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L'ancien président de Madagascar et membre de l'opposition Marc Ravalomanana (à droite) et l'opposant Roland Ratsiraka (à gauche) tiennent un chou-fleur, devenu symbole de la répression policière lors d'une marche à Antananarivo, le 7 octobre 2023. Photo : RIJASOLO/AFP via Getty Images

Élection présidentielle de Madagascar : comprendre les stratégies et risques pris par les candidats

Initialement prévue le 9 novembre 2023, l’élection présidentielle à Madagascar a été reportée au 16 novembre à cause d’une blessure qui a handicapé l'un des candidats. Treize candidats sont en lice, dont le président sortant, Andry Rajoelina, qui a dû démissionner conformément aux dispositions de la Constitution.

Onze (mais finalement dix) d'entre eux, regroupés sous le nom de “Collectif des candidats”, contestent le déroulement du processus électoral. Ils exigent la disqualification d'Andry Rajoelina en tant que candidat en raison de sa nationalité française qui aurait entraîné la perte de sa nationalité malgache. Ils exigent aussi le remaniement (sinon le remplacement) de l'actuelle Commission électorale nationale indépendante (Ceni), de la Haute cour constitutionnelle (HCC) et du gouvernement collégial dirigé par le Premier ministre Christian Ntsay. Ils sont en effet convaincus que ces institutions sont biaisées et soutiennent officieusement la candidature de Rajoelina.

Enfin et surtout, ils demandent une négociation (une “discussion sur table ronde”, comme ils disent) pour résoudre le conflit et répondre à leurs demandes. Pour le moment, la Fédération des églises chrétiennes (FFKM) et la présidente de l'Assemblée nationale, Christine Razanamahasoa, essayent d'offrir en vain leur médiation.

Je suis un enseignant-chercheur en science politique. J'ai étudié la politique malgache pendant plusieurs années, en me focalisant sur le processus de démocratisation, les conflits et transitions politiques. Je pense que cette élection présidentielle est cruciale pour l'avenir du pays, et il convient d'analyser les stratégies et les risques pris par chacun des candidats.

Les revendications de l'opposition

L'analyse des revendications du “Collectif des dix candidats” suggère qu'il est impossible de les satisfaire compte tenu du contexte actuel. D'une part, forcer Andry Rajoelina à participer à une négociation qui pourrait aboutir à sa propre disqualification en tant que candidat est tout à fait inconcevable. D'ailleurs, il a été révélé dernièrement qu'au moins deux autres candidats ont aussi une double nationalité franco-malgache : Jean Jacques Ratsietison et Sendrison Raderanirina.

Deuxièmement, l’actuel gouvernement collégial, la Ceni et la HCC n’accepteront jamais de cautionner une telle négociation, ni de se dissoudre et de céder le pouvoir à un nouveau gouvernement de consensus, à de nouvelles Ceni et HCC rebaptisée “Cour électorale spéciale” comme en 2013. La satisfaction de ces revendications suppose qu'une nouvelle crise politique grave ou guerre civile survient. Ce qui pourrait justifier une implication de la communauté internationale, en particulier des institutions régionales telles que la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et l’Union africaine, pour faciliter une transition similaire à celle de 2009 à 2013 afin de résoudre le conflit et sortir le pays de la crise politique.

Le Collectif des candidats a entamé ses manifestations de rue le 2 octobre 2023. Il entend les poursuivre jusqu'à ce que ses revendications soient satisfaites.

Cependant, de leur côté, Andry Rajoelina et deux autres candidats, Siteny Randrianasoloniaiko et Sendrison Raderanirina, ont lancé leur campagne électorale. Bien que les manifestations du Collectif soient généralement pacifiques, dès le début, les autorités locales et nationales ont recouru à des moyens sévères (particulièrement, l’utilisation à outrance des gaz lacrymogènes) et à des arrestations pour les réprimer.

Une situation volatile

Dès lors, la question qui se pose à l'heure actuelle est de savoir si l'élection présidentielle aura lieu, comme prévu, au 16 novembre. Jusqu’à maintenant, rien n’est sûr car la situation est très volatile et la tension entre les deux camps risque de dégénérer à tout moment, surtout à l’approche de la date fatidique. Malgré tout, une chose est sûre : le gouvernement en place, la Ceni et la HCC, qui soutiennent dans une certaine mesure leur ancien patron, Andry Rajoelina, sont déterminés à ce que l’élection présidentielle se tienne à la date prévue. Reste à savoir alors s’ils réussiront dans cette entreprise.

Une autre question qui mérite d’être examinée est de savoir si une élection, qui risque de se dérouler dans un contexte de manifestations massives de rue et peut-être de violences, sera considérée comme “libre, équitable et acceptée par tous”. Cela dépendra des évaluations des différents observateurs électoraux et surtout des partenaires financiers dont le pays dépend pour sa survie économique. Plusieurs organisations de la société civile et la SADC ont déjà annoncé leur participation en tant qu'observateurs.

D'autres organisations nationales et internationales sont aussi attendues. De plus, la plupart des partenaires financiers ont contribué aux fonds de financement de l’ élection.

Pourtant, cette élection comporte des risques importants aussi bien pour Andry Rajoelina et son équipe que pour les membres du Collectif des candidats. Pour les premiers, s’ils s’entêtent à organiser l’élection dans de telles conditions, sans essayer de diminuer la tension, ils risquent de faire face à un durcissement du mouvement de l’opposition et éventuellement à une guerre fratricide. De plus, même s’ils réussissent à tenir l’élection dans ces conditions, ils pourraient finalement aboutir à des résultats qui ne seront reconnus ni au niveau national, ni à l’échelle internationale. Dans ce cas, le scénario de 2009 pourrait encore réapparaitre.

Pour les membres du Collectif des candidats, le risque le plus apparent serait de perdre l’élection sans y participer, c’est-à-dire que ses membres se seront disqualifiés eux-mêmes au lieu de disqualifier Andry Rajoelina.

Le Collectif et ses partisans doivent être convaincus de la légitimité de leurs revendications pour risquer leur santé, leur liberté, et même leur vie dans les manifestations de rue. Ils doivent aussi avoir à leur disposition les moyens (matériels, financiers, et autres) nécessaires pour faire face à un gouvernement déterminé à tout faire pour tenir l’élection.

En définitive, les risques sont énormes pour toutes les parties impliquées. Il est important de peser attentivement les actions de chaque camp dans cette situation tendue. La stabilité politique et sociale du pays et son avenir dépendent, en grade partie, de la manière dont ces défis seront relevés.

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