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Photo de la façade du Bataclan, à Paris.
La salle de concert du Bataclan, dans le 11ème arrondissement de Paris, qui fut l’une des cibles des attentats du 13 Novembre 2015. Thomas Samson / AFP

Vente de la radio d'une victime du 13 Novembre : le secret médical bafoué

Le 22 janvier 2022, le média en ligne Mediapart publiait un article au titre explicite : « Un chirurgien de l’AP-HP cherche à vendre aux enchères la radio d’une blessée du 13 Novembre » (2015). Le procès de ce professionnel s'est ouvert mercredi 21 septembre au tribunal correctionnel de Paris, avant de reprendre ce mercredi 28.

Au-delà de l’indécence et du caractère profondément inapproprié de la commercialisation d’un document privé auquel sont attachées la signification et la représentation, dans notre mémoire nationale, du carnage terroriste du Bataclan, cet acte bafoue l’un des principes de la déontologie médicale : le secret.

En médecine, la confidentialité, et donc l’impératif du secret, constitue en effet l’un des fondements de la relation de confiance. Rappelons ici quelques notions fondamentales du secret dont le médecin est à la fois moralement garant et juridiquement comptable. Divulguer une donnée personnelle, en l’occurrence un cliché radiologique dont la signification n’est pas anodine et incarne une tragédie intime, c’est rompre un engagement. Cela explique la rigueur de l’encadrement déontologique du secret, dont il me semble indispensable de préciser la teneur.

Un engagement qui ne saurait être trahi

Alors que tant de données personnelles peuvent être diffusées aujourd’hui de manière indifférenciée ne serait-ce que sur les réseaux sociaux, la valeur du secret médical demeure encore, dans sa signification traditionnelle, de l’ordre d’un engagement qui ne saurait être trahi.

Le serment d’Hippocrate prescrit au médecin une éthique de l’attitude et de la discrétion  : « je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. […] Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés ». Servir avec compétence la personne vulnérable dans la maladie, lui porter l’assistance que requiert son état de santé, ne saurait se faire sans lui témoigner considération et sollicitude. Respecter le secret de ce qui est confié ou évoqué au cours de ces moments d’intimité et de dévoilement que constitue la relation de soin, revient à reconnaître la personne dans des droits : aucune circonstance ne saurait les compromettre.

Le devoir de loyauté s’impose à un professionnel qui exerce ses missions dans un espace d’intimité que doivent sauvegarder certaines limites intangibles. Il importe donc de pouvoir être assuré que les professionnels de santé et du médico-social sauront accueillir une parole, quelle qu’en soit la teneur, témoignant une attention d’autant plus exigeante qu’elle tient à la singularité d’une relation conditionnée par le « respect du secret ».

Alors que l’on ne sait rien d’eux à titre personnel, les professionnels de santé (mais il en est de même dans le champ du médico-social) seront amenés, pour ce qui les concerne, à connaître notre existence, à découvrir nos comportements, à en connaître des aspects les plus intimes de notre personne et de nos vulnérabilités, notamment dans les circonstances difficiles qui exposent à des dilemmes décisionnels. Ce rapport asymétrique n’est tenable que pour autant que des principes intangibles soient honorés, protecteurs des droits de la personne au respect de son secret et de son intégrité.

L’attention ainsi accordée à notre sphère privée, à la confidentialité des échanges lorsqu’ils relèvent de ce qui semble le plus personnel, conditionne pour beaucoup la qualité d’un engagement confiant dans le soin. Le respect du secret médical relève donc de la dignité même d’un acte de soin constamment respectueux des valeurs de la personne, quelles que soient les contraintes, si ce n’est à caractère exceptionnel pour des raisons judiciaires circonstanciées. Penser l’éthique et la déontologie médicales, c’est comprendre que certaines limites ne peuvent pas être transgressées.

Le principe du secret à l’épreuve du réel

Le professionnel de santé est amené, du fait de sa fonction, à connaître de ses patients une part d’intimité qu’ils ne partagent qu’avec quelques-uns de leurs plus proches. Dans bien cas du reste, la personne souhaite les préserver de la révélation d’une information médicale qui les affecterait trop douloureusement ou qui modifierait le regard qu’ils leur porterait. Les dilemmes sont évidents à ce propos lorsqu’il s’agit par exemple de la maladie d’Alzheimer ou de maladies mentales, avec nombre d’enjeux, ne serait-ce qu’en termes de responsabilité. Le secret engage le soignant et lui impose, au-delà même du seul respect de la confidentialité, des obligations d’ordre moral dont il ne saurait s’exonérer. C’est ainsi qu’il est reconnu digne de respect dans sa fidélité aux valeurs indispensables à l’exercice intègre de ses missions.

Le secret professionnel auquel sont astreints les médecins est défini par l’article 4 du Code de déontologie médicale :

« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »

Le Code pénal prévoit dans son article 226-13 que

« la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou sa profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Le législateur affirme également dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ».

