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Ce que change l’accord de coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël

Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, serre la main du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à Rabat, le 24 novembre 2021, jour de la signature d’un accord de coopération sécuritaire entre les deux pays. Fadel Senna/AFP

Le 24 novembre dernier, le Maroc et Israël ont signé un accord de coopération sécuritaire. Cet accord, qui prévoit un volet sur la coopération dans l’industrie militaire, pourrait donner un avantage technologique et militaire au Maroc par rapport au voisin algérien, d’autant que son budget militaire (12,8 milliards de dollars) pourrait surpasser celui de l’Algérie dès 2022.

L’accord fait suite aux accords d’Abraham de novembre 2020 qui avaient scellé les relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv en échange de la reconnaissance par l’administration Trump de la « marocanité » du Sahara occidental. Depuis, Rabat a aussi créé une nouvelle région militaire le long de sa frontière orientale avec l’Algérie, augmentant ainsi la présence d’armes et de soldats des deux côtés de la frontière.

La signature de l’accord a encore dégradé les rapports, déjà très tendus, entre le Maroc et l’Algérie. En août dernier, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat, suite à une escalade d’incidents émanant du Makhzen (le pouvoir marocain). Parmi ces incidents, on retrouve notamment les écoutes d’officiels algériens à l’aide du logiciel espion israélien Pegasus ou l’appel de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies en faveur de l’autonomie de la Kabylie – une ligne rouge pour Alger.

Analyser l’accord israélo-marocain à travers le seul prisme algéro-marocain serait toutefois une erreur d’appréciation. En réalité, les pays du pourtour méditerranéen, à commencer par l’Espagne, sont eux aussi concernés.

La bonne image internationale du Maroc va-t-elle s’éroder ?

Jusqu’à présent, le Maroc a bénéficié d’une image d’allié fiable auprès de la communauté internationale, en dépit du fait qu’il soit le premier exportateur mondial de cannabis et que son occupation du Sahara occidental depuis le retrait de l’Espagne de ce territoire en 1975 soit illégale au regard du droit international.

La nouvelle coopération militaire en devenir entre Rabat et Tel-Aviv pourrait bien changer la donne.

Le ministre israélien de la Défense Benny Gantz au Maroc pour une visite historique (France 24, 24 novembre 2021).

En effet, enhardi par ses nouvelles relations avec Israël et, par ricochet, avec Washington, le Maroc pourrait bien se montrer encore plus agressif dans son face-à-face avec l’Espagne.

Rappelons que, avant même la signature de cet accord, le Makhzen n’avait pas hésité, en mai 2021, à envoyer près de 8 000 jeunes Marocains, dont des bébés, inonder l’enclave espagnole de Ceuta, ce qui avait incité les autorités espagnoles à dénoncer une « agression » et un « chantage ». Selon bon nombre d’observateurs, cette opération marocaine était avant tout due à la volonté du pouvoir de Rabat de faire diversion auprès de sa propre population, en proie à de graves difficultés socio-économiques.

Comme le soulignait justement le politologue José Ignacio Torreblanca dans le quotidien espagnol El Mundo, rappelant le précédent de la « marche verte » de 1975, lorsque 350 000 civils et militaires marocains avaient, déjà, marché jusqu’au Sahara occidental afin de l’occuper, le Makhzen n’en était pas à son coup d’essai dans son utilisation de sa population à des fins de politique nationale et de renforcement du trône.

Crise migratoire Maroc/Espagne : retour au calme à Ceuta, tensions entre Rabat et Madrid, France 24, 21 mai 2021.

Cette crise des migrants rappelait aussi que l’interdépendance créée par la globalisation peut être détournée et utilisée comme une stratégie de « guerre de connectivité » au lieu de contribuer au développement. La Turquie de Recep Erdogan avait utilisé les mêmes méthodes en laissant passer des milliers de migrants en Europe, exerçant ainsi une pression sur les pays européens mais démontrant aussi l’interdépendance entre l’UE et la Turquie. Plus près de nous, les sanctions économiques imposées à la Russie par l’UE, les États-Unis et les Nations unies soulignent elles aussi que la globalisation a rendu les pays profondément interdépendants et donc, aussi, plus vulnérables.

