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La présidentielle à l’ombre du Brexit

Lors d’une manifestation anti-Brexit à Londres en mars. Daniel Leal-Olivas/AFP

Depuis que la Grande-Bretagne a fixé ses coordonnées GPS sur la sortie de l’Union européenne, sa presse quotidienne, surtout populaire, ne voit plus qu’à travers la vitre épaisse du Brexit.

De fait, celle-ci guette tout indicateur europhobe ou eurosceptique, discernant une montée irrésistible des candidats à l’élection présidentielle en France qui prônaient un Frexit possible, en négligeant la part des candidats, notamment Emmanuel Macron, dont la position sur le Brexit n’a rien pour plaire à l’équipe de Theresa May à Londres.

Mais qu’en est-il de l’importance du bolide Brexit dans la course à la présidence d’un point de vue français ?

Les discours du Brexit

Cette question a été relativement peu abordée dans le détail. Or elle permet de cerner de plus près les contours de ce qui est sans doute l’un des enjeux majeurs de cette campagne, à savoir la question européenne et plus spécifiquement comment la France va se positionner dans le groupe EU27+ ; ce dernier souhaite adopter face à la Grande-Bretagne une position robuste, voire sans concession, dans les négociations qui viennent de s’ouvrir.

Brexit : L’Europe des 27prête à négocier avec le Royaume-Uni (Public Sénat, mai 2017).

C’était l’hypothèse de départ pour un échange de points de vue de part et d’autre de la Manche avec Helen Drake, professeure à la Loughborough University et spécialiste britannique de la politique française.

Actuellement engagée dans l’élaboration d’un projet de recherche transeuropéen intitulé « 28+ Perspectives on Brexit », Helen Drake et ses partenaires s’apprêtent à analyser en temps réel l’évolution des discours autour du Brexit, notamment populistes, dans les États membres où des échéances électorales portent la question de la construction européenne devant les électeurs dans un contexte de polycrise institutionnelle.

Un paysage électoral sens dessus dessous

L’enjeu de l’élection française est un cas paradigmatique aussi bien par la centralité de la France au projet européen que par la polarité des positions affichées par les deux candidats au second tour.

Les Français se trouvent en effet dans une situation analogue quoiqu’« en miroir » de la situation des Britanniques en juin dernier : là où le référendum est devenu l’occasion d’une expression plus générale de rejet d’un système politique « élitiste », l’élection présidentielle française entre un candidat populiste qui va peut-être puiser aussi bien à gauche chez les électeurs « insoumis » du premier tour qu’à droite, et un candidat qui prône lui aussi une position « et… et », lie l’avenir de la construction européenne à un bouleversement profond du paysage électoral français.

Le Frexit n’est pas la question posée cette semaine, mais il se peut encore qu’il en soit la retombée.

Le Brexit, double contrainte pour Le Pen…

L’éventualité d’une victoire de Marine Le Pen verra la France, on le sait, se détacher de sa position habituelle en groupe de tête européen, pour se placer dans le sillage de Theresa May jusqu’à laisser l’ambition de la solidarité transnationale loin derrière.

Mais si Le Pen a salué la fermeté de la cheffe de gouvernement britannique, l’enjeu du Brexit est singulièrement absente de sa campagne. Et pour cause. Elle peut se réclamer de May, celle-ci n’en sera pas moins une concurrente dans un scénario de démantèlement des traités européens.

Et si l’entrain actuel de sa consœur britannique, tout au moins au sein du Royaume même, peut encourager Le Pen à mettre le pied au plancher en direction d’un Frexit, il viendra forcément un moment lors des négociations d’une sortie possible ou partielle, où Le Pen sera confrontée à la contradiction entre une volonté de travailler avec la Grande-Bretagne et la défense de l’intérêt national, chère à ses électeurs. Le Brexit dans le programme du Front national est un cas d’espèce de double bind (double contrainte) dont Le Pen sortira avec grande difficulté, soudée comme elle l’est à un électorat à attentes très fortes et, dans l’éventualité d’une prise de pouvoir exécutive, obligée de se concerter avec des interlocuteurs plus modérés.

