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La Nouvelle-Calédonie se rappelle au bon souvenir de la stratégie Indo-Pacifique

Visite du Président Macron en Nouvelle-Calédonie
Visite du Président Macron en Nouvelle-Calédonie, en arrière-plan les statues de Jacques Lafleur et le leader Kanak du mouvement indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, le 26 juillet 2023. Ludovic Marin/AFP

Du 24 au 26 juillet 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Nouvelle-Calédonie pour la deuxième fois en tant que président de la République. Cinq ans auparavant, en mai 2018, c’est depuis cette collectivité française d’outre-mer que le chef de l’État avait formalisé une stratégie indo-pacifique française, et précisé le rôle clé que la Nouvelle-Calédonie serait amenée à jouer dans cette région.

Ainsi que le président l’a rappelé lors de son discours :

« Nous devons conforter la Nouvelle-Calédonie comme une puissance océanienne et un levier de rayonnement international et Indo-Pacifique de la France. »

En effet, l’archipel mélanésien est une pierre angulaire de la stratégie française dans la zone. Située en plein cœur du Pacifique océanien, théâtre d’une rivalité sino-américaine croissante, la Nouvelle-Calédonie est également le quatrième producteur mondial de nickel et dispose d’une vaste zone économique exclusive potentiellement riche en matière première.

Si depuis 2018 la nouvelle nomenclature Indo-Pacifique est devenue un leitmotiv du discours diplomatique français, en 2023 à Nouméa, il fut moins question de projet géopolitique que d’évolution statutaire et de réforme constitutionnelle.

Un processus de décolonisation inachevée ?

La Nouvelle-Calédonie est un archipel sous souveraineté française situé dans le Pacifique Sud, à 1 200 km à l’est-nord-est des côtes australiennes et à 1 500 km au nord-nord-ouest de la Nouvelle-Zélande. Peuplée par des populations mélanésiennes depuis plus de 3 000 ans (les Kanaks), la Grande terre, l’île principale de l’archipel, est mise en lumière dans le monde occidental par le navigateur britannique James Cook en 1774, et proclamée Française en 1853 sous la pression des frères maristes alors en pleine guerre des clochers dans le Pacifique.

Carte de la Nouvelle-Calédonie.

D’abord discriminé par l’autorité coloniale, à travers la spoliation des terres et un régime civil inique, le peuple kanak va progressivement accéder aux droits civiques. Mais il reste largement en marge du développement économique, provoqué par le boom du nickel des années 1960. Les indépendances successives dans le Pacifique Sud (îles Samoa 1962, Nauru 1968, Fidji et Tonga 1970, îles Salomon 1975, Vanuatu 1980) contribuent au développement d’une conscience identitaire et à l’émergence de revendications nationales kanak, sous la houlette notamment de leaders politiques tels que Jean-Marie Tjibaou.

Jean-Marie Tjibaou : son combat pour une Nouvelle-Calédonie indépendante (Franceinfo INA).

De 1984 à 1988, la situation politique s’envenime marquant le début des « événements », appellation pudique pour qualifier une situation de guerre civile.

Le paroxysme des tensions est atteint en 1988 lorsque quatre policiers français sont assassinés par des militants indépendantistes, et 26 autres pris en otage sur l’île d’Ouvéa. Une opération de libération menée par l’armée française se soldera par la mort de 19 militants indépendantistes et de deux militaires français.

La médiation de Michel Rocard aboutit à la signature des accords de Matignon en juin 1988, prévoyant la mise en place d’un statut de transition de dix ans qui devait se solder par un référendum et un rééquilibrage économique. L’accord de Nouméa de 1998 repousse l’échéance électorale de vingt ans et institutionnalise une forte autonomie de la collectivité, avec des transferts de compétences inédits sous la Ve République, rapprochant la France d’une organisation quasi fédérale, dans laquelle l’État partage avec la Nouvelle-Calédonie différentes compétences législatives, juridictionnelles et administratives.

