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Lula dans un bain de foule
Lula auprès de militants du Mouvement des sans terre, le 21 mars 2022. En avance dans les sondages sur le président sortant, Jair Bolsonaro, sa victoire n'est cependant pas assurée. (LulaOfficial)

Élections au Brésil : quels défis pour Lula face à Jair Bolsonaro ?

À cinq mois des élections au Brésil, l’ancien président Lula a une avance confortable sur le président sortant, Jair Bolsonaro. Mais le candidat du Parti des travailleurs a de nombreux défis devant lui.

Les élections présidentielles brésiliennes se tiendront le 2 octobre prochain. À cinq mois de l’échéance, l’ancien président et figure de proue du Parti des travailleurs (PT), Lula da Silva, qui a officialisé sa candidature en grande pompe le 7 mai, est donné favori face au président sortant Jair Bolsonaro avec 42 % contre 35 % d’intentions de vote selon les sondages.

En cas de second tour, 11 points sépareraient les deux rivaux. Président de 2002 à 2010, Lula jouit encore d’une très forte popularité, particulièrement dans le nord-est du pays. Déjà candidat à sa réélection en 2018, l’ancien ouvrier métallurgiste avait d’ailleurs appuyé sa campagne sur le bilan positif de ses mandats avec l’idée d’un « Brésil heureux à nouveau ».

Quatre années après son élection, le gouvernement Bolsonaro a produit des effets dramatiques sur la société brésilienne. Sa gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 a fait du géant latino-américain le second pays le plus endeuillé au monde, avec plus d’un demi-million de morts. La déforestation et l’extraction illégale de ressources en territoires autochtones ont atteint des records durant son mandat. Son hostilité vis-à-vis des pouvoirs judiciaires ainsi que ses pratiques clientélistes, militaristes et népotiques ont quant à elles durablement affaibli une démocratie brésilienne déjà très fragmentée.

Le président brésilien Jair Bolsonaro, fait un salut avec son bras
Le président brésilien Jair Bolsonaro salue ses partisans à son arrivée au rassemblement de la Fête du travail et de la liberté, à Brasilia, le 1ᵉʳ mai 2022. Ses quatre années au pouvoir ont produit des effets dramatiques sur la société brésilienne. (AP Photo/Eraldo Peres)

Doctorant en science politique et spécialisé dans l’étude des mouvements sociaux au Brésil, j’ai notamment travaillé avec des activistes du PT au cours des élections de 2018. Dans cet article, je souhaite revenir sur les principaux défis qui attendent Lula et le Parti des travailleurs à l’approche d’une élection qui s’annonce déterminante pour un pays devenu paria sur la scène internationale depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.

Destitution, emprisonnement et scandales de corruption

En 2016, dans ce qu’elle qualifiera plus tard de coup d’État parlementaire, la présidente Dilma Rousseff (PT) s’est vue destituée pour motif de « pédalage fiscal » : accusée d’avoir maquillé le déficit budgétaire pour favoriser sa réélection. Le PT s’était quant à lui vu repoussé hors de l’exécutif, malgré sa victoire aux élections présidentielles deux ans plus tôt.

Un grand nombre de spécialistes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Brésil ont condamné la procédure, en tant qu’alternance politique non démocratique indicatrice d’une inquiétante érosion démocratique.

Deux ans plus tard, Lula se présentait comme candidat à un troisième mandat dans le cadre des élections présidentielles de 2018. Emprisonné pour corruption seulement quelques mois avant l’échéance électorale et après une procédure judiciaire douteuse, notamment en raison de sa rapidité d’exécution, son timing et surtout son manque de preuves tangibles, il a vu son dauphin Fernando Haddad se qualifier pour un second tour face à Jair Bolsonaro.

Le juge qui avait condamné Lula à huit années de prison, Sergio Moro, était quant à lui pressenti en tant que candidat à la présidence, avant de suspendre sa candidature le 31 mars pour rejoindre le parti conservateur União Brasil. Depuis sa libération en novembre 2019 après 580 jours d’emprisonnement, Lula retrouve la tête d’un Parti des travailleurs durablement associé à la corruption et à la mauvaise gouvernance aux yeux d’une partie de la société brésilienne.

