Menu Close
Un homme vêtu d'une chemise blanche se tient debout derrière un groupe de femmes.
Le président Félix Tshisekedi salue ses partisans après sa réélection à Kinshasa, le 31 décembre 2023. Photo: Chris Milosi/nadolu via Getty Images

Election présidentielle en RD Congo : les clés de la victoire de Félix Tshisekedi

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a proclamé, le dimanche 31 décembre 2023, les résultats provisoires du scrutin présidentiel organisé le 20 du même mois.

Le président sortant, Félix Tshisekedi, a été déclaré vainqueur avec 73,34 % des votes exprimés, tandis que Moise Katumbi était crédité de 18,03 % et Martin Fayulu de 5,33 %. Célébré par les partisans de Tshisekedi, ce plébiscite est taxé de frauduleux par une frange de l’opposition dont, notamment Moise Katumbi, Martin Fayulu et Denis Mukwege, qui en réclame son annulation. Les protagonistes du recours en annulation des élections se présentent comme étant les victimes d’un complot ourdi entre la CENI et le président sortant pour favoriser ce dernier. Toutefois, la formulation de ce contentieux rend difficile l'analyse de leurs propres erreurs de campagne et de l'incidence de celles-ci sur le vote. Une analyse des stratégies de campagne de chacun des trois principaux candidats nous permettrait de voir sous un jour nouveaux le débat autour du plébiscite de Felix Tshisekedi.

Deux camps ont concouru au scrutin présidentiel du 20 décembre 2023 : l’opposition et la majorité sortante. Au-delà de l'expression de son intransigeance pour des élections inclusives, transparentes, apaisées et respectueuses du délai constitutionnel, l’opposition a brillé par ses divisions internes. L’échec des pourparlers de Pretoria pour désigner son candidat commun en est un révélateur.

Cet échec peut être considéré comme un prélude à sa déroute électorale. S’étant lancée en ordre dispersé à la conquête du pouvoir, l’opposition a émietté ses voix et compromis ses chances de succès dans un scrutin à tour unique. Dans ce mode de scrutin, toute voix engrangée ou perdue compte énormément. La multiplication des candidats de l'opposition ne peut avoir comme effet logique que l'affaiblissement de celle-ci, en principe au profit du président sortant.

Une opposition divisée

Moise Katumbi a difficilement négocié sa campagne. Hormis sa puissance financière dont il ne s’est pas privé de faire étalage, il a manqué de dresser un maillage socio-politique efficace du pays. L’absence des puissants relais locaux à même de répercuter son message auprès des couches profondes de la population et de forger une image de rassembleur a constitué un gros handicap pour lui. Ses alliés – dont Matata Ponyo,un ancien premier ministre de Joseph Kabila, Franck Diongo,député et président du Mouvement Lumumbiste progressiste, Seth Kikuni, businessman et président du parti Piste pour l'émergence, et Delly Sessanga, député et président du partipolitique Envol, se sont avérés très peu performants.

La rhétorique sécessionniste des faucons du Katanga dont, par exemple, Christian Mwando Simba a profondément desservi sa cause dans un pays qui, depuis trois décennies, fait face à une agression étrangère sous couvert d’un mouvement rebelle (le M23), et qui lutte pour sauvegarder son intégrité. Le patriotisme a eu raison de la menace sécessionniste. Le leitmotiv de sa campagne consistant à critiquer le bilan du président sortant s’est révélé très peu productif, faute d’originalité.

Contradiction récurrentes

Candidat malheureux au scrutin présidentiel de 2018, Martin Fayulu est de nouveau récalé en 2023. Ses contradictions récurrentes lui ont valu l’image d’un leader instable et dépourvu de stratégie propre. Obnubilé par sa revendication de la vérité des urnes, il n’a pas pris la mesure des enjeux du scrutin du 20 décembre dernier.

Partant, Fayulu n’a pas préparé ses troupes pour une véritable revanche politique. A l’occasion de cette dernière campagne, il a brillé par une improvisation politique fatale. Sa famille politique - Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé) avait décidé de ne pas participer au scrutin en préparation, dont il dénonçait le manque de transparence. Et donc, consigne avait été donnée aux militants de Ecidé de ne pas déposer leurs candidatures comme députés au national ou même provincial. Faisant fi de cette instruction, Fayulu fut le seul de son parti à déposer sa candidature pour l’élection présidentielle.

