tag:theconversation.com,2011:/us/topics/troubles-psychiques-32293/articlestroubles psychiques – The Conversation2023-08-30T16:28:49Ztag:theconversation.com,2011:article/2125582023-08-30T16:28:49Z2023-08-30T16:28:49ZTroubles psy : pourquoi les médicaments peuvent améliorer les effets des psychothérapies<p><a href="https://doi.org/10.1093/ije/dyu038">L’anxiété et la dépression</a> sont les troubles de santé mentale les plus répandus dans le monde : <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/depression">environ 280 millions de personnes souffrent de dépression</a>, et <a href="https://www.nimh.nih.gov/health/statistics/any-anxiety-disorder">1 personne sur 3 sera victime</a>, à un moment ou un autre de son existence, d’un trouble correspondant aux critères diagnostiques d’un trouble anxieux. Heureusement, <a href="https://www.nhs.uk/mental-health/conditions/depression-in-adults/treatment/">les options de traitement efficaces</a> <a href="https://www.nhs.uk/mental-health/conditions/anxiety/types-of-anxiety/">ne manquent pas</a> : on peut notamment citer les médicaments, la psychothérapie, les modifications de mode de vie et la neurostimulation.</p>
<p>Souvent, médecins et thérapeutes recommandent d’ailleurs à leurs patients <a href="https://evidence.nihr.ac.uk/alert/combined-drug-and-psychological-therapies-may-be-most-effective-for-depression/">de mettre en œuvre plusieurs approches simultanément </a>, en associant par exemple une thérapie et un traitement médicamenteux. Ce conseil découle de l’idée que si la personne traitée réagit correctement à l’une ou l’autre des approches prescrites, le bénéfice aurait été retardé d’autant (ou aurait été moindre) si lesdites approches avaient été employées l’une après l’autre. </p>
<p>Néanmoins, historiquement, la plupart des études scientifiques menées pour évaluer l’efficacité des traitements destinés à soigner les troubles psychiques ont été conçues <a href="https://doi.org/10.1002/wps.20701">pour tester chaque approche individuellement</a>. Elles consistent généralement à comparer les effets d’un traitement fourni à des patients par rapport à la situation d’un groupe témoin, ayant reçu un placebo (dans le cas des médicaments) ou été placé sur liste d’attente (dans les cas d’une psychothérapie).</p>
<p>Étant moi-même <a href="http://www.canlab.pitt.edu/home/people/">psychologue clinicienne</a> et <a href="https://scholar.google.com/citations?user=7wB91zsAAAAJ&hl=en">chercheuse en neurosciences</a>, j’ai travaillé à intégrer les connaissances de ces deux domaines afin d’élargir le champ des options thérapeutiques disponibles pour les personnes souffrant de dépression, d’anxiété et de troubles associés. </p>
<p>Mes recherches m’ont appris que lorsque l’on conçoit un plan de prise en charge, il est important d’accorder une attention minutieuse à façon dont vont s’articuler les traitements médicamenteux et les thérapies comportementales. Une telle combinaison est en effet à même de procurer aux patients <a href="https://doi.org/10.1016/j.biopsych.2018.09.004">un bénéfice plus important que lorsque les approches sont employées individuellement </a>. Voici pourquoi.</p>
<h2>Neuroplasticité et traitement</h2>
<p>Les avancées scientifiques récentes menées pour élucider les causes de la <a href="https://doi.org/10.1016/j.biopsych.2021.05.008">dépression</a>, <a href="https://doi.org/10.2147/IJGM.S413176">de l’anxiété</a> ainsi que <a href="https://doi.org/10.1016/j.mehy.2005.05.007">d’autres troubles liés au stress</a> suggèrent que les changements et les altérations de la neuroplasticité sont des contributeurs essentiels de ces pathologies.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-la-plasticite-cerebrale-141907">La neuroplasticité</a> fait référence à la capacité que possède notre cerveau à s’ajuster en permanence, de manière flexible, à notre environnement, lui-même en constante évolution. <a href="https://theconversation.com/cognitive-flexibility-is-essential-to-navigating-a-changing-world-new-research-in-mice-shows-how-your-brain-learns-new-rules-204259">Il s’agit d’un composant essentiel de l’apprentissage</a>. Des études menées sur les animaux, en laboratoire, ont révélé l’existence, dans des contextes de stress chronique, de déficits de la neuroplasticité. Dans de telles situations, les scientifiques ont observé des modifications au niveau des voies moléculaires et neuronales. Ils ont par exemple constaté une diminution du nombre de synapses (les « points de contact entre les neurones », qui leur permettent de communiquer). </p>
<p>Ces changements pourraient être en lien <a href="https://doi.org/10.1038/s41380-019-0615-x">avec les schémas mentaux</a> présents chez les individus victimes de dépression et d’anxiété, ainsi qu’avec les symptômes dont ils souffrent, tels que la diminution de leur capacité à penser, ressentir et agir de manière flexible. Les changements observés en cas de tels déficit de neuroplasticité pourraient aussi influer sur la manière de penser, de se souvenir ou d’interpréter les informations disponibles, en les biaisant vers le négatif.</p>
<p>Divers travaux scientifiques ont démontré que de nombreux traitements agissant sur la biologie des patients s’avèrent efficaces pour prendre en charge de tels patients. C’est par exemple le cas des médicaments ou de la neurostimulation, <a href="https://doi.org/10.1038/tp.2013.30">qui peuvent améliorer</a> <a href="https://doi.org/10.1016/j.biopsych.2021.05.008">ou modifier la neuroplasticité</a>. Certains changements de mode de vie, comme le fait de pratiquer régulièrement une activité physique, peuvent avoir des effets similaires. </p>
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<p>Si les scientifiques considèrent qu’il s’agit là d’éléments clés dans la réduction des symptômes, le problème est que les symptômes ont souvent tendance à réapparaître lorsque ces interventions sont interrompues. Ce type de rechute concerne tout particulièrement les approches médicamenteuses. Dans le cas des antidépresseurs et des anxiolytiques (médicaments anti-anxiété), qu’il s’agisse de <a href="https://doi.org/10.1038/s41380-022-01824-z">molécules anciennes</a> ou <a href="https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2019.1189">plus récentes</a>, les taux de rechute augmentent peu de temps après l’arrêt du traitement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Gros plan d'une main tenant une pilule à côté d'un verre d'eau sur une table" src="https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544652/original/file-20230824-27-homnj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les patients peuvent voir leurs symptômes réapparaître après avoir arrêté de prendre des antidépresseurs ou des anxiolytiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/unrecognizable-man-holding-a-pill-in-front-of-a-royalty-free-image/1297835134">Vasil Dimitrov/E+ via Getty Images</a></span>
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<p>Les traitements comportementaux, tels que la psychothérapie, introduisent en revanche de nouvelles compétences et habitudes <a href="https://doi.org/10.1146/annurev.psych.57.102904.190044">dont les effets peuvent être plus durables</a>. En conséquence, les avantages qui en découlent se maintiennent au-delà de la phase la plus intense du traitement. </p>
<p>Des séances régulières, pendant plusieurs mois, <a href="https://theconversation.com/cbt-dbt-psychodynamic-what-type-of-therapy-is-right-for-me-171101">avec un thérapeute </a> peuvent ainsi aider de nombreux patients à apprendre à faire face aux symptômes négatifs dont ils souffrent, et à aborder les circonstances de leur existence d’une manière différente. Toutefois, cet apprentissage est dépendant de leur neuroplasticité : celle-ci est nécessaire pour que de nouvelles voies cérébrales bénéfiques découlant de la thérapie puissent être forgées et conservées.</p>
<p>Forts de ces constats, certains scientifiques ont donc émis l’hypothèse que l’amélioration ou la modulation de la neuroplasticité grâce à des interventions biologiques (comme la prise de médicaments) pourrait non seulement réduire les symptômes, mais aussi ouvrir une <a href="https://doi.org/10.1016/j.biopsych.2018.09.004">fenêtre d’opportunité</a> permettant de potentialiser les effets d’interventions comportementales comme la psychothérapie. Cette plasticité accrue pourrait bénéficier à des interventions basées sur l’apprentissage, telles que la <a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-les-therapies-comportementales-cognitives-et-emotionnelles-129883">thérapie cognitivo-comportementale</a> ou la thérapie d’exposition, et en améliorer les résultats à long terme.</p>
<p>Pour le comprendre, on peut imaginer que les voies cérébrales dont nous parlons sont en quelque sorte des routes. Les traitements biologiques sont capables de transformer un ensemble de chemins peu connectés, mais très bien tracés (les pensées, les peurs et les habitudes « inutiles » des patients), en un réseau dense de routes interconnectées et fraîchement bitumées. </p>
<p>Les traitements comportementaux peuvent quant à eux être vus comme des entraînements réguliers à la conduite, qui visent à apprendre à emprunter un sous-ensemble spécifique de ces nouvelles routes ; un sous-ensemble qui mène les patients à adopter des perspectives plus équilibrées d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. À force de s’entraîner, ils finissent par être capables d’emprunter sans effort ces nouvelles routes… Et sans avoir besoin de GPS, ce qui garantit que ces parcours désormais familiers seront facilement accessibles à l’avenir, ce qui empêcher le retour de l’anxiété et de la dépression.</p>
<h2>Rechercher les synergies</h2>
<p>La conception de traitements combinés visant à promouvoir explicitement une synergie est relativement nouvelle, mais un nombre croissant de preuves étayent son efficacité. Quelques exemples spécifiques sont particulièrement remarquables.</p>
<p>Tout d’abord, certaines études ont montré que la <a href="https://doi.org/10.1097%2FHRP.0000000000000183">D-cyclosérine</a>, un antibiotique utilisé pour traiter la tuberculose, pourrait être capable <a href="https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2016.3955">d’améliorer l’efficacité de la thérapie d’exposition destinée à lutter contre les troubles anxieux</a>, en aidant les patients à maîtriser leurs peurs. La D-cyclosérine pourrait également <a href="https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2022.3255">renforcer les effets antidépresseurs de la stimulation magnétique transcrânienne</a>, un type de neurostimulation qui cible les cellules nerveuses à l’aide de champs magnétiques.</p>
<p>Plusieurs études suggèrent que la combinaison de la neurostimulation avec des approches cognitivo-comportementales (telles que la thérapie cognitivo-comportementale ou l’entraînement au contrôle cognitif) <a href="https://doi.org/10.1016/j.biopsych.2018.09.004">pourrait réduire la dépression et de l’anxiété sur de plus longs termes</a>.</p>
<p>De même, de faibles doses de kétamine, un médicament aux effets antidépresseurs rapides utilisé en anesthésie générale, peuvent être utilisées pour <a href="https://ajp.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.ajp.20220216">« amorcer la pompe »</a> afin de faciliter les nouveaux apprentissages. Avec mon équipe, nous avons démontré qu’après l’administration d’une dose unique de kétamine, la pratique d’exercices informatiques quotidiens de 30 à 40 minutes pendant quatre jours, augmentait la durée des effets antidépresseurs de ce médicament. Cette durée était <a href="https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2023.12434">9 fois plus importante que lorsque la kétamine était prise seule</a> (les symptômes étaient réduits pendant 90 jours, contre 10 jours avec la molécule seule).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dYN64GJzGfc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les scientifiques explorent le potentiel des psychédéliques pour traiter divers troubles mentaux (vidéo en anglais).</span></figcaption>
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<p>Enfin, l’utilisation de molécules possédant des propriétés psychédéliques, comme la psilocybine ou la MDMA, fait aussi l’objet de recherches, afin d’évaluer leur potentiel en tant que compléments à la psychothérapie. Les avantages thérapeutiques de ces <a href="https://doi.org/10.1007/s11920-022-01363-y">thérapies assistées par psychédéliques </a> (sous surveillance médicale) sont attribués aux effets rapides de telles molécules, qui sont capables de <a href="https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.1121-22.2022">renforcer la neuroplasticité </a> et de modifier la conscience. Les chercheurs pensent que ces effets de court terme favorisent l’expérimentation par les patients de nouveaux points de vue et perspectives, qu’ils peuvent ensuite, avec l’aide des psychothérapeutes, intégrer à leur vision du monde.</p>
<p>La mise au point de traitements combinés, guidée par les connaissances acquises grâce aux neurosciences, semble donc avoir un grand potentiel. Cependant, il est important de souligner dans certains cas, utiliser différentes approches peut avoir des effets antagonistes, et ainsi <a href="https://doi.org/10.1016/S0272-7358(97)00084-6">réduire les avantages à long terme que pourrait présenter une psychothérapie menée seule </a>. </p>
<p>Une étude sur le trouble panique a par exemple démontré que les patients qui avaient appris des techniques de psychothérapie tout en prenant des médicaments anxiolytiques <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/192707">présentaient un plus grand risque de rechute </a> après l’arrêt de leur traitement que ceux qui avaient uniquement effectué une psychothérapie.</p>
<p>Des essais cliniques soigneusement conçus et des suivis à long terme sont donc indispensables pour comprendre pleinement comment combiner approches biologiques et comportementales, afin de développer les traitements les plus efficaces, accessibles, sûrs et durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212558/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rebecca Price est financée par le National Institute of Mental Health et le Laurel E. Zaks Memorial Research Fund. Elle est également l'inventrice d'un brevet déposé par l'université de Pittsburgh concernant les traitements bio-comportementaux synergiques de l'anxiété et de la dépression.</span></em></p>Pour traiter les troubles psychiques, mieux vaut combiner diverses approches plutôt que de s’en tenir à un seul type de prise en charge. En cause, la plasticité cérébrale. Explications.Rebecca Price, Associate Professor of Psychiatry and Psychology, University of PittsburghLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1907782022-10-09T15:06:53Z2022-10-09T15:06:53ZHandicap psychique : une navigation encore difficile dans le monde du travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484854/original/file-20220915-19-o6eowh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1280%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes souffrant de troubles psychiques se sentent en décalage avec leur environnement professionnel, ajoutant de la souffrance à la souffrance.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Magnet.Me / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La 33<sup>e</sup> édition des <a href="https://www.semaines-sante-mentale.fr/sism-2/edition-2022/">Semaines d’information sur la santé mentale</a> s’ouvre ce lundi 10 octobre pour quinze jours, avec cette année un focus particulier mis sur les conséquences de la crise environnementale. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0887618520300773">recherches</a> l’ont montré, elle s’est ajoutée à la liste des facteurs à l’origine de troubles psychiques, en pleine expansion à une époque où les conséquences de la crise sanitaire se font toujours sentir.</p>
<p>Les troubles psychiques, au total, concerneraient aujourd’hui une <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/psycho-bien-etre/sante-mentale/sante-mentale-quatre-choses-a-retenir-du-rapport-de-l-oms-qui-alerte-sur-la-souffrance-de-millions-de-personnes-dans-le-monde_5203588.html">personne sur huit</a> (13 % de la population mondiale) d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et les personnes qui en souffrent, au-delà d’un problème de santé, rencontrent également toujours des difficultés sur le marché de l’emploi, objet de nos dernières <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/joms.12851">recherches</a>.</p>
<p>Notons d’ores et déjà que la chose semble particulièrement problématique, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">l’emploi</a> étant particulièrement <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.2975%2F32.1.2008.59.62">bénéfique quant à la gestion de ces troubles</a>. Il structure l’environnement d’un individu, suscite en lui un sentiment d’appartenance, lui donne des objectifs, et contribue à son indépendance financière.</p>
<p>Nos travaux s’appuient sur la sociologie de Bourdieu, et montre comment les normes sociales, ainsi que les structures dont elles découlent et qui assurent leur perpétuation, contraignent la participation du marché du travail des personnes en situation de handicap psychique.</p>
<h2>Difficulté de socialisation, dévalorisation</h2>
<p>Dans ses ouvrages tels que <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html"><em>La distinction</em></a> ou <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html"><em>La reproduction</em></a>, Pierre Bourdieu expliquait la position des individus dans l’espace social à partir du concept de « capital ». Il désigne par-là les ressources utilisées par les individus pour se positionner dans l’espace social. Il y a certes ses revenus, son « capital économique », mais aussi l’ensemble du réseau sur lequel il peut s’appuyer, le « capital social », et les connaissances, éléments de langage ou références intellectuelles qu’il maîtrise et qui sont socialement valorisables, soit le « capital culturel ».</p>
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<p>Ce que notre article démontre, à partir de 257 questionnaires envoyés en Europe, en Asie, en Océanie et en Amérique du Nord, c’est que les personnes ayant des troubles psychiques subissent une dévalorisation de ces différents capitaux au travail. Concernant leur capital social, par exemple, elles avancent faire face à des difficultés de socialisation et de construction des relations sociales dans l’environnement de travail. Un enquêté témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a besoin d’être sociable, ici, je ne le suis pas, je devrais quitter ce travail. »</p>
</blockquote>
<p>Les règles sociales sont mal comprises et peuvent donner lieu à des comportements inappropriés des personnes. Une autre participante nous avoue trop s’attacher à ses collègues. Contrôler ses émotions devient de plus en plus compliqué, et la sensibilité au stress s’accroit :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne peux pas contrôler mes émotions, je pleure, je me mets en colère, j’ai des crises de panique. »</p>
</blockquote>
<p>Les normes du champ de l’emploi semblent en fait en décalage avec le fonctionnement des personnes en situation de handicap psychique. C’est de là que provient la dévalorisation des capitaux.</p>
<h2>Intériorisation, dissimulation</h2>
<p>Ce que prouvent aussi ces réponses est que les personnes en situation de handicap psychique sont conscientes de leur incapacité à se conformer aux normes du groupe dominant (les personnes sans handicap psychique). Elles vont tenter de s’y adapter, plutôt que de demander au marché du travail d’intégrer leurs spécificités. Ce manque d’adaptation constitue, au sens de Bourdieu, une forme de « violence symbolique » envers ces personnes.</p>
<blockquote>
<p>« Je ne peux pas m’adapter au monde du travail et ils ne s’adapteront pas à moi, alors je suppose que je suis juste laissé de côté. »</p>
</blockquote>
<p>Les personnes intériorisent, légitiment et normalisent leur position défavorisée, se blâmant elles-mêmes sur leur incapacité à suivre ces normes, plutôt que de remettre en question les structures sociales à l’origine des difficultés qu’ils rencontrent.</p>
<blockquote>
<p>« Que voulez-vous que je te dise ? Que je risque de m’absenter assez souvent ? Que je peux avoir besoin de pauses pour ne pas avoir à rentrer plus tôt à la maison ? En quoi cela a-t-il une chance de correspondre au travailleur idéal ? Je n’aurai jamais de promotion. »</p>
</blockquote>
<p>Cette intériorisation renforce les difficultés de participations dans l’emploi, conduisant notamment les personnes à cacher leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/handicap-29474">handicap</a> pour éviter toute dévaluation. Les efforts consacrés à la dissimulation des troubles ont des effets contreproductifs, ils créent notamment une mauvaise interprétation par les collègues des comportements professionnels affichés :</p>
<blockquote>
<p>« Mes collègues pensent que je suis paresseux, grossier et égoïste. »</p>
</blockquote>
<h2>Sensibilisation, solution</h2>
<p>Quelles solutions ? À notre sens, la stigmatisation persistante qui entoure les troubles psychiques exige que l’on sensibilise les gestionnaires et les collègues à ces questions. Il s’agit de réduire les croyances négatives et d’inciter les personnes à parler ouvertement de leurs difficultés.</p>
<p>Que les organisations reconnaissent ces troubles, offrent des aménagements sur le lieu de travail et s’assurent que tous les employés connaissent les politiques et les pratiques en place, telles sont des voies de progrès que nous identifions. Les personnes n’étant pas conscientes des normes qui guident leurs actions, cela peut aussi passer, par exemple, par s’efforcer de rendre leur lieu de travail plus inclusif en proposant des modalités de travail plus souples, en modifiant la conception du poste ou en donnant aux personnes le choix de la manière dont elles préfèrent communiquer. L’intégration des personnes atteintes de maladie psychique dans la création des politiques et pratiques à ce sujet est susceptible de garantir un changement durable.</p>
<p>Enfin, les personnes en situation de handicap psychique pourraient elles-mêmes être sensibilisées à l’existence de ces normes sociales et formées à les remettre en question par le biais d’ateliers visant à travailler leur « locus de contrôle », c’est-à-dire leurs croyances vis-à-vis de ce qui détermine les évènements de leur vie professionnelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Près d’une personne sur huit souffre aujourd’hui de troubles psychiques. Une étude montre que ce handicap, le plus souvent intériorisé, complique l'intégration sur le marché de l’emploi.Sarah Richard, Enseignant-chercheur en RH, directrice de bachelor à l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgMustafa Ozbilgin, Professor of Organisational Behaviour, Brunel University LondonSophie Hennekam, Enseignant-Chercheur en gestion, Rennes School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701222021-10-27T20:42:02Z2021-10-27T20:42:02ZLes addictions : à quoi sont-elles dues, comment les repérer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428845/original/file-20211027-19-1hujypy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C0%2C5301%2C2993&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus la consommation de substances au potentiel addictif est précoce, plus le risque d’addiction est grand.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/siM_YaIGrzU">Mikail Duran / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Addiction à l’alcool, au tabac, au cannabis, au sexe, au shopping, aux jeux vidéo, voire au téléphone portable… Aujourd’hui, il semblerait que l’on puisse devenir « addict » à tout et n’importe quoi. Si l’omniprésence de ce terme relève probablement d’un effet de mode langagier, elle ne doit pas faire oublier que l’addiction est une réelle maladie, correspondant à des critères précis.</p>
<p>Cliniciens et chercheurs tentent d’élucider les mécanismes de cette pathologie cérébrale qui touche des millions de personnes en France, afin de mieux la prendre en charge et d’éviter les rechutes. Petits rappels.</p>
<h2>Un peu d’étymologie</h2>
<p>Le terme « addiction » sous-entend une absence d’indépendance, de liberté, comme en témoigne son étymologie : en droit romain, « addicere » désignait la <a href="https://www.cairn.info/les-addictions--9782130652359-page-9.htm">condition d’esclave pour dettes</a>. Incapable de payer son créancier, le sujet débiteur devenait « addictus », « adonné à » : il était dès lors dévoué à ce dernier, lequel avait le droit de disposer entièrement de sa personne ; la contrainte par le corps était évoquée.</p>
<p>De nos jours, pour signifier qu’une personne est « accro » à quelque chose, sans en être forcément malade, on utilise communément les termes anglo-saxons « addiction » ou « addict ». Une tendance qui pourrait faire oublier que l’addiction est bel et bien une authentique maladie !</p>
<p>Cette pathologie peut concerner non seulement le fait d’être accro à des substances psychoactives, qu’elles soient licites (tabac, alcool, tranquillisants…) ou illicites (cannabis, cocaïne, MDMA, opiacés, nouveaux produits de synthèse…), mais aussi à des comportements, tels que les activités sexuelles, les jeux de hasard et d’argent, la consommation de sucre, l’utilisation des réseaux sociaux, la pratique des jeux vidéo, de l’exercice physique, ou même le shopping.</p>
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<img alt="Gros plans sur des mains tenant un smartphone" src="https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le smartphone a aussi un potentiel addictif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/889Qh5HJj4I">Pradamas Gifarry/Unsplash</a></span>
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<p>Le smartphone, cordon ombilical psychosocial, à la fois « e-doudou » et extension de notre « I-Soi », constitue lui aussi une matrice intermédiaire de l’addiction potentielle à tout ce qui peut se passer sur les écrans, de la prise de « selfies » à la consultation de sites pornographiques en passant par les jeux ou la communication sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Repérer une addiction : les « 5C »</h2>
<p>L’addiction est un processus pathologique récurrent, comprenant dans un premier temps un phénomène de consommation répétée, d’intensité variable selon les personnes. Celui-ci s’accompagne d’une installation progressive de signes de manque et/ou d’accoutumance. La personne perd le contrôle ; saisie d’une envie irrésistible de consommer (appelé « craving » en anglais), elle est en recherche de produit(s) et/ou de comportement(s) addictif(s), en dépit de risques médicaux, psychologiques, psychiatriques et sociaux dont elle a néanmoins conscience (le déni est une des caractéristiques de l’addiction).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zFeLr9kaHME?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment sortir de l’addiction ? (Laurent Karila, Renaud Hanston, Pour une meilleure santé, PuMS).</span></figcaption>
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<p>L’addiction traduit un déséquilibre permanent de l’échelle personnelle du plaisir. Lorsqu’elle se sent mal, la personne qui souffre d’addiction va consommer pour tenter de rééquilibrer les choses, sans y parvenir. Et il en va de même lorsqu’elle se sent bien : elle va consommer, sans que cela n’arrange le déséquilibre de son échelle du plaisir. Le caractère chronique de la maladie, ainsi que l’évolution par rechutes, sont caractéristique de ce trouble.</p>
<p>Pour se souvenir des caractéristiques qui définissent les addictions, et ainsi mieux les repérer, on peut recourir à un moyen mnémotechnique simple, basé sur cinq mots en « C ». Une addiction se caractérise en effet par : perte de contrôle, craving (envie irrépressible de consommer une substance ou de s’adonner à un comportement), usage compulsif, usage continu, conséquences sur la santé. Si ces problèmes durent sur une période d’au moins 12 mois, on peut parler d’addiction. Mais quelles en sont les raisons ?</p>
<h2>Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque l’on est « addict » ?</h2>
<p>En temps normal, lorsque l’on consomme une substance ou lorsque l’on s’adonne à un comportement qui nous procure du plaisir, quatre circuits cérébraux s’activent : le circuit archaïque de la récompense, le circuit de la mémoire et de l’apprentissage, le circuit de la motivation (attention, il s’agit bien du circuit de la motivation, pas de la volonté !) et le circuit du contrôle, qui est impliqué dans le fait d’être capable de répondre de manière adaptée à des situations sociales adaptées ou inadaptées (la réaction extrême étant l’impulsivité).</p>
<p>Dans les addictions aux substances ou aux comportements, ces circuits sont désynchronisés, c’est-à-dire que les circuits de récompense et de mémoire-apprentissage vont fonctionner de leur côté, isolément, tandis que le circuit de la motivation et celui du contrôle vont faire de même. L’addiction est la traduction clinique de cette désynchronisation de la circuiterie cérébrale ; elle correspond à une recherche enregistrée et apprise de récompense immédiate, accompagnée d’une perte de motivation et de contrôle.</p>
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<img alt="Shots d’alcools flambés, sur un bar" src="https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Consommer un produit addictogène ne signifie pas qu’on va forcément devenir « accro ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/8v3RSMpzBuM">Jia Jia Shum/Unsplash</a></span>
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<p>Un point important à comprendre est que ce n’est pas simplement parce qu’une personne rencontre un produit – ou adopte un comportement – potentiellement addictogène (c’est-à-dire capable de déclencher une addiction), dans un environnement donné, qu’elle va développer une addiction ! En effet, les facteurs de risque sont multiples.</p>
<h2>On ne devient pas addict comme ça !</h2>
<p>Le risque d’addiction est la résultante d’une équation complexe, qui fait intervenir non seulement des facteurs ayant trait au développement personnel, mais aussi des caractéristiques neurobiologiques, cérébrales, psychologiques, comportementales et environnementales. La génétique joue aussi un rôle (dans 40 à 70 % des cas), mais n’explique pas tout à elle seule.</p>
<p>Parmi les facteurs qui influent sur le risque d’addiction, citons la précocité de l’usage d’une substance : plus une consommation démarre tôt dans la vie, plus le risque de consommation excessive et/ou d’installation d’une addiction est élevé, surtout si l’usage se répète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alcool-tabac-cannabis-ou-en-est-la-consommation-des-jeunes-francais-152138">Alcool, tabac, cannabis… Où en est la consommation des jeunes Français ?</a>
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<p>La consommation à visée autothérapeutique (effet tranquillisant, hypnotique, antidépresseur) constitue un autre type de consommation à risque d’addiction. Dans cette situation, le fait que la consommation devienne régulière et solitaire doit alerter, car il s’agit d’un indicateur de risque.</p>
<p>Le cumul des consommations aggrave lui aussi le risque d’intoxication psychologique et sociale, et ce quel que soit l’objet addictogène. Une quatrième modalité d’usage à risque est la recherche d’excès, qui peut se traduire par un désir d’anesthésie, une envie de « défonce ».</p>
<p>Enfin, la répétition des modalités de consommation est généralement le point de départ de quelque chose de problématique.</p>
<h2>Une évolution anarchique nécessitant une prise en charge globale</h2>
<p>Une maladie addictive est rarement restreinte à une substance ou à un comportement. En outre, elle est fréquemment associée à d’autres atteintes, qu’elles soient psychiatriques (dépression, trouble anxieux…), somatiques (problèmes cardiaques, hépatiques…), cognitives (troubles de la mémoire, de la concentration, de l’attention, de la prise de décision) ou sociales.</p>
<p>L’évolution de la maladie n’est pas rectiligne dans le temps, elle est plutôt sinusoïdale et anarchique : on ne passe pas d’un état de « tout problématique » à la disparition des addictions. La rémission, la guérison peuvent être longues.</p>
<p>Pour ces raisons, le traitement d’une addiction ne doit pas se focaliser sur la substance ou sur le comportement, mais sur la personne dans sa globalité, à savoir le psychologique, le physique, l’addiction et l’environnement.</p>
<p>L’approche la plus efficace consiste à combiner des traitements médicamenteux avec différents types de psychothérapie, des participations à des groupes de parole ou des associations d’anciens malades. Le statut <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2020/12/medsci200206s/medsci200206s.html">patient expert</a> peut aussi être bénéfique (<em>forts d’une connaissance fine de leur maladie chronique acquise au fil du temps, les patients experts collaborent avec les soignants pour améliorer les interventions en santé, ndlr</em>).</p>
<p>Enfin, dans la lutte contre l’addiction comme dans n’importe quelle autre maladie, les premières pierres à apporter à l’édifice du succès thérapeutique sont une bonne alliance avec l’équipe qui nous suit, l’adhésion à son traitement, et l’endurance psychique.</p>
<hr>
<p><strong>Pour en savoir plus :</strong><br>
● <em>Le <a href="https://open.spotify.com/episode/3rxhUnuOxGUdzQWXT4hOBn">podcast</a> du <a href="https://www.deezer.com/fr/show/3046532">professeur Laurent Karila</a> <a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/laurent-karila-addiktion/id1589756300">« Addiktion »</a> consacré aux addictions</em>.</p>
<p><strong>Les ouvrages ayant servi de référence à cet article :</strong><br>
● <em>Karila, L. <a href="https://www.editionsleduc.com/produit/2090/9791028517236/l-alcoolisme-au-feminin">« L’alcoolisme au féminin »</a>, éditions Leduc, 2020.</em><br>
● <em>Karila, L. ; Benyamina, A. <a href="https://pdf.sciencedirectassets.com/276884/1-s2.0-S0761842519X00029/1-s2.0-S0761842518310118/am.pdf">« Addictions »</a>, Rev Mal Respir, 2019.</em><br>
