tag:theconversation.com,2011:/us/topics/vivre-ensemble-87489/articlesvivre ensemble – The Conversation2024-01-16T14:07:19Ztag:theconversation.com,2011:article/2157562024-01-16T14:07:19Z2024-01-16T14:07:19ZComment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558123/original/file-20231107-21-ras0om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?</p>
<p>Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages. </p>
<p>Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXI<sup>e</sup> siècle ? </p>
<p>Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une <a href="https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/10732/1/eprint10732.pdf">thèse</a> sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de <a href="https://uof.ca/">l’Université de l’Ontario français (UOF)</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">L'Université de l'Ontario français: voici ce qu'elle pourrait devenir</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet. </p>
<p>Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une université ?</h2>
<p>Le lieu nommé « université » peut se définir comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2005-2-page-9.htm">établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes</a>. </p>
<p>La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté. </p>
<p>Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">signature pédagogique</a> de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.</p>
<p>La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une <a href="https://histoireengagee.ca/quelle-universite-pour-quelle-societe-petite-histoire-du-debat-intellectuel-entourant-la-question-universitaire-franco-ontarienne/">revendication de longue date</a> émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF. </p>
<h2>Une page avec peu d’espace de création</h2>
<p>Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus. </p>
<p>L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité. </p>
<p>Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. </p>
<p>La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce. </p>
<p>Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ? </p>
<h2>Fortes pressions, faible cohésion</h2>
<p>Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet. </p>
<p>Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs. </p>
<p>Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment). </p>
<p>Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="façade de l’UOF" src="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://uontario.ca)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’utopie de la corporation universitaire</h2>
<p>J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. <em>Corporari</em>, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun. </p>
<p>L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ». </p>
<p>À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière. </p>
<p>Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble. </p>
<p>Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215756/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-René Lord ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment crée-t-on une université au XXIᵉ siècle ? Comment cette expérience se déroule-t-elle ? Et que nous apprend l’analyse de ce phénomène ?François-René Lord, Professeur subsitut en communication , Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2062162023-09-05T17:05:19Z2023-09-05T17:05:19ZComment aider les élèves à régler leurs conflits<p>Avec son bruit et son agitation, la cour de récréation peut ressembler au premier abord à un espace désorganisé. Il n’en est rien. L’émergence des <em>childhood studies</em> à la fin des années 1980 a mis en avant que, loin d’être un chaos, le monde enfantin dispose de ses propres modes de régulation, comparables à ceux d’une microsociété, et qu’il s’agit de les prendre au sérieux.</p>
<p>Dès lors, conflits et disputes entre enfants sont analysés comme un <a href="https://psycnet.apa.org/record/1991-97356-000">mécanisme puissant de socialisation langagière et politique</a>. Un élément fondamental dans cette approche est alors la mise en avant d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-2-page-159.htm?ref=doi"><em>agency</em> enfantine</a>, au sens où les enfants sont conçus comme un groupe social certes minorisé, mais doté d’une capacité d’action. En est tirée la conséquence normative qu’il faudrait reconnaître des droits à ce groupe plutôt que de le surveiller d’aussi près que possible ; il n’est alors pas surprenant que les références à la <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/271821-droits-de-lenfant-5-questions-sur-la-convention-internationale-cide">Convention internationale des droits de l’enfant</a>, hui %20ratifi %C3 %A9e %20par %20196 %20 %C3 %89tats.), adoptée en 1989 par les Nations unies, soient aussi fréquentes dans cette littérature.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-enfants-choisissent-ils-leurs-amis-142319">Comment les enfants choisissent-ils leurs amis ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Toutefois, reconnaître que les enfants disposent de leurs propres modes de régulations ne règle pas la question des conflits enfantins. De nombreux chercheurs et chercheuses ont en effet montré que la <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2014-2-page-38.htm">cour de récréation</a> est également un espace de violence et de domination : des <a href="https://www.cairn.info/le-grande-ecole--9782130497318.htm">grands sur les petits</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-3-page-79.htm">garçons sur les filles</a>…</p>
<p>Si répondre aux enjeux de violence par la répression et la surveillance témoigne d’un mépris du groupe enfantin, il ne s’agit donc pas de tomber dans une vision angélique d’enfants capables de s’autoréguler en toute égalité sans intervention des adultes. C’est autour de cette position que j’essaie de fonder empiriquement <a href="https://jeudenfants.hypotheses.org/">ma thèse consacrée aux conseils d’élèves</a>.</p>
<h2>Le dispositif des conseils d’élèves</h2>
<p>Le monde éducatif a, de longue date, mis en place des dispositifs visant une gestion par les enfants de leurs propres conflits, mais avec l’encadrement des adultes. Dès le début du XIX<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">écoles mutuelles</a> mettent en place des tribunaux d’enfants. Mais c’est surtout, au XX<sup>e</sup> siècle, la pédagogie de <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615">Célestin et Élise Freinet</a> qui développe cette idée par l’implémentation de conseils de coopérative.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S0-PXKGY_LE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur la pédagogie de Célestin Freinet (France Culture, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Durant ces conseils, les élèves et leurs enseignants réunis en assemblée ont l’occasion de débattre de propositions pour la classe, mais aussi (et surtout) de porter des critiques à leurs camarades et de traiter collectivement des conflits. <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33016094m">L’objectif pour Freinet</a> n’est pas répressif, mais plutôt moral :</p>
<blockquote>
<p>« À l’issue de notre séance coopérative, nous n’avons jamais, comme on pourrait le croire, une liste de punis mais seulement des enfants heureux d’avoir discuté de ce qui leur tenait à cœur, de s’être déchargés parfois de leurs péchés, d’avoir éclairci et libéré leur conscience ».</p>
</blockquote>
<p>À la suite de Freinet, la pédagogie institutionnelle développe cette idée du conseil comme « rein » du groupe, ayant une fonction d’épuration des conflits. Inspiré de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/psychanalyse-27606">psychanalyse</a>, ce courant pédagogique voit dans ce dispositif (parmi d’autres « institutions ») des fonctions de thérapie collective. Il s’agit d’abord, en retirant l’enseignante ou l’enseignant comme instance personnalisée d’autorité, de limiter les phénomènes de transfert avec l’adulte.</p>
<p>Mais le conseil permet aussi, à travers l’usage du langage dans un dispositif institutionnalisé, la confrontation à l’autre et la sortie de l’égocentrisme : ce n’est pas en tant qu’individu singulier, mais en tant que membre du groupe que les enfants sont invités à intervenir. Là encore, « le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4801799k">conseil n’est pas nécessairement un tribunal</a>, et la recherche de la vérité importe moins que l’élimination des conflits perturbateurs. […] L’essentiel est peut-être moins ce qui est dit, que le fait que ce soit dit et entendu ».</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>D’autres dispositifs de gestion des conflits ont vu le jour, comme la <a href="https://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/03/2/Ress_emc_conflits_messages_clairs_509032.pdf">technique des « messages clairs »</a>, inspirée de la communication non violente. Lors de celui-ci, les élèves « agresseurs et agresseuses » et « agressés » sont invités à verbaliser leur description des faits, leurs émotions et leurs besoins. Cet échange est supervisé par un médiateur ou une médiatrice, qui peut être un adulte ou un enfant dûment formé. Quoiqu’il en soit, tout ceci implique que l’enseignant renonce à arbitrer directement les conflits, tout en garantissant le cadre pour que les enfants le fassent eux-mêmes. Cette posture est assurément complexe à trouver.</p>
<h2>Réfléchir aux limites de l’autorégulation</h2>
<p>Il ne faut néanmoins pas croire que ces dispositifs abolissent complètement la violence des relations entre enfants. En effet, ils ne sont pas exempts de phénomènes de détournement et de manipulation. On peut assister à des accusations à répétition contre des élèves, à une volonté de vengeance ou de punition plutôt que d’intercompréhension.</p>
<p>Si ces dispositifs sont théoriquement fondés sur l’empathie et la communication non violente, ils peuvent donc aussi représenter une humiliation publique aux yeux de certaines et certains. Ce phénomène est renforcé par le fait que tous les enfants ne sont pas à égalité face à ces outils. En effet, ils impliquent une conception du langage et de l’autorité <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520271425/unequal-childhoods">tendanciellement plus fréquente dans les classes moyennes et supérieures</a>, face à laquelle les enfants de classe populaire peuvent se retrouver en difficulté.</p>
<p>Face à ces limites, la figure enseignante garde donc un rôle central. Un élément important est celui de la dépersonnalisation. En effet, on retrouve souvent dans le discours des enseignantes et enseignants l’idée de ne pas risquer de faire du conseil un tribunal. Cela implique qu’à partir d’une accusation d’un élève envers un autre, l’enseignant incite les enfants à monter en généralité. Il s’agit souvent de déporter l’attention de l’auteur ou l’autrice de l’acte répréhensible pour la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb42291202f">diriger vers l’acte lui-même</a>, afin d’éviter d’étiqueter l’accusé comme « déviante » ou « déviant ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mixite-scolaire-que-peuvent-apporter-les-cours-de-recreation-non-genrees-183502">Mixité scolaire : que peuvent apporter les cours de récréation « non genrées » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le sujet central devient alors les modifications à apporter à la classe pour que le problème ne se reproduise pas. Si Maiwenn est excédée par Hamza qui pose toujours son classeur sur son bureau, n’est-ce pas qu’il y a un problème avec l’agencement des tables ? On rejoint ici un principe fondamental dans ces pédagogies, à savoir que les conflits entre élèves sont le signe d’un dysfonctionnement de l’organisation de la classe.</p>
<p>Ce genre de dispositif prend habituellement en charge de « petits » conflits du quotidien, et n’est peut-être pas à même de traiter des cas de violences plus graves tels que le <a href="https://theconversation.com/violences-scolaires-ou-le-harcelement-commence-t-il-107074">harcèlement scolaire</a>. Néanmoins, on sait que la dynamique de celui-ci repose en grande partie sur la <a href="https://www.cairn.info/le-harcelement-scolaire--9782715416253.htm">passivité des spectateurs et spectatrices</a> et la loi du silence. Dès lors, en habituant les enfants dès le plus jeune âge à traiter publiquement leurs problèmes de façon coopérative, et en contribuant à constituer une communauté d’enfants et d’adultes dans un meilleur climat scolaire, on peut espérer des effets positifs de ces outils y compris sur des enjeux plus graves.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Duval-Valachs est financé pour sa thèse par un contrat doctoral de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.</span></em></p>Dans quelle mesure les enfants peuvent-ils gérer par eux-mêmes les petits conflits qui émaillent le quotidien scolaire ? Regard sur les conseils d’élèves mis en place dans certains établissements.Nicolas Duval-Valachs, Doctorant en sociologie (EHESS/Lyon-2), Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1791712022-04-04T18:25:14Z2022-04-04T18:25:14ZAu chevet du monde : pour une clinique de la mondialité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455492/original/file-20220331-13-4mtjfc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C8%2C786%2C602&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Groupe VI, évolution n°14, 1908, Hilma Af Klint.</span> <span class="attribution"><span class="source">Stpckholm, fondation Hilma Af Klint. </span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« J’ai appris à résister, me soustraire et me relier en cherchant le libre royaume de la vie intérieure, la fascination de l’universel, la nostalgie de la totalité, abandonnés aux poètes, aux artistes, aux mystiques. Car le jour viendra où une société nouvelle fera sa place au paysan, au travailleur, à l’artiste et au penseur. » (Théodore Monod, « Le chercheur d’absolu », Gallimard, 1997)</p>
