier la visite à Moscou du monarque d’Arabie Saoudite du 4 au 6 octobre 2017.</p>
<p>La rencontre entre le président Poutine et le monarque saoudien présente des enjeux évidents : c’est la première visite de ce type en Russie, la Fédération et le Royaume sont opposés en Syrie depuis plusieurs années ; enfin et surtout, l’Arabie Saoudite est l’alliée structurelle des États-Unis dans la région.</p>
<p>Cette visite peut-elle remettre en cause la solidarité entre États-Unis et Arabie saoudite ?</p>
<h2>L’Arabie entre alliance américaine et rapprochement russe ?</h2>
<p>Avec la conclusion du Pacte du Quincy le 14 février 1945, alliance qui soude durablement les États-Unis et le <a href="https://www.herodote.net/14_fevrier_1945-evenement-19450213.php">jeune royaume pétrolier</a>, l’Arabie saoudite se range dans le camp opposé à celui de l’URSS. De fait, avant même le déclenchement de la Guerre froide, l’Arabie saoudite est devenue un <a href="https://books.google.fr/books?id=J0WWUQBl2PwC&lpg=PA1&ots=nzHbq96t2V&dq=saudi%20arabia%20us%20relations&lr&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q&f=false">des piliers de la politique moyen-orientale des États-Unis</a>.</p>
<p>La confrontation est alors assez dure au Yémen du Sud, <a href="http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1983_num_48_1_3293">soutenu par l'URSS</a>, et en Afghanistan où les djihadistes sont financés <a href="https://books.google.fr/books?id=J0WWUQBl2PwC&lpg=PA1&ots=nzHbq96t2V&dq=saudi%20arabia%20us%20relations&lr&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q&f=false">par le royaume des Saoud</a>. Une éclaircie passagère apparaît après la réunification des deux Yémen, en 1990, et la fin de l’URSS, en 1991. Mais, dès 1994, la Russie soupçonne le royaume de soutenir les <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-153205-a-quoi-joue-vladimir-poutine-avec-lislam-1200946.php">mouvements séparatistes tchétchènes sur son sol</a>.</p>
<p>Après la fin de la <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/geopolitique/la-deuxieme-guerre-en-tchetchenie">deuxième Guerre de Tchétchénie</a>, en 2000, les deux États se rapprochent sur les questions d’exportation de pétrole. Cette nouvelle embellie culmine dans la visite du président Poutine en Arabie saoudite, en <a href="https://books.google.fr/books?id=EvaSCwAAQBAJ&pg=PT98&lpg=PT98&dq=la+visite+du+pr%C3%A9sident+Poutine+en+Arabie+saoudite,+en+f%C3%A9vrier+2007&source=bl&ots=SZNKF77LND&sig=AB63ZqfGtBbtxveLjFZ53DENEBE&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjD96SI8OXWAhVMXBoKHa-_C6kQ6AEIUDAH#v=onepage&q=la%20visite%20du%20pr%C3%A9sident%20Poutine%20en%20Arabie%20saoudite%2C%20en%20f%C3%A9vrier%202007&f=false">février 2007</a>. Néanmoins, une nouvelle fois, le rapprochement russo-saoudien s’interrompt au début de la décennie 2010 en raison des printemps arabes.</p>
<p>Alors que Moscou considère ces derniers comme des facteurs de déstabilisation de ses alliés traditionnels en Syrie et en Libye, l’Arabie saoudite finance certains mouvements d’opposition aux régimes Al Hassad et Kadhafi, comme le Conseil militaire révolutionnaire, <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/syrie-6-questions-sur-l-attitude-de-la-communaute-internationale_1225669.html">dirigé par le colonel syrien Abdel Jabbar al-Oqaidi</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la visite royale à Moscou confirme que les <a href="http://www.middleeasteye.net/columns/king-salman-moscow-why-saudi-arabia-important-russia-775541767">relations diplomatiques</a> entrent, une nouvelle fois, dans une période de « dégel ».</p>
<h2>Vers une sortie des crises au Yémen et en Syrie ?</h2>
<p>Rien ne peut cependant séparer davantage les positions russes et saoudiennes que les conflits en Syrie et au Yémen.</p>
