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Vers une nouvelle logique politique au Parlement européen

A Bruxelles, au soir du 26 mai 2019, devant le Parlement européen. John Thys/AFP

Les élections européennes 2019 ont été présentées, par les responsables politiques comme par les journalistes, comme un combat entre les partisans de l’intégration européenne et les opposants à celle-ci, entre les mondialistes et les nationalistes. Les partisans de l’intégration européenne ont, partout, dénoncé le risque populiste, tandis que les partis eurosceptiques de la droite extrême veillaient, comme jamais auparavant, à faire front commun.

Les résultats du scrutin reflètent cette polarisation. Mais il y a plus.

Des électeurs poussés vers le vote utile

Cette dramatisation des enjeux a, certes, produit son effet. Elle a suscité un net regain de participation électorale dans de nombreux États, et a poussé les électeurs au vote utile. En France, la campagne a été plus ou moins réduite à une opposition entre la liste du RN et la liste Renaissance, malgré la présence de 34 listes. Emmanuel Macron a fait le pari, risqué et perdu, d’appeler à la mobilisation contre le RN. Marine Le Pen, qui n’en demandait pas tant, a largement bénéficié de ce cadrage du scrutin, en engrangeant les votes des électeurs qui entendaient sanctionner le président.

Ce vote utile a provoqué un effondrement de LFI (6,3 %), qui se fait devancer par la liste du PS et de Place publique (6,4 %), PS dont Jean‑Luc Mélenchon assurait pourtant qu’il était moribond. De même, alors que les sondeurs nous promettaient, il y a trois mois encore, une entrée tonitruante des « gilets jaunes » au Parlement européen, les trois listes issues du mouvement ont fait des scores insignifiants. Là aussi, le FN a sans aucun doute bénéficié d’un large report des voix.

Le vote utile a aussi joué en faveur de la liste Renaissance (La République en marche). Elle perd le pari présidentiel, mais sauve les meubles avec un score de 22,5 %, honorable pour un parti aux affaires. En conséquence, la décente aux enfers continue pour le PS et LR, partis qui avaient dominé le jeu politique français depuis 1958. Le PS limite certes la casse, mais il fait moins de la moitié de son score de 2014 (13,9 %). LR est beaucoup plus bas que prévu (8,2 %, à comparer aux 20,8 % de 2014), malgré l’espoir suscité par la campagne de François-Xavier Bellamy.

Ce sont les écologistes d’EELV qui tirent leur épingle du jeu, avec un score inattendu (13,1 %), qui rappelle leur succès de 2009 (16,3 %). Dans un débat très polarisé, traversé par des angoisses profondes quant à l’avenir de la France et de l’Europe et par une logique de rejet ou de soutien à Emmanuel Macron, ils ont séduit l’électorat en faisant entendre une voix alternative.

Au total, en France, le ratio entre pro et anti-européens reste stable par rapport à 2014 : les eurosceptiques ne progressent pas, et les députés français au PE resteront largement favorables à l’intégration européenne. Le RN arrive en tête, ce qui est une victoire symbolique importante, mais son score (23,5 %) est moins bon qu’en 2014 (24,9 %). Surtout, comme on l’a dit, la crise des « gilets jaunes » qui agite la France depuis six mois et le phénomène du vote utile laissaient entrevoir un succès plus net encore.

La révolution eurosceptique n’a pas eu lieu

A l’échelle européenne, il est difficile de tirer des leçons d’ensemble. Les résultats sont très contrastés, selon les configurations politiques nationales, la popularité du gouvernement, et le moment auquel cette élection intervient dans la vite politique. Une fois encore, les élections européennes ont donné lieu à 28 campagnes électorales parallèles, fortement centrées sur des enjeux domestiques. On constate même un recul par rapport à 2014 sur ce point, puisque le dispositif des Spitzenkandidaten (candidats des différents partis européens à la Présidence de la Commission) a rencontré moins d’écho cette fois-ci et a suscité plus d’oppositions.

On ne voit donc pas se dessiner de grandes tendances à l’échelle de l’Union. On note, toutefois, un recul global des partis de gouvernement et une montée des écologistes. On remarque aussi que le raz-de-marée souverainiste n’a pas eu lieu : leur score global est important, mais il ne progresse pas. Les populistes font des résultats remarquables dans certains pays, mais subissent des revers dans d’autres : la révolution eurosceptique n’a pas eu lieu.

La poursuite de l’affaiblissement des partis traditionnels

Au Parlement européen, ce qui frappe, c’est la poursuite de l’affaiblissement des socialistes (groupe S&D) et des démocrates-chrétiens (groupe PPE). Les deux groupes, qui dominent largement le fonctionnement du Parlement européen depuis sa création, ne cumulent plus que 43 % des voix (chiffres à confirmer). Leur score total était de 66 % en 1999, 64 % en 2004, 58 % en 2009 et 54 % en 2014. Plus que la continuation d’une tendance, c’est un effondrement.

Cela veut dire, concrètement, que ces deux groupes, qui totaliseront environ 325 sièges, ne pèsent plus assez lourd pour faire passer des textes facilement. Et, pour commencer, ils ne seront pas en situation d’assurer sans renfort l’élection du futur président de la Commission européenne, qui doit être « élu » à la majorité des membres du PE, soit 373 voix au moins.

En 2014 déjà, les groupes S&D et PPE, affaiblis, avaient dû nouer une alliance avec les libéraux du groupe ALDE. Le renouvellement d’un tel accord est désormais incontournable, d’autant que le groupe ALDE se renforce nettement, et devrait – avec l’appoint des députés français de la liste Renaissance – passer le cap des 100 sièges (contre 67 en 2014).

Le groupe des Verts, qui devrait totaliser environ 70 députés (contre 50 en 2014), saura sans doute monnayer lui aussi chèrement son appui. Le « duopole » constitué par les socialistes et les démocrates-chrétiens a définitivement vécu.

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