</blockquote>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, sur son lit de mort, <a href="https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/et-si-pasteur-s-etait-trompe-15911">Louis Pasteur aurait soupiré</a> : « Claude Bernard avait raison, le microbe n’est rien, le terrain est tout ». Pendant que le père de la microbiologie s’acharne à trouver un vaccin pour éradiquer le microbe dans l’organisme – cet intrus représenté aujourd’hui par le Covid-19 – le physiologiste se préoccupe davantage de <em>l’état du terrain</em>, le corps humain attaqué par le virus, de la capacité de ce terrain à mobiliser ses ressources internes pour se défendre.</p>
<p>Avec la crise sanitaire actuelle, la réactivation de ce débat mettant en tension deux visions différentes au service de la santé physique amène à en interroger les dimensions psychologiques et sociétales. On peut ainsi considérer le virus de la peur suscitée par cette crise comme une des menaces majeures pour l’équilibre des psychés collectives et individuelles, intimement liées au terrain physiologique.</p>
<h2>Une métaphore pour penser l’état du monde</h2>
<p>Au regard de différents symptômes mondiaux réactivés ou renforcés par la pandémie, je propose d’utiliser métaphoriquement le microbe et le terrain pour penser notre rapport à certains fléaux qui gangrènent notre monde. Ainsi, le microbe, ce sont aussi bien les attaques terroristes, le retour des idéologies raciales, la xénophobie, les replis et pathologies identitaires, les séquelles des guerres mondiales, des génocides, de la traite des êtres humains que l’infodémie, l’utilisation de la peur, les politiques de restriction des libertés individuelles, la police de la pensée dans l’espace public ou encore la <a href="https://luxediteur.com/catalogue/la-mediocratie/">médiocratie</a> à l’université.</p>
<p>Par-delà le corps et la psyché, le terrain relève de l’état de notre monde, de ses vulnérabilités mais aussi de sa capacité à faire face aux héritages identitaires des siècles passés (esclavage, racisme, colonisation, <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/universite-paris-8/nell-irvin-painter-histoire-des-blancs">traite des Blancs</a>, traite arabo-musulmane, traite négrière, la Shoah…). Il relève du maintien de notre liberté de penser et d’agir, de notre esprit critique, de notre créativité et de notre capacité de résilience face aux agressions extérieures ainsi qu’au <em>retour du refoulé</em> de notre Corps-Monde.</p>
<p>Si le microbe poursuit sa trajectoire dans le processus de déshumanisation produite par les effets délétères de la mondialisation financière et capitaliste, le terrain à soigner est notre <em>humanité commune</em> représentée par la <em>mondialité</em>, <a href="https://www.editions-baconniere.ch/livres/ecrire-la-mondialite">« ce côté lumineux de la mondialisation »</a>, « cette aventure sans précédent qu’il nous est donné à tous de vivre, dans un espace-temps qui pour la première fois, réellement et de manière foudroyante, se conçoit à la fois unique et multiple, et inextricable. C’est la nécessité pour chacun d’avoir à changer ses manières de concevoir, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Cohee-du-Lamentin">d’exister et de réagir, dans ce monde-là »</a>. Si la mondialisation économique et financière est « histoire », la mondialité est « culture », « devenir », <a href="http://www.cafelitteraire.fr/2008/01/la-mondialite-entre-histoire-et-avenir-de-charles-zacharie-bowao-et-souleymane-bachir-diagne/">« advenir de la civilisation humaine »</a>, un socle commun de partage et de transformations. « Le commun est ce à quoi on a part ou à quoi on prend part, qui est en partage et à quoi on participe. C’est pourquoi c’est un concept originellement « politique » : <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/de-luniversel-de-luniforme-du-commun-et-du-dialogue-entre-les-cultures-9782213635293">ce qui se partage est ce qui nous fait appartenir à la même cité, polis »</a>.</p>
<h2>Quel moment vivons-nous ?</h2>
<p>Face à l’écrasement des altérités et l’effraction des métacadres (famille, société, culture, institution, environnement), la mondialité offre un espace des possibles, source de créativité. Cependant, s’aventurer sur le terrain de la mondialité confronte à l’imprévisible et à l’inconnu. Le virus à l’origine de la Covid-19 n’était pas prévu et il faut être créatif pour tenir ensemble, dans la durée, face à la situation. Si, à travers ses effets, la mondialisation peut être vécue comme intrusive et explosive, la <a href="https://www.editions-baconniere.ch/livres/svetlana-alexievitch-la-litterature-au-dela-de-la-litterature">mondialité est fondamentalement inclusive</a></p>
<blockquote>
<p>« Elle admet que la curiosité de l’homme le conduit à vouloir découvrir l’ensemble de ses semblables, explorer de fond en comble son environnement. »</p>
</blockquote>
<p>Dans sa <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/penser_la_longue_duree-9782707199669"><em>Contribution à une histoire de la mondialisation</em></a>, François Fourquet avait identifié les « moments » africain, oriental, islamique, européen, anglais et américain qui ont ponctué notre monde phénoménal. Aujourd’hui, <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/loccident-decroche-9782234060425">faire face à nos symptômes globaux dans un Occident décroché</a> et un « non Occident » émergent, humilié ou plein d’espoir, nécessite d’aller au-delà de ces cloisonnements pour entrer <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">dans le <em>moment mondialité</em></a>, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/Entrer-dans-une-pensee-ou-Des-possibles-de-l-esprit">c’est-à-dire dans une pensée mutuelle</a> à la recherche de ressources communes nous permettant de prendre soin les uns des autres.</p>
<p><a href="https://www.puf.com/content/Le_moment_du_soin_0#:%7E:text=y%20est%20consacr%C3%A9e.-,%C3%80%20quoi%20tenons%2Dnous%20%3F,ne%20pourraient%20vivre%20ni%20survivre.">Dans <em>Le moment du soin</em></a>, F. Worms insiste sur la nécessité de deux instants : « l’instant de l’urgence vitale, ou mortelle » qui incite à appeler « Au secours ! » mais aussi « le moment présent dans son ensemble, l’instant des catastrophes, les temps qui les précèdent ou les suivent », une sorte « d’extension de la vulnérabilité ». Ce soin est alors à considérer dans au moins deux conceptions qui mettent respectivement l’accent sur le fait de « soigner quelque chose, un besoin ou une souffrance » et sur le fait de « soigner quelqu’un » ce qui souligne la « dimension intentionnelle et relationnelle du soin ».</p>
<p>A ce sujet, <a href="https://www.researchgate.net/profile/Antoine-Perier-2/publication/264045767_Psychotherapies_psychanalytiques_a_l%E2%80%99adolescence_Pratiques_et_modeles/links/0deec53cb803d2b3dd000000/Psychotherapies-psychanalytiques-a-ladolescence-Pratiques-et-modeles.pdf">Marcelli</a> rappelle la différence entre traitement et soin. Traiter vient de tractare, tractum, trahere qui signifie « traîner violemment, mener difficilement ». Soigner vient du latin sun(n)i et sunnja qui signifie « s’occuper de, se préoccuper de ». Si le traitement vise l’éradication des symptômes, le soin vise la globalité du sujet considéré. Le soin vise le sujet dans la façon dont il vit ce qui le fait souffrir. Un sourire, un regard bienveillant apportent de la consolation et du réconfort permettant au traitement d’être plus efficace.</p>
<p>A travers les nouvelles générations du XXI<sup>e</sup> siècle, notre monde crie « Au secours » face à la mutation des nombreux virus qui le menacent et plus globalement face aux héritages <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Espoir/Feuillets-d-Hypnos">« sans testament »</a>, sans pédagogie de la transmission de l’histoire des siècles identitaires passés. Il importe certes de traiter les virus de la « crise migratoire », des relents racistes, des radicalisations, de la xénophobie, des nationalismes étroits, mais il est nécessaire et avant tout de considérer et de <a href="https://esprit.presse.fr/article/daniel-derivois/soigner-la-societe-d-accueil-42493">soigner les sociétés d’accueil</a>, de départ et de transit ainsi que le monde dans son ensemble, dans sa diversité naturelle, culturelle et spirituelle. Dans son ancienneté comme dans sa jeunesse.</p>
<p>Les conséquences traumatiques, migratoires, identitaires de la guerre en Ukraine viennent, une fois de plus, soulever la question de la perception et du <a href="https://theconversation.com/voyons-nous-les-migrants-comme-etrangers-a-lhumanite-176176">traitement du « migrant » selon son origine, sa proximité géographique ou sa couleur de peau</a>. Malgré les dispositifs d’accueil en urgence de la population sinistrée, cette crise ne se traitera pas sans une réflexion profonde sur le terrain idéologique, géopolitique qui a permis son émergence. Elle ne se traitera pas sans une politique de soin global pour « agresseurs » et « agressés » de tous les côtés, tous héritiers des restes de <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">« traumatismes identitaires mutuels de longue durée »</a> non élaborés dans un même monde en mutation.</p>
<h2>Instaurer une clinique de la mondialité</h2>
<p>Si des symptômes majeurs de notre temps nous avaient déjà alertés sur la nécessité de changer de paradigme pour notre santé mentale globale, l’imprévisible des mutations et variants de la Covid-19 nous montre qu’aucune stratégie nationaliste ou ethnocentrée n’aura été efficace et qu’une issue est possible dans un effort mutuel de repérage des forces complémentaires selon les modèles de sociétés.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-resilience-pour-quels-modeles-de-societe-137666">Quelle résilience pour quels modèles de société ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il est nécessaire d’entrer dans la mondialité et de mettre en perspective une <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807307872-clinique-de-la-mondialite#:%7E:text=Description,au%20sein%20de%20cet%20individu.">clinique de la mondialité</a>, qui accueille à la fois les problématiques familiales, sociétales mais aussi les souffrances mondiales, mondialisées, au-delà des clivages idéologiques, géographiques ou culturels qui ont longtemps rythmé nos relations humaines.</p>
<p>Dans « clinique de la mondialité », clinique est à entendre à la fois dans le sens d’étude clinique du fonctionnement biologique, psychique et identitaire du monde, de lieu de soin – sans frontières géographiques – et de posture épistémologique et politique. Politique dans le sens grec de la « polis », la Cité.</p>
<p>Clinique regroupe alors le sens médical (au chevet du malade), le <a href="https://www.puf.com/content/%C3%80_quel_soin_se_fier_Conversations_avec_Winnicott">sens psychanalytique du <em>Care</em></a> et le sens politique qui confère à la clinique de la mondialité sa posture d’être <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C2610">non seulement au pied du lit du malade</a> mais aussi au pied du monde, en nous, autour de nous, au service du vivre ensemble avec soi-même et avec les autres dans la Cité.</p>
<p>La clinique de la mondialité est une disposition d’esprit qui consiste, à l’instar de Glissant, à agir dans son Lieu en <a href="https://www.humanite.fr/edouard-glissant-agis-dans-ton-lieu-pense-avec-le-monde-457163">pensant avec le monde</a>, à prendre conscience de la manière dont nous sommes traversés par les problématiques mondiales tout en nous pensant dans ce monde-là. Une clinique de la généalogie de l’Homme aux prises avec ses héritages historiques, culturels, identitaires. <em>Qui suis-je pour l’autre ? Qui est l’autre pour moi ? Où suis-je ? Quand suis-je ? Où en suis-je</em> de ma prise de conscience des traces de l’autre en moi et des miennes en lui ? Telles sont les grandes questions de cette prise de conscience généalogique dans la clinique de la mondialité.</p>
<p>Devant la nécessité de prendre soin de notre Terrain-Monde, la clinique de la mondialité offre un terrain d’accueil, d’élaboration et de transformation des héritages traumatiques corporels, psychiques, identitaires en vue de passer des générations racialisées basées sur la couleur de peau, la langue, la religion, les origines géographiques aux générations mondialisées dont le vecteur est notre humanité commune. Là où le débat se polarise, dans une binarité mortifère, sur des référentiels erronés ou désuets, la clinique de la mondialité invite à prendre notre humanité commune comme seul référentiel qui vaille en matière d’identité.</p>
<p>En somme, à l’instar de Pasteur et de Claude Bernard, la clinique de la mondialité vise à réinjecter de l’espoir dans <a href="https://www.fredericlenoir.com/contes-philosophiques/lame-du-monde/"><em>l’Âme du monde</em></a> et à renforcer nos défenses physiologiques, psychologiques, intellectuelles et spirituelles sur le terrain de l’Humanité. L’immunité collective tant recherchée est probablement au prix d’une clinique de la résilience collective, entendue comme la capacité à préserver son humanité et celle de l’autre, malgré l’adversité et les turbulences événementielles et environnementales.</p>
