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Le Covid-19, un puissant catalyseur de coopération entre établissements de santé

Quelque 500 cliniques et 300 établissements privés de soins se mobilisent aujourd'hui pleinement en soutien des hôpitaux publics débordés. Franck Fife / AFP

Depuis plusieurs années, l’hôpital a dû s’organiser sur le modèle de la libre entreprise, celle d’un monde où la concurrence règne et où la productivité, synonyme d’effort, constitue la valeur première, pourtant en contradiction avec ses valeurs caritatives originelles.

Les établissements de santé ont ainsi été confrontés à de nouveaux défis, par exemple celui du financement par une réforme qui introduit, depuis 2004, une « tarification à l’activité » (T2A). Ce dispositif permet notamment de mieux comparer les coûts d’hospitalisation entre les deux secteurs, public et privé, mais également d’attiser la concurrence entre établissements de santé.

Une coopération néanmoins encouragée

Très concrètement, aujourd’hui, la rivalité entre les établissements se joue au niveau régional sur l’obtention d’autorisations d’activités ou d’équipements lourds, de la préemption et la fidélisation des ressources humaines médicales rares. Cette concurrence concerne encore l’attractivité auprès des patients et des prescripteurs, ce qui génère des parts de marché comptabilisées dans le cadre de la Banque de données hospitalière de France (BDHF), récemment rebaptisée FHF-Data.

Toutefois, en parallèle de cette mise en concurrence, les établissements de santé s’engagent déjà, depuis plusieurs années, dans des stratégies de coopération qui peuvent englober l’ensemble des concurrents d’un territoire de santé.

Il est en effet difficile, voire impossible, pour un établissement de santé de n’avoir qu’une stratégie individuelle, ne serait-ce qu’à cause des attentes de coordination du régulateur, qui encourage voire oblige les établissements à coopérer.

Mangement stratégique de la santé (Xerfi canal, juin 2019).

Cette coopération permet aux établissements de se renforcer mutuellement par une offre complète de toute la gamme de soins à la population, dans la logique de territoire de santé. Pour le patient, c’est l’assurance d’un continuum de soins pris en charge par divers établissements.

Ainsi, les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) visent à construire une « stratégie de groupe » sur la base d’un projet médical partagé sur le territoire permettant une prise en charge commune et graduée du patient (avec une offre complète comprenant des activités très spécialisées) dans un large bassin de vie. Si ces GHT concernent de façon obligatoire les établissements publics et l’hospitalisation à domicile (HAD), les établissements privés peuvent en être partenaires.

La frontière public-privé vole désormais en éclat

Face à la crise du Covid-19, on constate que cette coopération public-privé s’intensifie, faisant ainsi voler en éclat les traditionnelles frontières de ces secteurs.

L’engagement du secteur privé est manifeste : 500 cliniques et 300 établissements de soins se mobilisent aujourd’hui pleinement. 100 000 interventions chirurgicales ont été déprogrammées, libérant 4 000 lits pour des patients atteints du Covid-19.

La solidarité territoriale joue également à plein, certains patients des régions les plus touchées étant ainsi transférés en TGV, avion et même hélicoptère vers des zones pour l’instant plus préservées.

Par ailleurs, des établissements de psychiatrie privés sont mis à disposition afin d’accompagner et soutenir les soignants durement éprouvés par cette crise sanitaire. Et, comme à l’hôpital public, les établissements privés ont déclenché le « plan blanc » avec l’installation de tentes à l’extérieur des établissements et un circuit isolé de transfert des personnes contaminées.

Une tente dressée à l’extérieur de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Stéphane de Sakutin/AFP

Cependant, le président de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés a demandé à l’État de les solliciter davantage considérant que la coopération public-privé est encore trop inégale selon les régions et appelle à un renforcement des échanges entre Agences Régionales de Santé, public et privé.

En finir avec une médecine hospitalo-centrée

Il s’agit aujourd’hui de faire ensemble pour améliorer les filières de prises en charge. Mais aussi de collaborer en mutualisant moyens matériels et ressources médicales, transformant ainsi les frontières des établissements et des équipes médicales.

La crise sanitaire révèle ainsi que le rôle de l’État ne doit plus se limiter à la baisse des dépenses de santé. Les hôpitaux et leur environnement pourraient ainsi évoluer afin de favoriser de nouveaux modèles d’organisation fondés sur la coopération interétablissements.

L’enjeu consiste à sortir d’une vision encore trop hospitalo-centrée pour mieux intégrer, également, la médecine de ville, largement mobilisée dans la crise actuelle. Sans oublier que c’est peut-être en campagne que cette médecine « de ville » est justement la plus cruciale…

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