<p>Vladimir Poutine a tâché de <a href="http://www.huffingtonpost.fr/anna-jaillard-chesanovska/le-retrait-des-troupes-russes-de-syrie-sur-fond-descalade-des-tensions-a-lest-de-lukraine_b_9587374.html">faire oublier le conflit ukrainien</a> en amenant ses forces lutter en Syrie. Il est parvenu à s’imposer comme l’<a href="https://theconversation.com/2017-ou-lavenement-de-lhomme-fort-71507">homme fort</a> de la situation. Cette intervention comportait autant un volet interne, lié par exemple à la lutte contre le <a href="https://books.google.fr/books?id=NgioOB9EHvEC&pg=PT58&lpg=PT58&dq=poutine+tch%C3%A9tch%C3%A9nie+radicalisation&source=bl&ots=EDgLZtM7uO&sig=TwF7VjgtwPSKFpKzQet4ur0X8W4&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwiRus-m8eXWAhVI1BoKHfn0B6gQ6AEIQTAD#v=onepage&q=poutine%20tch%C3%A9tch%C3%A9nie%20radicalisation&f=false">djihadisme importé en Russie</a>, qu’un volet externe de soutien à un Etat considéré comme un allié. En face, l’Arabie saoudite a soutenu les groupes insurgés sunnites.</p>
<p>Au Yémen, le <a href="https://theconversation.com/arabie-saoudite-les-raisons-de-linterventionnisme-au-moyen-orient-73178">royaume est intervenu dans la guerre civile</a> aux côtés des forces sunnites fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh contre les Houtis chiites (soutenus par les Iraniens) afin de les forcer à quitter le pouvoir.</p>
<p>Dans cette guerre, la Russie s’est abstenue de prendre des positions trop tranchées afin de se positionner en situation d’arbitre, pouvant même imaginer à terme implanter une <a href="http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2017/07/russia-ambassador-yemen-houthis-hadi-military-influence.html">base navale au Yémen</a>.</p>
<p>Pourtant, la visite du roi Salman ne constitue pas un ralliement saoudien aux positions russes, ni même un retournement d’alliance, en dépit des différends sur ces deux conflits. En accueillant le roi Salman, Vladimir Poutine montre que la Russie peut travailler avec tout le monde au Moyen-Orient, tandis que l’Arabie saoudite semble entériner le fait que l’alliance américaine n’est plus une garantie ultime de ses intérêts, <a href="http://www.lesclesdumoyenorient.com/L-Arabie-saoudite-et-les-Etats-Unis-une-relation-sur-le-declin-Premiere-partie.html">et ce, depuis l'ère Obama</a>.</p>
<p>Ce déplacement témoigne également d’une volonté de freiner la percée iranienne aussi bien <a href="https://theconversation.com/iran-le-retour-53756">sur le plan régional qu'international</a>. En effet, Téhéran compte sur le soutien du Kremlin face à l’<a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/10/07/donald-trump-proche-d-un-revirement-majeur-sur-l-iran_5197603_3222.html">hostilité affichée</a> de l’administration Trump. L’Arabie saoudite espère ainsi obtenir de la Russie qu’elle limitera son appui à l’Iran. Le royaume vise à faire évacuer les milices iraniennes de Syrie, à dissuader durablement leur soutien aux Houthis et à s’assurer que la République islamique ne sortira pas revigorée du conflit syrien.</p>
<h2>Vers un renforcement des liens économiques ?</h2>
<p>Dans le domaine des hydrocarbures, Russie et Arabie sont aujourd’hui alliés après avoir été rivales <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-economy-trade-crude/russia-beats-saudi-arabia-as-chinas-top-crude-oil-supplier-in-2016-idUSKBN1570VJ">notamment auprès de la Chine</a>. Cela n’a pas toujours été le cas.</p>
<p>À la fin de la décennie 2000, les deux pays avaient des stratégies opposées. D’un côté, la Russie, qui n’est pas membre de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), développait des volumes d’exportation de pétrole et gagnait des parts de marchés pour reconstituer ses réserves financières après la crise de 2008, quitte à <a href="https://www.nytimes.com/2017/05/28/world/europe/russia-oil-opec.html">contribuer à la baisse des cours</a>. De son côté, l’Arabie saoudite, au sein de l’OPEP, essayait de remédier à cette baisse des cours. Les deux plus grands producteurs et exportateurs de pétrole du monde ont ainsi développé <a href="http://www.iea.org/bookshop/754-Oil_Information_2017">des stratégies inverses</a>.</p>
