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Yogi Adityanath, le moine-ministre qui effraie l’Inde progressiste

Yogi Adityanath, de l'ordre des Goraknath, ébranle tous les fondamentaux de l'Inde démocratique. AFP

Il y a quelques semaines, plusieurs observateurs s’étonnaient de la manière dont s’est déroulée la visite d’Emmanuel Lenain, ambassadeur français à New Delhi, à Yogi Adityanath, homme politique membre du parti au pouvoir, à Lucknow, capitale de l’État de l’Uttar Pradesh.

Yogi Adityanath, est le ministre en chef de cet État d’environ 204 millions d’habitants, et membre du Bharatiya Janata Party, dont est aussi issu le premier ministre Narendra Modi.

Certes, cette visite avait comme objectif premier de signer trois protocoles d’entente entre l’Alliance française et des universités de la ville, rien de plus naturel dans le cadre des politiques de coopération bilatérales entre l’Inde et la France.

Cependant, ce que reprochent journalistes, chercheurs et défenseurs des droits humains réside dans la démarche même de l’ambassadeur français.

Son Excellence Lenain, lors d’une visite au temple de Gorakhpur, quartier général des Gorakhnathis, ordre religieux auquel appartient le Yogi, a participé activement à des rituels religieux hindous et au maternage d’une vache dans une mise en scène politico-religieuse chère aux défenseurs d’une vision radicale et extrémiste de l’hindouisme revendiquée par le ministre en chef de l’Uttar Pradesh.

Un hindouisme politique extrémiste

Adityanath s’inscrit en effet dans la lignée de l’hindutvā, mouvance politique créée lors du processus d’indépendance du sous-continent indien au tournant du XXe siècle, en opposition, d’une part, au Congrès national indien – représenté, entre autres, par Gandhi – et d’autre part, aux orientations plus tardives de la Ligue musulmane de toute l’Inde.

L’hindutvā est aussi l’idéologie au fondement du mouvement Hindu Mahāsabhā et du Saṅgh Parivār, une large « famille d’organisations » paramilitaires d’extrême droite hindoues qui militent pour une hégémonie hindoue sur l’ensemble du territoire indien, voire sud-asiatique.

Emmanuel Macron en compagnie du premier ministre Narendra Modi et du Yogi Adityanath lors de la visite d’État du président français en mars 2018 à Varanasi. Ludovic Marin/AFP

Adityanath est ainsi à l’hindouisme indien ce que Wirathu est au bouddhisme birman.

Wirathu est un moine qui se trouve notamment à la tête de milices responsables de massacres de milliers de Rohingyas en Birmanie.

Dans ce contexte, la visite d’Emmanuel Lenain a suscité nombre de commentaires et rumeurs alimentés notamment par l’extrême droite indienne. Celle-ci se targue en effet que la France, via son représentant, partagerait une politique dure et radicale vis-à-vis de l’islam, forcément « radical ».

Pourquoi la France n’a-t-elle pas pris toute la mesure de cette visite ? Loin d’être anodine, la double position religieuse et politique de Yogi Adityanath pose les fondements d’une Inde tendant de plus en plus vers l’extrémisme religieux et sa traduction en actes politiques graves.

Un moine activiste radical

Yogi Adityanath est à la tête d’une importante communauté monastiques de l’Inde, le Gorakhnath Sampradaya. Ce regroupement ascétique serait comparable aux ordres monastiques bénédictin et trappiste en Occident et regroupe essentiellement des hommes – très peu de femmes – ayant tous fait le vœu de chasteté et d’obéissance à leur gourou. Gorakhnath lui-même, fondateur de cet ordre au XIIe ou XIIIe siècle, serait, selon certaines traditions, l’instigateur du hatha-yoga.

Les membres de cet ordre sont donc connus comme étant des « yogis » et bien des Indiens sont convaincus que les ascètes y appartenant ont développé des pouvoirs surnaturels. Ces ascètes ont par ce fait même une grande ascendance sur la population hindoue.

Déjà au tout début du XXe siècle, la mouvement ascétique gorakhnathi fait sienne la théorie de l’hindutva afin de favoriser la création d’une Inde hindoue. Débute alors une politisation de cet ordre à l’origine exclusivement monastique.

L’ascension d’Adityanath

Né Ajay Singh Bisht, le futur « yogi » devient ascète sous l’égide d’Avaidyanath.

Avaidyanath était alors fort impliqué dans le Hindu Mahasabha, dirigeait l’ordre Gorakhnathi et était député au Parlement ; déjà, il militait pour la création d’une Inde exclusivement hindoue.

À peine une année après être devenu moine au sein du Gorakhnath Sampradaya, Adityanath devient le supérieur de l’ordre Gorakhnathi.

