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Un homme brandit un drapeau bleu et blanc
Un manifestant tient un drapeau écossais devant la Cour suprême à Londres, le 23 novembre 2022. La Cour suprême du Royaume-Uni a décidé que l'Écosse n'a pas le pouvoir d'organiser un nouveau référendum sur l'indépendance sans le consentement du gouvernement britannique. (AP Photo/Alberto Pezzali)

Écosse : les indépendantistes dans les cordes suite à une décision de la Cour suprême britannique — qui fait écho au renvoi sur la sécession du Québec

Lors des dernières élections de 2021, les indépendantistes ont été reportés au pouvoir en Écosse, en demandant un mandat pour organiser un nouveau référendum d’autodétermination.

Le premier ministre britannique d’alors, Boris Johnson, très impopulaire en Écosse, avait réagi en opposant à son homologue Nicola Sturgeon une fin de non-recevoir, alors que les sondages d’opinion donnent l’indépendance écossaise à un niveau record — avec 49 % de Oui pour 45 % de Non, et 5 % d’indécis selon les résultats d’un sondage révélés le 30 novembre.

En 2013, c’est ce même Parti conservateur dont est issu Boris Johnson qui avait permis au Parlement écossais d’adopter une loi visant à l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Les sondages portaient alors l’option indépendantiste à environ 30 %, avant d’atteindre 45 % dans les urnes lors du vote, en 2014. La procédure employée pour organiser ce référendum a suscité les plus vifs débats parmi les constitutionnalistes britanniques, sur la possibilité du Parlement écossais d’en organiser un nouveau [sans l’aval de Londres].

Soucieux d’agir en toute légalité, le gouvernement écossais a donc appelé la plus haute cour du royaume à se prononcer sur cet enjeu. Sa réponse, rendue en novembre, qui prend en compte des considérations tant juridiques que politiques, s’établit en écho direct avec le renvoi sur la sécession du Québec rendu en 1998 par la Cour suprême du Canada. Elle place néanmoins le mouvement indépendantiste écossais dans une situation radicalement différente. Comme je l’ai développé dans ma thèse de doctorat, la nature des deux États conditionne les prétentions comme la teneur du message nationaliste.

Une foule brandit un drapeau bleu et blanc
Des partisans de la campagne du Oui au référendum sur l’indépendance de l’Écosse brandissent des drapeaux écossais Saltire en attendant le résultat après la fermeture des bureaux de vote, à Glasgow, en Écosse, le 18 septembre 2014. Le Oui a atteint 45 % des voix. (AP Photo/Matt Dunham, File)

La réaffirmation du caractère unitaire de l’État britannique

La question posée en juin par le gouvernement écossais soulevait trois enjeux : l’imbrication d’une telle question référendaire avec la législation entourant la dévolution écossaise, la compétence de la cour à prendre position à travers un renvoi dans l’éventualité où l’enjeu ne relèverait pas de la la dévolution et, ultimement, la réponse à donner quant à la capacité juridique à organiser une telle consultation.

Le représentant du gouvernement écossais plaidait qu’un référendum consultatif n’emportait pas de conséquences juridiques immédiates (n’entraînait pas l’indépendance ipso facto) et n’avait pour seule vocation que de connaître la volonté des Écossais. En conséquence, l’adoption d’une loi visant à l’organisation d’une telle consultation n’empièterait pas sur les compétences réservées, en vertu desquelles seul le Parlement de Westminster peut légiférer — ou autoriser une assemblée dévolue à légiférer.

Le 23 novembre,la cour statue : la question de l’intégrité du Royaume-Uni relève bien d’un domaine réservé. Réfutant l’interprétation de la jurisprudence par le représentant du gouvernement écossais, la cour écarte l’argument selon lequel la nécessité d’un lien direct (« direct connection ») avec un domaine réservé, requis pour empêcher une assemblée dévolue d’agir, signifie des conséquences juridiques immédiates. Elle considère en effet que l’hypothèse de l’indépendance posée à travers un référendum « implique de manière évidente la question d’après laquelle l’Écosse devrait ou non cesser d’être assujettie à la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni ».

Ainsi, la cour juge qu’une loi visant l’organisation un tel référendum engagerait un processus démocratique et ne constituerait pas une simple enquête d’opinion. Il serait « pourvu d’une autorité » qui « renforcerait ou affaiblirait la légitimité démocratique de l’Union » et « entraînerait des conséquences politiques importantes quant à l’Union et au Parlement du Royaume-Uni ».

En sus, la cour écarte également l’argument selon lequel l’Écosse disposerait d’un droit inhérent à l’autodétermination. Pour ce faire, elle en appelle au renvoi sur la sécession du Québec de 1998 à travers lequel la Cour suprême du Canada affirme qu’un droit à l’autodétermination externe n’existe — en droit international — que dans le cas de peuples colonisés ou soumis « à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangère ».

