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Justice internationale : l’enjeu Guillaume Soro

La condamnation de Guillaume Soro l'empêche de se présenter à l'élection présidentielle prévue pour octobre prochain. Sia Kambou/AFP

Un tremblement de terre politique secoue la Côte d’Ivoire. Le 28 avril, un tribunal ivoirien a déclaré Guillaume Soro, candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain, coupable de détournement et de blanchiment d’argent. L’ancien commandant en chef des rebelles, âgé de 48 ans, a été condamné à 20 ans de prison.

La dimension politique de la condamnation de Soro n’a pas échappé aux Ivoiriens, qui ont été les témoins de son ascension vers le pouvoir au cours des deux dernières décennies. Mais ce sont ses ambitions présidentielles qui expliquent en grande partie sa chute judiciaire. Sa condamnation peut être vue comme le dernier chapitre en date d’une lutte de pouvoir qui a commencé à se nouer depuis la réélection du président Alassane Ouattara, en octobre 2015.

Plusieurs éléments semblent corroborer le soupçon que les poursuites engagées contre Soro sont motivées par des raisons politiques. Son mandat d’arrêt a été rendu public alors que tout le monde savait qu’il se trouvait en Europe, ce qui lui a donné une raison impérieuse de ne pas retourner dans son pays. La décision de le poursuivre par contumace, ainsi que d’autres questions relatives à la légalité de la procédure, laissent penser que l’intention principale du gouvernement était de le tenir à distance, et non de le mettre sous les verrous.

Dans l’ensemble, de nombreux Ivoiriens voient dans la condamnation de Soro une tentative de l’exclure de l’élection présidentielle prévue fin octobre. Cela ouvrirait la voie à l’élection du candidat de M. Ouattara, l’actuel premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

Mais ces développements ont des implications beaucoup plus larges pour la justice pénale internationale. Deux questions, liées entre elles, se posent. Pourquoi Soro est-il tombé en disgrâce ? Et sa chute donne-t-elle à la Cour pénale internationale une seconde chance – sans doute imméritée – de rendre justice pour les atrocités perpétrées pendant près d’une décennie de guerre civile dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ?

L’ascension de Soro au pouvoir

Il n’y a sans doute personne en Côte d’Ivoire qui ait plus contribué à l’ascension de Ouattara à la présidence que Soro. Soro était le commandant en chef des forces rebelles qui ont mis fin au régime illibéral de l’ancien président Laurent Gbagbo. La lutte militaire et politique de Soro pour renverser Gbagbo a commencé avec le coup d’État manqué de septembre 2002. Elle a duré jusqu’à la défaite et l’arrestation de Gbagbo, en avril 2011.

Naturellement, Ouattara s’est senti redevable à Soro et il l’a généreusement récompensé. C’est pourquoi il a fermé les yeux sur les atrocités perpétrées par les rebelles de Soro alors qu’ils marchaient sur Abidjan.

Au fil du temps et de l’effritement des loyautés nées de la guerre, le passé de Soro est cependant devenu un handicap politique pour Ouattara et une menace imminente pour la fragile démocratie ivoirienne. Mais par deux fois, Ouattara est venu au secours de son ancien allié, en refusant de se conformer à deux mandats d’arrêt contre Soro : le premier avait été délivré par un juge français), en décembre 2015 ; l’autre sollicité par le gouvernement du Burkina Faso voisin, en janvier 2016.

La brouille

L’attitude envers Soro a commencé à changer fin 2016, lorsque Ouattara a initié des mesures institutionnelles, politiques et judiciaires pour prendre ses distances avec son ancien allié. L’adoption de la nouvelle Constitution, établissant un poste de vice-président et ajoutant une Chambre haute à l’Assemblée nationale jusqu’alors monocamérale, a fourni une occasion d’affaiblir la mainmise de Soro sur le pouvoir.

Mais c’est l’implication présumée de Soro dans les mutineries de janvier et mai 2017 qui a marqué le point de non-retour. Soro était désormais perçu comme une menace pour l’État ivoirien. Ses finances et ses liens avec de riches bienfaiteurs ont soudainement été soumis à un examen minutieux par la justice nationale.