<p>Désormais, c’est <em>au chevet du monde</em>, voire au bord d’un monde qui s’effondre et qui espère aussi, que le soignant attend le patient, le politique ou le citoyen lambda dans la Cité des Hommes. Attendre au sens d’espérer un moment de répit face aux différents virus qui affectent et interrogent notre Corps-Monde dans sa capacité à puiser dans ses ressources cachées, à se réguler et à briser les murs idéologiques pour entrer dans la mondialité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment penser l’état du monde que nous partageons ? Et comment cultiver une forme de résilience collective en des temps aussi troublés ?Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1730112022-01-13T19:58:40Z2022-01-13T19:58:40ZQuand l’archéologie raconte les grands faits et les petits gestes de notre histoire commune<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436410/original/file-20211208-142574-b3t4yr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C35%2C5802%2C3763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Vénus de Renancourt, découverte à Amiens, datée de 23 000 ans.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Stéphane Lancelot, Inrap.</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Nous fouillons, c’est votre histoire » : ce slogan s’affiche avec audace sur nombre de palissades protégeant les chantiers archéologiques de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). En ville comme à la campagne, la collaboration entre aménageurs, urbanistes et archéologues se déploie sur le territoire depuis qu’en 1995, la <a href="https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/valletta-convention">convention européenne de Malte</a> a énoncé les fondements de la protection juridique du patrimoine. C’est une histoire de France plurielle qui se révèle désormais au plus lointain que le récit des hommes puisse l’écrire, en exhumant les archives du sol.</p>
<h2>Un frêle bras gauche</h2>
<p>L’un des préambules de ce long récit est un frêle bras gauche, celui du jeune Néandertalien, vieux de 200 000 ans, récemment mis au jour en Seine-Maritime. Il est notre vestige fondateur. Quelques milliers de générations plus tard, d’une chronologie inégalement documentée, surgit dans la Somme la silhouette d’une femme ronde, hâtivement esquissée dans le calcaire il y a 23 000 ans avant notre ère. Ils sont, « en vrai » comme en image, les premiers ancrages d’une histoire partagée, bien avant la lecture improprement revisitée d’un royal baptême mérovingien : ces vieux « ancêtres » donnent l’impulsion et signent l’amplitude d’une narration commune.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436415/original/file-20211208-19-1n7jonm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les os du bras gauche d’un pré-Néandertalien, daté de 200 000 ans, retrouvé sur le site de Tourville-la-Rivière, en Seine-Maritime, en regard d’un bras moderne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Denis Gliksman/Inrap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Chaque parcelle de terre diagnostiquée, chaque hectare fouillé, chaque ancien humain étudié, au plus intime de ses os comme dans ses comportements, est le maillon, prestigieux ou très modeste, de cette longue chaîne d’histoires, de la grande comme de l’anecdotique, qui fabrique à mesure qu’elle la dévoile, la trame d’une mémoire vive. Forte de ses acquis, de quelques suppositions comme de ses certitudes, l’archéologie préventive s’invite à la table des débats contemporains, pour mieux déconstruire l’écueil des raccourcis, et pour relater la trame plurimillénaire, affranchie de toute propagande, d’un territoire en mouvement perpétuel. Le tempo des hommes et des femmes, des savoir-faire et des idées.</p>
<p>De grands mouvements de populations, des itinéraires singuliers et quelques invasions ont modelé une terre aux contours fluctuants. Bien plus que les habitats, chacun des morts a scandé les paysages en y imprégnant son attachement au sol : ainsi la commémoration monumentalisée du prince de Lavau, dans l’Aube, au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère, revendique-t-elle l’ostentation immuable des élites quand les tombes hâtives et dépouillées des esclaves, Gallo-Romains ou Ultramarins au XVIII<sup>e</sup> siècle, renforcent l’invisibilité des pauvres. L’effacement des vulnérables et des sans-grade.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436417/original/file-20211208-21-1026gg5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le prince de Lavau, allongé sur son char, était accompagné d’un riche dépôt de vaisselle méditerranéenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Denis Gliksman/Inrap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Raconter les liens tissés entre les humains</h2>
<p>Les données issues de la terre sont imparables et sans filtre. Matérielles et souvent fragmentées, elles savent aussi relater les liens tissés entre les humains ; elles révèlent l’acceptation, les soins et le partage. La solidarité, parfois ! Sans artifice, elles déroulent l’aventure des humbles et des mal lotis. Ceux qu’on a oubliés, éliminés, voire effacés du récit. Leur lecture fait sens avec nos débats contemporains, avec les questionnements d’un siècle aux ambitions inclusives et bienveillantes.</p>
<p>Cette archéologie raconte l’histoire de l’interminable et invisible cohorte d’infirmes, d’estropiés, de miséreux et de mendiants, que leur vulnérabilité ou leur handicap a rendu si dépendants et que leurs proches ont pris en charge, dans la dignité de la compensation. Au III<sup>e</sup> siècle avant notre ère, une vieille Gauloise a bénéficié d’un appareillage, ingénieux système de maintien et de transport, en métal, en cuir et rembourré de paille confortable. L’entraide, rudimentaire mais efficace, valide ici l’idée du « care » ancestral, espéré par les philosophes et les sociologues. La solidarité se déploie au bénéfice des non autonomes. Une recherche sociétale émerge peu à peu.</p>
<p>Cette archéologie interroge les inégalités sociales de ce temps d’avant, pas si lointain, où selon que l’on était riche ou miséreux, la terre consacrée n’ensevelissait pas toujours les morts dans une égale éternité. Ainsi sur les lieux d’inhumation des paroissiens du couvent des Jacobins, à Rennes, entre le XV<sup>e</sup> et le XVIII<sup>e</sup> siècle, les autorités ecclésiastiques ont-elles inventorié et dispersé les morts selon leur statut socio-économique : aux plus pauvres le cimetière dépouillé des hôpitaux, aux plus riches le faste feutré des sols d’églises.</p>
<h2>Partager une même terre</h2>
<p>Pour le Moyen Âge, cette archéologie identifie même, avec aplomb, la présence, très ancienne, des « autres », les membres de ces communautés culturelles et religieuses, certes minoritaires, qui partagèrent, avec autant de sérénité que de fracas, une même terre d’accueil. Un rien suffit, parfois, comme ces trois sépultures du VIII<sup>e</sup> siècle, dans les faubourgs de Nîmes, n’obéissant pas aux préconisations liturgiques en vigueur. Le rite, ici discordant, est largement déployé par ailleurs, dans la péninsule ibérique, en Sicile ou au Maghreb. L’analyse de leur ADN trace l’origine nord-africaine, sans doute berbère, de ces « étrangers » abrités dans un cimetière mixte et que des officiants ont su enterrer selon leurs propres rites mortuaires. Au milieu des tombes chrétiennes. Souvent diabolisée ou invisibilisée, la présence musulmane, si ténue dans les sources écrites, s’affirme ainsi avec force. Un nouveau chapitre, un maillon non négociable de la fabrique collective.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436418/original/file-20211208-23-jdfwnr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une des trois tombes musulmanes du VIIᵉ siècle mises au jour à Nîmes. La position du corps, la tête orientée en direction de la Mecque et le dépôt direct dans une fosse sont des caractéristiques évoquant des pratiques funéraires musulmanes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patrice Pliskine/Inrap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette archéologie de l’altérité contextualise aussi l’implantation ancienne des juifs en France, leur vie souvent paisible avec les chrétiens, inscrite jusque dans la juxtaposition des édifices de culte et des lieux de vie. Les inscriptions hébraïques d’un monument de Rouen au XII<sup>e</sup> siècle, le mikvé (bain rituel) de Montpellier au XIII<sup>e</sup> siècle ou le cimetière juif de Châteauroux des XII<sup>e</sup>-XIV<sup>e</sup> siècles sont autant de traits d’union, d’épisodes pacifiques, patiemment fondés sur la complexité des origines communes que la tragédie des expulsions royales des XII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles a abîmés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436419/original/file-20211208-159504-y9uh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">5Creusées dans un substrat calcaire, ces tombes du cimetière juif de Châteauroux datent des XIᵉ-XIVᵉ siècles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philippe Blanchard/Inrap</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parfois, nul besoin d’étudier un squelette pour célébrer le vivant. Un petit récipient de cuivre, maintes fois rafistolé, bouleverse et révolte : c’est la volonté farouche, l’instinct de survie des esclaves malgaches abandonnés, toute honte bue par l’équipage d’un bateau de la Compagnie française des Indes orientales sur l’îlot de Tromelin, dans l’océan indien, à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, qui jaillit (FIG.6). Sans les fards trompeurs de la dissimulation officielle.</p>
<p>La matérialité de l’archéologie assume les grands faits et révèle les petits gestes. Les élans dignes comme les pires compromissions. Elle restitue l’authenticité du rapport à l’autre. On répète souvent que l’archéologue feuillette un livre dont il arrache les pages sitôt lues. C’est une encyclopédie à ciel ouvert, sans subjectivité ni appropriation culturelle, qui sait contourner les pièges nauséabonds de l’instrumentalisation pour parler à chacun d’entre nous, de chacun d’entre nous. De nos diversités, nos zones d’ombre, nos vulnérabilités et nos différences. Cet ouvrage aux pages mouvantes n’occulte aucun chapitre, aucun paragraphe délaissé et transmet les données dans la crudité d’un demi-oubli.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436420/original/file-20211208-23-17u93sb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Récipient en cuivre fabriqué sur l’île de Tromelin par les naufragés après le départ des Français le 27 septembre 1761. Il porte de nombreuses réparations rivetées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Max Guérout/GRAN</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’archéologie, inlassablement pratiquée sur le territoire, grâce aux lois patrimoniales et à l’engagement des chercheurs, fabrique une France, jamais racornie, qui relie chaque homme et chaque femme, d’où qu’ils viennent, quoiqu’ils fassent et pensent, en déroulant mille et un détours, au si lointain bras gauche du jeune Néandertalien de Normandie.</p>
<hr>
<p><em>À lire : <a href="https://editions.flammarion.com/la-fabrique-de-la-france/9782080234704">« La fabrique de la France, 20 ans d’archéologie préventive »</a>, sous la direction de Dominique Garcia, Flammarion, Inrap, 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les données issues de la terre sont imparables et sans filtre. Elles racontent des histoires d’entraide, de partage, et aussi de violences entre les êtres humains.Valérie Delattre, Archéo-anthropologue, INRAP, Université de Bourgogne – UBFCDominique Garcia, Professeur d'Archéologie, Président de l'INRAP, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1726762021-12-01T14:54:48Z2021-12-01T14:54:48ZQui se ressemble s’assemble : les difficiles défis du contact interculturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435072/original/file-20211201-21-19rv9y4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C1%2C979%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’anxiété intergroupe et l’inconfort momentané des interactions interculturelles demeurent des obstacles de taille au vivre-ensemble harmonieux.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Comment favoriser un meilleur vivre-ensemble dans nos sociétés de plus en plus multiculturelles ? La question est d’importance, car le coût humain et social des tensions interculturelles est substantiel.</p>
<p>Le vivre-ensemble décrit le <a href="https://www.journaldemontreal.com/2016/09/26/vivre-ensemble-ou-le-vivre-ensemble">minimum vital requis pour vivre en paix avec ses voisins, sans avoir à s’y investir démesurément</a>. Ce terme se distingue de l’action de vivre ensemble, qui fait simplement référence au fait d’exister au sein d’une communauté.</p>
<p>Des évènements tragiques comme la mort de George Floyd aux États-Unis ou celle de Joyce Echaquan au Québec nous rappellent avec force l’importance du vivre-ensemble. Moins dramatique, mais tout de même révélatrice, <a href="https://www.lesoleil.com/2021/11/29/arrestation-musclee-dun-homme-noir-a-quebec-plusieurs-plaies-sont-rouvertes-00280fe21a4665d05b2465e46e963eee">l’arrestation musclée d’un jeune Noir récemment à Québec</a> démontre que des tensions et des préjugés persistent dans nos sociétés.</p>
<p>Chercheuse universitaire en psychologie sociale, cette question est au cœur de mes travaux.</p>
<h2>La recette du vivre-ensemble</h2>