● <em>Karila, L. <a href="https://www.mangoeditions.com/9782317019654-addictions-dites-leur-adieu.html">« Les addictions. Dites leur adieu ! »</a>, Mango éditions, 2019.</em><br>
● <em>Karila, L. <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/25-idees-recues-addictions/">« 25 idées reçues sur les addictions »</a>, éditions Le Cavalier Bleu 2017.</em><br></p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit en partenariat avec la chaîne santé de l’université de Paris, <a href="https://www.youtube.com/pumsuniv">Pour une meilleure santé</a> (PuMS).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Karila est porte-parole de SOS Addictions et membre de la Fédération Française d'Addictologie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Boris Hansel est associé de la société d'informatique médicale IRIADE. Il participe à des projets de recherches financés par la fondation AP-HP.</span></em></p>Le mot « addiction » est employé à tort et à travers, au point d’en oublier qu’il s’agit d’une réelle maladie, d’évolution complexe. Comment repérer les usages et les comportements problématiques ?Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-SaclayBoris Hansel, Médecin, Professeur des universités- Praticien hospitalier, Inserm U1148, Faculté de Santé, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693842021-10-17T15:53:48Z2021-10-17T15:53:48ZHandicap psychique au travail : comment l’adaptation est-elle pensée en milieu protégé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424967/original/file-20211006-19-iquhwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=462%2C165%2C1581%2C1195&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aménager une place pour chacun et l’accompagner fait partie des missions des Esat, comme ici à Poissy dans les Yvelines.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Nicolas Duprey / CD 78 - Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Avec <a href="https://www.francetvinfo.fr/jeux-paralympiques/jeux-paralympiques-2021-la-france-explose-son-objectif-de-medailles-des-novices-deja-victorieux-et-quelques-deceptions-le-bilan-des-bleus-a-tokyo_4760811.html">54 médailles dont 11 en or</a>, la France s’est montrée relativement brillante cet été aux jeux paralympiques de Tokyo. Les athlètes s’y sont affrontés dans des disciplines spécifiques (non disputées aux Jeux olympiques) ou dans des disciplines déjà existantes mais aménagées. Pour ces dernières, les règles s’adaptent aux différentes catégories de handicap reconnus par les fédérations, non sans <a href="https://www.la-croix.com/Sport/Jeux-paralympiques-casse-tete-categories-handicaps-2021-08-25-1201172173">débats</a> autour des types de handicap concernés et des évolutions proposées.</p>
<p>Ces débats font écho aux questionnements sur l’inclusion dans le monde de l’entreprise. Employeurs, managers, et collègues se trouvent souvent confrontés au dilemme du devoir de s’adapter ou non.</p>
<p>Nos travaux, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09585192.2021.1893787">publiés</a> et à venir, s’intéressent en particulier aux établissements ou service d’aide par le travail (Esat) et au rapport qu’ils entretiennent avec les handicaps psychiques. Mises en place pour des handicaps mentaux, ces structures semblent s’adapter sous différents modes à ce public particulier.</p>
<h2>Affaires d’identités</h2>
<p>Faire évoluer une organisation selon les identités des travailleurs est une question qui se pose fréquemment pour les dirigeants d’entreprise et cela ne concerne pas que le cas du handicap. Faut-il par exemple prévoir des aménagements des horaires pour permettre une <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/05/25856-quelle-attidude-adopter-face-a-la-religion-au-travail/">pratique religieuse</a> ?</p>
<p>Deux approches organisationnelles se distinguent, l’une appelée « identity-blind » (aveugle vis-à-vis des identités), l’autre « identity-conscious » (consciente des identités).</p>
<p>La première met en avant des pratiques égalitaires qui ignorent les différences identitaires. Son <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/256746">principe fondateur</a> est de traiter tout le monde de la même manière afin de respecter le principe de non-discrimination. La deuxième considère au contraire que les différences ne peuvent être ignorées et doivent être prises en compte par souci d’équité. Des aides, des adaptations et des supports d’accompagnement complémentaires peuvent être proposés aux personnes concernées.</p>
<p>Dans le cadre du handicap, les adaptations, appelées aménagements, sont un droit que toute personne déclarée en situation de handicap peut faire valoir. L’article L5213-6 du Code du travail stipule notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. »</p>
</blockquote>
<p>L’intégration du handicap dans les organisations est donc souvent traitée selon l’approche « identity conscious ».</p>
<h2>Précaution ou attention</h2>
<p>Mettre en place ou non des adaptations ? La réponse à cette question est une évidence pour les Esat. Aménager une place pour chacun fait partie intégrante de la mission de ces organisations. À leurs yeux, le travail reste un <a href="https://www.cairn.info/naitre-grandir-vieillir-avec-un-handicap--9782749252919-page-219.htm">outil d’accompagnement et de développement</a> de la personne handicapée.</p>
<p>Dans nos travaux, nous considérons la manière dont les Esat peuvent ou non développer une approche consciente du handicap psychique, un handicap dont l’importance s’accroît. Il est la conséquence de diverses maladies (psychose, schizophrénie, troubles bipolaires ou névrotiques…) et se caractérise par une altération de la cognition, des capacités de communication et de compréhension des autres.</p>
<p>Trois types de pratiques émergent de nos observations et des entretiens que nous avons réalisés. Les premières se montrent <strong>conscientes du handicap, mais ignorent les différences spécifiques du handicap psychique</strong>. Cette absence s’explique par les caractéristiques structurelles des Esat qui historiquement ont été créés pour le handicap intellectuel, le handicap psychique venant ainsi perturber le fonctionnement existant. L’absence de ressources et de personnel sensibilisé à cette catégorie particulière est aussi parfois soulignée. Durant un entretien, un accompagnateur nous explique :</p>
<blockquote>
<p>« Si nous n’avons pas de formation pour expliquer pourquoi on fait des cas particuliers, les autres travailleurs peuvent penser “lui, il fait ce qu’il veut” »</p>
</blockquote>
<p>Par précaution, l’indifférenciation des pratiques reste donc parfois de mise.</p>
<p>Un deuxième groupe adopte des <strong>pratiques conscientes prenant spécifiquement en compte le handicap psychique</strong>. Il s’agit de protéger les travailleurs, en permettant par exemple l’aménagement de temps d’isolement. Le handicap psychique demande également de porter une attention particulière au suivi de traitements médicamenteux.</p>
<p>Ces points de vigilance permettent de profiter des particularités de fonctionnement du handicap psychique, qui contrairement aux handicaps intellectuels, se caractérise par des capacités de réflexion préservées. Les professionnels tentent notamment des pratiques de montée en responsabilisation, tout en demeurant attentifs à la vulnérabilité des personnes. Une psychologue raconte par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Parfois, il est possible de leur donner des petites responsabilités, même managériales, sans pour autant trop s’appuyer sur eux ».</p>
</blockquote>
<h2>Espace de la « dernière chance »</h2>
<p>Viennent enfin <strong>des pratiques dépassant l’adaptation à la catégorie de handicap</strong> et s’adaptant à la manière dont l’individu réagit spécifiquement à sa maladie. Le handicap psychique renvoie en effet à une multitude de situations et nécessite parfois de s’affranchir de toute généralisation pour revenir à la prise en compte de l’individu.</p>
<p>Trois particularités du handicap psychique rendent nécessaire cette approche individualisée : l’absentéisme de ces personnes qui gêne la qualité de l’accompagnement fourni en Esat, l’impact fort de la vie privée sur le travail et la fluctuation de la maladie.</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’ils ne viennent pas travailler, nous ne pouvons plus rien faire. Le problème avec le handicap psychique, c’est qu’on ne voit que le haut de l’iceberg. Peut être que quelque chose s’est passé à la maison qui explique la situation, mais on ne peut pas savoir », <em>explique un moniteur.</em></p>
</blockquote>
<p>Face à ces comportements, les postures managériales se complexifient. Les professionnels sont par exemple contraints de s’enquérir de la vie privée des personnes pour pouvoir poursuivre l’accompagnement et de dépasser les frontières classiques du rôle managérial. Les crises, qui arrivent lorsque la personne est dépassée par son environnement et qui peuvent conduire à des accès émotionnels et de violence, poussent aussi les professionnels dans leurs retranchements. Ces derniers vont mettre en place toutes les actions possibles pour maintenir la personne dans l’Esat, vu, dans ces situations, comme un espace de la « dernière chance ».</p>
<p>L’utilisation des pratiques individualisées reste, par ailleurs, davantage issue de l’initiative des professionnels que de celle de l’organisation. Elle demeure nécessaire pour poursuivre la mission d’accompagnement de l’Esat, bien qu’elle frôle parfois les limites de la légalité.</p>
<h2>Adaptation de l’organisation ou des individus ?</h2>
<p>La coexistence de ces trois types de pratiques dans ces milieux protégés invite à poursuivre la réflexion sur l’inclusion du handicap psychique, toujours très stigmatisé, sur le marché du travail classique. Bien qu’ils ne soient a priori pas conçus pour ce type de handicap, les Esat développent des pratiques plus ou moins « conscious » qui permettent de faire face à l’inattendu et de mieux intégrer les travailleurs.</p>
<p>Cette recherche montre aussi que lorsque l’organisation ne peut s’adapter, la seule approche possible est de considérer l’individu et ses besoins propres. Cela impose aux professionnels de développer une attention, une posture compréhensive et à ajuster leurs actions en fonction de la situation rencontrée.</p>
<p>Si ces pratiques managériales méritent d’être connues, elles sont pour autant discutables. En effet, elles naissent de l’absence d’une réponse au niveau de l’organisation. C’est parce que l’organisation n’est pas idéale que les professionnels sont contraints à être flexibles. Le support étant limité, les organisations fonctionnent grâce au dévouement des professionnels.</p>
<p>Or, si le dévouement des professionnels semble a priori vertueux, il peut aussi les conduire à l’épuisement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans les établissements ou service d’aide par le travail (Esat), les professionnels doivent souvent dépasser les frontières classiques du rôle managérial.Sarah Richard, Enseignant-chercheur en RH, directrice de bachelor à l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgAmy Church-Morel, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Savoie Mont BlancCélia Lemaire, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627292021-06-29T20:44:46Z2021-06-29T20:44:46ZLes personnes souffrant de troubles mentaux vieillissent prématurément<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/408948/original/file-20210629-18-1dfz3h9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C3854%2C2579&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/mSXMHkgRs8s">Yuris Alhumaydy / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Partout dans le monde, la <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/ageing-and-health">population vieillit</a>. Entre l’allongement de l’espérance de vie et la baisse du taux de natalité, la proportion de personnes âgées est en hausse dans de nombreux pays. Si l’on en croit les <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/ageing-and-health">projections</a>, un habitant de la planète sur cinq aura plus de 60 ans d’ici à 2050, contre un sur huit en 2015.</p>
<p>Ce vieillissement de la population engendre de nombreux défis. Avec l’âge, les maladies chroniques telles que le diabète, les troubles cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et les cancers se multiplient. Ces maladies raccourcissent la durée de vie en bonne santé, accablent les familles et épuisent les ressources médicales. Décideurs politiques et professionnels de la santé sont de ce fait confrontés à une question urgente : comment alléger le fardeau que représente la maladie chez les personnes âgées ?</p>
<p>De nouvelles études menées par notre équipe à l’université de Duke et à celle du Michigan laissent entrevoir une solution qui peut paraître surprenante de prime abord : traiter les maladies mentales chez les jeunes.</p>
<h2>Les problèmes de santé mentale dans l’enfance affectent la santé physique</h2>
<p>En collaboration avec les universités néo-zélandaises d’Auckland et d’Otago, notre équipe a récemment conduit deux études visant à examiner la façon dont les troubles mentaux survenant tôt dans la vie finissent par affecter la santé physique.</p>
<p>Lier la santé mentale à la santé physique peut paraître surprenant, dans la mesure où au sein de notre système de santé, la prise en charge des affections qui touchent le corps a tendance à être séparée de celle des affections psychiques. Pourtant, des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140673607612380">études antérieures</a> ont démontré que notre santé mentale influe sur notre bien-être physique, et vice-versa.</p>
<p>Nous nous sommes appuyés sur ces travaux pour tenter de répondre à deux questions :</p>
<ul>
<li><p>Existe-t-il un lien entre troubles mentaux et maladies chroniques liées à l’âge pouvant mener à des décès prématurés ?</p></li>
<li><p>Est-il possible qu’un problème de santé mentale entraîne un vieillissement plus rapide, avant même que ne survienne une maladie chronique liée à l’âge ?</p></li>
</ul>
<p>Pour répondre à la première question, nous avons mené une <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2774902">enquête nationale</a> basée sur les registres des hospitalisations auprès de 2,3 millions de Néo-Zélandais âgés de 10 à 60 ans au début de nos travaux. Nous les avons suivis sur trente ans (de 1988 à 2018), afin de voir si les individus souffrant de troubles mentaux présentaient un risque accru de maladie chronique et de mort prématurée.</p>
<p>Les données d’admission à l’hôpital en lien avec divers troubles mentaux (toxicomanie, troubles psychotiques, troubles de l’humeur, troubles anxieux) et comportements d’automutilation ont été recueillies. Nous avons également collecté les informations relatives aux admissions associées à différentes maladies chroniques, de la maladie coronarienne au cancer.</p>
<h2>Une morbidité plus importante et une mortalité plus précoce</h2>
<p>Nous avons découvert que, sur ces trois décennies, les gens souffrant de troubles mentaux risquaient davantage d’être atteints de maladies physiques et qu’ils mouraient plus tôt. Ils ont également été plus souvent admis à l’hôpital où ils ont passé plus de temps pour des prises en charge de maladies physiques. Enfin, leurs dépenses de santé ont été plus importantes. Nous avons retrouvé ces associations dans tous les groupes d’âge, chez les hommes comme chez les femmes.</p>
<p>L’association, au cours du temps, entre troubles mentaux et maladies physiques s’est avérée manifeste pour différentes pathologies. Il est à noter que cette association a persisté même en tenant compte des maladies physiques antérieures aux troubles mentaux. Nous avons ainsi pu éliminer la possibilité d’une causalité inverse, où la maladie physique aurait pu entraîner la survenue de problèmes de santé mentale.</p>
<p>Nous avons dans un second temps cherché à savoir <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2776612">si les problèmes de santé mentale pouvaient être liés à un vieillissement plus rapide</a> chez les personnes n’ayant pas encore développé de maladie chronique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400034/original/file-20210511-21-1vmq9sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les gens ne vieillissent pas tous au même rythme. Nos travaux révèlent que ceux qui ont souffert de maladie mentale quand ils étaient jeunes sont susceptibles de vieillir plus vite, et de subir plus de problèmes de santé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/dRu3zxFb6uE">Cristina Seri/Unsplash</a></span>
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<p>Que signifie vieillir plus vite ? Nous avons tendance à penser l’âge en termes d’années : une personne de 51 ans est plus vieille qu’une personne de 50 ans. De ce point de vue, nous vieillissons tous au même rythme : un an par année chronologique. Toutefois, sur le plan biologique, le rythme auquel les corps vieillissent peut varier considérablement, <a href="https://www.pnas.org/content/112/30/E4104.short">même entre personnes nées la même année</a>. Certains individus vieillissent en effet « biologiquement » plus vite que d’autres. Un lien a été établi entre <a href="https://www.pnas.org/content/112/30/E4104.short">rythme de vieillissement accéléré</a> et risque accru de maladie et de mort.</p>
<h2>Troubles mentaux et vieillissement</h2>
<p>Nous nous sommes donc posé la question suivante : si les personnes souffrant de troubles mentaux vieillissent plus rapidement, cela les prédispose-t-il à développer des maladies ? Pour tester cette hypothèse, nous avons étudié 1 037 individus nés en 1972 ou 1973 dans la ville de Dunedin, en Nouvelle-Zélande. Les participants à l’étude ont été suivis régulièrement jusqu’à l’âge de 45 ans, ce qui peut sembler jeune, cependant des résultats antérieurs laissent penser que les différences en matière de vieillissement biologique sont déjà présentes à cet âge.</p>
<p>Pour évaluer les troubles mentaux, les participants ont été interrogés à intervalles réguliers. Nous avons ainsi pu estimer l’incidence d’un certain nombre de problèmes, tels que l’anxiété, la dépression, la toxicomanie et la schizophrénie.</p>
<p>Nous avons constaté qu’à 45 ans, ceux qui avaient davantage souffert de troubles mentaux vieillissaient plus vite. En combinant 19 biomarqueurs tels que le cholestérol, la pression artérielle ou l’inflammation, nous avons pu mesurer le rythme de ce vieillissement biologique. Entre 26 et 45 ans, les personnes qui avaient été affectées par le plus grand nombre de maladies mentales avaient un vieillissement biologique plus avancé de 5,3 ans en moyenne en comparaison de celles qui avaient eu moins de problèmes psychiques.</p>
<p>Nous avons également détecté d’autres différences. À 45 ans, les individus qui avaient le plus souffert de troubles mentaux obtenaient ainsi de moins bons résultats aux tests d’audition, de vue, d’équilibre et de cognition, ainsi qu’aux examens que les gérontologues font passer aux personnes âgées, comme le test de marche. Ces personnes nous ont aussi fait part d’une plus grande difficulté dans certains domaines de leur vie quotidienne : elles éprouvaient par exemple des difficultés à suivre une conversation ou à trouver les mots appropriés.</p>
<p>En outre, lorsque nous avons demandé à un panel indépendant de classer les portraits photographiques de chacun des participants à l’étude, ceux qui avaient davantage souffert de troubles mentaux ont semblé plus âgés que les autres personnes du même âge.</p>
<p>Ces résultats ont persisté même une fois que d’autres facteurs pouvant entraîner des troubles mentaux ou un vieillissement précoce ont été pris en compte (santé physique, maltraitance subie dans l’enfance, statut socioéconomique, surpoids, tabagisme, médicaments, les maladies physiques préexistantes…). Lesdits résultats étaient se sont également avérés très similaires quel que soit le type de maladie mentale considéré.</p>
<p>Dans l’ensemble, les résultats de nos deux enquêtes montrent que les gens atteints de troubles mentaux présentent un risque nettement plus élevé de développer des maladies chroniques et de mourir prématurément. Qui plus est, leur corps montre des signes de vieillissement plus précoces, avant même que ces maladies ne se développent.</p>
<p>Les implications de ces résultats sont doubles. En premier lieu, tant donné que les troubles mentaux ont tendance à se développer relativement tôt dans la vie (généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, autrement dit bien avant l’âge typique d’apparition des maladies physiques), investir dans leur prévention et dans un traitement précoce réduirait la survenue de maladies physiques ultérieures, et donc les coûts de santé associés à leur prise en charge.</p>
<p>En second lieu, ces travaux suggèrent que les individus souffrant de troubles mentaux doivent être considérés comme un groupe prioritaire au sein duquel il faut surveiller les signes de vieillissement précoce (troubles auditifs, problèmes moteurs, déclin cognitif…) ainsi que les maladies chroniques. Une telle surveillance implique que les services de santé assurant les prises en charge physiques et psychiques doivent être davantage intégrés. C’est une des conditions qui permettront de diminuer les inégalités et de prolonger la durée de vie en bonne santé.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Créé en 2007 pour accélérer les connaissances scientifiques et leur partage, le Axa Research Fund a apporté son soutien à environ 650 projets dans le monde menés par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.axa-research.org/en">Axa Research Fund</a> ou suivez sur Twitter @AXAResearchFund.)</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jasmin Wertz a reçoit des financements du fond Axa pour la recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Leah Richmond-Rakerd reçoit un financement de l'Institut national de la santé et du développement de l'enfant par l'intermédiaire du Duke Population Research Center (subvention P2C HD065563).</span></em></p>Les personnes atteintes de troubles mentaux durant leur jeunesse sont non seulement plus susceptibles que les autres de développer des maladies chroniques, mais aussi de vieillir plus précocement.Jasmin Wertz, Postdoctoral fellow, Duke UniversityLeah Richmond-Rakerd, Assistant Professor of Psychology, University of MichiganLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1535872021-03-24T19:30:38Z2021-03-24T19:30:38ZComment le nouveau mode de vie imposé par la pandémie affecte notre santé mentale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383596/original/file-20210210-19-5t6k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C271%2C6720%2C3883&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/SMI1NhNXszc">Engin Akyurt/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Des milliards de personnes à travers le monde ont vu leurs vies bouleversées par la Covid-19. En un clin d’œil, la pandémie a modifié l’essentiel de ce qui fait notre mode de vie, notre forme d’existence, notre culture. </p>
<p>Bien que restant chez nous, nous nous sommes retrouvés plongés dans une culture nouvelle, avec son étrangeté et ses incertitudes. Cette situation présente de nombreuses analogies avec celle des migrants dont les capacités d’adaptation psychologique sont mises à rude épreuve – d’autant plus lorsque leur immigration est involontaire, car seul recours. </p>
<p>Dans un tel contexte, il s’agit alors de gérer la perte de son monde habituel, et de faire face au défi que constitue l’ajout d’une nouvelle culture à celle d’origine – un processus que l’on qualifie d’<a href="https://iaap-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1464-0597.1997.tb01087.x">acculturation</a> <a href="http://assets.cambridge.org/97805218/49241/frontmatter/9780521849241_frontmatter.pdf">psychologique</a>.</p>
<h2>La culture : un modèle de gestion du stress</h2>
<p>En psychologie, la culture est considérée sous deux formes : l’une, extériorisée et visible, comprend les coutumes, l’habillement, l’alimentation, les modes de vie, les institutions, etc. ; l’autre, intériorisée et invisible, englobe les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/017084068300400409">valeurs</a>, <a href="https://psycnet.apa.org/record/1995-97791-000">les normes</a>, les <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0033-295X.108.2.291">modes de pensée </a>, les <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Re-thinking-Culture-and-Personality%3A-How-Universals-Higgins-Pierro/5795571a6de3ad39fb92bbc6d14aae4ab8a6aa1b">présomptions</a> et les <a href="https://scholarworks.gvsu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1109&context=orpc">orientations réglementaires</a>. </p>
<p>Tous ces éléments sont intégrés très tôt, dans la petite enfance, et facilitent la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/0-387-26238-5_2">gestion du stress quotidien </a>. Et de fait, on considère que l’éducation des membres d’une même nation oriente <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-15778-047">leur adaptation</a> psychologique aux facteurs de stress, et les aide à <a href="https://www.springer.com/gp/book/9780387262369">choisir des stratégies</a> efficaces. </p>
<p><a href="https://psycnet.apa.org/record/1957-08247-000">Le stress</a> est une réaction physiologique normale à une situation vécue comme dangereuse. L’individu mobilise alors ses ressources pour y répondre d’une manière satisfaisante. Notamment par des stratégies d’ajustement dites de « coping » (qui signifie « faire face à »), et désignant tous les <a href="https://link.springer.com/referenceworkentry/10.1007%2F978-1-4419-1005-9_215">efforts cognitifs et comportementaux</a> que l’individu peut déployer face à « des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme très fortes et dépassant ses ressources adaptatives ». </p>
<h2>Les effets délétères d’un stress d’acculturation</h2>
<p>En voulant s’adapter à une nouvelle culture, l’individu est soumis à un stress d’acculturation. Il est en effet amené à remettre en cause les valeurs, les normes, les modes de pensée de sa propre culture. Et d’un point de vue psychologique, ce réexamen peut être <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224540209603915">lourd</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17076122/">de conséquences</a>, avec des problèmes de santé mentale (confusion, dépression, angoisse…) et le risque d’aliénation (au sens de la <a href="https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-dissociatifs/trouble-de-d%C3%A9personnalisation-d%C3%A9r%C3%A9alisation">dépersonnalisation</a>). </p>
<p>D’un autre côté, le processus d’ajustement à une nouvelle culture perturbe l’identité de l’individu, le sentiment de sa propre valeur et celui de vivre dans un environnement sécurisant. Cela génère également des conflits internes et des troubles psychologiques. Et l’on peut sans nul doute chercher à les rapprocher des impacts de la pandémie de Covid-19.</p>
<p>D’après les données publiées à ce jour, la crise sanitaire que nous traversons donne lieu d’une part à des changements de comportement dangereux pour la santé mentale comme pour la société, et d’autre part à divers troubles psychiques. Les premiers peuvent s’apparenter à des stratégies spontanées de « coping » (stratégies d’adaptation), en réponse aux mesures prises pour lutter contre la Covid-19. </p>
<p>Face à cette situation inédite, on note en effet une diminution des capacités de régulation émotionnelle : cela se traduit notamment par une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32317306/">augmentation de la violence familiale</a>, des phénomènes de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10896-020-00172-2">burnout parental</a> ayant des conséquences sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2020-3-page-81.html">maltraitance des enfants</a>, une montée du <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32406358/">racisme et de la xénophobie</a>. </p>
<p>D’autres troubles du comportement sont également à la hausse : les addictions (y compris aux jeux vidéo), les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7124694/">troubles du sommeil </a>, les <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/12/6/1807">troubles alimentaires</a> et le décrochage scolaire. Et s’agissant des valeurs et des normes, c’est-à-dire de la culture invisible et intériorisée, force est de constater un renforcement des théories de complot et des nouvelles croyances, ou encore une perte de confiance dans les sciences. </p>
<h2>Quel impact sur le long terme ?</h2>
<p>Sur le long terme, les conséquences psychologiques de l’acculturation induite par la Covid-19 ne sont pas encore connues. Reste qu’elles ne sont pas sans évoquer ce qui a déjà été observé dans <a href="https://spssi.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/0022-4537.00231">d’autres situations d’acculturation</a>.</p>
<p>Nombre d’études ont mis en avant la détérioration de la santé mentale des populations affectées par la Covid-19, avec des taux élevés de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7392847/">stress post-traumatique</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32315963/">mais aussi d’anxiété et de dépression</a>, chez les adultes <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7698263/">comme</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32882598/">chez les enfants et les adolescents</a>. Et les chiffres révèlent un phénomène mondial, où la seule fragilité individuelle ne peut pas être invoquée.</p>
<p>Le cadre théorique de l’acculturation offre de nouvelles manières d’appréhender ces problèmes de santé, en s’intéressant aux facteurs connus pour intervenir en tant que modérateurs du processus. Il s’agit notamment de facteurs individuels tels que l’expérience avec d’autres cultures, le sexe, l’âge, le niveau d’instruction, l’état civil (en couple, célibataire…), le travail, le rôle dans la profession, etc. Mais aussi, de facteurs environnementaux c’est-à-dire des conditions de vie : pollution, sécurité, logement, commodités, loisirs et services de soins à proximité, espaces verts… </p>
<p>Tout comme ils interviennent lors de l’immigration et de l’adoption d’une nouvelle culture, ces facteurs peuvent moduler la capacité de s’adapter aux changements induits par la pandémie de Covid-19. Et les ayant en tête, on pourrait sans doute mieux cibler les actions de prévention. </p>
<h2>Des outils pour anticiper</h2>
<p>Dans les situations classiques d’acculturation, la recherche en psychologie interculturelle a d’ores et déjà suggéré <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1467-9450.2004.00405.x">quelques pistes pour faire face au stress</a>. Et d’après une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23163612/">méta-analyse publiée voilà huit ans</a>, l’acceptation d’une nouvelle situation culturelle et son intégration à la culture d’origine constituent les meilleures stratégies pour éviter la persistance du stress et sa transformation en troubles mentaux. </p>
<p>Pour le psychologue <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674224575">Urie Bronfenbrenner</a>, c’est l’écosystème (famille, école, institutions, quartier) dans lequel évolue chacun tout au long de la vie qui assure un bien-être psychologique, dans une continuité socioculturelle. Et l’on peut considérer qu’en le perturbant, la pandémie de Covid-19 a contribué <a href="https://www.nature.com/articles/s41390-020-1071-7">à l’apparition d’un stress à tous les niveaux</a>. Autrement dit, on peut imaginer intervenir en rétablissant les liens entre les divers composants de l’écosystème : les enfants ayant le plus de connaissances sur la pandémie semblent du reste avoir <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32363492/">moins de problèmes psychologiques</a>.</p>
<p>Enfin, il y aurait tout intérêt à s’inspirer des dernières recherches sur les <a href="https://us.sagepub.com/en-us/nam/the-sage-handbook-of-intercultural-competence/book232239">compétences interculturelles</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ir.381">qui recouvrent notamment</a> la compréhension et la prise de conscience de sa propre culture par rapport à d’autres, mais aussi l’ouverture, la flexibilité et la tolérance vis-à-vis des différences. </p>
<p>De nombreuses <a href="https://psycnet.apa.org/record/2000-03382-000">méthodes</a> <a href="http://madgic.library.carleton.ca/deposit/govt/ca_fed/fait_profileoftheieper_2000.pdf">permettent d’améliorer ces compétences</a> : en poussant à éviter les jugements hâtifs, en renforçant l’ouverture d’esprit, en développant les capacités d’autorégulation, etc. Et ce faisant, il devrait être possible de mieux s’adapter à la situation inédite que nous vivons, avec des stratégies de « coping » adéquates : ceci permettrait d’éviter que le stress d’acculturation ne génère des troubles mentaux, en ouvrant les chemins de la résilience. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409867/original/file-20210706-19-12vrloh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=625&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Annamaria Lammel est directrice de l’e-laboratoire « Climate system and human system interaction » de l’UNESCO.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annamaria Lammel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 a modifié ce qui fait notre mode de vie et notre culture. D'où l'intérêt d'aborder les actuels problèmes de santé mentale au prisme de la psychologie inter-culturelle.Annamaria Lammel, Maître de conférences en psychologie à l’université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, directrice de l’e-laboratoire « Climate system and human system interaction », Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553942021-03-11T17:57:45Z2021-03-11T17:57:45Z« Libérez Britney Spears » : hospitalisation sous contrainte, tutelle et santé mentale<p>La chanteuse américaine Britney Spears a connu la renommée internationale à 17 ans, en 1998, année de la sortie de son premier single, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=C-u5WLJ9Yk4">« …Baby One More Time »</a>.
