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Comment s’explique le succès grandissant des festivals de musiques actuelles ?

Le Future Music Festival, Randwick, Sydney, Australie, en 2013. Wikipédia

La saison 2019 des festivals de musiques actuelles est sur le point de commencer. Comme chaque année, des millions de Français vont se presser pour assister aux évènements musicaux organisés un peu partout dans le pays. D’après touslesfestivals, on a dénombré 7 100 000 festivaliers en France en 2018, un chiffre en augmentation de 4,5 % par rapport à 2017. Certains festivals battent même des records d’affluence : les Vieilles Charrues ont attiré 280 000 personnes l’année dernière, Solidays 212 000 et le Hellfest 180 000.

Parce qu’il représente un formidable outil de marketing territorial, chaque région, chaque département, chaque ville possèdent désormais son festival. Une étude de la fédération France Festivals illustre la très grande densité de festivals sur le territoire avec environ 1 900 festivals. Certains auteurs comme Ronström vont même jusqu’à parler de festivalisation, un mouvement qui peut prendre différentes formes :

  • une festivalisation sémantique qui consiste à requalifier sous le terme de « festival » des rassemblements autrefois connus sous le nom de fêtes calendaires, foires ou encore salons professionnels ;

  • une festivalisation de la musique qui décrit l’augmentation vertigineuse du nombre de festivals au cours des dernières décennies ; et

  • une festivalisation des pratiques artistiques visant à étendre le « mode festival » à toutes les formes d’art (concentration de plusieurs artistes sur un même site, mise en scène exceptionnelle, gigantisme, etc.).

Grand spectacle pendant un festival. Andre Benz/Unsplash

Si les raisons d’un tel engouement pour les organisateurs sont évidentes étant donné les retombées économiques, culturelles et sociales que génère la création d’un festival, comment expliquer un tel engouement de la part du public ?

Le festival comme lieu d’évasion

Au-delà de la programmation souvent exceptionnelle des festivals qui offre la possible de voir sur un même lieu un nombre important d’artistes, une étude que j’ai menée avec Christina Goulding montre que les festivals de musiques actuelles sont perçus par les individus comme un formidable lieu d’expression personnelle. Plus spécifiquement, les festivals de musique sont synonymes d’évasion, de socialisation et de transformation physique et mentale.

Tout d’abord, les individus perçoivent le festival comme une véritable capsule, une parenthèse dans leur vie. En tant que tels, les festivals de musiques actuelles sont une source d’évasion. Dans un monde où les occasions de relâcher le stress sont rares et où la routine du quotidien peut être aliénante, les festivals constituent une alternative extraordinaire. Ils offrent aux individus un cadre unique leur permettant de quitter leur vie ordinaire pour un court laps de temps et ainsi mettre de côté tous les soucis du quotidien. Pendant une, deux ou trois journées, ils sont immergés dans un monde à part dans lequel ils peuvent se laisser aller. Dans cet espace-temps unique, chacun est libre de se comporter comme il l’entend, sans crainte d’être jugé.

Le festival, expérience libératrice. Stephen Arnold/Unsplash

Le festival comme vecteur de socialisation

Les festivals de musiques actuelles entraînent également une désintégration des distinctions sociales, ce qui facilite la création de ce qu’on appelle une hypercommunauté temporaire, c’est-à-dire une communauté d’individus que ne se connaissent pas mais se rassemblent spontanément pour vivre une expérience intense avant de se dissoudre aussitôt la fin de l’expérience. Dans un festival, la socialisation est exacerbée. Comme le statut social de chaque individu est moins visible, tous sont sur un pied d’égalité, ce qui favorise les échanges. Il n’y a plus de médecins, de secrétaires, de mécaniciens ou d’agriculteurs : il n’y a que des festivaliers qui partagent une même expérience.

L’anonymat de la foule. Free-Photos/Pixabay

Le pouvoir du collectif renforce également l’expérience : les individus peuvent s’enthousiasmer pour n’importe quel artiste uniquement par un effet de contagion. Les artistes ne sont pas de simples musiciens : ce sont des héros que les festivaliers viennent célébrer. Dans les festivals de musiques actuelles, tout est exagéré, vécu plus fort. C’est cette dimension collective qui rend l’expérience festivalière si puissante sur le plan émotionnel.

Le festival comme facteur de transformation

Enfin, le sentiment d’anonymat ressenti par les festivaliers est renforcé par la taille de la foule, qui les fait de facto se sentir insignifiants parmi la masse. Puisqu’ils peuvent passer complètement inaperçus, les individus peuvent s’habiller de manière excentrique, se déguiser ou encore danser librement sans être reconnus. Cette transformation physique, qui pourrait être perçue comme bizarre dans la vie réelle, est totalement banale dans l’enceinte du festival et participe au sentiment de vivre une expérience libératrice.

Tel un costume traditionnel lors d’un rituel, le changement d’apparence participe à marquer le caractère unique de l’expérience festivalière et à la différencier du quotidien. Les individus s’extirpent des codes de bonne conduite de la vie de tous les jours pour une expérience plus libre, moins codifiée. Il est par ailleurs intéressant de noter que si les individus adoptent pendant l’expérience un look différent du quotidien, une vraie homogénéité se créée dans le festival, renforçant encore le sentiment d’appartenance et le pouvoir du collectif.

Quand ils quittent le festival, les individus reviennent progressivement à une vie normale, mais ils ne sont pas complètement les mêmes. Le festival les a transformés sur le plan mental : ils se sont laissés aller pendant quelques jours, ils ont vécu avec des barrières sociales moins importantes, ils ont rencontré des gens qu’ils ne rencontreraient jamais dans d’autres circonstances. Ils ont vécu une expérience intense : une expérience certes musicale, mais aussi une expérience sociale et émotionnelle forte. En d’autres termes, ils ont expérimenté le « mode festival ».

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