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Des ouvriers déchargent des sacs de riz et de farine devant un magasin à Niamey, le 19 septembre 2023. Photo : AFP via Getty Images

Baisse de 40 % du budget du Niger : ce qui va changer dans l'économie du pays

Des éléments de la garde présidentielle menés par le général Abdourahmane Tchiani ont renversé le président du Niger Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023. En réaction, quelques jours plus tard, un certain nombre de ses partenaires ont suspendu leur aide à Niamey. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (Bceao) ont imposé un embargo économique et financier au pays. Quelques semaines plus tard, Niamey a annoncé qu'il réduisait son budget de 40 %. Enseignant-chercheur à l'Université Abdou Moumouni de Niamey, Amadou Ousmane étudie entre autres les questions de déficit budgétaire et de croissance économique en Afrique de l'Ouest, les déterminants de la croissance des dépenses de santé dans l’espace Cedeao. Il explique ici les raisons de cette réduction et les conséquences sur le pays.

Quelles sont les raisons de cette révision budgétaire ?

Le budget de l'Etat est constitué de deux principales parties. Le total des ressources permet d’effectuer le total des dépenses de l’Etat. La partie ressource est composée :

  • de l’ensemble des recettes fiscales de l’Etat (issues de la fiscalité directe et indirecte) du fait de l’exercice de sa souveraineté vis-à-vis du secteur privé;

  • des ressources issues de la participation contractuelle de l’État à l’économie du marché. Cette participation peut prendre la forme de vente de biens et services et de placements financiers ou la forme de modification du patrimoine public lorsque l’Etat a recours à l’emprunt (crédit bancaire ou émission de titres publics).

  • d'autres sources de financement (dons, emprunts, aide budgétaire des partenaires au développement etc.).

Depuis les événements du 26 juillet 2023, les principaux partenaires au développement du Niger ont décidé de suspendre leur aide ou appui budgétaire au pays. La conséquence de cette décision est qu’une partie importante constituant les ressources de l’État ne sera pas disponible pour le financement de son budget. Les ressources budgétaires ainsi projetées pour l’année 2023 s’élevant à 3.245,44 milliards de francs CFA contre 2.908,59 milliards dans la loi de finances 2022, soit une hausse de 11,58 % (1 franc CFA = 0,00167 USD).

S’agissant des ressources extérieures, elles sont constituées des appuis budgétaires, des aides aux projets et des emprunts obligataires. Leurs prévisions s’élèvent à 1.764,72 milliards de francs CFA contre 1.546,73 milliards en 2022.

Par conséquent, le gouvernement est obligé de voter une loi de finances rectificative pour constater la modification de la loi initiale en tenant compte de cette nouvelle réalité.

En résumé, les ressources provenant des partenaires au développement ont deux finalités : soit elles sont accordées sous forme d’aide budgétaire, soit sous forme de prêts dans le cadre de financement des infrastructures ou d'investissements dans le cadre de la réalisation des projets de développement.

Depuis le 26 juillet 2023, ces deux formes d’appui sont intégralement suspendues, ce qui qui justifie la nouvelle loi de finances rectificative en tenant compte de cette nouvelle donne.

Quelles sont les autres raisons ?

La deuxième raison qui peut expliquer cette mesure provient des conséquences de la fermeture des frontières nationales du pays avec les pays de la Cedeao, principalement avec le Bénin où se trouve le port par lequel passe la majorité des importations du Niger. Ce qui limite les transactions commerciales avec les Etats membres de cet espace. Ce manque à gagner impacte directement sur les prévisions des recettes fiscales du Niger.

Troisièmement, faut-il le rappeler, même en temps normal, l’exécution du budget est accompagnée au cours de l’année par plusieurs séances d’adjudication des bons ou obligations du trésor dans l’espace de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) par l’intermédiaire du marché monétaire.

Les sanctions économiques et financières imposées par ces trois institutions (Cedeao, Uemoa, Bceao) interdisent toutes transactions financières et économiques entre le Niger et les pays membres de ces organismes. Ce qui constitue une entrave sérieuse pour le gouvernement du Niger dans ses capacités à pouvoir financer de manière souveraine son budget. Et c'est ce qui justifie une fois de plus la révision de cette loi de finances initiale.