Mais la carrière médiatique de celle que ses fans surnomment la « princesse de la pop » avait commencé bien des années plus tôt, avec sa participation, dès l’âge de 11 ans, à l’émission de télévision pour enfants « The Mickey Mouse Club ».</p>
<p>Sorti en début d’année, le documentaire « Framing Britney Spears », produit par le New York Times, revient sur cette réussite précoce et peu commune. Il s’attarde surtout sur la période compliquée qu’a vécu la pop-star au milieu des années 2000.</p>
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<p>Pourchassée en permanence par des paparazzis, qui documentent le moindre de ses faits et gestes (de son mariage en état d’ivresse - qui dura 55 heures - à son rasage de crâne dont les images ont marqué les esprits), Britney Spears finira hospitalisée sous contrainte. La mesure de tutelle dont elle allait dès lors faire l’objet allait durer 13 ans (cette mesure n’a été levée <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/13/la-tutelle-de-la-chanteuse-britney-spears-enfin-levee-par-la-justice-americaine_6101911_3210.html">que le 12 novembre 2021</a>, la gestion de ses biens étant par ailleurs toujours confiée à un comptable), menant ses fans à lancer, pour la soutenir, le mouvement #freebritney (« Libérez Britney »).</p>
<p>Mais la libérer de quoi ? Mal connues, les diverses mesures judiciaires ayant trait à la santé mentale sont souvent confondues. Faisons le point. </p>
<h2>Les soins sous contraintes sont très rares en France</h2>
<p>En pratique clinique, les troubles psychiatriques qui motivent des soins sous contraintes sont le plus souvent des idées suicidaires ou des pensées délirantes avec trouble du comportement. Le risque est alors que l’absence de soins soit préjudiciable à la personne, mais qu’elle ne puisse y consentir en raison du trouble psychique. </p>
<p>Dans ces situations, il est possible d’imposer des soins temporairement, le temps que la personne aille mieux. Cette restriction des libertés est très encadrée, et nécessite l’avis de plusieurs médecins et du juge des libertés afin d’éviter des situations abusives. Sa nécessité est réévaluée très régulièrement afin que la mesure de contrainte ne dure le moins de temps possible. </p>
<p>En France, trois situations sont possibles : </p>
<ul>
<li><p>à la demande d’un tiers : le terme est relativement inexact, puisque c’est le médecin, psychiatre le plus souvent, qui prend la décision d’hospitaliser, au vu de son examen clinique. L’état mental du patient doit nécessiter des soins immédiats et une surveillance médicale rapprochée. En plus du certificat médical, un « tiers », souvent la famille ou un proche justifiant d’une ancienneté dans ses relations avec la personne et susceptible d’agir dans son intérêt rédige une demande <a href="https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-04/fiche_memo_-_aide_a_la_redaction_des_certificats_et_avis_medicaux_dans_le_cadre_des_soins_psychiatriques_sans_consente.pdf">qui doit respecter des critères bien précis</a>.</p></li>
<li><p>En cas de péril imminent : c’est-à-dire lorsqu’il y a un danger imminent pour la personne, constituant une indication pour une hospitalisation, mais qu’il n’y a pas de tiers disponible pour remplir la demande. C’est le cas pour les patients très isolés ou dont les proches sont injoignables ou très loin. </p></li>
<li><p>Sur décision d’un représentant de l’État : c’est un mode d’hospitalisation pour les patients qui nécessitent des soins et dont le trouble psychique les rend potentiellement dangereux pour autrui ou capables de porter atteinte de façon grave à l’ordre public. C’est alors par arrêté préfectoral, au vu d’un certificat médical, que les soins sont imposés. C’est le mode d’hospitalisation sous contrainte le plus rare, il concerne <a href="http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/222-les-soins-sans-consentement-en-psychiatrie.pdf">moins d’une personne sur cinq hospitalisées sous contrainte</a>.</p></li>
</ul>
<p>Contrairement aux idées reçues, les soins libres restent la règle en psychiatrie en France. En effet, dans notre pays les personnes qui sont hospitalisées sous contrainte <a href="http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/222-les-soins-sans-consentement-en-psychiatrie.pdf">ne représentent que 5 % des personnes recevant des soins</a>. </p>
<p>Britney Spears était bien dans une démarche de soins libre lorsqu’en avril 2019 elle a été hospitalisée en psychiatrie à sa propre demande. Les médias l’ont visiblement mal compris, la plupart parlant « d’internement ». C’est plutôt la mesure de tutelle dont a fait l’objet la star durant 13 ans qui figurait au centre des débats du mouvement #freebritney.</p>
<h2>Sauvegarde de justice, curatelle, tutelle</h2>
<p>Les mesures de sauvegarde de justice, de curatelle et de tutelle sont des mesures de protection des biens. Elles visent à protéger de manière durable le patient, notamment dans sa gestion de ses finances. Certaines maladies psychiatriques peuvent en effet abolir transitoirement le discernement. </p>
<p>La fortune de Britney Spears est estimée à <a href="https://www.forbes.fr/classements/la-fortune-nette-de-britney-spears-revelee-elle-est-incroyablement-basse-comparee-a-celle-de-ses-pairs-de-la-pop/">60 millions de dollars</a>. Ce montant considérable, amassé par une chanteuse issue d’un milieu populaire, a sûrement contribué aux inquiétudes sur ces capacités ou non à la gérer. </p>
<p>La sauvegarde de justice constitue un premier degré de protection. Elle peut être mise en place <a href="https://www.psycom.org/wp-content/uploads/2020/10/Curatelle-et-tutelle-2018.pdf#page=4">pour un an sur déclaration du médecin traitant au procureur de la République, accompagnée de l’avis d’un psychiatre ou d’un gériatre</a>. Les droits civils de la personne concernée demeurent, mais il est possible d’annuler plus facilement les actes (achats ou vente pas exemple) qui pourraient lui être préjudiciables.</p>
<p>La perte des droits est différente <a href="https://www.psycom.org/wp-content/uploads/2020/10/Curatelle-et-tutelle-2018.pdf">entre les différentes mesures de curatelle - curatelle simple, curatelle renforcée - et la tutelle</a>. Dans le cadre d’une curatelle, la personne gère seule ses revenus et dépenses de la vie courante, mais a besoin de l’accord de son curateur pour les actes importants (vente ou achat immobiliers par exemple). Sous tutelle, la mesure de protection des biens s’applique à tous les actes de la vie civile. La personne sous tutelle doit obligatoirement être consultée pour les actes importants, et son avis sera respecté à chaque fois que cela est possible. Le juge des tutelles réajuste ces mesures dès que nécessaire, et doit donner son accord pour les décisions importantes. C’est lui qui nomme le curateur ou tuteur, qui peut être un proche ou un professionnel. </p>
<p>Dans notre pays, seules les mesures de tutelle sont pérennes. Elles peuvent être <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2120#:%7E:text=Le%20juge%20des%20contentieux%20de,donn%C3%A9es%20acquises%20par%20la%20science">mises en place pour 5 ans et sont renouvelables</a>. En cela, elles diffèrent de l’hospitalisation sous contrainte. Elles sont prononcées par un juge après auditions de l’intéressé, de ses proches, d’une expertise psychiatrique, d’un avis du procureur de la République et d’un rapport social. </p>
<p>En France, le juge des tutelles peut être sollicité par le majeur, sa famille ou un proche pour mettre fin à la mesure si elle n’est plus nécessaire. Si elle n’est pas renouvelée au bout des 5 ans, elle devient caduque. La conversion en une autre mesure ou le décès de la personne sont les deux autres modes de fin de la tutelle ou curatelle. </p>
<p>On pense souvent que ces mesures sont réservées aux personnes âgées atteintes de démences, mais la tutelle s’adresse à tout individu majeur en ayant besoin, du fait de l’altération de ses facultés mentales ou lorsqu’il est physiquement incapable d’exprimer sa volonté. En France, cela concerne environ 700 000 majeurs. </p>
<h2>Des mesures salvatrices ?</h2>
<p>Il serait tentant -mais inexact selon moi- de faire de la star une martyre de la psychiatrie. Ces mesures lui ont peut être permis d’éviter le tragique destin d’Amy Winehouse ou Whitney Houston, toutes deux décédées d’overdose en 2011 et 2012. Les documentaires biographiques « Amy » et « Whitney » montrent que dans la balance entre intérêt financier et santé, cette dernière n’était pas considérée comme prioritaire par leur entourage. </p>
<p>Des théories qui pullulent sur internet voudraient que la star californienne soit prise en otage et délivrerait des messages cryptés sur son compte Instagram. Britney Spears a pourtant fait à plusieurs reprises des déclarations rassurantes sur son état de santé. Dans le documentaire « Framing Britney Spears » on apprend que l’interprète de « Overprotected » ne demande pas la résiliation de la tutelle, mais un changement de tuteur. Ce qui paraît bien légitime, puisqu’elle a dit à plusieurs reprises ne pas s’entendre du tout avec son tuteur père, James Spears. Elle a ainsi déclaré ne plus vouloir faire d’album ni de tournée tant qu’il reste son représentant légal, et profiter de ce temps pour elle. </p>
<p>On peut voir en cela une émancipation et une démarche de rétablissement effective. En effet, la définition du rétablissement est un processus de redéfinition de soi, de telle sorte que l’individu <a href="https://www.jle.com/fr/revues/ipe/e-docs/se_retablir_de_troubles_psychiatriques_un_changement_de_regard_sur_le_devenir_des_personnes_292555/article.phtml">n’est plus centré sur la maladie psychique, ni déterminé par elle</a>.</p>
<p>Rappelons que l’interprète de « Toxic » n’a jamais publiquement évoqué le nom du trouble dont elle est atteinte. Un tel coming out serait <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/10.2105/AJPH.2012.301037">un puissant moyen de réduire le stigma entourant la santé mentale</a>. Alors que cela paraissait inimaginable il y a quelques années, les prises de paroles récentes d’artistes comme Mariah Carey, Kanye West ou Selena Gomez ont contribué à changer le regard que notre société porte sur la santé mentale. Mais cette décision n’appartient évidemment qu’à la chanteuse, qui fera une annonce quand elle le souhaitera, si elle le souhaite un jour. En attendant, « leave Britney alone ! » (laissons Britney tranquille !)</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour en savoir plus :</em></strong></p>
<ul>
<li><p>Podcast “Psycho Pop” disponible sur <a href="https://www.majelan.com/programs/fbf77175-b883-42bc-9684-462e44e0643c">Majelan</a></p></li>
<li><p>Blanc J.-V. (2019) « Pop & psy : Comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », éditions PLON.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/155394/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Victor Blanc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pop star américaine fait l’objet depuis plusieurs années d’une mesure de tutelle dont ses fans demandent la levée. En quoi consistent les mesures judiciaires en lien avec la santé mentale ?Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1482192021-01-26T20:36:44Z2021-01-26T20:36:44ZQuels sont les effets du bruit des avions sur notre santé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/380756/original/file-20210126-19-a9alud.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C1252%2C833&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/gjhrt4tIzwo">Dorian Hurst</a></span></figcaption></figure><p>Comme le révélait un <a href="https://www.bruit.fr/les-chiffres-du-bruit/les-francais-et-les-nuisances-sonores">sondage réalisé en 2010</a>, la moitié des Français considère le bruit des transports comme la principale source de nuisances sonores. Et d’après une <a href="https://www.ifsttar.fr/fileadmin/user_upload/editions/inrets/Recherches/Rapport_INRETS_R278.pdf">enquête de l’INRETS</a> (devenu l’IFSTTAR, puis l’Université Gustave Eiffel) remontant à 2005, ce sont 6,6 % des Français qui se déclarent gênés par le bruit des avions.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports3?clef=492">avis datant de 2004</a>, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France estimait que ce bruit constitue un problème de santé publique, tant par la gêne qu’il induit que par ses effets sur le sommeil. Il fallait cependant disposer de davantage de données pour émettre des recommandations : telle est la raison d’être du programme de recherche Debats (<a href="http://debats-avions.ifsttar.fr/">Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé</a>).</p>
<p>Piloté par l’<a href="https://www.acnusa.fr/fr/">Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires</a>, confié à l’<a href="https://www.univ-gustave-eiffel.fr/recherche/nos-activites-partenariales/">Université Gustave Eiffel</a> et lancé en 2009, il nous a livré de nombreux résultats, dont certains viennent tout juste <a href="http://debats-avions.ifsttar.fr/images/Baudin_2021.pdf">d’être publiés</a>. Petit tour d’horizon des observations…</p>
<h2>Une enquête, trois approches</h2>
<p>Mis en place aux abords de trois grands aéroports français (Paris-Charles-de-Gaulle, Lyon-Saint-Exupéry et Toulouse-Blagnac), Debats vise à mieux quantifier les effets du bruit des avions sur la santé physique et mentale des riverains. Et l’on y trouve trois volets complémentaires :</p>
<ul>
<li><p>une étude dite écologique examinant, dans des localités situées près des aéroports, les liens entre le niveau moyen d’exposition au bruit des avions et différents indicateurs de santé, à l’échelle des communes concernées ;</p></li>
<li><p>une étude individuelle et longitudinale s’intéressant aux effets physiologiques et physiopathologiques du bruit des avions, en suivant pendant quatre ans un peu plus d’un millier de riverains ;</p></li>
<li><p>une étude clinique, au sens d’une étude statistique d’ampleur limitée, menée auprès d’un sous-échantillon d’un peu plus d’une centaine de riverains, et caractérisant plus finement les effets du bruit des avions sur la qualité du sommeil.</p></li>
</ul>
<h2>Plus de décès liés aux maladies cardiovasculaires</h2>
<p>La première de ces études dites écologique a été réalisée sur 161 communes : 108 autour de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, 22 aux abords de Toulouse-Blagnac et 31 dans les environs de Lyon-Saint-Exupéry. Elle a utilisé pour chacune d’elles les données de mortalité transmises par le <a href="https://www.cepidc.inserm.fr/">Centre épidémiologique des causes médicales de décès de l’Inserm</a> sur la période 2007-</p>
<p>2010, et les cartes de bruit produites par Aéroports de Paris et la Direction générale de l’aviation civile (respectivement en 2008, 2004 et 2003 pour les trois aéroports).</p>
<p><a href="http://debats-avions.ifsttar.fr/images/Post-print_Evrard_ERS2016.pdf">D’après ses résultats</a>, et après prise en compte des facteurs de confusion (âge, sexe, densité de la population, pollution de l’air…), une augmentation de l’exposition au bruit des avions de <a href="https://www.bruitparif.fr/l-echelle-des-decibels">10 décibels (dB(A)</a>) est associée à un risque de mortalité plus élevé de 18 % pour l’ensemble des maladies cardiovasculaires, de 24 % pour les seules maladies cardiaques ischémiques et de 28 % pour les seuls infarctus du myocarde. Mais aucun lien significatif n’a été trouvé avec les accidents vasculaires cérébraux.</p>
<p>Si elles confirment les résultats d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20881600/">études</a> <a href="https://www.bmj.com/content/347/bmj.f5432">antérieures</a>, ces données ne permettent pas de conclure sur un quelconque effet au niveau individuel : c’est pourquoi ont été mises en place deux autres études individuelles, l’une portant sur le suivi de riverains pendant quatre ans, l’autre s’intéressant à la qualité du sommeil d’un petit échantillon d’individus.</p>
<h2>Un état de santé affecté</h2>
<p>Après tirage au sort via l’annuaire téléphonique dans les grandes zones de bruit définies autour des trois aéroports, quelque 1244 riverains âgés de plus de 18 ans ont été inclus dans l’étude longitudinale en 2013, 992 d’entre eux ont participé au suivi en 2015, et 811 ont été revus en 2017.</p>
<p>Interrogés à domicile par un enquêteur de l’Université Gustave Eiffel sur leur mode de vie, leur état de santé (auto-évaluation), leurs éventuels problèmes psychologiques, leur gêne due au bruit des avions, la qualité de leur sommeil ou encore leur santé cardiovasculaire, ces participants ont aussi fait l’objet de mesures de paramètres physiologiques (pression artérielle, fréquence cardiaque et concentration de cortisol salivaire). Qu’a-t-on constaté ?</p>
<p>Après avoir pris en compte les potentiels facteurs de confusion (c’est-à-dire des facteurs qui peuvent entraîner des erreurs sur l’intensité de l’association entre exposition et événement de santé étudié), et sur les seules données collectées en 2013 pour l’instant, il a été noté qu’une augmentation du niveau de bruit de 10 dB(A) est associée à :</p>
<ul>
<li><p>un risque de « dégradation de l’état de santé perçu » <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-020-10138-0">augmenté de 55 % chez les hommes</a> (mais pas chez les femmes, où aucune association significative n’a été mise en évidence) ;</p></li>
<li><p>une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412020320134">« gêne » plus importante</a> que ne le prévoit l’ancienne <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1240282/">courbe de référence européenne</a>, mais plus faible qu’attendu avec celle <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29292769/">fournie par le modèle de l’OMS</a> et reprise par l’Union européenne en 2020. Cette gêne dépend de nombreux autres facteurs que le bruit lui-même (âge, attentes en matière de pollution atmosphérique et sonore, sensibilité au bruit, peur d’un accident d’avion, etc.) ;</p></li>
<li><p>un risque de dormir <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29172716/">moins de six heures par nuit accru de 60 %</a>, quand celui d’être fatigué le matin au réveil est augmenté de 20 % ;</p></li>
<li><p>un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02349726/document">risque de stress chronique</a>, qui se traduit par une diminution de la variation horaire du cortisol de 15 % et une augmentation de son niveau au coucher de 16 % – aucun effet significatif sur les concentrations de cortisol n’ayant été noté au lever ;</p></li>
<li><p>un <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2018/18/2018_18_2.html">risque d’hypertension artérielle accru de 34 %</a> chez les hommes (mais pas chez les femmes, où aucune association significative n’a été mise en évidence), modéré sans surprise par l’âge et l’IMC (indice de masse corporelle) ;</p></li>
<li><p>enfin, les troubles psychiques ne sont pas induits par le bruit des avions mais par la gêne due au bruit des avions : nous avons observé que le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6121613/">risque de détresse psychologique est accru de 80 %</a> chez les participants pour qui il y a une légère gêne, et multiplié par quatre chez ceux que cela dérange fortement, par rapport à ceux que cela ne dérange pas.</p></li>
</ul>
<h2>Des troubles du sommeil objectivés</h2>
<p>À la fin des entretiens menés à domicile, les enquêteurs demandaient aux riverains s’ils acceptaient de participer à une seconde étude, centrée sur leur sommeil et requérant l’installation de plusieurs instruments de mesure. Au total, 112 personnes ont accepté, dont 79 ont été suivis en 2015, et 62 en 2017.</p>
<p>En complément des données recueillies dans le cadre de l’étude individuelle longitudinale, nous avons réalisé chez eux : des mesures acoustiques à l’intérieur et à l’extérieur de la chambre à coucher pendant sept jours ; des mesures actimétriques durant les sept nuits et des enregistrements du rythme cardiaque durant une nuit ; une mesure acoustique d’exposition individuelle en continu sur 24 heures.</p>
<p>Cette instrumentation a permis de noter, en lien avec une augmentation du niveau de bruit des avions de 10 dB(A) et/ou de dix événements de bruits d’avions :</p>
<ul>
<li><p>un risque de dormir moins de six heures par nuit (court sommeil) accru de 10 à 80 %, et de passer plus de neuf heures au lit (mécanisme d’adaptation à la privation de sommeil) augmenté de 10 à 60 % ;</p></li>
<li><p>un risque d’insomnie d’endormissement (plus de trente minutes nécessaires pour sombrer dans le sommeil) accru de 10 à 30 % ;</p></li>
<li><p>un risque d’insomnie de maintien de sommeil (au total plus de trente minutes d’éveils dans le temps de sommeil) augmenté de 10 à 30 % ;</p></li>
<li><p>enfin, une augmentation d’amplitude de la fréquence cardiaque (de 0,34 battement par minute) lors du passage d’un avion faisant monter de 10 dB(A) le niveau de bruit.</p></li>
</ul>
<h2>Des conclusions renforcées</h2>
<p>Pour l’heure, seuls les résultats des analyses des données individuelles collectées en 2013 ont fait l’objet de publications scientifiques – ceux basés sur les données recueillies en 2015 et 2017 et sur l’ensemble des données restant encore confidentiels jusqu’à leur publication dans des revues internationales. Force est de constater, toutefois, que les premières données de Debats confirment ce qui a d’ores et déjà été observé par d’autres équipes de recherche à l’étranger.</p>
<p>Les résultats renforcent notamment les conclusions de la plus importante étude menée à ce jour et portant sur les effets (hypertension artérielle et maladies cardiovasculaires) du bruit généré par le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2265027/#:%7E:text=Hypertension%20is%20an%20important%20independent,the%20burden%20of%20cardiovascular%20disease.">trafic aérien et la circulation routière à proximité de six grands aéroports européens</a> (à Milan, Berlin, Stockholm, Londres, Amsterdam et Athènes).</p>
<p>Enfin, en améliorant la connaissance de la situation sanitaire française, Debats devrait permettre de répondre à la demande des riverains de grands aéroports et d’évaluer les potentiels bénéfices de mesures de réduction des nuisances sonores.</p>
<hr>
<p><em>Remerciements à l’Anses, l’Acnusa, la DGAC, la DGPR, la DGS et l’Université Gustave Eiffel qui ont financé Debats, ainsi qu’à Marie Lefèvre, Clémence Baudin (IRSN), Ali-Mohamed Nassur (Action contre la faim), Liacine Bouaoun (IARC), Bruitparif, Marie-Christine Carlier (HCL), Patricia Champelovier (Univ Eiffel), Lise Giorgis-Allemand (Univ Eiffel), Aboud Kourieh (Univ Eiffel), Jacques Lambert et Damien Léger (Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel Dieu) pour leur collaboration.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148219/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>DEBATS a été financé par des subventions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), la Direction générale de la santé (DGS) et l'Université Gustave Eiffel.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernard Laumon a reçu des financements tels qu'évoqués par Anne-Sophie Evrard</span></em></p>A trois reprises, en 2013, 2015 et 2017, des chercheurs ont analysé les données de santé des riverains de trois aéroports français majeurs. Quels constats en ont-ils tirés ?Anne-Sophie Evrard, Chargée de recherche en épidémiologie, Université Gustave EiffelBernard Laumon, Directeur de recherche émérite, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1523932020-12-21T19:46:27Z2020-12-21T19:46:27ZLa crise sanitaire aggrave les troubles psy des jeunes migrants<p>Les « migrants » sont une population composite recouvrant des statuts administratifs (demandeurs d’asile, réfugiés, primo-arrivants…) et des situations sociales disparates. Certains appartiennent à des milieux sociaux plutôt aisés et éduqués avec des carrières professionnelles déjà bien entamées, d’autres, issus de milieux sociaux défavorisés ou de minorités persécutées, n’ont pas eu accès à l’éducation dans leur pays d’origine.</p>
<p>Et pourtant, une caractéristique traverse ce groupe : sa jeunesse.</p>
<p>Ainsi, selon les <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Migration_and_migrant_population_statistics/fr">chiffres d’Eurostat</a>, au premier janvier 2019, la moitié des personnes migrantes en Europe avait moins de 29 ans ; l’âge médian de cette population se situant à 29,2 ans, contre 43,7 pour l’ensemble de la population européenne. Cette particularité est essentielle pour comprendre l’état de santé de cette population.</p>
<p>En effet, on constate que, du fait de sa jeunesse, la population migrante en Europe est globalement en bonne santé physique et parfois même en meilleure santé que la population du pays d’accueil. En revanche, sa santé mentale pose souvent problème.</p>
<h2>Des troubles graves liés aux parcours migratoires</h2>
<p>Beaucoup de jeunes migrants – 38 % de la population totale des migrants selon une <a href="http://www.infomie.net/IMG/pdf/cpl-magazine-memoire-no73-bd.pdf">recherche récente</a> – souffrent de troubles psychiques (psycho-traumatismes, dépressions, idées suicidaires, perte de mémoire, <a href="https://www.jdpsychologues.fr/tags/syndrome-d-ulysse">syndrome d’Ulysse</a> désignant le stress de ceux qui vont vivre ailleurs que là où ils sont nés), alors que la psychiatrie nous apprend que le fait migratoire ne génère pas de pathologie spécifique.</p>
<p>Les troubles dont souffrent les jeunes migrants peuvent résulter des conditions de vie dans les pays d’origine (pauvreté, conflits armés, persécution…) ou des conditions du voyage migratoire (durée, insécurité, absence de suivi médical, en particulier pour les migrants illégaux, parfois torture et violences) ; ils peuvent également être liés aux conditions d’accueil dans le pays d’arrivée.</p>
<p>De multiples facteurs peuvent renforcer une situation de santé mentale déjà précaire ou engendrer de nouveaux troubles : les incertitudes liées au statut administratif des personnes, les difficultés d’accès aux droits (logement, éducation ou travail), les violences institutionnelles (la répression policière ou les discriminations) sont autant d’éléments qui provoquent un important sentiment d’insécurité et du stress chez les jeunes migrants.</p>
<p>Ceci est d’autant plus vrai pour les jeunes hommes qui sont jugés comme peu prioritaires, notamment dans leurs démarches <a href="https://creai-nouvelleaquitaine.org/wp-content/uploads/2019/09/Rapport-r%C3%A9fugi%C3%A9s-Vfinale.pdf">d’accès au logement</a>, contrairement aux familles avec enfants ou aux jeunes femmes.</p>
<p>Il en résulte des périodes d’errance, de dénuement, d’isolement qui détériorent notablement les conditions de santé psychique.</p>
<h2>De nombreuses difficultés de prise en charge</h2>
<p>Or, ainsi que le soulignent <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-josephine-vuillard-la-souffrance-psychique-des-exiles-est-un-veritable-enjeu-de-sante-publique_2811689.html">Joséphine Vuillard et ses collègues</a>, malgré l’engagement de nombreux professionnels de santé, les difficultés de prise en charge des troubles psychiques des jeunes migrants sont nombreuses et réelles, qu’il s’agisse du secteur hospitalier ou de la médecine ambulatoire.</p>
<p>Parmi ces dernières on note l’insuffisance des capacités d’accueil dans les permanences d’accès aux soins de santé (PASS), l’incompréhension des procédures administratives, le besoin d’interprétariat, des syndromes psychotraumatiques auxquels les professionnels de santé n’ont pas toujours été formés.</p>
<p>Les jeunes migrants sont par ailleurs habituellement très peu informés des possibilités de prise en charge et ne recourent pas aux soins, tandis que les dispositifs alternatifs pour « aller vers eux » (comme les maraudes) reposent essentiellement sur le bénévolat.</p>
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<figcaption><span class="caption">Maraude, « Tous Migrants » Hautes Alpes, 2019.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte, le secteur associatif (subventionné ou non) tente de répondre spécifiquement aux problèmes de santé mentale des jeunes migrants, souvent dans le cadre d’un accompagnement global : soutien aux démarches administratives, logement solidaire, apprentissage du français, accès à la culture.</p>
<p>Organisateurs de solidarités, les acteurs associatifs apportent un peu de stabilité et luttent contre l’isolement des personnes, sans nécessairement avoir pour mission institutionnelle la prise en charge de leur santé mentale.</p>
<p>Ces associations s’organisent parfois en collectifs inter-associatifs pour bénéficier des expertises réciproques. Malgré leur implantation inégale dans les territoires, ces initiatives pallient pour partie les insuffisances de la prise en charge institutionnelle.</p>
<h2>Des situations dramatiques dans les CRA</h2>
<p>Dans un contexte aussi fragile, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a révélé au grand jour les carences du système : si, à la suite de la fermeture de nombreux squats et foyers, beaucoup de jeunes migrants ont été logés dans des hôtels ou des auberges de jeunesse à l’occasion des confinements, nombreux sont ceux qui ont été livrés à eux-mêmes.</p>
<p>Leur prise en charge sociale et sanitaire n’a pas été pensée dans ces lieux d’accueil précaires et beaucoup ont vu leur situation de <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/27776/precaires-et-migrants-infectes-par-le-covid-les-mises-a-l-abri-en-gymnases-et-en-hotels-ont-cree-des-clusters">santé mentale se détériorer encore</a> depuis mars 2020.</p>
<p>Les situations les plus critiques en matière de santé mentale sont sans doute dans les Centres de rétention administrative (CRA). Selon le rapport 2019 de l’ONG Terre d’Asile, sont enfermés dans ces lieux de confinement, en vue d’une expulsion du sol national, des dizaines de milliers de migrants (<a href="https://www.france-terre-asile.org/images/RA_CRA_2019_web.pdf">54 000 en 2019, dont 29 000 en outremer</a>), y compris de nombreux jeunes non reconnus comme mineurs, parfois en cours de scolarisation.</p>
<p>La difficulté d’accès aux soins, notamment psychiatriques, dans les CRA a été dénoncée avec véhémence dans un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en <a href="https://www.cglpl.fr/2019/avis-relatif-a-la-prise-en-charge-sanitaire-des-personnes-etrangeres-au-sein-des-centres-de-retention-administrative/">février 2019</a>, suivi, à quelques mois d’écart, d’un rapport tout aussi alarmant du <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2019/05/personnes-malades-etrangeres-des-droits-fragilises-des-protections-a-renforcer">Défenseur des droits</a>.</p>
<p>La rupture de la continuité des soins au cours de leur rétention administrative est particulièrement délétère pour les jeunes migrants souffrant de pathologies mentales graves. Pour les autres, non seulement la prise en charge médicale est quasi-inexistante mais la pratique de l’isolement à des fins répressives aggrave souvent un état déjà à risque.</p>
<p>La déclaration d’état d’urgence n’a pas amélioré le sort des jeunes migrants en rétention. En effet, les CRA ont été maintenus ouverts pendant les périodes de confinement et sont devenus de facto le lieu de placement d’un grand nombre d’étrangers en situation irrégulière sortant de prison, alors que la fermeture des frontières rendait improbables la reconduite et les expulsions.</p>
<p>Un tel choix a eu pour conséquence l’augmentation de la pression démographique (+23 % en un an) sur ces lieux qui ne n’ont pas été conçus pour accueillir des personnes psychologiquement aussi vulnérables et pour des périodes aussi prolongées.</p>
<h2>Des espaces anxiogènes</h2>
<p>De par leur nature de lieu de privation de liberté et leur vocation de transition vers la reconduction aux frontières, les CRA sont de toute évidence des espaces anxiogènes où il n’est pas simple de distinguer les logiques de soins de celles de contrôle et de répression, et où la consultation psychiatrique revêt bien <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article4480">d’autres enjeux que des enjeux thérapeutiques</a>. Car le médecin qui apporte un soin et prend en charge psychologiquement peut aussi, en rédigeant un certificat médical circonstancié, contribuer à engager une levée de rétention, en cas de péril imminent.</p>
<p>Les placements en CRA de personnes atteintes de pathologies psychologiques et/ou psychiatriques sont en constante hausse, tout comme les actes de détresse (automutilations et tentatives de suicide) qui ont conduit, depuis 2017, <a href="https://www.lacimade.org/presse/retention-mort-dune-personne-par-pendaison/">cinq personnes à la mort en rétention</a>.</p>
<p>La prise en charge effective de la santé mentale des jeunes migrants se heurte aujourd’hui en France aux contradictions internes au système. Si les dispositifs sanitaires existent et sont en théorie ouverts à tous, sans condition de nationalité ni de régularité administrative, l’état d’incertitude et de précarité des jeunes migrants, en situation irrégulière ou non, en fait un population spécialement vulnérable et exposée.</p>
<p>Sans doute une plus forte articulation entre la stratégie nationale de prévention et lutte contre la pauvreté et des actions ciblées visant à favoriser l’intégration et la stabilité via le logement, <a href="https://theconversation.com/acces-aux-etudes-pour-les-refugies-un-droit-fondamental-trop-peu-respecte-98130">l’éducation</a> et l’emploi serait-elle à même de créer les conditions pour une véritable prévention des risques psychologiques et une meilleure santé mentale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152393/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Du fait de sa jeunesse, la population migrante en Europe est globalement en bonne santé physique. En revanche, sa santé mentale pose souvent problème.Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) Patricia Loncle, Professeure en sociologie, titulaire de la chaire de recherche sur la jeunesse, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1495902020-12-11T17:19:01Z2020-12-11T17:19:01ZPourquoi la souffrance psychologique des étudiants est difficile à appréhender<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/371510/original/file-20201126-13-19kv48r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1917%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le nombre d’étudiants souffrant d’un épisode dépressif majeur est estimé à près de 15 % en France chaque année.</span> <span class="attribution"><span class="source">Image by Vicki Nunn from Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Alors que l’épidémie de Covid-19 se poursuit, entre confinement et couvre-feu, la question de la santé mentale des étudiants en France, <a href="https://theconversation.com/covid-19-quelles-consequences-sur-la-sante-mentale-137242">déjà évoquée lors du premier confinement</a>, a ressurgi. </p>
<p>Or, il n’existe pas dans notre pays de mesures systématisées de la santé mentale des étudiants.</p>
<p>Les sources d’informations principales sont les études menées par l’Observatoire de la Vie étudiante (OVE), les enquêtes des organisations et mutuelles étudiantes ou encore celles réalisées par diverses équipes de recherches. Les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas tenus aujourd’hui de disposer d’indicateurs sur la santé mentale de leurs étudiants et, de fait, très peu en ont. </p>
<p>Dans ce contexte la question du choix desdits indicateurs est primordiale. En effet, si l’on souhaite pouvoir évaluer les politiques de prévention et la prise en charge des étudiants, il est important de pouvoir comparer les résultats, d’une part à d’autres populations, et d’autre part, sur plusieurs périodes temporelles. </p>
<p>Malheureusement, à l’heure actuelle, cet exercice est compliqué par l’hétérogénéité des méthodologies et des outils d’évaluation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1328241401704964097"}"></div></p>
<h2>Qu’entend-on par « santé mentale » ?</h2>
