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Volontaires internationaux en Ukraine : résurgence d’un phénomène ancien

De nombreux combattants étrangers s'engagent du côté ukrainien pour lutter contre l'invasion russe. Kai Pfaffenbach/Reuters

Le lendemain de l’invasion russe, le 24 février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky appelait les « hommes libres du monde entier » à venir combattre en Ukraine. Trois semaines plus tard, plusieurs milliers de volontaires étrangers se sont rendus sur place, réunis dans une « Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine » (ILDU).

Pratiquement inédit, cet appel au volontariat combattant a bénéficié de la mise en place de facilités surprenantes. À l’instar du Royaume-Uni, du Danemark ou de la Tchéquie, des gouvernements ont fait savoir qu’ils soutiendraient leurs ressortissants volontaires, a minima en ne s’opposant pas à leur départ.

Des volontaires étrangers partent se battre en Ukraine contre la Russie, Le Monde, 8 mars 2022.

Il s’agit, en Ukraine, d’une augmentation considérable, dans le temps et dans les effectifs, d’un phénomène pourtant déjà présent. Depuis 2014, des volontaires étrangers étaient engagés dans des formations combattantes de part et d’autre dans le conflit opposant le gouvernement central ukrainien aux républiques séparatistes pro-russes du Dombass.

Ainsi, côté ukrainien, deux formations paramilitaires accueillaient des volontaires étrangers : le bataillon Donbass, connu pour ses volontaires occidentaux aux marqueurs politiques situés très à droite, et la Légion nationale géorgienne, formée à partir d’un noyau de volontaires géorgiens résolus à combattre la Russie les armes à la main en souvenir de la guerre de 2008.

En face, dans les républiques « populaires » séparatistes de Lougansk et Donetsk, d’autres étrangers, notamment Grecs et Espagnols – se réclamant du marxisme-léninisme ou de mouvements nationalistes slaves panrusses – s’étaient adjoints aux combats contre l’Ukraine.

Engagement spontané

Pour aussi extraordinaire qu’elle soit, cette série d’événements atteste de la résurgence d’un phénomène ancien et polymorphe : l’engagement spontané et désintéressé de civils étrangers dans un conflit a priori extérieur à leur territoire de résidence, désireux de rejoindre un combat où, pourtant, personne ne les obligeait ni ne les requérait.

Si la fin de l’Ancien Régime avait connu les premiers ébranlements – vers la Pologne puis aux côtés des « insurgents » américains – c’est la Révolution française qui marque véritablement l’inauguration conceptuelle du phénomène. Elle lui permet d’endosser le modèle du citoyen-soldat et le dote d’un horizon idéel, celui d’une guerre para-étatique menée au nom d’un certain nombre de valeurs « nouvelles » – nation, liberté, émancipation – entendues comme universelles.

Dès lors, le XIXe siècle est le « grand siècle » du volontariat international armé, posé sur les vestiges de la « Grande nation », et porté par la perpétuation des idées des Lumières : des Philhellènes en Grèce aux guerres d’Amérique latine, en passant par la Pologne encore et toujours, mais également au travers du Risorgimento et aux côtés de Garibaldi.

Enfin, ce phénomène porte vers la France nombre de volontaires en 1870 puis en 1914, investis des mêmes inspirations. Éminemment libéral, il possède néanmoins une formulation contre-révolutionnaire : en Calabre, au Portugal ou dans les guerres carlistes en Espagne. Les deux avatars ont pu d’ailleurs cohabiter dans un même élan.

La guerre d’Espagne et le Brigadisme

Au XXe siècle, le phénomène connaît une puissante inflexion qui débouche sur l’établissement d’un nouveau modèle : le brigadisme.

La guerre d’Espagne a marqué un seuil dans l’histoire longue du volontariat international combattant. Ce palier fut quantitatif et qualitatif. Pratiquement 50 000 volontaires appartenant à 77 nationalités ont pris les armes en Espagne durant la guerre civile, dans les deux camps.

C’est l’antifascisme qui a attiré le plus grand nombre de volontaires, qui ont rejoint les milices paramilitaires des organisations prolétariennes puis l’armée régulière de la République espagnole.

La plupart d’entre eux, environ 35 000, ont fait partie des Brigades internationales créées en octobre 1936 sur la base d’un projet issu du mouvement communiste international, avant d’être régularisées sous la forme plus conventionnelle d’une pseudo-légion étrangère. Réunissant six à huit brigades, plusieurs dizaines de bataillons pseudo-nationaux ont accueilli des étrangers venant pour les deux tiers de six pays seulement (France, États-Unis, Belgique, Tchécoslovaquie, Canada et Suisse) c’est-à-dire des démocraties accueillant une forte immigration.

