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Élection présidentielle aux Philippines : le triomphe du népotisme dynastique

Deux jours avant son élection à la tête du pays, le portrait de Ferdinand Marcos Jr. est arboré par la foule, à Paranaque City, dans la banlieue de Manille, le 7 mai 2022. Jam Sta Rosa/AFP

L’élection présidentielle qui vient de se dérouler le 9 mai aux Philippines a permis au pays de battre le record du monde du népotisme dynastique de nature oligarchique pour une démocratie.

Les Philippines sont en effet considérées comme une « démocratie imparfaite » dans le classement annuel bien connu de l’Economist Intelligence Unit, qui leur donne un score de 6,62 sur un maximum de 10 et une 54e place (juste derrière l’Indonésie avec 6,71, au 52e rang) et un « régime partiellement libre » par le non moins réputé rapport annuel de Freedom House, avec un score de 55 sur un maximum de 100 (contre 59 pour l’Indonésie).

Ce népotisme dynastique est un mal très répandu dans le monde et tout particulièrement en Asie où il sévit d’ouest en est, des quatre pays du sous-continent indien aux deux frères ennemis de la péninsule coréenne, en passant par la plupart des nations du Sud-Est asiatique.

Un népotisme caractéristique des États asiatiques…

Il y a évidemment des différences de degré d’un pays à l’autre, mais le phénomène est bien omniprésent dans toute l'Asie :

… auquel n’échappent pas les Philippines

Depuis leur indépendance en 1946 et jusqu’à ce jour, les Philippines se sont toujours distinguées en la matière. C’est notamment le cas pour ce qui est de la fonction présidentielle. Il y a déjà eu deux cas dans l’histoire récente où un « fils ou fille de » a succédé à la tête du pays à son père ou à sa mère.

Le premier est celui de Gloria Macapagal, qui a dirigé le pays de 2001 à 2010 dans un parfum de corruption effrénée, dans la continuité de son père Diosdado Macapagal qui a gouverné à partir de 1961 jusqu’en 1965, année où il a été battu dans les urnes par Ferdinand Marcos, qui allait imposer une dictature violente et vénale pour plus de vingt ans.

Le deuxième est celui de Begnino Aquino III qui a été président de 2010 à 2016, deux décennies après sa mère Cory Aquino qui avait elle-même occupé ce poste entre 1986 et 1992. Les deux familles font partie de cette oligarchie politique et foncière qui domine le pays depuis toujours et lui a donné la plupart de ses premiers présidents, de Manuel Quezon (1935-1944) à Manuel Roxas (1946-1948) et Ramon Magsasay (1953-1957).

Mais cette fois, tous les précédents records sont battus.

Les Philippins viennent en effet d’élire triomphalement à la présidence Ferdinand Romualdez « Bonbong » Marcos, fils de Ferdinand Marcos et de son insatiable épouse Imelda, qui ont régné par la loi martiale, la corruption et la violence, déclenchant la révolution du « People’s Power » qui amènera Cory Aquino au pouvoir en 1986.

Philippines : Ferdinand Marcos Junior élu président, la renaissance d’un clan (France 24).

Par ailleurs, dans une élection séparée, – les Philippines n’ont pas adopté la méthode du « ticket présidentiel » de leur ancienne puissance coloniale étasunienne et l’élection à la présidence et à la vice-présidence ont lieu le même jour mais séparément –, ils ont choisi de confier la vice-présidence à Sara Duterte.

