Menu Close

La France penche-t-elle vers plus d’autoritarisme ?

Des membres de la BRAV-M de la Police nationale lors d'une manifestation le 1er mai 2021.
Des membres de la Brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M) lors d'une manifestation le 1er mai 2021. Cette unité constituée de brigades mobiles à moto est créé en mars 2019 dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. Bertrand Guay/AFP

Ce sont les leaders autoritaires qui mènent la danse. Ils sont particulièrement visibles sur le plan politique, notamment à l’extrême droite, de Donald Trump aux États-Unis à Viktor Orban en Hongrie en passant par Jair Bolsonaro au Brésil et Vladimir Poutine en Russie, mais aussi sur la gauche (Hugo Chavez ou Lula, par exemple) et pas seulement à l’étranger. Ils existent également dans les entreprises privées, comme le montre le pouvoir de « leaders » comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou Elon Musk ou certaines formes de « management ».

L’un des traits les plus marquants des tentatives de dépassement de la situation politique contemporaine est l’autoritarisme. Il est fondé sur la conviction que la vie est déterminée par des règles, des lois et par des puissances qui nous dépassent et qui s’imposent à nous. Elles agissent de l’extérieur sur nous et elles sont indépendantes de notre volonté : des raisons objectives auxquelles on doit consentir. Ces règles, lois et puissances sont considérées comme un destin. Le bonheur serait de se soumettre à ces puissances et d’en jouir. Cette soumission peut devenir souhaitable car les hommes partagent le vécu d’une société qui leur paraît chaotique et sans plan. S’en remettre au destin est, selon ces conceptions, vertueux et jouissif. Cela peut avoir, par exemple, une expression religieuse mais également économique (« les lois du marché »), historique et naturalisée (« la France éternelle ») ou écologique (« la nature »).

L « autorité » désigne toutes les formes d’action qui soumettent les hommes et les femmes afin qu’ils vivent dans la dépendance de l’ordre établi et de la volonté d’autrui. L’autoritarisme revendique le leadership afin d’imposer sa volonté et de rendre les autres dépendants. L’autoritarisme n’apparaît plus seulement comme l’apanage de l’extrême droite mais semble se généraliser.

Une demande d’autorité ?

C’est moins l’existence de personnages autoritaires qui est inquiétante que l’énorme soutien, la large approbation et le consentement à leurs positions, en France comme ailleurs. Les résultats des dernières élections présidentielles en France et diverses enquêtes d’opinion le montrent clairement. Il existe une réelle demande d’une perspective autoritaire dans la population : la demande de l’homme fort ou de la femme forte qui ferait régner l’ordre et la sécurité.

Certes, la plupart des Français considèrent la démocratie comme le meilleur système politique (68 % en 2021), mais presque un tiers (32 % en 2021) considère que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». 18 % préféreraient un système autoritaire avec un chef qui décide sans être embarrassé par le parlement et son opposition, des syndicats ou d’autres opposants. Dans le contexte de la crise du coronavirus, la fragilité de la démocratie est claire car 44 % des Français préfèrent une politique « efficace » à la démocratie considérée comme inefficace.


Read more: Aux origines des fractures françaises


Peur et impuissance

La situation politique en France est un terreau exceptionnel pour le développement de l’autoritarisme. Non seulement les « crises » écologiques, institutionnelles, géopolitiques s’éternisent mais elles sont devenues la normalité de la vie quotidienne.

Il règne la peur de lendemains pires que le présent et un sentiment d’impuissance car les citoyens constatent qu’ils n’ont que très peu de prise sur le réel. L’adaptation résignée à cet état est une triste réalité tout comme la quête de sécurité dans la défense de ce qui, dans le passé, leur aurait permis de vivre convenablement ou mieux qu’aujourd’hui : la tradition, les frontières, le nous des « citoyens de souche ». La globalisation et l’européanisation ne sont plus des repères de lendemains meilleurs mais des sources de peurs de vivre dans un monde sans protections, sans frontières et sans règles.

