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Attaques terroristes et vidéo : la fabrique de la stupéfaction

Policiers en faction après les attentats de Bruxelles. Patrik Stollarz / AFP

Mardi, plusieurs bombes ont explosé à Bruxelles, deux dans l’aéroport international de Zaventem vers 8h du matin faisant de nombreux morts et blessés. Peu après 9h, une autre explosion avait lieu à la station de métro Maalbeek augmentant encore le nombre de victimes de cette journée.

Le village global

Ces attentats ont conduit encore une fois à la production et à la diffusion de vidéos en grand nombre. Ce phénomène de circulation d’images de terreur selon un procédé de répétition médiatique n’est pas nouveau : il remonte à la guerre du Viêt Nam et à la diffusion massive d’images de ce conflit à la télévision.

Mais une accélération s’est fait ressentir après les attentats du 11 septembre. C’est à ce moment-là que la sphère médiatique mondiale aligne son discours autour d’une rhétorique des valeurs communes, ainsi que de l’hébétude partagée avec le grand public. On montre des vidéos nombreuses selon une logique de la preuve audiovisuelle et on les fait tourner en boucle comme pour essayer de se convaincre collectivement que c’est bien vrai.

Si le grand public est informé, il est aussi hypnotisé par ses images qui le retiennent captif devant ses écrans. Un bénéfice pour les médias en prise avec un projet d’information et une nécessité économique qui passe par une maîtrise des audiences.

La théorie du complot

Cette pratique – pointée par certains critiques comme la « BFMisation » de l’information – a généré une montée des discours complotistes structurés à partir de l’analyse des images elles-mêmes : qui y a-t-il dans le hors champ ? Pourquoi ne voyons-nous pas d’image du Pentagone touché par un avion ? Plus prêt de nous, on se souviendra du débat autour de la couleur des rétroviseurs de la voiture utilisée par les frères Kouachi lors des attentats de Charlie Hebdo.

Ces discours complotistes, qui ont leurs experts et leurs suiveurs, connaissent une fortune certaine, car ils permettent à ceux qui les relaient de porter une parole critique contre les médias. On remarquera d’ailleurs qu’il s’agit moins de dire qu’une information en circulation est fausse que d’exprimer sa propre capacité à prendre du recul vis-à-vis du système médiatique.

Les franges les plus jeunes de la population – en phase de construction identitaire – sont particulièrement sujettes à relayer ce type de discours. En effet, les théories du complot leur permettent de prendre la parole sur les affaires du monde et d’exprimer une forme d’intelligence critique, que ce soit à l’école ou sur les réseaux sociaux.

Le quart d’heure de célébrité

L’événement nouveau de la décennie écoulée est l’arrivée des smartphones qui permettent à tous de tourner des vidéos. Il y a deux manières de diffuser des contenus. La première méthode consiste à prendre une vidéo puis à la partager en ligne. La seconde méthode est la diffusion en direct via Periscope notamment.

Jef Versele est l’auteur d’images parmi les plus vus sur Internet suite aux attentats du 22 mars à Bruxelles. Ce Belge alors dans le hall de l’aéroport a tourné quelques vidéos après les explosions : une espèce de réflexe incontrôlé qui tend à se généraliser de plus en plus et qui se situe à mi-chemin entre l’expression d’un « j’y étais » et celui d’un « il faut agir » mue par une conscience nouvelle des acteurs sociaux : celle de réagir face à la léthargie dans laquelle ils ont été plongés depuis de longues années.

La monoforme

Les contenus amateurs font l’objet d’une récupération massive par les médias qui les exploitent de deux manières : soit en les diffusant en boucle, soit en réalisant des montages qui reposent sur l’association de contenus amateur et professionnel.

À l’instar de ce fragment saisi à l’aéroport de Bruxelles qui montre la foule en train de fuir les lieux et qui a été repris par de nombreux médias (Vu sur le compte Twitter : @AAhronheim) :

#BREAKING : Two loud explosions at #Zaventem airport in #Brussels pic.twitter.com/JFw9RGLjnh

— Anna Ahronheim (@AAhronheim)), 22 mars 2016

La vidéo amateur fait office de preuve en même temps qu’elle permet de fixer l’attention du regardeur. L’effet produit par le discours du journaliste en voix-over opère alors comme si un événement nouveau allait se produire dans l’image, chose qui n’arrivera jamais.

Parce que ce sont des plans uniques, ces vidéos sont parfois insérées dans un montage alternant entre la spontanéité de ces témoignages pris sur le vif et la précision de vues professionnelles réalisées a posteriori. Le résultat est une narration d’un genre nouveau, permettant de produire une généalogie des faits qui repose elle-même sur une dynamique de la stupéfaction.

Notre futur ne doit pas être unidimensionnel

À l’heure dite d’une accélération massive de la communication, on observe en parallèle un phénomène inverse de décélération. Celui-ci passe par des logiques de répétition visuelle de l’information et de construction de récits médiatiques longs qui assurent, l’un et l’autre, une saturation des écrans et de l’espace médiatique en même temps qu’ils remplissent une fonction d’aliénation parallèlement à leur mission première d’information.

Plus que jamais, il importe donc d’être vigilant et critique vis-à-vis des formes et des dispositifs médiatiques qui nous entourent.

Cela implique d’engager un travail de décryptage permanent des images, ainsi qu’un dialogue quotidien au sein de l’espace social, dans les institutions d’enseignement et dans les structures associatives (culturelles, humanitaires, sociales, etc.).

Quant à la sphère politique, il faut qu’elle garantisse une expression médiatique multiforme et un débat démocratique fécond.

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