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La face cachée du Congrès des Verts

Dans l'effervescence du Congrès de Patin. Vanessa Jerome, Author provided

« Ré-inventer », « ré-enchanter », « re-construire » : c’est sous l’auspice d’un préfixe que s’est tenu, à Pantin le week-end dernier, le dernier congrès d’EELV (Europe Écologie-Les Verts). Les militants écologistes ont élu une nouvelle direction qui devra faire ses preuves dans un contexte politique difficile.

N’ayant jamais acquis le monopole de la représentation de l’écologie dans le champ politique, ils sont tout dernièrement concurrencés par la création de l’Union des Démocrates écologistes. Ils pâtissent, auprès du grand public qui peine à distinguer les différentes formations écologistes, de l’entrée au gouvernement de trois de leurs anciens membres : Jean-Vincent Placé (ex numéro 2 du parti), Emmanuelle Cosse (ex secrétaire nationale) et Barbara Pompili (elle co-présidait le feu premier groupe parlementaire écologiste à l’Assemblée nationale). Pointés du doigt dans« l’affaire Baupin », il sont aussi affaiblis par le départ de nombreux cadres et militants : il n’en reste plus aujourd’hui que 6 000.

Le Congrès comme rite d’institution

Un Congrès « pour rien », un parti « en décrépitude », qui peine à trouver « un nouveau souffle », a-t-on pu lire sous la plume des commentateurs. Dramatique à première vue, la situation d’EELV n’est en réalité guère surprenante. Replacés dans l’histoire longue du parti, créé en 1984 à l’Assemblée de Clichy, les événements de ces derniers mois re-disent le tropisme scissipariste de l’écologie politique française (toujours recomposée par l’action d’anciens cadres du parti formant leur propre organisation politique), son rapport paradoxal à la professionnalisation politique, et l’élasticité de l’institution partisane verte qui autorise depuis toujours une pluralité et une diversité de formes d’engagement militant.

Pour ceux qui connaissent l’histoire du parti – et vu l’importance du turn-over militant, ils ne sont plus si nombreux – rien d’anormal dans la situation actuelle. Pour les autres, que d’inquiétudes ! La mauvaise image du parti, les scores en dents de scie, les difficultés financières… et l’élection présidentielle qui se profile, désormais en dehors d’une éventuelle primaire de la gauche, suspendue aux hésitations habituelles de Nicolas Hulot et à la préparation en coulisse de la probable candidature de Cécile Duflot.

David Cormand, le nouveau visage du parti d’EELV. Tifeco76/Flickr, CC BY-SA

Dans ce contexte, le congrès de Pantin est arrivé à point nommé. Rite d’institution s’il en est, il a tout d’abord fonctionné comme un marqueur temporel, traçant une frontière entre l’ère Duflot/Durand/Cosse, et l’ère qui vient, sous la houlette de David Cormand. Opérateur symbolique, le congrès a aussi signifié un ensemble de ruptures. La première touche à la gouvernance : « Ni clique, ni bande, ni coterie, ni fan club, ni firme. » La seconde a trait aux alliances : selon la motion majoritaire, « tout accord, même technique, avec l’appareil du PS » est désormais exclu. La troisième rupture est liée au fonctionnement du parti : un grand chantier de « réinvention » de la démocratie interne a été lancé. Énoncé performatif, le Congrès a enfin consacré, à plus de 60 % et conformément aux règles statutaires, la légitimité partisane de la nouvelle équipe de direction.

Née de l’union des deux motions arrivées en tête au soir du premier tour, composée de onze représentants de la motion majoritaire et de quatre représentants des trois motions minoritaires, elle fait la part belle aux jeunes cadres entrés au parti dans le sillage des élections européennes de 2009 et de la transformation des Verts en EELV en 2010. Se démarquant des directions précédentes, de ses manières de faire de la politique, cette direction « collégiale » a promis de s’investir dans et pour le parti, avec le concours des engagés sincères et fidèles de l’écologie politique, que la magie du rite d’institution a permis, au moins symboliquement, de re-constituer.

Le Congrès comme mise en ordre des discours et des pratiques

Mais la magie des rites d’institution a ses limites. Elle permet certes de crédibiliser le discours du renouveau, de tirer les profits de la conformité aux valeurs historiques de l’écologie politique et ceux du reniement d’un ensemble de pratiques anciennes délégitimées aux yeux des militants. Mais une fois le rideau du Congrès tiré, elle ne suffit pas.

Les croyances et les pratiques sont, chez les écologistes comme dans tous les autres partis, solidement ancrées et constitutionnalisées par un ensemble de dispositions statutaires et réglementaires, d’ailleurs forts complexes. Ne pas nier les manquements, les erreurs, les dérives, aide à crédibiliser – à l’heure de la catharsis – le discours du renouveau. Mais il en faut plus pour qu’un changement réel s’opère.

Une manifestation anti-EPR à Lyon Bellecour en 2007. Yann/Wikimédia, CC BY-SA

Ainsi les représentants au bureau exécutif des motions minoritaires contrôleront de l’intérieur l’action de la nouvelle direction. La conférence des secrétaires de régions influencera, au côté du conseil fédéral (le parlement interne du parti), les décisions prises et leur application. De nombreux militants, partout en France, se feront presque profession de dénoncer les événtuels manquements du bureau exécutif à ses engagements et de faire appel, si besoin, au conseil statutaire. Et à ce jeu des contre-pouvoirs, la connaissance des rouages du parti et de sa jurisprudence compteront beaucoup.

Face à cela, que pèseront les intentions de la direction ? Comment sera jugé l’inévitable écart entre discours et pratiques ? Comment se feront entendre ceux qui se demandent déjà ce que signifie « hacker la démocratie » et lancer la « version 2.0 d’EELV » ? Un nouveau vocabulaire, fait de métaphores informatiques, a sans conteste pénétré le parti. C’est celui d’une partie de la plus jeune des générations militantes, qui réinterprète à sa manière, la démocratie partisane. Cette génération, mieux formée à la communication et au management que connaisseuse des fondamentaux de l’écologie, aura à affronter la force et le poids de l’institution verte, laquelle, pour tolérer l’interprétation de ses règles, n’en structure pas moins l’espace des possibles partisans.

Il y a fort à parier qu’il ne faudra pas attendre très longtemps pour qu’à la manière verte, radicale sur le fond et violente symboliquement, soit jugés David Cormand, 13ème secrétaire national de l’histoire du parti vert français, et les quatorze membres de sa nouvelle équipe. Le soir même de leur intronisation, quelques « soixante-huitards » entrés au parti à la fin des années 80 et quelques représentants de l’avant-dernière génération militante, qui avait accompagné l’ascension de Cécile Duflot dès 2006, désespéraient déjà.

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