Parallèlement au combat mené pour réformer les normes juridiques françaises et locales, la Nouvelle-Calédonie est réinscrite sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU depuis 1986 (résolution 4141).

Trois référendums, deux volontés de « vivre ensemble »

En 2018, conformément aux accords de Nouméa, les Calédoniens étaient invités à se prononcer par voie de référendum pour répondre à la question suivante : « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » En cas de réponse négative, deux autres référendums pouvaient être organisés dans un délai de 4 ans. Ce fut le cas. Lors des deux premières échéances (2018, 2020), une majorité de « Non » l’a emporté, mais les résultats furent plus serrés que ne l’avait prédit les sondages (56,67 % en 2018 et 53,26 % en 2020, soit 10 000 voix d’écart).

La corrélation entre l’appartenance communautaire et le vote fut quasi parfaite. Les Kanaks ont voté pour l’indépendance, les autres communautés ont voté contre.

Les statistiques ethniques étant autorisées en Nouvelle-Calédonie, cette ethnicisation du vote a été démontrée.

Pour le 3e référendum du 12 décembre 2021, les principaux partis indépendantistes avaient appelé au boycott en raison du contexte sanitaire de la crise du Covid. Les résultats (96,5 % « NON ») ont donc été fragilisés d’une abstention massive.

Processus référendaire en Nouvelle-Calédonie :

Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?

résultats des referendums.

Ainsi, le processus référendaire qui devait déboucher sur une évolution statutaire consensuelle s’apparente désormais comme le début d’une période de confrontation politique. L’ethnicisation du vote est une réalité, même si elle va à l’encontre du destin commun prôné par l’État depuis 1988.

Les partis indépendantistes ont déjà contesté la légitimité démocratique du dernier referendum auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer-de-lance mélanésien).

Et maintenant ? Telle était la question que pouvait se poser le président Macron avant d’atterrir à Nouméa le 24 juillet 2023.

« Ne pas jeter la poussière sous le tapis »

L’accord de Nouméa reste évasif en cas de choix de maintien au sein de la République française à l’issue des trois referendums. Les spécialistes de droit constitutionnel débattent des dispositions à adopter. Le statut actuel est-il devenu caduc ou les dispositions prévues par les accords sont irréversibles ?

Le principal point d’achoppement concerne la restriction du corps électoral pour les scrutins locaux et référendaires à toute personne installée sur le territoire après 1994. Cette revendication historique des partis indépendantistes exclut près de 34 000 personnes, soit 17 % de l’électorat. Un seul point semble faire l’unanimité : une révision constitutionnelle a priori inévitable.

Emmanuel Macron l’a annoncé :

« Les provinciales 2024 se tiendront. Ensuite il faudra de toute façon un changement de la Constitution […]beaucoup avant moi avaient poussé la poussière sous le tapis […] Procrastiner et faire du sur place, ce n’est pas être respectueux. »

Il faut donc inventer un nouveau statut et renouer le fil du dialogue avant les prochaines élections provinciales prévues en 2024. Vaste projet, surtout que les partis des deux camps refusent pour l’instant de se parler. Et que certains élus indépendantistes ont refusé de rencontrer le Président.

Dissonances franco-françaises en Indo-Pacifique ?

La vie n’est donc pas un vaste océan tranquille pour Emmanuel Macron dans le Pacifique océanien. Car la Nouvelle-Calédonie n’est pas la seule complexité française de la région. Ainsi, les habitants de Polynésie française ont élu en 2023 une assemblée et un président indépendantiste.

De surcroît, le voyage présidentiel qui devait mener Emmanuel Macron dans un autre archipel français, Wallis-et-Futuna, fut annulé brusquement, sans raison officielle, mais officieusement en raison d’une grève qui dure depuis deux mois.

Le président a néanmoins poursuivi son périple dans le grand océan, entre autres, pour promouvoir la francophonie au Vanuatu et protéger les forêts en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Dans le Pacifique français, stratégie internationale de l’État et réalités politiques locales ne s’articulent pas toujours.

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