Il voyait en son geste une façon de répondre aux attentes de la plateforme Lamuka qui l’avait soutenu au scrutin présidentiel de 2018. Seulement, Fayulu avait oublié que cette plateforme n’était plus la même qu’en 2018. Beaucoup d’alliés et pourvoyeurs des voix d'alors dont, par exemple, Jean-Pierre Bemba, Moise Katumbi, Adolphe Muzito, etc., avaient changé de camp et récupéré chacun sa mise. Ainsi Fayulu est-il allé, en solitaire, dans une bataille électorale exténuante et hasardeuse. Ce paradoxe peut expliquer sa déroute et sa chute comme leader de l’opposition.

L'expérience de Félix Tshisekedi

Instruit par sa longue expérience de lutte politique, Félix Tshisekedi avait préparé sa campagne minutieusement. Aussitôt libéré de l’étau du Front commun pour le Congo (FCC)) de Joseph Kabila avec qui il avait signé un accord pour constituer la majorité parlementaire et gouverner ensemble, Tshisekedi a ratissé large recrutant les grandes figures politiques parmi lesquelles Jean-Pierre Bemba, Bahati Lukwebo, Vital Kamerhe, Christophe Mboso, de nombreux transfuges du FCC, réunis sous la bannière politique de l’Union sacrée de la nation. L’implication de ces acteurs dans sa campagne lui a servi de maillage territorial serré et de point d’ancrage sociologique dans différentes régions du pays.

Jouant sur la fibre patriotique en dénonçant l’agression de la RDC par le Rwanda au travers des groupes armés, Tshisekedi s’est attiré davantage de sympathie et d’adhésion des Congolais, malgré le bilan plutôt mitigé de son premier mandat. Sans se voiler la face, notamment en ce qui concerne les déficits et les réalisations accomplies durant ce premier mandat, Tshisekedi a placé le peuple devant un choix entre l’amélioration des acquis, comme par exemple la construction des hôpitaux et des routes, la gratuité de l'enseignement primaire, la mise en route de la couverture santé universelle, etc., et la pénible tâche de reprendre tout à partir du néant. Le peuple lui a répondu par les urnes.

Un processus de longue haleine

Cheville ouvrière du processus électoral, la CENI a affronté des nombreuses contraintes dont, notamment, le respect du calendrier électoral, l’inclusion et l’égalité de traitement des candidats, la transparence, la logistique et la sécurité du système électoral, etc. Un éventail des défis qui ont mis en lumière les forces et les faiblesses de cette institution d'appui a la démocratie. Les missions d’observation électorale accréditées à l’occasion de ce scrutin ont salué le travail réalisé par la CENI. Leurs rapports convergent concernant non seulement les dysfonctionnements et actes d'incivisme constatés ici et là, mais aussi l'ordre d'arrivée des candidats au fauteuil présidentiel, avec provisoirement en tête le président sortant, Félix Tshisekedi.

Tout en déplorant les actes d’incivisme avérés ici et là, ces missions ont émis diverses recommandations pour l’amélioration du processus électoral. Mais elles ont toutes relativisé l’incidence des irrégularités constatées sur l’ordre d’arrivée des candidats.

Tendre vers l'avenir

Une frange des prétendants dont, par exemple, Constant Mutamba et Noël Tshianyi Muadiamvita, s’est inclinée devant le verdict provisoire de la CENI et a félicité le vainqueur proclamé. Certes, un autre groupe d’opposants dont Moise Katumbi, Martin Fayulu, Seth Kikuni, conteste ce résultat qu’il qualifie de frauduleux. En plus, ces derniers refusent d’aller devant les cours et tribunaux chargés des contentieux post-électoraux pour faire valoir leurs droits. Ce refus repose sur l'idée que la Cour constitutionnelle serait à la solde du régime sortant, pire encore sous l’emprise du groupe ethnique du président Tshisekedi.

En tout état de cause, il est à craindre que les protagonistes du refus de recours au profit des manifestations de rue ne soient en train de mal négocier le tournant démocratique en cours. La démocratie est un processus de longue haleine, qui évolue en dents de scie. Chaque peuple en pose les jalons au gré de son histoire. La RDC n’en est encore qu’à ses balbutiements. Apprendre des erreurs et tendre résolument vers l’avenir, et ce dans un esprit constructif, seraient la meilleure option. Une vigilance critique s’impose afin de prévenir les manipulations subséquentes.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now