<p>La psychologie sociale nous propose une solution simple pour réduire les préjugés, discriminations et stéréotypes : le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Interculturel">contact interculturel</a>, c’est-à-dire les interactions avec des membres d’un groupe ethnoculturel différent du sien. Par exemple, une personne blanche étant amie avec des personnes noires manifesterait moins de racisme envers ce groupe ethnoculturel.</p>
<p>Alors, affaire réglée ? Pas exactement. Il reste un problème de taille : les gens n’ont en général que très peu de contact interculturel au quotidien. Une de nos <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15298868.2021.1914154">études</a> a recensé le réseau d’amis et connaissances de personnes immigrantes d’origine russe au Canada. Ce réseau comptait 10,2 personnes en moyenne, mais seulement 1,7 d’entre elles étaient issues du groupe canadien majoritaire !</p>
<p>Étant donné ses bénéfices en termes de vivre-ensemble, pourquoi le contact interculturel est-il si rare ? On peut penser à deux raisons, une au niveau individuel et une au niveau sociétal.</p>
<h2>Ce qu’on connaît nous rassure</h2>
<p>Pour bien des gens, l’idée d’interagir avec quelqu’un d’un groupe ethnoculturel différent du leur suscite des inquiétudes. Ils craignent d’être incompris, gênés, de se sentir incompétents. Ils appréhendent aussi être jugés, rejetés, voire exploités. Dans des cas extrêmes, ils redoutent même des préjudices physiques, comme une attaque ou de la contamination. Enfin, ils peuvent avoir peur que leur propre groupe les désapprouve pour avoir interagi avec quelqu’un de l’extérieur. Les psychologues appellent ce faisceau d’inquiétudes l’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1088868314530518">anxiété intergroupe</a>_.</p>
<p>Ce type d’inquiétude fait en sorte que beaucoup ont tendance à éviter le contact interculturel au quotidien. Avec Myra Deraîche, maître de langue à l’UQAM, nous avons documenté ce phénomène dans une étude menée auprès d’étudiants de deux universités québécoises. Nos résultats préliminaires montrent que plus les personnes sondées ressentent d’anxiété intergroupe, moins elles sont enclines à prendre part à des activités d’échanges interculturels.</p>
<p>L’anxiété intergroupe diminue donc notre motivation à être en contact avec des personnes d’autres groupes ethnoculturels. Mais nos craintes sont-elles justifiées ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, les chercheurs Negin Toosi et ses collègues ont mené une méta-analyse – une approche synthétisant les résultats d’une série d’études indépendantes – de 108 études comparant les interactions entre personnes de même ethnicité ou d’ethnicités différentes.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1037/a0025767">résultats</a> ont montré qu’interagir avec quelqu’un d’une autre ethnicité entraîne davantage d’émotions négatives et de stress que si l’interaction a lieu avec une personne de la même ethnicité.</p>
<p>Nos appréhensions envers le contact interculturel ne sont donc pas uniquement le fruit de notre imagination. Le contact interculturel semble effectivement éprouvant – <em>à court terme</em>.</p>
<p>Cette nuance entre effets à court et long terme est essentielle. Le stress et l’anxiété générés par une interaction interculturelle s’estompent à travers le temps et s’amenuisent à mesure que nous répétons l’expérience. En somme, si une interaction interculturelle peut être ardue sur le moment, une accumulation de telles interactions a tendance à réduire les préjugés à long terme.</p>
<p>Malgré cette vision à long terme positive, l’anxiété intergroupe et l’inconfort momentané des interactions interculturelles demeurent des obstacles de taille à la généralisation du contact interculturel.</p>
<h2>Une ségrégation informelle</h2>
<p>Au-delà du niveau individuel, la ségrégation ethnique de nos sociétés – la séparation systématique des personnes selon des critères ethnoculturels – est probablement moins une chose du passé que l’on aimerait le croire.</p>
<p>Bien sûr, bien des pays ont mis en place des législations visant à formellement contrer ce type de ségrégation, qui résulte de pratiques discriminatoires. On peut penser à la Loi sur l’équité en matière d’emploi au Canada ou au <em>Fair Housing Act</em> (1968), qui interdit la discrimination dans la vente ou la location de logements aux États-Unis. Malheureusement, plusieurs études montrent que la ségrégation ethnique persiste de manière informelle.</p>
<p>Dans l’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12713753/">d’entre elles</a>, l’équipe de recherche a construit une série de cartes documentant la composition ethnique des plaisanciers sur une plage sud-africaine (période post-apartheid, en 2000). Ces cartes ont révélé des patrons d’isolement ethnique très clairs où les personnes blanches avaient tendance à occuper des zones « blanches » et vice-versa pour les personnes noires. Plus encore, les vacanciers blancs quittaient certaines zones lorsqu’elles devenaient densément occupées par des vacanciers noirs.</p>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.1177/008124630503500302">autre étude</a> a observé, en 2005, les personnes utilisant les marches d’un grand escalier extérieur menant à un bâtiment public, pour se rendre au bâtiment ou s’asseoir un moment. Un appareil photo capturait la scène entière toutes les 30 secondes. L’analyse des photos a montré que les personnes préféraient occuper différentes régions des marches selon leur ethnicité. Moins il y avait de monde sur les marches, plus cette tendance à la ségrégation ethnique s’accentuait.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Escaliers menant à un bâtiment public montrant une ségrégation" src="https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434844/original/file-20211130-13-1s3key5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tiré de l’étude de Tredoux et al. (2005). Ségrégation ethnique observée sur les marches de l’Université de Cape Town.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.semanticscholar.org/paper/Preserving-Spatial-and-Temporal-Dimensions-in-Data-Tredoux-Dixon/4b5527bd4be172e1dd1eae9f40d252edd1d7bba5">South African Journal of Psychology</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette ségrégation ethnique – aussi documentée dans les écoles, les cafétérias, les files d’attente, les bars, etc. – est complètement informelle. Aucune règle explicite n’indique qu’une personne devrait choisir telle ou telle zone. Il s’agit donc d’un système de pratiques implicites qui imprègne nos sociétés, quelque chose que le psychologue <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1751-9004.2008.00123.x">John Dixon et ses collègues</a> appellent « la microécologie de la ségrégation raciale dans les espaces de vie quotidiens ».</p>
<p>Cette ségrégation quotidienne, dont nous ne sommes généralement pas conscients, est une entrave majeure au contact interculturel. Si nous naviguons notre vie de tous les jours plus ou moins constamment entourés d’autres personnes du même groupe ethnoculturel, les opportunités de contact interculturel risquent d’être rare.</p>
<h2>Ne pas jeter l’éponge</h2>
<p>À première vue, le contact interculturel semble être une panacée pour favoriser le vivre-ensemble. Si c’en est une, elle est plutôt laborieuse et passablement rare.</p>
<p>Cela ne veut pas dire qu’il faut jeter l’éponge. Au niveau individuel, il serait important d’être conscient de l’inconfort initial des interactions interculturelles et de l’accepter. Certaines <a href="https://www.guilford.com/books/Acceptance-and-Commitment-Therapy/Hayes-Strosahl-Wilson/9781462528943">approches thérapeutiques en psychologie</a> apportent un mieux-être en amenant les individus à accepter la présence de difficultés et à agir en accord avec leurs valeurs malgré ces difficultés. Une approche semblable pourrait être envisagée pour le contact interculturel.</p>
<p>Au niveau plus large, une prise de conscience est également nécessaire, pour prendre acte de la ténacité des pratiques quotidiennes favorisant implicitement la ségrégation ethnique de nos sociétés. Il serait aussi judicieux de développer des partenariats entre les décideurs qui façonnent les espaces publics et les psychologues spécialisés dans les dynamiques du comportement interculturel. Il devrait être possible de concevoir des espaces publics qui contrent nos tendances à diviser l’espace selon des lignes ethnoculturelles.</p>
<p>Aucune de ces recommandations n’est aisée, mais le jeu en vaut la chandelle. À l’instar de Martin Luther King Jr, « I have a dream », et le contact interculturel reste une avenue prometteuse pour réaliser cette vision d’un vivre-ensemble harmonieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172676/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marina M. Doucerain a reçu des financements du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada et des Fonds de Recherche du Québec - Société et Culture. </span></em></p>La recherche en psychologie sociale propose le contact interculturel comme solution simple pour favoriser le vivre-ensemble dans les sociétés multiculturelles. Or, la situation n’est pas si simple…Marina M. Doucerain, Associate professor in social psychology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562452021-04-08T18:28:21Z2021-04-08T18:28:21ZQuand les mots disent les groupes humains<p>Organisation de la vie publique, projets de loi en débat, problèmes écologiques : tout nous ramène à la question collective et sociale – au politique en définitive. Chaque jour, les mots que nous utilisons parlent aussi de ce qui fait que nous (humains) vivons en société et comment.</p>
<p>Lien social, solidarité et « vivre ensemble », <a href="https://www.nonfiction.fr/article-10263-entretien-avec-patrick-pharo-eloge-des-communs.htm">« communs »</a>, regroupement, identité et altérité, inclusion et exclusion, ségrégation, classification et hiérarchie : au sein des sociétés, ces questions sont omniprésentes, dans nos pratiques, nos réflexions et les discours auxquels nous sommes confrontés, que ce soit dans notre vie quotidienne ou dans les médias.</p>
<p>Ainsi avec la publicité : par exemple, sur les quais du métro parisien en 2021, cette opposition <em>seul/ensemble</em>, appuyée par l’opposition (choc) entre les photos, dans laquelle le deuxième terme (<em>ensemble</em>) est valorisé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393615/original/file-20210406-17-pufwog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Affiche dans le métro de la Fondation Abbé Pierre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Lecolle</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ou, dans l’affiche suivante, où l’addition d’individualités (« je », « tu ») ouvre vers un autre possible, avec un pluriel (« ils »), lui aussi positif.</p>
<p>Sur le plan de la langue, le français offre un large éventail de formes linguistiques traitant plus ou moins directement de la vie en société.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/393617/original/file-20210406-23-p90cp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche dans la rue, « Je donne, tu donnes, ils nagent ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Lecolle</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parmi ces dernières, les noms supposés désigner le collectif – les noms de groupes humains. Aussi usuels et communs soient-ils, ces noms présentent des propriétés spécifiques sur les plans sémantique et rhétorique, opposant et parfois associant la cohésion et la dispersion, le singulier et le multiple, l’identique et le différent.</p>
<h2>Vie et relations en société : lexique, grammaire, expressions</h2>
<p><a href="https://www.peeters-leuven.be/detail.php?search_key=9789042908567&series_number_str=43&lang=fr">Dans le champ du lexique et de la phraséologie</a>, on trouve plusieurs expressions se rapportant aux relations et structurations sociales : tout d’abord, le mot <em>ensemble</em> – adverbe (<em>être ensemble</em>), déterminant (<em>l’ensemble des gens</em>), nom (<em>créer un ensemble</em>).</p>
<p>Ensuite, plusieurs expressions portent sur la constitution elle-même de groupes : <em>constituer, créer un groupe, un mouvement, une association</em> ; <em>fonder une famille, une communauté, une confrérie, un mouvement</em> ; sur le regroupement : <em>se regrouper en association</em>, <em>être, se retrouver en famille</em>, <em>(mettre) en commun</em> ou encore <em>(escroquerie) en bande organisée</em>.</p>
<p>La référence à la vie sociale est également présente dans des mots composés et des locutions : <a href="https://selp.eu/lexique/interet-general/"><em>intérêt général</em></a>, <em>bien commun</em>, <em>bien public</em>, <em>contrat social</em>, <em>corps constitué</em>, <a href="https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_1988_num_58_2_2274_t1_0211_0000_1"><em>corps social</em></a>, <em>le « vivre ensemble »</em> ; <em>(avoir) l’esprit d’équipe</em>, <em>faire équipe</em>, <em>faire société</em>.</p>
<h2>Des noms de groupes</h2>
<p>Le français, comme de nombreuses autres langues, possède des noms qui, avec une forme au singulier, désignent un groupe, c’est-à-dire une pluralité d’individus isolables mais similaires à certains égards (<em>forêt</em>, <em>bouquet</em>, <em>bétail</em>, <em>horde</em>, <em>argumentaire</em>, <em>famille</em>, <em>jeunesse</em>).</p>
