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Après le Mediator, la Depakine ?

Le risque de la Depakine chez les femmes enceintes est connu depuis 1968. Mika Razafimbelo/Flickr

Dans le livre Les médicaments en 100 questions (Editions Tallandier) dont nous publions ci-dessous un extrait, le constat de l’auteur, professeur de pharmacie, est sans appel : les malformations et les retards de développement provoqués par le médicament anti-épileptique Depakine chez les fœtus ont été signalés bien trop tard aux patientes et aux médecins. Une mise en perspective utile, alors qu'un fonds d’indemnisation des victimes vient d'être voté par l'assemblée nationale.

Est-on à l’abri de nouvelles affaires comme le « sang contaminé » ou le « Mediator » ? Pour répondre à cette question, il faut remettre en perspective ces deux scandales. Dans l’affaire du sang contaminé, pour des raisons commerciales, on a voulu mettre en vente des médicaments dont on savait qu’ils étaient porteurs d’une contamination dont on n’avait pas su (ou pas voulu) mesurer la dangerosité. On souhaitait « écouler les stocks » de médicaments notamment antihémophiliques qui avaient été préparés à partir de dons « contaminants ». Beaucoup de scientifiques, parmi les plus éminents, à l’époque, avaient sous-estimé le risque !

Pour le Mediator, les choses sont différentes puisqu’on a là un véritable mensonge délibéré et prolongé de la part de l’industriel qui savait depuis plusieurs décennies que son médicament était une amphétamine, qu’il comportait un risque, et qu’il a organisé un véritable système mêlant corruption et silences coupables entre des décisions administratives sans cesse repoussées et des experts sanitaires placés sous influence.

Chaque drame présente ses caractéristiques, les acteurs varient et l’histoire n’a pas toujours le recul nécessaire pour autoriser un jugement. L’affaire Depakine en illustre la difficulté. De quoi s’agit-il ? Ce médicament a été mis sur le marché en 1967 comme anti-épileptique. C’est un médicament efficace et habituellement bien tolère qui a « glissé », en France, vers une prescription majoritairement psychiatrique (troubles bipolaires) pour plus de 80 %.

Première alerte dès… 1968

Des 1968, on lisait dans le prestigieux journal Lancet : « Avant de créer l’anxiété à propos de médicaments utiles, il serait pertinent de savoir si d’autres personnes ont rencontré cette association [entre la Depakine et une malformation] avant d’inclure les antiépileptiques dans la liste des causes de becs-de-lièvre et de fente palatine ». Il y avait déjà un doute. Les anomalies de fermeture du tube neural (spina bifida) ont été décrites en 1982, toujours dans la revue Lancet. Cette malformation, très sévère, nécessite de nombreuses interventions chirurgicales pendant l’enfance. Et pendant plus de quarante ans les alertes se sont succédé… de plus en plus démonstratives, de plus en plus évidentes !

En 1974 la mention de « tics » apparaît dans la rubrique des effets indésirables. En 1984, on définit un syndrome de retard mental ou d’autisme chez des enfants exposes in utero. En 1985, il est signalé : « En cas de grossesse, réévaluer la balance bénéfice/risque. » Dix ans plus tard, on note un renforcement des mises en garde dans la « notice patient » avec la mention de cas de polymalformations et de dysmorphies faciales. Enfin, en 2004, l’accumulation des signaux justifie des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients.

Alors qu’en 2005 les risques malformatifs sont spécifiquement attribués au médicament, en revanche, les retards de développement et l’autisme font dire à l’industriel que les résultats des études sont « contradictoires ». C’est en 2006, seulement, que le Résumé des caractéristiques du produit (RCP, véritable carte d’identité du médicament, précisant ses caractéristiques en termes d’indications, de contre-indications, d’interactions médicamenteuses et de précautions d’emploi) mentionne ces retards : « Pas de diminution du QI global mais légères diminutions des capacités verbales et de hausse du recours à l’orthophoniste. » Le médicament est « déconseillé » aux femmes enceintes.

Un rétropédalage délicat

Pourtant, la haute autorité de Santé indiquait en 2010 « qu’aucun effet indésirable nouveau et grave n’était signalé depuis 2004 ». C’était évidemment inexact et le rétropédalage s’est révélé délicat. Ainsi, en 2011, le RCP indiquait que ce médicament ne devait pas être utilisé pendant la grossesse et chez les femmes en âge de procréer, « sauf en cas de réelle nécessite ».

En 2013, le comité européen chargé d’étudier les risques liés aux médicaments statuait que la Depakine devait être considérée comme le plus tératogène (qui peut être parfaitement bien toléré, mais qui, chez une femme enceinte, peut être à l’origine de malformations du fœtus parfois dramatiques, conduisant, soit à la constitution d’un fœtus non viable et donc une fausse couche, soit d’un fœtus viable mais porteur de malformations pouvant compromettre le pronostic vital) des médicaments anti-épileptiques et régulateurs de l’humeur !

Bref, encore une fois, peu de réactivité, peu d’initiatives, le doute bénéficie à la firme, pas au malade… malheureusement.

Couverture du livre, paru le 15 septembre. Tallandier

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