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13 secondes au 20h : les Nobel à la télé

Le 6 octobre, le prix Nobel de physique à Takaaki Kajita et Arthur McDonald a mérité 13 secondes au JT de 20h de France 2. Yoshikazu Tsuno/AFP

Récemment une émission de télévision à laquelle je participais se demandait si les téléspectateurs avaient ou devaient avoir des attentes particulières quant à l’information sur le service public de l’audiovisuel. Il en ressortit que l’une des demandes prioritaires portait sur l’investigation : on souhaitait que France Télévisions prenne le temps d’enquêter et de révéler ce qui pouvait être caché, objectif avoué de certaines programmes comme Cash Investigation.

Si cet objectif est tout à fait louable, on peut avoir d’autres exigences, beaucoup moins ambitieuses, mais néanmoins plus quotidiennes. En premier lieu, quant aux informations retenues parmi les milliers de dépêches qui tombent chaque jour, en second lieu quant à leur hiérarchie. Ces attentes se sont souvent exprimées, mais sans parvenir à changer les pratiques sur le fond. C’est en tout cas ce que laisse à penser la façon dont le 20 heures de France 2 a traité cette semaine les prix Nobel.

Le Nobel après le goûter

Voici comment David Pujadas a annoncé celui de physique, le 6 octobre : « La suite des Nobel… Le prix Nobel de physique a été décerné au Japonais Kajita et au canadien McDonald pour leur découverte sur les neutrinos, ces particules pratiquement sans masse qui sont un des constituants de notre univers ». Treize secondes sur une image d’agence pour une découverte qui concerne un des constituants de notre univers ! L’annonce clôt le journal après un reportage de 5’ 30’’ sur la « filière du goûter » consacré aux mérites des biscuits.

Le 7, c’est au tour du prix Nobel de chimie : « Le prix Nobel de Chimie est remis au Suédois Lindahl à l’Américain Modrich et au Turc Sakar. Ils sont récompensés pour les travaux sur l’ADN, l’ADN et sa réparation… Un mot de sport en fin. » Cette fois, la « brève » n’a duré que 9 secondes, calée avant le sport. Cette année, pourtant, les prix semblent couronner deux découvertes fondamentales. Le jury Nobel a salué la première en soulignant qu’elle « a changé notre compréhension des rouages les plus intimes de la matière et peut se révéler cruciale pour notre vision de l’univers ». Quant à la seconde, elle donne une explication nouvelle des mécanismes moléculaires et a des implications fondamentales dans la lutte contre certains cancers.

Pendant le même JT, un reportage sur les biscuits a duré 5’ 30’’, soit 22 fois plus que l'annonce du prix Nobel. Capture d’écran, France 2.

Dans les deux cas, ce que les spécialistes nous expliquent, c’est qu’il s’agit de rien de moins que d’un changement de paradigme. Est-ce que ces informations qui nous concernent tous, puisqu’elles remettent en cause, à terme, nos visions du monde et de l’être humain, ne mériteraient pas un peu plus qu’une dizaine de secondes… Une brève si brève qu’elle fait l’économie des prénoms des chercheurs !

Pas le temps d’expliquer

J’imagine sans mal ce que répondrait David Pujadas à ma question : nos journalistes n’ont pas eu le temps de préparer une infographie expliquant ces informations obscures pour le grand public. Sans doute ne désavouerait-il pas l’ironie de l’un de ses confrères de la radio, qui a annoncé lui aussi le prix distinguant ces savants en soulignant que ni lui ni nous ne connaissions ces noms comme si, en l’occurrence, la valeur d’un savant se mesurait à sa célébrité.

Le cahier des charges de France Télévisions précise en son article 7 qu’elle « diffuse à des heures de large audience, notamment en première partie de soirée, des programmes de connaissances et de décryptage, permettant de vulgariser la science ». Certes, le journal télévisé n’est pas visé par cette phrase, mais n’est-ce pas le devoir du service public de faire comprendre les avancées scientifiques mises en exergue par les prix Nobel ?

Allons plus loin : est-ce que l’explication de ces découvertes ne devraient pas ouvrir le journal plutôt que de le fermer avec les résultats sportifs ? Bien sûr, ce n’est pas facile de vulgariser les avancées de la science d’aujourd’hui. Mais je crains surtout que la difficulté de les rendre visibles grâce à des animations spectaculaires soit la vraie raison de cette mise à la trappe.

Dommage, le service public perd là une occasion de se distinguer par son exigence.

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