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Y a-t-il un problème spécifique de management dans l’audiovisuel public ?

Les entreprises de l’audiovisuel public sont chargées de nombreuses missions qui alourdissent et complexifient les grilles de programmes. Tout en plombant les audiences… Lionel Bonaventure / AFP

L’audiovisuel public français entre dans une nouvelle phase de réformes. Parmi les nombreux reproches que lui font la majorité présidentielle, l’incapacité à gouverner les entreprises est l’un des moins spectaculaires, mais l’un des plus pesants. L’audiovisuel public a-t-il un problème spécifique de management, ou le problème est-il plus grave ?

Depuis la nationalisation de la radio en 1945, les politiques audiovisuelles des gouvernements successifs sont principalement inspirées par des intentions politiques, et bien peu par des considérations médiatiques, démocratiques ou de gestion. Le dilemme des gouvernements successifs est le suivant : contrôler l’information, tout en respectant les apparences démocratiques, ou promouvoir une culture de masse.

Dans le premier cas, il s’agit de faire de la propagande ou de la communication politique, même si elles sont souvent contre-productives. Dans le second cas, il est question de distraire le public, soit en abaissant soit en élevant le niveau d’exigence culturelle des programmes. Mais, c’est alors une œuvre de plus long terme, qui demande du temps et beaucoup d’argent, ce dont les gouvernements disposent rarement.

D’où la tentation du recours au secteur privé, qui sait faire de l’audience sans états d’âme, mais qui n’est pas facilement contrôlable, en raison de ses exigences de rentabilité. Cette situation ambiguë conduit à définir les missions de l’audiovisuel public selon la trilogie « informer, cultiver, distraire », mise en œuvre à partir de 1953 sous la direction de Jean d’Arcy, et qui demeure d’actualité. Ce sont les termes qui définissent les missions de la BBC, mais cette dernière bénéficie d’une beaucoup plus grande autonomie à l’égard du gouvernement britannique.

Instabilité politique et institutionnelle

Le poids des politiques pèse sur l’audiovisuel par les conséquences que leurs contradictions entraînent sur les entreprises. Depuis l’ordonnance du 4 février 1959, qui donne un statut à la RTF et la place sous l’autorité du ministre de l’Information, l’audiovisuel public a été ballotté au gré des réformes et de l’air du temps.

Cinq ans plus tard, la loi du 27 juin 1964 transforme la RTF en Office de radiodiffusion et télévision française (ORTF) ; les réformes de 1968 et de 1972 ne changent pas l’ORTF. La loi du 7 août 1974 annonce la disparition de l’ORTF, qui est démantelé le 31 décembre 1974 et remplacé par sept sociétés nationales (TF1, A2, FR3, Radio France, la SFP, TDF et l’INA). La loi du 29 juillet 1982, qui proclame « La communication audiovisuelle est libre », crée la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, composée de neuf sages dont les modalités de nomination sont calquées sur celles des membres du Conseil Constitutionnel.

Une réforme tous les cinq ans en moyenne

La loi du 30 septembre 1986 la remplace par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), qui est remplacée à son tour par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), institué par la loi du 17 janvier 1989. La loi du 1er août 2000 crée France Télévisions ; France 24 est créée en 2006, l’AEF en 2008 et rebaptisé FMM en 2013. Les deux lois du 5 mars 2009 instituent la nomination des présidents des sociétés nationales de programme par le président de la République, réorganisent France Télévisions et décident la suppression progressive de la publicité sur les chaînes publiques.

Enfin, la loi du 15 novembre 2013 réforme la composition du CSA, qui se voit confier la nomination des dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public. En tout, 11 réformes en 59 ans, en attendant la prochaine pour 2019, ce qui fera 12 réformes majeures en 60 ans, en moyenne une tous les cinq ans… Sans compter les quelque 80 modifications de la loi de 1986… Des réformes qui ont créé une instabilité institutionnelle et juridique. D’autant plus qu’au fil des temps les gouvernements ont imposé des missions diverses et parfois contradictoires à l’audiovisuel public : faire de l’audience ou de la qualité, promouvoir la production française tout en dépensant moins, éduquer les publics à la diversité, à l’Europe, au développement durable, aux médias, respecter un pluralisme tatillon, etc., tout en affirmant que le service public est un puits sans fond et un secteur ringard.

Des présidents sans grands pouvoirs

L’instabilité est encore plus marquée pour les présidents des différentes sociétés : la télévision publique a connu 17 présidents en 59 ans, soit un mandat moyen de 3 ans et 6 mois, la radio publique en a connu 16, soit un mandat moyen de 3 ans et 8 mois. Depuis la création du CSA en 1989, la durée moyenne du mandat a augmenté pour Radio France à 4 ans et 2 mois en moyenne (7 présidents) et a baissé pour France Télévisions à 2 ans et 9 mois en moyenne (10 présidents). Dans le même temps, TF1 et M6 n’ont eu respectivement que 3 et 2 présidents.

Des présidents installés sur des sièges éjectables, parce qu’ils sont soumis à la double tutelle du CSA et du gouvernement alors qu’ils ne peuvent mettre en route ni la refonte des programmes ni les réformes de fond qui toutes deux demandent du temps. Nommés par le CSA, dont ils dépendent pour le respect des obligations contractuelles de leurs entreprises, les présidents dépendent du gouvernement, notamment des ministres de la Culture et du Budget, pour le financement de leur action et de leur entreprise, à travers la redevance décidée à Bercy, et le Contrat d’objectifs et de moyens (COM), négocié avec la rue de Valois.

