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Photo d’un studio de tatouage avec des œuvres d'art encadrées au mur et une table sur laquelle sont alignées des rangées de petites bouteilles d'encre colorée.
Les ingrédients des encres de tatouage ne correspondent pas toujours à ce qui est indiqué sur le flacon. AP Photo/Desmond Boylan

Tatouage et allergies : de nombreuses encres contiennent des ingrédients non indiqués sur l’étiquette

Les tatouages, dont les plus anciens connus datent de plusieurs milliers d’années, sont devenus à notre époque un moyen relativement commun d’exprimer sa personnalité. La plupart des tatoueurs suivent des protocoles stricts en matière d’hygiène, et l’on pourrait supposer que la composition des encres qu’ils utilisent est également très réglementée.

La réalité est néanmoins quelque peu différente. Les résultats obtenus par mon équipe de chimistes suggèrent en effet que la composition de près de 90 % des encres à tatouer utilisées aux États-Unis n’est pas correctement indiquée sur leur étiquette. Il ne s’agit pas seulement d’un pigment manquant, ou d’une légère divergence entre l’affichage et le contenu. Dans de nombreux cas, les encres que nous avons testées contenaient en effet des additifs potentiellement préoccupants qui n’étaient pas répertoriés sur l’emballage.

Que trouve-t-on dans une encre ?

Toutes les encres sont composées d’un ou plusieurs pigments, les molécules qui donnent leur couleur aux tatouages, ainsi que d’un support pour ces pigments. Avant le XXe siècle, les pigments utilisés pour les tatouages pouvaient être des cendres, du charbon de bois, des minéraux ou d’autres matériaux naturels. Vers le milieu du XXe siècle, cependant, les tatoueurs ont commencé à fabriquer leurs propres encres, en utilisant des pigments ou des colorants synthétiques.

(insolubles, les pigments demeurent en suspension dans le liquide qui les contient. Il s’agit de molécules souvent inorganiques, autrement dit ne contenant pas d’atome de carbone, dont la couleur n’est pas ou peu affectée par le milieu dans lequel ils sont. Les colorants sont quant à eux solubles dans le liquide qu’ils colorent. Ce sont des composés organiques – autrement dit des molécules contenant des atomes de carbone – dont la couleur varie selon le milieu, qu’il s’agisse du liquide dans lequel ils sont dissous ou du support sur lequel on les applique, ndlr).


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Aujourd’hui, presque tous les pigments utilisés dans les tatouages (à l’exception des pigments blancs et noirs) sont constitués de telles molécules synthétiques, ce qui permet d’obtenir des couleurs vives.

Initialement, les tatoueurs fabriquaient eux-mêmes leurs encres. Cependant, au cours des dernières décennies, le marché a changé, et désormais les encres sont produites par de grandes entreprises qui les vendent aux artistes. Nous avons décidé de vérifier si ces contenaient bien les ingrédients indiqués sur les étiquettes de ces mélanges. Pour cela, nous avons analysé 54 encres à tatouer disponibles sur le marché nord-américain.

Des ingrédients non répertoriés

Nos résultats ont révélé que plus de la moitié des encres analysées contenaient du polyéthylène glycol (PEG), sans que cela ne soit précisé sur l’emballage. Ce polymère fabriqué à partir d’éthylène glycol est présent dans divers produits médicaux, par exemple certains laxatifs. On sait cependant qu’il peut être à l’origine de réactions allergiques. En outre, dans le cas du tatouage, des recherches ont suggéré qu’une exposition répétée au PEG pourrait entraîner une insuffisance rénale.

Nous avons par ailleurs trouvé dans 15 encres du propylène glycol, un autre composé non mentionné dans les compositions. Structurellement similaire à la glycérine qui est utilisée pour épaissir l’encre, le propylène glycol est généralement non toxique. Cependant, certaines personnes y sont fortement allergiques. Ce composé a même été désigné comme allergène de l’année 2018 par l’American Contact Dermatitis Society (Société américaine de dermatite de contact). Une réaction allergique au propylène glycol peut provoquer une éruption cutanée, des démangeaisons et des ampoules.