Elle est la fille du président sortant Rodrigo Duterte, élu en 2016 et arrivé au terme de l’unique mandat de six ans autorisés par la Constitution. Ce tribun national-populiste, violent et vulgaire, mais toujours très populaire, a fait régner l’ordre par la terreur dans l’archipel. Sara lui avait d’ailleurs déjà succédé en 2016 comme maire de Davao, la grande ville de l’île sud de Mindanao, le fief sur lequel il avait régné pendant près de 25 ans et où il avait « rétabli l’ordre » par les méthodes violentes qu’il privilégie. Beaucoup trouveront certainement navrants l’amnésie, l’aveuglement et le goût obstiné et masochiste des Philippins pour ce genre de personnages…

La politique des Philippines, fondée sur les dynasties

En élargissant la réflexion au-delà des élections présidentielles, on s’aperçoit que ce modèle dynastique façonne en profondeur toute la vie politique d’un pays que les élites oligarchiques ont toujours dominé. Dans une démocratie comme les Philippines où les élections sont affaire d’argent, de clientélisme et de désinformation, les partis politiques sont très faibles et au service des représentants de ces riches familles dynastiques.

D’après Julio Teehankee, professeur à l’Université de La Salle à Manille, quelque 320 familles dynastiques se seraient consolidées dans le pays depuis 1898, quand les États-Unis ont supplanté l’Espagne comme puissance coloniale, et en 2009, les membres de 234 d’entre elles détiendraient toujours des fonctions électives !

Et selon lui, leur mainmise sur la politique nationale ne fait que s’aggraver. Ainsi, 80 % des gouverneurs de province appartiennent à ces riches dynasties, et elles contrôleraient actuellement 67 % des sièges à la Chambre des représentants et 53 % des postes de maires, contre respectivement 57 %, 48 % et 40 % en 2004. Leur stratégie est basée sur le contrôle héréditaire de fiefs régionaux, provinciaux et municipaux.

Le maintien des clans Marcos et Duterte

Le clan Marcos a été particulièrement efficace dans ce domaine. Depuis le retour d’exil de leur mère Imelda en 1991, après la mort de son mari Ferdinand en 1989 à Honolulu, leur fils « Bonbong » et leur fille Imee se sont « refilé » entre eux, puis avec leur propres fils et filles ou neveux et nièces, les postes de gouverneurs, de sénateurs et de députés de la province d’Ilocos Nord.

Ainsi, après avoir déjà été une première fois gouverneur de la province de 1983 à 1986, avant la chute de son père, « Bonbong », l’est redevenu de 1998 à 2007, puis il a transmis la sinécure à sa sœur Imee de 2010 à 2019 pour occuper des sièges de député de 2007 à 2010 puis de sénateur de 2010 à 2016, année où il a vainement essayé de se faire élire vice-président de Rodrigo Duterte, le candidat qu’il avait soutenu pour la présidence.

Actuellement, c’est le fils d’Imee, Michael Keon Marcos, qui est gouverneur, alors qu’elle-même occupe l’un des deux postes de sénateur de la province et que le fils de « Bonbong » est candidat à la députation. La famille Duterte, établie de plus fraîche date, moins riche et plus éloignée de Manille, n’est toutefois pas en reste. Le président sortant le reconnaît d’ailleurs ouvertement quand il dit être fier de son bilan en déclarant :

« J’ai une fille candidate à la vice-présidence, un fils membre du Parlement et un autre maire de Davao, je suis comblé. »

Quel avenir pour le népotisme aux Philippines ?

On le voit, toute la politique philippine est une affaire de dynastie, la conquête du pouvoir et sa conservation étant basées sur le système de relève népotique au sein des principales familles oligarchiques du pays.

Il faudrait bien sûr légiférer pour mettre fin à cette mise en coupe réglée de la démocratie et réformer le système électoral du pays, mais il est impensable qu’un Parlement peuplé par des représentants des dynasties politiques adopte des mesures qui entraveraient leur pouvoir. Comme le dit avec humour le même professeur Teehankee cité précédemment : « C’est comme demander à Dracula de garder la banque du sang ! »

Certes, le népotisme dynastique n’est pas l’apanage de l’Asie et on le retrouve sous diverses formes ailleurs dans le monde. Nos démocraties ne sont pas exemptes de ce genre de maux comme le prouve notamment le cas des familles Kennedy, Bush et Clinton aux États-Unis. Cela mériterait toutefois une analyse plus large et approfondie qui dépasse l’objectif restreint de cet article sur les Philippines.

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