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Être confinés avec des animaux ou vivre comme des bêtes ?

Et si la pandémie nous aidait à redéfinir nos relations au monde animal? Pixabay, CC BY-SA

Si le président de la République n’a pas employé le terme de confinement lors de ses discours à la nation des 12 et 16 mars, alors que les ministres de la Santé et de l’Intérieur l’ont largement utilisé, c’est peut-être parce que ce terme a jusque là été utilisé en France pour les populations animales.

Lorsque la grippe aviaire est arrivée en Europe en 2005, les élevages de volailles soupçonnés d’être contaminés par le virus H5N1 ou exposés aux oiseaux sauvages qui ont en étaient porteurs ont été « confinés », c’est-à-dire qu’un périmètre a été défini dans lequel tout mouvement était interdit pendant plusieurs mois. L’ethnologue Vanessa Manceron a étudié de l’intérieur la violence que ce confinement a imposé aux éleveurs qui se retrouvaient enfermés avec leurs animaux et stigmatisés comme des pestiférés.

Plus généralement, l’élevage industriel a conduit depuis une quarantaine d’années à confiner les animaux dans des bâtiments fermés où leur standardisation génétique pour des raisons de rentabilité économique les expose à des flambées de maladies infectieuses.

L’éleveur Jean‑Michel Berho rassemble ses canards avant une inspection vétérinaire lors d’une manifestation contre abattages massifs prévus dans le contexte de grippe aviaire, Domezain, 2017. Iroz Gaizka/AFP

Les normes de bien-être sont alors difficiles à appliquer, en offrant seulement aux animaux la possibilité de sortir quelques heures du bâtiment où ils sont confinés. Les poulets de Bresse « élevés en plein air » font figure d’exception, d’où leur appellation d’origine contrôlée et leur prix plus élevé.

Les relations entre humains et animaux en temps de confinement

Faut-il dire alors que nous sommes confinés comme des bêtes pour exprimer la sidération dans laquelle nous plonge cette mesure de santé publique inédite, destinée à freiner l’engorgement des hôpitaux avant d’espérer éradiquer l’épidémie de Covid-19 ?

Il faut plutôt étudier comment le confinement transforme les relations entre humains et animaux. Pour un anthropologue, le confinement est intéressant moins comme une métaphore d’une condition carcérale intemporelle que comme un terrain dans lequel s’inventent et se rejouent des relations entre humains et animaux qui ont des millénaires d’histoire commune.

Un chien épuisé par le confinement avec son humain ? PxFuel, CC BY

Prenons ainsi les relations entre les animaux domestiques et leurs « maîtres ». Des vidéos circulent sur les réseaux sociaux de chiens épuisés par le fait d’être devenus des prétextes à des promenades multiples.

D’autres propriétaires se sont fait verbaliser par les forces de police parce qu’ils promenaient des moutons ou des lapins tenus en laisse, cas non prévus par les attestations de déplacement dérogatoire.

La Société Protectrice des Animaux a constaté une augmentation des chiens et chats abandonnés depuis le début du confinement, notamment en raison des peurs que suscitent une possible contamination par l’animal.

Les vétérinaires reçoivent des chats en coma éthylique parce qu’ils ont été nettoyés au gel hydroalcoolique.

Cherchez le chat dans « Les Noces de Cana » ! Cette œuvre de Paul Véronèse, conservée aujourd’hui au Musée du Louvre, à Paris, est mise à l’honneur dans l’exposition virtuelle consacrée aux chats. Paul Véronese/Wikimedia

Parallèlement, le nombre de chats virtuels sur les réseaux sociaux a été démultiplié, et une exposition leur est consacrée en ligne par l’Universal Museum of Art.

Quelle base scientifique ?

La transmission potentielle du Covid-19 des animaux domestiques aux humains a ainsi causé une nouvelle forme de violence domestique à l’intérieur des foyers familiaux.

Cette violence est-elle justifiée sur des bases virologiques et épidémiologiques ? Un article vient d’être publié dans la revue Nature par une équipe de chercheurs du laboratoire vétérinaire de Harbin en République populaire de Chine. Cette équipe a transmis à plusieurs animaux domestiques le virus du Covid qui a causé les premiers clusters de pneumonie atypique à Wuhan en janvier, et dont des virus analogues ont été retrouvés sur des chauves-souris et des pangolins, attestant le scénario d’émergence d’un nouveau coronavirus des réservoirs animaux – un ensemble d’espèces sauvages où un pathogène mute de façon asymptomatique – qui était redouté depuis le SARS.

Leur étude a montré que le Covid se transmet de façon intranasale et intratrachéal aux furets et aux chats – une voie de transmission qui se produit très rarement dans la nature. Elle montre aussi qu’il se transmet entre furets et entre chats placés dans des cages différentes, mais qu’il ne se transmet pas aux chiens, aux cochons, aux poulets et aux canards.

