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La longue histoire du zéro, ce « rien » si important

Graffiti représentant le zéro, ce symbole révolutionnaire des maths. Dirk Duckhorn/flickr (modifié), CC BY-SA

Un petit point gravé dans un morceau d’écorce de bouleau marque l’un des événements les plus importants de l’histoire des mathématiques. L’écorce est en réalité un fragment d’un document connu sous le nom de manuscrit de Bakshali. Ce point est la première utilisation connue du nombre zéro. Des chercheurs de l’université d’Oxford ont récemment découvert que ce document est de 500 ans plus anciens par rapport aux dernières estimations, ils l’ont daté du troisième ou quatrième siècle après J.C. Une découverte majeure !

Il est aujourd’hui bien difficile d’imaginer comment faire des maths sans utiliser le zéro. Dans un système numérique, tel que le système décimal que nous utilisons, la position d’un chiffre est vraiment importante. Par exemple, la réelle différence entre 100 et 1 000 000 est la position du 1, le symbole 0 servant de ponctuation.

Cela dit, pendant des milliers d’années on s’en est bien passé. Les Sumériens, 5 000 ans avant notre ère, utilisaient un système « positionnel » mais sans 0. Dans des formes rudimentaires, un symbole ou un espace était utilisé pour distinguer, par exemple, 204 et 20000004. Ce symbole n’était néanmoins jamais utilisé à la fin d’un nombre, la différence entre 5 et 500 devait alors être déterminée par le contexte.

Une brève histoire du zéro

L’arrivée tardive du zéro est due, en partie, à une appréciation négative du concept de néant dans certaines cultures. La philosophie occidentale est remplie d’idées fausses à propos du néant. Parmenides, penseur grec du Ve siècle avant J.C., proclama par exemple que le néant ne pouvait exister, parce que parler de quelque chose le fait, de facto, exister.

Après l’avènement de la chrétienté, les dirigeants religieux européens expliquèrent que puisque Dieu est dans tout ce qui existe, alors toute représentation du néant devait être satanique. Dans l’espoir de sauver l’humanité du diable, ils bannirent rapidement le zéro de la société alors que dans le même temps, les marchands continuaient à l’utiliser en secret !

Dans la philosophie bouddhiste, au contraire, le concept de néant n’est pas seulement dénué de tout parfum démoniaque mais est une idée centrale dans les tentatives des adeptes pour atteindre le nirvana. Un tel état d’esprit, permet une représentation mathématique du zéro. En fait, le mot anglais zero est dérivé à l’origine du mot hindi « sunyata », signifiant « néant » et est un concept central dans le bouddhisme. Pour arriver au terme français, sunyata est passé par l’arabe cifron puis l’italien zefiro.

Le manuscrit Bakhshali. Bodleian Libraries

Après que le zéro a émergé dans l’Inde ancienne, il lui a fallu près de mille ans pour s’enraciner en Europe, bien après la Chine et le Moyen-Orient. En 1200, le mathématicien italien Fibonacci, qui amena le système décimal en Europe écrivait :

La méthode des Indiens surpasse toute méthode connue pour calculer. C’est une méthode fantastique. Ils font leurs calculs en utilisant neuf chiffres et le symbole zéro.

Cette méthode supérieure de calcul, clairement semblable à la nôtre, libéra les mathématiciens des opérations simples mais ennuyeuses, leur permit de s’attaquer à des problèmes bien plus complexes et d’étudier les propriétés générales des nombres. Par exemple, cela a permis le travail du mathématicien et astronome indien Brahmagupta, considéré comme le père de l’algèbre moderne.

Algorithmes et calculs

La méthode indienne est puissante car elle permet de générer des règles simples de calcul. Imaginez-vous en train d’essayer d’expliquer comment faire une longue addition sans utiliser un symbole pour le zéro. Pour chaque règle que vous pourriez inventer, il y aurait bien trop d’exceptions. Le mathématicien perse du neuvième siècle Al-Khwarizmi a été le premier à méticuleusement noter et exploiter ces instructions arithmétiques, ce qui allait rendre, au final, les abaques obsolètes.

De telles instructions mécaniques illustrèrent qu’une partie des mathématiques était automatisable et cela allait mener au développement des ordinateurs modernes. Le mot « algorithme » utilisé pour décrire un ensemble d’instructions basiques est d’ailleurs dérivé du nom Al Khwarizmi.

L’invention du zéro a également créé une nouvelle manière plus précise de décrire les fractions. Ajouter des zéros à la fin d’un nombre augmente sa grandeur ; ajouter des zéros au début de ce nombre, après la virgule, la diminue. Placer infiniment des nombres à droite de la virgule correspond à une précision infinie. Une telle précision était exactement ce dont les grands penseurs du XVIIe siècle Isaac Newton et Gottfried Leibniz avaient besoin pour développer leurs travaux sur le calcul infinitésimal.

Ainsi l’algèbre, les algorithmes, le calcul infinitésimal, trois piliers des mathématiques modernes sont le résultat de la notation du néant. Les maths sont une science des entités invisibles que nous ne pouvons comprendre seulement une fois écrites. L’Inde, en ajoutant le zéro au système des nombres, libéra le vrai pouvoir des nombres, faisant passer les maths de l’enfance à l’adolescence et du rudimentaire vers sa sophistication actuelle !

This article was originally published in English

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