Une référence à l’expérience canadienne

La décision de la Cour suprême britannique est significative à bien des égards.

Dans une perspective historique, elle semble refermer la parenthèse d’une démocratie britannique fondée sur le principe plurinational, bienveillante envers ses nations constitutives, depuis les référendums sur la dévolution (1997) et jusqu’au Brexit. Il s’agit d’un retour en force de la fermeté de l’État dans les affaires domestiques, notamment quant à la question écossaise.

En réaffirmant unanimement l’unicité de la souveraineté parlementaire britannique, à laquelle l’Écosse est soumise, elle rappelle bruyamment la forme unitaire de l’État, dont l’organisation s’était considérablement régionalisée depuis la dévolution.

La référence explicite de la Cour suprême britannique à l’expérience constitutionnelle canadienne, déjà employée à travers le principe de clarté intégré à l’accord d’Édimbourg illustre incidemment la différence fondamentale entre État fédéral et État unitaire sur cette question.

Dans ce premier cas, deux ordres de gouvernement sont pleinement souverains dans leurs champs de compétences respectifs. Ils sont réputés égaux en autorité et en légitimité ; cela explique notamment que le Québec ait pu tenir deux référendums (en 1980 et en 1995), malgré quelques contestations en provenance d’Ottawa. Dans le second, le gouvernement central n’a pas de véritable rival et le Parlement central est considéré comme pleinement souverain.

Une camisole de force ?

Au Royaume-Uni, l’organisation d’un référendum dans l’une des « nations constitutives » est donc soumise au bon vouloir d’un gouvernement central dont la légitimité en Écosse est extrêmement faible.

Compte tenu de l’appui appréciable dont bénéficie le mouvement indépendantiste et du refus systématique qu’opposent les premiers ministres conservateurs se succédant depuis 2015, le mariage de raison acté en 1707 emprunte peu à peu les atours d’une camisole de force. En ce sens, le mimétisme est peut-être plus à chercher du côté de l’Espagne, où une consultation organisée par le gouvernement catalan avait été empêchée par la force en 2017 et où aucune solution politique n’a été trouvée depuis — ni même véritablement recherchée par Madrid.

Cette décision illustre encore l’opposition frontale entre deux registres de légitimité démocratique — l’un fondé sur la volonté exprimée par l’élection et l’autre sur la règle de droit — tout en confrontant deux gouvernements dont un seul peut véritablement revendiquer l’appui des Écossais.

Il y aurait tout lieu ici d’en appeler au renvoi de 1998 sur la sécession du Québec auquel fait référence la Cour suprême britannique en reproduisant d’ailleurs la confusion entre droit à l’autodétermination et droit à la sécession. Au chapitre sur le principe démocratique sous-jacent à l’ordre constitutionnel canadien, on rappelait alors que « la Constitution n’est pas un carcan ».

Impasse juridique, issue politique ?

Comme l’on pouvait s’y attendre, les réactions n’ont pas tardé. Tandis que des manifestants arpentaient les rues d’Édimbourg ou arboraient des drapeaux écossais devant la Cour suprême, le premier ministre britannique Rishi Sunak se félicitait sobrement du verdict.

Son homologue écossaise Nicola Sturgeon répondait d’abord par un gazouillis reconnaissant l’autorité du verdict de la Cour suprême. Témoignant sa déception, elle y voyait la démonstration de la fausseté du caractère volontaire de l’Union. Elle affirmait son intention de s’engager sur une autre voie démocratique que celle verrouillée par le gouvernement britannique.

Nicola Sturgeon, première ministre d’Écosse, s’adresse aux médias alors qu’elle rencontre les nouveaux députés de son parti à Westminster. Au lendemain du verdict de la Cour suprême, elle a annoncé sa volonté de tenir un référendum de facto à l’occasion des prochaines élections écossaises, en principe prévues pour 2026. (AP Photo/Kirsty Wigglesworth, File)

Puis, au terme d’un plaidoyer empreint de démocratisme et d’une critique acerbe de l’impasse proposée par Westminster, elle annonçait sa volonté de tenir un référendum de fait à l’occasion des prochaines élections écossaises, en principe prévues pour 2026. Selon l’évolution des sondages et les péripéties qui ne manqueront pas de marquer les prochains mois, l’exécutif écossais pourrait cependant décider de les convoquer plus tôt que prévu.

La voie démocratique d’un référendum — même consultatif — refusée par le gouvernement britannique n’est donc pas accessible unilatéralement au gouvernement écossais, au plan constitutionnel comme au regard des conséquences qu’il emporterait sur le plan démocratique. Il y a fort à parier qu’une élection où l’enjeu de l’indépendance serait aussi clairement identifié aurait des conséquences considérables sur la légitimité de l’ordre constitutionnel britannique, ouvrant par cette autre voie démocratique bien plus qu’un chemin de corde.

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