Un jeune « gorakh ». M. Boisvert, Author provided

En 1998, tout comme son prédécesseur Avaidyanath, Yogi Adityanath entre en politique, élu à la Chambre basse (Lokh Sabha) au Parlement indien : l’objectif de cette implication « ascétique » en politique était officiellement la protection des droits des hindous.

Suite aux élections nationales de 2014, remportées massivement par le parti nationaliste hindou Bharatya Janata Party (BJP), Adityanath surfe sur cette vague nationaliste hindoue et devient, en 2017, le ministre en chef de l’État indien de l’Uttar Pradesh.

Islamophobie revendiquée

Il incite toujours différentes milices informelles hindoues à mener des actions plus concrètes – violentes, voire meurtrières – contre ceux qui contreviendraient à la loi étatique pour la protection de la vache.

Les personnes visées par ces mesures sont bien entendu les musulmans, qui constituent près de 20 % de la population de l’État, mais également les Dalits, ces castes dites inférieures, et les chrétiens.

Dans ce contexte, rien de surprenant qu’Adityanath ait affirmé que « tous ceux refusant le yoga n’ont qu’à quitter l’Inde ou à se noyer dans l’océan ».

Depuis quelques années, avant son arrivée au poste de ministre en chef de l’Uttar Pradesh, le Yogi menaçait déjà ouvertement les couples mixtes, à savoir hindou et musulman, notamment quand la femme ou fiancée se convertissait à l’islam pour se marier. Il a été moteur d’une véritable campagne complotiste visant à établir sous le terme « love jihad » que des hommes musulmans séduisaient des femmes hindoues dans le seul but de les convertir.

Love Jihad NDTV.

Depuis décembre 2020, les ratonnades ont fait place, en Uttar Pradesh, à des lois iniques visant les conversions dans le cadre de ces mariages mixtes.

Ayodhya, au cœur des luttes

C’est aussi en Uttar Pradesh que se joue une lutte aussi politique que religieuse. Depuis des décennies, de nombreux militants et religieux revendiquent la « propriété » du site dit d’Ayodhya, perçu comme dernier vestige du royaume de Ram, héros de l’épopée du Ramayana et figure religieuse.

C’est sur ce lieu que l’empereur moghol Babur aurait fait construire, en 1527, une mosquée, un acte (présumé !) sacrilège pour de nombreux fidèles.

Ce postulat est à l’origine de la destruction violente de la Babri masjid d’Ayodhya en 1992, d’attentats et des violences intercommunautaires meurtrières qui suivirent.

Dès 1990, le jeune Adityanath aurait dédié sa vie à la « libération » d’Ayodhya.

Le 6 décembre 1992, des fondamentalistes hindous attaquent le site de la mosquée Babri à Ayodhya et la démolissent, pierre par pierre. Douglas E. Curran/AFP

Dix ans plus tard, en 2002, toujours en lien avec la « ré-appropriation » du site d’Ayodhya, d’autres pogroms éclatent ; des milliers de personnes trouvent la mort dans des conditions atroces.

La même année, Adityanath fonde le Hindū Yuvā Vāhinī, une organisation hindoue calquée sur le modèle des Jeunesses hitlériennes et dont l’objectif premier est la promotion de l’hindutvā. Dans les années qui suivirent, ce mouvement fut responsable de plusieurs événements de violence à l’encontre des musulmans.

Objet de propagande, de contre-discours et terrain politique sensible, Ayodhya est officiellement reconnu depuis décembre 2019 comme lieu historique de naissance du personnage mythique Ram.

Un temple symbole d’une ère nouvelle

En décembre 2020, Adityanath a souligné à plusieurs reprises l’importance de reconstruire le temple original à Rāma, érigié sur le lieu de naissance de la divinité.

Ce temple deviendrait alors l’âme de la nation.

Selon Adityanath, le royaume de Rāma aurait été l’exemple par excellence de bonne gouvernance, et la reconstruction du temple s’impose rapidement.

Maquette du futur nouveau temple de Ram proposé pour le site d’Ayodhya en exposition dans un centre commercial de New Delhi, en octobre 2020. Sajjad Hussain/AFP

Cette vision d’une Inde comme étant une terre hindoue, forgée sur des mythes qui ne souffrent ni critique ni remise en cause, y compris dans leur pendant historique, rompt avec la vision laïque de l’Inde défendue aussi bien par les fondateurs de l’Inde indépendante que par des personnages religieux du siècle dernier tel Ramakrishna.

Pourtant, la popularité de Yogi Adityanath ne cesse de croître dans cette république indienne, toujours pour le moment, laïque.

Selon le journal The Wire, son action en Uttar Pradesh le pose déjà comme futur candidat au poste de premier ministre lors des prochaines élections législatives en 2024.

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