<p>Tout change en 2014 avec l’annexion de la Crimée, la <a href="https://theconversation.com/ukraine-le-conflit-mal-eteint-du-donbass-84793">guerre dans le Donbass</a>, la baisse des cours mondiaux des hydrocarbures et les <a href="https://theconversation.com/sanctions-economiques-internationales-le-retour-67794">sanctions économiques occidentales contre la Russie</a>.</p>
<p>Entrée en récession, confrontée à une crise de change, l’économie russe a besoin de devises et de capitaux pour combler ses lacunes en investissements. En conséquence, dans le format OPEP+ (autrement dit en accord avec la Russie sans adhésion à l’OPEP), les deux pays s’accordent sur une réduction des volumes de production mondiale à 1,8 million de barils par jour <a href="http://www.opec.org/opec_web/en/press_room/2657.htm">à partir du 1ᵉʳ janvier 2017</a>.</p>
<p>À l’heure actuelle, sur le plan énergétique, l’objectif de la visite royale à Moscou est de préparer la prochaine réunion du format OPEP+ <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/09/25/97002-20170925FILWWW00089-petrole-l-opep-veut-continuer-a-reduire-sa-production.php">qui a lieu à Vienne en novembre</a> pour reconduire la réduction de la production de pétrole au-delà de l’échéance prévue en mars 2018.</p>
<p>D’autres résultats économiques du déplacement du monarque ont été mis en évidence : installation d’une usine chimique russe en Arabie saoudite, développement du fonds d’investissement saoudien en Russie, etc. Mais les relations économiques russo-saoudiennes sont coutumières de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/030666853090-le-roi-salman-au-kremlin-pour-concretiser-le-rapprochement-russo-saoudien-2119867.php">ces annonces qui peinent à être suivies d'effets</a>. En effet, à l’heure actuelle, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays est de <a href="http://en.russian-trade.com/reports-and-reviews/2017-02/russian-trade-with-saudi-arabia-in-2016/">seulement 1 milliard de dollars par an</a>.</p>
<h2>L’arbre russe ne doit pas cacher la forêt américaine</h2>
<p>Sur le plan économique, la question est de savoir si les investissements de 10 milliards de dollars en Russie annoncés par l’Arabie saoudite en 2015 et confirmés la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-roi-Salman-visite-historique-Moscou-marquer-rapprochement-russo-saoudien-2017-10-05-1200882184">semaine dernière à Moscou</a> se concrétiseront.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189582/original/file-20171010-17697-deme12.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vladimir Poutin et le jeune prince hériter, Mohammed ben Salman de Saoud (MBS), en 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vladimir_Putin_and_Mohammad_bin_Salman_Al_Saud_3.jpg">Kremlin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>De tels investissements seraient un avertissement aux États-Unis et à l’Iran : au premier, l’Arabie Saoudite indiquerait que le partenariat exclusif est arrivé à terme et au second, la Russie indiquerait qu’elle est soucieuse d’équilibrer l’axe Moscou-Téhéran par une coopération économique avec l’Arabie qui se prépare à l’avènement d’un nouveau roi saoudien en <a href="http://www.lepoint.fr/monde/mohammed-ben-salmane-l-impetueux-prince-d-arabie-21-06-2017-2137231_24.php">la personne du prince Mohammed ben Salman (MBS)</a>, qui lui s’est déjà rendu à Moscou.</p>
<p>Une alliance russo-saoudienne est-elle vraiment à l’horizon ? Si des convergences peuvent apparaître, permettant notamment à la Russie de gérer une importante population musulmane (10 % à 15 % de sa population, assez concentrée dans certaines régions et observant avec intérêt les développements politiques du Golfe persique), une coopération solide entre ces deux pays supposerait un rapprochement militaire étroit, techniquement et sécuritairement impossible aujourd’hui.</p>
<p><a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/1.815867">L'annonce de l'exportation de batteries de missiles antimissile S-400</a> de fabrication russe est particulièrement frappante : ce serait la première vente de matériel de défense de la Russie au Royaume saoudien. Or celui-ci s’est traditionnellement approvisionné principalement en équipements régis par les normes de l’OTAN.</p>
