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Un fidèle lit le Coran alors que les fidèles se rassemblent à la mosquée Massalikul Jinaan à Dakar, le 4 mars. 2020.. Photo de SEYLLOU/AFP via Getty Images

Arrivée de l'Islam au Sénégal : le rôle capital des Almoravides

Le Sénégal est l'un des pays les plus islamisés d'Afrique subsaharienne. Les dernières données publiques complètes sur la répartition de la population du Sénégal selon la religion sont contenues dans le rapport du Recensement de la population et de l’habitat de 1988 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).

Elles indiquent que la population du Sénégal est essentiellement musulmane (93,8 %). Les 6 % restants sont partagés entre le christianisme (4,3 %) et les autres religions, animisme principalement (1,6 %).

Comment cette religion révélée en Arabie a-t-elle été introduite au Sénégal?

Je suis chercheur au Laboratoire d'islamologie de l'Institut fondamental d'Afrique noire de l'université Cheikh Anta Diop. Mes recherches portent entre autres sur l’éducation, les foyers et acteurs de l’enseignement arabo-islamique au Sénégal et en Gambie, la littérature sénégalaise d’expression arabe, les poètes sénégalais, la production scientifique des marabouts lettrés sénégalais et la collecte des manuscrits.

Les premiers disciples africains

Révélé en 610 après Jésus-Christ, en Arabie (actuelle Arabie saoudite), plus précisément à la Mecque, l’Islam attendra quelques années pour pénétrer l’Afrique. En effet, en 615 (après Jésus-Christ), la première vague d’émigrants musulmans se réfugia en Abyssinie. L’Éthiopie constitue donc la terre estampillée par le monde islamique comme le sanctuaire des premiers disciples arabes du Prophète Mouhamed (PSL), qui avaient fui la persécution qui sévissait sur leur propre sol. La mosquée d’Al-Nadiachî, située dans le nord du pays, est l'une des premières d’Afrique, selon le chercheur Akram Diyaa Al-Amrî.

Le gouverneur Amr Ben-As fait son entrée en Égypte en 639. La ville d’Alexandrie tomba le vendredi 22 décembre 640. Après deux ans de lutte, l’Égypte fut soumise à l’Islam. La pénétration de l’Islam et de ses enseignements dans le Nord et l’Ouest du continent africain s’est effectuée à travers le Sinaï, par l’Égypte. De là, s’organisa une campagne militaire vers la Cyrénaïque ou Barqa, dans l’actuelle Libye et au-delà, vers l’ouest et l’extrême ouest : Tunisie, Algérie et Maroc.

Uqba Ben Nafic un neveu du célèbre gouverneur d’Égypte “entreprit une campagne contre les États de Nubie en 642”. Uqba a conduit l’armée musulmane en Ifriqiya (actuelle Lbye), cette partie de l’Afrique du nord. Sous sa conduite, les Arabes entreprirent de soumettre les Berbères. Ils implantent l’Islam chez les Berbères vers 670. Ils édifièrent Kaïroan (Tunisie), la première ville musulmane en Afrique.

Le rôle des Almoravides

L’Islam aurait fait son entrée officielle dans le Soudan occidental : Sénégal, Mauritanie, Ghana, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad au XIe siècle. Les Almoravides,une dynastie musulmane qui domina l'Afrique du Nord et l'Espagne, convertirent les Sarakholés, les Toucouleurs, les Songhaïs et implantèrent l’Islam, par leurs disciples maures, en Afrique subsaharienne. Les principaux États où l’Islam a joué un rôle sont les suivants : les trois empires soudanais du Ghana, du Mali, du Gao, l’empire du Bornou, les États Peul et Toucouleur et les royaumes Wolof. La dernière tentative fut celle du résistant guinéen Samory Touré.

Les Almoravides, qui avaient leur base en Mauritanie, ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion de l’Islam en Afrique au Sud du Sahara. Avec les Almoravides, l’Islam guerrier connaît un regain d’activité, à partir de 1034. La vague composée d’Arabo-Berbères (maures) venus d’Afrique du Nord, en passant par le Sahara occidental, par les routes de commerce, en direction de l’Afrique noire, a poursuivi son chemin pour atteindre la vallée du Sénégal. Dans le Sénégal actuel, le Fouta-Toro (nord du pays) fut le premier pays islamisé dans son ensemble.

War Diabi, mort en 432 H (1040 après J-C), fut le premier souverain du Tekrur, avec sa capitale qui se trouvait non loin de l’actuel Podor (nord du pays), à se convertir à l’Islam. Selon Thierno Ka, il est probable que War Diabi fut converti à l’Islam par les commerçants irakiens qui auraient été les premiers à pénétrer l’Afrique de l’Ouest forts de leur religion islamique.

Naissance des confréries

L’Islam transmis aux berbères Lamtûnâ d’abord, puis Sanhâja (tribu du Sahara) par les arabes, et ensuite aux Toucouleurs par les berbères, s’étend grâce à l’action des nouveaux adeptes maures et toucouleurs, à presque tous les royaumes du Sénégal. Selon Monteil, on doit se poser la question de savoir quelles sont les causes de ce succès de l’Islam en milieu négro-africain.

