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« École et République » : les forces du système anglais (8)

Dans le système scolaire anglais, les établissements sont plus autonomes. Justin Tallis/AFP

Cet article est co-ecrit par Linda Evans, professeure des universités en sciences de l’éducation, Université de Leeds, Royaume-Uni ; membre du séminaire de recherche « Ecole et République » du Collège des Bernardins.


Je suis actuellement professeure des universités après avoir été enseignante, une carrière que je désirais suivre depuis mon enfance.

Ce qui m’avait attiré vers cette carrière d’enseignante, c’était à la fois la diversité des tâches et l’autonomie de l’enseignant.

J’avais l’impression que, comme institutrice, je pourrais enseigner ce que je voulais, c’est à dire n’importe quelle matière et de la façon qui me semblait la plus pertinente.

Si, par exemple, j’avais envie de passer une bonne heure en me concentrant sur l’histoire, je pouvais le faire ; si j’étais d’humeur à faire un peu d’anglais, je pouvais aussi le faire. Quand je m’ennuyais avec l’anglais, je pouvais passer aux mathématiques.

Telle était ma vie professionnelle comme institutrice au nord de l’Angleterre dans les années 70 – des années d’autonomie professionnelle.

Bouleversement

En 1988, l’enseignement connaît un bouleversement important : l’Education Reform Act – loi qui a introduit le curriculum national en Angleterre et au Pays de Galles (ces deux nations britanniques partagent le même système éducatif).

Cette loi n’a fait que diminuer la liberté et l’autonomie des enseignants ; mais elle ne les a pas supprimées.

Le curriculum national n’a pas détruit la créativité des enseignants, il a seulement défini le contenu des programmes, sans définir comment les enseigner.

Ainsi, des instituteurs et des institutrices, qui cherchaient à motiver et engager les enfants, pouvaient continuer à utiliser des jeux de société, des quizz, des jeux de rôles et des aventures pluridisciplinaires comme méthodes d’enseignement du curriculum national.

Pour ma part, en tant qu’institutrice, avant de devenir professeur d’université, j’ai trouvé mon inspiration dans un roman écrit par l’auteur britannique, C. S. Lewis, The Lion, the Witch and the Wardrobe (Le Lion, la sorcière blanche et l’armoire magique).

J’ai transformé la salle de classe en Narnia, le monde magique où se passaient les aventures du roman. Dans un coin de la salle, j’ai créé la maison du faune Tumnus, comme l’auteur l’a décrit, où les élèves en groupes de cinq ou six prenaient leur goûter (du thé, des toasts et du miel).

L’intérêt de ce projet était d’impliquer les élèves dans un projet pédagogique : ils ont calculé les quantités et les coûts des ingrédients de ce léger repas et ont répondu par lettre dans un anglais grammaticalement correct à l’invitation de Tumnus.

Puis, l’histoire se poursuit avec l’enlèvement de Tumnus par la sorcière blanche, ce qui amène les enfants à réaliser nombre de tâches domestiques pendant son absence, y compris : son jardin (pour ce faire ils ont dû calculer la surface d’une pelouse et la quantité de terre) ; soigner ses plantes (ils durent « planter » les fleurs « facteurs » de papier dans les « pots de fleurs » aux multiples correspondants). Dans le coin opposé de la classe, la maison des castors a été créée, avec la machine à coudre de Madame Castor qui a permis aux enfants de réaliser des housses de coussins pour Tumnus, d’après leurs propres dessins.

Autonomie et créativité

Telle était l’autonomie qui était autorisée dans le système éducatif anglais/gallois, et par conséquent, telle était la créativité qui en émanait.

Les élèves étaient motivés et stimulés par ce monde magique qui avait été créé dans leur classe.

C’est cette la liberté dont on doit disposer afin d’être un enseignant créatif et pour mieux enseigner – et qui constitue l’une des forces de l’autonomie des établissements en Angleterre.

Dans des systèmes éducatifs centralisés, ne risque-t-on pas d’étouffer une telle créativité ?

Ne risque-t-on pas de sous-utiliser les talents des meilleurs enseignants, qui ont une vision de la diversité des élèves, savent comment les engager et stimuler leurs intérêts ?

Leadership

Une deuxième force de l’autonomie éducative est la liberté des « leaders » des écoles. Il est important de souligner qu’en Grande Bretagne (ainsi que dans la plupart des pays anglo-saxons), quand on parle du leadership, il ne s’agit pas simplement du directeur lui-même.

En effet, il y a différents niveaux de hiérarchies (officielles et non-officielles), par exemple les chefs de départements et les responsables de section. Et le terme teacher leader (enseignant-leader) est entré dans le vocabulaire du système éducatif.

Ceci reflète le fait que n’importe qui peut disposer des aptitudes de leader, c’est-à-dire de la capacité à influencer les autres.

Il y a donc des équipes de leaders, qui travaillent ensemble, pour améliorer la qualité de l’éducation offerte aux élèves dans leurs établissements. Par conséquent, le leadership est depuis plusieurs décennies un champ de recherche qui est reconnu dans la plupart des pays du monde et qui a produit des dizaines de milliers d’articles publiés dans des revues et des livres.

Le rôle des governors

En Angleterre, l’Education Reform Act de 1988 a transféré le contrôle des écoles des autorités éducatives locales aux établissements eux-mêmes. Dès lors, les écoles sont gérées par leurs governors.

Ce sont les governors qui déterminent l’allocation du budget de fonctionnement, déterminent les grandes lignes de la politique de l’école, et choisissent les enseignants et le chef d’établissement.

Le conseil des governors inclut des représentants des parents, des enseignants et des intérêts locaux.) En réalité la plupart des conseils de governors donnent aux chefs d’établissement et aux autres leaders la liberté de gérer le fonctionnement quotidien de l’école.

C’est une méthode de gestion – méthode décentralisée – qui permet la créativité, l’expérimentation et la recherche de différentes façons de travailler afin de mieux enseigner, et de mieux préparer les jeunes pour leurs vies adultes.

Elle permet l’éclosion de chefs d’établissement visionnaires qui comprennent les enjeux et les défis qui concernent leur propre établissement, et qui sont motivés pour travailler avec leur équipe dans le but d’améliorer les chances dans la vie des jeunes qui sont dans leurs classes.

Et en France ?

Est-ce qu’une telle autonomie pourrait marcher en France ? Il faut avouer qu’elle est porteuse de forces comme de faiblesses – ce qui s’est passé au Royaume-Uni, où le système éducatif n’est pas parfait.

Mais il faut néanmoins considérer que cette autonomie supplémentaire pourrait permettre aux chefs d’établissements, et aux enseignants, de mieux contribuer à l’engagement des jeunes pour réussir à l’école.

Bien qu’elle ne présente pas la solution aux défis et aux problèmes du système éducatif français, l’autonomie présente au moins des possibilités. Elle mérite d’être prise en considération sérieusement.


Ce texte est issu du colloque conclusif « Scénarios pour une nouvelle école » organisé le 23 juin 2016, suite à deux années de réflexion du séminaire « École et République » du Collège des Bernardins qui se proposait d’analyser la relation entre l’école et la République. Le colloque était organisé par Bernard Hugonnier et de Gemma Serrano, co directeurs du séminaire. Nous allons publier une série de huit articles sur le sujet.

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