Les Espagnols, qui n’ont pas oublié par ailleurs l’intrusion d’éléments militaires marocains [sur l’île espagnole de Perejil en juillet 2002], ne sont pas les seuls à avoir eu maille à partir avec Rabat ces dernières années. Ce fut également, et récemment encore, le cas des Allemands et des Français, qui auraient eux aussi été espionnés par le Maroc à l’aide du logiciel Pégasus.

La nécessaire mise à jour du logiciel géopolitique européen

L’incident de Ceuta en mai 2021 avait mis en évidence « la réalité d’un pouvoir à l’inquiétante régression autoritaire » comme l’avait souligné à l’époque l’éditorial du journal Le Monde, qui invitait à « sortir d’une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc ».

Les différentes manifestations dans les rues marocaines condamnant la venue au Maroc du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, en novembre dernier, révèlent, pour leur part, un profond fossé entre le peuple et le palais royal. Illustration de ce fossé : des manifestants sont allés jusqu’à jeter des pierres sur un portrait géant de Mohammed VI. Geste impensable au Maroc il y a encore peu !

La police anti-émeute marocaine bloque des manifestants qui protestent contre la normalisation des liens avec Israël dans la capitale Rabat, le 24 novembre 2021. Fadel Senna/AFP

Les manifestations récurrentes pour la liberté et la dignité, dans la région du Rif, économiquement délaissée par le pouvoir central de Rabat, pourraient elles aussi s’accentuer. La réponse des autorités marocaines consistant à multiplier les poursuites et les arrestations contre les manifestants ne fait que renforcer le mouvement, qui ne plie pas. Plus encore, la nouvelle alliance avec Israël risque fort d’être la goutte qui fait déborder le vase, non seulement pour le Rif mais pour de nombreux Marocains, aux yeux desquels ce rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv constitue une trahison de la cause palestinienne. La continuation des manifestations du Rif pourrait bien déstabiliser le trône chérifien et susciter une répression sanglante, qui déboucherait inévitablement sur une vague de migration marocaine vers l’Europe.

Sur le plan régional, l’accord avec Israël risque également d’avoir des conséquences importantes. Le Maroc étant mieux armé et donc davantage susceptible d’entrer dans un conflit militaire, même minime, avec l’Algérie ou avec le Front Polisario au Sahara occidental, le Maghreb, mais aussi le Sahel et l’Afrique francophone dans sa globalité, pourraient se voir entraînés dans une spirale d’instabilité dont les ondes de choc se feront sentir jusqu’au cœur de l’Europe à moyen et long terme. Car une déstabilisation de l’Afrique du Nord aura pour conséquence inévitable une vague migratoire vers l’Europe d’une ampleur jamais vue précédemment. De plus, du fait de l’importance de la communauté franco-maghrébine vivant en France, un conflit armé algéro-marocain, même de basse intensité, ne pourrait que se répercuter dans l’Hexagone.

Par ailleurs, cet armement marocain aux portes de l’Europe qui inquiète Madrid risque aussi de créer des tensions diplomatiques et des divisions au sein même de l’Union européenne entre les pays qui soutiennent systématiquement Rabat, comme la France, et d’autres, comme l’Allemagne, qui souhaiteraient voir plus de fermeté vis-à-vis du Maroc.

Si leur attention est actuellement rivée sur l’Ukraine, il serait sans doute judicieux pour les Européens, et spécialement pour la France, de s’interroger si la politique de connivence décrite par le politologue Bertrand Badie est toujours justifiée à l’égard du Maroc. Paris, tout spécialement, pourrait se positionner comme un interlocuteur et un partenaire crédible dans tout le Maghreb s’il mettait un terme à son soutien inconditionnel à l’occupation marocaine du Sahara occidental. Une évolution qui serait d’autant plus utile que, à l’heure où les Européens cherchent une alternative au gaz russe, l’Algérie peut se révéler un allié précieux dans ce domaine.

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