<p>Un des préalables pour bien évaluer la santé mentale consiste avant tout à <a href="https://psyarxiv.com/8rkuq/">bien définir</a> ce que recouvre cette expression, afin de s’entendre sur la mesure des phénomènes et donc d’être capable d’apporter une aide utile aux étudiants. Le concept de santé mentale est en effet un ensemble hétérogène, qui regroupe des notions diverses, elles-mêmes hétérogènes : dépression, souffrance psychologique, mal-être, etc. À tel point que l’on s’autorise « <a href="https://doi.org/10.1176/appi.ajp.160.1.4.">l’illusion confortable que tout le monde comprend de quoi l’on parle »</a>. </p>
<p>Il ne s’agit plus de dire que toutes les formes de mal-être sont identiques, mais plutôt de disposer de définitions communes pour pouvoir s’accorder sur les mesures à mettre en place. Cependant, si cet exercice de standardisation vient clarifier l’hétérogénéité en la réduisant à des définitions utiles, il convient de rappeler que la nature des troubles psychiques et de leurs définitions <a href="https://psyarxiv.com/zaadn/">font toujours l’objet de débats scientifiques</a>. </p>
<h2>Épisode dépressif majeur ou syndrome dépressif ?</h2>
<p>En pratique, on distingue <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-10/depression_adulte_fiche_de_synthese_diagnostic.pdf">l’épisode dépressif majeur</a> du syndrome dépressif. </p>
<p>L’épisode dépressif majeur correspond à la présence de 9 symptômes retenus pour la définition de la dépression au sein des classifications internationales (la classification internationale des maladies <a href="https://icd.who.int/dev11/f/en#/http%3A%2F%2Fid.who.int%2Ficd%2Fentity%2F334423054">(CIM)</a> de l’Organisation mondiale de la Santé ou le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux <a href="https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">(DSM)</a> de l’association américaine de psychiatrie). Ces symptômes doivent (pour un minimum de cinq d’entre eux) s’accompagner d’un certain seuil de fréquence et d’intensité (être présent en même temps pendant au moins deux semaines et presque tous les jours) d’une part ainsi qu’un impact significatif (souffrance importante, altération du fonctionnement social ou professionnel) d’autre part. Le syndrome dépressif fait quant à lui davantage reposer la définition de la dépression sur la mesure de symptômes parfois plus hétérogènes, évalués par différentes échelles qui se recoupent plus ou moins entre elles. </p>
<p>À titre d’exemple <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-10/depression_adulte_argumentaire_diagnostic.pdf">l’échelle CES-D</a> a été développée par le National Institute of Mental Health (NIMH) dans le but de regrouper différentes échelles de symptômes existantes. Elle mesure la présence de 20 symptômes en fonction de quatre fréquences d’apparition sur une semaine (de jamais pour moins d’un jour à tout le temps pour cinq jours ou plus). Une source de variabilité dans l’usage des échelles consiste à utiliser des métriques différentes. Ainsi, chaque symptôme interrogé pourra être évalué différemment selon l’outil : par exemple, sur la base de sa présence, de sa fréquence ou encore de son impact sur la personne.</p>
<h2>Le problème de la variabilité</h2>
<p>Selon les critères issus des classifications internationales, en France le nombre d’étudiants souffrant d’un épisode dépressif majeur est estimé à <a href="http://www.ove-national.education.fr/publication/la-sante-des-etudiants/">près de 15 %</a> chaque année. Pourtant, des enquêtes menées pour évaluer le « mal-être » des étudiants révèlent qu’<a href="https://osf.io/2cvnu/">entre un tiers et trois-quarts</a> de cette population en seraient atteint. Pourquoi <a href="http://www.i-share.fr/sites/default/files/cp-enquete-sante-etudiants-smerep-2013.pdf">une telle différence</a> de proportions ?</p>
<p>Une explication tient à la <a href="https://psyarxiv.com/8rkuq/">variabilité</a> existant dans la définition du mal-être, et donc de sa mesure. Autrement dit, un grand nombre d’étudiants peuvent éprouver des symptômes sans nécessairement souffrir d’une pathologie psychiatrique selon les classifications internationales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le mal-être étudiant (Lumni, novembre 2019)</span></figcaption>
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<p>Si les définitions des phénomènes psychiques peuvent être hétérogènes, il est cohérent que leurs outils de mesure le soient également, ce qui complique la comparaison de leurs résultats.</p>
<p>S’agissant de la mesure des symptômes de dépression, pouvoir comparer entre eux les résultats obtenus via les nombreux outils de mesure disponibles constitue déjà un enjeu majeur, comme l’ont révélé les analyses du chercheur <a href="https://eiko-fried.com/about/">Eiko Fried</a>. S’intéressant aux 280 instruments de mesure des symptômes dépressifs recensés, il a analysé <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S016503271631312X">sept échelles</a> parmi les plus utilisées dans les études d’efficacité des traitements antidépresseurs et des psychothérapies. Prises ensemble, celles-ci représentent 125 questions distinctes, qui évaluent en réalité 52 symptômes différents. Seuls 12 % d’entre eux se sont avérés communs aux 7 échelles, et 40 % d’entre eux n’apparaissent que dans une seule d’entre elles (la CES-D). </p>
<p>Mais ce manque de recoupement n’est pas le seul problème qui complique les comparaisons.</p>
<h2>La question des seuils et de la durée</h2>
<p>Des scores dits « seuil » sont fréquemment utilisés par les échelles employées pour évaluer les phénomènes psychiques : si le résultat obtenu par le sujet dépasse un seuil donné, il est considéré comme « malade ». Or, ce score seuil correspond en réalité à différents niveaux de probabilités, qui ne peuvent être connus qu’à partir des études qui ont abouti à la validation de ces outils auprès de populations spécifiques : en population générale, ou étudiante, en médecine générale ou souffrant de troubles chroniques… </p>
<p>L’une des difficultés est notamment de connaître le nombre de faux positifs et de faux négatifs à l’issue d’une prise de mesure par une échelle, en comparant ses résultats à un diagnostic obtenu selon les critères des classifications internationales. </p>
<p>En outre, les seuils retenus (et les probabilités correspondantes) peuvent parfois varier. Ainsi, dans <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2589340">une méta-analyse</a> portant sur la dépression chez les étudiants en médecine a recensé l’usage de quatre seuils différents pour l’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression scale – échelle qui permet <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-11/outil__echelle_had.pdf">d’évaluer rapidement les symptômes anxieux et dépressifs</a>). </p>
<p>Deux exemples concrets permettent de comprendre en quoi cette hétérogénéité est problématique. Une étude a été menée pour évaluer la pertinence de l’emploi de l’échelle HAD <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28654189/">comme « test de dépistage » de la dépression chez des patients souffrant de cancers</a>. Selon ces travaux, un score supérieur ou égal à 10 menait à une confirmation diagnostique de la dépression dans 15 % des cas pour ceux des malades qui dépassaient ce seuil. Ceux qui ne le dépassaient pas ne présentaient effectivement pas de diagnostic de dépression dans 96 % des cas. Des travaux québécois visant à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165032712007082">valider l’emploi de la version en langue française de la HAD</a> ont quant à eux montré que ces probabilités étaient respectivement de 39 % et 89 % pour le score seuil supérieur ou égal à 7 mais auprès d’une population plus hétérogène au cours d’un premier contact avec des structures soins. </p>
<p>La période sur laquelle est effectuée la mesure est également importante, notamment parce que l’un des objectifs de ces enquêtes est d’obtenir un taux de prévalence (le nombre de cas « malades » sur 100 sujets, à un moment donné du temps). Les résultats sont en effet différents selon qu’on interroge le sujet sur les deux dernières semaines, le dernier mois, les douze derniers mois ou la vie entière. Il est donc <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/la-sante-mentale-des-etudiants-en-medecine">important de la préciser</a>. </p>
<p>Tous les questionnaires n’interrogeant pas la même période, il est possible d’obtenir des taux de prévalences <a href="https://psyarxiv.com/j7c5z/">qui diffèrent de façon « artificielle »</a>.</p>
<h2>Autres facteurs de variabilité</h2>
<p>En plus des problèmes cités précédemment, il faut prendre en compte d’autres facteurs de variabilité liés aux caractéristiques des populations incluses dans les études, tels que le nombre de sujets par étude, l’année d’étude, l’âge moyen, le pourcentage de femmes et d’hommes, les taux de réponse… Ainsi, lorsqu’on se penche à nouveau sur la méta-analyse portant sur l’emploi de l’échelle HAD pour évaluer la dépression chez les étudiants en médecine, on constate une grande hétérogénéité de ces caractéristiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quel impact a la crise sanitaire sur la santé mentale des étudiants ? (Brut, octobre 2020)</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, nombre d’études sont aujourd’hui réalisées en ligne. Or les personnes souffrant de troubles psychiatriques, ainsi que celles ayant des difficultés économiques, risquent de ce fait de <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanpsy/article/PIIS2215-0366(20)30237-6/fulltext">moins y participer</a>. Enfin, il peut également exister un biais de sélection, avec une implication plus forte de certaines personnes qui se sentent davantage concernées par le sujet de l’enquête. </p>
<p>Pour toutes ces raisons, afin de pouvoir évaluer la représentativité d’une enquête, il est important d’avoir accès à une description détaillée de la population sur laquelle elle a porté, ainsi qu’à la méthodologie employée et au taux de réponse.</p>
<h2>Un cas d’école : la prévalence de la dépression chez les étudiants confinés</h2>
<p>L’extrapolation des résultats d’enquêtes à l’ensemble de la population étudiante n’est pas aisée. À titre d’exemple une étude récente retrouve une prévalence de la dépression <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/article-abstract/2772154">de 16 % chez des étudiants interrogés durant la période de confinement</a>. Une autre étude réalisée par l’<a href="http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2018/11/Reperes_sante_etudiants_2018.pdf">Observatoire de la Vie Etudiante (OVE) en 2016</a> retrouvait une prévalence de dépression de 15 %. On pourrait croire que ces deux chiffres sont concordants, pourtant, en réalité, ils diffèrent. </p>
<p>Le premier (16 %) est mesuré à l’aide d’une échelle (la BDI-13) et rapporte une mesure de symptomatologie « dite sévère » (selon un score seuil supérieur à 15) au cours des 4 dernières semaines écoulées. Le second (15 %) est mesuré à l’aide des critères diagnostics internationaux (CIDI-SF), qui indiquent la présence d’un épisode dépressif majeur (EDM) quelle que soit l’intensité de ce dernier (léger à sévère) au cours des 12 derniers mois. </p>
<p>Si l’on considère qu’il possible de comparer ces prévalences (dans la mesure ou un score seuil supérieur à 15 <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK63744/bin/app20_et1.pdf">donne une probabilité de 99 % d’être confirmé avec les critères diagnostic internationaux</a>), alors il nous faut envisager l’hypothèse d’une très forte augmentation de « la dépression » durant la période de confinement. Cependant, outre les méthodologies de ces enquêtes, il faut également regarder dans quelle mesure elles sont comparables du point de vue de leurs populations de répondants. </p>
<p>La première étude a inclus près de 70 000 sujets tandis que la seconde ne comptait « que » 19 000 étudiants environ, ce qui nous amènerait à considérer davantage les résultats de l’étude avec le plus de participants. Et pourtant… Le taux de réponse à cette étude était bas (4,3 %), et près de la moitié des étudiants étaient en 1ère année, avec un âge médian de 20 ans. La seconde étude, en revanche, est dite « représentative », car l’échantillon des participants a pu être « pondéré » pour être « projeté » sur la population nationale étudiante. </p>
<p>En effet, en connaissant les caractéristiques précises des participants, l’OVE peut attribuer plus ou moins de « poids » a certains d’entre eux, afin que l’échantillon des répondants ait les mêmes caractéristiques (d’âge, de pourcentage de femmes et d’hommes, du poids des différentes régions les étudiants sont inscrits…) en moyenne que les 2,7 millions d’étudiants en France. </p>
<p>Au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendrait de davantage considérer les résultats de l’OVE. Nuançons cependant : bien que se rapprochant d’autres <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/psychological-medicine/article/trends-in-selfreported-psychological-distress-among-college-and-university-students-from-2010-to-2018/E9862CD4488EF57520327DF36A794C4A">études du même type en Europe</a>, le taux de participation de 18,9 % y demeurait également bas. </p>
<p>En définitive, il est donc toujours difficile de répondre à la question que l’on se pose sur une aggravation de la « dépression » des étudiants durant la période de confinement…</p>
<p>L’Observatoire de la Vie étudiante a également réalisé une <a href="http://www.ove-national.education.fr/enquete/la-vie-detudiant-confine/">enquête sur la vie d’étudiant confiné</a>. La prévalence de la détresse psychologique (qui se reflète dans des symptômes anxio-dépressifs) <a href="http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2020/07/La-vie-de%CC%81tudiant-confine%CC%81-enque%CC%82te-2020.pdf">en 2020</a> (31 %) est comparée avec celle mesurée <a href="http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2018/11/Reperes_sante_etudiants_2018.pdf">en 2016</a> (21 %). </p>
<p>Toutefois, en 2016, la détresse psychologique a été mesurée sur les quatre dernières semaines écoulées alors qu’en 2020, en reformulant les questions pour les adapter à la période de confinement, l’enquête a porté sur une période deux fois plus longue (huit semaines). Plusieurs raisons peuvent donc expliquer la différence de prévalence observée entre les deux enquêtes :</p>
<ul>
<li>une aggravation de la détresse psychologique des étudiants liée au confinement ;</li>
<li>une différence d’effet de mesure liée au doublement de la période temporelle étudiée ;</li>
<li>une modification des représentations cognitives et des seuils de réponses liée à la modification de la consigne mentionnant explicitement la période de confinement ;</li>
<li>une différence dans les profils des répondants et des taux de réponse ;</li>
<li>une interaction entre les 4 explications ci-dessus.</li>
</ul>
<p>Il n’est malheureusement pas possible de faire la part entre ces différentes explications en l’absence d’analyses plus poussées, mais également par manque d’études longitudinales auprès de cohortes représentatives d’étudiants. </p>
<p>La seule étude longitudinale étudiante d’envergure existant en France actuellement est l’enquête <a href="http://www.i-share.fr/">i-share</a>, qui compte plus de 20 000 étudiants, mais son mode de participation ne repose pas sur un échantillon aléatoire et représentatif comme les enquêtes de SPF ou de l’OVE. L’OVE a cependant entamé un projet de suivi longitudinal de son enquête <a href="http://www.ove-national.education.fr/lenquete-conditions-de-vie-des-etudiants/">Conditions de Vie 2020</a> dont sont issus les résultats de <a href="http://www.ove-national.education.fr/enquete/la-vie-detudiant-confine/">l’enquête sur la vie d’étudiant confiné</a>.</p>
<h2>Évaluer l’impact de la pandémie sur les étudiants et les autres</h2>
<p>Il est difficile d’ignorer l’impact de la pandémie et ses conséquences sur les conditions de vie des personnes comme <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S2215036620304624">les potentiels liens</a> du <a href="https://theconversation.com/covid-19-quelles-consequences-sur-la-sante-mentale-137242">virus avec la santé mentale</a>. </p>
<p>Dans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie">l’enquête COVIPREV</a>, les taux de personnes considérées comme souffrant de difficultés psychologiques (anxiété ou dépression) ont varié au fil du temps. Durant la période de confinement, les prévalences étaient plus élevées, puis se sont stabilisées sur la période de juillet à septembre 2020 pour <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-12-novembre-2020">s’aggraver à nouveau depuis novembre</a>. Une des interprétations possibles de ces résultats va dans le sens du <a href="https://psyarxiv.com/y2gx5/">modèle des troubles psychiques comme des systèmes complexes</a>, en équilibres instables, évoluant selon les influences multiples auxquels ils sont soumis. Cependant certaines questions cruciales demeurent : </p>
<ul>
<li>comment identifier les personnes pour lesquelles cet impact va amener à une transition vers un trouble psychique grave et potentiellement chronique ? </li>
<li>comment, à défaut de prévenir cette transition, pouvons-nous intervenir sans trop tarder pour éviter une aggravation ? </li>
<li>comment mettre en place les moyens d’une action soutenue sur le long terme et non pas uniquement dans une gestion de crise ?</li>
</ul>
<p>Mettre en place des systèmes d’évaluation de la santé mentale des étudiants pourrait aider à répondre à ces questions. Cela permettrait en effet non seulement de pouvoir comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres populations, mais aussi de comparer les résultats sur plusieurs périodes temporelles. Enfin, si mieux cerner les populations étudiantes les plus vulnérables comme les stratégies d’interventions les plus utiles pour améliorer leurs situations demeurent pertinentes, des prises en charge rapides et soutenues dans le temps, bien coordonnées entre de multiples acteurs de la prévention et des soins restent encore à développer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Morvan a reçu des financements de l'université Paris Nanterre, de l'Inserm, du GHU Paris Psychiatrie Neurosciences, de la Fondation de France, de la Fondation Pierre Deniker. Yannick Morvan est ou a été membre de différentes organisations professionnelles et scientifiques de ou impliquant des psychologues (AEPU, AFTCC, AFRC, APA, APS, IdPsy, IEPA, FFPP, SFP). Il est également membre du collège scientifique de l’Observatoire National de la Vie Etudiante (OVE) et du comité scientifique du congrès de l’Encéphale. Yannick Morvan est sollicité comme expert par le cabinet Ernst & Young.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ariel Frajerman a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche (ANR), ARS Ile-de-France.
</span></em></p>Avec la deuxième vague de l'épidémie de Covid-19, il est urgent de mesurer précisément les souffrances psychologiques. Mais les différents indicateurs utilisés ne disent pas toujours la même chose.Yannick Morvan, Maître de conférences en psychologie, psychologue clinicien, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresAriel Frajerman, PhD Student in Institute of Psychiatry and Neuroscience of Paris, INSERM U1266, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502292020-11-19T23:17:00Z2020-11-19T23:17:00ZLa santé mentale des soignants face à la Covid-19<p>Les deux confinements, et plus largement l’ambiance générale dans laquelle sont plongés les Français depuis le début de la crise de Covid-19, portent un coup dur au <a href="https://www.marianne.net/societe/sante/anxiete-depression-idees-suicidaires-la-sante-mentale-des-francais-sapee-par-le-covid-19">moral</a>. </p>
<p>Plusieurs études en <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-12-novembre-2020">cours</a> observent comment les troubles psychiques, combinés à d’autres facteurs antérieurs à la crise, influent sur la santé mentale des Français. Tous sont potentiellement concernés, cependant les professionnels de santé se retrouvent en première ligne. </p>
<p>Si en France peu d’études existent, des travaux menés au Canada ont <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/24/la-sante-mentale-eprouvee-par-l-epidemie-de-covid-19_6057201_4355770.html">montré</a> que 50 % des soignants ont des symptômes d’anxiété et que 40 % d’entre eux sont dépressifs. Dans notre pays, durant les deux années précédentes, l’expression des nombreuses <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30042-8/ppt">tensions existant dans les hôpitaux publics</a> ont déjà fortement affectés les soignants. En 2019, par de nombreuses manifestations, des périodes de grève sans précédent, et par la profusion de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/11/hopital-appel-a-une-grande-manifestation-le-14-novembre-a-paris_6015056_3224.html">démissions de chefs de service</a>, ils ont exprimé l’urgence à augmenter les moyens humains et financiers alloués au système de soins. Ces professionnels sont en effet particulièrement inquiets, au vu de la détérioration de leurs conditions de travail et de son impact sur la prise en charge des patients.</p>
<h2>Une pression supplémentaire</h2>
<p>Les professionnels de santé directement impliqués dans le diagnostic, le traitement et les soins des patients atteints de Covid-19 ont été confrontés à de <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2763229">multiples sources de stress</a> : manque d’équipements de protection individuelle, information incomplète concernant le nouveau coronavirus, risque de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32370984/">contamination personnelle et de transmission familiale</a>, charge de travail exacerbée et prolongée, nombre inhabituel de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32035030/">décès</a> parmi les patients, collègues ou membres de la famille.</p>
<p>Les soignants ont également été confrontés à une réorganisation de leur travail, et pour certains ont dû intégrer des services de soins qui n’étaient pas leur lieu d’exercice habituel. Ils ont également fait face à de <a href="https://www.bmj.com/content/369/bmj.m1291">lourdes questions morales ou éthiques</a>, liées à la prise en charge et l’orientation des patients.</p>
<p>Aujourd’hui, d’autres facteurs similaires à ceux qui touchent l’ensemble de la population peuvent venir s’ajouter à la détresse psychologique des professionnels de santé : perte de repères professionnels et sociaux liée au <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7274609/">confinement</a>, changement de la <a href="https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30460-8">dynamique familiale</a> (abus de substance, comportement violent, etc), angoisse des <a href="https://www.paris.fr/pages/les-conseils-d-une-pedopsychiatre-sur-le-confinement-avec-des-enfants-7677">enfants en bas âge</a>, manque de perspective et <a href="https://www.afpbn.org/4507-2/">désorganisation des adolescents</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sylvie Tordjman alerte quant au mal-être adolescent durant le confinement.</span></figcaption>
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<h2>Des inégalités sociales de santé mentale chez les professionnels de santé</h2>
<p>Depuis le début de l’épidémie, <a href="http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0102-311X2020000400504">certaines études préliminaires</a>, conduites notamment au Brésil et en Chine, suggèrent l’existence d’inégalités sociales en matière de santé mentale chez les professionnels de la santé.</p>
<p>En effet, ces professionnels constituent une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7236675/">population hétérogène</a>, avec des profils divers en termes de sexe, niveau de diplôme, catégorie socio-professionnelle, niveau de recrutement, type de contrat, revenus, conditions de logement, structure familiale, site d’exercice (rural/semi-rural/urbain), ou localisation géographique (désert médical, métropole).</p>
<h2>Pourquoi si peu d’études sur la santé mentale des soignants avant l’épidémie de Covid ?</h2>
<p>La santé mentale des professionnels de santé est un sujet peu étudié jusqu’à présent – la crise du Covid-19 a mis en lumière la nécessité d’évaluer cette dimension et proposer des stratégies pour améliorer le bien-être de cette catégorie professionnelle.</p>
<p>S’intéresser à la santé des soignants peut paraître tabou, les soignants étant censés être en bonne santé, ne pas avoir de fragilités, et s’occuper des patients.</p>
<p>Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les professionnels de santé ont été considérés comme des héros. Si, d’une part, c’est une source de reconnaissance et améliore leur estime de soi, il peut aussi s’agir d’une source de pression sociale.</p>
<p>L’image héroïque va de pair avec l’illusion de l’absence d’échec, de maladie, et l’idée que les soignants doivent être prêts à aider à tout moment.</p>
<h2>Un outil pour aider les soignants</h2>
<p>S’il n’est pas pensable d’encourager les professionnels de santé à s’habituer à leurs conditions de travail, il est indispensable de les aider à avoir les moyens de faire face aux nombreuses sources de stress auxquels ils peuvent être exposés. De nombreuses initiatives ont été prises, telles que la <a href="https://www.asso-sps.fr/covid19">facilitation de consultations psychologiques</a> ou la mise en place de <a href="http://cme.aphp.fr/sites/default/files/CMEDoc/bcme28avril2020_hotlinepsy.pdf%20https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-et-travail">hotlines psychologiques</a>.</p>
<p>Néanmoins les actions de prévention des difficultés de santé mentale des soignants sont rares. Dans ce contexte, l’équipe ERES au sein de l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé publique à l’Inserm/Sorbonne Université, a lancé une étude pour évaluer un outil numérique permettant aux professionnels de santé d’évaluer leur exposition au stress et leur permettre d’augmenter leurs capacités de résilience.</p>
<p>Cet outil, <a href="http://www.cdms.uci.edu/pdf/psystart-cdms02142012.pdf">PsySTART-Responders</a>, a été développé par <a href="https://doi.org/10.1093/milmed/usy400">Merritt Schreiber et ses collaborateurs</a> et validé dans des études menées dans différents pays comme en <a href="https://doi.org/10.1017/dmp.2019.2">Italie</a> aux <a href="https://doi.org/10.1017/dmp.2017.37">Philippines</a> ou aux <a href="https://doi.org/10.1016/j.annemergmed.2013.11.009">États-Unis</a>. </p>
<p>Il inclut un bref auto-questionnaire portant sur 19 facteurs de risque de stress liés à l’activité professionnelle : nature des patients, exposition au virus, inquiétudes concernant sa sécurité ou celle de ses proches, etc. Il doit être complété régulièrement. L’outil intègre aussi un programme de soins, intitulé APD pour « Anticiper, Planifier, Déterminer ».</p>
<p>Ce dernier est conçu pour renforcer les capacités de résilience des soignants.</p>
<h2>Un auto-questionnaire pertinent</h2>
<p>Ce dispositif étant un auto-questionnaire court, il ne nécessite pas la présence d’enquêteurs formés, ce qui est particulièrement pertinent en cette période où les professionnels de santé sont peu disponibles et les contacts physiques et sociaux limités.</p>
<p>Le programme APD inclut trois phases :</p>
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<li><p>Anticiper : introduction sur les facteurs de stress ;</p></li>
<li><p>Planifier : identification des facteurs de stress que les personnes trouvent difficiles à gérer, et de ressources adaptatives comme le soutien social ;</p></li>
<li><p>Déterminer : mise en œuvre du plan personnel pour gérer et atténuer le stress identifié dans le volet « Planifier ».</p></li>
</ul>
<p>Une composante essentielle de ce programme consiste à surveiller son niveau d’exposition au stress afin d’adapter de manière continue le plan de résilience personnel.</p>
<h2>Une étude pilote</h2>
<p>Entre le 18 mai et le 25 juin 2020 nous avons mené une étude pilote (résultats à paraître) pour tester la faisabilité de PsySTART-R auprès de 42 professionnels de santé travaillant avec des patients atteints du Covid-19 au sein de trois hôpitaux d’Ile-de-France.</p>
<p>La plupart ont répondu à toutes les questions incluses, ce qui indique un bon taux de faisabilité. Les résultats mettent en évidence un niveau élevé d’exposition au stress et une forte prévalence des symptômes de dépression, ce qui souligne l’importance de mener des actions de prévention de ce type.</p>
<p>La population étudiée était en grande majorité composée de femmes (81 %), d’un âge moyen de 42,6 ans. Les professions paramédicales étaient deux fois plus représentées (28 personnes) que les professions médicales (14 personnes). Plus de la moitié des professionnels de santé (54,8 %) étaient présents dans leur poste depuis quatre ans ou plus.</p>
<p>Pour évaluer l’efficacité de PsySTART-R, nous prévoyons maintenant de mener une enquête épidémiologique longitudinale auprès d’un échantillon de 800 professionnels de santé hospitaliers travaillant auprès de patients infectés par le Covid-19, afin d’évaluer leur santé mentale pendant l’épidémie et de renforcer leurs capacités de gestion du stress.</p>
<p>La crise sanitaire liée au Covid-19 accentue l’exposition à de nombreux facteurs de stress chez les soignants. L’impact de cette situation exceptionnelle est accentué par les difficultés de l’hôpital public décrites depuis plusieurs années et provoque une augmentation des niveaux de détresse psychologique, dépression, et trouble de stress post-traumatique. Le développement d’actions de prévention telles que celle que nous développons pourrait permettre de réduire l’impact du stress sur les soignants et limiter les difficultés de santé mentale.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre du <a href="https://u-paris.fr/festival-idees-paris/">Festival des idées</a>, qui a pour thème cette année les « nouvelles normalités ». L’événement, organisé par l’ASPC (Alliance Sorbonne Paris Cité), se tient entièrement en ligne les 20 et 21 novembre 2020 ; The Conversation est partenaire de l’événement.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Melchior a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, Institut National du Cancer, Institut Convergences Migrations, de la Commission Européenne (H2020). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cécile Vuillermoz et Leticia Bertuzzi ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’épidémie a augmenté les sources de stress et les risques de problèmes de la santé mentale des soignants. Une étude pilote pourrait permettre de mieux prendre en compte leurs besoins.Maria Melchior, Epidémiologiste, InsermCécile Vuillermoz, Chercheure post-doctorante en épidémiologie, InsermLeticia Bertuzzi, Psychologue, GHU - Paris / Inserm - Equipe de Recherche en Epidémiologie Sociale (ERES), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412112020-08-17T16:59:54Z2020-08-17T16:59:54ZCe que le confinement nous a appris du désarroi parental<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347901/original/file-20200716-23-r9w7ha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=63%2C22%2C1695%2C1054&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des préparatifs pour l’école aux repas, en passant par les jeux ou le brossage de dents, les sources de tension au quotidien sont multiples.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/confused-mom-adorable-naughty-mischievous-children-1377024821">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Lorsqu’a été décrété le confinement en France le 16 mars dernier, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, beaucoup de psychiatres et psychologues se sont inquiétés pour les enfants et les adolescents dont le suivi était brusquement interrompu.</p>
<p>Pourtant, dans un premier temps, les échanges téléphoniques et les téléconsultations ont souvent fait apparaître des résultats à rebours de ces craintes. Ainsi, l’état psychique de certains jeunes patients se serait amélioré. Des parents, auparavant dans une posture de fragilité face à leurs enfants, auraient mobilisé des ressources insoupçonnées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-ecrans-atouts-ou-freins-du-dialogue-familial-132722">Les écrans, atouts ou freins du dialogue familial ?</a>
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<p>Bien sûr, des études restent à faire pour comprendre plus finement ce qui s’est joué là sur le plan psychique. D’autre part, cette dynamique positive s’est souvent inversée, parfois de façon très brutale, avec la prolongation du confinement. Ceci dit, même transitoire, cette embellie ouvre un nouvel angle de réflexion sur le fonctionnement parental.</p>
<h2>Changements de repères</h2>
<p>On peut faire l’hypothèse que la matérialité du confinement aurait renforcé la cohésion familiale. La représentation d’un dehors dangereux fait de la cellule familiale un espace protecteur, associé au bon, au « sécure », une sorte de <a href="https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1986_num_39_4_2936_t1_0453_0000_3">« moi-peau-commun »</a> maintenant le mauvais à distance.</p>
<p>D’autre part, avec le confinement, tous les parents se trouvent soumis à la même obligation de protéger la cellule familiale, aux mêmes consignes relayées, sans trop de diffraction, par les médias. Cela donne un cadre commun à tous les parents, une légitimité accrue à des parents dont les repères éducatifs sont friables. Il faut mettre cette idée en contrepoint de ce que les travaux sur les troubles psychologiques de la parentalité ont mis en évidence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-confinement-a-t-il-bouscule-lemploi-du-temps-des-enfants-141153">Comment le confinement a-t-il bousculé l’emploi du temps des enfants ?</a>
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<p>Depuis une quarantaine d’années, les consultations en pédopsychiatrie décrivent de nouvelles formes de souffrance dans l’exercice de la parentalité. L’invention même du terme « parentalité » et le nombre croissant de recherches sur le sujet en sont le meilleur témoin.</p>
<p>Être parent aujourd’hui, que ce soit du point de vue juridique, de l’expérience ou de la pratique, est très différent de ce que c’était il y a seulement un demi-siècle. En France, la <a href="https://www.cairn.info/etre-un-bon-parent-une-injonction-contemporaine--9782810902606-page-109.htm?contenu=article">création</a> en 2010 du Comité national de soutien à la parentalité (CNSP) a été motivée par les transformations et la diversification des formes familiales : recompositions familiales, monoparentalité, homoparentalité, PMA, etc. Elle témoigne des préoccupations nouvelles de l’autorité publique pour les troubles de la parentalité.</p>
<h2>Pression croissante</h2>
<p>Ce que disent au fond nombre de parents qui viennent demander aujourd’hui de l’aide dans les consultations, c’est qu’ils sont en souffrance, perdus, c’est qu’ils ne savent pas comment s’y prendre avec leur enfant. Tout au quotidien est source potentielle de tensions : les préparatifs pour aller sans retard à l’école, les repas, les activités de jeu, les devoirs scolaires, le brossage de dents, la douche, le moment du coucher ou encore les relations dans la fratrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1225800347534450695"}"></div></p>
<p>Tout semble se passer comme si les <a href="https://www.cairn.info/psychanalyse-de-l-acte-educatif-et-de-soin--9782749242392.htm?contenu=sommaire">savoir-faire</a> et les savoir-être à partir desquels les générations passées étaient parvenues à assumer leur fonction parentale avaient soit disparu, soit perdu leur valeur référentielle.</p>
<p>Ces parents en difficulté sont rarement démissionnaires. Ils sont surtout épuisés et découragés de voir que rien n’est obtenu dans le rapport à leur enfant sans un déploiement considérable d’énergie, et que rien ne semble définitivement acquis sur le plan éducatif. Le degré de conflictualité en est au point que certains parents disent détester leur enfant plus qu’ils ne l’aiment. D’autres confient <a href="https://www.inpress.fr/livre/etre-parent-aujourdhui/">leur inquiétude</a> quant à l’avenir et redoutent d’avoir à subir la domination et même la violence de leur enfant devenu adolescent.</p>