… et révélateur de l’ambition de Macron

Quant à Macron, on connaît également la fermeté qu’il compte, lui aussi, assumer dans ce processus, s’opposant à toute possibilité d’exception aux conditions d’accès au marché unique. Mais cette fermeté traduit-elle autre chose qu’une attitude revancharde, comme on le craint de l’autre côté de la Manche ?

Il faut plutôt y voir l’expression de l’ambition supranationale du candidat qui se place actuellement en tête au deuxième tour. On a beau souligner sa proximité décomplexée avec les milieux financiers, c’est par le biais d’une extension de la souveraineté européenne que Macron compte remettre l’UE sur la bonne voie, cherchant à dépasser un fonctionnement intergouvernemental en peloton instable et potentiellement explosif.

La proposition de remplacer les sièges des députés européens britanniques par une circonscription pan-européenne est bien l’autre face de sa position par rapport au Brexit. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle n’en est pas moins un signe fort de sa volonté d’œuvrer pour davantage de solidarité interne, et pas seulement de solidarité financière.

Elle va de pair avec une série de propositions de refonte institutionnelle profonde, allant de la création d’un budget commun de la zone euro à l’interdiction des transferts vers des pays pratiquant le dumping social, deux mesures qui vont être difficiles à réconcilier. Explicite sur les enjeux du marché numérique, il l’est beaucoup moins sur le plan de la politique environnementale qu’il compte mener, mais les contours d’un renouveau institutionnel sont dessinés et s’il affirme sa détermination d’être « avec Berlin », la relation franco-allemande ne saura pas faire l’économie d’une bataille des idées dans l’éventualité, aujourd’hui probable, de son élection.

Quelle citoyenneté européenne ?

Bataille des idées : celle-ci ne pourra plus, à notre avis, être étouffée par les couloirs feutrés de Bruxelles. Ni satisfaite par le cadre actuellement proposé de conventions démocratiques, dont les tenants et aboutissements sont loin d’être clairs. Non, la citoyenneté européenne dont Macron se fait l’avocat dépendra de sa capacité à écouter et à promouvoir une véritable culture politique à l’échelle européenne.

À ce titre, la proposition d’extension du programme Erasmus+ semble la traduction la plus forte de son approche pédagogue et non démagogue, et contrairement à l’embarras dans lequel la Grande-Bretagne post-Brexit se trouve face à la nouvelle donne démographique en Europe, il est incontestable que Macron sait que « l’Europe » des travailleurs de toutes catégories, des femmes de ménage aux cadres, « l’Europe » des étudiants et des chercheurs, et même des retraités, est en marche et depuis longtemps, que l’horizon de sa génération, celle du programme Erasmus justement, et celles qui suivent, est transnational, et que revenir sur la possibilité de mobilité humaine à l’échelle du continent ne produira rien de bon.

Erasmus + célèbre ses 30ans (Génération Erasmus, 2017).

Contrairement à ceux qu’il affronte ou affrontera, en France et en Europe, il est du côté de cette profonde mutation du paysage européen, qui crée les conditions nécessaires à cette nouvelle culture politique européenne. Encore faut-il qu’il sache favoriser la pluralité de cette culture, et ne pas la soumettre à des objectifs de rendement intensif.

Rien n’est dit, et tout sera à scruter de très près tant l’enjeu est décisif, mais de l’autre côté de la vitre épaisse du Brexit, la course continue.


Helen Drake sera l’une des invités de la table ronde consacrée à l'élection présidentielle vue par des spécialistes britanniques ; cette rencontre aura lieu ce vendredi 5 mai à 18 heures dans le cadre du séminaire « Challenging Europe » à l’Institut de l’Université de Londres. Ouvert au public, inscription préalable nécessaire.

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