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Satellites Starlink dans le ciel nocturne.
Les satellites en constellation perturbent les observations astronomiques. Vytautas Kielaitis/Shutterstock

Satellites à gogo : un sacré Graal

En mi-mai 2024, 17 000 satellites avaient été lancés et 9 000 d’entre eux étaient encore actifs. Ce n’est pas fini : l’augmentation de la population orbitale suit une courbe exponentielle depuis quelques années… On prévoit ainsi un chiffre de 100 000 satellites en orbite pour la fin de cette décennie ! Clairement, on assiste à un changement de paradigme au niveau spatial et cela implique de se poser quelques questions, notamment quant aux raisons et aux impacts de cette croissance inédite.

À quoi vont donc servir ces milliers de satellites ? La plupart des projets concernent les communications. Utiliser un satellite pour communiquer n’est pas neuf, mais cet outil était peu utilisé. En effet, ces satellites étaient en orbite géostationnaire : il y a un côté pratique pour le pointage car le satellite se trouve toujours au même endroit du ciel, vu depuis un endroit sur Terre, mais la distance (36 000 km d’altitude) introduisait un délai de réponse (un quart de seconde environ aller-retour) peu agréable.

Les nouveaux satellites se trouvent beaucoup plus près de la Terre, à quelques centaines de kilomètres seulement. Avantages : le délai dû au trajet est quasiment indétectable. Problème : comme un satellite en orbite basse fait un tour autour de la Terre en 1h30, il ne passe que quelques minutes au-dessus d’un endroit donné. Il faut donc plusieurs satellites pour assurer les communications en permanence. Et quand on dit plusieurs, ce n’est pas deux ou trois… Il s’agit de mégaconstellations de centaines, voire de milliers de satellites, d’où la frénésie de lancement actuelle. En plus, il existe plusieurs projets concurrents, dont les plus connus – mais pas les seuls ! – sont Starlink de Space-X (12 000 satellites autorisés, 42 000 proposés), Kuiper d’Amazon (plus de 3 200), et OneWeb d’Eutelsat (environ 600).


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Des applications militaires

Avant de lancer autant d’objets, on pourrait se demander qui aura besoin d’une telle infrastructure… De nombreux pays, comme la France ou le Japon, ont de très bonnes installations au sol pour les communications : pas besoin de satellites pour eux. D’ailleurs, le débit offert par ces satellites est bien moindre que ce que peut offrir une connexion par fibre (qui en outre est moins chère pour l’utilisateur) voire par mobile en 5G : le choix est donc vite fait.

Par contre, on peut identifier trois groupes potentiellement intéressés. Tout d’abord, les communautés isolées, loin des grosses villes. On peut penser par exemple à des villages dans l’Himalaya ou des troupes bédouines dans le Sahara. Les grands pontes de ces mégaconstellations ne s’y sont pas trompés et vantent évidemment l’accès partout et pour tous… Il faut toutefois nuancer : ces communautés isolées n’ont pas toujours les moyens de se payer cet Internet satellitaire ! Plus richement dotées, les compagnies maritimes sont une cible de choix : leurs bateaux sillonnent les mers, où l’on peut oublier la connexion par fibre ou réseau GSM, évidemment – le satellite constitue ici une solution évidente. Encore mieux : les militaires. En opération, ils veulent évidemment pouvoir communiquer sans problème n’importe où, n’importe quand, quelles que soient les conditions, et à n’importe quel prix ! Ce n’est pas pour rien que le projet européen IRIS-2 comporte un volet clairement destiné aux armées du continent…

Par contre, s’il s’agit de satellites privés, on peut avoir des surprises, par exemple quand Elon Musk aurait décidé de couper la communication pour les Ukrainiens s’approchant trop près de la Crimée.

Une mégaconstellation, ce n’est donc pas forcément utile mais est-ce au moins rentable ? Starlink a lancé deux prototypes en 2018 et un service minimal a pu commencer deux ans plus tard. Pour se connecter, pour le moment, il faut bien sûr acheter un terminal spécifique, sorte de « box » Internet : jusqu’ici, ils étaient vendus à perte – le coût de revient vient juste de passer sous le prix de vente… Et si les chiffres exacts de la comptabilité de la compagnie Starlink restent secrets, les informations filtrant au compte-goutte annoncent un profit minime, marginal, et certains mois seulement. Musk lui-même annonçait en octobre 2022 une perte de vingt millions par mois. On est loin des prévisions de 2015 : deux millions de clients contre vingt annoncés, 1,4 milliard de chiffre d’affaires contre 12 annoncés. Bref, huit ans après le lancement du projet, la question de la rentabilité n’est pas encore résolue.

Impact à tous les étages

Peupler ainsi l’orbite basse ne se fait pas sans conséquences. La plupart du temps, on en mentionne deux : la pollution du ciel nocturne et les collisions. Pour la première, si vous avez eu la « chance » de voir passer dans le ciel un « train » Starlink, vous ne risquez pas d’oublier cette brillante balafre pointillée défigurant la voûte céleste…

On peut aussi penser à BlueWalker 3, aussi brillant que les étoiles les plus brillantes du ciel, or ce n’est encore qu’un « petit » prototype de la future constellation des « BlueBirds » de AST SpaceMobile.