<p>L’évidence étant la caractéristique de ce qui s’impose à l’esprit avec une force telle qu’on n’a besoin d’aucune autre preuve pour en connaître la vérité ou la réalité, l’affaiblissement de l’évidence de l’être-parent signe la perte de cette force « tranquille » et constante, la perte du sentiment d’assurance et de légitimité.</p>
<p>Et, pour les parents qui ont encore des ressources pour appeler à l’aide, le désarroi se traduit par la recherche de conseils, de recettes ou d’arguments d’autorité, toutes choses qui, un peu comme une prothèse venant suppléer un membre défaillant, leur donneraient les clés du comment faire, comment dire, et leur garantiraient une consistance éducative qu’ils semblent ne jamais avoir été en mesure d’éprouver.</p>
<h2>Supermarché de l’éducation</h2>
<p><a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Acc__l__ration-9782707154828.html">L’accélération</a> des changements liés à la société hyper-moderne et ses évolutions technoscientifiques ont un <a href="https://www.cairn.info/revue-dialogue-2015-2-page-125.htm?contenu=article">impact</a> sur le développement et le <a href="https://www.ascodocpsy.org/santepsy/index.php?lvl=notice_display&id=163043">fonctionnement psychologique</a>, comme l’ont mis en évidence de nombreux travaux, de <em>La Condition postmoderne</em> de <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Condition_postmoderne-2180-1-1-0-1.html">Lyotard</a> à <em>La vie liquide</em> de <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/la-vie-liquide-9782818503096">Zygmunt Bauman</a>.</p>
<p>La perte de l’évidence de « l’être parent » tient en partie à la perte des références communes stables, transmises par la culture et la tradition, tandis que se multiplient dans les médias et sur les réseaux sociaux de nouvelles propositions et théories en vogue – développement personnel, psychologie positive…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1197368978617851904"}"></div></p>
<p>Au supermarché de l’éducation, les rayons sont si nombreux que les parents ne savent plus vraiment à quel saint se vouer et passent de manière erratique d’une proposition à une autre, comme si l’efficacité éducative était tout entière contenue dans la méthode ou la recette proposée.</p>
<p>Or, l’efficacité d’une parole n’est pas contenue dans les mots eux-mêmes, mais plutôt dans ce qui les motive. Chacun peut en faire l’expérience en observant que le pouvoir d’un « non » adressé à quelqu’un, ne tient pas dans le « non » lui-même, mais dans ce qui motive intimement ce « non », ce qui le rend légitime pour la personne qui le soutient.</p>
<p>Le confinement a peut-être fonctionné comme un pare-feu (« moi-peau-familial »), protégeant le dedans contre un dehors menaçant. Mais en concentrant les obligations parentales sur quelques fondamentaux simples, en rendant ces obligations communes à tous les parents, il a peut-être amorcé aussi une relégitimation des positions parentales, en recréant temporairement une transcendance, une loi commune, restaurant ainsi le sentiment d’évidence.</p>
<p>Que les parents dans leur très grande majorité aient respecté à la lettre la règle du confinement n’est peut-être pas étranger à cela. Mais les effets de l’expérience du confinement sur la parentalité n’ont été souvent que transitoires, ce qui en montre le caractère éminemment artificiel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Gadeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En concentrant les obligations parentales sur quelques fondamentaux simples, le confinement aurait-il, de manière transitoire, relégitimé pères et mères dans leur rôle parental ?Ludovic Gadeau, Docteur en psychopathologie, enseignant-chercheur, psychothérapeute, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1409632020-06-30T18:54:30Z2020-06-30T18:54:30ZQue sait-on des auteurs de violences sexuelles entre étudiants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344141/original/file-20200625-33563-1mrud3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C432%2C2440%2C1260&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les agressions contre les femmes sont facilitées par l’approbation des pairs.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/sad-woman-sitting-alone-between-man-1415276129">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les violences sexuelles sont fréquentes en milieu universitaire et touchent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224490309552168">environ 30 %</a> de la population étudiante. Une réalité longtemps taboue mais sur laquelle la parole a commencé à se libérer en 2020 avec la multiplication sur les réseaux sociaux de <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/02/11/violences-sexuelles-sciencesporcs-interpelle-les-instituts-d-etudes-politiques_6069519_4401467.html">témoignages d'étudiants</a>, ou anciens étudiants, sur des faits de harcèlement et d'agressions, notamment sur Twitter avec le hashtag <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/09/sciencesporcs-soutiens-politiques-apres-des-denonciations-de-violences-sexuelles-dans-les-iep_6069342_3224.html">#sciencesporcs</a>. </p>
<p>Rebondissement majeur en ce mois d'octobre 2021 : la direction d'une école d'ingénieurs, la prestigieuse Centrale Supélec, <a href="https://www.challenges.fr/education/centrale-supelec-secouee-par-un-scandale-de-violences-sexuelles_783997">a décidé de saisir la justice</a> suite aux résultats d'une enquête auprès de ses étudiants. Menée dans le cadre d'un plan d'action pour l'égalité hommes/femmes, la consultation a fait remonter une centaine de déclarations d'agressions sexuelles et de viols entre élèves lors de l'année universitaire 2020-2021. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1446043843141513220"}"></div></p>
<p>Dans la majeure partie des cas, « les faits <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/directeur-de-centralesupelec-les-grosses-soirees-sont-tres-bien-cadrees-le-probleme-ce-sont-les-soirees-privees-CNT000001F7Zl1.html">se seraient déroulés</a> dans un contexte associatif ou au sein de la résidence étudiante », d'après <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/centralesupelec-saisit-la-justice-apres-une-enquete-revelant-une-centaine-d-agressions-sexuelles-et-viols_2160043.html">les informations communiquées</a> par l'école. Des déclarations qui rappellent que, d'après les données de la recherche sur ce type de violences, dans 9 cas sur 10, les <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/full/10.2105/AJPH.93.7.1104">victimes connaissent leur agresseur</a> qui peut être le petit copain, un partenaire romantique ou un autre étudiant. Les victimes sont essentiellement des femmes et les auteurs des hommes.</p>
<p>Il s’agit le plus souvent d’obtenir des victimes qu’elles s’engagent dans une relation sexuelle en dépit d’un consentement clair et réitéré, voire en outrepassant leur refus initial. Ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1111/j.1471-6402.2007.00385.x">manipulations coercitives</a> peuvent consister en manœuvres de séduction insistante avec des contacts physiques, en manipulations verbales et psychologiques ou en tentatives de culpabilisation. Elles peuvent s’appuyer sur la force, ou l’usage délibéré de substances psychoactives – <a href="https://www.jsad.com/doi/abs/10.15288/jsas.2002.s14.118">alcool</a>, cannabis – dans le cadre de soirées festives.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PKH5Q8QPpmw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un rapport montre l'ampleur des violences sexuelles dans l'enseignement supérieur (Brut)</span></figcaption>
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<p>Ces violences, qui existent <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ab.20107">dans tous les milieux de vie</a> des jeunes adultes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1077801214551575">débutent fréquemment à l’adolescence</a> – période où près de 20 % de relations sexuelles ne sont pas consenties. Elles s’intensifient jusqu’à 24-25 ans et diminuent par la suite.</p>
<h2>Facteurs socioculturels</h2>
<p>Les auteurs de ces violences peuvent partager des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118574003.wattso003">attitudes « normatives » négatives</a> à l’égard des femmes. Cela va des représentations masculines « traditionnelles » sexistes, jusqu’à des formes de sexualité « agressive » avec notamment l’acceptation et la légitimation de la violence à leur encontre. Ce recours à la violence peut masquer des vécus d’insécurité, des difficultés avec la proximité affective, ou encore un besoin excessif de contrôle du partenaire.</p>
<p>L’<a href="https://www.researchgate.net/publication/333475169_Scales_for_evaluating_the_Acceptance_of_the_Rape_Myth_Benefits_and_limitations">adhésion aux mythes du viol</a> <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ejsp.284">favorise</a> les violences sexuelles, tout en minorant la responsabilité et la culpabilité des auteurs. Parmi ces distorsions cognitives, il y a le fait de penser que « les femmes peuvent résister au viol si elles le souhaitent », qu’« on ne peut pas leur faire confiance », que « les hommes ont des besoins sexuels plus importants », ce qui justifierait qu’ils cherchent toutes les opportunités d’y répondre, etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Campagne contre le harcèlement sexuel sur un campus (France 3, 2017).</span></figcaption>
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<p>Ces facteurs peuvent s’accompagner plus largement d’habitudes de nombreuses relations sexuelles occasionnelles, de promiscuité sexuelle et de sexualité permissive et impersonnelle. Certains hommes peuvent aussi interpréter l’intérêt amical d’une femme comme un intérêt sexuel, son absence de consentement comme une résistance feinte, sa sidération en cas d’agression comme une forme d’acceptation tacite.</p>
<p>Si une femme a accepté un début de romance ou a commencé à s’engager dans une relation sexuelle, certains hommes ne comprennent pas qu’elle dise non par la suite. Ils estiment qu’ils ont « droit au sexe », que la personne les a excités et est responsable de ce qui peut survenir par la suite. Les agressions contre les femmes sont facilitées par l’approbation des pairs à l’égard de rapports sexuels forcés.</p>
<h2>Facteurs expérientiels</h2>
<p>Les comportements sexuels à risque commencent souvent par une première expérience sexuelle précoce qui risque de provoquer une hypersexualisation, avec un plus grand nombre de partenaires, à un usage plus massif de la cyberpornographie, de l’alcool ou d’autres substances psychoactives. On parlera de facteurs expérientiels et situationnels. Mais il pourrait y avoir plusieurs cas de figure.</p>
<p>Certains hommes ont plus d’occasions de commettre une agression sexuelle en raison de leur activité sexuelle élevée, d’une excitation sexuelle exacerbée et d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF01542105">frustration importante</a> quand la relation ne peut avoir lieu. Cette agression, qui pourrait même survenir après des relations sexuelles consensuelles intensives, peut être une réponse face à un vécu de privation, ou représenter une recherche de pouvoir agressif sur le partenaire féminin.</p>
<p>D’autres hommes n’ont pas autant de possibilités de commettre une agression sexuelle (relation différente à la sexualité, introversion, difficulté dans la relation à l’autre, etc.). Dans leur cas, l’alcool pourrait jouer un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1359178903000119">rôle de « facilitateur » dans l’agression</a>. On retiendra que l’alcool intervient une fois sur deux dans les violences sexuelles et que son « abus » par les auteurs et les victimes est associé à une plus grande gravité de l’agression.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Lutter contre le harcèlement sexuel à l’université » (campagne de prévention, 2016).</span></figcaption>
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<p>Les problèmes induits par l’alcool sont nombreux : focalisation à court terme des auteurs sur les « bénéfices » de l’agression, réduction de la résistance des victimes (qui est recherchée par les auteurs), augmentation des stéréotypes à l’égard des femmes qui boivent, avec l’idée que « ce qui leur arrive est de leur faute » (sous-entendu : « elles n’avaient qu’à pas se mettre dans cet état »).</p>
<h2>Traumatismes infantiles</h2>
<p>Des antécédents d’adversités et des expériences de traumatismes infantiles (ruptures affectives, carence, maltraitance, abus sexuel, exposition à la violence conjugale des parents) jouent un rôle dans une trajectoire de développement vers la violence et augmentent le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ab.20107">risque de recours</a> aux relations sexuelles coercitives.</p>
<p>Ces trajectoires pourraient favoriser la survenue d’une délinquance, avec un diagnostic possible de trouble des conduites dans l’enfance et l’adolescence, qui conduit souvent à un trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte – et, dans les cas les plus sévères, à la <a href="https://www.researchgate.net/publication/271838705_Psychopathie_et_evaluation_du_risque_de_recidive">psychopathie</a>. Ce trouble des conduites recouvre des comportements répétitifs et persistants dans lesquels les droits fondamentaux d’autrui ou les principales normes, règles ou lois sociétales sont bafouées, violées. Leur précocité augmente le risque d’une issue négative et grave à l’âge adulte.</p>
<p>Ces éléments sont le plus souvent « défensifs » en rapport avec le parcours infantile et notamment la difficulté d’avoir pu compter pour les autres et d’avoir pu compter sur eux. Or, ces hommes qui présentent une forte d’impulsivité, un manque d’empathie, des <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1749-6632.2003.tb07294.x">traits psychopathiques</a> rendent plus souvent responsables les autres des violences qu’ils exercent, notamment des contraintes sexuelles. Ils hésitent moins à utiliser des comportements opportunistes et manipulateurs, plus ou moins violents pour surmonter la résistance de leur victime.</p>
<p>Lorsqu’ils ont ce profil et qu’ils commettent des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0886260514553635">violences sexuelles à l’âge adulte</a>, ils ont plus de chances d’avoir initié ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0093854803261342">comportements à l’adolescence</a>.</p>
<h2>Antédécents</h2>
<p>Les auteurs d’agressions sexuelles répétées présentent plus de croyances hostiles envers les femmes, moins d’empathie, sont plus enclins aux manipulations et consomment plus souvent de l’alcool avant les rapports sexuels. Ils présentent aussi des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-013-0243-5">antécédents de délinquance à l’adolescence</a> en relation avec des traits psychopathiques.</p>
<p>Après les faits commis antérieurement, si certains hommes ont pu renoncer à ce type de conduites, d’autres, au contraire, vont continuer leurs stratégies et devenir des récidivistes avec au fil des années une plus grande acceptation du recours à la violence pour parvenir à leur fin. Cette tendance, lorsqu’elle existe, est un marqueur potentiel du fonctionnement antisocial et psychopathique et explique pourquoi le taux de violences diminue au cours des premières années universitaires, alors que la gravité des agressions augmente.</p>
<p>Il n’existe sans doute pas de portrait type d’un auteur de violences sexuelles. Les attitudes de sexualité « agressive » à l’égard des femmes, les consommations d’alcool et comportements sexuels à risque et les traits de la personnalité de type antisocial/psychopathique peuvent interagir. La <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118574003.wattso003">combinaison des trois types</a> de facteurs prédit la chronicité et la gravité des agressions.</p>
<p>Les jeunes adultes que sont les étudiants sont dans une période particulièrement à risque à l’égard des violences sexuelles. S’il faut évidemment aider les victimes, il faut aussi aider les témoins et surtout les auteurs de ces violences à réaliser la gravité et les conséquences de ces actes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140963/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les violences sexuelles touchent environ 30 % de la population étudiante. Si l’on ne peut pas dresser de portrait type de leurs auteurs, certains facteurs favorisent les risques d’agressions.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursCatherine Potard, Maitre de Conférences en Psychologie, Université d'AngersPhilippe Allain, Professeur des universités, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1406572020-06-16T20:50:08Z2020-06-16T20:50:08ZSanté mentale au travail : des troubles fréquents, mais encore mal considérés<p>Dans un environnement moderne qui place le bien-être des salariés au cœur de ses préoccupations, les troubles mentaux restent encore un tabou au sein des entreprises. Pourtant, dans le monde, de plus en plus de personnes font <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28412896/">face à ces difficultés</a>.</p>
<p>Aux <a href="http://content.digital.nhs.uk/pubs/psychiatricmorbidity07">États-Unis</a>, on estime qu’un adulte sur 5 souffre de problèmes mentaux au cours d’une année et une personne sur 4 au <a href="http://content.digital.nhs.uk/pubs/psychiatricmorbidity07">Royaume-Uni</a>. En <a href="http://content.digital.nhs.uk/catalogue/PUB21748">Angleterre</a>, 1 personne sur 6 déclare en souffrir régulièrement au cours d’une semaine. Et selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les femmes sont particulièrement exposées, avec des taux plus élevés de troubles mentaux comme la dépression, l’anxiété, etc.</p>
<p>En 2017, l’OMS estimait que ces troubles psychiques coûtaient à l’économie mondiale <a href="https://www.who.int/mental_health/in_the_workplace/fr/">1000 milliards de dollars</a> de perte de productivité chaque année.</p>
<p>La recherche européenne, par la contribution de l’Union européenne au consortium World Mental Health Surveys Initiative (<a href="https://www.hcp.med.harvard.edu/wmh/">EU-WMH</a>), montre que les employés souffrant de problèmes mentaux déclarent en moyenne 3,1 jours d’absentéisme par mois, contre 1 jour par mois pour des employés lambda.</p>
<p>La santé mentale affecte l’efficacité d’un employé sur son lieu de travail. À Audencia, nous avons analysé 257 réponses à une <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-05-2019-0211/full/html">enquête</a> pour comprendre comment les personnes touchées font face dans leur emploi. Plus spécifiquement, nous avons examiné comment les personnes prennent soin de leur santé mentale pendant leur temps de travail et si cela affecte leur productivité.</p>
<h2>Travailler comme si de rien n’était</h2>
<p>D’abord, les symptômes fluctuent : un jour donné, une personne est pleinement fonctionnelle et le lendemain, il peut être difficile pour elle de sortir du lit. Bien que nos participants travaillent dans divers secteurs (la santé, la vente au détail, l’hôtellerie, l’administration, le service à la clientèle ou l’éducation), des tendances émergent dans leur manière de faire face.</p>
<p>Certains se tournent vers la toxicomanie et l’automutilation pour soulager les tensions. D’autres tentent de cacher leurs symptômes au travail, le résultat final entraînant pourtant plus de fatigue et de stress. Ils reconnaissent être distraits dans leurs fonctions.</p>
<p>Quelques personnes se forcent à travailler quand elles ne se sentent pas bien, même lorsqu’elles estiment devoir prendre un congé. En revanche, pour d’autres, le travail est salvateur. Il permet de se déconnecter de leurs problèmes en se concentrant sur leurs tâches, pour tenir toute la journée. Il peut même les aider à surmonter leurs difficultés sur une période.</p>
<p>Mais les participants admettent qu’au fil du temps, tous réalisent qu’ils doivent prendre soin d’eux plutôt que d’ignorer leurs symptômes : continuer à travailler affecte négativement leurs performances au travail à terme.</p>
<p>Leur santé mentale a un impact important sur la qualité de leur activité, le rythme avec lequel ils effectuent leurs tâches et le nombre d’erreurs commises. Ils connaissent également de grandes baisses d’énergie, entraînant d’après eux plus de lenteur.</p>
<h2>Des techniques de contournement</h2>
<p>Toutefois, certaines stratégies permettent aux participants de réussir à allier les exigences de leur emploi et leur bien-être. Il y a ceux qui acceptent leur condition plutôt que de la combattre.</p>
<p>Pour d’autres, des conseils avisés et un suivi médical ont un effet positif sur leur efficacité au travail. Les activités de pleine conscience (le yoga, la méditation) aident aussi à réguler certains symptômes. Désamorcer des situations en utilisant l’humour est une autre technique pour maintenir une bonne relation avec ses collègues tout en donnant des indications de sa santé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244027522607710209"}"></div></p>
<p>Enfin, il reste la stratégie de compensation : compenser une perte de qualité ou de réactivité au travail lors de certains épisodes difficiles en travaillant plus durant les périodes où ils se sentent en meilleure forme.</p>
<p>Les individus touchés peuvent aussi réguler ou réduire leurs symptômes si, au sein de leurs entreprises, ils se sentent écoutés et soutenus. Par exemple, si leurs employeurs leur permettent de prendre des congés ou recevoir un traitement adapté.</p>
<p>Malheureusement, de nombreux employés souffrants <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21134315/">n’osent pas en parler</a>. Et la réalité, beaucoup d’entreprises n’y sont <a href="https://psycnet.apa.org/record/2014-27974-003">pas préparées</a> ou ne proposent pas d’aménagement des tâches pour aider leurs salariés à répondre à leurs <a href="https://journals.lww.com/joem/Abstract/2011/11000/Perceived_Needs_for_and_Use_of_Workplace.11.aspx">exigences professionnelles</a>.</p>
<p>Il devient donc urgent d’organiser une plus grande sensibilisation à l’ensemble des souffrances psychiques, qui ne se voient pas forcément. Une communication transparente et un soutien managérial s’avèrent essentiels pour améliorer la vie professionnelle et l’inclusion de ces personnes plus vulnérables.</p>
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<p><em>L’<a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-05-2019-0211/full/html">article complet</a> a été publié dans Employee Relations sous le nom « Coping with mental health conditions at work and its impact on self-perceived job performance », coécrit avec Sarah Richard (Professeure associée, EM Strasbourg) et François Grima (maître de conférences, Université Paris 12)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140657/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Hennekam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire face aux problèmes psychiques qui affectent leur bien-être et leur efficacité, les travailleurs mettent en place des stratégies d’évitement ou de compensation.Sophie Hennekam, Associate Professor in Human Resource Management, specialized in Diversity Management, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384572020-05-13T18:56:38Z2020-05-13T18:56:38ZAngoisse excessive ou désinvolture inappropriée, comment éviter les pièges du déconfinement ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334677/original/file-20200513-156645-18lqok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=157%2C925%2C2761%2C1747&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chez certains le déconfinement est source d’anxiété.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/jo8iiwArHfM">Hamish Duncan/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>L’expression <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/09/un-plan-de-deconfinement-sous-la-pression-de-l-opinion_6039131_823448.html"><em>ligne de crête</em></a> est à la mode. Rien d’étonnant : elle s’applique particulièrement bien à ce que nous vivons en ce moment.</p>
<p>La période de déconfinement peut donner l’impression que nous marchons en équilibre précaire sur un chemin étroit, alors que les vents vous poussent tantôt vers la peur paralysante (« Le virus est partout, je refuse de sortir ou d’envoyer mes enfants à l’école ») et tantôt vers la fuite en avant et une forme de désinvolture (« Il faut bien vivre, on en fait un peu trop avec cette maladie »).</p>
<p>Ces deux tendances reflètent deux réalités humaines opposées mais absolument normales : la prudence et la témérité, mères d’inhibition et d’action. Habituellement, chacun trouve son équilibre, plus ou moins stable, entre ces deux pôles. Cependant, il arrive que des conditions très exceptionnelles et chaotiques, comme celle que nous traversons, mettent à mal ce savant dosage de crainte et d’audace, précipitant certains d’entre nous dans des excès de l’un ou de l’autre.</p>
<p>Le déconfinement peut générer ce type de dérapage, plus ou moins problématique. La crainte se transforme alors en angoisse, voire en terreur irrationnelle et incontrôlable, ou l’audace devient une dangereuse insouciance, nourrie par le fameux mécanisme du déni. Tenaillés par l’angoisse, les uns risquent de perdre beaucoup en liberté d’action, tandis les autres vont prendre tous les risques, bravant notamment les règles de prévention sanitaire.</p>
<p>Quelles réponses et quels conseils peut-on donner pour combattre ces deux penchants préjudiciables ?</p>
<h2>La pandémie n’est pas du tout terminée</h2>
<p>Aux insouciants tout d’abord, qui pourraient être tentés de relativiser leurs transgressions en se persuadant que « s’ils sont les seuls à ne pas appliquer les règles, ça n’est pas bien grave… », il faut rappeler que l’épidémie est « toujours active et évolutive » en France, comme l’a signifié cette semaine la direction générale de la Santé.</p>
<p>Il est aussi essentiel de souligner que si le confinement n’avait pas été mis en place, la maladie aurait fait des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-confinement-a-deja-evite-60000-morts-en-france-selon-cette-etude_fr_5ea1238ec5b6194c7be83049">dizaines de milliers de morts supplémentaires dans notre pays</a>, et probablement des centaines de milliers au niveau mondial. Cependant, rien n’est réglé à ce jour. Il reste aujourd’hui encore beaucoup de patients hospitalisés pour Covid-19, notamment en réanimation, car les formes graves sont très longues à soigner. Selon le quotidien Le Monde, mardi 12 mai au soir il restait 21 595 personnes hospitalisées pour une infection au coronavirus, <a href="https://www.lemonde.fr/planete/live/2020/05/13/coronavirus-en-direct-les-propositions-citoyennes-pour-le-jour-d-apres_6039484_3244.html">dont 2 542 cas graves en réanimation</a>.</p>
<p>Même en appliquant toutes les mesures restrictives du plan de déconfinement, il n’est pas du tout sûr qu’une « deuxième vague » puisse être absorbée par les hôpitaux, dont les personnels sont épuisés et risquent de ne pas pouvoir se remobiliser de la même façon la prochaine fois. Il faut donc combattre au maximum la propagation du virus, essentiellement pour protéger les personnes fragiles.</p>
<p>Certes beaucoup de personnes jeunes peuvent considérer qu’il n’est pas bien grave pour elles-mêmes de contracter la maladie. Mais elles peuvent ainsi contribuer à transmettre le virus à d’autres personnes qui, elles, pourront développer des formes graves nécessitant des soins prolongés et pouvant, parfois, être fatales. Pour rendre cette nécessité plus concrète et personnalisée, nous pouvons penser à une ou plusieurs personnes, âgées notamment, que nous connaissons et dont nous craignons qu’elle tombe malade.</p>
<p>Il s’agit donc d’une prise de conscience de la responsabilité de chacun, qui doit déboucher sur des actes volontaires assez simples : limiter pendant encore quelques semaines ses déplacements et ses sorties, et appliquer scrupuleusement les <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/affiche_gestes_barrieres_fr.pdf">gestes barrières</a> dans toute situation sensible (port du masque, lavage des mains, distance physique d’au moins deux mètres). Et ceci de manière encore plus stricte dans les lieux confinés et avec des personnes à risque, essentiellement celles qui ont plus de 60 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maladies-infectieuses-et-vous-vous-lavez-vous-les-mains-correctement-89386">Maladies infectieuses : et vous, vous lavez-vous les mains correctement ?</a>
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<h2>Pour les anxieux, des repères et des règles à suivre</h2>
<p>Les comportements des uns influent d’ailleurs sur le ressenti des autres. Voir certains négliger les gestes barrières ne fait qu’accentuer les angoisses des inquiets. Aux anxieux, dont la peur naît très souvent d’un sentiment d’incertitude, on peut d’abord rappeler que les connaissances sur l’épidémie ont progressé de manière spectaculaire en quelques semaines. Nous savons désormais plus précisément comment se propage le virus et comment l’éviter en grande partie, en plus de tous les progrès qui ont été faits dans la prise en charge des malades.</p>
<p>Quand on est anxieux, on a besoin de repères et de règles à suivre. Or, dans la période actuelle, ces règles existent et peuvent donc servir de cadre rassurant. Lorsque celles énoncées précédemment sont appliquées rigoureusement, les risques de se contaminer et de tomber malade sont très faibles.</p>
<p>La courbe représentant l’évolution du nombre de personnels hospitaliers infectés par le coronavirus depuis le début de l’épidémie constitue la meilleure illustration de ces acquis. Ce nombre, élevé au départ, n’a <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-environ-4-des-personnels-de-l-ap-hp-ont-ete-infectes-par-le-covid-19-6816052">cessé de diminuer ensuite alors même que le nombre de malades pris en charge ne faisait qu’augmenter</a>. Une bonne protection est donc possible, au point que la majorité des soignants travaillant tous les jours auprès de patients porteurs du virus n’a pas été contaminés, comme on le constate actuellement grâce aux tests de sérologie.</p>
<p>Naturellement, le risque zéro n’existe pas, et il n’est donc pas possible de vous assurer que vous ne risquez jamais de contracter le virus en appliquant ces règles. Mais il faut alors se rappeler qu’en cas de contamination la gravité de la maladie pour une personne donnée est le plus souvent très faible avec, en moyenne, un taux de formes graves inférieur à 15 % et un <a href="https://www.atoute.org/n/article383.html?fbclid=IwAR2vE585iM_s5qZxD2MQYLPn7fH2YNgS4OnVLnn58ijDQT2mVZCcHU6mMTU">taux de létalité inférieur à 1 %</a>.</p>
<p>Ces taux sont plus élevés chez les sujets à risque, surtout les personnes âgées qui nécessitent des précautions encore plus rigoureuses que les autres. Même porteuses d’affections repérées comme des facteurs de risque (obésité, diabète, cancer notamment), l’immense majorité des adultes d’âge jeune ou moyen ne développent pas de formes graves.</p>
<h2>Se « désensibiliser » de la peur</h2>
<p>Le meilleur moyen de lutter contre l’anxiété du déconfinement, après avoir bien assimilé les recommandations, est de se confronter au monde extérieur quand on doit le faire.</p>
<p>Des mécanismes très élémentaires mais puissants de l’esprit et du cerveau font que plus on évite une situation par peur, plus la peur augmente. Ce cercle vicieux est à l’origine de la plupart des phobies, qui conduisent à redouter de plus en plus, et donc à éviter de plus en plus, des situations en fait non réellement dangereuses. Ce modèle peut être appliqué à la peur du déconfinement, car objectivement, se rendre dans les lieux publics en appliquant les gestes barrières ne constitue pas une situation réellement dangereuse, au sens où elle ne nous expose pas à une menace physique immédiate.</p>
<p>Comme pour toute peur excessive, il faut donc se confronter, très progressivement si besoin, aux situations redoutées, en l’occurrence aux sorties dont vous n’avez plus l’habitude et qui vous paraissent inquiétantes. Vous pouvez ainsi commencer par retourner dans des rues peu fréquentées, en y restant peu de temps, et répéter peu à peu ces exercices. L’essentiel est de le faire de manière progressive mais répétée, pour se « désensibiliser » de la peur comme on traite une allergie.</p>
<p>Vous pourrez ensuite passer à des stades un peu plus compliqués, comme les rues plus passantes ou les magasins. En plus de ceci, la pratique de méthodes simples de relaxation ou de respiration pourront vous être utiles pour faire baisser votre niveau général de stress et mieux lutter contre les signes de l’anxiété.</p>
<h2>Si l’anxiété persiste</h2>
<p>Si malgré vos efforts vous ne parvenez pas à surmonter vos peurs, c’est peut-être que vous êtes particulièrement sensible au développement d’un <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-antoine-pelissolo-les-troubles-anxieux-sont-frequents-il-faut-les-diagnostiquer-129637">trouble anxieux, une forme d’anxiété excessive et handicapante</a>. Dans le contexte du post-confinement et de l’épidémie, au moins trois types de troubles anxieux peuvent s’installer ou s’aggraver : l’agoraphobie (peur de se sentir mal dans les lieux clos ou dans la foule, ou à distance de chez soi), la phobie sociale (peur du regard des autres) et les troubles obsessionnels-compulsifs (peur envahissante, notamment de se contaminer par inadvertance).</p>
<p>Si vous ressentez ce type de peur persistante, ou si vous ne parvenez pas à surmonter d’autres symptômes d’anxiété gênante, la meilleure solution est de consulter un professionnel qui pourra vous proposer une aide efficace au travers de différentes méthodes de thérapie. Celui-ci peut vous être conseillé par votre médecin. Vous pouvez également le trouver en consultant des sites de référence, comme celui de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (<a href="https://www.aftcc.org/">AFTCC</a>) ou la plate-forme de <a href="https://covidecoute.org/">téléconsultations gratuites covid-écoute</a>.</p>
<p>Ces troubles sont fréquents, et il ne faut ni culpabiliser de les traverser, ni dramatiser le fait de consulter un psychologue ou un psychiatre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pelissolo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après 55 jours de confinement, les contraintes ont été allégées le 11 mai. L’épidémie n’est toutefois pas terminée, et si certains ressentent un sentiment de liberté, chez d’autres l’anxiété s’aggrave.Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1350952020-04-13T19:45:30Z2020-04-13T19:45:30ZPodcast : Quand une overdose plonge dans la psychose<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/324059/original/file-20200330-146712-1t07u42.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/woman-s-face-3319333/"> Elina Krima/pexels</a></span></figcaption></figure><p>Ashley est une jeune femme de 28 ans vivant non loin de Détroit, au nord-est des États-Unis proche de la frontière canadienne. Un jour, la jeune femme se présente aux portes du <em>Saint Mary Mercy Hospital</em>. Si Ashley se retrouve à demander l’aide aux médecins, c’est que depuis deux jours, elle vit un véritable enfer. Elle ne dort quasiment plus, est à la fois confuse et agitée, a du mal à ressentir des émotions et est prise d’hallucination. Une situation tout autant soudaine, qu’inquiétante.</p>
<p>Pour les médecins, la jeune femme souffre d’une crise psychotique aiguë. Mais les causes de cette crise sont assez inattendues.</p>
<p>Car, en réalité, Ashley, n’est pas une patiente inconnue de l’équipe médicale du Saint Mary Mercy Hospital. Bien que ce soit la première fois qu’elle éprouve un épisode psychotique, ce n’est pas sa toute première hospitalisation dans l’établissement. Un mois plus tôt, elle avait, en effet, été amenée en urgence à l’hôpital après avoir été retrouvée inconsciente. Arrivée en état de profonde détresse respiratoire, elle fut placée sous assistance en oxygène. Des tests sanguins et urinaires avaient alors révélé que cet état était dû à la consommation excessive d’un type de molécules, les benzodiazépines utilisées par Ashley comme drogue récréative de manière récurrente. À ce moment, aucune lésion cérébrale n’était présente, mais la situation évolua par la suite.</p>
