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Des boîtes avec des crânes photographiées dans les voûtes du Musée de l'Homme, le 27 août 2015 à Paris. Getty Images.

Le musée de l’Homme compte 18,000 crânes: à quoi sert cette collection?

Le Musée de l’Homme à Paris comporte l’une des plus importantes collections mondiales de restes humains et il est utile de comprendre ce que signifie l’abondance des crânes dans cette collection de 20 000 éléments.

Quelles que soient les disciplines, les scientifiques ont, pendant plusieurs siècles, conservé leurs collections à sec. C’est encore le cas pour les plantes conservées dans les herbiers ou les insectes épinglés dans des boîtes. Jusqu’à l’emploi du formol à la fin du XIXe siècle, les collections anatomiques comportaient, de même, essentiellement les seuls éléments pouvant être préservées à sec : les os.

Chaque squelette est composé d'un peu plus de 200 os, face à ces ensembles complexes, depuis des siècles, les anatomistes ne conservent pas systématiquement des squelettes complets. Par exemple, avant l'invention de la radiologie et des IRM, ils sélectionnaient les pièces utiles à la compréhension de questions qu’ils se posaient concernant le développement du fœtus, les problèmes d’accouchement et certaines pathologies

Dès le XVIIe siècle, les médecins et anatomistes occidentaux sont également en quête d’éléments biologiques permettant de différencier « l'animal » de « l’humain » et d'identifier les supports de notre intelligence. Dans ce but, les savants de l’époque lèguent leur cerveau et leur crâne pour qu’ils soient étudiés à leur décès. La pratique est dès lors prise de tenter de définir des qualités, des pathologies, voire une prédisposition à la criminalité en comparant et mesurant les crânes des uns et des autres. De manière erronée, ces mesures sont mobilisées au XIXe siècle pour la définition de supposées races mais aussi, de manière plus objective, pour montrer à l’inverse l’unité du genre humain et apporter des arguments quant à l’évolution des ancêtres de l’Homme moderne.

La plupart des restes humains conservés dans les musées du monde sont-ils africains ?

Non, l’essentiel des restes humains conservés dans les musées proviennent de fouilles archéologiques. En France, une étude que j’ai menée de 2015 à 2017 dans l’ensemble des musées et universités, dans le cadre d'une mission interministérielle sur la gestion des collections de restes humains permet de considérer que sur plus de 150 000 restes humains présents dans les établissements publics français, au moins 100 000 relèvent de prélèvements archéologiques réalisés en France.

Plusieurs dizaines de milliers d’autres restes humains sont des éléments d’anatomie pathologique ou normale. Ceux d’origine extra-européenne, pour partie africaine, y représentent quelques milliers d’éléments, très présents au Musée de l'Homme. Mais les problématiques de la gestion des restes humains muséalisés ne sont pas quantitatives et chaque pièce mérite une attention particulière.

Pourquoi et comment ces restes humains se sont retrouvés au Musée de l’Homme ?

Son abondante collection est le produit des recherches d’anatomie médicale, d’anthropologie et de préhistoire réalisées par le Muséum national d’Histoire naturelle et son ancêtre le Jardin royal des plantes médicinales qui, avec ses laboratoires et son cabinet d’histoire naturelle, engage des collectes en France et à l’étranger, dès le début du XVIIe siècle.

Comme nous l’évoquions précédemment, les crânes ont été considérés comme des parties du squelette permettant d’identifier et comparer des traits humains, voire de manière erronée, des supériorités et infériorités supposées étayant au plan biologique des concepts racistes culturels préexistants. Pour autant, les collectes de crânes et les moulages n’étaient pas, en eux-mêmes, dépréciatifs. Les restes de personnalités y sont présentes et les collectes extra-européennes sont à recontextualiser dans une démarche d’inventaire qui ne saurait être réduite à la seule finalité raciste.

Dans cet esprit, le sentiment courant selon lequel la majorité des collectes du XIXe s’apparentent à des trophées de guerre ne correspond pas à la réalité. La majorité des crânes a été prélevée sur des squelettes d'individus décédés de manière naturelle, avant ou après leur inhumation, ce qui soulève en soi de nombreuses situations non éthiques. Mais, à l'opposé de la notion de trophée, ils sont souvent relativement anonymisés, ce qui pose des difficultés pour identifier l’origine exacte du crâne de tel ou tel individu.

