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Virus : quand les activités humaines sèment la pandémie

En 2019, dans l’État de Para au Brésil, sur une nouvelle portion de la route transamazonienne. Nelson Almeida/AFP

Combien y a-t-il de micro-organismes pathogènes sur Terre ? Un certain nombre… un nombre gigantesque !

Un programme nord-américain, financé par US-AID (l’équivalent de notre Agence française de développement), intitulé PREDICT et financé à hauteur de 65 millions de dollars, a choisi de déterminer les espèces de virus présentes chez les chauves-souris. Pourquoi ces mammifères ? Tout simplement parce qu’ils constituent le groupe taxonomique comprenant le plus d’espèces, relativement bien connues, et que ce groupe a déjà été identifié comme porteur de nombreux virus très pathogènes pour l’humain.

Ce programme a ainsi permis d’identifier près de 380 nouveaux virus portés par ces animaux. À partir de là, les chercheurs ont effectué des calculs statistiques pour extrapoler le nombre de virus qu’il reste à découvrir chez les espèces de mammifères terrestres.

Ce nombre est estimé entre 360 000 et 460 000 nouvelles espèces de virus à découvrir. Vertigineux…

Des milliards de micro-organismes régulateurs

Les travaux menés par le programme PREDICT n’indiquent toutefois pas le pouvoir pathogène de certains de ces virus pour l’espèce humaine ; et ils n’ont d’ailleurs pas caractérisé le virus du Covid-19, responsable de la pandémie actuelle essentiellement par ce que c’est une forme recombinante et donc imprévisible par nature. Cette recherche n’a pas non plus identifié les très nombreuses espèces de bactéries, champignons parasites, helminthes ou encore protozoaires que les chauves-souris abritent. On comprend bien que le nombre de micro-organismes hébergés par ces animaux est incommensurable.

La diversité biologique en micro-organismes sur Terre est une fonction puissance du nombre d’espèces animales, c’est-à-dire qu’il faudrait multiplier ce nombre par lui-même plusieurs dizaines ou centaines de fois pour obtenir le nombre de micro-organismes totaux. C’est très certainement de plusieurs facteurs exposants qu’il faudrait estimer cette diversité en micro-organismes, en fonction du nombre d’espèces animales sur Terre. Et il faudrait le faire en prenant en compte ce qu’abritent naturellement les eaux continentales et côtières, les sols, les plantes, les systèmes racinaires de plantes…

La vie que nous voyons s’organise autour d’une diversité invisible (dark biodiversity) constituée de micro-organismes qui assurent des fonctions essentielles dans les écosystèmes. Sans eux, ces derniers s’écroulent ou sont moins résilients aux aléas et aux crises environnementales et anthropiques. Les idées qui se diffusent aujourd’hui dans le domaine médical, concernant le microbiome intestinal de l’être humain et sa diversité bactérienne comme garante d’une meilleure santé des individus, constituent des applications directes de ce que nous enseignent les écologues travaillant sur des systèmes plus complexes depuis maintenant plus de 40 ans.


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Faut-il dès lors explorer et décrire cette diversité microbienne afin d’identifier les possibles agents de futures épidémies ? Nous le décririons, en ayant les moyens humains et financiers pour le faire, que des crises sanitaires se déclencheraient de manière insidieuse, avant même que ce travail titanesque ait pu faire un premier tour de toutes ces descriptions !

Puisque la vie que nous observons s’organise et se régule grâce à ces myriades de micro-organismes, quelle est la part de responsabilité des activités humaines dans les dérèglements actuels ? Aurions-nous entrouvert le couvercle de la boîte de Pandore, laissant un flux plus conséquent de micro-organismes s’échapper, avec des conséquences potentiellement désastreuses ?

La réponse est affirmative. Par nos pratiques et, plus généralement, nos organisations sociétales, nous interagissons aujourd’hui plus fortement avec les écosystèmes naturels et leur biodiversité. La déforestation en hausse dans les zones inter-tropicales – au Brésil, en Indonésie et en Afrique centrale –, mais aussi la recherche de nouvelles terres pour le développement de l’agriculture et l’installation de populations, sont autant de facteurs qui nous exposent à de nouveaux microbes et nous fait interférer avec des cycles naturels de micro-organismes, animaux en particulier.

