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Henri Lopès ou la beauté de l'Afrique et du monde

Portrait de l'écrivain, homme politique et diplomate congolais Henri Lopes lors de la 37e Foire du Livre le 10 novembre 2018, à Brive-la-Gaillarde, France. Photo : Jean-Marc ZAORSKI/Gamma-Rapho via Getty Images

Depuis le 2 novembre 2023, l’ombre de Marie-Joseph Henri-Lopès, plus connu sous le nom d'Henri-Lopès, voltige sur la rive gauche de la Seine, direction : le fleuve Congo. L'écrivain de renom est décédé à Paris en ce début du mois de novembre à Suresnes en île de France. Il avait 86 ans. Il a parcouru, presque toute sa vie, au propre comme au figuré, ce trajet Europe-Afrique, comme une configuration de sa double appartenance.

Nous autres, adolescents des années 1990, ne pouvons parler de lui qu’à travers ses oeuvres, telles qu’elles ont contribué à renforcer notre éducation citoyenne, la connaissance de notre continent, ainsi que notre place dans le monde, en tant que sujets du monde.

De la dizaine d'oeuvres de l'écrivain congolais par lesquelles nous avions été socialisés figurent, entre autres, Tribaliques (1971) qui le consacre Grand prix littéraire d’Afrique noire, La nouvelle romance (1976), Sans tam-tams (1977), Le pleurer-rire (1983), Le chercheur d'Afriques (1990), Sur l'autre rive (1992).

A quoi s'ajouteraient les titres les plus récents comme Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres gaulois_ (2003), Le lys et le flamboyant (1997), Une enfant de Poto-Poto (2012), Il est déjà demain (2018).

Je m'intéresse à la littérature des pays du Sud, à la théorie du champ littéraire, à la pensée postcoloniale et à l’analyse du discours social. Je dirais que deux grandes mythologies pourraient en constituer les axes majeurs. Ce sont les tandems: littérature/politique et Europe/Afrique. D’un site à l’autre, l’illustre écrivain aura réussi à instituer brillamment un tiers-espace d’une façon qui transcende les clivages traditionnels qui opposent l'Afrique et l'Europe.

Ainsi, du point de vue du rapport, structurellement tendu, entre “littérature” et “politique”, Henri Lopès est parvenu à voguer avec élégance entre les deux espaces. En effet, il est un des rares acteurs politiques sur le continent à avoir su concilier ses activités politiques avec sa carrière d’écrivain sans se laisser disqualifier par le champ du pouvoir dont on connaît suffisamment l’impact aliénant sur le champ.

Il fut, tour à tour, ministre de l’Education (1969), des Affaires étrangères (1972) ; Premier ministre (1973-1975) ; ministre des Finances (1980); haut fonctionnaire international (1982-1998) et ambassadeur (1998-2015).

Engagement critique

Il a pu passer plus de 50 ans sa vie à témoigner de l’histoire politique au quotidien de son pays et du continent, voyant se succéder des hommes, des régimes et des mutations sans se faire éjecter lui-même du système. Surtout, il a su appréhender les thèmes politiques par la médiation de la création littéraire, qu’il a abordés avec un humour savoureux qu’on pourrait retrouver chez un Sony Labou Tans’i (écrivain à succès, lui aussi originaire du Congo-Brazaville) ou encore chez un Alain Mabanckou (écrivain originaire, lui aussi, du Congo, et fortement représentatif de la diaspora africaine en France).

Ni adepte du pamphlet ou du brûlot, encore moins des tracts aux slogans révolutionnaires renversants, le style littéraire d’Henri Lopès a su se faire diplomatie, engagement critique et responsabilité dans l’action.

Ainsi, relativement au rapport, non moins tendu, entre l’Europe et l’Afrique, cet enfant de Pôtô (un quartier populaire de Brazzaville, la capitale du Congo), à la grand-mère batou et aux ancêtres gaulois (par son rapport à la France au détriment de la Belgique d'où son père était originaire), a su parfaitement pratiquer, tout en l’incarnant, l’antithèse des théories du nativisme que dénonçait Achille Mbembe dans “Les écritures africaines de soi”.

Il s'agit d'une conception radicale de l'africanité, en tant que fruit de la négritude, dont on connaît parfaitement la suprématie sur le discours social des années 1930-1980.

Une troisième voie

“Le sang mêlé” (la goutte de sang portugais de Léopold Sédar Senghor, 1961) d’Henri Lopès, sa poétique rhizomique (Edouard Glissant, 1992) ont fait de lui l’incarnation d’une troisième voie. Celle-ci n'est pas élaborée sur le mode du “métis” de tendance essentialiste que déconstruisit avec raison l’anthropologue Jean-Loup Amselle.

Tout ceci semble avoir généré au fil des mouvements de l’histoire, l’imagination idéalement postcoloniale de l’identité africaine dont Henri Lopès a su imaginer et styliser par anticipation la posture, ainsi que la configuration, conformément à la réalité d’une l’Afrique sans cesse en mutation.

Marie-Joseph Henri Lopès fut un savant et un politique, un sujet bantou et gaulois. Qu'il vive à jamais !

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