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Dans une Turquie sous tension, Erdoğan fait fausse route

Des jours sombres pour la Turquie. EPA

En Turquie, le Nouvel An a été marqué par une attaque terroriste revendiquée par l’État islamique (EI), faisant 39 morts et près de 70 blessés, dans une célèbre boîte de nuit d’Istanbul. Après quasiment deux ans d’incidents mortels et d’instabilité politique, les Turcs se sont retrouvés, une fois de plus, à compter les morts, en se demandant combien de drames il leur faudrait encore supporter.

Au cours des 18 derniers mois, la Turquie a été la cible de 30 attaques à la bombe faisant 446 morts, dont 363 civils. Selon certains observateurs, la terreur larvée est même quasiment devenue la norme en Turquie.

Comme si cela ne suffisait pas, cette dernière attaque a eu lieu seulement six mois après un étrange Coup d’État manqué, sans aucun doute l’un des événements les plus marquants de l’histoire de la Turquie moderne.

Les instigateurs de ce coup d’État avorté ont reçu peu de soutiens publics et les leaders de l’opposition ne cessent de répéter que s’il avait abouti, cela aurait été dramatique pour le pays. Mais cet événement aurait pu représenter une opportunité en or pour le Président turc Recep Tayyip Erdoğan et son Parti de la justice et du développement (AKP) : l’occasion de corriger la trajectoire inquiétante du pays en rétablissant la confiance entre les différentes communautés ethniques et religieuses et en lançant un nouveau processus de paix avec les Kurdes, après l’échec de 2015. En somme, c’était l’occasion de faire progresser la démocratie dans le pays.

Mais au lieu de remettre la Turquie dans le droit chemin, le gouvernement a choisi une autre voie.

Diviser pour mieux régner

La période post-putsch a engendré le chaos et accentué les haines préexistantes. Les groupes et les individus ont été victimes d’une répression musclée, parmi lesquels des universitaires, des journalistes, des enseignants, des avocats et des juges. Certains d’entre eux sont soupçonnés de liens avec les partisans du leader religieux exilé Fethullah Gülen, tandis que d’autres soutiennent différents groupes d’opposition.

Cette forme d’autoritarisme était déjà en germe depuis un certain temps en Turquie, en particulier depuis les élections de juin 2015 qui n’ont pas permis à l’AKP d’obtenir la majorité parlementaire. Pendant les quatre mois qui ont suivi le scrutin, les violences politiques et terroristes se sont faites de plus en plus virulentes. Tellement virulentes que la plupart des électeurs turcs se sont convaincus que si l’AKP n’obtenait pas la majorité parlementaire, lors des nouvelles élections organisées en novembre 2015, cette spirale sanglante n’en finirait pas. En menant campagne sur ce thème, Erdoğan a remporté la majorité qu’il désirait tant, mais la paix et la sécurité ne sont pas revenues pour autant.

La tentative de coup d’État a représenté un autre tournant dans l’histoire récente de la Turquie. Erdoğan l’a qualifiée lui-même de « cadeau du ciel » qui a permis aux partisans de la « Nouvelle Turquie » de renforcer leur pouvoir en menant des politiques encore plus répressives. Seulement cinq jours après ce putsch manqué, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence. Censé durer trois mois, il a été prolongé jusqu’à mi-avril 2017. L’état d’urgence est devenu un outil bien pratique pour le gouvernement, qui se sert toujours du prétexte du putsch pour réprimer l’opposition.

Des civils sur un tank à Istanbul, le 15 juillet 2016. EPA

En cette période trouble, plutôt que d’apaiser les divisions entre différents groupes ethniques et religieux, le Président et son parti accentuent les divisions, aidés dans ce projet par les médias grand public. Ils mettent ainsi en place un environnement politique fracturé qui leur permet de promouvoir des amendements constitutionnels visant, à long terme, à concrétiser un projet qu’Erdoğan défend de longue date : celui d’un système présidentiel, présenté comme la seule possibilité de sortir du gouffre.

Mais cette stratégie pourrait bien se retourner contre l’AKP.

Au bord du gouffre

Le pays s’est montré incroyablement résilient face au terrorisme, aux désastres et aux troubles sociaux, mais aujourd’hui, la Turquie subit une pression sans précédent. Et malgré les restrictions imposées par l’état d’urgence, le pays reste très vulnérable aux attaques terroristes.

La violence qui a sévi ces dernières années a renforcé la popularité d’Erdoğan. Beaucoup de Turcs pensent, en effet, qu’il est en mesure d’assurer leur sécurité – mais la peur et l’incertitude ne cessent de croître.

Pour Erdoğan, la pression se fait de plus en plus forte. Par exemple, l’EI a diffusé une vidéo, en décembre dernier, censée montrer deux soldats turcs brûlés vifs en Syrie ; les autorités n’ont ni confirmé ni démenti la véracité des faits. Ensuite, l’ambassadeur de Russie a été assassiné par un policier turc à Istanbul, comme pour signifier que nul n’est à l’abri de nouvelles attaques en Turquie. Cette insécurité galopante nuit au tourisme, à la monnaie (la livre turque), et à l’économie en général, avec en particulier des exportations en berne.

Tous ces éléments ne vont pas faciliter la tâche de l’AKP, qui souhaite consolider sa base électorale. Le gouvernement semble incapable de garantir la sécurité et la stabilité au peuple turc, et si l’EI et d’autres groupes terroristes fomentent des attaques semblables à celle du Nouvel An, les électeurs indécis pourraient bien se tourner vers d’autres partis. Ainsi, l’insécurité qui a tant servi le pouvoir d’Erdoğan pourrait bien le conduire à sa perte.

This article was originally published in English

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