On qualifie ces cycles d’« enzootiques » ou « sylvatiques », car un nombre important d’entre eux se déroule dans les écosystèmes forestiers, en particulier tropicaux. Ces activités humaines qui ont cours de manière massive dans de très nombreuses régions du monde, « réveillent » en quelque sorte des cycles microbiens naturels, auparavant peu ou jamais exposés aux humains.

L’accroissement de la taille des villes, notamment dans les régions intertropicales (plus de 20 villes aujourd’hui avec des populations de 8 millions d’habitants et plus), expose les populations à des dangers microbiologiques nouveaux, plus importants et plus fréquents. Cela est d’autant plus possible que ces mêmes villes concentrent en leurs marges des populations démunies, parmi les plus pauvres de la planète.

Bangkok, la capitale thaïlandaise, s’est développée rapidement au-delà de ses limites initiales. @IRD/Jean‑Pierre Montoroi, CC BY-NC-ND

En dehors de ces métropoles (Bangkok, Manaus, Lagos, par exemple), des élevages très nombreux et variés (canard, poulet, porc) se sont développés et coexistent dans les zones périurbaines ; ils facilitent le transfert de microbes des uns aux autres, mais relient aussi la faune sauvage à cette faune domestiquée et aux réceptacles que peuvent constituer les populations humaines.

C’est ici même que se trouvent les nouvelles infections humaines.

Cette réalité dépasse la fiction : elle nous rappelle notre existence d’humains vulnérables, aussi arrogants que crédules. Les agents pathogènes des hommes ne sont pas apparus le 7e jour de la Création… ils émergent au gré de nos activités et de nos pratiques par circonstance, par opportunisme. Jamais par nécessité propre.

Des pressions humaines accrues

Imaginons deux mondes : celui du dessus (Upper World), visible par chacun d’entre-nous et incluant toute la biosphère, dont les humains ; et le monde du dessous (Under World), invisible à nos yeux, constitué des millions, des milliards, de micro-organismes, ceux évoqués précédemment. Ces deux mondes ont toujours coexisté, ils s’interpénètrent. Le premier compartiment de l’Upper World n’existerait pas sans celui caché de l’Under World. Cette métaphore nous rappelle évidemment de nombreux films de science-fiction.

Mais cette image est également très proche de certains textes de la mystique et de la mythologie juives, autour de la création du golem, cet être artificiel à apparence humaine, fait d’argile, et créé pour assister et défendre son créateur. Né de la terre glaise, apparaissant très tôt dans la littérature talmudique puis dans certains contes chrétiens, il est dit dans le Talmud que Dieu, en créant Adam, le fit d’abord golem en l’extrayant de la terre. Le golem sera par la suite rappelé à la « poussière » dont il était né.

Une image extraite du film Golem (1921) de Paul Wegener. Imdb

Il existe dans l’histoire humaine, passée et récente, nombre d’analogies avec ces Upper et Under Worlds.

En défrichant la terre pour y semer les premières graines et en chassant les grands mammifères sauvages pour constituer leurs premiers troupeaux, les civilisations humaines du Néolithique ont été parmi les premières à interagir de manière importante avec l’Under World.

À la fin du Néolithique, en Mésopotamie, on estime la population humaine de plusieurs centaines de milliers d’habitants à 3 millions, mais guère plus. En France, à cette même période, on y rencontre 500 000 habitants au maximum.

Des siècles plus tard, au 1er janvier 2019 plus précisément, nous étions 7,7 milliards d’humains sur Terre. Le nombre d’animaux d’élevage, et plus singulièrement de vaches, constitue aujourd’hui 20 % de la biomasse animale de la planète. Les élevages occupent 30 % de zones occupées précédemment par la biodiversité et mettent aujourd’hui en péril près de 40 % des espaces naturels protégés.


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En 2016, selon les statistiques fournies par les Nations unies, les surfaces agricoles couvraient 37,4 % des terres émergées pour atteindre un pic dans les années 1991 avec 39,1 % de couverture. Depuis 1992, le pourcentage de surface agricole mondiale se stabilise autour de 37 %. Si l’espace ne manque cependant pas encore sur Terre, 55,3 % de la population terrestre se concentre dans les villes en 2018 avec 46 % de cette population mondiale présente en Asie orientale et du Sud-Est.

