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À Dakar, au Sénégal. Jeff Attaway/Flickr, CC BY

En finir avec le tout-béton en Afrique

Dans sa quête de modernité, le bâtiment africain s’est malheureusement coupé de sa tradition bioclimatique séculaire, un ensemble de savoir-faire qui a permis aux habitants d’affronter des climats parfois extrêmes. Aujourd’hui, sur le continent, les constructions sont souvent mal adaptées au climat chaud, thermiquement inconfortables et énergivores.

Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il est encore temps de faire mieux : d’après UN-Habitat, 80 % des bâtiments qui seront habités en 2050 ne sont pas encore construits. Et ces dernières années, architectes, entrepreneurs, ingénieurs et organismes internationaux se penchent avec passion sur la question, avec notamment des recherches dans le domaine des matériaux de construction innovants.

Architectes, ONG, chercheurs

Qu’ont en commun, Hassan Faty, Francis Kéré, et Kunlé Adéyemi ? Ils sont architectes, célèbres, et tous travaillent à l’émergence d’un bâtiment africain fier et bien dans sa peau. Mais ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Interview de l’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré (Louisiana Channel, 2014).

Nombreux sont ceux en effet qui démontrent la possibilité de construire des bâtiments mieux adaptés au climat africain, confortables sur le plan thermique et faisant appel à des matériaux locaux, économiquement abordables et respectueux de l’environnement ; et, pourquoi pas, esthétiques et modernes.

Si ces architectes ont une visibilité évidente qui permet la médiatisation, des organismes internationaux et ONG communiquent également pour défendre leurs causes, quand des ingénieurs et chercheurs contribuent, eux, dans leurs laboratoires, à la recherche des matériaux de demain.

À la recherche des nouveaux matériaux

On sait ainsi, grâce à leurs recherches, que la terre crue régule l’humidité et que le béton (présent dans l’écrasante majorité des constructions urbaines), le verre et la tôle métallique – très utilisés en Afrique pour l’enveloppe et la toiture des bâtiments – sont des accumulateurs de chaleur.

Cette dernière caractéristique est à l’origine de l’inconfort thermique qui peut être ressenti aussi bien dans de majestueuses tours de verre que dans de modestes maisons. Et on comprend pourquoi la climatisation est autant utilisée dans un pays comme le Sénégal, où 84 % des gaz frigorifiques (HCFC et CFC) consommés le sont par des équipements de climatisation. Avec de sévères conséquences sur l’environnement.

Il faut également noter que la prédominance du matériau béton dans la construction est responsable du prélèvement intensif de sable de mer et donc d’une importante érosion côtière destructrice des plages.

Ces constats posés, le défi consiste donc à trouver une authentique alternative pour varier l’offre de matériaux sur le marché du bâtiment africain et en finir avec la toute-puissance du béton. Il s’agit de chercher, formuler, tester, se tromper, recommencer… sans oublier d’observer et de tenir compte du bon sens des pratiques populaires. En effet, si les bétons de ciment ont été inventés par des ingénieurs, l’idée de leur ajouter de l’acier pour créer le fameux béton armé si résistant a été trouvée par… un jardiner.


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Le typha et après ?

La recherche sur les matériaux locaux au sein des universités et écoles d’ingénieurs africaines est bien vivante, comme en témoignent de nombreux travaux.

Ces dernières années, en Afrique subsaharienne, un matériau est ainsi l’objet de toutes les attentions : le typha, ce roseau qui envahit les lacs et constitue d’ordinaire une source de problèmes écologiques majeurs. Or il se trouve que sa structure alvéolaire lui octroie d’excellentes propriétés d’isolation et de perméabilité à l’air. Il peut donc contribuer à améliorer fortement le confort thermique des bâtiments.

On peut citer par exemple le chercheur Dany Ayite, de l’université de Lomé qui a fait breveter ses travaux sur le béton de balles de riz (déchets de la riziculture) ou encore le X Tech Lab béninois, qui planche sur la caractérisation des matériaux locaux, et propose des forums sur les matériaux de construction visant à dynamiser l’application des recherches.

Aujourd’hui, le typha est notamment utilisé pour son potentiel d’isolation thermique pour les toitures (sous la forme de hourdis). Des entreprises et collectifs d’architectes comme le collectif d’architectes bioclimatique Worofilia au Sénégal ou encore l’entreprise de construction Élémenterre, tâchent d’introduire de plus en plus de typha dans leurs toitures, et des programmes financés par le Fonds français pour l’Environnement mondial pour développement promeuvent l’essor d’une filière typha.