<p>En un peu plus de 10 minutes, avec cet épisode, découvrez en détail les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ccr3.2705">causes des symptômes</a> de cette femme qui flouent les frontières entre le psychologique et le biologique.</p>
<hr>
<p><em>Un podcast en partenariat avec <a href="https://soundcloud.com/latetedanslecerveau">La tête dans le cerveau</a> dont toutes les références scientifiques sont à retrouver sur <a href="https://cervenargo.hypotheses.org/3416">Cerveau en Argot</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Rodo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Découvrez l’histoire d’une jeune femme souffrant d’une crise psychotique aiguë dont les causes sont assez inattendues.Christophe Rodo, Jeune chercheur ATER terminant une thèse en neurosciences, au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, de l’Institut de Neurosciences des Systèmes et de l’Institut des Sciences du Mouvement, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1355762020-04-09T19:21:00Z2020-04-09T19:21:00ZÀ Wuhan, la méditation a contribué à préserver la santé mentale des individus en quarantaine<p>La pandémie liée au Covid-19 a conduit au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/24/epidemie-due-au-coronavirus-dans-le-monde-un-ralentissement-des-nouveaux-cas-en-italie_6034184_3210.html">confinement</a> et à la mise en quarantaine de millions de personnes dans le monde. Ces mesures nécessaires ont néanmoins des effets psychologiques considérables sur les niveaux de stress, d’anxiété et de confusion de la population. L’isolement tend à détériorer la <a href="https://www.humanite.fr/comment-faire-face-aux-risques-psychologiques-lies-au-confinement-les-conseils-du-psychiatre-david">santé mentale</a> (ennui, troubles dépressifs) et physique (notamment troubles du sommeil).</p>
<p>En pleine explosion du nombre de contaminations dans le monde, des chercheurs tentent de trouver des pistes pour aider les populations à faire face.</p>
<h2>La méditation, remède contre l’anxiété</h2>
<p>Dans ce contexte, une <a href="https://psyarxiv.com/wuh94/">étude</a> vient tout juste d’être publiée sur les effets d’une pratique méditative de pleine conscience quotidienne sur des personnes placées en quarantaine.</p>
<p>Entre le 20 février et le 2 mars 2020, trois chercheurs de China Europe International Business School (CEIBS) et de l’Université nationale de Singapour ont mené une étude sur des habitants de la province de Wuhan. Le premier objectif était de tester l’hypothèse selon laquelle la pratique quotidienne de la pleine conscience aiderait les participants de l’étude à mieux gérer l’anxiété causée par les annonces régulières de l’accélération du nombre de contaminations et de décès par Covid-19 en Chine. Le second objectif visait à étudier les effets de la pleine conscience sur le maintien d’une bonne qualité de sommeil, dont de nombreuses études ont démontré qu’elle pouvait être fortement affectée par le stress.</p>
<p>Pendant cette période de confinement, 97 adultes en bonne santé ont été recrutés et répartis de manière aléatoire en deux groupes : un groupe « d’intervention de pleine conscience » et un groupe « contrôle » permettant de comparer les résultats.</p>
<p>Pendant 10 jours, le premier groupe d’adultes a suivi une séance quotidienne de dix minutes de méditation de pleine conscience guidée, pendant que les adultes du groupe de contrôle suivaient dix minutes d’instructions visant à laisser vagabonder leur esprit (<em>mind wandering</em>). Chaque matin, les participants de l’étude devaient remplir une courte enquête sur leur état de pleine conscience, leur niveau d’anxiété, et leur quantité d’heures de sommeil.</p>
<p>Les résultats de cette étude ont montré que les participants du premier groupe ont vu leur niveau quotidien de pleine conscience augmenter tout au long de l’intervention. Par ailleurs, le niveau d’anxiété journalier du groupe d’intervention de pleine conscience est resté plus bas que celui du groupe de contrôle.</p>
<p>Enfin, les chercheurs ont observé qu’alors que dans le groupe de contrôle, en moyenne trente-neuf minutes de sommeil étaient perdues lorsque les participants étaient informés d’un nombre élevé de nouveaux cas de contamination par la Commission nationale de la santé chinoise, la quantité d’heures de sommeil ne s’était pas dégradée dans le groupe d’intervention de pleine conscience.</p>
<h2>Méditer renforce le système immunitaire</h2>
<p>Il existe plusieurs manières d’aider notre système immunitaire à se défendre, par exemple bien se nourrir et faire du sport. En cette période de confinement, il est plus difficile de chausser ses baskets, même si des plates-formes sportives (comme l’e-club de Décathlon par exemple) proposent désormais de nombreuses séances que l’on peut faire de chez soi.</p>
<p>La méditation de pleine conscience peut aussi nous aider à nous prémunir contre le virus. En effet, de nombreuses études ont démontré l’amélioration du fonctionnement du système immunitaire grâce à la pratique de la pleine conscience via l’amélioration de nos capacités autorégulatrices. Cela signifie que nous reprenons, grâce à la pratique méditative régulière, le contrôle de nos pensées et de nos émotions. Ces dernières influencent très fortement nos défenses immunitaires et permettent de contrer les effets néfastes du stress sur la santé.</p>
<p>Les protocoles tel que le MBSR, de l’anglais <em>mindfulness-based stress reduction</em> ont montré des effets positifs :</p>
<ul>
<li><p>Ils permettent de réduire l’expression des gènes <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22820409">pro-inflammatoires</a> chez les personnes plus âgées.</p></li>
<li><p>Ils favorisent la réponse immunitaire au <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12883106">vaccin antigrippal</a>.</p></li>
<li><p>Ils améliorent la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12883107">communication immunitaire</a> chez les personnes atteintes du cancer.</p></li>
<li><p>Enfin, ils augmentent le nombre et <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14629846">l’activité des cellules</a> immunitaires chez les patients porteurs du VIH.</p></li>
</ul>
<p>Au cœur de cette pandémie sans précédent, il devient crucial de trouver de nouvelles armes pour nous protéger de l’angoisse de l’isolement et du confinement.</p>
<p>Le recours de plus en plus massif aux <a href="https://www.lesechos.fr/2018/02/petit-bambou-lapplication-de-meditation-qui-monte-968185">applications</a> comme Insight Timer ou Petit Bambou, ainsi que le succès des invitations à des pratiques collectives en ligne – gratuites ou sur contributions libres – proposées par des instructeurs de pleine conscience (<a href="https://www.mbsr-lille.fr/">MBSR Lille</a> par exemple) témoignent de l’appétence grandissante de la population pour la méditation.</p>
<p>Pratiquer ensemble, même à distance, permet de rompre momentanément l’isolement social, et recrée un sentiment d’appartenance dont nous avons bien besoin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Daniel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’après une étude réalisée en Chine, la méditation de pleine conscience s’est avérée être un remède précieux contre les troubles anxieux et dépressifs liés au confinement total.Carole Daniel, Professeure Associée - Académie Digitalisation, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298832020-01-27T17:10:59Z2020-01-27T17:10:59ZConnaissez-vous les thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/311699/original/file-20200123-162204-5rvfaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C130%2C7951%2C5166&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/NQexDDK9P9w">Rhett Wesley/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p><em>Notre auteur, psychiatre et psychothérapeute, directeur d’enseignement à l’université Lille Nord Europe, n’est pas un comportementaliste radical ni un opposant farouche aux thérapies psychanalytiques. Pour lui, les thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles (TCCE) représentent aujourd’hui le courant majeur de la psychothérapie, et le mieux adapté pour le traitement des troubles psychiques les plus fréquents (anxiété, phobies, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, addictions, troubles de la personnalité…). Elles restent pourtant mal connues et sont parfois considérées à tort comme une simple méthode de changement des comportements.</em></p>
<hr>
<p>Plus d’un siècle durant, des chercheurs en psychologie et des psychiatres cliniciens ont proposé de nouveaux modèles des troubles psychiques (anxiété, dépression) et de nouvelles psychothérapies. On peut schématiquement dire que trois courants se sont succédé : le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9haviorisme">béhaviorisme</a> (ou comportementalisme), la thérapie cognitive et les approches centrées sur les émotions comme la méditation de pleine conscience.</p>
<h2>À l’origine, le béhaviorisme</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=863&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311560/original/file-20200123-162246-sjhuiv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1084&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">John Broadus Watson.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le béhaviorisme est né aux États-Unis, peu après la psychanalyse. Et c’est <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Broadus_Watson">John Broadus Watson</a> (1878-1958) qui est considéré comme l’inventeur du terme et le père du béhaviorisme (ou comportementalisme), avec la publication en 1913 d’un <a href="https://elmirmohammedmemorypsy.files.wordpress.com/2014/12/la-psychologie-telle-que-le-bc3a9havioriste-la-voit.pdf">article</a> dans <em>Psychological Review</em>.</p>
<p>Le psychologue américain défend l’idée selon laquelle la psychologie ne peut devenir une science que si elle s’en tient à l’étude des comportements observables et teste ses hypothèses par des expériences réplicables. Le béhaviorisme se définit ainsi comme une science du comportement basée sur l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Empirisme">empirisme</a>. En opposition avec la méthode de l’introspection psychologique et le courant psychanalytique pour lequel les phénomènes inconscients ne pouvant pas être observés, les démonstrations reposent sur des cas singuliers.</p>
<p>D’après John B. Watson, tous les comportements sont issus d’un conditionnement, et il donc possible de les désapprendre. Une hypothèse qu’il va tester avec son assistante <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Rosalie_Rayner">Rosalie Rainer</a> en menant une expérience peu éthique et peu concluante d’apprentissage suivie de déconditionnement d’une peur des rats blancs chez un enfant de 11 mois, le petit Albert. Et malgré les critiques justifiées, le béhaviorisme aura une influence très importante sur la psychologie américaine entre les années 1930 et 1950.</p>
<h2>Le comportementalisme à visage humain</h2>
<p>C’est le psychiatre américain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Wolpe">Joseph Wolpe</a> qui propose le premier traitement comportemental chez l’humain en 1962, par la méthode de désensibilisation systématique des phobies. Elle s’appuie sur le principe de « l’inhibition réciproque », qui consiste à induire une réponse antagoniste à la peur et l’anxiété non pas par la nourriture, comme chez l’animal de laboratoire, mais par la relaxation.</p>
<p>En pratique, il s’agit de s’exposer graduellement à la phobie en faisant appel à l’imagination, puis de contrer la réponse anxieuse au moyen de la relaxation. Une thérapie comportementale que Joseph Wolpe définit comme </p>
<blockquote>
<p>« l’utilisation, dans le but de modifier un comportement, des principes de l’apprentissage établis expérimentalement. Les habitudes inadaptées sont affaiblies et éliminées, les habitudes adaptées sont installées et renforcées ».</p>
</blockquote>
<p>Offrant une alternative à la psychanalyse dans la prise en charge des phobies et plus largement des névroses, une telle thérapie est aussi plus courte et dirigée vers le problème actuel, plutôt que sur le passé et l’inconscient. Reste qu’elle est critiquée non seulement par le courant psychanalytique dominant en psychiatrie jusqu’aux années 1970, mais aussi par la psychologie cognitive : on lui reproche d’avoir délaissé les états mentaux au profit des seuls comportements.</p>
<h2>De la rationalité aux TCC</h2>
<p>La thérapie cognitive est née aux États-Unis entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 des travaux fondateurs de deux Américains : le psychologue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Ellis">Albert Ellis</a> (1913-2007) et le psychiatre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aaron_Temkin_Beck">Aaron Temkin Beck</a> (1921-).</p>
<p>Pour Albert Ellis, les problèmes psychologiques et émotionnels viennent de nos pensées illogiques et irrationnelles : nous pouvons donc les changer et tendre vers le rationnel. Et s’inspirant des philosophes grecs et des stoïciens, il met en cause notre interprétation des faits : dans le Manuel d’Epictète, n’est-il pas écrit que « Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses mais les jugements qu’ils portent sur les choses » ?</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311647/original/file-20200123-162194-rr2vjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aaron Beck.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Aaron_Beck_2016.jpg">Slicata</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Influencé par son compatriote, Aaron Beck part d’un constat : tous les patients déprimés expriment des pensées négatives sur eux-mêmes, sur le monde extérieur et sur l’avenir. Et d’après lui, cette façon négative de traiter les informations est inconsciente et sous-tendue par ce qu’il appelle le « schéma cognitif ». À savoir, une sorte de disque dur de notre psychisme, qui contiendrait l’ensemble de nos connaissances et se construirait tout au long de la vie au gré de nos expériences et de nos apprentissages.</p>
<p>Pour le mettre à jour, le psychiatre va d’abord chercher à connaître les monologues intérieurs – ou « pensées automatiques » – de ses patients. Puis, il leur proposera de les rendre plus réalistes et moins négatives. Il s’agira de substituer à une pensée du type « je suis nul(le), je ne m’en sortirai jamais, je suis un poids pour mes proches… » une autre du genre « être déprimé(e) ne veut pas dire que l’on ne vaut rien, avec le temps je vais guérir, ma famille me soutient comme je le ferai pour eux ». Car selon ses dires, c’est par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cognition">cognition</a> que l’on accède à l’émotion et au comportement.</p>
<p>In fine, traduisant la confluence de deux courants plus complémentaires qu’opposés, le terme de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9rapie_cognitivo-comportementale">thérapie comportementale et cognitive</a> (TCC) (en anglais, <em>cognitive behavioral therapy</em>) fait son entrée au début des années 1980 dans la littérature scientifique anglophone. De nombreuses études vont alors montrer l’efficacité de ces TCC, principalement dans la dépression, le trouble panique et les phobies, l’anxiété généralisée, les troubles obsessionnels compulsifs, ou encore les addictions. Au point d’en faire en psychothérapie l’approche de première intention pour ces pathologies très fréquentes (environ une personne sur cinq touchée au cours de sa vie), et un bon moyen de diminuer la consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.</p>
<h2>Se comprendre pour changer sa vie</h2>
<p>On reproche parfois au TCC d’être centrées sur les symptômes et les troubles psychiques actuels, sans prendre en compte le passé et l’histoire de l’individu. C’est ignorer la thérapie des schémas, une approche développée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeffrey_Young">Jeffrey Young</a> (1950-), ancien étudiant d’Aaron Beck.</p>
<p>Ce sont aux schémas constitués très précocement dans l’enfance, à l’occasion de traumatismes et de carences affectives, que s’intéresse ce psychologue. La prise en charge qu’il propose, plus longue que la thérapie cognitive, s’attelle donc à chercher les origines du problème ciblé (par exemple, la dépression) dans les schémas de l’enfance, c’est-à-dire des traits de personnalité comme la dépendance, la peur de l’abandon, l’isolement, la peur de perte le contrôle, le sentiment de ne pas être à la hauteur…</p>
<p>S’il utilise les principes de la thérapie cognitive, Jeffrey Young y incorpore le passé : les événements et les émotions anciennement vécus sont réactualisés par visualisation mentale ou jeu de rôle – s’inspirant alors de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gestalt-th%C3%A9rapie">Gestalt-thérapie</a>. En ce sens, son approche est centrée sur la personne, et non sur les syndromes ou les troubles. Elle prend en compte l’histoire et les blessures de l’enfance, et propose de changer la structure psychologique et les traits de personnalité à l’origine de souffrance : il s’agit de modifier sa façon d’être et d’agir, comme l’indique le titre de son ouvrage grand public <em>Je réinvente ma vie</em>.</p>
<h2>Troisième vague</h2>
<p>À la fin des années 1990 des chercheurs en psychologie cognitive pointent le rôle central des émotions pour expliquer les troubles psychiques. Et s’ils remettent en cause certains principes fondamentaux des TCC, c’est sans les renier totalement, d’où l’appellation « 3<sup>e</sup> vague ».</p>
<p>Au lieu de vouloir changer pensées et émotions, ces psychologues s’intéressent au rapport qu’une personne entretient avec elles. Chez l’anxieux par exemple, le fait de s’inquiéter sans cesse sur les risques de l’existence (peur d’avoir un accident, une maladie) est vu comme une vaine tentative pour empêcher la survenue des imprévus. Plutôt que de chercher à modifier le contenu de son discours de façon rationnelle, ce qui est somme toute difficile le danger étant bien réel et l’avenir imprévisible, il s’agit d’accepter l’émotion irrationnelle d’anticipation et de revenir au moment présent.</p>
<p>De fait, cette 3<sup>e</sup> vague de thérapies se réfère à deux concepts du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Zen">bouddhisme zen</a> : la pleine conscience et l’acceptation. La souffrance (dukkha) y est vue comme inévitable car inhérente à l’existence humaine, mais voulant être accueillie, plutôt que rejetée, en s’ancrant dans le moment présent. Cette manière de voir les choses rappelle la philosophie stoïcienne. Il ne s’agit pas cependant de se soumettre, mais bien de s’extraire de la souffrance des émotions, à travers différentes approches.</p>
<p>Parmi elles, on peut citer la méditation de pleine conscience, la dialectique qui invite à reconnaître et accepter les opposés et rechercher le juste milieu, l’acceptation des émotions, l’observation et la prise de distance, l’action dirigée vers son bien-être et ses valeurs personnelles plus que ses souffrances. Mais on recense aussi des méthodes comportementales et cognitives classiques, d’où l’appellation de thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles (TCCE).</p>
<h2>Une psychothérapie efficace</h2>
<p>A l’origine, le béhaviorisme s’écartait de la conscience, de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Insight_(psychologie)">insight</a> et des conflits intrapsychiques qui trouvent leurs racines dans l’histoire du sujet. Il se décrivait comme une thérapie du présent délaissant le passé, centrée sur les comportements réflexes, et non sur l’affect ou le subjectif. Or sans trahir ces fondements, les approches cognitives puis émotionnelles ont enrichi la compréhension des troubles psychiques et apporté de nouveaux et efficaces outils thérapeutiques.</p>
<p>Ainsi, les TCC ont fait leurs preuves tant sur la phobie que sur un manque d’affirmation de soi ou sur des troubles psychiatriques caractérisés (dépressifs, anxieux, addictifs, psychotiques…) où elles semblent faire mieux que des médicaments. Des approches plus récentes, comme les thérapies des schémas ou de 3<sup>e</sup> vague ont ensuite ciblé davantage la souffrance que le trouble psychiatrique. Et elles ont acquis une certaine reconnaissance dans la prise en charge des stress et des traumatismes, des histoires personnelles et familiales douloureuses, ou encore des troubles de personnalité marqués par l’impulsivité et les émotions négatives et destructrices.</p>
<p>Ces TCCE ne cherchent pas à démontrer qu’elles sont plus efficaces que les autres psychothérapies. Elles revendiquent simplement le fait d’être ouvertes à différents modèles de psychologie et en constante évolution. Et elles peuvent se prévaloir de bienfaits reconnus, tant pour soulager la souffrance que pour traiter de nombreux troubles psychiques.</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour en savoir plus :</em></strong></p>
<p><em>- Dans <a href="https://www.elsevier-masson.fr/les-therapies-comportementales-cognitives-et-emotionnelles-en-150-fiches-9782294766619.html">« Les thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles en 150 fiches »</a>, Clément Lecomte et Dominique Servant nous révèlent l’étendue et la diversité des TCCE et proposent aux psychothérapeutes un ouvrage de référence pour leur pratique.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Servant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Né au début du XXᵉ siècle, le béhaviorisme a évolué vers différentes approches de psychothérapie. Les plus récentes portent le nom de thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles, ou TCCE.Dominique Servant, Psychiatre, responsable de l’unité stress et anxiété du CHRU de Lille, directeur d'enseignement, Université de Lille - initiative d'excellenceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1224942019-12-11T19:58:46Z2019-12-11T19:58:46ZLes troubles psychiatriques peuvent cacher des maladies rares<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/306367/original/file-20191211-95159-1p19qhl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5414%2C3620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les maladies rares provoquant des troubles psychiatriques sont parfois difficiles à mettre en évidence.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/womans-head-hidden-by-soft-cloud-636371048?src=b2ec3d11-a0b0-4832-9852-70be99dc8c89-1-31">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Myopathies, maladie des os de verre, amaurose congénitale de Leber, lupus érythémateux… Dans l’opinion, l’expression « maladie rare » évoque souvent des maladies dont les symptômes seraient avant tout physiques.</p>
<p>On sait cependant aujourd’hui qu’un grand nombre de ces maladies génèrent aussi des symptômes neurologiques ou psychiatriques. Les anomalies de l’interaction sociale et les comportements stéréotypés observés dans les <a href="https://www.autismspeaks.org/autism-diagnosis-criteria-dsm5">troubles du spectre autistique</a> sont par exemple présents dans un large éventail de maladies rares : X-fragile, mutation du gène ADNP, mutation du gène SHANK3…</p>
<p>Le corollaire de ce constat est que certains troubles psychiatriques pourraient aussi avoir pour origine des maladies rares non identifiées. Ainsi, on sait que plus de <a href="https://www.sfari.org/resource/sfari-gene/">1 000 gènes différents peuvent être impliqués dans les troubles du spectre autistique</a>. Il est possible qu’une fraction non négligeable de ce trouble résulte de l’addition de nombreuses maladies rares.</p>
<p>En identifiant ces maladies, qui sont rares individuellement, mais nombreuses collectivement, on peut espérer préciser le diagnostic pour un grand nombre de patients.</p>
<h2>Quand les maladies rares provoquent des troubles psychiatriques</h2>
<p>Une maladie est dite rare lorsqu’elle concerne moins d’une personne sur 2 000. Plus de 7 000 affections correspondant à cette définition <a href="https://fondation-maladiesrares.org/les-maladies-rares/les-maladies-rares-bis/la-definition-des-maladies-rares/">ont été décrites à ce jour</a>, et cette liste s’allonge un peu plus chaque semaine. Aujourd’hui, au total, 3 à 4 millions Français sont concernés par l’une ou l’autre de ces maladies rares, dont la plupart (environ 80 %) <a href="https://fondation-maladiesrares.org/les-maladies-rares/les-maladies-rares-bis/la-definition-des-maladies-rares/">ont une origine génétique</a>.</p>
<p>Un certain nombre d’entre elles se traduisent par des troubles psychiatriques. Grâce aux avancées considérables réalisées dans le champ de la psychiatrie génétique, plusieurs sont désormais bien connues. C’est le cas par exemple de la <a href="http://www.generation22.fr/actualites/5-fiches-points-cles-pour-la-prise-en-charge-psychiatrique-dans-la-deletion-22q11/">délétion d’une partie du chromosome 22</a> (del22q11), qui ont 40 % de risque de développer une schizophrénie à l’adolescence.</p>
<p>Par ailleurs, certaines formes extrêmes de troubles psychiatriques sont en elles-mêmes des maladies rares. Par exemple, la schizophrénie se déclenche généralement entre 15 et 30 ans, mais elle peut parfois débuter dans l’enfance. Ces <a href="https://www.chu-nantes.fr/schizophrenies-a-debut-precoce-chez-l-enfant--37445.kjsp">schizophrénies très précoces</a> affectent environ 0,03 % de la population, bien loin des 1 % de la forme classique.</p>
<p>Mais les liens entre maladie rare et trouble psychique vont bien au-delà. On sait que certaines maladies métaboliques rares peuvent aussi se traduire par des symptômes psychiatriques. Ainsi, le <a href="http://www.tousalecole.fr/content/d%C3%A9ficit-en-cr%C3%A9atine#simple-table-of-contents-5">déficit en créatine</a> maladie rare dans laquelle la créatine, molécule permettant de fournir une réserve d’énergie au cerveau et aux muscles, est insuffisamment produite, peut entraîner des symptômes autistiques ou une déficience intellectuelle. Administrer aux patients la molécule manquante pourrait améliorer les symptômes.</p>
<p>Il arrive enfin que certaines maladies inflammatoires rares <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27063957">provoquent des dépressions ou de l’anxiété</a>, ou encore que certaines maladies auto-immunes, voire certaines infections, engendrent des troubles psychiatriques. Pour preuve, le <a href="https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2019/03/22/sa-schizophrenie-etait-due-au-chat-%E2%80%A8%E2%80%A8/">cas de ce jeune patient américain</a> qui, atteint par une évolution atypique de la maladie des griffes du chat, <a href="https://theconversation.com/podcast-lorsque-la-folie-est-soignee-par-un-dermatologue-121572">a développé une schizophrénie</a>. Après une longue et pénible errance diagnostique, son trouble psychiatrique a finalement pu être traité efficacement par des antibiotiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-lorsque-la-folie-est-soignee-par-un-dermatologue-121572">Podcast : Lorsque la folie est soignée par un dermatologue !</a>
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<p>Avant de poser un diagnostic de trouble psychiatrique et de prescrire un traitement, les médecins doivent donc s’assurer que ce trouble ne résulte pas d’une autre maladie, qui serait non psychiatrique. Une tâche singulièrement compliquée par la profusion des maladies rares existantes.</p>
<h2>Le défi du dépistage</h2>
<p>Le principal obstacle auquel font face les médecins est la quantité de maladies rares identifiées. Comment passer en revue l’ensemble des 7 000 affections répertoriées sans multiplier les examens inutiles pour le patient ?</p>
<p>Dans certains cas, il est possible d’identifier des symptômes non psychiatriques : par exemple, les patients avec <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2016-02/pnds_-_deletion_22q11_2.pdf">délétion 22q11</a>, à haut risque de schizophrénie, sont parfois repérés car ils souffrent également d’anomalie cardiaque. Cependant d’autres maladies rares ne s’expriment que par des symptômes psychiatriques.</p>
<p>La réalisation d’un bilan large systématique quand certaines caractéristiques sont présentes est une autre possibilité de dépistage : troubles psychiatriques résistants aux traitements classiques, formes précoces ou atypiques, formes familiales…</p>
<p>Enfin, l’arrivée de techniques d’analyse permettant de rechercher des anomalies génétiques à grande échelle pourrait permettre d’identifier efficacement et rapidement les patients dont les troubles sont dus à des maladies rares.</p>
<h2>Des bénéfices médicaux et psychologiques</h2>
<p>Identifier une maladie rare sous-jacente à un trouble psychiatrique présente des intérêts médicaux évidents. Savoir que l’on est porteur d’une délétion 22q11 offre par exemple l’opportunité d’intervenir précocement en cas de développement d’une schizophrénie à l’adolescence. Agir tôt est important, car ce trouble répond d’autant mieux au traitement que les symptômes sont pris en charge rapidement.</p>
<p>L’identification d’une maladie rare permet parfois aussi de mieux prévenir la survenue de complications. La délétion 22q11, qui augmente le risque de schizophrénie, s’accompagne notamment d’un taux de calcium anormalement bas durant les premières semaines de vie. Parfois, ce problème peut perdurer ou réapparaître, au cours des phases importantes de la croissance. Identifier la délétion permet de dépister du même coup le problème de calcium, qui serait passé inaperçu.</p>
<p>Dans certains cas, l’information sur la maladie rare fournit aussi des indications sur les façons <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31685813">d’adapter le traitement du trouble psychiatrique</a>. Ainsi, une dépression causée par une maladie inflammatoire rare peut parfois bénéficier d’un traitement comme la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0889159119304386">kétamine</a>, qui n’est habituellement pas utilisé en première intention. Le médecin peut aussi décider de changer de traitement s’il en existe un spécifique de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17689147">maladie rare concernée</a>.</p>
<p>Outre les bénéfices purement médicaux, le fait de poser un diagnostic précis peut aussi s’accompagner de bénéfices psychologiques. Les familles ont parfois tendance à surévaluer le poids de l’environnement et de leur propre rôle dans l’apparition des troubles psychiatriques. Informer l’entourage et le patient sur les causes biologiques des troubles permet de les déculpabiliser, car personne n’est responsable de sa génétique. Le diagnostic peut alors être source de soulagement psychique.</p>
<p>De plus, alors que les troubles psychiatriques s’accompagnent souvent d’un déni, objectiver l’anomalie sous-jacente permet à certains patients de mieux accepter leur maladie. Et en réaffirmant la prépondérance de la biologie sur la responsabilité de l’individu, on peut espérer changer l’opinion des citoyens envers les maladies psychiatriques, qui restent encore trop stigmatisées.</p>
<h2>Poursuivre les recherches en associant médecins, chercheurs, patients et familles</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305723/original/file-20191207-90580-1rlqd5g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Répartition des centres de référence et les centres de compétences pour les maladies rares à expression psychiatriques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.defiscience.fr/filiere/organisation/">DefiScience</a></span>
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<p>En France, la prise en charge des maladies rares à expression psychiatrique et la recherche sur le sujet sont assurées par la <a href="http://www.defiscience.fr/">filière DefiScience</a>. Celle-ci regroupe trois <a href="https://fondation-maladiesrares.org/les-maladies-rares/les-maladies-rares-bis/les-centres-de-references-et-de-competences/">centres de références</a> (CRMR) et plusieurs centres de compétences répartis sur le territoire.</p>
<p>Ces structures ont des missions de diagnostic et de soins mais aussi de recherche, de formation, de discussion entre les différents partenaires, les malades et leurs familles. Les médecins traitants et les psychiatres peuvent demander des avis aux psychiatres de ces centres. De plus en plus souvent, les projets de recherche mis en place dans les CRMR sont menées dans une perspective participative, les chercheurs travaillant avec les associations de patients et les familles.</p>
<p>Grâce à ces travaux, on peut espérer mieux appréhender les liens entre maladies rares et troubles psychiatriques, et ainsi mieux personnaliser les soins afin de traiter les causes plutôt que les symptômes. Les maladies plus fréquentes pourraient aussi bénéficier de ces recherches, à l’image de ce qui s’est passé pour la maladie d’Alzheimer : l’identification de gènes impliqués dans les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22312439">formes familiales rares</a> a permis de mieux comprendre la biologie des formes fréquentes.</p>
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<p><em>Pour en savoir plus :<br>
– les sites des CRMR de <a href="http://speapsl.aphp.fr/#/cref/mr">La Pitié Salpêtrière en pédopsychiatrie</a>, du groupe hospitalier universitaire <a href="http://www.ch-sainte-anne.fr/Actualites/Le-CH-Sainte-Anne-labellise-Centre-de-reference-des-maladies-rares-a-expression-psychiatrique">Paris Psychiatrie et Neurosciences à Sainte Anne</a> et du <a href="http://www.ch-le-vinatier.fr/offre-de-soins/la-recherche/genopsy-2098.html">Vinatier</a>, à Lyon ;<br>
– le site du programme européen <a href="https://www.cost.eu/actions/CA17130">COST Action 17130</a>, mis en place pour promouvoir les tests génétiques et le conseil génétique en psychiatrie.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Boris Chaumette a reçu au cours des trois dernières années des rémunérations du laboratoire Janssen pour la participation à des manifestations scientifiques. Il reçoit des financements de la fondation Bettencourt-Schueller pour ses recherches.</span></em></p>En identifiant les maladies rares responsables de troubles psychiatriques, on peut espérer améliorer leur diagnostic et mieux adapter les traitements. Explications.Boris Chaumette, Psychiatre, neurobiologiste, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1261732019-12-03T17:21:58Z2019-12-03T17:21:58ZBonnes feuilles : « Avicii, Lady Gaga, Sophie Calle… que sait-on des liens entre souffrance psychique et créativité ? »<p><em>Le 20 avril 2018, le DJ Tim « Avicii » Bergling, considéré comme un <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/06/14/un-album-posthume-pour-avicii-genie-de-l-electro_5476324_4500055.html">« génie de l’électro »</a>, se donnait la mort. À la veille du concert organisé le 5 décembre pour lui rendre hommage, Jean‑Victor Blanc revient sur les liens entre créativité et troubles psychiques dans un extrait de son ouvrage <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/pop-psy/9782259279642">« Pop & psy : comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques »</a>, aux éditions Plon.</em></p>
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<p>Les liens entre processus créatif et troubles psychiques sont connus depuis l’Antiquité. Comme l’atteste la <em>punchline</em> d’Aristote : « Il n’y a point de génie sans folie. » Deux mille ans et des poussières plus tard, de nombreuses études s’efforcent de prouver de manière scientifique l’intuition du philosophe grec. Sans y parvenir vraiment…