<p>Les sommes en jeu demeurent cependant sans commune mesure avec celles de 100 milliards de dollars prévues dans le <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/23/l-industrie-militaire-americaine-comblee-par-le-voyage-de-donald-trump-en-arabie-saoudite_5132243_3234.html">contrat d'armement avec les États-Unis</a>. Le Pentagone a d’ailleurs déjà renchéri en approuvant, le 8 octobre, soit deux jours après l’offre russe, la <a href="http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2017/10/us-missile-defense-sale-saudi-arabia-thaad-thwart-russia.html">vente d'un système de missiles antibalistiques</a> (THAAD) aux Saoudiens, proposition longtemps reportée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85475/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Parmentier est membre de Synopia. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par-delà les symboles très riches et les annonces très frappantes, la visite du roi saoudien Salman à Moscou peut-elle inquiéter Washington ?Cyrille Bret, Géopoliticien et philosophe, Sciences Po Florent Parmentier, Enseignant à l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/568492016-04-07T04:34:11Z2016-04-07T04:34:11ZLes faux-semblants de l’insécurité des humanitaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/117490/original/image-20160405-28989-1atpaot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'intérieur de l'hôpital de Kunduz (Afghanistan) bombardé par l'armée américaine en octobre 2015.</span> <span class="attribution"><span class="source">Aurelie Baumel/MSF</span></span></figcaption></figure><p>Depuis les années 1990 et la multiplication des incidents de sécurité dans les conflits post-guerre froide en Afrique de l’ouest, Somalie, Tchétchénie, ex-Yougoslavie et dans la région africaine des Grands lacs, les organisations humanitaires déplorent une insécurité croissante. Les récents bombardements des hôpitaux soutenus par MSF <a href="http://www.msf.fr/actualite/dossiers/attaque-sur-hopital-kunduz-en-afghanistan">en Afghanistan</a>, Syrie ou au Yémen n'ont fait que renforcer les inquiétudes. </p>
<p>Ce constat est aujourd’hui étayé par des enquêtes visant à « quantifier de manière objective » la violence contre les travailleurs humanitaires. Les statistiques sur la violence contre les organismes d’aide soulèvent au moins deux questions : les données quantitatives démontrent-elles que l’insécurité est « réellement » en augmentation ? A quoi servent ces chiffres ?</p>
<p>Si la première enquête sur les « morts parmi les travailleurs humanitaires » a été publiée en juillet 2000 par le <em>British Medical Journal</em>, c’est la mise en place d'une banque de données - <a href="https://aidworkersecurity.org/">l’Aid Workers Security Database (AWSD)</a> - qui signe l’importance de la statistique dans les discussions portant sur la sécurité humanitaire. Ayant une vocation exhaustive, celle-ci recense les attaques signalées depuis 1997 par la presse et les acteurs de l’aide, ayant entraîné la mort, des blessures graves ou le kidnapping d’un « travailleur de l’aide ». Ce sont ces données qui sont plus fréquemment citées par la presse, les Nations unies, les ONG ou les experts en sécurité humanitaire.</p>
<h2>Quelles sont la précision et la pertinence des indicateurs ?</h2>
<p>Se présentant comme rigoureusement scientifiques (« evidence based »), ces enquêtes sont pourtant caractérisées par d’importantes fragilités méthodologiques. La première tient à l’usage peu aisé de la catégorie de travailleur humanitaire tué, blessé ou kidnappé qui constitue la base de travail de l’AWSD, et des rapports qui en sont issus. Elle implique de déterminer si les victimes sont atteintes dans le cadre ou du fait de leur travail et si ce travail est « humanitaire ». </p>
<p>Or il n’y a pas de définition consensuelle de la catégorie « travail humanitaire ». De plus, il est souvent très difficile de savoir à quel titre un employé d’organisation humanitaire est ciblé par des actes de violence - en tant que personne privée, ressortissant d’un pays particulier, membre d’une organisation de secours, etc. </p>
