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Ce que les sédiments au fond d’un lac finlandais révèlent de la pollution aux microplastiques

Quatre chercheurs sur la glace du lac Kallavesi en Finlande
Des chercheurs sur le lac Kallavesi (gelé) en Finlande afin de réaliser un prélèvement. Timo Saarinen, Fourni par l'auteur

Le soleil brille et l’air semble étonnamment chaud alors que nous marchons sur les 35 cm de glace qui recouvrent un lac gelé du centre de la Finlande. Derrière nous, les lourds traîneaux se déplacent aisément, car il n’y a pas beaucoup de neige sur la glace aujourd’hui. Le trajet n’est pas long : nous sommes près de la ville de Kuopio, qui est entourée par le dixième plus grand lac du pays. Malgré une température de -10 °C, je dois enlever mon chapeau – le soleil de ce début mars est déjà chaud.

Nous ne réalisons pas cette traversée pour le plaisir du sport ou de la randonnée, mais dans le cadre d’un projet de recherche. Nous nous dirigeons avec détermination jusqu’au cœur de l’étendue gelée afin de prélever, au fond du lac, une carotte de sédiments. Cette boue – que les géologues appellent sédiments – s’y dépose lentement. La vitesse d’accumulation de la boue varie considérablement en fonction de la masse d’eau, mais dans cette baie du lac Kallavesi, environ un centimètre de sédiments se dépose chaque année. En toute logique, les nouveaux sédiments se déposent sur les anciens. À la manière d’une machine à remonter le temps, plus on creuse, plus on remonte dans le passé. On peut considérer les sédiments comme des bibliothèques contenant les histoires non racontées d’un lac. Et si l’on peut lire les mots de la carotte sédimentaire, ils racontent des histoires étonnantes.

Le lac Kallavesi possède un type de sédiments rare et particulier, appelés sédiments laminés annuellement, ou encore sédiments varvés. Ils se composent d’une alternance successive de bandes claires et sombres, comme les cernes d’un arbre, qui peuvent être comptés à rebours du plus récent au plus ancien. On peut y retrouver celui de son année de naissance – ou celle de votre grand-mère. Ces couches de sédiments permettent de remonter à des milliers d’années en arrière.

L’histoire des plastiques enterrée dans la boue

Mais nul besoin de voyager aussi loin dans l’histoire : c’est la présence de particules de plastique dans les sédiments naturels que nous souhaitons étudier, dans la lignée de nos recherches en cours, notamment publiées dans le Journal of Soils and Sediments en février 2023.

Le recours massif au plastique a commencé il y a environ 70 ans. Depuis, neuf milliards de tonnes du matériau ont été produites, dont seuls 12 % sont incinérés, ce qui signifie que 7,5 milliards de tonnes se trouvent encore en circulation : recyclées et réutilisées dans le meilleur des cas, mais on les retrouve également dans des décharges ou enfouies sous terre. Et, au bout du compte, dans la nature et dans les cours d’eau.

Le poids de tout ce plastique est supérieur à celui de tous les habitants de la planète : il y a environ 1000 kg de plastique pour chacun d’entre nous, principalement sous forme de déchets.

Que ferions-nous, vous et moi, si nous devions chacun prendre en charge notre part de plastique ? Voilà à quoi je pense alors que je fore la glace. La glace épaisse nous sert de plate-forme stable, et nous permet de répartir autour de nous tous nos carottiers, scies, traîneaux, tubes, fils électriques et autres casseroles d’eau chaude. Nous utilisons des tiges métalliques pour pousser les tubes de carottage sur onze mètres au fond du lac, jusqu’aux sédiments. Quelques minutes plus tard, nous soulevons les tubes de prélèvement à la surface. Il est connu que la baie est polluée, mais nous sommes surpris par la forte odeur de pétrole qui se dégage de la carotte.

Le plastique étant un matériau très durable, il convient parfaitement comme tube de carottage. Cet avantage représente aussi le pire aspect du plastique : rejeté dans l’environnement, il ne se décompose pas, mais se brise en morceaux de plus en plus petits. Les particules de moins de 5 mm sont appelées microplastiques. Elles ne sont étudiées que depuis 2004, après que Richard Thompson a accidentellement noté leur présence dans les sédiments côtiers près de Plymouth, en Angleterre. Bien qu’il s’agisse d’un domaine de recherche relativement nouveau, nous savons déjà que les microplastiques sont des polluants nocifs qui mettent en danger la vie animale, y compris la nôtre, et qu’ils sont présents partout, du sommet de l’Himalaya aux océans les plus profonds.

