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« Vent des Forêts », une résidence artistique originale en territoire rural

Marion Verboom, Cartouche, VdF2013, ©Morgane Rul

L’association meusienne Vent des Forêts, à Fresnes-au-Mont (171 habitants), a élaboré cette année un dispositif résidentiel original sous la forme d’un duo créatif, en invitant au printemps un artiste graveur, peintre et dessinateur, Frédéric Coché et un écrivain adepte de poésie et d’arts littéraires, Loïc Demey.

Théodore Fivel, Salut pour tous. VdF2012, Guillaume Ramon

Cette résidence collaborative croise gravure et littérature contemporaine afin d’expérimenter un travail de création en prise directe avec le territoire sous toutes ses formes.

Au-delà des actions traditionnelles de sauvegarde et d’animation menées autour du patrimoine rural et forestier, ce dispositif résidentiel permet-il susciter de nouvelles perceptions des lieux, une autre dynamique culturelle véhiculée par une création-recherche in situ ? Quels intérêts de cette résidence immersive pour les artistes, les publics et les acteurs impliqués ? Faut-il y voir un moyen de tisser ensemble des perspectives collectives sociétales inédites ou de rétablir une certaine disparité de l’offre culturelle dans les campagnes ?

Vivre la forêt autrement

Crée en 1997, en collaboration avec un réseau de six villages agricoles et forestiers, l’association Vent des Forêts, en tant qu’espace rural d’art contemporain, offre aux visiteurs (environ 35 000 personnes chaque année), plus de 150 œuvres en plein air le long de 45 kilomètres de sentiers et librement accessibles, selon divers parcours déclinés sur une application mobile et cartographiés de manière poétique sur le site, comme pour le circuit de Louvent :

« Faites connaissance du rare poirier sauvage. Penchez-vous sur des fleurs qui vivent dangereusement. Grignotez l’ancêtre de l’endive. Suivez les oiseaux du Peuple migrateur et retrouvez Par erreur, la première œuvre du Vent des Forêts. »

Matali Crasset, Le Nichoir. VdF2012, Guillaume Ramon

Ce projet atypique porté par l’association et les habitants est ancré dans une logique de développement territorial, tout en poursuivant de nombreuses missions culturelles selon son directeur Pascal Yonet :

« La production ou la coproduction d’œuvres, la valorisation de la recherche et de l’expérimentation par le biais d’un programme de résidences accueillant des plasticiens, la médiation vers les publics, l’éducation artistique et culturelle grâce à la rencontre avec l’art contemporain et le maillage territorial dans une démarche collaborative pluridisciplinaire impliquant à la fois d’autres structures et les populations. »

L’objectif est d’accompagner au mieux l’artiste dans un « autre environnement » permettant ainsi de rendre visible une pratique créative nourrie par les échanges avec des artisans (tailleur de pierre, maître verrier, sculpteur sur bois…), en fonction des besoins et de l’écosystème.

Dans une perspective éco-touristique, cette dynamique partenariale a donné lieu à la création de maisons sylvestres avec la designer Matali Crasset et des artisans locaux, ainsi qu’ à la réalisation d’une collection (« We trust in wood ») d’objets et de petit mobilier avec des diverses essences de bois, toujours en privilégiant une approche commune ; comme l’explique Matali Crasset :

« Chaque Maison Sylvestre répond à un scénario de vie, au désir de vivre une expérience simple et exceptionnelle dans un espace minimum et optimisé, tel un refuge, tout en incitant les promeneurs curieux à explorer les bois environnants. Elles invitent à un usage, un type de rapport à la nature et une histoire à vivre, le principe est accessible à tous et chacun le complète à sa manière. »

Après l’art, le design, l’artisanat, pourquoi privilégier la littérature ?

Approche patrimoniale et co-construction

La création de cette résidence combinant littérature et dessin correspond d’abord au maillage territorial évoqué et à la volonté de l’association de nourrir « une collaboration avec la ville de Saint-Mihiel » selon Pascal Yonet. Il s’agit aussi de profiter d’un regard artistique croisé, à travers l’exploration des paysages naturels et urbains découlant d’un partage et d’une mise en récit du territoire.

Le Sépulcre de Ligier Richier. Wikipedia

Perçu comme un instrument de conservation et de transmission, le patrimoine est pour la géographie sociale et culturelle un élément constitutif du territoire : « Le patrimoine, parce qu’il se réfère aux héritages, crée la personnalité du territoire » comme le souligne Jean‑Paul Guérin.

Concernant les sciences de l’information et de la communication, Jean Davallon a montré comment la patrimonialisation constitue un processus social et symbolique complexe, qui interroge les acteurs au sein des dynamiques territoriales.