Cette analyse faite du côté des recettes de l’État peut être aussi reprise du côté de la dépense. Ainsi, dans une moindre mesure, parmi les conséquences des évènements du 26 juillet figurent la suspension de toutes les institutions de la République et la suspension de tous les fonctionnaires sous contrat dans les ministères et les autres administrations de l’État.

Quand on sait que toutes ces institutions travaillent avec des milliers de conseillers spéciaux et techniques en leur sein en dehors même de leur charge de fonctionnement, cette suspension peut être une source importante d’économie des dépenses pour le gouvernement. Mais l’impact social de cette décision semble limité par rapport au grand défi économique et financier au niveau national. D’où la nécessité de revoir une fois de plus la loi de finances initiale.

Un garçon vend de l'essence dans la rue à Niamey, le 14 septembre 2023. Photo : AFP via Getty Images

Quelles seront les implications de cette réduction ?

Dans cette situation, l’État ne peut pas honorer ses engagements à travers ses différentes fonctions économiques régaliennes. Ainsi, les principales implications sont :

  • l’arrêt de tous les projets d’investissement soutenus par un financement extérieur,

  • l’arrêt de certains projets de développement avec financement propre, mais nécessitant beaucoup de moyens financiers (dont le pays manque cruellement de nos jours). C’est le cas des travaux de voiries de Niamey lancés avant les évènements de juillet.

  • une sélection rigoureuse dans les différentes fonctions économiques de l’État dans le domaine de l’affectation ou de l’allocation des ressources, dans ses fonctions de redistribution des ressources et dans ses fonctions de stabilisation et de régulation de l'économie.

A son niveau, l’État va faire un tri entre ses différents types de dépenses (fonctionnement, redistribution, investissement) pour s’en tenir aux dépenses essentielles à la continuité du service public. Ce qui peut avoir une incidence sur le taux de croissance économique revu à la baisse.

Au niveau de la population, c’est surtout la hausse des prix des denrées alimentaires du fait du problème d’approvisionnement du pays en produits de premières nécessité qui peut faire basculer une grande partie des ménages dans la pauvreté, et susciter peut être un mécontentement généralisé de la population. Pour le moment, la population accepte cette situation avec beaucoup d'abnégation et semble prête à accompagner le Comité national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, mis en place par les militaires au pouvoir) dans sa nouvelle orientation du pays.

Au niveau de l’économie globale, cette situation va impacter négativement le développement des activités du pays. Les sociétés publiques comme privées, les entreprises de production, de redistribution ou de commercialisation seront très durement affectées, surtout avec la suspension de l’électricité par le Nigéria. Le manque à gagner sera considérable pour les différents acteurs économiques du pays.  

Que faut-il faire pour aider le pays à se prémunir contre les conséquences de ces coupes budgétaires ?

Le Niger est le quatrième de l’espace Cedeao à se retrouver dans une situation de transition politique ces deux dernières années avec l’arrivée des militaires au pouvoir. Ainsi, très vite après l'événement du 26 juillet et les sanctions qui s'en sont suivies, les membres du CNSP se sont rendus dans ces pays (Mali, Burkina Faso, Guinée) pour échanger et demander certainement conseils et soutiens afin de tenir dans cette situation inextricable.

Pour se prémunir contre les conséquences de ces coupes budgétaires, le CNSP a créé, d’une part, le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie (FSSP) pour recueillir les donations des citoyens nigériens, à l’image de ce qui a été fait au Mali.

D’autre part, le CNSP s’est tourné vers les autres pays amis du Niger et du peuple nigérien aussi bien dans la sous-région, en Afrique que dans le reste du monde pour solliciter un appui multiforme, mais surtout financier pour contrecarrer les sanctions qui lui sont imposées et surtout réussir son œuvre de redressement national.

Un autre sursis viendra, sans doute, du début de l’exportation du pétrole brut en raison de près de 90.000 barils par jour, ce qui va constituer certainement une alternative sûre pour le financement souverain des dépenses budgétaires de l’Etat dans les années à venir. En effet, le 1er novembre dernier, le Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine a présidé la cérémonie officielle de lancement de la mise en production du pétrole brut à Koulélé.

Dans son allocution, le Premier ministre disait que “ces ressources vont nous permettre de nous affranchir de certains types de défis que nous vivons”.

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