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Dans les pas des ours polaires : le quotidien des scientifiques sur la banquise

Gare aux ours ! Au Svalbard, cet archipel norvégien situé à la limite des océans Arctique et Atlantique. Kitty Terwolbeck, CC BY

Le cas de ces scientifiques russes pris au piège en août dernier de leur base encerclée par un groupe d’ours blancs curieux et affamés est une situation bien connue en Arctique. La fin de l’été polaire correspond en effet au moment où la banquise est à son minimum ; les plantigrades affamés et coincés sur les rivages attendent avec impatience le retour de l’automne et de la glace pour avoir à nouveau l’opportunité de chasser le phoque.

C’est pendant cette même période estivale, qui prend fin courant septembre, que les activités scientifiques battent leur plein, tout particulièrement dans la toundra et les régions côtières. Les ours polaires sont affamés, les scientifiques occupent sur le terrain : les « rencontres » deviennent inéluctables.

Passage obligé par le stand de tir

Les chercheurs qui travaillent en Arctique, surtout lorsqu’ils se trouvent sur ou à proximité de l’océan arctique et de ses mers côtières, doivent en général se préparer à ces rencontres avec les grands mammifères blancs. Cet entraînement comprend inévitablement le maniement d’un fusil de chasse et quelques heures au stand de tir. La plupart des bases scientifiques polaires possèdent une zone dédiée à cette pratique ; on y dispense souvent des cours sur la façon de se comporter face à ces animaux impressionnants.

Le fusil est indispensable et doit être conservé à portée de main lorsque le scientifique se rend sur le terrain. Mais il constitue généralement l’ultime moyen de défense. Les chercheurs sont également équipés de fusées et de pistolets lance-fusées pour effrayer les plantigrades un peu trop curieux. Les coups de feu tirés en l’air et le démarrage bruyant de la motoneige peuvent avoir le même effet.

Faire vrombrir son moteur pour éloigner les curieux (l’auteur au Golfe Amundsen, archipel arctique canadien). Sandy Steffen, Author provided

La meilleure attitude consiste à rester sur ses gardes en étant attentif à ce qui se passe tout autour. Cela peut sembler une précaution évidente lorsqu’on opère dans les parages d’un des plus grands prédateurs de la planète, mais il est très facile pour des scientifiques absorbés par leur tâche d’oublier ces recommandations basiques. Une équipe amassée autour d’un instrument cassé ou en arrêt devant une plante rare ne se rendra pas compte qu’un ours approche.

Attention aux crêtes de compression

Se trouver à bord d’un navire scientifique effectuant des recherches comporte d’autres types de risques. Si le navire offre une certaine sécurité, les personnes qui opèrent sur la mer glacée ont, elles, besoin de protection. Et il est étonnant de constater à quel point la visibilité peut être ici réduite à cause des crêtes de compression. Celles-ci se forment lorsque des couches de glace se pressent l’une contre l’autre jusqu’à se briser en gros morceaux qui peuvent s’élever jusqu’à trois mètres au-dessus de la banquise. Ces crêtes composent une excellente couverture pour les ours, qui les utilisent comme des couloirs de chasse, s’appuyant sur leur odorat très développé pour rechercher des proies. C’est pour cette raison que les équipes opérant sur la glace ont généralement dans leur équipe un membre doté d’un fusil de chasse qui fait le guet.

Quelqu’un doit faire le guet. Lucas Jackson/Reuters

Par le passé, les pièges et la chasse représentaient la plus grande menace pour les ours polaires, décimant des populations entières. Depuis qu’un accord international pour leur conservation a été signé dans les années 1970, on compte entre 20 000 et 25 000 individus – les ours polaires restant toutefois classés comme vulnérables.

Aujourd’hui, les plus grands dangers qui les guettent sont liés au changement climatique et à la pollution. Ces mammifères marins ayant une durée de vie assez longue – de 15 à 20 ans, ce qui n’est pas rare en milieu naturel – ils peuvent accumuler dans leur organisme une variété de produits chimiques industriels qui entrent dans les circuits alimentaires de l’Arctique à travers les courants atmosphériques et océaniques en direction du nord.

Sur la piste des polluants

Si d’anciens polluants, tels que les biphényles polychlorés (PCB) et le pesticide DDT sont désormais massivement proscrits, ils sont toujours présents dans l’environnement. Ce sont eux que je piste lorsque je me rends sur le terrain arctique. Ces polluants circulent entre l’air, le sol et la mer, pour venir ensuite s’accumuler dans la neige, la glace et les sédiments marins. Une fois présents dans l’eau de mer et dans la glace, ils sont captés par de minuscules algues ainsi que par le plancton qui nourrissent les poissons, puis de plus gros poissons, et ainsi de suite. Chaque étape de ce cycle voit la concentration de ces produits chimiques augmenter, jusqu’à atteindre des niveaux étonnamment élevés chez les ours polaires qui trônent au sommet de la chaîne alimentaire.

Certaines rencontres se déroulent dans le calme : un biologiste vérifie l’état de santé d’un ours préalablement endormi. Rhode Karyn, US FWS

On s’est récemment inquiété de la présence de polluants plus récents, tels que les retardateurs de flamme halogénés et d’autres produits chimiques organiques fluorés utilisés dans la production des pots et autres casseroles « anti-adhésives ». Ces produits chimiques perturbent les systèmes immunitaire et hormonal des ours polaires, pouvant aller jusqu’à fragiliser leurs os péniens.

L’effet du changement climatique, très prononcé en Arctique, provoque l’accélération de la fonte des glaces au printemps et retarde le gel hivernal : les ours demeurent ainsi enclavés pendant de longues périodes durant l’été. Cette situation les expose davantage à la faim, en plus de la menace de ce cocktail de produits contaminants auquel ils sont confrontés.

Ceci nous ramène à nos pauvres scientifiques otages des ours en quête de nouvelles sources de nourriture pour tromper leur faim estivale. Ces derniers se montrent de plus en plus téméraires… Les rencontres impromptues entre scientifiques et mammifères affamés ne sont pas prêtes de marquer le pas.

This article was originally published in English

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