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De jeunes pousses de sapin dans une clairière
Le boisement fait partie des mécanismes de compensation des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, il n’est pas toujours facile de s'y retrouver dans les différents types de projets ou méthodes, et l'écoblanchiment n'est jamais bien loin. (Shutterstock)

Les crédits carbone sont utiles pour stabiliser le climat… mais sont-ils utilisés efficacement ?

Pour avoir une chance d’atteindre l’objectif adopté dans l’Accord de Paris de stabiliser le climat planétaire à moins de 1,5 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle, l’humanité devrait être carboneutre entre 2050 et 2070 et montrer un bilan carbone négatif par la suite.

C’est ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a évalué dans son rapport spécial de 2018, et réitéré dans son plus récent rapport.


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On peut douter de l’atteinte de cette cible : les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont atteint de nouveaux records en 2022. Les efforts consentis par les pays et leurs engagements pour 2030 sont largement insuffisants. De plus, la tendance à la hausse semble s’être maintenue en 2023. Ce sera d’autant plus difficile que l’approvisionnement mondial en énergie primaire dépend encore à 80 % des carburants fossiles.

Vue aérienne des sables bitumineux, près de Fort McMurray, en Alberta. Malgré des objectifs ambitieux, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont atteint de nouveaux records en 2022. (Shutterstock)

Face à ce défi, la compensation des émissions de GES peut être l’une des solutions mises de l’avant. Si elle peut être un outil efficace et nécessaire pour limiter le réchauffement climatique, des critiques y voient une manœuvre permettant à certains d’éviter les réductions de GES et de faire de l’écoblanchiment.

En tant que professeurs, chercheurs et chercheuses au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), nous étudions la question des changements climatiques et notamment la manière dont la forêt boréale pourrait contribuer à les atténuer.

Qu’est-ce que la compensation carbone ?

La compensation carbone permet à un émetteur d’émissions de GES souhaitant réduire son bilan d’émissions de payer un tiers pour éliminer des sources d’émissions ou de capter du CO2 déjà présent dans l’atmosphère.

À l’origine, la compensation a été imaginée comme un mécanisme de flexibilité du Protocole de Kyoto négocié en 1997 par les parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Elle permettait de favoriser la participation des pays en développement, non assujettis aux objectifs de réduction d’émissions. Il leur suffisait de réaliser des projets moins intensifs en émissions que le scénario de référence et d’offrir des « crédits » aux pays assujettis contre rémunération, générant ainsi un « développement propre ».

Les projets donnant lieu à des crédits compensatoires sont de deux types : ceux qui évitent le rejet de GES dans l’atmosphère par rapport à un scénario d’émission de référence (la pratique courante) et ceux qui produisent des émissions dites « négatives », c’est-à-dire qui retirent du CO2 de l’atmosphère. Ces derniers comprennent des retraits et un stockage de CO2 dans des réservoirs biologiques (par exemple les plantations d’arbres), géologiques, océaniques (par exemple la fertilisation océanique) ou de produits.

Les pays, grandes corporations et villes qui ont pris des engagements de carboneutralité incluent désormais dans leur planification ce type de compensation avec divers moyens et niveaux de succès.

Réduire les GES reste la priorité

Évidemment, réduire les émissions à la source demeure la priorité. Il faut pour cela réaliser des inventaires d’émissions pour détecter les « points chauds » afin d’appliquer des mesures efficaces qui permettront de réduire, voire de supprimer les sources.

Jusqu’à présent, les efforts de réduction ont surtout ciblé la réduction de l’intensité carbonique de l’énergie ou des matériaux (par exemple le remplacement de sources d’énergie fortement émettrices comme le charbon par des sources moins émettrices ou renouvelables). À l’évidence, cela ne suffit pas : en trente années depuis la CCNUCC, les émissions et la concentration des GES ciblés ont continué d’augmenter.

En effet, la réduction des émissions à l’échelle globale est difficile à concrétiser dans un contexte de croissance démographique. Le découplage, soit la dissociation entre la prospérité économique et la consommation de ressources et d’énergie, est loin d’être accompli. S’il ne peut être fait, la solution sera alors de réduire la production de biens ou de services trop émetteurs.

