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Dispositif hybride en Croatie. Les renouvelables demandent une programmation rigoureuse. Nenad Kajić/Wikipedia, CC BY-SA

Comment fonctionne le microgrid, réseau électrique intelligent ?

Quand elles sont porteuses d’enjeux de société, les mathématiques suscitent très souvent l’intérêt d’un public non scientifique. Témoin, le récent succès d’Imitation Game, un « biopic » sur Alan Turing dans lequel ce mathématicien britannique brise le code Enigma (la machine que les nazis utilisaient pour crypter leurs communications). Tout comme la cryptographie, l’énergie est un « sujet chaud » qui intéresse beaucoup les mathématiciens. Et il va sans dire que ce domaine pose nombre de questions de société. Je me propose de partir de son enjeu sociétal pour illustrer une utilisation des mathématiques.

Dans le sillage de la COP21, on évoque souvent les énergies renouvelables. Il est fondamental de bien comprendre les difficultés liées à la nature intermittente de ces énergies pour construire des politiques pragmatiques.

Les réseaux du futur : sophistiqués et décentralisés

L’industrie de l’énergie, même traditionnelle, est très consommatrice en mathématiciens, notamment pour l’optimisation et la planification de la production. En effet, savoir quelle quantité produire et avec quelles unités de production est une question difficile à laquelle des générations de matheux ont consacré leurs carrières. Il faut trouver une allocation de la production qui minimise les coûts tout en satisfaisant la demande et les contraintes dues à la régulation et à la physique du système. Cette allocation doit, en outre, être robuste aux aléas : si la demande en énergie augmente soudainement ou si un problème technique survient, le système doit pouvoir faire face. Ces problèmes d’allocations sont résolus par les mathématiciens sur plusieurs échelles de temps et de façon approchée.

En 2020, 20 % de l’énergie consommée en France devrait être d’origine renouvelable. Comment va-t-on gérer le trop-plein d’électricité en heure creuse, et le déficit en heure pleine ? Une solution se dessine : le développement de réseaux électriques intelligents. Le terme « smart grid » revient de plus en plus souvent. Que signifie-t-il ?

Un smart grid, c’est, simplement, un réseau électrique dans lequel de l’information transite. Il est « intelligent » car les points du réseau peuvent utiliser cette information pour décider de leur propre fonctionnement.

Pour aller plus loin dans l’explication, je vais vous présenter le projet de logiciel open-source pour microgrid sur lequel je travaille au sein de l’équipe Inria Commands, hébergée dans le laboratoire de mathématiques appliquées de l’École polytechnique.

Présentation de mon travail, aussi disponible à http://www.cmapx.polytechnique.fr/~heymann.

Le micro-réseau, atome du réseau intelligent

Nous travaillons pour le moment sur le concept de microgrid, c’est-à-dire un smart grid minimal, l’atome du réseau intelligent. Celui dont nous parlons dans notre récent travail existe en taille réelle et se situe au Chili, dans le désert de l’Atacama. Le micro-réseau permet l’alimentation en électricité du petit village attenant de Huatacondo. La bonne gestion de cette production d’électricité est d’autant plus importante que l’électricité est aussi utilisée pour actionner une pompe qui permet de fournir le village en eau.

Nous développons un outil de décision permettant de choisir à quels moments allumer un générateur ou vider une batterie. Il faut insister sur un point : c’est le fait que le stockage de l’électricité soit difficile qui rend l’usage des énergies intermittentes techniquement complexe. Les coûts de stockage et l’usure de la batterie impliquent une bonne maîtrise de la planification.

Notre cahier des charges a été le suivant : faire un logiciel qui, prenant en compte la demande sur un horizon temporel donné, décide de l’utilisation des différents moyens de production. Cette décision doit être prise rapidement et minimiser le coût de façon fiable. Sur le plus long terme, on envisage de proposer des logiciels pour des réseaux électriques intelligents plus complexes.

Panneau solaire du village de Huatacondo, au Chili. Programa Explora/You Tube

Pour produire l’électricité dont il a besoin, Huatacondo dispose d’un panneau solaire, d’une éolienne, d’une batterie et d’un générateur diesel. Le panneau solaire et l’éolienne produisent de l’énergie renouvelable à condition qu’il y ait du soleil pour le panneau solaire et du vent pour l’éolienne. S’ils produisent trop d’énergie, on peut stocker celle-ci dans la batterie pour l’utiliser plus tard. Si au contraire on n’a pas assez d’énergie, on peut allumer le générateur et produire l’électricité manquante avec du diesel, ou utiliser l’énergie stockée dans la batterie.

Utiliser la batterie a un coût : d’une part, une partie de l’énergie stockée est perdue, d’autre part, la batterie s’use. De même l’usage du générateur implique un coût en diesel. Il faut prendre en compte ces deux aspects dans la résolution du problème.

L’algorithme que nous avons développé permet de décider à chaque instant de ce qu’il faut faire rentrer et sortir dans la batterie et de ce qu’il faut produire avec le générateur. Une des principales difficultés que l’on rencontre est la modélisation de l’état du générateur (allumé ou éteint).

La première étape de notre travail consiste à reformuler le problème que l’on vient de décrire dans un langage mathématique. Comme on obtient un problème pour lequel il n’existe pas à notre connaissance de technique efficace aujourd’hui, la deuxième étape de notre collaboration consiste à développer de nouveaux outils pour résoudre ce type de problème.

Principe de programmation dynamique : partir de la fin

Comment faire ? L’algorithme utilisé est basé sur un principe très utilisé en mathématiques appliquées, le principe de programmation dynamique. Voyons sur un exemple ce qui se cache derrière cette expression un peu barbare.

Considérons ce jeu que les fans de l’émission Fort Boyard reconnaîtront peut-être. Deux joueurs sont assis autour d’une table sur laquelle se trouve un tas d’allumettes. Chacun son tour, un joueur prend une, deux ou trois allumettes sur la table et les retire du jeu. Le joueur qui prend la dernière allumette perd.

Jeu des allumettes (position de départ du jeu de Marienbad). Wikimedia, CC BY-SA

Une façon simple de jouer est de partir de la fin. S’il n’y a plus que deux, trois ou quatre allumettes lorsque vient mon tour, j’ai gagné puisqu’il me suffit de laisser une allumette sur la table. S’il n’y a plus que cinq allumettes sur la table, j’ai perdu puisque, quoi que je fasse, mon adversaire aura sur la table au moment où il jouera deux, trois ou quatre allumettes (et on sait qu’un joueur commençant son tour avec deux, trois ou quatre allumettes gagne la partie). Avec six allumettes sur la table, j’ai gagné puisqu’en prenant une seule allumette, je sais que mon adversaire se retrouvera avec le lot toujours perdant de cinq allumettes.

En poursuivant le raisonnement, on peut obtenir une liste des situations perdantes et gagnantes à partir desquelles on peut choisir quel coup jouer. Ce mode de raisonnement, c’est ce qu’on appelle de la programmation dynamique, et le principe de programmation dynamique, c’est une version très générale de ce que l’on vient de décrire.

Un outil innovant et efficace

Le logiciel résout le problème du microgrid en utilisant une version plus générale du principe de programmation dynamique présenté dans la partie précédente. Les résultats obtenus sont très encourageants, puisque l’algorithme fait mieux que les techniques utilisées jusque-là en terme de vitesse de calcul et d’optimalité. Surtout, grâce à la théorie mathématique sur laquelle elle est construite, cette approche va permettre par la suite de développer des aspects que les méthodes actuelles ne prennent pas en compte.

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