<p>On les nomme des <a href="https://www.theses.fr/2006STR20059">« noms collectifs »</a>, et ils intéressent le grammairien et le linguiste, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01237999/document">à plusieurs titres</a> : à cause de la discordance entre la forme (singulier) et le sens (pluriel) et ses conséquences sur l’accord grammatical, sur les <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01893481">jeux de mots</a> qu’elle rend possibles ; à cause du flou attaché à certains d’entre eux (quelles sont les limites d’une forêt, d’une foule, d’une multitude ?) ; à cause aussi des modes d’appréhension différenciés qu’ils permettent (<a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/LING.2007.003/html">appréhension globale comme un groupe constitué, ou pointant vers les individus</a>), comme ce qui apparait dans la comparaison des deux titres suivants (<em>la jeunesse</em>/ <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/110416/le-gouvernement-sort-le-grand-jeu-pour-tenter-dapaiser-les-jeunes?onglet=full"><em>les jeunes</em></a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Manuel Valls a annoncé hier différentes mesures. La jeunesse a été écoutée. » (titre, <em>Direct Matin</em>, 12 avril 2016)</p>
<p>« Le gouvernement sort le grand jeu pour tenter d’apaiser les jeunes. » (titre, <em>Médiapart</em>, 11 avril 2016)</p>
</blockquote>
<p>Ou dans cet extrait d’une <a href="https://www.telerama.fr/idees/catherine-larrere-philosophe-l-occident-a-consomme-sa-part-d-atmosphere,129293.php">interview</a> de la philosophe Catherine Larrère (<em>l’humanité</em>/<em>les hommes</em>) :</p>
<blockquote>
<p>« Aux XVIII<sup>e</sup> ou XIX<sup>e</sup> siècles, l’humanité était encore une abstraction ; aujourd’hui, c’est devenu une réalité : tous les hommes sont sur le même bateau. Ils sont condamnés à l’intérêt général ! »</p>
</blockquote>
<h2>Se regrouper autour d’un « faire »</h2>
<p>Parmi les noms collectifs, certains désignent spécifiquement des humains : les <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2020-1-page-205.htm">« noms collectifs humains »</a> par exemple : <em>peuple</em>, <em>population</em>, <a href="https://selp.eu/lexique/mouvement/"><em>mouvement</em></a> ou encore <em>armée</em>, <em>communauté</em>, <em>association</em>, <em>comité</em>, <em>gouvernement</em>, <em>humanité</em>.</p>
<p>Ils renvoient, en particulier, à des modes ou objectifs de regroupement, à des relations humaines, à des identités communes, réelles ou supposées.</p>
<p>La société se structure par le biais de l’activité humaine (loisirs, travail) ; dans ce cadre, le regroupement des individus se base sur un « faire ». D’une manière générale, beaucoup de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01200834">noms d’humains</a> relèvent du « faire » (par exemple, pour les individus, les noms de professions et de statuts sociaux) ; mais, pour les noms collectifs humains, il s’agit plutôt d’un « faire ensemble ».</p>
<p>Voici quelques exemples : <em>compagnie</em>, <em>conseil</em>, <em>corporation</em>, <em>syndicat</em>, <em>parti</em>, <em>gang</em>, <em>bande</em>, <em>jury</em>, <em>rédaction</em>, <em>staff</em>, <em>orchestre</em>, <em>chorale</em>, <em>équipe</em>, <em>expédition</em>, <em>association</em>…</p>
<p>L’observation montre qu’ils ne se répartissent pas harmonieusement sur les réalités à nommer, mais présentent des zones de condensation voire des redondances lexicales, et aussi des manques.</p>
<p>En effet, ils sont plus ou moins nombreux et diversifiés selon les types de milieux et de regroupements sociaux (famille, école, monde du travail, monde politique, justice, religion, loisirs), mais particulièrement abondants dans certains domaines comme l’armée ou l’Église (<em>détachement</em>, <em>bataillon</em>, <em>garnison</em>, <em>légion</em>, <em>régiment</em>, <em>brigade</em>, <em>patrouille</em> ; <em>conclave</em>, <em>congrégation</em>, <em>synode</em>, et quelques autres).</p>
<p>Dans le cadre des sociétés humaines, les relations entre humains peuvent être de solidarité ou de filiation, d’amitié, ou encore de hiérarchie, de division ou de conflit. Certains noms collectifs humains sont fondés sur ces relations. En voici quelques-uns : <em>cellule</em>, <em>communauté</em>, <em>confrérie</em>, <em>couple</em>, <em>fratrie</em>, <em>famille</em>, <em>guilde</em>, <em>coterie</em>, <em>ligue</em>, <em>voisinage</em>.</p>
<p>À partir de ceci, plus spécifiquement encore, certains, comme <a href="https://selp.eu/lexique/cellule/"><em>cellule</em></a>, <em>couple</em>, <em>famille</em> allient les traits d’/unité interne/du groupe et de/partie d’un tout/, participant d’une structuration de la société.</p>
<p>Le fractionnement en parties peut également relever de l’antagonisme, ce qu’illustrent plusieurs noms collectifs : <em>faction</em>, <em>clan</em>, <em>secte</em>, <em>front</em>.</p>
<h2>Un lien entre l’appartenance au groupe et l’identité des membres</h2>
<p>D’autres noms collectifs humains posent un lien entre l’appartenance au groupe et l’identité entre les membres du groupe (« être comme » – d’un certain point de vue) : <em>fratrie</em>, <em>génération</em>, <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/public-lexique/"><em>public</em></a>, <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/societe-civile-lexique/"><em>société civile</em></a>, <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/19027"><em>opinion (publique)</em></a>.</p>
<p>Cette <a href="https://journals.openedition.org/rechercheseducations/1806">identité</a> dessine une appartenance à une même classe (au sens logique) : <em>paysannerie</em>, <em>humanité</em>, <em>jeunesse</em>, <em>patronat</em>, <em>magistrature</em>, ou, de manière plus lâche, une appartenance à un même groupe : faire partie d’un orchestre, c’est être musicien, et un orchestre est constitué d’éléments semblables en ce qu’ils sont musiciens.</p>
<p>D’une autre manière, <a href="https://scanr.enseignementsup-recherche.gouv.fr/publication/these2015USPCA024">faire partie de la droite, de la gauche, c’est être de droite, de gauche</a>. Et l’<em>opinion publique</em>, comme nom collectif, désigne un ensemble fondé sur une appartenance de ses éléments à… l’opinion publique.</p>
<h2>Flou, double sens et problèmes d’identification</h2>
<p>On terminera par une illustration succincte de <a href="https://journals.openedition.org/praxematique/3009">faits d’ambiguïté</a> avec les noms collectifs humains.</p>
<p>D’un point de vue sémantique, ceux-ci présentent, on l’a vu, une prédisposition au flou, mais aussi aux phénomènes de double sens, et ceci en particulier à cause de leur structuration en double niveau (celui du groupe et celui des éléments) évoquée plus haut, à quoi s’ajoute souvent la polysémie (propriété pour un mot d’avoir plusieurs sens, différents mais liés entre eux).</p>
<p>Ainsi dans l’exemple suivant :</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.intempestive.net/les-voix-du-peuple-l-espace-public">« Les voix du peuple : l’espace public sonore au XVIIIᵉ »</a></p>
</blockquote>
<p>Ce titre réfère à un entretien de l’historienne Arlette Farge, 23 mai 2012, à propos de l’ouvrage <em>Essai pour une histoire des voix au XVIII<sup>e</sup> siècle</em> (Bayard, 2009). Ici, <a href="https://www.cairn.info/le-peuple-existe-t-il--9782361060213-page-15.htm"><em>peuple</em></a> a deux acceptions possibles : « classe populaire » ou « totalité des individus composant une nation », et <em>les voix</em> peut s’interpréter comme « distribué » sur chaque membre du peuple, ou se rapporter au groupe.</p>
<p>L’exemple suivant (avec <em>société</em>) présente le même type d’ambiguïté (qualification des individus ou du groupe), à quoi s’associe la pratique professionnelle (recours aux statistiques, moyennes) de l’énonciateur – chercheur en sciences sociales.</p>
<blockquote>
<p>« On a une société vieille. » (France Culture, 20 mars 2006)</p>
</blockquote>
<p>C’est, avec <em>société</em> aussi, de cette même ambiguïté que joue le titre de l’ouvrage de Pierre Le Goff <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/la-societe-malade-9782234091221"><em>La société malade</em></a> (paru chez Stock en 2021) ; si l’auteur explique bien dans le descriptif que c’est de la société en tant que telle qu’il est question (« je voudrais montrer en quoi cette crise sanitaire est révélatrice d’un état problématique de notre société »), le lecteur ne peut pas ne pas envisager, en temps de pandémie, la maladie des individus, membres de la société.</p>
<p>Un dernier exemple avec le nom <em>opposition</em>, tiré d’une chronique politique radiophonique, illustrera la difficulté, pour peu qu’on y regarde de près, à circonscrire le référent d’un nom collectif humain (l’opposition) :</p>
<blockquote>
<p>« Renseignement pris auprès du gouvernement et de l’opposition, un consensus semble se dégager autour d’un report de quelques mois, un report au mois de juin. » (France Culture, novembre 2020, à propos des élections départementales et régionales, 2021)</p>
</blockquote>
<p>Alors que, avec <em>le gouvernement</em>, on sait parfaitement de qui il est question, <em>l’opposition</em> ne reçoit pas la même interprétation : étant donné la pratique journalistique, étant donné aussi le caractère composite de ladite opposition (qui comprend des groupes de tendances diverses, de la droite à la gauche jusqu’à la France Insoumise), la désignation peut valoir pour la totalité ou pour une partie, jugée représentative – et dans ce cas, laquelle ? La question n’est pourtant pas anodine. Parce que routinisée, la pratique de désignation du tout pour la partie n’est ici sans doute pas consciente, et c’est bien l’observation des noms collectifs qui permet de la déceler.</p>
<p>Les groupes humains présentent une réalité composite sur le plan politique et social. Mais la réalité n’en est pas moins riche et complexe sur le plan linguistique, celui des noms collectifs humains. Au-delà de la simple désignation de groupes humains, ceux-ci, comme outils lexicaux et discursifs, interrogent le rapport du groupe aux sous-groupes et à l’individu, et participent de la représentation de ces groupes, voire de leur constitution – langagière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michelle Lecolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chaque jour aussi, les mots que nous utilisons parlent de ce qui fait que nous (humains) vivons en société et comment.Michelle Lecolle, Linguiste, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514992021-01-14T19:52:41Z2021-01-14T19:52:41ZAvons-nous besoin de la nation pour être solidaires ?<p>Fin décembre, le journal <em>L’Express</em> livrait en exclusivité un <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/exclusif-identite-crisesanitaire-complotisme-macron-l-entretien-confession_2141234.html">entretien-fleuve</a> avec le Président Macron. Ce dernier revenait notamment sur son attachement à l’identité française :</p>
<blockquote>
<p>« Il me semble qu’être Français, c’est d’abord habiter une langue et une histoire, c’est-à-dire s’inscrire dans un destin collectif.</p>
<p>C’est aussi une citoyenneté définie par des valeurs “liberté, égalité, fraternité, laïcité” qui reconnaissent l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout. »</p>
</blockquote>
<p>S’il rejette toute approche « par le sang » le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/complotisme-integration-petain-et-privilege-blanc-les-grands-sujets-de-l-interview-de-macron-a-l-express-20201222">discours du président français</a> s’inscrit dans la continuité d’autres prises de paroles depuis le début de la crise sanitaire. Or s’il insiste sur l’importance de la nation, de la cohésion nationale, le président français néglige l’impact d’une solidarité étatique, à l’instar de ses prises de paroles en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/18/etat-providence-encore-un-effort-monsieur-le-president_6033567_3232.html">mars 2020</a> qui avaient suscité <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/03/23/macron-et-le-mirage-de-l-etat-social_1782677">l’interrogation</a>.</p>
<p>En effet, ses positions semblaient effectuer un virage radical vis-à-vis de ses promesses électorales sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/programme-d-emmanuel-macron-entre-liberalisation-de-l-economie-et-modernisation-de-l-etat-providence_2078283.html">« modernisation de l’État-providence »</a>.</p>
<p>De fait, Emmanuel Macron a fait depuis son élection, la promotion d’une solidarité libéralisée, générée par les choix individuels et non par l’État, comme <a href="https://theconversation.com/de-limpossible-solidarite-en-milieu-liberal-79462">l’explique Yoann Bazin</a>.</p>
<h2>Une solidarité nationale et non une solidarité étatique</h2>
<p>Or, en examinant plus en détail les discours d’Emmanuel Macron, on peut distinguer deux formes de solidarité.</p>
<p>D’une part, la solidarité générée par l’État à destination des acteurs vulnérables. Au printemps, cette solidarité a été notamment à destination des entreprises avec le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/covid-les-entreprises-encore-fermees-vont-beneficier-dun-fonds-de-solidarite-plus-genereux-1267976">fonds de solidarité</a>, mais aussi dans une moindre mesure pour les soignants avec une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14020">prime pouvant aller jusqu’à 1 500 euros</a> sous certaines conditions.</p>
<p>D’autre part, la solidarité nationale qui est une solidarité sollicitée par l’État mais qui n’est pas nécessairement mise en œuvre par lui. Cette solidarité est articulée autour de l’imaginaire de la nation comme <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00083968.2011.9707533">communauté unie</a> : il faut être solidaire non car nous avons des institutions communes que nous choisissons collectivement, mais parce que nous héritons d’une origine et d’une identité commune.</p>