Peu disposé à accepter le rameau d’olivier proposé par Ouattara et à soutenir son successeur désigné, Soro a coupé tous ses liens restants avec le président. En février 2019, il a démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale et de son parti. Et c’est ainsi que Soro, n’étant plus sous la protection de Ouattara, est devenu une cible possible pour les poursuites internationales.

Un test pour la crédibilité de la CPI

Le gouvernement Ouattara verrait sans doute d’un bon œil un procès de Soro à La Haye. Un procès national serait politiquement coûteux et, étant donné la popularité de Soro et son influence sur l’armée, susceptible de provoquer des troubles publics.

Cependant, le recours à la justice internationale n’est pas non plus à l’abri d’un échec. La gestion calamiteuse du procès intenté contre l’ancien président Gbagbo et contre Charles Blé Goudé est encore fraîche dans la mémoire de nombreux Ivoiriens. Cet épisode judiciaire, qui s’est soldé par l’acquittement des deux hommes en janvier 2019, a contribué à saper la crédibilité de la Cour de La Haye.

Dès lors, la récente condamnation de Soro offre à la Cour une occasion de se rattraper et de se racheter qu’elle ne peut se permettre de manquer. Outre le fait que la justice puisse être rendue, engager une procédure contre Soro contribuerait à dissiper l’image de partialité – ou de manque d’impartialité – dont souffre la Cour. Il s’agirait de la première poursuite internationale visant un membre de haut rang du côté « des vainqueurs » de la guerre civile. Il est utile de rappeler à ce sujet qu’universitaires et observateurs de la politique ivoirienne ont déploré le silence du procureur concernant les crimes présumés commis par les forces pro-Ouattara.

À supposer que le bureau de la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, se saisisse de cette opportunité, comment les autorités ivoiriennes réagiraient-elles ? Plusieurs indices suggèrent que le gouvernement ivoirien souhaite que la Cour ouvre un procès contre Soro, et que le plus tôt sera le mieux. Les interactions passées entre les autorités ivoiriennes et le tribunal de La Haye semblent indiquer que les récentes décisions prises au plan national sont un appel à la CPI pour qu’elle se penche sur le cas Soro.

Une double victoire ?

N’oublions pas que le gouvernement Ouattara a remis Gbagbo et Blé Goudé à la Cour internationale, respectivement en 2011 et 2013. Lorsqu’il a refusé de livrer l’épouse de Gbagbo, Simone, la justice ivoirienne a accusé celle-ci de crimes de guerre, suspendant la compétence de la CPI pour raison de complémentarité.


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Soro a lui aussi été condamné pour des crimes qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour pénale internationale. Il n’y a pourtant pas pire pays où se trouver que la France pour ceux qui cherchent à échapper à la justice internationale. Depuis 25 ans, les autorités françaises ont pris l’initiative d’enquêter, d’arrêter et de remettre aux tribunaux pénaux internationaux des suspects provenant de nombreux pays – des Balkans occidentaux au Rwanda en passant par la République démocratique du Congo, le Tchad, la République centrafricaine, la Libye et la Syrie.

Enfin, les poursuites engagées par la CPI ont, pour les accusés, des conséquences politiques et personnelles considérables, qui peuvent durer au-delà de leur acquittement. La preuve en est que, dans l’attente de leur jugement en appel, Gbagbo et Blé Goudé n’ont pas pu rentrer chez eux et reprendre leur carrière politique.

Un procès contre Soro serait une victoire tant pour le tribunal de La Haye, qui a grand besoin de redorer sa crédibilité, que pour l’administration ivoirienne sortante, qui cherche à transférer en douceur le pouvoir à quelqu’un qui poursuivra dans la même voie que Ouattara.

Il reste à voir si Soro acceptera la sombre situation qui est la sienne ou s’il se battra, par tous les moyens nécessaires, pour réaliser son rêve de s’emparer de la présidence de la Côte d’Ivoire.


La traduction vers la version française a été assurée par le site Justice Info.

This article was originally published in English

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