Comme les particules naturelles, les microplastiques sont transportés vers les lacs par les rivières, les pluies et le vent. Ils peuvent flotter à la surface, mais finissent par couler au fond. Là, ils seront lentement enfouis sous de nouvelles couches de sédiments. De quelle proportion a augmenté la quantité de microplastiques présents dans la nature au cours des 70 dernières années ? Pour le savoir, il faut se plonger dans les sédiments.

L’art de déchiffrer les couches sédimentaires

La carotte de sédiments de deux mètres est désormais posée sur la table métallique de notre laboratoire. Lorsque nous ouvrons la carotte à l’aide d’une scie, j’en ai la chair de poule : on ne sait jamais à l’avance à quoi ressembleront les sédiments.

La carotte du sédiment lacustre révèle des bandes plus claires et plus sombres qui nous permettent de remonter dans le temps. Fourni par l'auteur

Les sédiments sont constitués à la fois de matériaux naturels et de polluants. Les matériaux détritiques (c’est-à-dire provenant de la désagrégation d’une roche préexistante, ndlt) tels que l’argile, le limon et le sable sont entraînés dans le lac par les crues printanières qui suivent la fonte des neiges – c’est la couche claire des sédiments du lac Kallavesi. Plus la couche claire est épaisse, plus la crue printanière a été intense et plus il y a eu de neige pendant l’hiver.

Les sédiments contiennent également beaucoup de matière organique, non seulement des plantes déplacées par les rivières et du pollen transporté à travers de longues distances par le vent, mais aussi des algues. Les jours d’été ensoleillés, elles fleurissent à la surface du lac et servent ainsi de buffet au zooplancton qui prospère à la surface. Lorsque ces organismes microscopiques meurent, ils coulent eux aussi au fond de l’eau et se fondent dans la vase.

Les sédiments témoignent également des activités humaines. Pour construire un pont ou une route, il faut creuser, ce qui peut accélérer l’érosion des sols. De fait, nos sédiments montrent des couches claires qui peuvent atteindre plusieurs centimètres d’épaisseur. On retrouve aussi de nombreux polluants enfouis dans les sédiments : nous avons découvert des traces de métaux tels que le mercure, le cuivre, le plomb et le zinc, ainsi que des fractions d’hydrocarbures et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui présentent un risque écologique et sont potentiellement dangereux pour la santé. Nombre d’entre eux sont liés à la combustion de combustibles fossiles. En plus de ce cocktail chimique, les sédiments ont aussi été nourris par de grandes quantités de microplastiques.

Parfois, j’ai l’impression de retomber en enfance : jouer dans l’eau et la boue était mon plus grand plaisir pendant les vacances d’été. Aujourd’hui, mes activités ne sont pas très différentes : récolter de la boue, la traiter de différentes manières, la mettre dans toutes sortes de tasses et de machines. Je rentre souvent à la maison avec des vêtements couverts de taches. La différence, c’est que désormais je planifie mes sessions de jeu plus en détail, après avoir passé des semaines en laboratoire à préparer l’analyse des sédiments.

Deux pas en avant, un pas en arrière

Nos résultats préliminaires montrent que les quantités de métaux lourds et de fractions pétrolières ont considérablement diminué depuis les années 1970. C’est une bonne nouvelle, car cela signifie que nous avons compris la dangerosité de ces produits chimiques et que nos actions en faveur de la préservation de la nature ont porté leurs fruits. Malheureusement, ce n’est pas le cas des microplastiques : leur présence dans les sédiments augmente avec le temps.

Gros plan sur des particules microplastiques
Gros plan sur des sédiments lacustres révélant un nombre élevé de particules microplastiques. Nombre d’entre elles proviennent de plastiques à usage unique qui se retrouvent dans l’environnement. Fourni par l'auteur

Les matériaux les plus souvent retrouvés sont le polyéthylène, le polypropylène et le polystyrène, souvent utilisés pour les produits dits à usage unique tels que les emballages. Dans les couches annuelles, on distingue immédiatement les années 2011-2013, qui ont été marquées par d’importants travaux de construction et de dragage dans le port. Durant cette période, un grand nombre de microplastiques sont présents, avec une grande diversité dans les matériaux.

Avec des informations aussi détaillées, nous commençons à comprendre comment les activités humaines ont une influence directe sur les microplastiques dans l’eau. À l’avenir, nous voulons comprendre comment toutes sortes de polluants déjà présents dans la nature peuvent se fixer sur les particules de microplastiques, et ce qui se passe lorsque ces particules sont consommées par le plancton, le zooplancton et la faune qui vit au fond des lacs.

Il y a encore beaucoup de choses que nous ne comprenons pas sur les microplastiques et les risques qu’ils posent, mais nos connaissances s’améliorent avec chaque carotte de sédiments. Ce n’est pas du gâteau. Sauf à considérer qu’il s’agit d’un gâteau de boue…


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.

This article was originally published in English

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