<p>Étonnamment, dans les discours de mars à juin, cette solidarité est associée à des formes non étatiques du lien social, en particulier la famille. Dans ce contexte, pourquoi est-il important de distinguer solidarité étatique et solidarité nationale ?</p>
<h2>Un pays, plusieurs nations ?</h2>
<p>Dans les discours prononcés en mars et avril 2020, le chef de l’État parle de « mobilisation solidaire et nationale », de « protection de la cohésion nationale » afin de faire solidarité.</p>
<p>Le président affirme plus tard que la nation soutiendra ses « enfants » dans leur effort de solidarité. Ici, le sens original du mot nation devient plus clair : la nation vient du latin <em>natio</em>, qui <a href="https://plato.stanford.edu/archives/fall2020/entries/nationalism">réfère à la naissance</a>.</p>
<p>En science politiques, la <a href="https://plato.stanford.edu/entries/nationalism/">nation</a> est un peuple qui se reconnaît comme tel par des attributs communs tels qu’une histoire, une langue, des symboles et des valeurs.</p>
<p>Alors que l’État est l’institution politique qui détient le monopole de la violence légitime sur un territoire donné, selon la vieille formule de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-sociologie/">Max Weber</a>.</p>
<p>Un État peut ainsi faire cohabiter plusieurs nations qui ont leur propre identité, comme au <a href="https://www.willkymlicka.ca/publications/books/multicultural-citizenship">Canada</a>. On peut penser évidemment à la province du Québec qui bénéficie de pouvoirs supplémentaires afin de préserver la culture québécoise, mais aussi aux Premières Nations, aux Inuits ou aux Métis.</p>
<p>En France les deux concepts sont confondus, on parle d’ailleurs de nationalité française pour désigner la possession des droits politiques alors que dans la plupart des autres pays il est question de citoyenneté.</p>
<h2>La nation est aussi basée sur des éléments non démocratiques</h2>
<p>Cette confusion a tendance à nous faire oublier que la nation est basée sur des éléments arbitraires car non choisis à la naissance (on ne choisit pas notre langue maternelle) et non démocratiques.</p>
<p>La nation est souvent présentée comme un état de fait, et non sous son aspect civique, son aspect imaginé collectivement comme l’explique <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_imaginaire_national-9782707150073">Benedict Anderson</a>.</p>
<p>Utiliser la nation pour parler de solidarité met l’emphase sur la dimension ethnique de l’entre-aide et non sur sa dimension politique.</p>
<p>Ainsi, Emmanuel Macron évoque souvent la nation comme une injonction à l’entre-aide individuelle et non comme une solidarité organisée par l’État. Le 16 mars, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-covid19">Emmanuel Macron</a> a par exemple systématiquement associé responsabilité individuelle et solidarité. Faisant reposer l’effort de solidarité non pas sur une interaction entre des citoyens et leur démocratie, mais sur des comportements individuels afin d’« inventer de nouvelles solidarités ».</p>
<p>Ces nouvelles solidarités évoquées par le chef de l’État sont prises en charge par des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/17/jamais-on-n-avait-vu-un-tel-engagement-le-confinement-provoque-un-elan-de-solidarite_6036862_3224.html">réseaux nationaux informels</a>, basée sur la lignée, la proximité géographique ou sociale. Par exemple, les voisins d’un petit immeuble à Toulouse se sont <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/xxx-1604862396">entre-aidés dans l’achat de vivres</a>.</p>
<p>En sommes, des solidarités non étatiques et non démocratiques.</p>
<h2>Solidarité et diversité nationale</h2>
<p>Les chercheurs spécialisés mettent en garde contre l’existence d’un biais national dans notre façon d’envisager la solidarité. On parle alors de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1467-9248.12167">nationalisme méthodologique</a> lorsque la nation est tenue pour un acquis, non questionné.</p>
<p>Les études concernant la solidarité subissent tout particulièrement les effets de ce biais avec l’existence d’une controverse importante depuis une trentaine d’années appelée <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199289172.001.0001/acprof-9780199289172">« dilemme progressiste »</a>.</p>
<p>Cette controverse propose d’expliquer l’affaiblissement des États-providence par l’augmentation de la diversité culturelle dans certains pays occidentaux, qui viendrait miner la nation comme moteur de la solidarité.</p>
<p>Cette diversité viendrait mettre en péril la <a href="https://www.prospectmagazine.co.uk/magazine/too-diverse-david-goodhart-multiculturalism-britain-immigration-globalisation">cohésion nationale</a>. Emmanuel Macron évoque largement cette idée dans son entretien pour <em>L’Express</em> en reprenant l’idée <a href="http://archive.wikiwix.com/cache/?url=https%3A%2F%2Fwww.marianne.net%2FL-Bouvet-Le-vote-Le-Pen-temoigne-aussi-de-l-insecurite-culturelle_a217144.html">d’insécurité culturelle de Laurent Bouvet</a> qui décrit un sentiment d’insécurité que ressentirait la majorité culturelle d’un pays lorsqu’elle est face à la diversité culturelle. Dans cet entretien, le président de la République définit ce qu’est « être Français ». Il met en premier la nation et son histoire et seulement ensuite la citoyenneté et ses institutions.</p>
<p>Aujourd’hui, de plus en plus d’études remettent en cause l’existence d’un tel <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-strains-of-commitment-9780198795452?cc=fr&lang=en&">dilemme</a> entre nation et solidarité. Pourtant, le lien entre nation et solidarité reste important dans les débats publics. Se pose alors la question suivante : avons-nous besoin de la nation pour être solidaires ?</p>
<h2>Quel est le coût d’une solidarité pensée uniquement à travers la nation ?</h2>
<p>Si le coût de la solidarité étatique est <a href="https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/article/2018/06/13/pour-macron-les-aides-sociales-coutent-un-pognon-de-dingue-sans-resoudre-la-pauvrete_5313870_5008430.html">souvent posé</a>, celui d’une solidarité nationale l’est plus rarement.</p>
<p>Quel est le prix à payer de concevoir collectivement la solidarité uniquement à l’intérieur du concept de nation ?</p>
<p>La littérature nous donne une bonne idée de ce coût lorsque les auteurs expliquent comment le concept de nation peut être excluant lorsqu’il est construit sur des imaginaires racialisants. Les nombreux travaux sur les paradoxes de l’universalisme à la française nous le montrent : l’évocation de la nation permet d’exclure certains groupes sous couvert de servir un idéal national.</p>
<p>Les travaux sociologiques renseignent sur l’exclusion des citoyens français perçues comme noires et arabes. Par exemple, on remarque que la <a href="https://journals.openedition.org/lctures/28685">réussite scolaire n’est pas répartie également</a> en fonction de la couleur de peau ou de leurs « origines perçues » des élèves. D’autres travaux montrent comment les citoyens français perçus comme non-nationaux sont traités différemment dans les services <a href="https://www.cairn.info/revue-europeenne-des-migrations-internationales-2012-2-page-11.htm">publics de santé</a>. Par exemple, des entretiens avec des médecins révèlent comment ces derniers ont tendance à exclure les personnes noires du processus de soin, en leur laissant moins le choix car ils partent du principe qu’elles sont moins aptes à comprendre.</p>
<p>Sous prétexte de forger un commun, l’évocation d’une solidarité nationale semble aussi une façon d’effacer la manière dont les personnes sont touchées différemment par les aléas de la vie en fonction de ces facteurs structurels.</p>
<h2>Aux origines de la solidarité en politique</h2>
<p>Il semble donc urgent de prendre le temps de s’interroger sur la façon dont nous voulons faire solidarité en tant que communauté politique et non plus seulement comme nation.</p>
<p>De nombreux chercheurs <a href="https://www.psupress.org/books/titles/978-0-271-03400-3.html">regrettent l’absence</a> de ces questionnements aujourd’hui. La solidarité est souvent évoquée comme un concept creux, comme une rhétorique politique. Or, elle a été au XIX<sup>e</sup> siècle en France l’objet d’intenses débats philosophiques, sociologiques et politiques.</p>
<p>La philosophe Marie-Claude Blais retrace <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/1928">l’histoire française de la solidarité en politique</a> comprise comme une obligation de chacun pour tous et de tous pour chacun. Son travail montre comment le nationalisme du XIX<sup>e</sup> siècle a contribué à forger les premières politiques sociales et les premiers jalons de la culture sociale française.</p>
<p>Mais son travail montre aussi que la solidarité reflète avant tout un projet de société afin d’organiser collectivement la vulnérabilité des individus.</p>
<h2>Inclure la diversité au cœur de la solidarité</h2>
<p>Elle n’est pas qu’une injonction convoquée en période de crise. La solidarité peut-être associée sur la durée à des valeurs politiques fortes. À l’époque elle était liée à la laïcité, car la jeune III<sup>e</sup> République voulait se démarquer du projet collectiviste proposé par les socialistes tout en offrant une alternative laïque à la charité chrétienne.</p>
<p>La lecture de l’ouvrage de <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/1928">Marie-Claude Blais</a> nous montre que déjà au XIX<sup>e</sup> siècle, la question de la diversité se posait. Certains comme <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_Secr%C3%A9tan/143733">Charles Secrétan</a> et <a href="https://journals.openedition.org/studifrancesi/13771">Constantin Pecqueur</a> pensaient que la solidarité impliquait une <a href="https://pufc.univ-fcomte.fr/i-de-la-republique-i-de-constantin-pecqueur-1801-1887.html">homogénéité religieuse</a>. D’autres, au contraire, comme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k82174x.image">Charles Renouvier</a> et <a href="https://www.cairn.info/de-la-division-du-travail-social%20--%209782130619574-page-391.htm">Émile Durkheim</a>, envisagent la solidarité comme résultant d’une volonté à s’entendre sur des principes moraux et juridiques, qui peuvent avoir lieu dans des espaces aux identités diversifiées.</p>
<p>On pourrait aujourd’hui faire un parallèle avec la diversité religieuse en France entre athées, chrétiens et musulmans. La solidarité pourrait à nouveau être une façon d’unir sans pour autant ignorer que les citoyens ne sont pas également vulnérables face aux risques sociaux. Par exemple, accepter qu’une personne qui subit le racisme ou le sexisme soit plus vulnérable qu’une autre qui ne subit aucun des deux et donc proposer des systèmes de solidarité qui en tiennent compte.</p>
<p>Jusqu’au début du XX<sup>e</sup> siècle la solidarité était perçue comme un projet politique fort, qui permettait de construire le vivre ensemble tout en forgeant l’identité collective. Aujourd’hui, la question a plutôt tendance à être posée dans l’autre sens : l’État demande d’abord aux citoyens de faire nation, d’être en cohésion, et seulement ensuite il met en place des politiques sociales qu’il imagine fondé sur ce socle national.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Boursier reçoit des financements du Fonds de recherche du Québec société et culture dans le cadre de sa thèse.</span></em></p>L’utilisation de la nation pour penser nos politiques sociales n’est pas le meilleur moyen d’organiser politiquement la solidarité.Tristan Boursier, Doctorant en Science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1487432020-11-29T17:52:15Z2020-11-29T17:52:15ZL’identité, redoutable enjeu politique<p>Comment faire de l’identité, même sans en avoir l’air ? Tel pourrait être le mot d’ordre politique des vingt dernières années en Europe.</p>
<p>En 2007, dans une France qui constitue souvent l’expression exacerbée des changements politiques du continent, Nicolas Sarkozy scande une campagne présidentielle très controversée au tambour de <a href="https://www.liberation.fr/france/2009/11/02/l-identite-nationale-selon-sarkozy_591481">l’identité nationale</a>, puis peine à institutionnaliser la thématique comme catégorie d’action publique.</p>
<p>Une décennie plus tard, en 2016-2018, Emmanuel Macron s’essaie brièvement à relancer ce même débat sur <a href="https://en-marche.fr/articles/actualites/emmanuel-macron-lidentite-francaise">l’identité française</a>, avant d’en revenir très vite à une célébration des valeurs nationales, des normes de civilité républicaine et de la laïcité.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/R_FBzIiWMXY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron – L’identité française.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans les années 2000, les institutions de l’Union européenne s’acharnent à promouvoir une <a href="https://theconversation.com/peut-on-parler-dune-identite-europeenne-116687">identité européenne</a> imitant la construction stato-nationale dans la recherche d’une charte fondamentale, d’un mythe des origines et d’une culture partagée. L’échec de la constitution européenne et sa réduction au beaucoup moins messianique <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/5/le-traite-de-lisbonne">traité de Lisbonne</a> ouvrent la voie à une nouvelle ère de communication mettant en avant les <a href="https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2012_hos_2_1_1454">valeurs européennes</a>. Le collège des Commissaires prenant fonction en 2019 comprend ainsi deux portefeuilles consacrés aux valeurs et à la transparence ainsi qu’à la promotion du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life_fr">mode de vie européen</a>.</p>