<p>Dans les faits, l’AWSD recense toutes les attaques (quelles que soient leurs circonstances) perpétrés contre des acteurs très divers, caractérisés par l’hétérogénéité de leur statut, fonction, pratique et, donc, de leur exposition aux dangers : représentants de gouvernements étrangers et des bailleurs de fonds, fonctionnaires et employés de l’ONU, délégués du CICR et de la Fédération, volontaires des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, employés d’ONG internationales ou locales, membres de réseaux de solidarité religieux ou communautaires, agents de sociétés de transport ou de sécurité privées, etc.</p>
<p>Soulignons, enfin, que ces indicateurs ont une signification ambiguë. Une baisse du nombre d’attaques peut, par exemple, refléter une amélioration des conditions de sécurité ou le retrait des travailleurs humanitaires de zones devenues trop dangereuses. En comptabilisant les violences subies, les études quantifient à la fois les dangers et la manière dont les acteurs de l’aide y font face.</p>
<h2>Quelle est la fiabilité des techniques de recueil et de traitement des données ?</h2>
<p>L’imprécision des indicateurs est renforcée par les biais des sources utilisées pour leur calcul. Les bases de données de sécurité dénombrent les attaques et les victimes à partir de leur signalement dans les registres administratifs des organisations d’aide et/ou les médias. Cette méthode ne permet pas de savoir si c’est le phénomène étudié qui évolue (les violences), son signalement (son enregistrement par les services administratifs des organisations humanitaires ou les médias) ou un mélange des deux. </p>
<p>Par ailleurs, les enquêtes cherchant à calculer des taux d’attaque et de victimation (nombre d’événements violents ou de victimes pour 10 000 travailleurs et par an) se heurtent à l’absence de dénominateur fiable. Rares sont les organisations capables de fournir des chiffres précis sur leurs effectifs par pays et par année. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/117509/original/image-20160405-29006-vv8ibo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://aidworkersecurity.org/incidents/report/rates">Aid Worker Security Database (AWSD), Humanitarian Outcomes.</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Malgré ces réserves, les enquêtes et analyses quantitatives concluent, sans exception, que le fardeau de l’insécurité sur les travailleurs humanitaires s’accroît. De fait, les données AWSD montrent qu’en valeur absolue le nombre de victimes a quadruplé en moyenne annuelle au cours des quinze dernières années: il est passé de 78 dans les années 1997-2001 à 376 en 2012-2013. </p>
<p>En revanche, rapporté à la croissance du nombre de travailleurs humanitaires déployés en zone de crise, le nombre d’attaques fait preuve d’une grande stabilité : le taux de travailleurs tués, blessés ou kidnappés oscille entre 4 et 6 pour 10 000 et par an entre 1997 et 2012. Autrement dit, selon les propres données de l’AWDS, l’augmentation du nombre de victimes est proportionnelle à celle du nombre de travailleurs de l’aide. En ce sens, l’action humanitaire n’est pas plus dangereuse que par le passé. </p>
<h2>L’augmentation de l’insécurité humanitaire est-elle un « mythe » ?</h2>
<p>En définitive, les études quantitatives sur l’insécurité humanitaire reposent sur des indicateurs peu fiables à la signification ambiguë, interprétés de manière partiale pour confirmer l’idée préétablie d’une aggravation des dangers. Est-ce à dire qu’on ne peut rien en conclure et que l’augmentation de l’insécurité humanitaire est un « mythe » ?</p>
<p>Selon de nombreux historiens, les attaques délibérées à l’encontre des secouristes jalonnent l’histoire de l’action humanitaire. Ces violences ne sont ni nouvelles, ni généralisées, ni en augmentation en valeur relative. Reste que les inquiétudes exprimées par les acteurs de l’aide ne sont pas irrationnelles. Force est de constater que les quinze dernières années ont été marquées par l’expansion géographique d’une menace diffuse de kidnappings associée au salafisme insurrectionnel transnational ; et que de nombreux conflits contemporains restent marqués par des épisodes de violence extrême (en Syrie, au <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/03/11/soudan-du-sud-l-onu-et-amnesty-racontent-l-horreur_1439144">Soudan du Sud</a> par exemple) qui n’épargnent pas les travailleurs de l’aide. </p>