La première difficulté consiste à circonscrire la créativité. On peut en donner une première définition : à savoir l’habileté à transformer les idées neuves et pleines d’imagination en réalité. Mais s’il s’avère que si la créativité est nécessaire aux artistes, elle est tout aussi essentielle dans les disciplines telles que les sciences, la politique ou les affaires. En outre, tous les artistes n’ont pas le même mode de fonctionnement : comment comparer un écrivain à un musicien ? Le succès n’est pas non plus forcément proportionnel à la créativité, un rapide coup d’œil aux singles les plus vendus l’atteste.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304979/original/file-20191203-66982-1v787k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graffiti de l’artiste israélien Jonathan Kis-Lev représentant le « club des 27 », talentueux jeunes artistes décédés à 27 ans.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_des_27#/media/Fichier:Graffiti_Tel_Aviv,_Khayim_Ben_Atar_St_-_zoom.jpg">Psychology Forever/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour toutes ces raisons, il s’avère complexe de répondre scientifiquement à cette question : les artistes risquent-ils vraiment plus de présenter des troubles psychiques, ou est-ce un effet de loupe médiatique qui le laisse accroire ? Une étude a cependant <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1530096">investigué les liens entre créativité, profession et succès</a> en interrogeant un millier de personnalités américaines. Il en ressort qu’exercer un métier artistique (comme musicien, écrivain, architecte ou designer) entraînerait deux fois plus de risques pour une personne de présenter un trouble psychique, et ce plus tôt dans la vie, et pendant plus longtemps que si elle exerce une autre profession (athlète, homme d’affaires, militaire, scientifique, etc.).</p>
<p>Dans le panel des troubles décrits, les troubles dépressifs sont les plus fréquents, suivis de ceux liés à la consommation d’alcool et de drogues, puis les troubles anxieux. Pourtant, il faut rappeler que la majorité des artistes, même les plus à risque (poètes, comédiens), ne présente PAS de trouble mental. Il ne s’agit donc pas de dire que tous les artistes sont malades – ni les malades systématiquement dotés de créativité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-depression-est-une-maladie-pas-un-choix-125671">Bonnes feuilles : « La dépression est une maladie, pas un choix »</a>
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<p>Sur les échelles d’évaluation de gravité des troubles, les artistes affichent des scores à mi-chemin entre les personnes indemnes et les patients atteints. Leurs symptômes seraient donc moins sévères, mais surtout ils se distingueraient par leur capacité à tirer bénéfice de la maladie en se servant de leur décalage de perception avec la réalité pour créer. Lady Gaga, et de nombreux artistes avant elle, évoque dans son documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AzO2OkoT1cI%22target=%22blank"><em>Five Foot Two</em></a> (2017) cette nécessité de sublimer sa douleur dans l’écriture de ses chansons, en veillant à ne pas se laisser submerger par elle.</p>
<p>Dans un autre registre, ce recul nécessaire face aux événements est fascinant dans l’œuvre de la plasticienne Sophie Calle. Elle utilise précisément des éléments de sa vie intime (deuils, ruptures…) comme support à la création. Lorsqu’elle évoque le processus qui l’a amenée à transformer une lettre de rupture en œuvre d’art, elle le fait avec une distance impressionnante vis-à-vis de sa souffrance. Ce recul face à la détresse, à la douleur, est souvent impossible pour une personne traversant, par exemple, un épisode dépressif.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Xp9KSB2K3ZA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><br><a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23063328">L’hérédité aurait-elle son importance</a> ? C’est ce que les statistiques mettent en évidence. On trouve plus de personnes exerçant une profession artistique chez les apparentés au premier degré (parent/enfant/frère/sœur) de patients atteints de trouble bipolaire ou de schizophrénie. Enfin, la pratique d’une activité artistique peut aussi être un soin, on parle alors d’art-thérapie. À une différence notable près : le but poursuivi par les patients en art-thérapie est d’aller mieux, pas de réaliser un chef-d’œuvre. Résultat : les patients atteints de troubles psychiques ne sont pas inhibés par cette pratique et en retirent généralement une expérience positive, bénéfique pour l’estime de soi.</p>
<h2>Conditions de travail : « You want a piece of me »</h2>
<blockquote>
<p>« Est-ce que je suis consciente que ma vie est bizarre ?<br>
Non, pour moi, elle n’est pas bizarre, puisque c’est la<br>
seule vie que je connaisse ! Il faut bien que je m’y adapte.<br>
[…] Avant, j’étais une fille cool, mais j’ai l’impression<br>
que les paparazzis m’ont enlevé ça, genre, ma vie d’avant.<br>
J’étais une fille cool, mais je ne le suis plus du tout »<br>
(Britney Spears, « For the Record », 2008).</p>
</blockquote>
<p>Les professions artistiques attirent-elles davantage les personnes fragiles et vulnérables ? La question mérite d’être posée. On peut se demander aussi si les conditions de travail de certains artistes ne sont pas un facteur de stress, ce qui contribuerait à l’aggravation des troubles. La grande différence avec les autres milieux socioprofessionnels, c’est que le milieu artistique autorise, voire encourage l’évolution des troubles psychiques.</p>
<p>Les musiciens ont ainsi <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/la-drees/observatoire-national-du-suicide-ons/suicide-enjeuxethiques-prevention-singularites-suicide-adolescence">davantage recours aux substances psychoactives</a>, au motif que cela les aiderait à gérer leur stress et boosterait leur créativité. Le mythe « sex, drugs & rock’n’roll », toujours répandu, fait que la consommation de substances, qui aggrave la plupart des maladies mentales, est banalisée. Si une personnalité politique ou un sportif de haut niveau présente un syndrome dépressif, on peut espérer que l’entourage ne les encouragera pas à augmenter leur consommation d’alcool ou de cocaïne, sous prétexte que c’est « cool ». C’est pourtant ce qui semble arriver à beaucoup des stars de l’entertainment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"987783278743736320"}"></div></p>
<p>Le DJ suédois Avicii l’évoquait très bien dans le documentaire <em>Avicii : True Stories</em> (2017). D’un tempérament anxieux, la jeune star confie au journaliste qui l’interviewe qu’il a besoin d’une dose d’alcool pour avoir le courage de monter chaque soir sur scène. Quelques séquences plus tard, il est hospitalisé pour une pancréatite aiguë, une affection grave due à sa consommation excessive d’alcool. Ce qui n’empêche nullement son entourage, explique-t‑il, de l’inciter à prendre des opiacés (antidouleur pouvant entraîner une dépendance, voir chapitre 10, p. 139) afin de reprendre au plus vite sa tournée. Au vu de son décès par suicide dans une chambre d’hôtel un an plus tard, à l’âge de 28 ans, ces propos font rétrospectivement froid dans le dos.</p>
<p>Les représentations culturelles des artistes eux-mêmes sur leur profession peuvent aussi avoir un effet délétère. Si les écrivains et les romanciers sont plus fréquemment atteints de troubles dépressifs, n’est-ce pas lié à l’idée romantique que le désespoir et l’isolement ne sont pas des symptômes d’une maladie nécessitant une prise en charge, mais font partie de la panoplie, folklorique, du « poète maudit » ? Le joli film d’Alex Ross Perry (2014), <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lyErKmF6xdo%22target=%22blank"><em>Listen up Philip</em></a>, décrit bien cette problématique. Jason Schwartzman y campe un auteur aussi égocentré et insupportable qu’attachant. Il a une haute exigence de son métier, et s’impose pour cela une grande solitude dont on comprend bien qu’elle ne lui est pas forcément naturelle, mais qu’elle correspond aux critères et habitus de son milieu.</p>
<p>Alors que la création artistique est une pratique exigeante, qui demande un investissement nécessitant une certaine santé, la détresse psychique semble encore anormalement tolérée, voire souhaitée. C’est d’autant plus problématique que la célébrité peut être extrêmement isolante. Le film <em>Somewhere</em> (2010) de Sofia Coppola illustre de manière éloquente comment la solitude et l’ennui peuvent rendre la vie d’acteur à succès invivable.</p>
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<h2>Traitement kills the radio stars ?</h2>
<p>Si les artistes ont plus de risques de présenter une maladie psychique, il existe plusieurs écueils à leur prise en charge. D’abord, les soins psychiatriques sont vus de façon négative, dans le milieu artistique comme par le grand public. S’y ajoute la crainte que la prise en charge nuise à la création, ce qui, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28254960">pour certains traitements médicamenteux, peut être le cas</a>. Les soins ne se résument pourtant pas à des médicaments, et préférer le mal au traitement est un pari périlleux.</p>
<p>Le but d’une prise en charge est le rétablissement, la reprise d’un fonctionnement satisfaisant pour l’individu. Un traitement qui empêcherait un artiste de créer ne serait donc pas une réussite, quand bien même ce dernier ne serait plus sujet à des hallucinations ou des changements d’humeur.</p>
<p>Au-delà de ces craintes, parfois légitimes, certains <em>a priori</em> empêchent les artistes de consulter, avec parfois des conséquences dramatiques. Ainsi Mariah Carey exprimait-elle dans une interview l’angoisse que ses rendez-vous en clinique fuitent dans la presse.</p>
<p>Ce qui est une réalité, la presse people étant avide de ce type de scandale. Le supermodel Naomi Campbell en a ainsi fait les frais en 2001 : elle a été prise en photo à son insu à la sortie d’une réunion des Narcotiques anonymes et « outée » de cette façon, alors qu’elle cherchait de l’aide pour une addiction à la cocaïne dont elle parlera des années plus tard.</p>
<h2>Drogues : do they know it’s toxic ?</h2>
<p>Les vertus créatrices des substances psychoactives font l’objet de nombreuses croyances. À la fin du xixe siècle, l’absinthe, consommée par Van Gogh, Oscar Wilde et Rimbaud, puis incarnée par Kylie Minogue en fée verte dans <em>Moulin Rouge</em> (2001), a été parée de mille et une propriétés. Les poètes prônaient ses bienfaits désinhibants et hallucinogènes, propices à enflammer l’imagination. Puis ce fut le Flower Power des planantes années 1970, avec la popularisation des acides et du LSD, et le « sex, drugs & rock’n’roll » transgressif des punks, adeptes de l’héroïne, de la cocaïne et des amphétamines.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1027857127740723201"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, les rappeurs comme Lil Wayne ou Ludacris font l’apologie des sirops à base d’opiacés (voir chapitre 10, p. 139) (surnommés « lean » ou « purple drank »). Ici, l’usage des drogues est alors exhibé comme une marque d’intégrité, un label « street » plus que comme un signe de détresse psychique. Certes, des études suggèrent qu’une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17445281">consommation modérée et ponctuelle d’alcool peut améliorer la créativité</a>, mais cela est à bien distinguer de la souffrance engendrée par la maladie addictive. Les exemples malheureux sont légion d’artistes comme Amy Winehouse, Kurt Cobain ou Jim Morrison qui auront chanté et consommé beaucoup de produits, et en auront payé le prix par une mort prématurée.</p>
<p>[…]</p>
<p>Au vu des mécanismes d’identification dont ces icônes peuvent faire l’objet, avoir une meilleure lecture des troubles qu’ils manifestent pourrait être un précieux levier d’accès aux soins. Pour les stars de la pop, mais aussi pour ceux qui les adulent.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus :<br>
– <a href="https://www.mk2.com/evenements/culture-pop-psychiatrie">Cycle de conférences au MK2 Beaubourg à Paris</a>, « Vies d’artistes et troubles psychiques : “Whitney” ft “Amy” », le 21 mars 2020.<br>
– Blanc J.-V. (2019) <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/pop-psy/9782259279642">« Pop & psy : Comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques »</a>, éditions PLON.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126173/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Victor Blanc est l’auteur de l’ouvrage « Pop & Psy - comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques ».</span></em></p>Kurt Cobain, Amy Winehouse, Avicii… Nombre d’artistes talentueux ont mis précocement fin à leurs jours, ou sont morts de leurs addictions. Le génie est-il indissociable des troubles psychiques ?Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1256712019-10-26T23:14:48Z2019-10-26T23:14:48ZBonnes feuilles : « La dépression est une maladie, pas un choix »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/298788/original/file-20191026-113991-hogda3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1475%2C833&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Melancholia », de Lars Von Trier avec Kirsten Dunst.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://filmsdulosange.com/film/melancholia/">Les Films du losange / Christian Geisnaes</a></span></figcaption></figure><p><em>À l’occasion de la Journée européenne de la dépression, The Conversation publie les bonnes feuilles du livre <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/pop-psy/9782259279642">« Pop & psy : comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques »</a>, par Jean‑Victor Blanc, aux éditions Plon.</em></p>
<hr>
<h2>Melancholia, la fin du monde comme un soulagement</h2>
<p>Sorti en 2011, le film de Lars von Trier est centré sur le personnage de Justine (incarné par Kirsten Dunst, prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes). Il débute le jour du fastueux mariage de celle-ci. Dans cette débauche de luxe, au milieu de ces obligations sociales et festives, Justine/Kirsten se sent en décalage complet. Cette incapacité à jouer le rôle socialement attendu – celui de la mariée heureuse et célébrée par tous –, en raison d’une souffrance invisible et pourtant spectaculaire, est typique du détachement, de l’impuissance liée à la dépression.</p>
<p>Un peu plus tard, on retrouve l’héroïne très ralentie, dans un état qu’on pourrait qualifier d’anesthésie affective. Les sollicitations bienveillantes, mais improductives, de son entourage, personnalisé par sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg), semblent bien stériles face à la profondeur de son désespoir. C’est alors que s’annonce la fin du monde imminente, sous la forme d’un astéroïde, Melancholia, prêt à pulvériser la Terre. À rebours des réactions attendues (incrédulité, terreur, tristesse), Justine vit cette angoissante perspective comme un soulagement.</p>
<p>L’indifférence au monde, les pensées morbides (menace d’un cataclysme) et l’état stuporeux de Justine illustrent bien les pensées qui accompagnent généralement la dépression dans sa forme sévère appelée mélancolie.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Le triptyque de la dépression</h2>
<blockquote>
<p>« Même si tu ne parviens qu’à sortir du lit, à te laver les dents et à prendre une douche… FAIS-LE. Pour les personnes atteintes de dépression, c’est déjà un pas ÉNORME. » (Michelle Williams, 2018)</p>
</blockquote>
<p>Si Michelle des Destiny’s Child décrit très bien la torpeur dans laquelle la dépression plonge un individu, le DSM-5 en fournit une définition plus médicale. Au-delà de la simple tristesse, la dépression se manifeste par trois types de symptômes, présents depuis au moins deux semaines :</p>
<ul>
<li><p>L’humeur triste (et autres émotions associées) : il s’agit là d’une tristesse profonde, permanente, qui ne s’apaise pas avec un événement plaisant ou une bonne nouvelle. Y sont souvent associées d’autres émotions négatives comme l’anxiété, l’irritabilité, la culpabilité et la mésestime de soi. Il y a une perte des envies et du plaisir ressenti face aux choses habituellement plaisantes.</p></li>
<li><p>Les symptômes psychomoteurs : il s’agit d’un ralentissement global du fonctionnement des pensées (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration), mais aussi un ralentissement physique, tant dans le discours (moins fluide, temps de réponse augmenté, ton monocorde) que dans la gestuelle, entravée. Le visage, par exemple, est moins expressif. Parfois, le patient atteint de dépression ne supporte plus qu’une chose : être dans son lit, à longueur de journée, sans dormir (ce qui s’appelle la clinophilie).</p></li>
<li><p>Les signes physiques associés : les troubles du sommeil, souvent à type d’insomnie avec réveil précoce, sont très fréquents. Une perte de l’appétit avec amaigrissement involontaire, une fatigue qui ne s’améliore pas avec le repos, une constipation ou des règles irrégulières font partie des autres manifestations classiques de la maladie.</p></li>
</ul>
<p>Dans certains cas, qu’on appelle alors dépression atypique, il y a une augmentation de l’appétit, avec notamment une appétence pour la « comfort food » (aliments sucrés, en général riches en glucides et lipides, à texture douce ou croustillante…), avec une prise de poids, ainsi qu’une augmentation du temps de sommeil (hypersomnie), qui reste non récupérateur. Ces dépressions sont aussi caractérisées par des douleurs musculaires et une hypersensibilité relationnelle. Ce type de dépression est plus fréquent chez les femmes et chez les patients atteints de trouble bipolaire. Il est parfois moins bien pris en charge, car moins identifié et mal connu.</p>
<p>Ce regroupement de symptômes est très important pour poser le diagnostic de dépression. L’humeur triste est souvent vue comme le symptôme phare de la dépression, au point de parfois éclipser les autres, telle Beyoncé dans un clip des Destiny’s Child. Or ce serait bien dommage de laisser les autres membres du groupe de côté. Les symptômes physiques, par exemple, sont moins identifiés comme des signes de dépression, au point d’être oubliés, comme pourrait l’être Michelle Williams dans les fameuses girls band. Pourtant, ils sont très importants, car objectivables et quantifiables.</p>
<p>À la différence de l’abattement, qu’on pourra relativiser par exemple s’il est survenu face à un événement de vie négatif, des kilos en moins ou en plus, ou des heures de sommeil en moins sont plus tangibles quant à l’existence d’une maladie. Pour des patients qui ont du mal à voir dans leur désespoir un symptôme, mais aussi pour l’entourage, il est important de le savoir : quelqu’un qui passe ses journées au lit à ruminer des idées négatives et en ne dormant que quelques heures ne « s’écoute » pas, il est tout simplement malade. Mais le « brouillard » (pessimisme, doutes, problèmes cognitifs, sentiment de culpabilité) dans lequel se sentent englués les patients rend plus difficiles leurs éventuels appels à l’aide.</p>
<p>Il est difficile de faire des recommandations « standard » à l’entourage sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’un proche atteint de dépression. Certaines fausses bonnes idées sont néanmoins particulièrement difficiles à entendre pour les patients. Voici quelques <em>do</em> et <em>don’t</em> :</p>
<h3>Do :</h3>
<ul>
<li><p>Prendre conscience que la dépression est une maladie, et pas un choix (si vous n’en êtes pas encore persuadé, reprenez ce chapitre depuis le début).</p></li>
<li><p>Être dans une écoute empathique (cela aide, c’est le premier outil que les professionnels utilisent. Pour le tuto, voir les interviews d’Oprah Winfrey).</p></li>
<li><p>Conseiller de consulter en dédramatisant (si Beyoncé et Jay-Z ont vu un thérapeute de couple, où est le mal).</p></li>
</ul>
<h3>Don’t :</h3>
<ul>
<li><p>Juger une personne en souffrance dépressive : c’est une maladie, qui peut perturber de manière impressionnante, mais transitoire le caractère d’un individu (qui jugerait le style de Kim Kardashian sur les photos de l’époque où elle était l’assistante de Paris Hilton ?).</p></li>
<li><p>Donner des injonctions (le fameux « secoue-toi », ou, « moi, quand ça ne va pas, je prends un bain chaud et ça va mieux »). FYI (For Your Information), les patients déprimés ont en général essayé plein de choses pour aller mieux et sont déjà bien assez culpabilisés.</p></li>
<li><p>Banaliser la dépression (dire que c’est une mode n’a jamais aidé personne, on attend toujours qu’elle fasse la couverture de Vogue).</p></li>
</ul>
<p>[…]</p>
<p></p>
<h2>Déprimer tue (et plus que le tabac)</h2>
<p>Breaking news : la dépression diminue l’espérance de vie. Une étude australienne l’a mis en évidence : c’est <a href="https://www.bmj.com/content/346/bmj.f253">12 à 15 ans de vie en moins en moyenne pour les patients atteints de dépression</a>. C’est beaucoup trop, notamment lorsqu’on compare avec le tabac, qui réduit l’espérance de vie de 10 ans. Contrairement aux idées reçues, 80 % à 90 % de ces décès prématurés sont d’origine organique, et non par suicide.</p>
<p>Cette surmortalité s’explique notamment par davantage de maladies cardiovasculaires (comme l’infarctus du myocarde) et de cancers. En effet, les patients atteints de dépression ont souvent une moins bonne hygiène de vie (notamment plus de consommation de tabac et d’alcool), une moindre capacité à prendre soin de soi et de sa santé (moins d’activité sportive, alimentation déséquilibrée, moins de suivi médical et donc une découverte tardive d’autres maladies…). En outre, comme tout patient présentant des troubles psychiques, ils sont injustement <a href="https://www.bmj.com/content/346/bmj.f2539">moins bien soignés lorsqu’ils ont une maladie organique</a>.</p>
<p>La dépression, comme dans le film Melancholia, ça peut mal finir, notamment à cause du risque suicidaire. Les études montrent que <a href="https://www.em-consulte.com/en/article/4684">50 % à 80 % des personnes suicidées souffraient de dépression</a>. Le désespoir ressenti par le patient peut être très profond, et associé à un sentiment de culpabilité, voire à l’impression d’être un poids pour l’entourage. La souffrance est alors telle que la mort est envisagée dans un but de « soulager » : soi et les autres. Ces distorsions cognitives, ou pensées irrationnelles sont donc bien éloignées d’un geste suicidaire qui serait perçu comme « égoïste »</p>
<p>[…]</p>
<h2>Guérir, oui, je le veux !</h2>
<p>La dépression est trop rarement prise au sérieux, parfois même chez les soignants. L’étude nationale « santé mentale en population générale : images et réalités » s’est intéressée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S001370061070012">à sa représentation dans la société</a>. Les résultats montrent que la personne déprimée est vue comme quelqu’un de faible, manquant de volonté, et pas comme un individu temporairement affecté dans ses capacités par une maladie. De cette perception erronée viennent le « secoue-toi » envoyés par l’entourage, véritables « Voldemort » pour les patients en souffrance. C’est même l’une des choses les plus pénibles à entendre, rapportent-ils dans les groupes de psychoéducation.</p>
<p>Moins la dépression est assimilée à une maladie du cerveau, plus le malade est rendu responsable de ce qui lui arrive. Cette stigmatisation repose sur l’idée que les personnes sont responsables de leurs idées noires, qu’elles sont dangereuses et qu’il faut éviter d’être en contact avec elles. Ces attitudes sont liées à moins d’empathie et à moins de possibilités d’accès aux soins pour les patients.</p>
<p>La dépression est une maladie multifactorielle, c’est-à- dire ayant des origines multiples : environnementale, neurobiologique, génétique, familiale, développementale… Si, pour les premiers épisodes dépressifs, on retrouve souvent un événement de vie stressant, comme une rupture ou un deuil, ce n’est pas toujours le cas. Cela devient même plutôt rare lorsqu’il y a plusieurs épisodes successifs. La vision de la dépression est fréquemment simpliste dans les films traitant le sujet.</p>
<p>La séquence « facteur déclenchant négatif-tristesse heureux événement qui résout tout » est le reflet de cette conception schématique. <em>Mange prie aime</em> (2010), adaptation du livre éponyme, avec Julia Roberts dans le rôle principal, en est un exemple. La protagoniste traverse une phase dépressive lors de son divorce, suit alors un traitement par antidépresseurs, puis, « décide » de se guérir en faisant un beau voyage avec rencontre amoureuse à la clé – en l’occurrence Javier Bardem.</p>
<p>Il n’est pas question de nier l’importance de l’environnement dans les épisodes dépressifs. Cependant, faire reposer sur les épaules du patient déprimé le fait qu’il doive aller mieux en puisant dans ses ressources internes est assez injuste. Comme il n’est pas raisonnable de le laisser attendre qu’un éventuel événement heureux le guérisse de manière spontanée.</p>
<p>[…]</p>
<h2>De la « fatigue d’être sexy » à la « fatigue d’être soi »</h2>
<p>Le concept de se sentir « fatiguée d’être sexy » est attribuée à Beyoncé, selon une déclaration faite dans les années 2000. Il eut en tout cas un retentissement international… jusqu’à inspirer le nom d’un groupe de rock féminin brésilien : Cansei de Ser Sexy.</p>
<p>Cette idée de fatigue d’être ce que l’on est – ou ce que la société nous somme d’être – est le propos central du livre du sociologue Alain Ehrenberg <em>La Fatigue d’être soi</em> (Odile Jacob, 1998). Celui-ci part du constat que le nombre de patients dépressifs va en augmentant, et que l’exposition médiatique ou culturelle de cette maladie en est le reflet. Il qualifie même, avec une pointe de provocation, la dépression de « succès » dans notre société.</p>
<p>Et développe sa thèse, qui est la suivante : dans les siècles passés, la religion, la prédétermination sociale et géographique liée à la naissance ou l’esprit de corps professionnel imposaient de fortes contraintes sociales à l’individu. Le poids des origines familiales (on exerçait très souvent la même profession que ses parents, on vivait au même endroit, avec le même style de vie) et du religieux (qui dictait conduite morale et mœurs) était majeur. D’où une trajectoire d’existence très linéaire, avec un déterminisme laissant peu de place à la responsabilité de l’individu dans son destin. Dans la société contemporaine, au contraire, ces contraintes sont devenues moindres et nous paraissent intolérables. L’individualisme a pris toute la place. La « réalisation de soi » est érigée en idéal, et l’infinité des destins possibles échoit à l’individu.</p>
<p>Ces idées sont abondamment relayées dans la pop culture, du mythe du self-made-man à la Arnold Schwarzenegger au conte de fées moderne <em>A Star Is Born</em> (2018). L’injonction à « devenir quelqu’un » irrigue nombre d’œuvres, au point de devenir le mantra des participants aux émissions de télé-réalité. La contrepartie de cela : les individus n’arrivant pas à se hisser au niveau de leurs rêves ou des diktats de l’époque (des millions de followers, un biopic sur Netflix, les diamants de Kim Kardashian) risquent de souffrir d’une grande frustration.</p>
<p>La dépression, pathologie dont les symptômes cardinaux sont le manque d’envie, de plaisir et un repli sur soi, s’inscrit donc précisément en porte-à-faux de ces valeurs prônées socialement. « défaut de projet, défaut de motivation, défaut de communication, le déprimé est l’envers exact de nos normes de socialisation [valorisées socialement]. »</p>
<p>Cette approche sociologique, qui n’exclut pas la réalité médicale des troubles dépressifs, est très pertinente. Cette idée est d’ailleurs fréquemment retrouvée dans le discours des patients qui ne se « ne sentent pas à la hauteur ». Et sur les réseaux sociaux, incroyable caisse de résonance à cette thématique.</p>
<h2>Christian C., la dépression en col blanc</h2>
<p>M. Christian C. est un élégant quinquagénaire, avocat d’affaires dans une banlieue parisienne cossue, marié et père de trois jeunes adultes. Lorsque je le reçois pour la première fois en consultation, il est extrêmement agité. C’est son deuxième épisode dépressif. La phrase « Je n’y arriverai plus jamais » revient en boucle.</p>
<p>Après une première dépression, soignée par un confrère, il avait arrêté son traitement au bout de six mois de rémission, en accord avec les recommandations. Quelques mois plus tard, des symptômes de dépression et d’anxiété, souvent associés, ont recommencé à bas bruit. Adepte de la méthode Coué, il s’est dit que cela « allait passer ». Il a repris rendez-vous plusieurs semaines plus tard, dans un état de dépression sévère. M. C. allait ainsi tous les jours à son cabinet, s’efforçait, sans aucun succès, de faire son travail comme avant. Son état ne lui permettait pas d’affronter ses multiples responsabilités. Il revenait donc chez lui, se considérait comme « bon à rien ». Sa famille, notamment ses enfants, manifestement désarçonnées de voir leur père dans un tel état, montrait peu d’empathie à son égard. Il avait toujours été « l’homme alpha », menant sa carrière et sa maison d’une main de maître, pas vraiment du genre à se poser des questions ni à s’apitoyer sur son sort. Son exigence vis-à-vis de lui-même lui rendait la vie impossible.</p>
<p>M. C. est alors rapidement admis dans notre service afin de réintroduire un traitement antidépresseur, mais aussi l’extraire de son environnement. Plusieurs antidépresseurs sont tentés, sans succès. Pis, son état s’aggrave. Comme c’est souvent le cas dans les dépressions mélancoliques, ses pensées deviennent alors de plus en plus sombres et éloignées de la réalité. Au point qu’il pense ne plus pouvoir jamais plaider : « Vous ne comprenez pas, docteur, la législation évolue si vite, je ne pourrai plus m’adapter. » Inquiet quant à ses capacités cognitives, il s’escrime à apprendre l’italien dans un livre pour enfants trouvés à la médiathèque de l’hôpital. Dans son état, il ne retient rien de plus que « ciao », majorant ses angoisses. Il pense que je finirai par me lasser des essais thérapeutiques infructueux et qu’on l’enverra alors en maison de retraite (à 55 ans), ou qu’il se retrouvera à la rue. C’est à ce moment-là qu’il accepte enfin le traitement par <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Sante-mentale-de-A-a-Z/Electroconvulsivotherapie-ECT">électroconvulsivothérapie</a>).</p>
<p>Après une quinzaine de séances de sismothérapie, M. C. revient complètement à lui. Le traitement est prolongé par un traitement antidépresseur assorti d’une psychothérapie. Il a depuis repris son travail, dans lequel il excelle, et arrive même à prendre davantage soin de lui. Il ne se surmène plus dans son activité professionnelle et a recommencé les marathons. Le traitement médicamenteux est désormais arrêté, reste un suivi médical et un soutien psychologique. Ce type de parcours de patient, à la fois impressionnant et banal, illustre bien ce phénomène transitoire qu’est la dépression. Aussi accessible au traitement que capable de perturber totalement les pensées d’un être humain.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus : <br>
– <a href="https://www.mk2.com/evenements/culture-pop-psychiatrie">Cycle de conférences au MK2 Beaubourg à Paris</a>, « la dépression : je t’aime Melancholia », le 16 novembre.<br>
– Blanc J.-V. (2019) <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/pop-psy/9782259279642">« POP & PSY – comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques »</a>, éditions PLON.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Victor Blanc est l’auteur de l’ouvrage « Pop & Psy - comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques ».</span></em></p>La pop culture façonne notre perception des troubles mentaux, mais elle en donne souvent une image erronée. Dans « Pop & psy » Jean‑Victor Blanc remet les points sur les I. Exemple avec la dépression.Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1178752019-06-10T20:02:26Z2019-06-10T20:02:26ZQu’est-ce que l’art brut ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/277660/original/file-20190603-69059-1e20zk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C34%2C922%2C577&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une œuvre d'Henry Darger. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.mam.paris.fr/fr/oeuvre/henry-darger">Musée d'art moderne de la ville de Paris</a></span></figcaption></figure><p>L’art brut est devenu un objet d’étude spécialisé et il occupe un champ de réflexion non négligeable tant du côté universitaire que dans le monde institutionnel de l’art. Sans entrer dans les méandres de ce savoir théorique en plein essor, on peut repérer quelques points névralgiques qui ressurgissent immanquablement, autant dans les débats érudits que chez le simple spectateur.</p>
<p>L’art brut fait partie du paysage contemporain de l’art, et y occupe même une place importante, y compris sous l’aspect financier. Un dessin d’<a href="http://www.mam.paris.fr/fr/oeuvre/henry-darger">Henry Darger</a> ou d’<a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/04/14/les-dessins-chantants-d-adolf-wolfli-un-fou-genial_1507623_3246.html">Adolf Wölfli</a> peut atteindre des sommes astronomiques.</p>
<h2>Un « art des fous » ?</h2>
<p>L’art brut est-il l’art des fous ? On fait souvent la confusion entre les deux. Pourtant <a href="https://www.franceculture.fr/peinture/art-brut-lexpression-a-t-elle-encore-un-sens-aujourdhui">Jean Dubuffet</a> (1901-1985), peintre, écrivain et inventeur de la notion d’art brut juste après la seconde guerre mondiale en France, a très tôt marqué la nette différence entre les deux. L’art brut n’est pas l’art des fous, bien que beaucoup d’œuvres estampillées art brut proviennent des hôpitaux psychiatriques, par exemple pour <a href="https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/aloise">Aloïse Corbaz</a>. Définissant l’art brut, Dubuffet éloigne très vite le critère psychique de la maladie mentale, pour ne retenir que celui de la création : « Ce sont les productions d’art émanant de personnes étrangères aux milieux spécialisés et élaborées à l’abri de toute influence, de façon tout à fait spontanée et immédiate, qui m’intéresse » (<em>Honneur aux valeurs sauvages</em>).</p>
<p>Mais de fait, prospectant les œuvres notamment en Suisse à ses débuts, Dubuffet empiète sur le terrain de la folie. La relation entre art brut et art des fous est donc complexe. Elle-même s’inscrit dans une histoire plus longue, celle des rapports entre art et folie qui remonte au tournant des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, époque où des psychiatres se rendent attentifs aux productions spontanées des malades internés, y voyant de l’art et non plus des documents cliniques. Auguste Marie et Marcel Réja en France, Walter Morgenthaler en Suisse, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Connaissance-de-l-Inconscient/Expressions-de-la-folie">Hans Prinzhorn en Allemagne</a>, figurent parmi les pionniers. Entre les deux guerres mondiales, le surréalisme poursuivra cette histoire des relations entre art et folie sur le terrain de la littérature, notamment avec André Breton ; celui-ci, d’ailleurs, épaulera Jean Dubuffet dans les premières années de l’art brut, pour se fâcher ensuite avec lui sur ce même sujet des arts des fous.</p>
<h2>Des œuvres singulières</h2>
<p>Historiquement, l’art brut est l’affaire d’un homme, Jean Dubuffet. On ne peut dissocier l’entreprise définitionnelle de l’art brut présente dans ses écrits, de l’effort qui a été le sien de rassembler des œuvres dans une collection, enfin de sa propre activité plastique et d’écriture, les trois étant concomitants. Mais quel rapport y a-t-il entre l’approche définitionnelle et les œuvres de la collection ?</p>
<p>La notion d’art brut – que certains notent avec des majuscules pour désigner ce moment fondateur avec Dubuffet – vise moins à cerner un type d’œuvres qu’à produire un discours propre à interroger et déstabiliser la conception académique et établie de l’art. Les œuvres, quant à elles, sont entièrement singulières : elles sont choisies entre autres parce qu’elles échappent à tout classement, à toute identification ; elles ne rentrent pas dans une définition englobante. Il y a donc une tension plutôt qu’une adéquation entre la mise en place du discours sur l’art brut, forcément général, et la singularité des œuvres à certains égards incommensurables entre elles.</p>