<p>Que traduit ce glissement de l’identité aux valeurs ? Comme toujours, le symbolique exprime les dynamiques du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/le-journal-de-la-philo-du-jeudi-21-novembre-2019">vivre-ensemble</a> et du pouvoir, notamment sur trois points : la recomposition des rapports entre politique et économie ; l’informalité croissante de la régulation politique et sociale ; la volatilité des frontières.</p>
<h2>De l’individuation aux identités multiples</h2>
<p>Le répertoire des valeurs est pleinement compatible avec l’ethos du marché. Les mêmes valeurs informent le management public et celui des grandes entreprises privées : transparence, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00489237/document">bonne gouvernance</a>, compétitivité, innovation, soutenabilité. Les experts en éthique circulent d’un univers à l’autre. Cette communauté de langage et de références facilite l’interpénétration des secteurs économique et politique. Elle illustre pour une part le renversement d’influence, le premier tendant à prendre le pas sur le deuxième. Mais elle traduit aussi des mutations structurelles qui impactent également les deux secteurs.</p>
<p>L’une de ces mutations est la poursuite de <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-des-histoires-de-vie-et-de-la-recherch--9782749265018-page-101.htm">l’individuation des sociétés</a>. Cet individu-roi se coulera difficilement dans une identité contraignante qui postule l’uniformité et la continuité. Il adhérera plus facilement à des valeurs laissant la part à la spontanéité, au choix à la carte, au droit de retrait.</p>
<p>Une autre mutation est celle de la <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-metamorphoses-de-la-regulation-politique_fr_10840.html">régulation politique</a>, qui prend désormais de moins en moins la forme d’un pouvoir éloigné et hiérarchique agissant par l’injonction et le droit.</p>
<p>Aujourd’hui, le travailleur de l’économie de la connaissance, le citoyen digital, l’étudiant de l’Europe de Bologne, l’artiste devenu « créateur » sont invités à l’auto-ajustement à une norme diffuse, qui s’exprime à travers des modèles, des incitations, des distinctions conférées par les pairs ou par la masse et énoncées en termes de valeurs. La reconnaissance symbolique n’est plus – ou plus seulement – octroyée par la nation pour l’ensemble d’une œuvre ou d’une vie, à lire dans la statuaire, dans les livres d’histoire, sur les pièces de monnaie ou les timbres. Elle s’exprime par l’addition de plébiscites éphémères, des « likes » des réseaux sociaux aux prix en tous genres récompensant ceux qui incarnent au mieux les normes de réussite, laissant aux autres la responsabilité de leur échec.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MVRMTLkPJgY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Nous avons essayé de comprendre s’il existe une identité européenne ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Enfin, à la tyrannie rigide des identités qui dans leur forme classique renvoient à un <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part1/frontieres-territoire-securite-souverainete?page=3">territoire</a>, une temporalité et un centre agissant, les valeurs substituent des frontières mouvantes (mais pas moins excluantes) dessinant une altérité à géométrie variable.</p>
<p>Que l’on soit en deçà ou au-delà du Quiévrain, des Alpes, de la Manche, des Balkans, de la Méditerranée, de l’Atlantique ou de l’Oural, l’appartenance partagée se joue – au choix – selon l’adhésion aux droits de l’homme, à l’état de droit, à l’héritage chrétien, à la moralité traditionnelle, aux vertus du marché ou de l’innovation scientifique. Jouer des valeurs en accordéon, en soulignant leur universalité puis en les repliant sur une acceptation idiomatique, permet de parcourir instantanément toute l’échelle entre le <a href="https://www.cairn.info/concepts-en-sciences-infirmieres-2eme-edition--9782953331134-page-66.htm">« nous » et « les autres »</a>.</p>
<h2>Retour vers le particularisme ?</h2>
<p>Où en est-on aujourd’hui, et que peut-on escompter pour l’avenir ? L’incantation des valeurs démocratiques et libérales démentie par des pratiques divergentes risque de sonner de plus en plus creux. La segmentation de la globalisation en rivaux systémiques contredit la prétention à l’universalité de ces valeurs. L’éternel retour du fantasme du <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/457">« choc des civilisations »</a> contribue à re-provincialiser l’Europe. Les tentations autoritaires et conservatrices questionnent la victoire du libéralisme culturel.</p>
<p>Il n’est pourtant pas acquis qu’on assiste à un retour des identités de naguère. La saga du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-Brexit-nest-debut-crise-venir-2020-01-31-1201075447">Brexit</a> montre, à tous les niveaux territoriaux (du local à l’européen), autant la résurgence d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-2-page-113.htm">nationalisme ethnique</a> rêvant d’une restauration de la congruence entre culture et politique (tous ensemble et semblables sous un pouvoir souverain) que l’extrême complexité de l’exercice.</p>
<p>Les formes de <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/la-montee-des-populismes-en-europe-3-minutes-pour-comprendre.html">populisme</a> qui fleurissent sur tout le continent mettent en exergue les vertus d’un peuple idéalisé (les masses opposées aux élites, le peuple du passé face à sa forme contemporaine dégradée, le « nous » par rapport aux « autres ») mais ce peuple défini par oppositions ne se confond pas avec celui du nationalisme qui postule l’unité et la continuité de la communauté politique. La violation des valeurs inscrites dans le droit (de l’état de droit à la souveraineté en passant par l’égalité) les transforme en simulacres politiques abstraits et peu crédibles (d’où leur reformulation en un « mode de vie » beaucoup plus concret, sans être plus précis pour autant).</p>
<p>Terminons cette réflexion prospective avec deux prophètes qu’on peut espérer être des Cassandre dans l’erreur plutôt que des oracles avertis. Dans cet autre constitutif de l’Europe que sont les <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9911-tocqueville-publie-de-la-democratie-en-amerique">États-Unis et qui annonce souvent son futur</a>, le chaos provoqué par Donald Trump et qui survivra à sa défaite électorale ne renvoie ni à la restauration conservatrice d’une identité traditionnelle américaine, ni à un charisme transformateur voué à se routiniser dans une nouvelle expression durable du vivre ensemble.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Q_zrfeTbEVs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Marche de la paix et discours de Viktor Orban le 15 mars 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>En Europe, le premier ministre hongrois <a href="https://theconversation.com/vers-lorbanisation-de-leurope-94993">Viktor Orban</a> énonce un agenda qui combine sans les intégrer des valeurs composites sous la bannière d’une « liberté chrétienne » constituée par : « les patriotes plutôt que les cosmopolites, le patriotisme plutôt que l’internationalisme, le mariage et la famille plutôt que la promotion des relations homosexuelles, la protection des enfants plutôt que la libéralisation de la drogue, la protection des frontières plutôt que les migrants, et la culture chrétienne plutôt que le méli-mélo multiculturel ». L’incapacité de ces rhétoriques à renouveler la légitimation politique suggère que, au-delà de l’identité, des valeurs et des modes de vie, un nouveau récit est toujours à venir.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’une réflexion collective de synthèse et prospective <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">« 20 ans déjà, 20 ans demain. 2000-2020-2040 »</a> sur quelques évolutions politiques majeures à l’occasion des 20 ans du <a href="https://cevipol.centresphisoc.ulb.be/fr/accueil-0">Cevipol</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148743/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Foret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les aller-retour entre identité et valeurs semblent définir la légitimation des ordres politiques européens de ces deux dernières décennies.François Foret, Professeur de science politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1365792020-06-25T18:16:54Z2020-06-25T18:16:54Z« Les enfants, à table ! » : leçons alimentaires en confinement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344061/original/file-20200625-33511-1na77xz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1500%2C972&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un repas réunit toute la famille autour d'une table.</span> <span class="attribution"><span class="source">D.R.K. Stengel</span></span></figcaption></figure><p>Pendant les récentes semaines de confinement, la table familiale a repris du service, réactivant des modes de transmission et de partage parfois oubliés. Chacun de nous reçoit – profite ou subit – une éducation alimentaire à un moment donné de son histoire, dans un pays donné, au sein d’un groupe social donné. Chacun appartient à une culture alimentaire issue d’une éducation alimentaire. Si bien qu’il est juste de dire que notre alimentation et la définition que l’on donne à la gastronomie sont marquées par notre éducation.</p>
<p>On pourrait dès lors considérer que l’alimentation, comme le fait de bien manger, est un fait social, héritier d’habitudes socialement admises. Autour de la table se rassemblent les membres d’un même groupe social, selon certains critères, certaines coutumes, certains rites alimentaires et modes opératoires.</p>
<p>Alors qu’est-ce que nos enfants auront finalement appris de ces repas familiaux en confinement ? En quoi la table est-elle un lieu de transmission ? Quels modes de transmission y sont possibles ?</p>
<p>Plusieurs études, <a href="https://hal.inrae.fr/hal-02801891/document">françaises</a> et/ou <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20120919_acculturationchinoise.pdf">multiculturelles</a>, montrent que l’alimentation est un vecteur important dans l’intégration des nouvelles générations ou nouvelles populations au sein d’une <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=DAyODwAAQBAJ">société</a>, et dans la transition d’une génération à l’autre.</p>
<p>Les premiers contacts et échanges intersociétaux ou intergénérationnels sont souvent abordés par l’angle du <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2005-7-page-89.htm">sujet discursif alimentaire</a>, via les rapports, contrastes, ruptures, modifications ou continuités de modèles, de concepts, de représentations ou de rites. Autrement dit, nos enfants adolescents nous font part de leur plaisir fastfoodien, qui ne correspond pas forcément à la représentation adulte du « bien-manger ». Et en contrepartie, nous racontons à nos enfants le plaisir dégustatif de l’accord d’un bœuf bourguignon avec un vin tannique, qui ne les fait pas « kiffer ». Chacun avec ses propres <a href="https://www.erudit.org/en/journals/cuizine/1900-v1-n1-cuizine04600/1059909ar/abstract/">paradigmes</a> et <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=65933">terminologies</a> dessine ses choix et discours alimentaires.</p>
<h2>Rituels du manger ensemble</h2>
<p>Le rôle des rituels dans les interactions ordinaires semble inévitable pour vivre ensemble et communiquer avec autrui. Quand on est assigné à domicile, comme ce fut le cas pendant le confinement pour un grand nombre d’entre nous, le repas du dimanche ressemble à ceux de la semaine. Ces déjeuners quotidiens, habituellement partagés à la cantine, redeviennent, en famille, un vecteur important d’échanges.</p>
<p>Notons cependant que le rituel du manger ensemble, à table, perd du terrain y compris en France, un <a href="https://www.leparisien.fr/societe/un-francais-sur-trois-ne-mange-pas-a-table-07-02-2017-6661161.php">Français sur trois ne mange pas à table</a>, les <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2005-2-page-51.htm">trois repas quotidiens à table ne sont plus une référence</a>, et nombre de jeunes dînent dans leur chambre assis sur leur lit ou à leur bureau.</p>
<p>Au cours du repas, habituellement composé d’interactivités sociales à la cantine, où les références culturelles s’échangent démocratiquement comme des cartes Pokemon, les rapports intergénérationnels à la maison donnent plus de place à la ritualisation conservatrice de ce moment. La période de confinement que nous venons de vivre a remis en lumière la « vie ordinaire », le rôle du rituel et les inévitables interactions, là où se fait l’acquisition du <a href="https://www.legrandrepas.fr/notre-association/">« vivre ensemble »</a> et de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OdgX-Nt3Ws4">« cohésion sociale »</a>. La table reste le lieu privilégié pour observer ces deux concepts dans un cadre sociologique.</p>
<h2>Te transmettre, mon fils !</h2>
<p>Les Français sont des producteurs et <a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Connaissance-des-patrimoines/Actualites/In-Situ-n-41-Patrimoines-gastronomiques.-Definitions-typologies-et-enjeux-de-conservation">protecteurs d’un savoir-faire patrimonial</a>. Toujours en quête de nouvelles formes de transmission, à l’école, en famille, entre amis, et maintenant sous forme de visioconférences ; les <a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">modes de transmission y évoluent constamment</a>.</p>