Bref, pas étonnant que les astronomes ainsi que tous les groupes aux traditions célestes s’arrachent les cheveux de désespoir ! Côté risque de collision, c’est mathématique : plus il y a de monde, plus on risque de se cogner. C’est un peu comme rouler sur l’autoroute à la vitesse maximale et devoir éviter toutes les dix minutes un autre véhicule venant de n’importe quelle direction, lui aussi roulant à pleine vitesse. Au premier semestre 2023, les Starlink ont ainsi dû effectuer 25 000 manœuvres d’évitement et ce chiffre double tous les six mois. Au final, les satellites passeront leur temps à s’éviter les uns les autres et, rien n’étant parfait, la collision avec effet avalanche aura bien lieu à un moment donné, rendant la zone inutilisable…

Au-delà de ces deux problèmes bien connus et souvent médiatisés, il en existe un autre dont on parle moins mais qui est probablement encore pire : l’impact écologique. Il y a eu peu d’études à ce niveau et beaucoup de paramètres restent incertains. Néanmoins, certaines choses semblent déjà claires. Regardons-y de plus près. Il y a d’abord la production du satellite. Comme pour tout objet de haute technologie, on a besoin de nombreux composés électroniques et l’on sait que cela demande beaucoup d’éléments rares, souvent extraits dans des conditions difficiles et mis en forme dans des pays à la législation environnementale peu contraignante.

Mais le pire est à venir car, une fois construit, le satellite est lancé. Son impact dépend alors du carburant utilisé pour alimenter la fusée. Il y a le couple oxygène-hydrogène liquides, le moins polluant, mais on utilise souvent d’autres liquides (kérosène, méthane), des carburants solides complexes, ou encore un mélange solide-liquide.

Que cela produise du CO2 ou de l’eau, deux gaz à effet de serre, n’est pas le problème car la quantité produite par l’ensemble des lancements est énormément plus faible que l’ensemble des autres activités humaines. Soulignons néanmoins que, même s’ils sont rares, un vol suborbital correspondrait à l’empreinte carbone de milliers de vols entre Los Angeles et Londres et que l’impact environnemental en équivalent CO2 est au moins quinze fois moindre si l’on utilise le réseau classique (2 à 4G) que la com satellitaire.

Une pollution en haute atmosphère

Le gros problème des fusées est l’endroit où la pollution se produit : en moyenne et haute atmosphère, contrairement à toutes les autres activités humaines, limitées à la basse atmosphère. Et à ces altitudes, tout ce qui débarque reste plusieurs années et s’accumule car il est difficile de quitter la zone. Bref, on s’attend à un réchauffement de la stratosphère, dont l’amplitude dépendra évidemment de l’ampleur de l’activité spatiale future… Cela n’implique pas nécessairement un réchauffement au sol, au contraire. D’ailleurs, certains projets de géo-ingénierie envisageaient d’injecter des particules d’aluminium pour refroidir la planète, mais vu les incertitudes sur les conséquences, elles ont été découragées. Avec les activités spatiales version « méga », on a donc droit à une expérience de géo-ingénierie non désirée, non contrôlée et mal comprise…

Une fois dans l’espace, il faut encore assurer le bon fonctionnement du satellite, ce qui mobilise des équipes au sol. Il y a là aussi un impact, mais moindre que pour les autres phases, il faut bien l’avouer. Reste enfin la fin de vie. Soit on laisse le satellite dans l’espace, et il devient un poids mort, avec des composants peut-être intéressants mais non recyclés… et une probabilité non nulle de provoquer une collision. Ou alors le satellite redescend et se désagrège en partie dans l’atmosphère. Cela limite évidemment le risque de collision, puisque l’orbite basse est ainsi nettoyée, mais c’est loin d’être inoffensif pour l’environnement.

Ce qui ne s’est pas vaporisé lors de la rentrée tombe, généralement dans l’océan : c’est évidemment perdu pour le recyclage et pas sûr que les poissons apprécient le bombardement, potentiellement délétère pour leur habitat. Ce qui s’est vaporisé ne fait pas mieux. En 2019, on estime qu’une demi-tonne de matériel technologique nous tombait dessus chaque jour, ce qui est fort peu comparé aux cinquante tonnes de matériau interplanétaire qui nous arrive de concert. Cela restera peu dans les années qui viennent : 12 000 Starlink fonctionnant les cinq années prévues provoqueront deux tonnes par jour de retombées. Sauf que… ce n’est pas du tout la même composition que le bombardement naturel ! On a notamment une forte proportion d’aluminium, et on a vu plus haut le problème qu’il pose… Toute pollution stratosphérique devrait donc être évitée le plus possible.

La situation n’apparaît donc pas franchement rose… Faut-il alors se lancer dans une grande diatribe anti-spatiale ? Certainement pas ! Quand bien même on oublierait les retombées scientifiques indéniables des télescopes et autres rovers spatiaux, les satellites restent indispensables à la surveillance de l’environnement… Certains ont même compté que 65 des 169 cibles des objectifs onusiens du développement durable ont besoin des programmes Galileo et Copernicus. La transition écologique ne se fera donc pas sans le spatial. Par contre, il s’agirait de bien réfléchir à ce qu’on lance et de n’envoyer en l’air que ce qui est vraiment utile à la communauté humaine dans son ensemble… et tant pis pour les portefeuilles et les égos de certains milliardaires !

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