Néanmoins, sur le terrain, l’effectivité d’une telle résolution n’est pas toujours établie. Trop souvent encore, dans la salle d’attente d’un hôpital, la personne est appelée publiquement par son nom sans tenir compte de son droit à la confidentialité. Dans un Ehpad, est-il possible de préserver le secret médical d’une personne dont le comportement révèle une maladie neurologique qui affecte ses capacités cognitives et sa faculté de discernement ? Qu’en est-il ainsi d’un « secret partagé » souvent à l’insu de la personne et à son détriment ?

Qu’en est-il de l’usage des données personnelles (ne seraient-ce que celles archivées dans de dossier médical partagé), de leur protection, lorsque l’on constate la vulnérabilité des systèmes informatisés et que, parfois, la routinisation des pratiques contribue à banaliser les procédures préconisées notamment dans la constitution de fichiers ?

La sécurisation et l’évaluation des protocoles justifient des recueils systématisés de données dans un contexte d’exercice professionnel qui, en dépit de procédures administratives strictes peut inciter à perdre en vigilance éthique. Ainsi, dans le contexte de la pandémie, l’analyse par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) du projet de décret autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion et au suivi des vaccinations contre le coronavirus SARS-CoV-2, détaille les mesures de prudence qui s’imposent lorsque le respect du secret professionnel risque d’être compromis :

« La Commission rappelle que seules les personnes habilitées et soumises au secret professionnel doivent pouvoir accéder aux données du SI « Vaccin Covid », dans les strictes limites de leur besoin d’en connaître pour l’exercice de leurs missions. » L’article 1 du décret n° 2020-1690 du 25 décembre 2020 institue « la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le cadre de la campagne de vaccination contre la Covid-19, dénommé “Vaccin Covid” »

Enfin, la médiatisation de certaines hospitalisations, voire de prouesses médicales, enfreint parfois des règles pourtant applicables en toutes circonstances.

Cela pour dire qu’il conviendrait aujourd’hui de prendre en compte les conséquences d’événements publics qui interrogent les conditions de respect du secret médical en milieu hospitalier. Quelles significations lui reconnaître, dans un contexte sociétal qui prône la vertu de transparence tout en revendiquant les plus fortes protections contre les intrusions du numérique dans notre sphère privée ?

Des arbitrages parfois difficiles

Le secret médical peut être considéré ainsi comme un droit fondamental d’autant plus essentiel à la personne qui éprouve souvent le sentiment de perdre en respectabilité et en maîtrise de soi du fait des conséquences de certaines maladies. La révélation non seulement du secret de la maladie, mais aussi de la dimension intime du vécu de la maladie, met en cause la relation de confiance et peut avoir des conséquences péjoratives sur celui qui s’en remet pourtant à un soignant pour le protéger.

L’évolution, par exemple, d’une maladie neurologique dégénérative, un épisode de crise dans le contexte d’une pathologie psychiatrique, les signes apparents du traitement d’un cancer (alors qu’il est tant question du droit à l’oubli), et parfois certaines séquelles, constituent des données personnelles que l’on n’est pas assigné à dévoiler.

À l’annonce d’une maladie d’Alzheimer, je l’ai évoqué précédemment, le neurologue peut être confronté au dilemme de ne pas avoir à évoquer le diagnostic avec le conjoint, sur demande de la personne malade qui souhaite éviter que sa sphère privée soit envahie par une révélation de nature à compromettre un statut familial et social qu’elle souhaite sauvegarder. C’est dire la difficulté de certains arbitrages, lorsque des enjeux supérieurs pourraient prévaloir.

« Le médecin devra respecter le droit du patient à la confidentialité. Il est conforme à l’éthique de divulguer des informations confidentielles lorsque le patient y consent ou lorsqu’il existe une menace dangereuse réelle et imminente pour le patient ou les autres et que cette menace ne peut être éliminée qu’en rompant la confidentialité. »

Code international d’éthique médicale, Association médicale mondiale, 2006

En bénéficiant du consentement de la personne, certains éléments anonymes tirés de son dossier médical peuvent être utilisés à des fins scientifiques. Cela n’a rien à voir avec la commercialisation de l’image radiologique de la victime d’un acte de barbarie qui affecte de surcroît l’ensemble des personnes assassinées et la mémoire des survivants, pour ne pas dire une certaine idée de la dignité.

Digne et comptable des secrets qui nous sont confiés

Observons que certaines dérogations justifiées au secret sont fixées notamment par le Code pénal dans l’article 434-3 :

« Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. »

Le Code de la santé publique précise également les contours des dérogations au secret médical, dans l’article L. 1110-4 :

« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. »

Ces exceptions ne sauraient pour autant atténuer la signification d’un authentique pacte qui conditionne pour beaucoup la faculté de consentir, avec certaines contreparties, à un suivi médical et à une relation de soin.