<p>Quoi qu’il en soit, l’interprétation des tendances nécessite de recourir à d’autres sources, notamment qualitatives, permettant de faire la part - pays par pays - entre l’évolution des dangers et celle de l’exposition au danger des organisations humanitaires.</p>
<h2>La production de l’ignorance</h2>
<p>Toutefois, la priorité des acteurs de l’aide et des spécialistes est moins de compléter les études quantitatives par des approches historiques ou sociologiques que de produire de meilleurs chiffres, plus exhaustifs, plus précis, plus fiables. Cette prédilection pour les chiffres, en dépit de leur faible pouvoir descriptif et analytique, tient en premier lieu aux intentions militantes des quantificateurs. La production de chiffres n’a pas pour objectif premier de comprendre les mécanismes conduisant aux agressions, mais de dénoncer leur existence (sans avoir à les décrire précisément). Aux côtés de récits édifiants, les données servent ainsi la construction d’un nouvel intolérable moral autour des violences faites aux acteurs humanitaires, notamment médicaux.</p>
<p>Cet usage militant de la quantification est pourtant producteur d’ignorance. Il accrédite l’hypothèse que les violences contre les travailleurs humanitaires sont un phénomène global obéissant à des lois générales. Ce faisant, les études quantitatives détournent l’attention des praticiens et des spécialistes du véritable enjeu : analyser chaque événement de sécurité majeur dans sa singularité, le restituer dans l’histoire locale et celle de l’intervention de secours, discuter des pratiques ayant contribué à son occurrence (ou à son atténuation) et du bien-fondé de la prise de risques. </p>
<p>S’il est urgent de recenser rigoureusement les incidents – notamment ceux affectant le personnel national –, il l’est plus encore d’en discuter à partir de récits circonstanciés permettant de comprendre leur déroulement et leurs causes probables.</p>
<p><em>Fabrice Weissman (<a href="http://www.msf-crash.org/">Centre de réflexion sur l'action et les savoirs humanitaires</a>, MSF) a contribué à la rédaction de cet article. Il a cosigné avec Michaël Neuman l'ouvrage «Secourir sans périr» (éditions CNRS). Une version plus longue de cet article a été publiée en anglais <a href="http://msf-crash.org/livres/en/saving-lives-and-staying-alive/violence-against-aid-workers-the-meaning-of-measuring">sur le site de la Fondation CRASH</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/56849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Neuman est membre de la Fondation Médecins sans Frontières.</span></em></p>Les humanitaires sont-ils plus vulnérables que par le passé ? En notant une augmentation croissante de l’insécurité, les études quantitatives ont tendance à donner une vision biaisée de la réalité.Michaël Neuman, Chargé de cours en gestion de crise, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/501662015-11-09T05:48:40Z2015-11-09T05:48:40ZLes djihadistes « homegrown », soldats bien réels d’une nation virtuelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/100960/original/image-20151105-16253-2ckha0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Commémoration de l'attentat contre le Musée juif de Bruxelles, 24 mai 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Fdiplomatie.belgium.be%2Ffr%2Fbinaries%2Fmusee_juif_tcm313-267376.jpg&imgrefurl=http%3A%2F%2Fdiplomatie.belgium.be%2Ffr%2FNewsroom%2Factualites%2Fcommuniques_de_presse%2Faffaires_etrangeres%2F2015%2F05%2Fni_240515_attentat_musee_juif.jsp&h=562&w=1000&tbnid=cvmvDylb1xYiuM%3A&docid=p8ov_84tFC5TNM&itg=1&ei=tZE7VvGCKIbXPOLUpMgN&tbm=isch&iact=rc&uact=3&dur=1442&page=1&start=0&ndsp=20&ved=0CD8QrQMwCmoVChMIsbHooOf5yAIVhisPCh1iKgnZ">Surya Jonckherre/diplomatie.belgium.be</a></span></figcaption></figure><p>Dix ans après les « émeutes » dans les banlieues qui avaient duré trois semaines, la France cherche toujours des « responsables » à la violence qui s’est répandue dans ces quartiers, reflet de l’immobilité spatiale et sociale de ses habitants. Le débat revient sur la question de l’intégration : la crise de l’école, le chômage, la frustration des jeunes…</p>