Mon équipe a également identifié, dans plusieurs encres, des ingrédients couramment utilisés dans les cosmétiques, mais qui n’ont jamais été testés dans les produits de tatouage. Parmi ces produits non indiqués sur l’étiquetage figuraient le BHT, le dodécane et le 2-phénoxyéthanol. À faibles concentrations, le 2-phénoxyéthanol peut être un conservateur. Toutefois, la Food and Drug Administration a averti que ce produit peut être transmis aux nourrissons par l’allaitement maternel, et provoquer des vomissements et une déshydratation chez les bébés.

Sur les 54 encres que nous avons analysées, seules 29 indiquaient les pigments corrects, tandis que les autres ne listaient pas les pigments contenus, ou en indiquaient de mauvais. C’est un problème connu dans le domaine des encres à tatouer, que les fabricants n’ont toujours pas réglé.

Des préoccupations concernant certains pigments

Des travaux ont révélé que le noir de carbone, le principal pigment noir utilisé dans le tatouage, peut être contaminé par des molécules cancérigènes que l’on trouve également dans les gaz d’échappement des voitures et la fumée de cigarette.

Par ailleurs, de nombreux pigments rouges, jaunes et orange sont des pigments azoïques (qui contiennent deux atomes d’azote connectés). Ces pigments donnent des couleurs vives à l’encre, mais avec le temps, ils peuvent se décomposer en agents cancérigènes.

En Europe, la réglementation interdit l’utilisation du pigment bleu 15 contenant du cuivre et du pigment vert 7. Or ces deux pigments se sont avérés être les deux seuls pigments bleus et verts contenus dans les encres que nous avons testées. L’Union européenne a interdit ces pigments par crainte que leur utilisation dans les colorants capillaires ne puisse provoquer un cancer de la vessie. La possibilité qu’un tel lien existe suite à une utilisation dans le domaine du tatouage n’a pas encore été étudiée.

Améliorer la réglementation

La Food and Drug Administration (ou FDA, l’administration américaine chargée de la protection et de la promotion de la santé publique) commence à prêter plus d’attention à la composition des encres à tatouer. En 2022, le Congrès a adopté le Modernization of Cosmetics Regulation Act, ou MoCRA, qui confère à cette agence fédérale des pouvoirs élargis pour réglementer ces produits.

La FDA est encore en train d’évaluer la meilleure façon d’appliquer le MoCRA, mais la nouvelle loi reposera sur la mise en place d’un étiquetage plus précis des ingrédients. L’agence bénéficiera également d’un pouvoir de rappel des encres jugées problématiques. Jusqu’ici, les encres à tatouer n’ont que rarement fait l’objet de rappels. Ceux-ci ont toujours été volontaires, et uniquement en raison de contaminations bactériennes.

Quelle est la portée de ces résultats ?

À l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus scientifique clair concernant les risques associés aux tatouages, même si l’on sait qu’ils peuvent provoquer des infections et des réactions allergiques, notamment parce que la taille, les couleurs ou l’emplacement des tatouages varient considérablement d’un individu à l’autre. Les problèmes de santé liés aux tatouages mis en évidence jusqu’ici concernaient essentiellement des problèmes survenus suite à des prestations réalisées par des artistes inexpérimentés, qui n’avaient pas respecté correctement les protocoles d’hygiène.

Nos résultats peuvent orienter les travaux des chercheurs désireux de déterminer quels événements indésirables éventuels pourraient être associés aux tatouages (tels que des réactions allergiques survenant à long terme, par exemple). Comprendre ce qui se trouve réellement dans les encres utilisées pourrait aussi aider les médecins à mieux cerner les problèmes de santé potentiels auxquels ils doivent être attentifs chez leurs patients tatoués.

Et si vous souhaitez vous faire tatouer en minimisant les risques de problèmes de santé, veillez à faire appel à un artiste expérimenté, formé aux bonnes pratiques d’hygiène et de soin post-tatouage.

This article was originally published in English

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