Mais devra-t-on, par exemple, remettre en cause une innovation qui apporte des bénéfices tangibles pour l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) parce que cela signifie de nouvelles émissions de GES ? Il faudra de toute manière produire l’alimentation, le logement et les services essentiels pour assurer à la population humaine, dont la stabilisation n’est pas envisagée avant au moins une génération, une vie digne pour réaliser les ODD à l’horizon 2030 et au-delà.

Il y a eu des avancées lors de la Conférence des parties sur les changements climatiques (COP 28), qui a eu lieu en décembre 2023 à Dubaï. On prévoit un retrait progressif des carburants fossiles. Mais ces combustibles devraient toujours représenter une part significative de la consommation énergétique primaire en 2050.

Des membres de Greepeace manifestent à la COP28 le 13 décembre, à Dubaï. Les manifestants ont dû composer avec de nombreuses restrictions. (AP Photo/Rafiq Maqbool)

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Sur les marchés du carbone, tous ne sont pas égaux

La majorité des scénarios du GIEC ou d’autres organismes incluent des mécanismes de compensation des émissions pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Toutefois, ce principe de compensation recouvre plusieurs méthodes et types de projets (utilisation d’équipements plus performants sur le plan énergétique, isolation des bâtiments, boisement) et il n’est pas toujours facile de s’y retrouver.

Plusieurs critiques affirment que le recours aux crédits compensatoires est une manœuvre d’évitement des actions de réduction des émissions et que l’affirmation de carboneutralité ou « net-zéro » ne serait qu’une forme d’écoblanchiment.

Depuis 2001, les marchés du carbone réglementaires et volontaires ont fleuri pour utiliser ce mécanisme ou levier économique, mais cela n’a pas été sans pièges. En effet, flairant la bonne affaire, ces marchés ont produit une abondance de crédits dont la fiabilité a été remise en question, parfois à juste titre.

Une récente étude menée conjointement par l’École polytechnique de Zurich (ETH) et l’Université de Cambridge analyse l’efficacité de plus de 2 000 projets destinés à produire des crédits compensatoires. Elle a montré qu’ils ne réalisaient en fait que 12 % des réductions d’émissions de GES annoncées, principalement parce que les scénarios de références ne sont pas adéquats.

C’est par exemple le cas lorsqu’un organisme met en place un projet de conservation d’une forêt en prétendant que celle-ci aurait été récoltée ou brûlée, alors que ce scénario n’était ni envisagé ou inéluctable. De nombreux projets inondent le marché de ce type de crédits carbone (y compris dans des régions du monde où le marché est bien réglementé comme la Californie), alors qu’ils permettent tout au mieux de conserver un stock de carbone existant et qu’au final, ils ne retirent pas de GES de l’atmosphère.

Des critères pour contrôler les crédits carbone

Il existe donc des crédits compensatoires de plus ou moins bonne qualité et il est parfois difficile de s’y retrouver.

Afin d’éviter que le principe de compensation serve à l’écoblanchiment, il est donc primordial de contrôler la qualité des crédits carbone émis sur le marché. Il incombe aux compensateurs de s’assurer de la qualité des crédits qu’ils utilisent dans leur stratégie de carboneutralité.

Microsoft est parmi les compagnies les plus exigeantes sur ce plan et a produit une analyse approfondie des crédits qu’elle pourrait éventuellement se procurer pour éliminer les émissions résiduelles. La sélection a été sévère et soustrait plusieurs catégories de crédits déjà sur le marché.

La compensation carbone s’avère ainsi essentielle pour atteindre nos objectifs climatiques. Toutefois, la sélection de crédits ou compensations carbone de qualité exige une recherche plus approfondie de la part du compensateur et assurément, plus de rigueur de la part des divers marchés afin que l’on puisse éviter le piège de l’écoblanchiment.

Un bon départ est de choisir des organismes transparents montrant publiquement un registre des compensations attribuées, avec des projets suivant des normes internationales et soumis à des vérifications par une tierce partie.

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