Gouvernance instrumentale

La gouvernance englobe et interconnecte systématiquement sur le plan programmatique les mesures à prendre, les règles à respecter et les lieux de décision. Elle est purement instrumentale et elle a comme finalité d’atteindre des buts qu’elle définit elle-même : elle gère. Or, on est à cent lieues de la démocratie où le politique et la politique devraient se développer grâce à la délibération publique sur l’état et les avenirs possibles de la cité.

Certes, nous n’avons jamais connu une cité qui correspond à cette image d’Épinal de la démocratie mais depuis une bonne trentaine d’années, en France, les leaders politiques et les partis politiques dominants n’ont plus d’alternative à présenter à la situation de manques et de souffrances des citoyens et citoyennes. En revanche, la gouvernance exerce le contrôle et, si nécessaire, la révocation des gouvernants qui se sont engagés pour réaliser la politique décidée par les citoyens.

[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Le slogan bien connu de Margaret Thatcher « there is no alternative » est devenu le consensus entre les acteurs de la politique institutionnelle et la gouvernance. Entre les années 1980 et le début des années 2000, cette idée était largement partagée au-delà de ce petit monde de politiques professionnels et souvent reprise avec enthousiasme car elle exprimait la possibilité de vivre mieux à l’avenir.

La réalité a été, bien sûr, beaucoup plus contradictoire, mais cela n’est pas notre sujet. Ce qui nous importe est la dépolitisation profonde de la société que la pratique du « there is no alternative » a produite. La politique est désormais la tâche de la gouvernance nationale et internationale, composée d’experts et de professionnels, en général sans mandat électoral (par exemple les experts de cabinets-conseils omniprésents dans les institutions ou des experts qui font partie du personnel des institutions politiques).

Ce sont les instances de la gouvernance qui gèrent les sociétés. Les citoyens peuvent s’engager dans la « société civile », c’est-à-dire surtout dans l’humanitaire et dans la charité. La politique dans le sens classique est devenue indésirable et quasiment impossible.

Manque d’alternatives

Cette dépolitisation désarme les citoyens dans le monde contemporain et dans le désordre mondial. La situation est incompréhensible et, par conséquent, immaîtrisable. L’incertitude, la peur, l’impuissance vécue et le manque d’alternatives à cette situation se conjuguent. Mais ce n’est pas le calme plat qui règne. Bien au contraire, il émerge des contestations, des résistances et des luttes dans les secteurs les plus différents : « il faut que ça change » ! Mais comment et dans quel sens ? Les acteurs politiques institutionnels n’ont certainement pas dit leur dernier mot, mais il est évident que le système institutionnel et surtout les partis politiques, autrefois porteurs de projets alternatifs, sont à bout de souffle. La ressemblance de leurs positions tout comme leur impuissance par rapport à la gouvernance sont frappantes. Leur légitimité est au plus bas.

De l’autre côté, la solution autoritaire demande des leaders qui l’incarnent. Ce sont des « gens normaux » et de « petites gens » comme nous tous mais ils ont quelque chose en plus : ils incarnent ce qui « nous » lie et notre vision du monde dichotomique selon laquelle « nous » sommes toujours du bon côté et les « autres » du mauvais côté. Il va ainsi de soi qu’on doit punir ces autres pour que nous puissions vivre selon nos critères. Questionner cette vision du monde, la remettre en cause ou essayer d’expliquer pour quelles raisons les « autres » agissent comme ils le font et ce qui nous lie sont des tabous.

Les discours autoritaires sont creux, souvent faux et pathétiques. Ils sont pourtant écoutés parce que le politique est marginalisé et qu’il n’y a que très peu de discours alternatifs ; en outre, ces derniers sont presque inaudibles. Les partis politiques appartiennent au passé ou à un avenir autoritaire.

L’auto-organisation des citoyens dans des structures souples qui construisent un espace public de délibération peut être le début d’un nouveau système politique. Le conflit avec la gouvernance est programmé ; il peut être salutaire.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now