Le furet est un modèle expérimental pour les études sur la grippe car il éternue comme les humains. Pixabay, CC BY

Des chiens avaient déjà été découverts à Hongkong porteurs du coronavirus, mais ils étaient alors considérés comme des surfaces de contact – un peu comme des poignées de porte – et non comme des réplicateurs du virus. Plus récemment, un foyer belge a rapporté la transmission du coronavirus à leur chat, mais sans conséquence sur la santé des maîtres ni celle de leur compagnon. On apprenait par ailleurs le 4 avril que les tigres et les lions du zoo du Bronx étaient porteurs du coronavirus et que leur santé était suivie avec attention.


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Ces données confirment ce que l’on savait déjà pour les virus de la grippe, maladie respiratoire beaucoup mieux connue que celle qui est transmise par les coronavirus avec les mêmes symptômes. Les chats sont de meilleurs transmetteurs que les chiens – on avait montré que les chats transmettaient le H5N1 quand ils étaient inoculés expérimentalement avec de très fortes doses virales – et surtout le furet est un modèle expérimental pour les études sur la grippe depuis 1933 parce qu’il est le seul animal à éternuer comme les humains.

Or l’étude publiée le 1er avril dans Nature montre que les chats et les furets, s’ils répliquent le virus dans les voies respiratoires supérieures, ne présentent pas de symptômes, et ne sont donc pas susceptibles de transmettre la maladie aux humains. Il n’y a donc aucune raison de se débarrasser des chats domestiques ou de les plonger dans un coma éthylique.

Un modèle expérimental

Ces résultats rappellent cependant une donnée importante, peu soulignée dans le débat public : si l’on parle beaucoup de la pénurie de masques, d’appareils de respiration et de tests de dépistage, on souligne peu qu’il n’y a pas à ce jour de modèle expérimental pour étudier les effets du coronavirus analogue au rôle que joue le furet pour les études sur la grippe.

De nombreux laboratoires frappés par les mesures de confinement ont dû abattre leurs animaux, notamment des souris transgéniques ou anoxiques fabriquées pour étudier des mécanismes microbiologiques pour d’autres maladies en mutant un gène ou en retirant leur microbiome.

Ils ont pu justifier auprès des autorités sanitaires de maintenir en vie certains de ces animaux – les plus coûteux – en convertissant leurs études vers la transmission du Covid-19. Les résultats de ces nouvelles recherches ne sont pas encore disponibles.

Cette information virologique conduit à une réflexion anthropologique plus générale.

Une recomposition des relations

Les foyers dans lesquels les maîtres sont confinés avec leurs animaux domestiques, les zoos actuellement fermés au public dans lesquels les vétérinaires surveillent la santé d’animaux sauvages en captivité, les laboratoires dans lesquels les microbiologistes « trient » des souris, en les sauvant de l’abattage par la reconversion vers l’urgence sanitaire en cours, sont trois espaces dans lesquels la pandémie de Covid-19 recompose les relations entre humains et animaux depuis les débuts de la domestication il y a près de 10 000 ans.

Mais les animaux sauvages eux-mêmes vivent dans des habitats où ils sont de plus en plus surveillés, voire confinés. Ainsi, les chauves-souris se rapprochent des villages et des villes du fait de la déforestation et leurs prélèvements sont analysés pour anticiper le prochain virus émergent.

l’université UCL a filmé les chauves-souris présentes à Londres.

Les pangolins sont commercialisés dans toute l’Asie voire depuis l’Afrique et transférés dans des cages qui favorisent la transmission virale, et les animaux sauvages sont comptés par des enquêtes de biodiversité qui s’apparentent à une nouvelle forme globalisée de « biopouvoir ».

Nous sommes tous confinés, humains et animaux, dans l’attente de la prochaine pandémie qui nous affectera en commun, et nous devons réfléchir aux bonnes distances qui nous permettront d’en limiter les effets.

Il reste une dernière question que seul un renouvellement de l’observation naturaliste peut trancher : des animaux se confinent-ils à l’approche d’une maladie contagieuse ? La chrysalide qui protège la larve des parasites avant de laisser sortir le papillon peut-elle être par exemple considérée comme une forme de confinement animal ?

Si cela était attesté, notre exception humaine serait alors vraiment remise en jeu. Apprendre à se confiner avec des animaux, plutôt qu’une soumission à un pouvoir pastoral hérité de la domestication, serait alors un signe d’intelligence accessible à un grand nombre d’espèces.


L’auteur remercie François Moutou qui l’a beaucoup aidé pour cet article et pour ses enquêtes.


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