Les restes humains identifiés et prélevés sur les victimes de combats, comme le crâne du chef kanak d'Ataï tué lors de l'insurrection de 1878 ou d'algériens, reprenant la lutte après la reddition d'Abd el-Kader en 1847, constituent des pratiques inadmissibles ; les pièces qui en résultent n'auraient jamais dû être intégrés à des collections de musées.

Ces cas médiatiques minoritaires mis en exergue ne doivent pas masquer que, quelle que soit l'origine du reste humain, ils méritent tous une réflexion sur leur devenir et une gestion professionnelle respectueuse comme cela est inscrit dans le code civil, suite aux lois de bioéthique.

Quels sont les problèmes liés à leur restitution ?

Les restitutions passées ont posé des questions de plusieurs ordres ayant des dimensions objectives et subjectives. L’élément primordial est la qualité de la documentation des pièces, entre autres, quant à leur origine et leur mode d’acquisition, voire – et ce n’est pas toujours le cas – quant à la possibilité de les rattacher à un individu ou une communauté précise. De manière plus subjective, les restitutions de restes humains ont été perçues dans les années 2000, par une partie des professionnels des musées, comme pouvant déboucher sur la cession de pans entiers d’autres collections.

Une partie de la communauté scientifique considère parallèlement qu’une généralisation des restitutions peut créer une perte de connaissances, entre autres dans les domaines l’histoire des migrations humaines ou des maladies alors que les collections anciennes peuvent être réexplorées à la lumière de nouveaux concepts et nouvelles techniques.

Le point de vue des demandeurs n’est lui-même pas exempt d’éléments subjectifs pouvant recéler des différences d’attentes entre États et descendants, communautés locales et diasporas. Ces divers éléments justifient totalement d’associer, lors de l’étude de chaque cas, des professionnels, par exemple français et africains, sans omettre, quand ils existent, les descendants.

Cela fut entrepris lors de la restitution des têtes maories en 2010 et déboucha positivement sur un travail historique et des coopérations. Ce fut par contre biaisé en 2020 par la procédure de dépôt qui fut substituée à l'adoption d'une loi, lors de la remise de 24 crânes algériens, au risque même d'une documentation trop hâtive selon un récent article du New York Times.

En tout état de cause, une restitution ne saurait se réduire à un effacement négationniste d’un pan d’histoire. Le dernier problème, souvent évoqué, concerne la forte protection légale des collections publiques française dites « inaliénables ».

Les lois françaises doivent-elles évoluer pour permettre les restitutions ?

Toutes les collections publiques françaises « sont inaliénables et imprescriptibles ». Cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être restituées mais leur restitution nécessite une procédure préalable de déclassement. La restitution des têtes maories a nécessité la longue élaboration d’une loi spécifique adoptée en 2010 mentionnant que « celles conservées par les musées de France cessent de faire partie de leurs collections ».

Afin de faciliter les procédures, cette même loi a mis en place « une Commission scientifique nationale des collections » chargée, entre autres, d’instruire les procédures de déclassement. Ses travaux ont souligné que l’article du Code du Patrimoine mentionnant que « les biens incorporés … par dons et legs… ne peuvent être déclassés » posait une difficulté accrue pour les restes humains qui, dans leur quasi-totalité, relèvent d’un tel mode d’acquisition.

Alors que cette Commission avait engagé un travail de fond elle a été dissoute en 2020. Pour ne pas laisser au point mort la réflexion sur les restitutions, une proposition de loi a été adoptée au Sénat. Elle souligne le cas particulier des restes humains au sein des collections et reprend les suggestions de notre groupe de travail interministériel qui avait présenté deux rapports sur le sujet en 2015 et 2018. Son adoption par l’Assemblée nationale française faciliterait effectivement l’examen des futures demandes de restitutions susceptibles d'être formulées par des États.

Aucune demande officielle ne semble déposée actuellement mais il est essentiel de souligner que celles à venir devront s'appuyer sur une réflexion partagée entre les parties car toute restitution devrait être un acte de réparation mais aussi un moment de réflexion sur l'histoire de chacune des parties.

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