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Disney abat ses cartes à collectionner sur le marché : pour le plus grand plaisir des joueurs ?

Disney et Ravensburger se sont associés pour lancer Lorcana, leur jeu de cartes à collectionner. Capture d'écran du teaser

Depuis son lancement 1993, le marché des jeux de cartes à collectionner (les trading card games ou TCG en anglais) est dominé par l’américain Magic : l’Assemblée. Toujours, il a su faire face à l’arrivée de concurrents, le plus souvent sous la forme de licences commerciales de films, séries ou jeux vidéo à succès. Pokémon, Yu-Gi-Oh !, Star Wars, plus récemment One Piece, aucun ne lui a ravi son statut de leader.

Ce vendredi 18 août néanmoins, voilà qu’arrive sur le marché une nouvelle menace, encore plus forte peut-être : Lorcana, un jeu imaginé par Disney et distribué par le géant des jeux de société et des puzzles qu’est Ravensburger.

Aux principes généraux d’un jeu de cartes classique, les TCG ajoutent une dimension de collection puisque les cartes, commercialisées par séries, ne sont disponibles que par paquets, des « decks » d’une cinquantaine de cartes ou « boosters » d’une dizaine de cartes. Ceux-ci sont assortis semi-aléatoirement. Chaque joueur se constitue une collection dans laquelle il puise pour composer lui-même un paquet avec lequel jouer. Dès lors, les cartes sont valorisées à la fois comme composantes du jeu et comme pièces de collection. Un système de degré de rareté est ainsi créé, dans lequel les meilleures cartes sont à la fois les plus chères et les plus rares.

Stimuler l’imagination

Si les jeux de société « traditionnels » ont fait l’objet d’un certain intérêt académique, notamment en sciences de l’éducation, l’attention des chercheurs sur les TCG s’est quasiment exclusivement portée sur les questions d’ordre légal.

Pour comprendre l’engouement des joueurs pour les TCG, pas d’autres choix que de repartir d’études plus larges sur les jeux de société. Le psychologue canadien Daniel Ellis Berlyne estimait en 1960 que l’aspect novateur, l’effet de surprise, le caractère aléatoire et le niveau de complexité d’un jeu étaient autant de variables contribuant à réduire l’ennui et à favoriser l’attrait d’un jeu. Edgar Vinacke soulignait quelques années plus tard le rôle des règles du jeu, des différentes options, de l’interactivité du jeu et notamment des actions des adversaires, et du niveau d’expertise ainsi que du caractère compétitif de chaque joueur comme facteurs influençant l’individu à jouer – ou non – à un jeu de société.

Plus récemment, des chercheurs ont tenté d’établir des listes de critères et conditions qu’un jeu doit réunir pour attirer les joueurs. Alain D’Astous, professeur à HEC Montréal a voulu hiérarchiser, avec l’aide de la journaliste Karine Gagnon, ceux qui sont les plus appréciés par les joueurs. Ils soulignent ainsi que ce sont les jeux qui stimulent l’imagination et permettent de vivre des expériences inhabituelles qui sont ainsi les plus appréciés. Autre facteur d’importance : le niveau de divertissement proposé, et notamment la capacité du jeu à amuser les participants en leur permettant d’interagir, de discuter, de faire des blagues, et de prendre du plaisir. Les facteurs tels la difficulté du jeu et le contrôle que peut exercer le joueur sur l’issue du jeu seraient de moindre importance dans l’appréciation des joueurs.

Jusqu’à l’addiction

La plupart des facteurs identifiés dans la littérature ne sont pas sans rappeler les facettes de la valeur perçue de l’expérience de consommation telle que Morris B. Holbrook, professeur de Marketing à la Columbia Business School de New York, l’a défini en 1999. Cette grille de lecture a depuis été simplifiée en quatre dimensions : valeur économique, valeur hédonique, valeur altruiste et valeur sociale.

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C’est en nous reposant sur ce cadre théorique que nous avons mené, en septembre 2022, une série d’entretiens semi-directifs auprès de joueurs de 7 Fallen. Il s’agit d’un TCG français dans lequel sept royaumes s’affrontent, axé autour du Made in France et du développement durable.

Tous les participants soulignent qu’au-delà de l’investissement financier, adhérer à la communauté de joueurs de TCG nécessite un investissement en temps qui n’est pas négligeable et qui peut même tourner à l’addiction. Un joueur en témoigne :

« Là où j’ai vraiment consacré beaucoup de temps, c’est entre mai et juin, où il y avait les France à préparer. Tous les jours, j’allais faire des parties, dès que j’avais du temps libre et quitte à délaisser un petit peu mon côté professionnel. »

Ils témoignent également que la difficulté du jeu lors de sa prise en main et le processus d’apprentissage qu’il nécessite sont des sources de valorisation des TCG :

« C’est la complexité de la pile, et puis, peut-être, quelques règles qui vont venir donner un charme au jeu. C’est ça que j’aime bien. Le fait que l’on connaisse les règles peut nous apporter un avantage dans certaines situations. Ça m’a permis de gagner des parties en Grand Prix ou en tournois régionaux. »

Du point de vue esthétique, chacun s’accorde pour dire que le design du jeu est un facteur primordial dans l’adoption et la valorisation d’un TCG. Il doit être plaisant sur les cartes, évidemment, mais aussi dans tout l’univers du jeu, notamment le site Internet, les réseaux sociaux et l’interface en ligne s’il en existe une. Un adepte du jeu se souvient :

« Tout de suite, j’ai eu un gros coup de cœur sur le design des cartes. »

Une communauté et des rites

Jouer à un TCG ne contribue pas nécessairement à la construction identitaire de l’individu même si celui-ci peut retirer une fierté de jouer – et de gagner – une partie. La source de valorisation peu prégnante dans la typologie d’Holbrook qui a émergé au travers des entretiens est celle du lien social. L’appartenance à la « commu » est d’autant plus valorisée par les joueurs interrogés qu’elle constitue l’un des deux éléments – avec l’attachement au jeu en lui-même – qui leur manqueront si le jeu venait à disparaître. C’est une source de plaisir pour cet enquêté :

« C’est communautaire dans le sens où tout le monde parle, tout le monde passe de bons moments. On ne fait pas des tournois forcément compétitifs. On fait ce qu’on appelle des tournois perso : on prend un petit buffet avant, relax, et c’est vraiment sympathique. »

Alors que 7 Fallen insistait sur la facette environnementale et éthique de son jeu lors de son lancement, celle-ci ne s’avère pas déterminante pour les joueurs. Ceux-ci sont davantage sensibles à la démarche « Made in France » de la marque. Outre la fierté de jouer à un TCG conçu et produit en France, c’est aussi l’orgueil « du village gaulois d’Astérix et Obélix contre l’envahisseur romain », en l’occurrence l’américain MTG, en attendant l’arrivée de Lorcana.

Enfin, l’expérience de consommation d’un TCG s’avère spirituelle et ritualisée, mêlant, de fait, le sacré et le profane. Les joueurs sont, pour la plupart, initiés aux subtilités du jeu puis leur expérience de consommation devient ritualisée. L’ouverture des paquets est sacralisée, on se rencontre dans les mêmes lieux, aux mêmes horaires, avec les mêmes partenaires. Certains s’adonneront ensuite au même rite initiatique dans la peau du parrain et non plus du filleul.

Ce 18 août, Disney et Ravensburger abattent leur première carte commune sur le marché des TCG quelques semaines après l’arrivée de la famille MTG sur celui des jeux de société avec le lancement de Mindbug au printemps dernier. À voir s’ils sauront créer cette quasi-religion autour de leur produit.

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