Ainsi, près de la moitié d’entre eux ne possédaient pas la nationalité du pays dont ils provenaient. Le modèle des Brigades internationales est venu totalement renouveler les formats précédent de « légions nationales ». D’une part en revendiquant une filiation qui, jusqu’alors, n’était pas toujours explicitement invoquée. D’autre part, en incarnant une forme transnationale définitive et collective qui a transfiguré le volontaire national en « volontaires internationaux ».

Ce palier du brigadisme fut également marqué par une rupture décisive, établie par le genre. Les étrangères furent proportionnellement nombreuses à s’engager comme volontaires, surtout dans les Brigades internationales. La participation de centaines de femmes s’est accompagnée de problématiques spécifiques nouvelles, introduisant la mixité dans un phénomène qui, jusqu’alors, avait été pratiquement intégralement masculin. Rien d’étonnant dès lors à ce que les Brigades internationales aient imposé par surimpression leurs caractéristiques sur le phénomène, jusqu’à devenir l’incarnation du phénomène lui-même dans sa perception contemporaine ; elles en constituent aujourd’hui le point de référence le plus signifiant.

Crise en Ukraine : des volontaires arrivent du monde entier pour prêter main-forte à Kiev, 22 février 2022.

L’héritage des Brigades internationales

Ainsi, ses formes modernes s’inscrivent résolument dans ce nouveau paradigme, par suggestion ou par revendication implicite des Brigades internationales. Durant la Seconde Guerre mondiale, parmi d’autres exemples, la Légion des volontaires français (LVF) fut imaginée comme une « contre » brigade internationale française. Mais après le mouvement des Mahalnicks (Mahal est l’acronyme hébreu de Mitnadvei Chutz LaAretz (מתנדבי חוץ לארץ) « volontaires venant de l’extérieur d’Israël », ces combattants volontaires qui, hommes et femmes, ont rejoint la Palestine en 1948 pour défendre l’État israélien dans son avènement, le phénomène s’est pratiquement éteint durant la seconde moitié du siècle, victime de la guerre froide et d’un pacifisme militant.

Sa première résurgence s’effectue après la disparition du bloc soviétique, lors de l’éclatement de la Yougoslavie, vers les armées croate et serbe, mais également en Bosnie.

C’est à cette occasion que le phénomène se dote d’une dimension transnationale nouvelle marquée par l’irruption de l’islam. Le mouvement des moudjahidins, initié avec la première guerre d’Afghanistan, fait irruption en Europe dans une forme très proche du brigadisme, dans la 7ᵉ brigade musulmane de l’armée bosniaque. Dès lors, les deux décennies suivantes sont presque entièrement dominées par une nouvelle variante, bientôt désignée comme celle du djihadisme. Mais, depuis 2011, une série de signes attestaient d’un retour du brigadisme.

Le djihadisme provoque un retour des engagés volontaires

Paradoxalement, c’est l’essor prodigieux du djihadisme qui va provoquer un retour des formes traditionnelles du phénomène. En défense de populations kurdes, yézidies ou chrétiennes persécutées par l’État islamique, les engagements de volontaires se multiplient, notamment à partir de 2014.

Enfin, il existait dans la région une tradition d’engagements internationalistes aux côtés des Kurdes du Parti des travailleurs. Mais la menace mortelle de l’État islamique sur les cantons kurdes, marquée par la bataille de Kobané, a transformé ce fil en un puissant mouvement transnational. En 2015-2017, des centaines d’étrangers ont rejoint les formations kurdes en Syrie, se revendiquant de l’héritage des Brigades internationales.

Engagement de volontaires étrangers en 2014 pour combattre l’EI (France 24).

Dans sa dimension occidentale, le phénomène procède par des traditions inscrites dans un héritage linéaire remarquable par ses persistances et sa capacité de synthèse, en puisant sans cesse dans ses manifestations passées ses ré-inspirations modernes.

Ce modèle est aujourd’hui mondialisé, à la fois par la capacité de suggestion de l’universalisme libéral et par l’internationalisme hérité du communisme. Car ce qu’il se passe en Ukraine aujourd’hui est, comme à Kobané hier ou à Madrid avant-hier, immédiatement compris et restitué dans un grand récit manichéen saturé de références symboliques largement partagées. Le volontaire international est désormais un citoyen global, capable de s’auto-mobiliser à la fois par indignation face à l’intolérable et par refus de l’attentisme mais aussi sous l’effet d’un puissant désir de transcendance.

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