Les entreprises de l’audiovisuel public sont ainsi chargées de diverses missions (production, réalisation, contenus) qui alourdissent et complexifient les grilles de programmes tout en plombant les audiences. Le refus de l’augmentation de la redevance ou de son assiette et la réduction des recettes publicitaires voulue par la réforme Sarkozy de 2009 n’ont pas amélioré les finances de ces entreprises.

Le Royaume-Uni a sacrifié son cinéma

Le récent rapport d’Aurore Bergé va dans le même sens : il préconise d’augmenter l’assiette de la redevance et d’en profiter pour diminuer le temps de publicité dans le service public. Enfin, France Télévisions doit concourir au financement du cinéma et de l’audiovisuel via le CNC. Mais la société de diffusion n’est pas propriétaire des œuvres qu’elle finance, car elle ne peut produire en interne que 25 % des œuvres (depuis 2015, avant c’était 5 % seulement), le reste devant être confié à des sociétés de production « indépendante ».

En bref, France Télévisions n’est pas maître du catalogue qu’elle finance et ne peut donc en revendre qu’une faible partie. Ce frein est accompagné d’une chronologie des médias (temps écoulé entre la sortie en salle et la diffusion télévisée) impose un délai de deux ans avant de pouvoir diffuser sur le petit écran un film financé par FTV…

Ces nombreuses restrictions visaient à préserver un secteur cinématographique considéré comme noble et culturel au détriment d’un secteur audiovisuel considéré comme populaire, voire vulgaire. Le Royaume-Uni a choisi une voie inverse en sacrifiant son cinéma pour favoriser le transfert des scénaristes et artistes vers la télévision. D’où la qualité des séries britanniques et la prospérité de la filiale de la BBC qui revend à l’international. Mais à l’époque de Netflix, qui chamboule tous les schémas anciens, est-ce encore tenable ?

Des salariés sans entreprise

La troisième composante de cette situation inextricable est constituée par les personnels, représentés par des syndicats divisés : ainsi, en 2015 à Radio France, CFDT, CFTC, CGT, SNFORT, SUD et UNSA font grève commune contre le président et le gouvernement à partir de revendications disparates (contre la fusion des orchestres, l’externalisation des vigiles et de l’entretien, la réforme des « ménages » extérieurs, le déploiement de France Bleue à nombre d’emplois constants, etc.). Le Syndicat national des journalistes, qui se dit non gréviste, apporte parfois un soutien ponctuel. Cette division syndicale conduit inévitablement à la surenchère revendicative.

Au départ, les personnels de l’audiovisuel public étaient des fonctionnaires. En 1964, avec l’ORTF, est créé un établissement public industriel et commercial (EPIC), puis en 1975 les entreprises deviennent des sociétés anonymes de droit commun, détenues à 100 % par l’État. Il a fallu des décennies pour faire disparaître les fonctionnaires, qui durant longtemps avaient le droit de conserver leur statut. Mais l’esprit fonctionnaire demeure ancré dans les entreprises publiques. L’esprit de service public revendiqué par les salariés fait ainsi référence à l’appartenance à un statut de quasi-fonctionnaire. Ce sentiment a été renforcé parce que la multiplicité des catégories (il y en avait déjà 159 au sein de l’ORTF) ne permet pas de ressentir une autre unité sociale.

Ainsi, nombre de salariés de l’audiovisuel public n’ont pas le sentiment de travailler dans une entreprise et n’en voient donc pas les contraintes. Le service public à la française est vu comme un service rendu aux salariés, bien plus qu’un service rendu au public. Enfin, les présidents des sociétés publiques et les gouvernements successifs ont parfois été tentés de laisser filer les emplois et les primes afin de préserver une paix sociale relative, donc leur mandat. Résultat au fil du temps, il a été assez facile d’embaucher et plus difficile de faire évoluer les profils, et encore plus de licencier. Quant aux négociations, elles sont toujours longues et délicates : la convention collective commune aux différentes chaînes de France Télévisions a été négociée pendant plus de cinq années et la réunion des rédactions des différentes chaînes, entamée depuis huit ans n’a pas encore vu le jour.

Un paysage audiovisuel transformé par la convergence numérique

Depuis dix ans, le paysage audiovisuel a été bouleversé par la convergence numérique et la révolution des usages. La numérisation a supprimé des métiers et transformé des fonctions, mais les statuts n’ont pas suivi. Les politiques jouaient au Lego avec les entreprises, les salariés se crispaient sur leurs acquis, tandis que les publics allaient voir ailleurs ou consommaient autrement.

La convergence numérique des médias, qui signifie que le public n’est plus captif et qu’il peut consommer des programmes sur des écrans divers (téléviseur, ordinateur) et mobiles (tablettes, téléphones portables), qu’il peut surfer sur plusieurs écrans et zapper sur plusieurs médias, a entraîné dans la plupart des pays européens une redéfinition des missions et des pratiques des entreprises de l’audiovisuel public ; souvent au prix d’une réduction des personnels et de leurs avantages acquis. Ces réformes ont été accomplies dans la douleur, mais elles reposaient sur l’idée simple qu’il fallait adapter l’audiovisuel public au XXIe siècle et aux nouvelles consommations. Ce qui est encore loin d’être acquis en France…

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