<p>La ritualisation de cette transmission de savoirs ou savoir-faire se cristallise autour du repas. Les générations successives y expriment chacune leur faire valoir (espace de distinction sociale) et leur faire savoir (espace de narration), au-delà des simples souvenirs gastronomiques, des madeleines de Proust, des souvenirs gustatifs d’enfance ou de voyage. C’est bien là, dans <a href="https://theconversation.com/nouvelles-pratiques-de-communication-nouvelles-pratiques-de-socialisation-48897">ces espaces sociaux</a>, qu’évoluent les pratiques. L’enfant a pu avoir l’occasion de participer, par obligation comme par plaisir, en période de confinement, à la préparation du repas et à appréhender les façons de faire, d’être ou de s’exprimer sur le sujet. Pour les étudiants qui attendaient la réouverture des portes de leurs écoles, lycées et universités, la table forcément familiale est alors devenue, toute la semaine, un espace d’initiation aux rituels et d’intégration des codes, qui se fait habituellement dans un espace de restauration collective.</p>
<p>La transmission de savoirs et de savoir-faire est un <a href="https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/manger-l%E2%80%99oeil">objet d’étude pour les sciences humaines de l’alimentation</a>, comme une illustration de la singularité de l’espèce humaine. Le <a href="https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003">patrimoine immatériel</a> alimentaire trouve les origines de son évolution dans une déclinaison à l’origine orale puis écrite. Dans l’histoire de notre société, la transmission du geste comme de la parole est à l’origine de l’évolution de la préparation des besoins alimentaires, et vice-versa. L’imprimerie comme la peinture ont créé une rupture historique de cette pratique du repas visuelle et gestuelle. L’époque communicationnelle que nous vivons sépare, elle aussi, le prescripteur de son auditeur par un écran de tablette. Le repas familial lui n’est pas déshumanisé, il reste intact.</p>
<p>La table réunit, extériorise l’expression d’une transmission orale, intercalée d’incorporations de bouchées qui préconisent le silence, car « on ne parle pas la bouche pleine » dit l’adage. Au-delà des échanges, des conversations et des silences, le fait même de partager des repas, d’observer ou de participer à leur préparation, et d’en parler en famille, représente une forme de transmission en soi. Si certains parents soulignent le besoin de <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/3258">transmettre un savoir-faire familial</a>, faut-il pour autant uniquement reproduire les mêmes prescriptions ? Les rituels familiaux aussi exceptionnels sont-ils, détermineront-ils ce qui est bon à produire et à manger pour les générations à venir ? Le prescripteur doit-il fonder sa transmission sur un apprentissage répétitif ou réflexif ? Ne faudrait-il pas que l’enfant puise sa propre opinion du manger ensemble, comme du savoir manger, dans son vécu alimentaire, y compris hors cercle familial ? Car c’est ainsi que se crée une société pluriculturelle : une culture du repas et de l’alimentation, comme dans notre société, relève forcément d’un assemblage de rites.</p>
<p>La période du confinement aura peut-être donné un nouvel élan au concept du « manger-ensemble ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kilien Stengel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est à l’occasion de périodes exceptionnelles, à l’intérieur de la maison, que se fait l’acquisition de valeur la plus importante : vivre ensemble. La table est le lieu privilégié pour l’observer.Kilien Stengel, Enseignant spécialiste des discours gastronomiques et alimentaires, chercheur associé, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1388532020-05-27T18:15:33Z2020-05-27T18:15:33ZCe que jeûner indique de notre sociabilité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337397/original/file-20200525-106862-1o5lbdt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C213%2C2910%2C2169&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration du jeûne dans la culture occidentale : une assiette vide avec un verre d'eau.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e5/Fasting_4-Fasting-a-glass-of-water-on-an-empty-plate.jpg">Jean Fortunet/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La distanciation physique respectée (qui ne concerne pas <a href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782757841990-la-dimension-cachee-edward-t-hall/">l’impact du son traversant notre bulle proxémique</a>) – n’empêche nullement, dans l’espace public, d’entendre des « confessions » de promeneurs, joggers ou clients attendant devant les commerces de « première nécessité ».</p>
<p>Ils informent à voix haute des « proches virtuels » des évènements de leur intimité confinée et l’on apprend ainsi qu’ils pratiquent un jeûne, que ce soit à l’occasion de Ramadan conclu ce 24 mai ou pour une « détox ».</p>
<p>Paradoxalement, à l’heure où une partie de la population n’a plus la possibilité économique d’accéder à une alimentation suffisante, de multiples médias proposent une offre, mercantile ou non, qui encourage ou justifie cette pratique abstinente. Et d’évoquer le jeûne religieux, thérapeutique, « détox », intermittent, « pour maigrir »… La sociologie peut préciser et compléter cette typologie pour en saisir la « dimension cachée ».</p>
<h2>Monothéismes</h2>
<p>Le jeûne est commun aux trois religions monothéistes. Ce rituel du jeûne est spécifique à chacune et correspond à des attentes différentes. Dans le judaïsme, le jeûne de Moïse (40 jours) perpétué par le Yom Kippour (limité à une journée) a vertu d’expiation, d’obtention du pardon de Yavhé et de rejeter la <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-De_la_souillure-9782707148117.html">souillure</a> potentielle de nos incorporations dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-histoire-des-religions-2007-1-page-111.htm">quête de la pureté</a> qui permit à Moïse de recevoir les Tables de la Loi.</p>
<p>Jésus jeûne aussi 40 jours dans le désert, mais à travers le déni d’aliments il s’agit de renoncer à son corps, à toutes les tentations auxquelles il pourrait être soumis, valorisant ainsi la spiritualité permettant d’approcher Dieu.</p>
<p>Dans l’islam, le Ramadan correspond au 9<sup>e</sup> mois du calendrier lunaire, celui où l’archange Gabriel révèle le Coran à Mahomet. Le jeûne diurne facilite une réflexion sur soi, un contrôle et une connaissance de son corps réflexif ainsi qu’un temps de partage spirituel qui devient, la nuit tombée, un partage des nourritures, un renforcement du lien social.</p>
<p>Pour compléter ce rapide survol du jeûne religieux, mentionnons l’importance du <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-meditants-hindous-et-taoistes-peuvent-nous-enseigner-de-lisolement-135780">taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme</a> qui font système, aujourd’hui, avec des théories « new age ».</p>
<h2>Jeûner ensemble</h2>
<p>L’obligation de confinement a coïncidé avec deux périodes de jeûnes religieux (la fin du Carême et le début du Ramadan) dont la pratique inclue dans un groupe référent, crée une filiation, affirme une appartenance. Ces fonctions rassurent dans un contexte anxiogène bien souvent vécu dans une relative solitude.</p>
<p>Avant d’aborder les autres types de jeûnes, deux remarques doivent être faites d’un point de vue sociologique. D’abord, au moment où se développe une précarité alimentaire avec les conséquences économiques du Covid-19, la revendication d’un excès de rien pour s’opposer à l’excès du trop est parfois un privilège qui exprime une « distanciation sociale » (là l’expression est juste). Ensuite, cette période n’a pas été vécue de la même façon selon que l’on était seul·e, à deux ou plus.</p>
<p>Il faut alors <a href="https://lea.univ-tours.fr/membres/publications-de-jean-pierre-corbeau-1-2--331772.kjsp">distinguer</a> entre convivialité (vivre ensemble et communiquer de manière agréable) et <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_des_cultures_alimentaires">commensalité</a> (manger ensemble sans nécessairement communiquer et sans obligation de partage d’une nourriture commune).</p>
<p>Notons que ces dernières semaines, ces deux formes de sociabilité eurent souvent recourt à la médiation de nombreuses applications. Comme le télétravail, la convivialité médiatisée ne nécessite pas la présence physique d’un autrui (on exclue les informations sensorielles corporelles – odeur, postillons, chaleur, toucher, etc.- de la communication) et elle permet de « maîtriser » le temps de la relation en mettant fin à la connexion.</p>
<p>La commensalité des « apéro-skype » prolonge – à distance – le partage des boissons et des « victuailles » avec des amis.</p>
<p>Ces pratiques ont diminué le sentiment d’isolement ou les tensions de l’entre-soi.</p>
<p>Ainsi, vous n’avez plus « obligation » de commensalité « physique » et les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-tyrannies-de-l-intimite-richard-sennett/9782020215657">tyrannies de l’intimité</a> qu’elle engendre, comme devoir s’asseoir en face de l’autre même à contrecœur, échanger alors que nous avons envie de calme etc. Jeûner devient alors un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Rites_d%E2%80%99interaction-2091-1-1-0-1.html">rituel d’évitement</a>.</p>
<h2>Apprécier une solitude retrouvée</h2>
<p>Cette dimension d’un refus du partage (de l’aliment et de la relation) est pour partie commune avec <a href="http://www.lemangeur-ocha.com/dossiers/corps-de-femmes-sous-influence-questionner-les-normes-symposium-de-locha-novembre-2003/">certaines anorexiques</a> et avec des religieuses jeûneuses du Moyen Âge.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/clio/502">Ces dernières</a> « voyaient dans la nourriture un instrument de pouvoir sur leur moi et sur leur entourage, et un moyen de renoncer à l’un comme à l’autre ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Béguine de Bruxelles, un ordre qui permettaient à certaines religieuses de s’affranchir des codes de leur époque (1811).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Coustumes_-_B%C3%A9guines_de_Bruxelles.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Jeûner « distingue » dans un environnement qui valorise le partage et l’abondance alimentaire. On attire le regard des autres, parfois leur compassion ; on existe à travers l’affirmation de sa « singularité ».</p>
<p>Cependant l’émergence de ces comportements alimentaires n’est pas une « génération spontanée ». Elle prolonge des tendances de nos contemporains. Cette tendance est particulièrement vive lorsqu’il n’y a pas peur du manque et chez les femmes qui affichent un rapport au corps plus réflexif. Les individus perçoivent alors les nourritures en considérant la <a href="https://theconversation.com/lorthorexie-ou-quand-lobsession-du-manger-sain-vire-a-la-maladie-109052">conséquence de leurs incorporations</a> sur leur santé, leur silhouette, leur éthique et l’environnement.</p>
<h2>Désirs individualistes</h2>
<p>La période du confinement, pendant laquelle les dépenses physiques et les contraintes liées à la sociabilité sont moindres, encourage l’expérimentation d’un jeûne thérapeutique pour éliminer la souillure (au moins symbolique) des incorporations antérieures, pour se débarrasser des toxines, pour « prendre soin de soi ».</p>
<p>La période de jeûne alterne aussi avec la recherche et l’appropriation par un acte culinaire plus ou moins complexe (on a le temps !) de produits sains, éthiques, goûteux construisant une <a href="https://pufr-editions.fr/produit/devenir-sain/">« écologie de soi »</a>, une solidarité avec les nouvelles citoyennetés.</p>
<p>Cette problématique individualiste se retrouve dans la restriction cognitive (avec parfois un projet esthétique de maigrir (par exemple pour séduire au moment des « retrouvailles »). Ainsi une majorité de Français dit avoir grossi pendant le confinement (enquête réalisée par <a href="https://www.darwin-nutrition.fr/actualites/alimentation-francais/">l’Ifop</a> pour Darwin Nutrition et relayée par <em>Le Parisien</em> et BFMTV le 6 mai), 14 % ont maigri et 29 % ont conservé leur poids.</p>
<p>Beaucoup ont aussi exprimé l’envie ne pas commettre d’excès d’alcool : abstinence intermittente de consommations alcoolisées tout en conservant le plaisir régulé de boire occasionnellement.</p>
<p>Les jeûnes représentent ainsi, dans ces contextes de reconstruction de soi pour mieux aborder le futur, des désirs de se référer à des groupes qui rassurent en temps de crise. Mais le jeûne affirme aussi un individualisme qui refuse un pouvoir particulier ou construit, de façon égotique, un projet optimiste (nouveau modèle alimentaire, nouvelle silhouette, parfaite santé). Gageons que l’heure du déconfinement et du « dé-jeûner » sera celle de la valorisation d’aliments porteurs de sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138853/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Corbeau est personnalité qualifiée du Conseil National de l'Alimentation, membre du conseil scientifique de l'OCHA, membre du conseil scientifique du GROS. </span></em></p>Quelles logiques encouragent le jeûne aujourd’hui et que révèle-t-il de notre envie de vivre ensemble ?Jean-Pierre Corbeau, Professeur émérite de sociologie de l'alimentation, vice-président de l'Institut Européen de l'Histoire et des Cultures de l'Alimentation, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.