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Cultures OGM : trêve fragile en Europe

Les végétaux génétiquement modifiés restent suspects aux yeux de nombre d'Européens. Solmule

Les OGM voient leur statut juridique évoluer en Europe. En effet, la plupart des pays de l’Union ont désormais exercé un nouveau droit légal conditionnel qui permet à chacun de bannir de son territoire les cultures d’organismes génétiquement modifiés. C’est la première fois que les pays sont en mesure de le faire depuis plus de 20 ans que l’Union européenne réglemente cette technologie. Il s’agit là d’une tentative de compromis forgée par la Commission de Bruxelles pour dépasser une situation de statu quo, où un seul OGM était cultivé en Europe tandis que certains pays membres les avaient interdits, mettant en avant des préoccupations liées à la sûreté.

Le 3 octobre a marqué la fin d’une période de transition où les États membres ont pu choisir une « option simple » pour exercer leur droit de restreindre la culture des OGM sur une partie ou la totalité de leur territoire. Il y aura d’autres possibilités de le faire, plus tard, mais avec plus de difficultés.

Les pays européens se divisent en deux groupes : à gauche, ceux qui ont fait jouer l’option de refus de culture d’OGM, à droite, ceux qui ne l’ont pas actionné.

Les cultures OGM ont été, on le sait, un sujet de discorde entre pays de l’UE. Une fois qu’un OGM recevait une autorisation de culture, elle s’appliquait automatiquement dans toute l’Union, sans tenir compte des votes, « oui » ou « non », des pays, en vertu de la règle qui postulait qu’un OGM accepté dans un pays pouvait être planté dans tous. De plus, les cultures pouvaient être autorisées alors même que la majorité s’y opposait. C’est ce qui s’est passé dans les années 1990 avec le maïs BT 176 de Novartis.

Certains pays membres ainsi que des régions en Europe se sont opposés en établissant un « réseau sans OGM » et en invoquant une « clause de sauvegarde » qui permettait l’interdiction temporaire d’une culture à un niveau national dans la mesure où de nouvelles informations montraient qu’il pouvait y avoir un risque pour la santé humaine ou l’environnement. Certains pays membres ont aussi milité en faveur d’une plus grande liberté pour restreindre les cultures sur leur propre sol tandis que, de son côté, la Commission retardait les autorisations de nouveaux OGM pour éviter le conflit.

En 2013, la Cour de justice européenne a condamné la Commission pour ces retards. Bruxelles aurait également pu faire l’objet d’une action devant les instances de l’Organisation mondiale du commerce : en effet, la situation des OGM était similaire à celle qui a prévalu entre 1999 et 2003. A cette époque, le moratoire de fait en Europe sur les cultures OGM avait été condamné par l’OMC sous la pression des États-Unis et du Canada.

La nouvelle approche

En 2010, la Commission a proposé de nouvelles règles. L’évaluation et la gestion du risque devaient être harmonisées au sein de l’UE mais les États membres pouvaient imposer des restrictions après autorisation. Après bien des débats, la directive 2015/412 a été adoptée et est entrée en vigueur en avril dernier. Son objectif est de permettre aux pays les plus réticents vis-à-vis des OGM, comme l’Autriche ou l’Italie, de faire le choix de l’interdiction des cultures, et à ceux les plus enthousiastes, comme l’Espagne et l’Angleterre, de cultiver des OGM non encore autorisés.

La directive autorise les pays membres à restreindre les cultures sur un territoire, qu’elles soient en voie d’autorisation ou que ce soit une réautorisation. Il ne faut pas nécessaire pour les pays de donner de raisons à partir du moment où la société de biotechnologies demandeuse d’approbation pour son OGM ne s’y oppose pas. Si les cultures sont déjà autorisées, les États membres peuvent imposer unilatéralement des restrictions s’ils peuvent démontrer qu’elles sont nécessaires pour des « motifs sérieux » (la directive en produit une liste non exhaustive, par exemple les impacts socio-économiques). Cependant, l’entreprise de biotechnologies ou d’autres parties y ayant intérêt seront en mesure de contester la décision devant la justice.