<p>Et dix ans après les « émeutes », c’est dans ces quartiers que les pouvoirs publics cherchent principalement les racines de ce qu’on appelle aujourd’hui la « radicalisation » des jeunes qui ont choisi le djihad comme la voie de l’intégration. Il s’agit en effet, pour eux, d’une intégration dans la globalisation, grâce à leur mobilité, à leur capacité de passer d’un réseau à l’autre et à articuler espace, pouvoir et action.</p>
<p>Le terme de « radicalisation », qui apparaît dans le vocabulaire des pouvoirs publics à la suite des <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2015/07/07/01003-20150707ARTFIG00061-dix-ans-apres-les-attentats-londres-toujours-sous-la-menace-terroriste.php">attaques de Londres, le 7 juillet 2005</a>, est devenu depuis synonyme de « djihadisation ». Il se réfère aux <em>homegrown</em>, ces djihadistes nés ou socialisés dans le pays attaqué, détenant souvent la double nationalité, donc statistiquement invisibles. Dans la plupart des cas, ils sont intégrés dans la société et savent utiliser les codes d’appartenance ici et là-bas.</p>
<h2>La trame des réseaux</h2>
<p>Les leaders de l’islam radical conseillent à ces jeunes de rompre tout lien avec l’autorité familiale, de refuser la nationalité et la citoyenneté comme fondements de leur identité. Leurs discours portent sur l’« insuffisance » des États en matière de droits de l’Homme, et critiquent le principe de citoyenneté comme fondement de l’égalité démocratique. Ils cherchent ainsi à canaliser la loyauté de ces jeunes de la nation réelle vers une nation virtuelle imaginée comme la seule source de solidarité. Cette nation n’est pas territoriale, les relations sociales dans cette communauté imaginée comme globale suivent la trame des réseaux qui les conduit jusqu’à l’action pour le jihad – et qui constitue le fondement du récit unique d’appartenance.</p>
<p>Une telle communauté est constituée de jeunes de toutes origines sociales et nationales, avec des niveaux d’instruction variés et des professions diverses. Il est ainsi presque impossible de déterminer un profil type. Ces jeunes se réunissent dans des cybercafés, des librairies, des mosquées de quartier pour visionner des cassettes vidéo sur la guerre en Tchétchénie ou en Bosnie, et bien entendu sur le conflit entre Israël et les Palestiniens. Ils sont marqués par des scènes de souffrance et des discours sur l’« islam humilié », nourrissant un sentiment de revanche qui les pousse à la violence. Certains sont allés en Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen pour rejoindre des camps d’entraînement.</p>
<h2>« Djihad à domicile »</h2>
<p>Leur mobilité dessine une nouvelle géographie où se croisent les trajectoires personnelles dans des cellules de rencontres (les cybercafés, les mosquées, les librairies), dans des villes nœuds (comme Hambourg, Londres, Madrid, par exemple) et dans des bases d’entraînement, dans les nouvelles terres du djihad telles que l’Irak et la Syrie. Une telle mobilisation suit la logique de tout mouvement social qui aspire à l’émergence d’une nouvelle société, employant la rhétorique de la « justice à rétablir » et de la « revanche » face à la domination subie. Les sites Internet et les réseaux sociaux sont devenus leurs nouveaux espaces de communication, de mobilisation et de pouvoir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/100961/original/image-20151105-16255-ii7lt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En juillet 2005, Londres était frappé par des terroristes homegrown.