D’emblée, les artistes ont choisi de se saisir de l’ancrage géographique résidentiel, en exploitant notamment l’œuvre monumentale de l’artiste de la Renaissance Ligier Richier (sa célèbre sculpture, La mise au tombeau, se trouve à l’Église Saint-Étienne), chacun choisissant aussi des lieux, entre ville et forêt, selon son propre processus créateur. Frédéric Coché en parle en ces termes :

« La ville s’est avérée très généreuse pour moi : les images sont venues en abondances dès les premiers jours. Une impression d’horizon instable, jamais là où je l’attendais, variable comme une mer vue d’un hublot, au grès des rues et des fenêtres. La mise au tombeau, également, va jouer un rôle, les légendes de souterrains, cette terre pleine d’eau, qui acquière une forme mi liquide mi solide, mêlés à la phonétique du mot Mihiel/Miel vont donner lieu à un grand départ de la ville, convertie en nef pirate (je pourrais également citer Les carnets de Dom Loupvent). Les champs de batailles envahis d’arbres également m’ont offert des images : les explosions d’artillerie se vitrifiant en forme d’arbre, créant, par le bombardement même une forêt. »

Pour l’écrivain Loïc Demey,

« L’idée étant de travailler le patrimoine de la ville, un regard neuf sur celui-ci me semble intéressant pour les “gens du cru”. Souvent, l’on ne regarde plus ce que l’on a sous les yeux […] Le patrimoine est, selon moi, avant tout humain, puis il s’inscrit dans la pierre et les paysages. La ville de Saint-Mihiel possède à la fois un historique riche, tourmenté (abbaye, habitats, guerres) et se trouve dans une situation où elle doit se réinventer. Son passé semble prendre le pas sur son présent. Mais quel sera son avenir ? Voilà le nœud et la grande incertitude. La ville est à la fois un lieu mis à mal ainsi qu’un endroit de résistance et de renaissance. »

La résidence comme lieu de confrontation des imaginaires

Après de multiples déambulations partagées sur les hauteurs du fort du Camp des Romains ou aux tranchées du Saillant, les artistes ont exploré le site naturel des Dames de Meuse, lieu de légendes, retraçant en l’occurrence la destinée funeste de trois sœurs infidèles, qui a suscité l’intérêt de nombreux écrivains (G.Sand, E.Michelet, T.Gautier). Le dispositif résidentiel devient alors un lieu de confrontation des imaginaires nouant les supports par le biais du dialogue artistique et du projet commun en cours d’élaboration. Frédéric Coché explique :

« Je vais donc dessiner une série d’eaux-fortes, qui se constitueront en chapitre d’une sorte de bande dessinée. Le livre alternera chapitre dessiné par moi et chapitre écrit par Loïc. Si l’ensemble prend une forme forte et pertinente, la publication de l’ouvrage est notre objectif. »

Loïc Demey a également apprécié cette coopération :

« Cela me permet de me confronter à l’univers de la gravure et aux méthodes de l’art contemporain. J’ai besoin de rencontrer d’autres auteurs et d’autres artistes afin de poursuivre mon évolution. J’avais cet a priori : je n’utilise pas le même matériau ni les mêmes outils que Fréderic Coché, mais il existe des similitudes dans le geste et dans la précision de geste. J’ai la sensation que mon écriture est un travail manuel. »

Le site des Dames de la Meuse. laifour

Un art du tissage résidentiel

L’intérêt du dispositif résidentiel semble aller au-delà des visées créatives et professionnelles engagées. En effet, en tant qu’espace partagé, cette résidence en milieu rural repose sur une forte proximité entre les divers acteurs du territoire.

Les artistes sont logés chez l’habitant grâce à un partenariat dès l’origine avec une quarantaine de familles d’accueil, et sont aidés par de nombreux locaux (bénévoles, artisans, promeneurs, employés de l’Office National des Forêts…) en fonction des besoins (expertise, savoir-faire, conduite d’engins, matériel…) durant le processus de création et de production.

L’inauguration du festival en 2015. Loup Godé

Pour Pascal Yonet, directeur de la structure, « l’immersion des artistes au sein d’un contexte rural est au cœur de l’aventure de Vent des Forêts, c’est-à-dire une proximité, une dynamique, une émulation concrète, qui a même donné lieu à l’installation d’artistes sur place à l’issue de leur résidence ».

Ces diverses interactions entre écrivains, artistes, habitants renforcent la possibilité d’un questionnement commun propre à l’humain (partage du sensible, créativité, identité, culture…) et obligent à repenser, en termes d’échelle et d’espace, les pratiques artistiques, culturelles, éducatives, géographiques, de la campagne à la ville. Selon Loïc Demey,

« Le logement chez l’habitant permet d’être immergé dans la vie des ceux qui nous accueillent, un échange personnel se met inévitablement en place. La fuite est impossible et les discussions informelles permettent de saisir l’intime. »

La littérature et les arts se nourrissent de la coopération désignant l’ensemble des modalités du « faire ensemble » dans toute son étendue, c’est-à-dire de la fraternisation au conflit déclaré. La « chaîne de coopération » selon Howard S. Becker inclut donc à la fois les acteurs du milieu artistique, les institutions publiques, les diffuseurs et les publics.

Les artistes (Frédéric Coché et Loïc Demey) à la rencontre des collègiens à Saint Mihiel. Morgane Pasco

Finalement, soutenue par un milieu associatif fort la création littéraire et graphique en contexte résidentiel rural, en tant qu’expérience esthétique et affective à travers laquelle les publics sont susceptibles de créer des liens, constitue un moyen essentiel de construire des espaces de dialogues et d’imaginer de nouveaux modes d’exploration de la vie en société. En somme, selon la géographe Claire Delfosse, « une co-construction urbain-rural » favorisant la diffusion de la culture.

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