Les terres soustraites aux écosystèmes naturels et à l’agriculture par l’urbanisation et la périurbanisation sont souvent parmi les plus fertiles. Si on dispose de peu de statistiques mondiales à ce propos, on estime que l’équivalent d’un département français est artificialisé tous les 5 à 6 ans ; ainsi près de 10 % de la surface agricole utile disparaîtra d’ici 2060.


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Au travers de ces statistiques générales, on comprend bien en quoi les activités humaines interfèrent massivement, et de manière toujours plus fréquente, avec l’Under World. Par leurs impacts sur les écosystèmes et leur diversité biologique, les êtres humains permettent un flux de communications, plus intensif et continu, vers l’Upper World de myriades de micro-organismes dont certains se révèlent être ce que l’on appelle des « agents infectieux émergents » pour l’humain. Les animaux, sauvages et domestiques, ainsi que les plantes, naturelles et cultivées, subissent ce même type de phénomène à l’heure actuelle.

Seul un retour à la terre, dont le golem est issu, pourra refermer la porte entre les deux mondes. Tenter de supprimer le monde invisible conduirait inévitablement à la disparition de celui qui nous abrite et nous soutient. Vouloir supprimer les chauves-souris au prétexte qu’elles portent en elles les actuels et futurs germes pathogènes pour l’espèce humaine est donc totalement stupide…

Nous préparer aux futures pandémies

Conjonctions épidémiques, conjonctions de crises environnementale, climatique, mais aussi sociale, philosophique, politique, financière, économique… Qui aurait parié il y a quelques semaines encore que la pandémie de Covid-19 ébranlerait à ce point la planète ? Nous nous posons tous énormément de questions concernant ces crises et leur nature.

Des premiers foyers, à Wuhan (Chine), du Covid-19 à sa dispersion épidémique puis son extension pandémique, tout cela nous rappelle ces idées développées par Lorenz dans les années 1960, et son désormais célèbre « effet papillon » selon lequel les battements d’ailes de cet insecte à une extrémité de la planète peuvent influer sur le climat d’une région située aux antipodes.

Selon la « théorie des catastrophes », dans laquelle s’inscrit ce battement d’ailes de papillon, les systèmes de transmission infectieuse répondent bien aux lois simples des systèmes chaotiques. Bien que le comportement chaotique d’épidémies infectieuses paraisse souvent aléatoire et imprévisible, il obéit à des principes mathématiques assez simples qu’il sera possible d’identifier dans quelques semaines.

Effet papillon et théorie du chaos. (Sciences étonnantes/Youtube, 2018).

Avec la mondialisation des échanges, leur extension, leur fréquence, nos sociétés dépendent curieusement de ces quelques ondulations du papillon à l’autre bout du monde. Le papillon, dans les circonstances actuelles, s’incarnant en chauve-souris ou en pangolin, dont la baisse tragique des effectifs naturels et le marché asiatique ont organisé les conditions d’une infection de grande ampleur.

Le sort de nos sociétés n’est plus contingenté par des règles régionales ou nationales, mais bien par des organisations et des désorganisations extérieures et lointaines.

Au sortir de cette crise sanitaire, les citoyens, les décideurs publics, les gouvernements nationaux et les institutions internationales devraient promouvoir une nouvelle organisation mondiale, plus respectueuse des engagements de l’Agenda 2030 des Nations unies. Pour faire émerger une nouvelle forme de résilience internationale face à ces nouveaux dangers.

La recherche scientifique et la médecine doivent aussi s’adapter en promouvant la transdisciplinarité et la remise en cause des connaissances et des savoirs, établis et transmis le plus souvent comme autant de dogmes.

Quelques décennies en arrière, les enseignements de biologie et de médecine infectiologique se concentraient sur les barrières d’espèces comme obstacles au franchissement des infections. Aujourd’hui, les plus fortes promiscuités entre animaux sauvages, d’élevages, l’extension de l’agriculture et l’urbanisation massive conduisent à réinterpréter les transferts de germes microbiens, rendus plus faciles, plus volumineux et plus fréquents, entre plantes, animaux et humains.


Jean‑François Guégan a récemment publié deux articles – l’un en français, l’autre en anglais – sur le thème « Forêts et maladies infectieuses émergentes ».

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