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/wireman/26023587/in/photolist-3inUx-39tbd-3aiPn-39gwc-8gC9mt-3eige-39dw9-6bh6h-39bFR-3B6KV-39gr3-39h6r-3dZnC-3riMt-39g8Q-39gi5-3gEbk-39q5o-8g9p1o-4hzoy-sPWyB-39byf-7n2WK-39bK9-3bhWX-39j5L-39Quf-39mFd-7FCmj-bEUuX-bEUtB-bEUuf-bEUvA-bEUw6-39HWR-39fUF-3awBE-bETq3-bEToR-bEToi-bETnt-3aC85-3Egij-39D2X-axP8km-oFhV-3aVvT-39FxN-39ATz-39ATw">Bryan McComb/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Pourtant, avec le temps, l’usage de ces espaces par les jeunes engagés pour le djihad semble se limiter géographiquement. Aujourd’hui, rares sont ceux qui font preuve d’une mobilité extrême, circulant à travers le monde, à l’instar des djihadistes du 11 septembre. Ce sont surtout les réseaux transnationaux qui s’étendent de plus en plus jusqu’à eux, pour les inclure dans une « nation virtuelle » et les transformer en soldats bien réels.</p>
<p>Le « djihad à domicile » des <em>homegrown</em> – ceux qui s’identifient à la cause globale du djihad et revendiquent une identité religieuse radicalisée sur place – limite les espaces de circulation entre un point de départ et un point d’arrivée. La Syrie, « passage obligé » pour un séjour auprès de l’armée de l’<em>Oumma</em>, permet de s’ériger en <em>homegrown</em> : une fois de retour en France, en Belgique ou aux Pays-Bas, ils attaquent les pays où ils ont vécu, été socialisés et dont ils détiennent le passeport. Dès lors, la question de l’appartenance territoriale de ces jeunes occupe une place centrale dans le débat public mais aussi dans les réactions des États.</p>
<h2>Le paradoxe de l’anti-radicalisation</h2>
<p>La question de l’appartenance territoriale, traduite en termes de citoyenneté, surgit avec les politiques d’anti-radicalisation : faut-il <a href="https://theconversation.com/la-decheance-de-la-nationalite-au-risque-de-linegalite-entre-francais-49184">déchoir de leur nationalité</a> les <em>homegrown</em> ou refuser de leur reconnaître une nationalité comme l’a laissé entendre le Premier ministre Manuel Valls ? Ce dernier a déclaré que <a href="http://www.ladepeche.fr/article/2015/10/12/2195933-frappes-syrie-rien-permet-etablir-francais-ont-ete-tues.html">« ces jeunes n’ont pas de passeports »</a>. Une telle déclaration met pourtant en évidence un paradoxe dans la stratégie d’anti-radicalisation : c’est précisément parce qu’ils ont un passeport qu’ils se voient attribuer le statut d’<em>homegrown</em>.</p>
<p>De même, la question de l’appartenance territoriale surgit aussi dès qu’il s’agit d’évoquer la question du lieu de l’enterrement de ces combattants morts pour le djihad. Quelle place faut-il leur accorder et quelle trace laisseront ces jeunes qui, animés par une narration identitaire sur leur appartenance à une nation globale imaginée, rejettent tout attachement à une terre ?</p>
<p>Mais, dans le même temps, leur enterrement n’est pas un enjeu, ni juridique, ni politique, ni diplomatique. Au contraire, il représente une question fâcheuse, embarrassante, la plupart du temps mal accueillie par les autorités publiques, et plus encore par les familles des victimes. La réaction des États vis-à-vis de ces corps a une portée surtout symbolique. La question de l’enterrement place finalement les États face à un dilemme : faut-il ignorer l’ennemi, ignorer son appartenance à la nation globale imaginée ou encore le « re-territorialiser » dans le pays de sa citoyenneté et sa nationalité ? Cette dernière option revient dans les faits à « restaurer » une citoyenneté territoriale. Cela revient aussi, pour les États, à se projeter dans la globalisation en affirmant leur souveraineté territoriale.</p>
<p><em>Riva Kastoryano a récemment publié « Que faire des corps des djihadistes ? », Fayard, 2015.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/50166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Riva Kastoryano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au fil des ans, ce sont moins les candidats au djihad qui circulent d’un pays à un autre que les réseaux transnationaux qui viennent à eux.Riva Kastoryano, Directrice de recherche, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.