À l’heure actuelle, cependant, aucun matériau révolutionnaire ne permet encore aux habitants de Bamako – qui affiche 40 degrés sous le soleil d’avril – de profiter de leur maison bioclimatique non climatisée sans étouffer.La recherche fondamentale de nouveaux matériaux doit donc être encouragée, et d’autres domaines d’action peuvent également être mobilisés en attendant.


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Le défi de la formation

Car au-delà des limites actuelles de l’innovation et des enjeux de transmission entre la recherche fondamentale et le grand public, plusieurs autres barrières de tailles se dressent lorsqu’on réfléchit à comment sortir du paradigme du tout béton en Afrique.

D’abord celles du droit et de la formation. Moins de 20 % des habitations bâties en Afrique Sub-saharienne font l’objet d’un permis de construire. La plupart des projets de constructions neuves d’habitations sont de fait lancés par des maçons et artisans directement sollicités par les particuliers. Ceux qui sont, sous d’autres latitudes, en fin de chaîne, entrant en action après les plans d’architectes, les plans de structures demeurent ici les premiers et seuls interlocuteurs des particuliers. Or ces maçons et bâtisseurs, pour l’immense majorité, apprennent directement leur métier auprès d’un maître, sans passer par les systèmes de formation classique, où ils pourraient se former aux normes en vigueur, mais également aux possibilités des nouveaux matériaux plus appropriés au dérèglement climatique. Là où le secteur tertaire (banque, hôtel) dépose des permis et fait appel des architectes, des maitrises d’ouvrage, l’habitat individuel est lui encore très largement dominé par un réseau non-formel travaillant uniquement le béton.

Trouver aujourd’hui des artisans capables, par exemple de faire de l’adobe (briques de terre mélangée à de la paille ou de l’herbe sèche), est de fait devenu un vrai défi, et la perte des savoir-faire est un autre problème de taille.

Ce manque de formation et cette perte de connaissance sur les façons traditionnelles de bâtir ne font qu’accroître le succès du béton, matériau qui permet à des gens peu formés de construire sans plan de structure. Le béton est ainsi la solution de la facilité, celui d’un matériau robuste, peu coûteux facile à acheter et à utiliser.

Le béton et le ciment, objets de désir

Mais si les savoir-faire traditionnels se sont perdus, c’est aussi car leurs réalisations ne sont plus tellement désirables. En Afrique de l’Ouest, le ciment et le béton sont devenus des marqueurs de développement synonymes, pour beaucoup, de prospérité. Dans cet imaginaire-là, l’habitat en terre est celui de la case rurale, qui paraît passé de mode et peu solide, là où des expressions comme « dur comme du béton » induisent une certitude de solidité et d’ancrage du côté du béton. Ces préjugés sont solides et peu importe si la terre a passé le test du temps, avec par exemple la mosquée de Djingareyber (Mali), érigée en terre crue au 14ème siècle, ou encore la ville de Shibam, cité d’adobe surnommée la Manhattan du désert et érigée au 16ème siècle, au Yémen.

Pour l’habitant d’Afrique de l’Ouest, le sac de ciment reste un objet de désir. Acheter ses sacs omniprésents dans les environnements péri-urbains, faire ses briques et bâtir sa propre maison reste une source d’épanouissement, de contentement et de fierté, quand bien même l’habitat final sera fort peu confortable du fait notamment de sa très mauvaise isolation.

Faire l’état des lieux de l’habitat africain de demain est donc plus que jamais synonyme de croisée des chemins. D’un côté, le nombre impressionnant de bâtiments pas encore sortis de terre pour abriter la population de 2050 rend possible un changement de paradigme pour sortir du tout-béton et faire en sorte que le quart de la population mondiale, qui sera alors africaine, ne soit pas mal logé face au dérèglement climatique.

De l’autre, les barrières économiques et mentales pour promouvoir des alternatives restent énormes. À ce carrefour entre le réel et le possible, une raison d’espérer réside peut-être dans le nombre grandissant d’architectes tout juste diplômés et résolus à se passer du béton. Ils peuvent être le trait d’union entre la recherche, les innovations d’architectes star comme Francis Kéré, ancien charpentier burkinabé devenu le premier lauréat en 2022 du Pritzker Price (l’équivalent du Prix Nobel en architecture), et la société civile, les décideurs publics.


Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.

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