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Des personnes sont assises dans une salle d'attente
Une salle d’attente pleine, des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés… En gestion de la santé, une image fait état de toute la complexité d’une situation, au contraire d’un chiffre qui simplifie et réduit. (Shutterstock)

Utiliser des images plutôt que des chiffres pour réhumaniser la gestion en santé

À l’heure où le fonctionnement du système de santé est mis à mal, notamment dans le contexte de la Covid-19 qui a exacerbé l’épuisement des professionnels, la gestion de la performance est un aspect à prendre en compte.

Dans le cadre des recherches que nous menons dans le secteur de la santé au Québec depuis 2015, notre équipe, composée de chercheurs en gestion de plusieurs universités, analyse l’impact des outils de gestion de la performance sur le travail des professionnels et des gestionnaires. Nous pensons que l’utilisation de pratiques de gestion basées sur des visuels permettrait de répondre à certains écueils de l’approche actuelle.

Des outils qui brisent le relationnel

Le mode de gestion de la performance utilisé dans le secteur de la santé et des services sociaux met l’accent sur l’atteinte de résultats en comparaison à des cibles préétablies. Il s’agit d’un contrôle axé sur les résultats.

Cela conduit à synthétiser de nombreuses informations relatives à l’activité des professionnels sous forme d’indicateurs, et donc à réduire une réalité complexe.

Par exemple, à la suite des réformes de 2015, les gestionnaires ont dû suivre des indicateurs et atteindre des cibles chiffrées visant à diminuer les listes et les délais d’attente des patients et à augmenter le nombre de visites effectuées auprès d’usagers sur une période.

Indicateurs présentés sous forme de tableaux ou graphiques – Exemple au sein d’un CIUSSS. (Author)

Les nombres présentés sous ces formes donnent l’illusion de produire une vision objective d’une situation. Cependant, cette approche, qui met l’accent sur l’atteinte de résultats quantifiables, réduit les services de soins à des actions mécaniques, sans contingence et dénuées de relations humaines. Gérer uniquement de cette façon est contestable, en particulier dans le secteur de la santé où des individus prennent soin d’autres individus.

Les résultats présentés sous forme de tableaux et de graphiques peuvent figer toute discussion en focalisant l’attention des individus sur les actions nécessaires pour faire varier les indicateurs qui composent ces visuels.

Une solution pourrait résider dans l’utilisation de visuels, comme des images et des photos, qui montreraient des situations pouvant être interprétées et discutées librement par les individus.

La puissance du visuel

Au contraire d’un chiffre, qui agrège, simplifie et réduit, l’image fait état de toute la complexité d’une situation : une salle d’attente pleine, mais aussi des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés, etc.

Elle pointe les difficultés avec une certaine exhaustivité. Les recherches montrent qu’au contraire d’un chiffre, une image favorise la prise en compte des subjectivités face à une réalité complexe et facilite les discussions. Elle invite chaque acteur à partager autour de l’expérience de terrain pour trouver des actions concrètes à des dysfonctionnements visibles.

L’image peut aussi véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail.

Une femme alitée, souriant à travers son masque
Une image peut véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail. (Shutterstock)

Des outils visuels pour réhumaniser les pratiques

Comment faire pour que la gestion de la performance par les visuels fonctionne ?

Prenons l’exemple d’une salle d’attente et de ses indicateurs. Utiliser des indicateurs quantitatifs risque d’appauvrir les échanges entre professionnels et gestionnaires : si l’indicateur est vert, il est inutile d’en parler ; s’il est rouge, on se demande comment faire pour qu’il redevienne vert. Le risque est alors de passer à côté des problèmes de fond pour se focaliser sur la variation de l’indicateur.

À l’inverse, si les graphiques et tableaux de bord sont remplacés par l’image d’une salle d’attente pleine, les échanges se concentreront plus facilement sur la situation : ses origines, son évolution et son mode de résolution dans un environnement complexe.

L’idée est de prendre ponctuellement des clichés de salles d’attente (dans le respect de la confidentialité) qui traduisent les difficultés des professionnels et de pouvoir en discuter en équipe.

Libérer la parole

Utiliser des visuels appropriés permettrait de créer un espace de discussion où chaque professionnel peut s’exprimer plus facilement autour de visuels porteurs de sens. Ensemble, les professionnels pourraient réfléchir à des actions à entreprendre pour faire face aux situations problématiques.

Cette expression libre, qui favorise une approche relationnelle, pourrait favoriser la perception des signaux faibles (baisse de l’engagement, fatigue) émis par les équipes. Aussi, au-delà des outils, ce qui compte véritablement est la façon dont les gestionnaires les mobilisent avec les équipes. L’image peut « humaniser » et refléter l’accomplissement du professionnel, ce qui est essentiel dans le secteur de la santé et de l’aide sociale.

Nous préconisons donc de faire de la place à des visuels créatifs : photos, dessins, graphiques et même films. Laissons du choix dans les approches en offrant de la souplesse aux gestionnaires et à leurs équipes et acceptons l’existence d’outils et de solutions multiples plus proches des réalités de terrain. Ils permettront d’améliorer les performances, et non uniquement les indicateurs de performance.

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