<p>Celles-ci, au demeurant, sont très polymorphes : dessins, parfois sur un immense rouleau comme pour le <a href="https://www.musee-lam.fr/fr/aloise-corbaz-en-constellation"><em>Cloisonné de théâtre</em> d’Aloïse Corbaz</a>, statuettes d’anonyme, sur pierre volcanique ou bois, broderies comme chez <a href="https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/tripier-jeanne">Jeanne Tripier</a> ou <a href="https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/bataille-juliette-elisa">Élisa Bataille</a>, figurines en bois d’Auguste Forestier, robe comme chez <a href="https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/gill-madge">Madge Gill</a>, cahiers d’écriture et de dessins pour <a href="https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/jayet-aimable">Aimable Jayet</a>. Que ces œuvres fassent collection, dans une unité les rassemblant sous quelque affinité, constitue donc un autre paradoxe. La <a href="http://www.dubuffetfondation.com/savie.php?menu=28&lang=fr">collection de Jean Dubuffet</a>, qu’on peut aujourd’hui admirer au château de Beaulieu à Lausanne en Suisse où elle a été inaugurée en 1976, est exposée dans ce qui n’est pas à proprement parler un musée. Jean Dubuffet voulait avant tout promouvoir des œuvres qui échappaient au circuit de l’art dans sa dimension esthétique et institutionnelle : il ne pouvait toutefois mener à bien cet objectif qu’en intégrant les ouvrages élus, dans ce même circuit de l’art. Cette contradiction est inhérente à l’art brut.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277668/original/file-20190603-69091-19gvz4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Auguste Forestier, sans titre, vers 1935-49, sculpture sur bois et matériaux variés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.outsiderartfair.com/fr/artistes/auguste-forestier?view=slider#2">Outsider art fair</a></span>
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<p>Le qualificatif s’oppose à « culturel ». Dubuffet insiste sur le fait que les productions d’art brut sont soustraites au circuit académique de l’art – dont lui-même était loin d’être exclu puisqu’il côtoyait à Paris artistes et écrivains. Mais il souligne avant tout qu’on y trouve la création à l’état pur, non contaminée par l’imitation, les modes et les codes. La notion de « brut » renvoie à cette opération, qui manifeste l’art dans ce qu’il aurait d’authentique, de non falsifié : l’auteur d’art brut est celui qui tire tout de son propre fond. La marginalité sociale voire l’isolement et l’absence d’éducation artistique deviennent dès lors des critères de premier ordre, toujours mobilisés quand on parle d’art brut après Dubuffet. C’est en ce sens que les réalisations des prisonniers et des spirites s’agrègent à ce domaine.</p>
<h2>La frontière entre art et non-art</h2>
<p>Il faut toutefois prendre une distance par rapport à ces critères. Ceux-ci ne peuvent en soi constituer une garantie qu’il y ait art. Si on les érige en normes, on prend le risque d’une dilution de la notion d’art. Ce risque, en même temps, n’appartient pas à l’art brut en tant que tel. Il est inhérent à une tendance plus générale de l’art au XX<sup>e</sup> siècle. La frontière entre art et non-art est de plus en plus difficile à assigner.</p>
<p>Il faut par ailleurs se garder de cautionner sans recul l’idée d’un sujet entièrement autonome et replié sur soi, à l’origine de la création. Une telle conception, était fortement affirmée par Dubuffet :</p>
<blockquote>
<p>« Nous entendons par là (l’art brut) des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. » (Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels »)</p>
</blockquote>
<p>Cette vision récurrente de l’art brut répond à un idéal d’autonomie qu’on peut interroger, dans une perspective qui viserait à valoriser au contraire la teneur d’intersubjectivité et d’adresse – à l’autre – qui anime toute création dans ce qu’elle a de vif, y compris quand elle est réalisée dans la solitude.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277663/original/file-20190603-69059-1gc0pmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oeuvre d’art brut par ACM (LAM, Villeneuve-d’Ascq).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/22724592825">Jan-Pierre Dalbéra/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’entreprise de Jean Dubuffet n’a pas été sans suite ; son retentissement est même très étonnant. En France et au niveau mondial, d’autres collections se sont constituées, d’autres auteurs ont été découverts, diverses expositions ont vu le jour selon une acception élargie de l’art brut. De nouvelles dénominations sont alors employées : <em>Outsider art</em>, art des irréguliers, les singuliers de l’art, art hors normes, art cru, etc. L’art brut entretient des rapports ambivalents avec l’art contemporain. Pour certains, il constitue le domaine d’une vitalité qui est jugée faire défaut ailleurs, et il est défendu contre une contemporanéité artistique prétendument dénaturée par le discours, l’intellect et la froideur. En même temps, on voit bien à quel point cet art dit brut a été assimilé par le marché de l’art le plus contemporain, jusqu’à parfois être promu en modèle du présent et de l’avenir.</p>
<p>Contre la résorption de l’art dans le discours déclarant ce que l’art doit être, il est souhaitable d’en revenir à la chose même, c’est-à-dire à l’œuvre dans son aptitude à bouleverser et à émouvoir. Cela vaut pour le champ d’art brut comme pour le reste de l’art. Il est important de noter que les auteurs d’art brut n’ont pas intention de faire art : leur geste impose une parole malgré eux. Et s’ils sont auteurs, ce n’est pas parce qu’on les a déclarés tels, artistes d’art brut. L’œuvre et la création n’existent que dans un dépassement de soi, au demeurant non programmable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Boissière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Se pencher sur la définition de l’art brut mène à affronter bon nombre de contradictions et suppose de s’interroger sur les caractéristiques d’une œuvre d’art.Anne Boissière, Professeure, Esthétique et philosophie de l'art, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1150832019-04-14T19:38:46Z2019-04-14T19:38:46ZVoici à quoi ressemble la dépression post-partum<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269168/original/file-20190414-76859-1ai9816.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C101%2C4479%2C2889&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreuses femmes subissent une dépression post-partum.</span> </figcaption></figure><p>La maternité peut être une source de joie, mais elle peut aussi être synonyme de difficultés et de défis à relever. C’est particulièrement le cas pendant la période postnatale, qui pousse l’endurance émotionnelle et physique de certaines mères à leurs limites.</p>
<p>Environ 10 % des femmes enceintes et 13 % des femmes qui viennent d’accoucher <a href="https://www.who.int/mental_health/maternal-child/maternal_mental_health/en/">souffrent de troubles psychologiques</a>, principalement dépression et anxiété. Dans les pays en développement, 20 % des mères sont victimes de dépression clinique après avoir accouché.</p>
<p>Les mères qui sont confrontées à des troubles psychologiques après l’accouchement se retrouvent face au double défi de devoir gérer la maternité en même temps que leurs problèmes de santé. Cette situation peut entraîner un conflit interne, or la peur d’être jugée ainsi que la honte de ce qu’elles vivent peuvent empêcher de nombreuses femmes de demander de l’aide.</p>
<p>À la naissance d’un bébé, on s’attend généralement à ce que tout soit nimbé de la douce lueur rose de la maternité. Mais en réalité de nombreuses femmes victimes de <a href="http://sante.lefigaro.fr/article/depression-post-partum-des-risques-precises/">dépression post-partum</a> peuvent ressentir une tristesse profonde, persistante, et perdre tout intérêt pour les choses de la vie. Ce qui peut diminuer leur capacité à prendre soin de leur bébé, ou les amener à développer des penchants pour l’automutilation, voire le suicide.</p>
<h2>Porter un masque de mère</h2>
<p>Nous avons mené des entretiens avec des mères souffrant de problèmes de santé mentale pendant la période postnatale. Ces données ont été recueillies dans le cadre d’une étude plus vaste, destinée à explorer la façon dont les visiteurs de santé <a href="https://www.hra.nhs.uk/planning-and-improving-research/application-summaries/research-summaries/health-visitors-family-focused-practice/">qui travaillaient avec ces femmes</a> interagissaient avec les familles.</p>
<p>Nous avons constaté que même dans les cas où les mères souhaitaient recevoir de l’aide, certaines barrières empêchaient son acceptation. Les femmes interrogées affirmaient ressentir de la peur, de la honte et de la culpabilité vis-à-vis du fait d’être mère et en mauvaise santé psychologique. Ces sentiments les ont amenés à dissimuler la détérioration de leur état mental à leur famille, leurs amis ainsi qu’aux professionnels qui les suivaient.</p>
<p>Lorsqu’on s’attendait au bonheur, se retrouver face à une réalité conjuguant la parentalité avec la souffrance de la dépression post-partum peut s’avérer difficile à accepter, comme nous l’a expliqué l’une des mères à qui nous avons parlé :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne ressentais aucun lien avec le bébé, et cela me stressait encore plus. Je me disais que j’aurais dû ressentir quelque chose ; j’avais besoin de ressentir un feu d’artifice intérieur. » (femme de 37 ans, mère d’un enfant)</p>
</blockquote>
<p>Confrontées à ce conflit interne, les mères ont honte de leurs problèmes psychologiques. Leur sentiment de culpabilité est associé à la conviction qu’elles ne méritent pas cette maternité :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai réellement parfois regardé ces deux enfants en me disant “Vous méritez mieux que moi qui reste assise là, incapable ne serait-ce que de m’habiller, des jours durant. Quelle sorte de vie est-ce que je vous prépare ?” » (femme de 34 ans, mère de deux enfants)</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263867/original/file-20190314-28496-fzsv6m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La dépression post-partum peut compliquer l’adaptation des nouvelles mères.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les mères qui ont participé à notre étude ont également dit craindre le jugement de la société, estimant que les problèmes de santé mentale sont souvent considérés comme étant en lien avec de mauvaises pratiques parentales :</p>
<blockquote>
<p>« Je devenais de plus en plus anxieuse : “Ils me regardent, ils pensent que je suis une mère horrible, je suis une mère horrible.” » (femme de 38 ans, mère de trois enfants)</p>
</blockquote>
<p>L’une des mères a parlé de sa peur que ses enfants lui soient enlevés si elle racontait ce qu’elle ressentait vraiment. Elle pensait que les gens la considéreraient comme une « maman pas en forme ». Bon nombre des mères avec qui nous avons échangé ont déclaré qu’elles se donnaient beaucoup de mal pour cacher leurs difficultés psychologiques – à leur famille, à leurs amis et au monde extérieur :</p>
<blockquote>
<p>« Vous avez ce masque que vous portez pour la société. Et puis il y a des jours où vous ne voulez pas le porter. Alors vous restez à la maison. » (femme de 32 ans, mère de deux enfants)</p>
</blockquote>
<p>Les mères se sentaient également jugées plus sévèrement que les pères, en raison de l’idée largement répandue que l’amour des femmes pour leur enfant est instinctif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-depression-souriante-ou-quand-le-sourire-masque-un-profond-mal-etre-112099">La « dépression souriante », ou quand le sourire masque un profond mal-être</a>
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</em>
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<h2>La réalité de la maternité</h2>
<p>Dans une certaine mesure, la société occidentale a dépassé les rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes. Cependant, les mères continuent d’assumer l’essentiel des responsabilités en matière de soins aux enfants. Et comme le montrent nos recherches, elles se sentent stigmatisées et craignent d’être jugées, ce qui peut les amener à dissimuler la détérioration de leur santé mentale.</p>
<p>Notre recherche révèle également comment un manque d’ouverture d’esprit à l’égard des problèmes psychologiques peut signifier empêcher d’identifier ces femmes, les privant ainsi d’un soutien approprié. Sans ce dernier, leur santé mentale risque de se détériorer davantage, ce qui pourrait avoir des conséquences délétères pour toute la famille.</p>
<p>Les membres des services de santé doivent se préoccuper de mieux comprendre l’impact qu’une mauvaise santé mentale peut avoir sur les mères. Ils doivent leur fournir l’opportunité de discuter ouvertement des questions de parentalité et de santé mentale, dans un environnement libre de tout jugement.</p>
<p>Les hypothèses et les attentes à l’égard de la maternité doivent également être réexaminées et discutées plus ouvertement avec le grand public, car douce lueur rose de la maternité ne brille pas pour toutes les mères.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115083/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rachel Leonard est financée par le Department of Employment and Learning d'Irlande du Nord.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Grant et Mark Linden ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Environ 10 % des femmes enceintes et 13 % des femmes qui viennent d’accoucher souffrent de problèmes psychologiques. Elles ne parviennent pas toujours à demander de l’aide.Rachel Leonard, Postgraduate research student in the School of Nursing and Midwifery, Queen's University BelfastAnne Grant, Lecturer in the School of Nursing and Midwifery, Queen's University BelfastMark Linden, Lecturer School of Nursing and Midwifery, Queen's University BelfastLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1105812019-02-03T21:27:30Z2019-02-03T21:27:30ZPourquoi les personnes souffrant d’anxiété ont du mal à gérer leurs émotions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/256919/original/file-20190203-127151-1d4am5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C634%2C1536%2C1048&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certaines personnes peuvent se laisser submerger par leurs émotions, en raison de la conjonction de divers facteurs psychologiques, physiologiques et environnementaux.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/rKyclf1CcBg">Fabio Neo Amato/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Nous régulons tous nos émotions, chaque jour de notre vie. Grâce à ce processus psychologique, nous pouvons gérer la façon dont nous ressentons et exprimons nos émotions, quelle que soit la situation qui se présente. Mais chez certaines personnes, cette régulation n’est pas efficace. Les sentiments qu’elles éprouvent sont intenses et difficiles à supporter, ce qui les amène souvent, pour leur échapper, à adopter des comportements tels que l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1348/014466508X386027">automutilation</a>, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.3109/00952990.2013.877920">consommation d’alcool</a> ou la <a href="https://theconversation.com/how-difficulty-in-identifying-emotions-could-be-affecting-your-weight-105917">suralimentation</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/prendre-soin-de-sa-memoire-et-de-ses-emotions-91217">Pour réguler nos émotions</a>, nous avons recours à diverses stratégies, telles que la réévaluation (qui consiste à changer ce que nous ressentons à propos de quelque chose) et le déploiement attentionnel (qui revient à détourner notre attention de quelque chose). Ces stratégies reposent sur des <a href="https://tu-dresden.de/mn/psychologie/ifap/allgpsy/ressourcen/dateien/lehre/pruefungsliteratur_KN_2013/Ochsner-Gross-2005.pdf?lang=fr">systèmes neuronaux</a> sous-jacents du cortex préfrontal de notre cerveau. Si ceux-ci dysfonctionnent, nous pouvons perdre la capacité à gérer efficacement nos émotions.</p>
<p>Mais la <a href="http://psycnet.apa.org/record/2013-44085-004">dysrégulation émotionnelle</a> ne se produit pas uniquement lorsque le cerveau néglige d’utiliser ses stratégies de régulation. Elle peut aussi survenir lorsque les tentatives pour atténuer les émotions non désirées s’avèrent infructueuses, ou encore lorsque des stratégies contre-productives d’atténuation sont mises en œuvre, c’est-à-dire lorsque le coût desdites stratégies est supérieur aux avantages à court terme procurés par l’atténuation d’une émotion intense. Décider de ne pas ouvrir ses factures pour s’épargner une crise d’anxiété peut aider à se sentir mieux à court terme, mais se traduit à long terme par une continuelle augmentation de coûts.</p>
<p>Les tentatives de régulation infructueuses et l'emploi d’atténuations contre-productives sont au cœur de nombreux <a href="https://journals.lww.com/co-psychiatry/Abstract/2012/03000/Emotion_regulation_and_mental_health_recent.11.aspx">problèmes de santé mentale</a>, tels que les troubles anxieux et les troubles de l’humeur. Mais le chemin menant à la dysrégulation émotionnelle n’est pas toujours le même. En fait, la recherche a trouvé plusieurs causes à ces situations.</p>
<h2>Des systèmes neuronaux dysfonctionnels</h2>
<p>Dans les troubles anxieux, le dysfonctionnement des systèmes émotionnels du cerveau se traduit par des réactions émotionnelles beaucoup plus intenses que celles qui se produisent habituellement, ainsi que par une <a href="http://people.socsci.tau.ac.il/mu/anxietytrauma/files/2014/04/Pergamin-Height-et-al-2015-CPR.pdf">perception accrue de la menace</a> et une vision négative du monde. Ces caractéristiques influent sur l’efficacité des stratégies de régulation des émotions. En résulte une dépendance excessive vis-à-vis de stratégies inadaptées, par exemple celles consistant à éviter ou essayer de supprimer les émotions.</p>
<p>Dans le cerveau des personnes atteintes de troubles anxieux, le système sur lequel repose la réévaluation ne fonctionne pas aussi efficacement que dans le cerveau des personnes qui ne sont pas affectées. Lorsque cette stratégie d’atténuation des émotions est utilisée, certaines parties du cortex préfrontal sont <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/210184">moins activées</a> comparativement à celles des personnes non anxieuses. En fait, plus le niveau des symptômes d’anxiété est élevé, moins ces régions du cerveau sont activées. Cela signifie que plus les symptômes sont intenses, moins ils peuvent être réévalués.</p>
<p>De même, les personnes atteintes de <a href="https://www.researchgate.net/profile/David_Mohr3/publication/308172676_Major_depressive_disorder/links/59ce9dfaaca2721f434efc3d/Major-depressive-disorder.pdf">trouble dépressif majeur</a> – qui se traduit par une incapacité à réguler ou réparer les émotions, se traduisant par de longs épisodes de dépression – éprouvent des difficultés à utiliser le <a href="http://sites.oxy.edu/clint/physio/article/EmotionRegulationinDepressionTheRoleofBiasedCognitionandReducedCognitiveControlClinicalPsychologicalScience-2014-Joormann.pdf">contrôle cognitif</a> pour gérer leurs émotions négatives et diminuer leur intensité émotionnelle. Ceci s’explique par <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2203837">des différences neurobiologiques</a>, telles qu’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1053811910011857">diminution de la densité de la matière grise</a> et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006322301013361">du volume du cortex préfrontal</a>. Chez les personnes dépressives, on constate <a href="http://www.jneurosci.org/content/jneuro/27/33/8877.full.pdf">moins d’activation cérébrale</a> et un métabolisme moins élevé dans cette région du cerveau lorsqu’elles accomplissent des tâches visant à réguler leurs émotions.</p>
<p>La fonction des systèmes cérébraux de motivation est par ailleurs parfois moins efficace chez les personnes atteintes de trouble dépressif majeur que chez les autres. Ces réseaux de connexions neurales relient le <a href="https://www.sciencenewsforstudents.org/blog/scientists-say/scientists-say-ventral-striatum">striatum ventral</a>, situé au milieu du cerveau, et le cortex préfrontal. Ce moins bon fonctionnement pourrait expliquer leur moindre aptitude à réguler les émotions positives. Une difficulté connue sous le nom d’<a href="https://www.pnas.org/content/pnas/106/52/22445.full.pdf">anhédonie</a>), qui se traduit par un manque de plaisir et d’appétit pour la vie.</p>
<h2>Des stratégies moins efficaces</h2>
<p>Les capacités à utiliser une stratégie de régulation ou une autre varient selon les gens, cela ne fait guère de doute. Mais chez certains, il est des stratégies qui ne fonctionnent tout simplement pas. Il se peut que les personnes atteintes de troubles anxieux considèrent la réévaluation comme une stratégie <a href="https://s3.amazonaws.com/academia.edu.documents/43509779/Emotional_reactivity_and_cognitive_regul20160308-6583-1i7qqg3.pdf?AWSAccessKeyId=AKIAIWOWOWYYYGZ2Y53UL3A&Expires=1544177061&Signature=wG2kJQEWhjSupMVDCGjIjeImecI%3D&ponse-content-disposition=inline%3B%20filename%3DEmotional_reactivity_and_cognitive_regul.pdf">moins efficace</a> parce que le <a href="http://www.researchgate.net/profile/Dominique_Lamy/publication/6598643_Threat-related_attentional_bias_in_anxious_and_non_anxious_individuals_a_meta-analytic_study_Meta-Analysis_Research_Support_Non-US_Gov%27t/links/02bfe510acc10b0e3d00000000/Threat-related-attentional-bias-in-anxious-and-nonanxious-individuals-a-meta-analytic-study-Meta-Analysis-Research-Support-Non-US-Govt.pdf">biais d’attention</a> qui les affecte fait qu’ils accordent involontairement plus d’attention aux informations négatives et menaçantes. Cela peut les empêcher d’interpréter les situations de façon positive – ce qui constitue un aspect clé de la réévaluation.</p>
<p>Il est également possible que la réévaluation ne fonctionne pas aussi bien chez les personnes atteintes de troubles de l’humeur que chez les autres. Les <a href="https://www.researchgate.net/profile/Lauren_Hallion/publication/51466532_A_Meta-Analysis_of_Effect_of_Cognitive_Bias_Modification_on_Anxiety_and_Depression/links/5642034608aeacfd8937f221/A-Meta-Analysis-of-the-Effect-of-Cognitive-Bias-Modification-Onxiety-Depression.pdf">biais cognitifs</a> dont souffrent les personnes atteintes de trouble dépressif majeur peut les amener à interpréter les situations comme étant plus négatives qu’elles ne le sont, et à avoir du mal à éprouver des pensées positives.</p>
<h2>Des stratégies inadaptées</h2>
<p>Bien que des stratégies inadaptées puissent aider les gens à se sentir mieux à court terme, elles se traduisent à long terme par des coûts dont les conséquences sont la persistance de l’anxiété et des troubles de l’humeur. Les personnes anxieuses comptent davantage sur des stratégies inadaptées telles que la <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.1.463.83&rep=rep1&type=pdf">suppression</a> (qui consiste à essayer d’inhiber ou de cacher les réactions émotionnelles), et moins sur les stratégies d’adaptation comme la réévaluation. Bien que les recherches à ce sujet soient encore en cours, on pense que lorsqu’elles expérimentent des <a href="https://academic.oup.com/scan/article/10/10/1329/1647887">émotions intenses</a>, ces personnes trouvent très difficile de se désengager – la première étape nécessaire à la réévaluation – et se tournent donc plutôt vers une stratégie inadaptée de suppression.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yX7xQfUtwqA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le recours à des stratégies inadaptées comme la suppression et la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272735809000907">rumination</a> (au cours de laquelle les gens ont des pensées négatives et auto-dépréciatrices répétitives) est également une caractéristique fréquemment rencontrée chez les personnes souffrant de trouble dépressif majeur. </p>
<p>Il est important de souligner que les troubles de l’humeur ne sont pas uniquement dus à des anomalies neurologiques. Les recherches suggèrent qu’elles résultent d’une conjugaison de différents paramètres. Physiologie cérébrale, psychologie, facteurs environnementaux contribuent ensemble à ces désordres.</p>
<p>Alors que les scientifiques recherchent <a href="https://s3.amazonaws.com/academia.edu.documents/45245021/DA_Emotion_Dysregulation.pdf?AWSAccessKeyId=AKIAIWOWYYGZ2Y53UL3A&Expires=1544123102&Signature=CuwEuqpH%2B4c78EoNxnkA1i7gGmU%3D&response-content-disposition=inline%3B%20filename%3DEMOTION_DYSREGULATION_MODEL_OF_MOOD_AND.pdf">nouveaux traitements prometteurs</a>, des actions simples peuvent aider les gens à atténuer l’influence des pensées et des émotions négatives sur leur humeur. Les personnes en proie à ces troubles peuvent par exemple vraiment gagner à <a href="https://www.researchgate.net/profile/Tayyab_Rashid2/publication/299155510_Rashid_T_2015_Positive_Psychotherapy_A_Strengths-Based_Approach/links/570951f408aed09e916f9518.pdf">s’engager dans des actions positives</a>, en exprimant leur gratitude, en faisant montre de bonté envers les autres, et en réfléchissant aux éléments qui constituent des atouts en terme de caractère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leanne Rowlands a reçu des financements du Fonds social européen par l'intermédiaire du gouvernement gallois.</span></em></p>Parfois, la gestion des émotions déraille. Quels sont les mécanismes neuropsychologiques qui sous-tendent la perte de contrôle ?Leanne Rowlands, PhD Researcher in Neuropsychology, Bangor UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1093372019-01-03T21:30:53Z2019-01-03T21:30:53ZThéroigne de Méricourt, une révolutionnaire féministe méconnue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252432/original/file-20190103-32133-1eroqpg.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=156%2C3%2C2003%2C1276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Théroigne en « amazone écarlate de l'Histoire, par Auguste Raffet.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Jos%C3%A8phe_Th%C3%A9roigne_de_M%C3%A9ricourt#/media/File:Theroigne_de_Mericourt.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Anne-Josèphe Théroigne ou Terwagne (1762-1817) est née à Marcourt, un village au sud de Liège.</p>
<p>Issue d’une famille de riches agriculteurs, orpheline de mère à l’âge de 5 ans, sa vie fut particulièrement mouvementée. Tout en travaillant comme gouvernante, elle étudia le chant à Londres et à Paris, ne devant sa survie qu’à des relations malheureuses avec des hommes riches et beaucoup plus âgés qu’elle.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=739&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=739&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=739&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=929&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=929&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247906/original/file-20181129-170241-14h98zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=929&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portrait présumé de Théroigne de Méricourt, par Antoine Vestier, 1788-89.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Theroigne.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1789, tandis qu’elle vit à Rome, elle se précipite à Paris en apprenant que la révolution gronde, attirée par les promesses d’une extension des libertés individuelles et d’une plus grande égalité des droits.</p>
<p>Cette femme de constitution fragile, si souvent décriée en son temps, voulait défendre la place de la femme dans une société démocratique, avant qu’un épisode tragique ne la brise.</p>
<p>Une grande partie de sa biographie reste dans l’ombre. Elle aurait combattu à la Bastille le 14 juillet 1789 et mené la célèbre marche des femmes et de la garde nationale sur Versailles en octobre, habillée en homme ou à dos de cheval, mais il semble plutôt qu’elle soit restée à Versailles tout l’été 1789, assistant aux débats de l’Assemblée nationale et rencontrant des personnalités politiques de renom.</p>
<h2>Guerre et politique</h2>
<p>De retour à Paris avec l’Assemblée en octobre, elle prend la parole au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_des_cordeliers">club des Cordeliers</a> et devant l’Assemblée. Elle soutient la création de clubs patriotiques mixtes et féminins et, aux côtés d’<a href="https://citoyennes.pressbooks.com/chapter/olympe-de-gouges-france/">Olympe de Gouges</a>, de la militante néerlandaise <a href="https://theses.ubn.ru.nl/bitstream/handle/123456789/4531/Zeeman%2C_L_1.pdf?sequence=1">Etta Palm d’Aelders</a> et du marquis de Condorcet, défend l’expansion des droits civiques des femmes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247907/original/file-20181129-170241-1vpp781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Anon., La marche des femmes avançant sur Versailles, octobre 1789, illustrant la légende selon laquelle Théroigne y aurait particpé, montée sur un cheval blanc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Women%27s_March_on_Versailles01.jpg">Wikimedia Commons </a></span>
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</figure>
<p>Bien que le mot « féminisme » ne soit apparu dans le vocabulaire français qu’en 1837, il ne fait aucun doute que Théroigne était féministe, car pour elle, les femmes :</p>
<blockquote>
<p>ont les mêmes droits naturels que les hommes, de sorte qu’il est extrêmement injuste que nous n’ayons pas les mêmes droits dans la société.</p>
</blockquote>
<p>Le discours de Théroigne provoque la colère de la presse contre-révolutionnaire, dans laquelle elle fait l’objet de moqueries et de propos désobligeants. Elle est dépeinte comme une débauchée, comme l’antithèse de la féminité, comme une « pute patriote dont 100 amants par jour payaient chacun 100 sous en contributions à la Révolution gagnée à la sueur de son corps. »</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247908/original/file-20181129-170247-1ug0v6s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Théroigne de Méricourt, Portrait par Jean Fouquet gravé par Gilles-Louis Chrétien, inventeur du physionotrace, vers 1791.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Theroigne_de_Méricourt_-_1791.jpg">Wikimedia Commons </a></span>
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<p>C’est à peu près à cette époque que « de Méricourt » est ajouté à son nom par la presse, par allusion à son lieu de naissance – un ajout risqué à une époque où titres et privilèges des nobles étaient abolis.</p>
<p>En mai 1790, Théroigne revient à Marcourt et à Liège, où elle est arrêtée sur ordre du gouvernement autrichien, inquiet de la contagion possible des idées révolutionnaires au-delà des frontières, et interrogée sur ses activités révolutionnaires. Au moment de sa libération et de son retour à Paris en janvier 1792, elle est appauvrie et souffre de dépression, d’insomnie et d’autres maladies.</p>
<p>« La belle Liégoise », comme on la surnommait, est accueillie avec enthousiasme et, tandis que la France entre en guerre contre l’Autriche en avril, elle commence à faire campagne, sans succès, pour les droits des femmes à porter les armes :</p>
<blockquote>
<p>« Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de nos destinées, brisons nos fers. Il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ! »</p>
</blockquote>
<p>Lors de l’insurrection du 10 août qui renverse la monarchie et crée la république, Théroigne participe à l’assassinat des royalistes et reçoit une « couronne civique » pour son courage. Mais son style – elle aimait porter son habit blanc et son grand chapeau rond en public – et ses choix politiques la rendaient impopulaire auprès des femmes du peuple.</p>
<p>Alors que la situation militaire de la république devient plus précaire et que l’économie se détériorait, Paris et la France se divisent. Paris est une ville jacobine républicaine militante, mais Théroigne préfère les Girondins, plus conservateurs. En vain, elle <a href="https://www.amazon.com/Madness-Revolution-Elisabeth-Roudinesco/dp/0860915972">rédige un pamphlet passionné</a> exhortant à l’élection de femmes représentantes avec « le glorieux ministère d’unir les citoyens et de leur inculquer le respect de la liberté d’opinion ».</p>
<h2>Institutionalisation et disparition</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=976&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=976&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=976&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1227&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1227&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247909/original/file-20181129-170241-1l0erwm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1227&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Théroigne de Méricourt, Marcellin Pellet, dessin réalisé à l’hôpital de la Salpêtrière in 1816, à la demande d’Etienne Esquirol.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Th%C3%A9roigne_de_M%C3%A9ricourt_-_1816.jpg">Wikimedia Commons </a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le 15 mai 1793, elle se fait attaquer par un groupe de femmes jacobines devant les portes de la Convention nationale. Les femmes, s’opposant à ses sentiments pro-Girondins, soulèvent sa robe afin de la fouetter violemment.</p>
<p>Théroigne ne s’est jamais complètement rétablie mentalement ou physiquement de cette agression, et le 20 septembre 1794, elle est déclarée folle et placée dans un asile. C’était l’époque où les premiers diagnostics « scientifiques » de « démence » étaient établis, mais les patients étaient traités avec bien peu de considération. Elle est finalement envoyée à l’hôpital de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/La_Salp%C3%AAtri%C3%Atri%C3%A8re">La Salpêtrière</a> en 1807, où elle vécut pendant dix ans dans une misère terrible, avec des éclairs de lucidité, parlant constamment de la Révolution.</p>
<p>C’est là qu’Étienne Esquirol, « aliéniste » (comme on appelait alors les psychiatres), fit de Théroigne une étude de cas de la maladie mentale causée par un « excès » révolutionnaire. Suite à une courte maladie, elle s’éteignit le 9 juin 1817.</p>
<p>Théroigne est une figure charismatique mais tragique qui inspira plus tard des œuvres romantiques, comme <em>Les Fleurs du Mal</em> (1857) de Baudelaire :</p>
<blockquote>
<p>Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,<br>
Excitant à l’assaut un peuple sans souliers,<br>
La joue et l’œil en feu, jouant son personnage,<br>
Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ?</p>
</blockquote>
<p>Elle apparaît en tant que personnage dans le roman d’Hilary Mantel dédié à la Révolution, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/A_Place_of_Greater_Safety"><em>A Place of Greater Safety</em></a> et dans le jeu vidéo <a href="http://assassinscreed.wikia.com/wiki/Th%C3%A9roigne_de_M%C3%A9ricourt">Assassin’s Creed Unity (2014)</a></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/249133/original/file-20181205-186082-1wx78cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le personnage de Théroigne de Mericourt dans Assassin’s Creed Unity.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/140341701@N08/28118847817/in/photolist-JQLrNZ">SilveryDeath/Flickr</a></span>
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<p>Son destin a particulièrement piqué la curiosité des écrivains de sexe masculin, fascinés par les liens qu’ils fantasmaient volontiers entre les femmes, la folie et la révolution. En effet, en 1989, Simon Schama termine son livre <em>Citizens : Chronicle of the French Revolution</em> en évoquant la triste incarcération de Théroigne, sous-entendant que la révolution pousse les femmes au féminisme… et au délire.</p>
<p>La même année, cette fascination masculine a été explorée par la psychanalyste lacanienne Élisabeth Roudinesco, qui exposa brillamment les liens entre les début du féminisme, la naissance de l’asile moderne et les fantasmes masculins.</p>
<p>Alors que le titre anglais de sa biographie de Téhroigne de Méricourt est <em>Madness and Revolution</em>, en français, c’est <em>Théroigne de Méricourt : Une femme mélancolique sous la Révolution</em> : pour la psychanalyste, Théroigne n’était pas folle quand elle a été internée – elle pleurait plutôt une révolution perdue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter McPhee ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette femme si souvent décriée en son temps voulait étendre les droits des femmes, avant qu'un épisode tragique ne la brise.Peter McPhee, Emeritus professor, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.