Une femme se tient devant un abri temporaire, composé de toiles noires
Une opération en cours visant à retirer les installations utilisées par les sans-abri et les toxicomanes du centre de Sao Paulo, le 4 avril 2022. La population des sans-abri de Sao Paulo a augmenté de 30 % pendant la pandémie de Covid-19. La gestion de la pandémie par le gouvernement Bolsonaro a été catastrophique. (AP Photo/Andre Penner)

Perte de l’assise locale du PT

Actuellement, le Parti des travailleurs est profondément dépendant de ses leaders nationaux, dont Lula, qui dispute, à 76 ans, sa septième campagne présidentielle. Bien qu’il performe toujours au niveau national (avec cinq qualifications au second tour, dont quatre victoires lors d’élections présidentielles depuis 2002) et qu’il reste la principale force d’opposition au gouvernement, le PT voit son implantation locale s’effriter depuis 2016.

Lors des élections d’octobre 2016, le PT n’a remporté que 254 municipalités, contre 644 en 2012. En 2020 le parti n’obtient que 183 municipalités, et aucune capitale d’État, une première depuis la fin du régime militaire en 1985.

Face à la perte de son implantation locale, ce PT toujours plus centralisé autour de ses leaders ne semble pas s’engager dans la direction d’une reconstruction par le bas, ni d’un renouvellement de son administration et de sa base militante.

Des arbres en feu avec, à l’avant plan, une vache
Un incendie brûle une zone dans la région d’Alvorada da Amazonia, dans l’État de Para, au Brésil, le 25 août 2019. La déforestation a atteint des niveaux records durant la mandat de Jair Bolsonaro. (AP Photo/Leo Correa)

Constitution d’un front démocratique : la stratégie conciliatrice de Lula

Pour vaincre l’ex-militaire et président d’extrême droite Jair Bolsonaro, Lula espère constituer autour de lui un vaste front démocratique. Pour cela, le PT a renoué le dialogue avec certains membres du Mouvement démocratique brésilien (MDB), allié de centre droite du PT jusqu’en 2016, avant un retournement soudain d’alliance.

Lula a également choisi comme colistier un rival historique, Geraldo Alckmin, qu’il avait affronté à deux reprises (2002 et 2018), alors que ce dernier était membre du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), alligné à droite. Cette stratégie de conciliation avec des élites de la droite annonce une libéralisation du programme pétiste et confirme le repositionnement du parti vers le centre de l’échiquier politique.

Le PT a également établi une alliance avec le Parti socialisme et liberté (PSOL), d’extrême gauche, dont le président Guilherme Boulos était parvenu au second tour des élections municipales de São Paulo en 2020. En revanche, aucune alliance ne semble à ce stade possible avec Ciro Gomes, candidat de centre gauche arrivé troisième en 2018 avec 12 % des voix.

Intentions de vote au premier tour.

Vers une polarisation Lula-Bolsonaro

En face, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro (Partido Liberal) a vu son taux d’approbation chuter à 19 % fin novembre 2021, notamment en raison de sa gestion catastrophique de la crise sanitaire.

Depuis janvier 2022, il voit les intentions de vote en sa faveur remonter lentement, à mesure que la pandémie se stabilise (environ 75 % des Brésiliens sont aujourd’hui complètement vaccinés). Malgré plusieurs rechutes, en raison notamment de la hausse du prix des combustibles, l’ex-militaire voit l’écart qui le sépare de Lula se résorber progressivement. Dans cette optique, il rallie ses soutiens parmi les évangélistes pour encourager un vote religieux en sa faveur.

En gris foncé votes blancs et nuls, en gris clair indécis
Intentions de vote en cas de second tour Lula – Bolsonaro.

Depuis août 2012, Jair Bolsonaro multiplie également les attaques à l’encontre du système de vote électronique, pourtant effectif au Brésil depuis 25 ans, laissant craindre un refus d’admettre les résultats électoraux en cas de défaite.

Des hommes portant le masque s’affairent autour d’ordinateurs
Des analystes testent le système de vote électronique au siège du Tribunal suprême électoral à Brasilia, Brésil, le 13 mai 2022. Cette année, les tests du système de vote sont suivis de près, car le président Jair Bolsonaro met en doute l’intégrité du système. (AP Photo/Eraldo Peres)

Ainsi, malgré une avance a priori confortable dans les sondages, la victoire de Lula da Silva est loin d’être garantie, à cinq mois de l’échéance. Pour concrétiser son avantage, il devra consolider une alliance hétéroclite et rassembler autour de lui un véritable front démocratique, capable de répondre à un candidat critiquant publiquement les processus électoraux et démocratiques. La reconstruction du Parti des travailleurs et le renouvellement de son administration devront quant à eux patienter.

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