La phase de transition qui s’est achevée le 3 octobre a permis aux membres d’utiliser la première option pour refuser la culture du seul OGM autorisé par l’Europe, le maïs MON810 de Monsanto, ainsi que celles de huit autres OGM en cours d’approbation européenne.

Du maïs transgénique prêt à être testé. Yann Forget/Wikimedia, CC BY-SA

Un compromis efficient ?

Sur les 19 États membres qui ont respecté les délais pour être en mesure d’empêcher la culture d’OGM sur leurs sols, les deux premiers n’ont pas rencontré d’opposition de la part des entreprises de biotechnologies qui avaient déposé les demandes. Les autres devraient être traités de la même manière. En effet, les entreprises espèrent bien que ces pays membres seront prêts à voter en faveur des autorisations à l’avenir, ou du moins ne seront pas tentés de les bloquer. Et qu’ils mettront fin à leurs clauses de sauvegarde, sans en recréer de nouvelles, car ces dernières alimentent les doutes sur la sûreté des cultures OGM.

Sur le long terme, cependant, les choses sont moins claires. Les résultats préliminaires de mes recherches financées par la British Academy, qui incluent des interviews de représentants des États membres, indiquent que cette possibilité de désengagement rendra certains États moins enclins à créer des mesures de sauvegarde, mais aura peu ou pas d’impact sur les votes des autorisations. Il est vrai que les cultures peuvent tout de même être autorisées, soit par vote à la majorité qualifiée, soit par la Commission dans le cas où il y a égalité des pour et des contre. Par le passé, la Commission avait évité le passage en force pour imposer les autorisations. Elle peut aujourd’hui se dire que le système est devenu suffisamment souple pour que cela soit accepté.

Mais même compte tenu de cela, le manque de soutien des États membres aux plantations d’OGM allonge le processus pour l’approbation d’une nouvelle culture. Il n’incite pas non plus les entreprises à accepter d’exclure certains territoires de leurs demandes d’autorisations ou à renoncer à leur droit de contester une restriction d’une autorisation déjà existante. On peut comprendre que les États membres souhaitent être cohérents, à leur niveau national et au niveau de l’Union européenne, dans leur décision d’accepter ou pas une culture particulière d’OGM. Mais alors il y a un risque que les sociétés de biotechnologies demandeuses d’autorisations ne soient pas enclines à accepter sans discussion une restriction dans des pays, à partir du moment où ces mêmes nations se positionnent pour les bloquer au niveau européen.

Comment procéderont les pays souhaitant restreindre les cultures et qui ne reçoivent pas, pour ce faire, la « bénédiction » de la société de biotechnologies ? Si l’Union européenne accorde son autorisation, ils seront réduits à utiliser l’argument des « motifs sérieux » pour imposer sur leur sol la restriction. Cela peut être un argument difficile à faire admettre. Justifier leur décision pour des raisons de protection de l’environnement est une possibilité limitée par la directive. Et parce que les règles autorisent les restrictions au niveau local, il est plus compliqué de faire valoir que l’interdiction pure et simple dans un pays tout entier est justifiée.

D’un autre côté, si les États membres sont empêchés d’opter pour un désengagement, le risque part dans l’autre sens : ils pourraient alors renouer avec les pratiques précédentes, recourir à des clauses de sauvegarde, menacer de bloquer les autorisations, et plus généralement, rendre tortueux l’ensemble du processus d’autorisation.

Ainsi, cette date limite du 3 octobre n’est-elle qu’une étape dans le débat. Si les États membres de l’UE, tout comme les sociétés de biotechnologies se montrent capables de faire preuve de souplesse, plus de cultures pourraient alors être autorisées et les mesures de sauvegarde levées. La directive 2015/412 aura alors rendu possible une trêve durable. Si ce n’est pas le cas, il ne faudra pas attendre longtemps pour que le long conflit sur les cultures d’OGM reprenne au sein de l’Union européenne.

This article was originally published in English

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