L’exigence d’une certaine réciprocité tient ainsi à l’effectivité d’obligations dont le médecin, et plus globalement tout professionnel de santé ou du médico-social, doivent comprendre la signification. Il s’avère nécessaire également de préciser les règles de nature à protéger la personne de toute forme d’intrusion, que ce soit dans le cadre du recueil et du croisement d’informations relatives à sa santé sous forme numérisée, ou dans les pratiques de certaines disciplines médicales, comme la génétique ou la psychiatrie.

Confidentialité des données à caractère personnel

La sensibilité toute particulière de données personnelles, susceptibles de concerner des tiers au sein de la famille ou d’une communauté, est évidente et requiert des encadrements rigoureux. Il est précisé dans l’article 16 du Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l’homme et la biomédecine, relatif aux tests génétiques à des fins médicales, que « toute personne a droit au respect de sa vie privée, et notamment à la protection des données à caractère personnel la concernant obtenues grâce à un test génétique ».

C’est dire que le respect du secret ne saurait être assumé sans prendre en compte d’éventuels dilemmes auxquels, en pratique, il confronte. Les responsabilités sont en l’occurrence non seulement interrogées, mais plus encore soumises à la difficulté d’arbitrages qui s’imposent parfois dans l’urgence ou dans des contextes à la fois incertains et évolutifs.

Il semble, dans ce domaine de la réflexion éthique, indispensable de privilégier la loyauté, l’effort de discernement, la concertation, la collégialité, l’intégrité et la transparence afin d’éviter un arbitraire préjudiciable à tous.

À l’époque révolue de la transmission orale de l’information médicale ou sous forme de documents « papier » certainement peu sécurisés, se substitue aujourd’hui celle du recueil numérisé des « datas ». Les données médicales dites « sensibles » font l’objet de systèmes de protection spécifiques susceptibles d’éviter leur divulgation à mauvais escient, cela d’autant plus que leur suivi n’est plus assuré exclusivement et directement par des professionnels de santé. Elles sont « hébergées » dans des plates-formes dont il est dit que la sécurisation des transmissions et des conservations est rigoureusement assurée.

Qu’en est-il du secret médical dans ce contexte d’innovations technologiques et du virtuel, dès lors que de surcroît des fichiers peuvent être croisés et permettre, par recoupements et appariements, de parvenir à l’identification de personnes qui seraient par exemple atteintes de maladies chroniques ou transmettre un virus ?

Doit-on considérer et admettre que les évolutions à la fois d’ordre culturel, de nature scientifique ou des impératifs de santé publique justifieraient de dénaturer le secret médical, voire d’en abolir le caractère absolu ?

Les lignes directrices de la Commission européenne

La [Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne](https://www.vie-publique.fr/fiches/20322-quest-ce-que-la-charte-des-droits-fondamentaux-de-lunion-europeenne#:~:text=La%20Charte%20des%20droits%20fondamentaux%20de%20l’Union%20europ%C3%A9enne%20(UE,au%20sein%20de%20l’UE.&text=am%C3%A9liorer%20la%20protection%20des%20droits%20fondamentaux.) affirmait, à bon escient, la nécessité de « renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l’évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques ».

Il y a quelque chose de l’ordre du sacré dans la formulation même du mot « secret ». Cela justifie que nous comprenions ensemble le sens des principes et des valeurs inaliénables qu’engage son respect dans une société démocratique vulnérable à tant d’enfreintes et de menaces qui fragilisent ses fondements.

L’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a saisi les instances ordinales médicales pour donner la suite qu’elles estimeront opportune à la tentative de vente aux enchères d’une représentation symbolisée par la radiographie d’une victime d’un acte terroriste.

J’aurais pu consacrer mon propos à l’article 3 du Code de déontologie médicale (art. R. 4127-3 du code de la santé publique) : « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». J’ai préféré invoquer de manière spécifique le principe du secret médical qui constitue l’un des fondements de la morale médicale.

Ce cliché n’a pas été divulgué par un professeur de médecine du point de vue de son intérêt à des fins scientifiques, mais selon l’estimation de la signification et de la valeur d’une image à caractère personnel dans le cadre d’une transaction commerciale. Cette démarche inconvenante, même si depuis il y a eu rétractation, avive les souffrances des survivants, alors que tant de moments éprouvants du procès en cours en ont déjà suffisamment accentué l’intensité.

Le respect du secret de l’autre, de ce qu’il vit de plus intime, est l’expression à son égard d’une sollicitude, d’une prévenance, d’une bienveillante, d’une discrétion et de notre souci de la protéger de toute souffrance indue. C’est pourquoi j’estime que sa transgression, sous quelque forme que ce soit, ne peut pas nous laisser indifférents. Il s’agit là d’un devoir de vigilance collective.

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