Elles sont multiples. Selon lui, “il y a la dislocation de la société animiste, l’adoption de l’Islam ouvre des perspectives nouvelles (…). L’Islam se présente comme une foi simple, claire et solide…. Mais aussi la souplesse d’adaptation à l’Afrique, autrement dit, l’africanisation de l’Islam (la tolérance de la polygamie, le sentiment de fraternité musulmane)”.

La seconde phase de l’islamisation s’est manifestée au Sénégal avec la naissance des confréries religieuses. La vague d’islamisateurs sénégalais du XVIIe siècle, commença avec Malick Sy 1er, le fondateur de Boundou, vers 1681, Thierno Souleymane Baal mort en 1776, Almamy Abdel Khadre Kane (1728-1804), El-Hadji Oumar Tall (1797-1864), Ahmadou Cheikhou (1775-1875), Maba Diakhou Ba (1809-1867), Demba Debasi dit Mamadou Lamine Dramé (1840-1887) et Fodé Kaba Doumbouya (mort en 1901) en Casamance.

Selon l'islamologue français Vincent Monteil, “le groupe linguistique et culturel de langue peul (pulaar ou fulfulde) a joué un rôle décisif à partir du XVIIIème siècle dans la constitution d’États musulmans et dans l’islamisation de l’Afrique occidentale. Cela s'explique par la proximité entre le Fouta Toro (Nord du pays), berceau de l'islam au Sénégal et la Mauritanie. Cependant, les recherches le confirment, les autres "groupes comme les mandingues ont également contribué sensiblement au développement de l'islam dans ce pays.

Les musulmans se rassemblent pour accomplir la prière de l'Aïd al-Fitr, la fête musulmane marquant la fin du saint mois de jeûne islamique du Ramadan, à la mosquée Diamalaye à Dakar, Sénégal, le 22 avril 2023. Photo d'Annika Hammerschlag/Agence Anadolu via Getty Images.

Les figures de proue

Selon le chercheur français Cristian Coulon, "les prêcheurs du Sénégal tels que Amadou Bamba, fondateur d’une confrérie, devenue le symbole de la résistance de l’Islam en Afrique noire, la confrérie mouride, ou El-Hadji Malik Sy l’un des grands rénovateurs de la Tijaniya (confrérie musulmane), furent au début du siècle des figures de proue d’un Islam qui s’érigea en société idéale parallèle au projet colonial. Les marabouts enseignants qui portaient ce projet de l'islam en éduquant, en formant et en socialisant les musulmans sont nombreux au Sénégal.

L’introduction de l’Islam au Sénégal s’est réalisée, essentiellement, par le négoce, l’enseignement et la persuasion. Plusieurs islamisateurs, étaient marabouts-enseignants. Ainsi, la diffusion de l’arabe au Sénégal, et dans tous les pays musulmans, est en liaison étroite avec le développement de l’Islam dans ces sociétés. Au fil des années, de nombreux foyers d’enseignement arabo-islamique se sont constitués.

L’autorité coloniale, dès son installation au Sénégal, considérait la pratique de cet enseignement comme l’une de ses préoccupations majeures. Selon l'islamologue français Vincent Monteil, les jugements officiels de la période coloniale peuvent se résumer dans cette phrase : "L’Islam, voilà l’ennemi”.

Pour sa part, le lieutenant Abdon-Eugène Mage conclut son voyage, dans le Soudan Occidental en 1872, en affirmant :

la plupart des maux de l’Afrique viennent de l’islamisme. Ni dans nos colonies actuelles, ni dans celles qu’on fondera plus tard, même quand il se présente sous les dehors les plus séduisants, comme cela arrive parfois au Sénégal, jamais, dans aucune circonstance, on ne doit l’encourager.

L'éthnographe et fonctionnaire colonial français Maurice Delafosse, estime que “la civilisation musulmane ne répond ni aux aspirations ni aux besoins des sociétés noires… Islamiser un noir, c’est le jeter dans une impasse morale où il devient incapable d’évoluer”. Monteil considère que “l’Islam noir est une religion en pleine expansion, vivante et dynamique, dont la marche paraît, pour le moment, irrésistible”.

En définitive, la progression de la religion musulmane au Sénégal, est devenue incontournable. Les Almouravides ont joué un rôle important dans la diffusion de l'islam en Afrique au Sud du Sahara. Les Mauritaniens ont formé les premiers marabouts sénégalais. Ces derniers n'ont pas tardé à fonder des foyers d'enseignement arabo-islamique d'excellence au pays.

De fait, mes recherches ont montré que l'islam a continué de prospérer et est solidement ancré au Sénégal, ceci, malgré les différentes tentatives des autorités coloniales, au fil du temps, visant à l'affaiblir. Car, grâce aux efforts des figures islamiques sénégalaises depuis mille ans, le Sénégal reste un pays religieux, fondamentalement musulman, majoritairement confrérique et soufi.

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